5. Un menu commun pour des tables séparées. Le tournant institutionnaliste dans la science politique et les études sur l’intégration européenne
p. 103-139
Texte intégral
Nous sommes tous institutionnalistes désormais
1Il y a quelques années, le comparatiste Gabriel A. Almond1 se plaignait de la situation en science politique. Son argument principal était que les différences épistémologiques et idéologiques empêchent les chercheurs d’engager des discussions productives au-delà de leurs petites chapelles théoriques. On observe aujourd’hui une tendance similaire dans les études sur l’intégration européenne. Même si les conflits idéologiques ont perdu de leur importance dans la discipline et même si la distinction entre les recherches qualitatives et quantitatives apparaît de plus en plus obsolète2, les débats théoriques sur la coopération régionale (européenne) restent fortement segmentés. La répétition de ces vieilles querelles est pour le moins paradoxale quand on sait que ces approches concurrentes partagent, au moins à première vue, un socle commun : aujourd’hui, tout européaniste qui se respecte se présente de lui-même comme « institutionnaliste ».
2On peut faire remonter le tournant institutionnaliste en science politique aux articles fondateurs de F. Scharpf sur le « piège de la décision conjointe » (« joint decision trap »)3. L’auteur regrettait à cette occasion que les approches traditionnelles telles que le néo-fonctionnalisme passent sous silence l’impact des règles décisionnelles sur le processus d’intégration. Cette critique coïncida avec la publication de l’œuvre pionnière de March et Olsen4 qui annonçait officiellement le tournant institutionnaliste en science politique. Entre-temps, l’analyse institutionnaliste est devenue l’approche dominante dans la discipline. Même si les études sur l’intégration ont toujours mis du temps à s’adapter aux évolutions conceptuelles, elles furent finalement touchées par ce changement d’orientation. Depuis le début des années 1990, nous avons assisté à une prolifération de travaux sur le pouvoir relatif des acteurs institutionnels, sur la complexité des négociations entre acteurs à des niveaux multiples ou encore sur l’évaluation du poids des normes et de la socialisation sur le processus d’intégration européenne.
3Malgré ces réalisations impressionnantes, aucune convergence vers une compréhension commune des institutions européennes ne semble avoir eu lieu. Au contraire, la manière avec laquelle les chercheurs traitent des « comportements normés » (« rule based behavior ») apparaît très disparate. Ce point doit être mis en relation avec un fait plus général : on ne dispose pas d’une définition consensuelle des institutions ni de leurs attributs principaux. Cette indétermination conceptuelle apparaît d’autant plus importante dans le champ, encore volatile, des études sur l’intégration européenne dans la mesure où celui-ci ne s’est qu’en partie ouvert aux théories innovantes et aux recherches empiriques s’appuyant sur un projet empirique systématique. Plutôt que d’offrir de nouvelles perspectives aux autres sous-disciplines, les travaux sur l’intégration régionale sont encore largement dépendants des « importations conceptuelles » venues d’autres disciplines.
4Selon nous, des différences « épistémologiques » bien plus que « théoriques » sont à l’origine des divisions de ce champ d’étude entre approches concurrentes. Cela signifie que les européanistes affectent de s’asseoir dans des restaurants différents et, plus important encore, qu’ils utilisent des ustensiles différents pour s’attaquer à ce que nous considérons être le même menu.
5On peut rapidement résumer ces différences épistémologiques. Alors que l’institutionnalisme sociologique ou historique recherche de manière inductive les modalités de la coopération européenne, les théoriciens du choix rationnel s’appliquent à découvrir de manière déductive les règles de l’intégration régionale. S’ils ne rechignent pas à tester de manière systématique leurs théories, leur stratégie empirique consiste souvent en une évaluation quantitative de propositions générales. À l’inverse, le projet de recherche des approches institutionnalistes historiques et sociologiques se limite souvent – même s’il existe des exceptions, à des études de cas singulières.
6Des différences ontologiques importantes séparent par ailleurs les traditions institutionnalistes et elles sont peut-être encore plus difficilement conciliables. Pour filer notre métaphore culinaire un peu plus loin, certains européanistes aiment séparer la grappa du café alors que certaines de leurs collègues préfèrent la tradition italienne consistant à mélanger les deux. Du point de vue rationaliste, les déterminants fondamentaux des comportements sont extérieurs à l’agent et au contexte dans lequel il se meut. Du point de vue sociologique et – dans une certaine mesure – historique, l’agent et son contexte se déterminent mutuellement ; ils évoluent ensemble et n’existent pas indépendamment l’un de l’autre. Ces différences ontologiques peuvent cependant figurer au même menu dans la mesure où la règle d’or interne du restaurant n’insiste que sur la nécessité d’une approche scientifique de tous les dîners. Nous reviendrons, dans le détail, sur toutes ces différences.
7Cet article tente de remplir cette tâche, à bien des égards intimidante, consistant à explorer ces différences et à rechercher une base commune à ces institutionnalismes. On a coutume de diviser le courant institutionnaliste en deux sous-ensembles : les néo-institutionnalismes historiques et du choix rationnel5. Nous nous appuierons cependant sur la distinction opérée par Hall et Taylor entre les trois néo-institutionnalismes – sociologique, historique et des choix rationnels6. Cette typologie a le mérite de tenir compte des différences importantes qui existent entre les approches historiques et sociologiques, différences que nous essaierons de mettre en évidence et de clarifier. Il existe par ailleurs des points d’accords entre ces trois courants, à tel point qu’il semble préférable de les penser non pas comme des catégories conceptuelles distinctes mais comme des degrés d’un même continuum ou comme des nœuds indépendants possédant des attributs communs.
8L’article est organisé de la manière suivante : nous commençons par passer en revue les approches concurrentes avant de procéder à une évaluation des recherches les plus importantes sur l’intégration européenne. La dernière section démontre qu’il existe des possibilités de convergence.
Vue d’ensemble sur les trois approches concurrentes
9Le postulat de base de l’analyse néo-institutionnaliste est que les institutions influencent les résultats (« outcomes »). Les institutions portent les partis pris que les agents individuels ont construits dans le temps au sein de leur société, partis pris qui ont en retour des conséquences importantes sur la distribution du pouvoir. Elles ne sont pas un simple reflet de l’activité sociale et de la compétition rationnelle entre des unités désagrégées mais structurent les actions politiques et leurs résultats7. Cet argument central laisse cependant de nombreuses questions sans réponses et l’un des problèmes du tournant institutionnaliste en science politique réside précisément dans la gestion de cette ambiguïté, caractéristique de ce courant de recherche. Hans Keman parvient à une conclusion similaire lorsqu’il écrit que « le néo-institutionnalisme se caractérise par un manque évident de précision conceptuelle sur la question des institutions et de leur définition8 ».
