1Charles de Bourbon, deuxième fils de Gilbert de Bourbon-Montpensier et de Claire de Gonzague, devient à la mort de son frère aîné Louis (août 1501), héritier de la branche cadette des Bourbon. Élevé par Pierre de Beaujeu, il accède à la mort de celui-ci (octobre 1503), au titre de duc de Bourbon. Pour éviter la dispersion du patrimoine du lignage, il est marié le 10 mai 1505 à sa cousine Suzanne, fille de Pierre et d’Anne de Beaujeu. Avec l’aide de sa belle-mère, il veille sur les intérêts de la famille. Charles commence bientôt une carrière militaire en Italie. Il prend part en 1507 au siège de Gênes, puis se distingue deux ans plus tard à Agnadel. En 1513, il combat contre les Suisses puis contre les Impériaux et les Anglais. Sa bravoure est remarquée. Fait gouverneur de Languedoc en juin 1512, Bourbon occupe une position importante à la fin du règne de Louis XII. Suivant une formule, peut-être un peu exagérée, de Robert Maquereau, « rien ne se faisoit au Reaulme de France sans son conseil1 ».

2D’une certaine façon, c’est donc une position déjà en vue qui est concrétisée au tout début du règne de François, le 12 janvier 1515, par l’accès à la prestigieuse fonction de connétable vacante depuis 1488. Charles devient également grand chambrier de France. Il prend part à la campagne de Marignan en commandant l’avant-garde, comme il est d’usage pour un connétable lorsque le roi est présent.

3Cependant une certaine méfiance semble s’installer rapidement entre le monarque et son prestigieux sujet. Ses capacités militaires impressionnent, mais inquiètent aussi. La puissance de son patrimoine lui donne une autonomie politique et financière que certains jugent excessive. D’ailleurs la monarchie ne se prive pas de lui faire endosser le financement de sa participation aux opérations militaires. Bourbon paye souvent les troupes qu’il dirige avec ses propres revenus. Exploité financièrement parce que riche, il finit par connaître lui aussi de sérieux problèmes de trésorerie, d’autant que ses pensions ne lui sont que très mal payées. Plus grave : dès mai 1516 il est démis au profit de Lautrec de la fonction de lieutenant général du roi en Milanais qu’il venait juste d’obtenir et est rappelé d’Italie.

4Les affronts se multiplient en 1521 : l’armée d’Italie, la plus importante, est donnée à Lautrec. Bourbon en outre, ne reçoit aucun des quatre grands gouvernements militaires mis en place au même moment2. Pire encore : en octobre 1521, en Hainaut, François I^er confie l’avant-garde au duc d’Alençon, non à Bourbon chargé, avec le duc de Vendôme, de l’arrière-garde. Le connétable a également le sentiment que ses conseils tactiques ne sont pas entendus. Ainsi François I^er ne le suit pas dans le projet de guerre d’offensive rapide en 1521 sur le front septentrional. Finalement, en 1522, il ne reçoit aucun commandement.

5À cette date, on peut rappeler le constat – effectué a posteriori – par Guichardin : « Pour la noblesse du sang royal, pour ses grands biens, pour la dignité de l’estat de connestable, et pour la renommée fort claire de sa vaillance, [Bourbon] estoit le plus grand et le plus estimé seigneur de tout le royaume de France : mais il y avoit longtemps qu’il n’estoit plus en la grace du roi, et partant non admis aux affaires secrettes, ni respecté selon ce que sa grandeur méritoit3. » Il paraît en effet difficile sous François I^er de combiner un projet de gloire personnelle avec une pratique du service loyal du prince.

6L’indice concret des présences au Conseil est ici encore précieux. Dans les sources disponibles, on a trace de la présence du connétable au Conseil pour deux années seulement, et dans des proportions qui restent modestes. Le record est situé en 1515 avec 9 occurrences ; c’est bien moins alors que La Palice (27), Boisy (21) ou Lautrec (20). En 1516, on tombe à 4 occurrences (quand La Palice est à 16 et Boisy à 12). Il est vrai qu’une partie de cette année-là, Bourbon ne suit pas la cour (on remarque également la disparition de Lautrec, resté en Milanais). Mais le plus grave n’est pas là : il tient dans l’absence complète de résurgence avec le retour en France, au-delà de 1516. Denis Crouzet insiste d’ailleurs longuement sur la distance par rapport à la cour de François I^er que manifesterait Bourbon, lequel, il est vrai, dispose de sa propre cour.

