1Nicolas II de Neufville, seigneur de Villeroy, est issu du milieu de la bourgeoisie parisienne1. Son père, et avant lui un autre Neufville, originaire de Dieppe, qui est sans doute son grand-père, étaient vendeurs de poisson de mer aux Halles, c’est-à-dire des grossistes faisant venir du poisson dans la capitale2. Le père, Nicolas I^er, avait une réelle surface sociale car, selon ce que porte l’épitaphe sur sa sépulture aux Saints-Innocents (il est mort en 1471), il a aussi été trois fois échevin, receveur des aides dans l’élection de Paris et maître d’hôtel du duc Philippe le Bon3. La qualité des réseaux dans ce milieu se mesure aussi au fait que la mère de Nicolas II, Geneviève Legendre, est la fille d’un important marchand de drap et de vin, devenu trésorier des guerres sous Louis XI, puis Charles VIII4. Pierre Legendre, frère de Geneviève, est à son tour trésorier des guerres, puis trésorier de France. Il va jouer un grand rôle dans l’ascension de Nicolas II. Ce rôle est sans doute précoce, si la généalogie est bien celle qui vient d’être mentionnée (voir note 3) car, précocement orphelin de père, Nicolas II a du sans doute compter rapidement sur l’appui des Legendre. Et c’est très probablement grâce à ceux-ci qu’il entame une carrière d’officier de finance. On le repère en Italie sous Louis XII, dans ce Milanais qui est alors une région pleine d’opportunités pour se lancer dans le service du roi. Neufville est trésorier des guerres de Milan en 1504-1508 (on conserve même son compte pour 1504-1505) ; dès 1500, il est par ailleurs mentionné comme secrétaire de Charles Chaumont d’Amboise, gouverneur du Milanais5. L’appartenance aux réseaux Amboise se retrouve aussi pour Pierre Legendre, chargé de marchés de construction et d’examens de comptes à Gaillon6.

2La carrière de secrétaire de Neufville prend un tour encore plus prometteur quand, tout en étant désormais notaire et secrétaire du roi7, il entre au service de François d’Angoulême, dont il pourrait même être secrétaire des finances en 15148. Aussi Neufville devient-il secrétaire des finances de François I^er dès son avènement : ses provisions datent du 2 janvier 15159. Pour lui comme pour presque tous les secrétaires du temps, on évoque une formation auprès de Florimond Robertet, mais ici les preuves manquent totalement. Neufville met ensuite la main sur un grand office de finance : à la mort de son oncle Pierre Legendre en février 1525, il lui succède comme trésorier de France en Outre-Seine et Yonne, la circonscription qui inclut la capitale. En lui-même, cet office représente un assez faible enjeu financier, dans la mesure où il ne s’agit de superviser que les recettes du domaine. Cependant la charge de trésorier de France est une charge de prestige. Elle est exercée, plus ou moins durablement, par bon nombre d’hommes d’argent qui comptent alors, parmi lesquels, outre Legendre, figurent Florimond Robertet et Philibert Babou10. Neufville exerce assez brièvement, puisqu’il cède la charge en 1532 à Jean Grolier, un autre neveu de Pierre Legendre11. Comme beaucoup, il cumule les offices : audiencier de la chancellerie de France en 1516, trésorier de l’ordre de Saint-Michel en 1521. Mais il exerce surtout un nombre impressionnant de commissions. Les unes sont financières : recette d’offices de nouvelle création, de fonds pour la rançon de François I^er12 ou d’aliénations du domaine, commissions pour la levée d’emprunts, pour l’inventaire de la vaisselle précieuse du défunt grand maître Boisy (empruntée par le roi)… D’autres commissions sont liées aux bâtiments : Neufville surveille ainsi les travaux de Villers-Cotterêts, Boulogne ou Saint-Germain. Il achète des terrains pour le roi dans le quartier du Louvre et est commis aux marchés du château de Fontainebleau. Pendant quelques années enfin, entre 1516 et 1522, il est mis à contribution à plusieurs reprises pour des missions diplomatiques : en 1516 en Flandre dans le cadre de la négociation du traité de Noyon, en Espagne en 1519, en Angleterre en 1518 et 152213.