10D’un côté, les rationalistes perçoivent les institutions comme des « modes de comportement rationnels d’équilibre de longue durée » et par conséquent comme les résultats d’une partie stratégique jouée par la société9. À l’autre extrémité, les institutions constituent les identités humaines et les comportements. Selon cette perspective et comme l’écrivent Berger et Luckmann, « tous les problèmes sont communs, toutes les solutions sont socialement construites et réifiées, toutes les attentes sont communes et publiquement hégémoniques10 ». Cette vision sociologique suppose le plus souvent que les institutions ont des racines culturelles quand elle ne considère pas, de facto, la culture et les institutions comme synonymes. Dans une revue de la littérature, Finnemore constate que « la structure des institutionnalistes est de nature culturelle ; ce sont la rationalité et l’individualisme occidentaux qui créent les États, les marchés, les organisations bureaucratiques11 ». On le voit, toutes ces définitions concurrentes doivent finalement beaucoup aux legs de Max Weber et Émile Durkheim. Pour les héritiers du sociologue allemand, les institutions influencent les comportements mais elles ne les déterminent pas totalement en dernière analyse. À l’inverse, les durkheimiens voient dans la structure sociale le facteur déterminant. Même si les néo-institutionnalismes s’efforcent de relier ces deux approches théoriques, l’institutionnalisme sociologique est beaucoup plus influencé par la tradition de recherche durkheimienne que le choix rationnel.
11Il s’agit là des deux extrémités d’un même continuum qui s’articule autour d’une question centrale : dans quelle mesure les agents intériorisent-ils, ou sont-ils manipulés, par les institutions ? Outre cette question du rôle supposé des institutions, le champ est ensuite divisé en ce qui concerne leur définition. Peter Hall définit par exemple les institutions comme des « règles formelles, des procédures de mise en conformité et des pratiques opératoires standardisées qui structurent les relations entre les individus dans divers segments du système politique et de l’économie12 ». Dans une acception plus large, mais toujours dans le même ordre d’idées, Asbjorn Norgaard a récemment écrit que les institutions constituaient des « arrangements légaux, des routines, des procédures, des conventions, des normes et des formes organisationnelles qui structurent et informent les interactions humaines13 ».
12Ce chapitre se fonde sur une conception des institutions englobant à la fois les structures formelles et informelles qui influencent le comportement humain. Dans l’Union européenne, les procédures législatives ou de vote entrent dans la première catégorie. L’inclination du Conseil européen pour les décisions consensuelles, même dans les cas où un vote à la majorité qualifiée est prévu, est en revanche un bon exemple de règle « informelle » contraignante. D’une manière plus générale, les pratiques culturelles et les cadres cognitifs entrent également dans cette deuxième catégorie.
13Les institutions peuvent avoir des effets contraignants sur l’action humaine mais elles peuvent également constituer des ressources. Le premier volet de cette double fonction tient au fait que les règles instituées interdisent des actions qui auraient pu être menées dans un autre contexte. Les constitutions nationales ou les traditions pluriséculaires peuvent par exemple freiner le développement de relations transnationales durables dans l’arène européenne. L’autre facette de ce comportement normé (« rule based behavior ») se donne à voir dans le fait que des institutions telles que l’égalité en termes de vote permettent à certains acteurs d’entreprendre des actions inconcevables dans d’autres circonstances. Pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes dans des États membres récalcitrants, la Cour de Justice des Communautés Européennes s’est par exemple référée à l’article 119 du Traité de Rome, lequel oblige l’introduction de mesures garantissant « un salaire égal à travail égal14 ». On peut par ailleurs penser que des représentations culturelles ou cognitives semblables favorisent les actions communes alors que de telles structures de sens divergentes ont quelques chances de jouer un rôle de contrainte.
14Dans le contexte de la coopération européenne, les institutions peuvent constituer des variables indépendantes, intervenantes ou dépendantes. Dans le premier cas, elles incluent des valeurs fondamentales, des idées et des normes de niveau national, organisationnel ou autre. Comprises comme des variables intervenantes, elles peuvent désigner des règles codifiées clairement identifiables ou bien des routines, des pratiques standards moins visibles mais tout aussi déterminantes pour les comportements sociaux. Les institutions comme variables dépendantes englobent ces équilibres et modèles de comportement qui caractérisent le processus de coopération européenne.
15Dans la mesure où les règles influencent le comportement des acteurs à tous les niveaux d’interaction sociale, le néo-institutionnalisme ne penche pas davantage du côté de la « high » ou de la « low » politics, ni de telle ou telle forme (horizontale ou verticale) de coopération. Lors de la réforme des fonds structurels, des institutions aussi diverses que la division des pouvoirs entre les acteurs fédéraux et régionaux ou l’importance accordée à l’idée de négociation se sont ainsi révélés importants pour l’administration de fonds15. De même, les mécanismes de « check and balance » établis pour régler les interactions entre la Commission européenne, le Conseil des Ministres, la Cour de Justice et le Parlement européen, consistent en une myriade de règles parfois byzantines.
16Comme nous l’avons suggéré plus haut, il peut exister, sur certains aspects, des convergences considérables entre les néo-institutionnalismes. Par exemple, certains institutionnalistes historiques rejoignent les rationalistes lorsque ceux-ci insistent sur le comportement intentionnel des acteurs sur de courtes périodes16. D’autres institutionnalistes historiques ont tendance à mettre en avant les conséquences à long terme des institutions, notamment leur propension à influencer les préférences17. Ce faisant, ils partagent avec les institutionnalistes sociologiques un intérêt pour l’intégration aux modèles explicatifs d’hypothèses sur l’origine des préférences.
17Ceci étant, une approche qui synthétiserait ces trois courants n’est pas encore en vue. L’un des principaux points de divergence entre ces théories concerne l’horizon temporel. Les théoriciens du choix rationnel ont tendance à se concentrer sur les séquences courtes du processus décisionnel. À l’inverse, les institutionnalistes sociologiques s’intéressent aux effets institutionnels de longue durée, tout comme les institutionnalistes historiques qui étudient les conséquences de décisions spécifiques (éventuellement rationnelles) sur le long terme. Ce problème des écarts entre les horizons temporels des uns et des autres a un corollaire : les institutionnalistes n’apportent pas les mêmes réponses à la question de l’intériorisation, par les agents, des effets institutionnels. Dans la perspective du choix rationnel, les institutions sont le plus souvent considérées comme exogènes aux agents sauf si les acteurs sont engagés dans un processus conscient de création de règles. Cette perspective inclut notamment les procédures de vote et les mécanismes de résolution des conflits. La littérature rationaliste opère donc une distinction fondamentale entre les jeux sur les règles et les jeux dans les règles. Du point de vue sociologique en revanche, les institutions sont systématiquement intériorisées, d’où l’intérêt de ces chercheurs pour les institutions identitaires telles que la nationalité ou la religion. En plaçant la focale sur ces différents éléments, les analystes tendent à mettre en avant des explications différentes des logiques d’action, de l’interprétation des règles, ainsi que du processus de formation des préférences et des stratégies.
18Les différences entre les approches concurrentes deviennent plus évidentes quand celles-ci sont analysées dans le détail. Le tableau 1 montre, conformément à ce qui a été écrit précédemment, que les trois courants comprennent les institutions comme des normes et des règles18. Pour le reste, nos critères d’évaluation recouvrent trois catégories. Tout d’abord, nous distinguons les approches des différentes écoles de pensées en nous référant à leur vision scientifique du monde. Nous considérons ensuite leur compréhension des institutions et le cadre temporel qui caractérise leurs projets de recherche respectifs. Nous étudions enfin la manière avec laquelle chaque approche traite de trois problèmes généraux : la formation des préférences, la création des institutions et leur évolution. Nous illustrons ces différences à partir d’exemples tirés de recherches récentes.