7La situation est considérablement tendue par la question de la succession de sa femme Suzanne, morte le 28 avril 1521, qui est revendiquée par le roi et par sa mère, cousine de la défunte4. Il est possible que leurs premières démarches aient servi à prendre date en vue d’un compromis. Cependant le connétable se sent fragilisé et voit avec colère les signes qui manifestent à l’évidence que le roi est juge et partie. Le parlement pour sa part manifeste plusieurs fois sa réticence devant la façon dont l’affaire est conduite. Peut-être y a-t-il ici l’amorce d’un rapprochement entre le duc et des parlementaires inquiets ou mals à l’aise devant certaines initiatives royales, et tous promoteurs d’une monarchie modérée. Dans une lettre à l’ambassadeur anglais à Madrid, Wolsey loue en janvier 1523 « le vertueux prince Charles de Bourbon qui, voyant la mauvaise conduite du roi et l’énormité des abus, veut réformer le royaume et soulager le pauvre peuple5 ». S’exprimerait donc ici, au-delà du contentieux précis, une des facettes du « devoir de révolte » de l’aristocratie. Pour certains historiens cependant, le connétable se contente d’instrumentaliser les aspirations à la réforme pour accroître le nombre de ses partisans.

8Dès 1519, il est entré en relation avec Charles Quint, pour obtenir un dédommagement des pertes subies par son père en Italie du sud. L’empereur lui verse depuis cette date une pension. Les ouvertures impériales, connues de François I^er, sont peut-être un signe lancé en direction du roi, pour qu’il ménage son connétable et reconnaisse ses mérites. Mais c’est le résultat inverse qui est atteint, comme on l’a vu. De geste en geste, la progressive surenchère des deux camps conduit donc à la rupture. À partir de l’automne 1522, les contacts se multiplient entre Bourbon et les envoyés d’Henri VIII et de Charles Quint. En juillet 1523 un accord est conclu : le connétable épousera la sœur de l’empereur et se retournera contre François I^er alors même que les armées d’Henri VIII et Charles Quint envahiront le royaume.

9Le roi a eu vent assez rapidement des tractations de Charles et se résout le 5 septembre 1523 à ordonner son arrestation. Deux jours plus tard, le connétable s’enfuit pour passer hors du royaume. Tout au long de l’affaire, l’attitude du roi et de sa mère a été jugée sévèrement par beaucoup, qui semblent plaindre le sort cruel du connétable. Il n’est pas facile ici de démêler ce qui relève de la lamentation sur les malheurs d’un grand, victime du destin, et ce qui pourrait renvoyer à une forme d’opposition politique au monarque. Sur un autre plan, l’accusation de traîtrise est le plus souvent absente, sinon chez ceux, comme le Marseillais Honorat de Valbelle, qui subissent directement les effets de son activité militaire en 1524. Cependant, le duc reste totalement isolé dans sa révolte. Malgré la sympathie qu’il provoque, il n’entraîne avec lui qu’une poignée de fidèles.

10Charles de Bourbon, devenu lieutenant général en Italie pour le compte de l’empereur, échoue dans son offensive provençale en 1524 et repasse en Italie, poursuivi par l’armée française. La victoire de Pavie semble sonner l’heure de la revanche puisqu’au traité de Madrid (janvier 1526), le roi s’engage, à la demande expresse de Charles Quint, à rétablir Bourbon dans ses biens et ses dignités. Mais cette clause du traité n’est pas plus respectée que les autres par François I^er après sa libération. Bourbon reste donc au service de l’empereur et meurt à son service, le 6 mai 1527, en escaladant le mur d’enceinte de Rome. Il est enterré à Gaète, dans la chapelle du château. C’est seulement après sa mort que son procès est repris en France. Le 26 juillet 1527 la cour des pairs se réunit au parlement de Paris. Jugé « crimineux de lèse-majesté, rébellion et félonie », le duc défunt, par sentence prononcée le 27, est dépouillé de son titre, ses fiefs sont formellement annexés au domaine royal et tous ses biens personnels sont confisqués.