3Quelques documents font bien apparaître ses relations avec les hommes de pouvoir qu’il côtoie. En 1526 et 1530, on le voit solliciter Anne de Montmorency pour obtenir des faveurs pour un autre officier de finances, puis pour un neveu14. En 1537, il prête 3 000 écus pour le paiement de la rançon de Claude d’Annebault : c’est un placement politique d’avenir, mais il n’est guère possible de le mesurer alors15. Neufville est également, si on en croit Cellini, « très intime ami » du prévôt de Paris Jean d’Estouteville16. Son engagement lui vaut parfois des compliments royaux, comme lorsque François I^er charge Jean Du Bellay de lui faire, en août 1536, « bien entendre que je luy scay très bon gré du bon office qu’il fait par dela […] et que je le prie de continuer17 ». C’est à ce moment qu’on trouve à son sujet la seule mention repérée, pour le règne de François I^er, où Neufville est cité comme conseiller du roi « en son privé conseil18 ». Sous Henri II en revanche, le Nicolas de Neufville fréquemment mentionné jusqu’en 1554 comme conseiller au Conseil privé (qui gère les « affaires d’Estat et de finances »), semble bien être Nicolas II, et non son fils Nicolas III, contrairement à ce qu’écrit Hélène Michaud19.

4Mais rien ne laisse véritablement ressortir sous François I^er un rôle politique notable. Peut-être même faut-il voir un indice significatif dans le fait que ce secrétaire des finances, qui traverse en fonction l’essentiel du règne20, est moins présent au Conseil que plusieurs de ses collègues, parmi lesquels figurent ceux dont le rôle politique est bien plus net21. La diversité des tâches qui lui sont confiées tout au long du règne témoigne d’une attitude de service, exercée avec la confiance du roi, et celle des hommes en place, mais non d’une position proprement politique, y compris en second pour appuyer les ambitions de telle ou telle personnalité de premier plan. Neufville est donc un solide technicien et un homme qui sait à l’évidence se faire apprécier dans les cercles de la cour et du pouvoir. Si l’on en croit Cellini, il a bien des traits du courtisan, mais d’un courtisan sérieux, comme il se doit pour un homme de chancellerie et de finance : « Ce Villeroy avait infiniment d’esprit et excellait en toute chose […]. Il était plein de gravité, représentait bien et s’exprimait avec lenteur22. »

5Nicolas de Neufville reste cependant très enraciné dans les élites parisiennes, comme en témoignent ses mariages successifs et ceux de ses filles, les fonctions qu’il exerce dans la capitale (ainsi comme administrateur du temporel de l’Hôtel-Dieu), le prestige de sa résidence (il y héberge même le connétable fin 1539). Sa réussite se manifeste par d’évidents indices de reconnaissance sociale : l’avant nom messire, la dignité de chevalier, le mécénat : Clément Marot, qui a été son page, le désigne dans une préface de 1538 comme son « premier maistre », celui qui l’aurait poussé à la cour23. Il aurait même fondé un couvent, à la suite d’un vœu fait lors de la bataille de Pavie24. Ce qui frappe surtout, c’est le niveau de fortune de Nicolas II, que souligne également Cellini : « Il était prodigieusement riche. » Visiblement, Neufville procède à de fructueuses spéculations, à travers par exemple la détention d’un certain nombre d’offices parisiens de greffiers25. Sa longue existence semble bien correspondre pour les Neufville à une étape de forte accumulation, en particulier foncière. La prodigieuse succession de son oncle Legendre, mort en février 1525 sans enfants, échoit pour l’essentiel à Nicolas II et à ses héritiers, à la suite d’un testament du 15 novembre 152426. Malgré les inévitables procès, cette captation d’héritage accroit spectaculairement la fortune foncière de la famille Neufville, du bel hôtel des Bourdonnais, dans le quartier du Louvre, à de nombreuses seigneuries dans le Vexin français. C’est donc un fort riche héritage que Nicolas II laisse à sa mort sous Henri II27. Il incombera à son fils Nicolas III, et plus encore à son petit-fils Nicolas IV28, lequel réalise la brillante carrière de secrétaire d’État que l’on sait29, de faire fructifier politiquement ce patrimoine, en attendant, au XVII^e siècle, la double consécration pour la famille de la dignité ducale et du maréchalat.