Tableau 1 : Principales caractéristiques des trois approches institutionnalistes

L’institutionnalisme historique et sociologique
19Les théoriciens distinguent clairement les institutionnalismes historiques et sociologiques de celui du choix rationnel19. Bien qu’il existe des différences significatives entre elles, les deux premières approches accordent aux institutions un rôle indépendant très important. Elles s’intéressent par ailleurs aux contextes particuliers dans lesquels les êtres humains sont inscrits et postulent que leur répertoire d’options et de préférences est limité par les interactions répétées dans le temps et par les configurations sociales dans lesquelles ils se trouvent.
20Tant du point de vue sociologique qu’historique, les institutions fournissent un environnement pour les luttes politiques et structurent le jeu en fixant un ensemble de règles. De fait, il existe un socle commun avec l’institutionnalisme des choix rationnels autour du postulat de base d’après lequel les institutions influencent l’action individuelle. Mais les approches sociologiques et historiques conçoivent les institutions à la manière d’un environnement politique ou d’un contexte culturel ayant un impact sur la perception, par les acteurs, de leurs intérêts. En d’autres termes, les acteurs sont conditionnés par l’accumulation dans le temps de procédures, de règles et de normes. Les identités, les priorités, les interprétations de la réalité sont toutes créées dans ce contexte. À l’inverse des rationalistes qui postulent que les institutions représentent un environnement stratégique, les approches sociologiques et historiques considèrent que les acteurs n’ont pas la capacité de fixer des priorités indépendamment du contexte institutionnel. Selon cette vision, l’action humaine est davantage guidée par le contexte que par les objectifs des acteurs.
21Dans le cadre de l’institutionnalisme sociologique et, jusqu’à un certain point, de l’institutionnalisme historique, les agents élaborent leurs préférences de manière endogène et celles-ci sont au moins partiellement sujettes à des phénomènes de path dependence. Au fil du temps, le contexte peut évoluer ; les humains étant des animaux sociaux, leurs préférences et leurs priorités évoluent en même temps. Les courants sociologiques et historiques se rapprochent également du point de vue de leur « orientation scientifique » dans la mesure où ils tendent tous les deux à s’inscrire dans une approche holiste. Par conséquent, leur projet de recherche est traditionnellement influencé par la sociologie historique ou les approches du même genre.
22Il existe cependant aussi des différences non négligeables entre les approches historiques et sociologiques. Hall et Taylor20 ou encore Finnemore21 distinguent les dimensions structurelles et contraignantes de l’institutionnalisme historique et celles, plus culturelles ou cognitives, de l’institutionnalisme sociologique. Comme le précisent Thelen et Steinmo, les institutionnalistes historiques considèrent que « les buts poursuivis par les acteurs, et non pas seulement leurs stratégies, sont structurés par le contexte institutionnel22 ». Ils vont donc bien au-delà de la notion d’institution comme environnement stratégique à l’intérieur duquel les acteurs poursuivent des intérêts définis de manière exogène. Ils confèrent aux institutions un rôle bien plus important, ces dernières structurant à la fois les inputs politiques et les résultats. L’État constitue de ce point de vue l’environnement institutionnel le plus important :
« L’État n’est pas seulement affecté par la société mais l’affecte également en retour… Même s’ils sont parfois engendrés par des événements externes, des processus internes aux institutions politiques affectent le flot de l’histoire23. »
23On peut également opérer des distinctions parmi les institutionnalistes historiques, notamment entre ceux qui s’inscrivent dans une perspective rationaliste tout en se concentrant sur les « conséquences inattendues » des décisions rationnelles24 et ceux dont les travaux s’intéressent plutôt à l’impact, à long terme, des institutions sur les préférences et les stratégies des acteurs25. La manière dont les acteurs assimilent ces normes et contraintes institutionnelles constitue ainsi l’un des principaux éléments distinctifs entre ces différentes approches. Pour le premier groupe d’institutionnalistes historiques, les acteurs ne font que s’adapter aux obstacles qu’ils rencontrent dans leur sentier de dépendance, tandis que pour les seconds, les acteurs intériorisent ces contraintes institutionnelles.
24Dans la perspective sociologique, la culture joue un rôle plus important de fondement cognitif commun permettant aux uns et aux autres de partager des perceptions du monde26. Si ces théoriciens qualifient parfois les organisations formelles et les régimes de « vecteurs d’institutionnalisation27 », la culture reste de leur point de vue l’un des éléments centraux de l’institutionnalisation des comportements individuels. L’institutionnalisme sociologique accorde également une attention toute particulière au concept de légitimité, un concept qui permet d’expliquer des similarités dans l’espace entre les formes organisationnelles, notamment quand elles ne peuvent pas être expliquées par des besoins fonctionnels. La quête de légitimité induit des comportements réguliers.
25Dès lors, l’institutionnalisme sociologique considère les institutions comme des variables indépendantes essentielles. DiMaggio et Powell sont particulièrement clairs sur ce point lorsqu’ils constatent que : « Les institutions ne se contentent pas de contraindre les choix possibles ; elles établissent le critère fondamental au travers duquel les acteurs découvrent leurs préférences28. » En ce sens, les institutions sont « constitutives » ; elles véhiculent les critères par lesquels les agents définissent leur identité. Elles produisent « une couverture de légitimation sur laquelle elles tendent un drap protecteur d’interprétations cognitives et normatives29 ». Dès lors, les agents ne naviguent pas d’une institution à l’autre comme ils passent d’un objectif à l’autre. L’agent et la structure sont indissociables ; les actions des agents ne peuvent être comprises sans référence aux « institutions » cognitives ou culturelles dans lesquelles ils se meuvent. Chez ces sociologues, la culture et les institutions deviennent virtuellement synonymes. À la différence de l’institutionnalisme historique ou du choix rationnel, cette approche n’envisage pas la possibilité de choix institutionnels.
26Giddens a prolongé la réflexion sur cette relation entre l’agent et la structure en théorisant les effets constitutifs réciproques de ces deux éléments et en considérant les règles structurelles – entendues comme des règles intégrées par les agents – à la fois comme des ressources et des contraintes30. Selon cette approche, les agents produisent la structure, notamment en recourant de manière créative à des aptitudes sociales dans la vie quotidienne. Mais ils reproduisent également les structures, ce qui permet à celles-ci de survivre aux individus qui les ont créées. Cette « structuration » constitue, selon Giddens, une piste pouvant permettre de combler le fossé entre l’approche constructiviste et celle du choix rationnel : elle reconnaît non seulement l’influence des agents sur la structure mais également le mouvement de causalité inverse. Ce gain théorique a toutefois un prix : les pratiques sociales profondément ancrées qui composent la structure doivent elles-mêmes être intégrées à l’analyse.
27Les représentations communes fondées sur la culture n’empêchent pas les conflits éventuels, bien au contraire. Mais l’interprétation commune des faits rendue possible par ces normes culturelles partagées ou ces pratiques routinières réduit les coûts de transaction, incitant Berger et Luckmann à parler « d’économie d’effort31 ». Notons que les frontières de ces espaces d’interprétations communes ne peuvent pas être définies a priori : elles peuvent être nationales, subnationales ou organisationnelles. À l’inverse, des acteurs ayant les mêmes intérêts trouveront que des clivages transversaux les opposent s’ils viennent d’horizons culturels différents. Cette situation intervient fréquemment au cours des tentatives de formulation des politiques économiques communes au sein de l’UE, certains acteurs nationaux ou sectoriels optant de manière systématique pour une approche libérale alors que d’autres préfèrent une approche protectionniste. De telles différences se repèrent non seulement à propos des intérêts à court terme, mais également en ce qui concerne les conceptions normatives à long terme sur le capitalisme.
28En résumé, on peut établir une distinction relativement claire entre les structures institutionnelles explicites, intentionnelles et reconnues d’une part, et les caractéristiques culturelles, implicites, intériorisées et potentiellement non reconnues d’autre part. Ceci étant, ces approches des institutions ne sont pas exemptes de critiques. Koelbe critique par exemple l’ambivalence de cette conception des institutions :
« Les individus ne sont pas démunis face aux choix institutionnels mais les institutionnalistes historiques insistent sur le fait que les institutions guident leur choix. Au final, on ne sait pas trop si ce sont les intentions des individus ou les contraintes institutionnelles qui contraignent les résultats32. »
29Dans l’institutionnalisme historique, les structures peuvent effectivement être créées par les agents mais elles vivent ensuite de manière autonome, tels le monstre de Frankenstein.
30Il est de plus extrêmement difficile de mesurer l’effet d’institutions construites culturellement parce qu’il est virtuellement impossible d’estimer les conséquences d’un fait si telle institution n’avait pas existé (sauf au moyen d’analyses contrefactuelles) ; les groupes de contrôle n’existent pas. Selon l’institutionnalisme historique, il est impossible d’imaginer les individus agissant sans référence à des fondements culturels, mais évaluer les effets de ces fondements est loin d’être une tâche aisée. Enfin, il est assez difficile d’établir une distinction entre les effets produits par la culture ou d’autres éléments cognitifs et les effets de la structure et de tout type de contrainte surplombante.
L’institutionnalisme du choix rationnel
31Contrairement à ce que l’on imagine souvent, la version rationaliste de l’institutionnalisme ne constitue pas un courant si homogène. Il existe des différences importantes entre les auteurs, notamment sur la question de la création et de la persistance des règles au sujet desquels la négociation et la sélection naturelle33 sont de plus en plus considérées comme des facteurs explicatifs centraux. On observe également des divergences du côté des économistes des coûts de transaction qui ont dans un premier temps vu les institutions politiques comme le produit plus ou moins automatique d’externalités et de problèmes de bien publics34.
32Tous les partisans de cette approche partagent évidemment les préceptes de l’individualisme méthodologique. Ils considèrent donc l’action humaine comme la clef de voûte de toute explication scientifique des faits sociaux. La perspective des choix rationnels s’inscrit par ailleurs dans la tradition de l’économie néoclassique et considère les êtres humains comme des « maximisateurs d’utilité », c’est-à-dire des êtres capables de hiérarchiser leurs priorités à partir d’une échelle de préférences fixes et définies de manière exogène. Ce paradigme souligne également le rôle des gains matériels comme facteur de motivation des individus. On notera enfin que même si ses partisans ne rejettent pas en bloc les caractéristiques sociales des agents35, ils accordent généralement aux individus une relative indépendance par rapport au contexte.
33Au cours des deux dernières décennies, le courant dominant de l’analyse par le choix rationnel fut largement influencé par la théorie des jeux non-coopératifs. Cette approche cherche à comprendre comment les individus prennent des décisions alors qu’ils savent que le résultat final dépend également du comportement des autres acteurs. Si les théoriciens du choix rationnel ne tombent pas dans le piège de l’analyse fonctionnaliste consistant à concevoir les institutions comme des réponses à des « besoins » sociaux, ils posent néanmoins la question de leur rationalité sociale en s’intéressant aux possibilités de réponses (institutionnelles) inefficientes. Ils observent que la deuxième, voire même parfois la troisième meilleure réponse, sont finalement choisies, ce qui signale un écart entre rationalité sociale et rationalité individuelle. Généralement, l’institutionnalisme des choix rationnels considère la politique comme une arène au sein de laquelle les individus essaient de maximiser leurs gains personnels. La plupart des décisions sont influencées par plusieurs individus de telle sorte que le processus décisionnel doit être considéré comme interdépendant. Les acteurs étant parfois enclins à se tromper mutuellement, les sociétés peuvent facilement se voir dotées d’institutions sous-optimales du point de vue collectif. Des métaphores célèbres comme le « dilemme du prisonnier » et d’autres situations de jeux socialement problématiques telles que le « mille-pattes » ou le « jeu du poulet » ont permis aux théoriciens du choix rationnel d’analyser les tensions entre les intérêts individuels et collectifs.
34L’approche en termes de choix rationnel a tout d’abord trouvé sa voie dans les relations internationales en postulant que les acteurs se comportent de façon stratégique et qu’ils adaptent leurs stratégies et leurs croyances en fonction des actions présumées des autres acteurs. Les États désireux de coopérer créent et font vivre des institutions qui leur permettent de réduire les coûts de transaction (contrats incomplets, information imparfaite, incapacité de contrôler et de faire respecter les accords) associés aux activités inter-étatiques. De ce point de vue, la coopération est instrumentale et ne constitue donc pas nécessairement une pratique socialement située et routinière.
35Par conséquent, l’institutionnalisme du choix rationnel considère bien les institutions comme un contexte dans lequel sont prises des décisions individuelles mais il place la focale sur l’individu plutôt que sur le contexte. Pour reprendre une expression de Shepsle, les théories du choix rationnel sont des théories de l’équilibre. « Elles cherchent à expliquer les phénomènes sociaux à partir des préférences des agents et de leur comportement optimisateur mais également à partir des caractéristiques institutionnelles36. » Les institutions offrent un ensemble de règles et de procédures ou de pratiques informelles qui structurent les relations. North a fait écho à cette conception lorsqu’il a écrit que « pour rendre compte du changement et de la stabilité, on a besoin de quelque chose de plus que le calcul coût-bénéfice individuel37 ». Les institutions seraient en d’autres termes l’élément manquant à la théorie néo-classique :
« Elles fournissent le cadre à l’intérieur duquel les êtres humains interagissent. Elles établissent les relations de coopération et de compétition qui constituent la société38. »
36De manière générale, les théoriciens du choix rationnel partent du principe que les préférences sont exogènes à leurs modèles. Ce postulat part de l’idée qu’un élément doit être fixe si l’on veut pouvoir expliquer les choses. Un modèle où toutes les variables sont susceptibles de changer ne peut rien expliquer. Le changement des préférences ne peut donc être modélisé que si d’autres facteurs sont tenus pour invariants. Telle est la ruse analytique sur laquelle Becker fonde son extension du modèle économique de base à la théorie de la décision, extension grâce à laquelle il analyse rigoureusement la socialisation et l’addiction39. Le modèle de Becker n’a cependant pas été appliqué à des enjeux institutionnels ou stratégiques40.
37Le choix rationnel s’appuie généralement sur une définition plus étroite des institutions que les autres courants. Pour l’approche rationaliste de l’intégration européenne, les institutions sont des règles formelles et informelles qui régulent et encadrent les interactions humaines. Bien qu’aucune analyse rationaliste n’ait été entreprise sur l’impact des cultures organisationnelles, certaines applications apparaissent réalisables sur le plan théorique. C’est tout au moins ce que suggère le travail de Kreps qui vise à déterminer le rôle stratégique de la confiance et d’autres normes sociales. L’analyse en termes de choix rationnel conduit à s’interroger sur les raisons pour lesquelles des conventions et des normes inefficaces sont choisies et maintenues. L’analyse de David, si souvent citée, sur le standard fort peu pratique du clavier QWERTY prouve que le raisonnement institutionnaliste n’a pas d’inclination particulière pour les solutions optimales ni pour les « deuxièmes meilleures solutions41 ».
38Un autre aspect important du raisonnement en termes de choix rationnels tient au fait que, contrairement aux versions les plus extrêmes de l’institutionnalisme sociologique, il ne considère pas que les institutions précèdent l’action humaine. Se rapprochant sur ce point plutôt des institutionnalistes historiques, les rationalistes conçoivent les institutions avant tout comme des variables intervenantes et non pas, à proprement parler, indépendantes.
39Ceci étant, ces différences ne nous semblent pas nuire à la manière avec laquelle les recherches institutionnalistes (dans leur ensemble) sont menées. Une comparaison attentive permet de souligner que les différences qui « séparent » les trois traditions résident dans les objectifs fondamentaux et les orientations scientifiques. Les institutionnalistes historiques et sociologiques cherchent à élaborer des descriptions « solides » (« thick ») (au moins en ce qui concerne le champ des études européennes, un champ au sein duquel de vastes études quantitatives ont été menées sur l’émergence d’une homogénéisation culturelle à l’échelle globale). À l’opposé, les approches en termes de choix rationnel ont tendance à opter pour des explications plus économes en facteurs explicatifs.
40Les autres distinctions entre les approches se fondent sur des divergences relatives aux assises épistémologiques des uns et des autres. À titre d’exemple, les options différentes quant à la possibilité ou la nécessité d’endogénéiser le changement de préférences ne sont pas un obstacle central à une convergence théorique entre les institutionnalismes en compétition. Il s’agit essentiellement d’une conséquence de l’écart entre les projets de recherches. Les institutionnalistes historiques et sociologiques décrivent la manière avec laquelle ces changements ont lieu. Les rationalistes cherchent pour leur part surtout à établir des mécanismes causaux par lesquels un changement endogène de préférences devient possible. S’ils ne parviennent pas à élaborer un modèle convaincant, cet enjeu disparaît de leur agenda de recherche.
41Toutes ces approches méthodologiques présentent des avantages et des limites. Les approches empiriques/descriptives sont par exemple riches de détails mais elles ne parviennent pas à construire des modèles permettant de monter en généralité, notamment en raison de cette pratique trop répandue consistant à étudier un seul cas à la fois. Les approches déductives sont plus explicites à propos de leurs attentes a priori mais elles n’apportent pas toujours des preuves empiriques claires et généralisables. Nombre de ces divergences se fondent sur une différence ontologique fondamentale : les partisans du choix rationnel et certains institutionnalistes historiques envisagent l’être humain comme un élément distinct de la société et doté d’un esprit de survie ; les institutionnalistes sociologiques et certains institutionnalistes historiques partent au contraire de l’hypothèse holiste d’après laquelle les êtres humains feraient partie d’un ensemble en dehors duquel ils n’existeraient pas réellement. Toutes ces différences élémentaires se donnent à voir dans la manière avec laquelle les chercheurs intéressés par les débats théoriques mènent leurs travaux sur l’intégration européenne.
Des points de vue divergents sur l’institutionnalisme et l’intégration européenne
42Comme pour la théorie néo-institutionnaliste en général, il n’existe pas de consensus, dans le champ des études sur l’intégration européenne, sur la manière de penser le rôle des institutions. Pour illustrer cette diversité, nous analysons un certain nombre de travaux produits dans ce champ d’étude.
Le choix rationnel
43La recherche produite par les rationalistes sur l’Union Européenne repose sur l’hypothèse, empruntée à la théorie des jeux non coopératifs, d’après laquelle les acteurs se comportent de manière rationnelle, dans toutes les arènes décisionnelles pertinentes, afin d’atteindre les résultats correspondant à leurs préférences42. Compte tenu du fait que l’Union Européenne a évolué progressivement vers un système complexe de partage du pouvoir, la majeure partie des interactions est affectée par la manière avec laquelle les « principals » délèguent le pouvoir à des « agents43 ». Typiquement, les électeurs sont des « principals » qui délèguent leur pouvoir d’élaboration des traités à leurs gouvernements. Les exécutifs politiques sont de leur côté des « principals » vis-à-vis de ceux qui endossent les décisions des institutions européennes. La délégation du pouvoir n’est pas un enjeu trivial dans la mesure où les « agents » profitent de leur savoir et de leur expérience pour poursuivre leurs propres objectifs. Les théoriciens du choix rationnel ont en grande partie concentré leur attention sur la manière avec laquelle les agents exploitent l’incertitude découlant de la division imparfaite du pouvoir entre les acteurs européens en compétition.
44La plupart des recherches furent influencées par les jeux de signaux et la théorie spatiale du vote44. Comme dans d’autres sous-champs disciplinaires, les progrès les plus substantiels furent réalisés par les chercheurs qui ont construit leurs propres modèles. Les concepts de la théorie des jeux ont cependant fourni des métaphores utiles à l’analyse de l’Union Européenne. De ce point de vue, on est en droit de regretter que les « consommateurs » de choix rationnel se contentent trop souvent d’importer telle ou telle idée sans la développer davantage45. En d’autres termes, les applications « softs » du paradigme rationaliste souffrent d’un problème récurrent : les auteurs formulent des hypothèses tout à fait plausibles mais n’explicitent pas le modèle dont elles pourraient découler de manière déductive.
45Les avancées théoriques et analytiques ont d’abord et surtout concerné l’impact, sur la distribution du pouvoir, des réformes institutionnelles telles que l’introduction de l’Acte Unique européen ou le Traité sur l’Union Européenne. Selon Steunberg, l’introduction des procédures de coopération et de codécision n’a pas réduit l’influence de la Commission par rapport au Parlement46. Cette vision est contestée par Moser, lequel a démontré que la codécision peut forcer la Commission à accepter des propositions du Parlement, même quand elles sont éloignées de ses propres préférences47. Dans son évaluation des travaux de Tsebelis sur le prétendu pouvoir conditionnel du Parlement européen en matière de mise à l’agenda48, Moser montre que le législateur ne peut exercer une influence indépendante, via la procédure de coopération, que si le contexte décisionnel change dans le temps. L’introduction de la procédure de codécision permet au Parlement d’exercer pour la première fois un pouvoir de veto inconditionnel49. Ce renforcement progressif continuera dans les années à venir dans la mesure où le Conseil a définitivement perdu, avec la procédure de codécision, la possibilité de revenir à sa proposition initiale après l’échec d’un compromis50.
46L’introduction de règles relatives à la mise en œuvre des mesures européennes (les procédures de « comitologie ») a conduit, à l’inverse, à un renforcement des acteurs intergouvernementaux aux dépens des acteurs supranationaux. Comme le démontrent Steunberg, Kobolt et Schmidtchen, le Conseil a obtenu un pouvoir de surveillance considérable sur certaines propositions supranationales51. Franchino a démontré dans une étude macro-quantitative que les considérations stratégiques sont, dans ce contexte, de la plus haute importance52. Une autre institution de l’Union européenne a fait l’objet de l’attention des rationalistes : la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE). Garrett a donné une première interprétation stratégique du processus décisionnel à l’intérieur de cette cour. Il a émis l’idée que :
« Les actions de toute cour de justice sont fondamentalement politiques dans la mesure où elles anticipent la réaction possible d’autres acteurs politiques, ne serait-ce qu’en cherchant à éviter les interprétations de leurs décisions53. »
47Même s’il a modéré cette thèse, Garrett a saisi l’occasion d’un échange avec Mattli et Slaughter pour réitérer son analyse selon laquelle la CJCE agit de manière stratégique et anticipe systématiquement les réactions possibles des États membres54. Alter, tout comme Mattli et Slaughter, semble le rejoindre sur ce point55.
48La première génération de modèles spatiaux sur le processus de prise de décision dans l’Union européenne s’est surtout intéressée à l’influence objective des acteurs, indépendamment des usages qu’ils ont pu faire, individuellement, des configurations institutionnelles. Selon nous, cette focale trop étroite est problématique dans la mesure où elle risque de nourrir des généralisations ne correspondant pas à la réalité du processus décisionnel de l’UE. Tout particulièrement, les modèles issus de l’analyse, en pleine expansion, des « jeux spatiaux » ne permettent pas de saisir les caractéristiques centrales des observations empiriques. Cette remarque vaut tout particulièrement pour la branche la plus dynamique des jeux spatiaux : les modèles qui en sont issus ne rendent généralement pas bien compte des traits saillants des situations empiriques.
49Les interprétations divergentes sur la procédure de codécision illustrent bien l’idée selon laquelle l’inclination des institutionnalistes « non-rationalistes » pour les éléments empiriques pourrait jouer un rôle plus important dans les débats théoriques sur l’UE. Moser a par exemple démontré, s’opposant sur ce point aux conclusions de Tsebelis, que les dernières innovations institutionnelles ont bien renforcé le Parlement au détriment du Conseil des ministres56. L’interprétation de Moser mettait en avant la baisse (formelle) des pouvoirs de proposition du Conseil. L’étude empirique de Kaiser révèle au contraire que le changement dans la distribution du pouvoir est moins la conséquence de cette baisse formelle que celle de l’augmentation des coûts induits par l’usage des vetos et des positions inflexibles pendant les négociations57. Ces conclusions confirment que l’analyse rationaliste des institutions européennes devrait se concentrer sur cette question de l’usage stratégique des institutions par les acteurs plutôt que sur cette lecture, toute juridique, conduisant à mettre en avant les pouvoirs potentiels prétendument inscrits dans les règles constitutionnelles.
50Il existe une exception notable à cette tendance formaliste : la littérature sur les « jeux à deux niveaux » (two-level game). Schneider et Cederman ont mis en évidence que les États membres utilisent les institutions nationales pour renforcer leur position dans les négociations au Conseil européen58. L’éventualité d’une menace impliquant une règle formelle est modélisée dans le jeu du référendum dans lequel les pays à la traîne du processus européen peuvent évoquer la possibilité d’une résistance populaire afin d’obtenir un traité plus favorable59. La discussion introduite par Hug à propos de la faisabilité de la démocratie directe à l’échelle de l’Union européenne revient sur cette idée et démontre que le développement futur de l’organisation dépendra essentiellement des futures procédures60. Si les référendums sont obligatoires, les électeurs à l’échelle nationale sont plus susceptibles de suivre l’avis de leur parti favori, plutôt que dans le cas d’un vote consultatif61.
51D’un autre côté, les recherches inspirées du choix rationnel n’ont jusqu’à présent pas prêté suffisamment d’attention à l’impact des institutions informelles62. On peut penser par exemple à la possibilité de faire usage d’une crise gouvernementale pour exercer une menace à l’échelle de l’Union Européenne63. Un autre exemple illustre l’importance de l’impact des règles informelles : le rôle de l’ancienneté (en âge) dans la vie politique européenne. L’âge des uns et des autres influence très largement leurs chances de se voir nommés à la Commission européenne ou élus au Parlement64. Enfin, et il s’agit probablement là du point le plus important, il n’existe aucun travail d’inspiration rationaliste sur l’impact des facteurs culturels sur le processus d’intégration.
L’institutionnalisme historique et sociologique
52Les approches historique et sociologique de l’institutionnalisme ont une conception différente des dynamiques institutionnelles et du processus décisionnel dans l’UE. Chez les premiers, la focale porte sur l’influence, sur le présent des acteurs, des configurations institutionnelles héritées du passé : dans quelles mesures limitent-elles le champ des possibles et poussent-elles les agents à redéfinir leurs intérêts65 ? Comme le constate Bulmer, « les luttes politiques sont médiatisées par les arrangements institutionnels passés66 ». Les changements institutionnels et de politiques publiques sont en d’autres termes contraints par des chemins de dépendance, les acteurs définissant leurs préférences de manière endogène en fonction des événements passés. Ces choix passés produisent petit à petit des effets de cliquet qui contraignent peu à peu les comportements humains. L’histoire crée le contexte et celui-ci influence ensuite les choix.
53Les préférences des États membres sont conditionnées et dépendent de ce qui a déjà été négocié à l’échelle européenne. Dès lors, les liens de causalité fonctionnent dans les deux sens : les agents choisissent les institutions mais celles-ci les contraignent en retour. Cette double relation de causalité a un corollaire : les institutions et les politiques européennes peuvent emprunter divers sentiers sur lesquels l’institutionnalisme historique est bien incapable de se prononcer a priori. Les agents peuvent par conséquent aussi modifier les arrangements institutionnels afin que ceux-ci correspondent mieux à leurs besoins. Mais les recherches existantes révèlent plutôt la longévité et l’adhésion des acteurs aux arrangements structurels passés.
54Ces dynamiques trouvent une illustration dans les travaux de Pierson qui considère que l’approche intergouvernementaliste néglige l’évolution de la coopération dans le temps et l’importance des décisions passées sur les négociations inter-étatiques67. Les États membres perdent progressivement le contrôle sur les institutions et éprouvent de grandes difficultés pour le recouvrer. En s’appuyant sur l’exemple des politiques sociales européennes, il met en évidence l’existence d’un sentier de dépendance pour la coopération européenne :
« Dans un grand nombre d’instances, les préoccupations à court terme des bâtisseurs institutionnels les ont conduits à prendre des décisions qui ont sapé sur le long terme le pouvoir de contrôle des États membres. »
55D’autres facteurs ont contribué à cette perte diffuse de contrôle : l’omniprésence de conséquences inattendues, l’autonomie des institutions supranationales ou encore l’instabilité des préférences politiques dans les États membres.
56Ce travail aborde ainsi la question de l’autonomie des institutions supranationales par rapport à leur « principals », en l’occurrence les États membres. Il prolonge donc de manière implicite les analyses des comparatistes à propos de l’autonomie de l’État face aux forces sociales nationales68. Pierson souligne que les États membres sont de plus en plus contraints par « le développement partiel mais néanmoins significatif de la politique sociale européenne69 ».
57L’ouvrage de Pierson est une réponse à la notion intergouvernementaliste de choix étatique et il utilise le vocabulaire du choix pour rendre compte des arrangements institutionnels initiaux. Cela implique que les préférences des États membres restent définies en dehors du processus d’intégration. Elles sont en d’autres termes moins influencées par le développement des institutions et des politiques de l’UE que ne l’affirment les institutionnalistes sociologiques purs et durs. Même si Pierson envisage la possibilité que de « nouvelles circonstances » puissent engendrer un changement des préférences gouvernementales, il insiste également sur leurs origines partisanes ou idéologiques. Il ressort de tout cela que les déterminants domestiques – les États membres cherchant à maximiser leurs bénéfices nationaux plutôt qu’à obtenir une solution allant dans le sens de « l’intérêt européen » – reste une des sources de motivation les plus importantes.
58Comme il le reconnaît lui-même, ses recherches enjambent donc la division entre rationalistes et non-rationalistes70.
59Les institutionnalistes historiques diffèrent quant à la place qu’ils accordent à la culture dans la genèse des institutions. Là où Pierson ou Immergut envisagent des acteurs rationnels agissant sous contrainte, Armstrong et Bulmer insistent sur l’importance des différentes dimensions de la culture à l’intérieur des organisations européennes telles que la Commission71. Les institutionnalistes historiques ne s’accordent pas non plus sur la notion de pouvoir. La discussion de Pierson sur l’institutionnalisme historique omet l’importance des biais structurels, une dimension importante de l’agenda de ce courant de recherche72. La structure des institutions supranationales, les accès privilégiés des uns ou des autres et la répartition des ressources en matière de politique publique privilégient certains types de politiques publiques par rapport à d’autres et, par extension, certains acteurs par rapport à d’autres.
60La dimension normative du néo-institutionnalisme apparaît évidente sur ce point : les institutions ne sont pas nécessairement le produit d’une négociation neutre ou d’une évolution historique efficace. Elles sont construites autour d’idées qui influencent ensuite les possibilités des agents. Par exemple, l’orientation marchande des politiques européennes et l’existence de directions générales puissantes dédiées aux producteurs et consommateurs marginalise les intérêts non-marchands. Le mode dominant du processus d’élaboration des politiques publiques est plutôt négatif. Cette orientation reflète à la fois l’importance idéologique croissante du libéralisme et la structure des institutions de l’UE, laquelle privilégie l’intégration négative à l’intégration positive73.
61Ces deux dimensions – le pouvoir et la culture – permettent donc d’établir des distinctions entre les institutionnalistes historiques travaillant sur l’Union Européenne. En général, les auteurs les plus proches du camp rationaliste négligent la dimension culturelle et considèrent que les institutions sont neutres du point de vue du pouvoir. Les chercheurs les plus proches du courant sociologique prennent au contraire au sérieux la dimension culturelle et considèrent que les institutions ont des conséquences importantes sur la distribution des ressources entre les groupes sociaux.
62Le rôle moteur des acteurs européens est également fondamental pour comprendre la part « institutionnaliste historique » du processus européen74. On reconnaît généralement que la Commission et la Cour de Justice des Communautés Européennes ont joué un rôle actif dans la construction de compétences européennes dans de nombreux domaines. Ces deux institutions ont construit des réglementations, des propositions ou encore des alliances avec d’autres acteurs à différents niveaux pour parvenir à cette fin. Cet activisme peut se lire comme un effet latent des phénomènes de délégation « principal/agent » : comme nous l’avons vu plus haut, les agents ont parfois leurs propres agendas. Dans le cas de la Commission, cette activité se produit à travers l’identification de nouveaux enjeux, la proposition de solutions ou encore l’établissement d’alliances. À travers ce travail, la Commission s’applique à se légitimer et à créer une demande de biens publics à l’échelle européenne, une demande qui ne pourrait voir le jour suite à une simple action conjointe des principals. Encore une fois, ces processus ont pour effet un changement (souvent très lent) au niveau des préférences, des stratégies, des intérêts et des identités, changement qui n’aurait pas vu le jour sans l’activisme de l’agent supranational.
63Bien que les spécialistes de l’UE qui travaillent dans la perspective de l’institutionnalisme historique ont tendance à se concentrer sur le niveau européen, il existe une importante littérature en politique comparée qui s’appuie sur une telle approche pour étudier le niveau de l’État-nation. De nombreux chercheurs se sont intéressés aux traditions économiques et politiques particulières qui colorent les réponses des États aux demandes sociales et aux changements exogènes75. On a pu par exemple observer que les petits États européens ont opté pour des arrangements corporatistes très similaires afin de s’adapter aux changements économiques. Or cette réponse diffère largement de celle apportée par les grands États industrialisés76. Un des points faibles de l’institutionnalisme historique réside alors peut-être dans son incapacité à intégrer les effets dans le temps des institutions à ces deux niveaux. Comme il est de plus en plus difficile de démêler les influences réciproques des États membres et du niveau européen, les recherches de l’institutionnalisme historique devraient s’appliquer à étudier les interactions institutionnelles entre les systèmes politiques supranationaux et nationaux.
64En résumé et même s’il ne constitue pas un courant de pensée cohérent, l’institutionnalisme historique souligne le rôle des engagements passés et des forces d’inertie dans les institutions et les politiques publiques du processus d’intégration européenne. L’institutionnalisme historique ne prédit pas le renforcement de l’intégration européenne ou son contraire ; il prédit simplement que la rationalité des agents, les négociations stratégiques et la formation des préférences sont conditionnées par le contexte institutionnel. L’intégration européenne est un processus cumulatif dans lequel les décisions passées constituent la base sur laquelle de nouvelles décisions sont prises. Pour certains théoriciens, l’institutionnalisme historique fait également l’hypothèse d’une relation entre la culture organisationnelle et les résultats politiques77. Cette approche particulière conduit à mettre en lumière le poids des biais structurels sur l’architecture institutionnelle européenne78, des biais qui privilégient certains acteurs par rapport à d’autres.
65L’institutionnalisme sociologique a lui aussi contribué à faire progresser la recherche sur l’intégration européenne et il semble qu’il y ait eu ces dernières années une véritable explosion du nombre de chercheurs adoptant une démarche sociologique ou constructiviste pour étudier cet objet79. Cette tendance s’appuie sur les travaux de relations internationales qui ont essayé de mettre en évidence les mécanismes culturels et normatifs par lesquels le comportement et l’identité des États sont contraints et construits et comment cette identité influence leurs intérêts et leurs pratiques, et finit par co-déterminer, en retour, les structures normatives internationales. Cet ensemble de travaux a cherché à contrer l’alliance d’inspiration rationaliste qui liait l’intergouvernementalisme libéral et le néo-réalisme80.
66L’institutionnalisme sociologique appliqué aux études européennes a fait une incursion dans un univers théorique longtemps dominé par les variantes de l’intergouvernementalisme et du supranationalisme81. Les chercheurs se sont par exemple intéressés à l’élargissement de l’UE et de l’OTAN, à la citoyenneté européenne82, à la question des liens entre régionalisme et intégration européenne83 ou encore aux relations entre le niveau européen et le niveau national84. Tout comme la littérature (mentionnée plus haut) sur les relations internationales, celle-ci met en lumière comment le comportement des États est influencé ou contraint par des éléments que les rationalistes passent sous silence. Elle s’intéresse également à la manière avec laquelle l’identité se construit. Thomas Diez, s’inspirant des travaux de Ole Waever, a par exemple écrit que « l’Europe est devenue un point de référence imbriqué dans toutes les constructions identitaires nationales85 ».
67Les constructivistes se sont emparés des notions d’histoire, d’institutions, de normes, d’idées ou encore de culture et leur ont donné une extension bien supérieure à celle retenue par les institutionnalistes historiques. Ils les ont érigées au rang de variables indépendantes et ont interrogé un certain nombre de faits que les rationalistes tenaient pour évidents. Quelques travaux qui entrent dans cette catégorie ont étudié le rôle des traditions culturelles séparées des États dans la production « d’institutions ». Le terme ne recouvre alors pas forcément la même réalité que dans la conception « institutionnaliste historique ». Cette distorsion s’explique par le fait que la culture est implicitement définie par ces derniers comme un phénomène étatique qui informe tous les acteurs nationaux de la même manière même si des idées comme celle de culture organisationnelle sont parfois appliquées à certains groupes ou certaines organisations.
68Les conclusions des institutionnalistes historiques quant au caractère éminemment national des cultures sont en contradiction avec les résultats de l’institutionnalisme sociologique. Ce courant de recherche s’est intéressé à l’isomorphisme institutionnel comme réponse à la propagation de la culture occidentale. L’idée est que la rationalité instrumentale en termes de marchés et de bureaucraties a poussé les organisations à s’adapter dans des contextes par ailleurs très différents. C’est le besoin de légitimation par mise en conformité avec la culture ambiante plutôt que la logique consistant à chercher une réponse efficace aux besoins locaux qui pousse à l’adaptation. Ainsi, Finnemore souligne que la littérature institutionnaliste historique tend à se concentrer sur les effets d’homogénéisation produits par l’émergence d’une « culture mondiale » (même si elle trouve des preuves d’une contestation persistante de cette culture dominante)86.
69Il arrive que les européanistes adaptent des concepts issus de la perspective sociologique afin d’explorer comment certains traits de la « culture régionale » attirent les pays candidats. On pense par exemple à des traits culturels tels que le modèle européen de capitalisme, à la social-démocratie ou encore (pendant la Guerre froide) au rayonnement de toutes les formes de pouvoir de la société civile. Certains de ces traits culturels communs prennent racine dans une histoire relativement longue, incluant par exemple le judéo-christianisme ou la Renaissance, et contribuent à ce qu’on pourrait appeler le modèle européen de civilisation (comme la Turquie a pu en faire amèrement l’expérience)87. Il apparaît clairement que ces caractéristiques de l’UE ont attiré de nouveaux États, notamment au Sud et à l’Est de l’Europe. L’adhésion à l’UE légitimait leur identité, encore peu stabilisée, d’États développés et occidentaux. On gagnerait à examiner si leur choix ne fut pas davantage motivé par cette volonté (identitaire) d’appartenance que par un calcul sur les bénéfices économiques que pourraient leur valoir une adhésion. Les théoriciens des raisons de l’intégration européenne ont en effet peut-être tendance à négliger l’importance de l’attraction de type « normatif » ou « identitaire » exercée par l’Europe. Ils sont souvent trop pressés de vouloir fournir une explication fonctionnaliste de la réforme institutionnelle ou des politiques communes.
70D’un autre côté, on pourrait retourner cette hypothèse sur l’attirance des États pour l’Union Européenne et se demander pourquoi l’UE tente de rivaliser avec les États en développant des caractéristiques typiques de cette forme d’organisation politique comme par exemple la citoyenneté. L’isomorphisme institutionnel a autant affecté le comportement de l’UE que celui des États membres, ne serait-ce que pour fournir un vernis de légitimité à la gouvernance supranationale. Cette légitimité n’est, elle non plus, guère stabilisée : un flot de critiques a récemment déferlé sur l’UE. On reproche à cette institution de ne pas être légitime par rapport aux États. Ces critiques ont pour origine l’absence de consensus autour de l’idée de gouvernance légitime en Europe comme en témoigne l’écart entre les positions britanniques et italiennes sur la question de l’UEM : à l’inverse des Britanniques, les Italiens voient dans cette innovation un facteur de légitimité.
71Les études d’économie politique européenne ont relevé que des différences persistent entre les traditions étatiques en Europe et que ces différences influencent largement les réponses au changement88. Les arrangements domestiques en matière de relations industrielles sont par exemple basés sur des traditions culturelles différentes, des types différents de capitalisme, des modalités divergentes de gestion des rapports État/société, etc. Ces arrangements influencent grandement la manière avec laquelle les acteurs répondent à différents défis externes, notamment en ce qui concerne les possibilités ou les demandes d’intégration. Les caractéristiques culturelles enracinées dans des traditions nationales établissent un « système commun de références entre les acteurs » qui inclut leurs perceptions du monde extérieur. Elles fabriquent également une identité commune basée à la fois sur l’histoire et sur le futur proche que les uns et les autres anticipent89. Ces différentes influences culturelles se combinent avec celles opérant à l’échelle du système – la social-démocratie, le néo-libéralisme et d’autres idéologies – pour peser sur le processus européen…
72À titre d’exemple, même si les entreprises européennes sont clairement organisées dans le but de maximiser les profits, elles obéissent en réalité à une grande variété d’ordre de motivations qui dépendent eux-mêmes du paysage culturel dans lequel l’entreprise se trouve. La réaction au changement (ou la possibilité de changement) a ainsi de grandes chances d’être différente dans les pays libéraux et dans ceux, de tradition plus hiérarchique, où l’État pénètre largement la société à travers les entreprises monopolistiques qu’il détient. La possession par l’État de monopoles et la protection de firmes nationales tend à fossiliser ces communautés de politique publique nationales composées de fonctionnaires, de producteurs et des parlements nationaux. Ces communautés résisteront au changement, que celui-ci soit initié au niveau domestique (associations de consommateurs, nouveaux producteurs, ministères généralistes…) ou supranational (producteurs étrangers, UE ou autres organisations internationales). Même si le néo-libéralisme gagne en crédibilité et en légitimité dans l’Europe occidentale (et même si les entreprises se réorganisent afin de pouvoir faire face à cette concurrence accrue), des institutions politico-nationales distinctes et des valeurs domestiques continuent d’exercer une influence, atténuant d’autant l’hégémonie néo-libérale.
73L’approche institutionnaliste sociologique soulève une question intéressante : comment ces cadres culturels nationaux évoluent-ils alors que le libéralisme et les pratiques concurrentielles gagnent en légitimité ? En effet, les controverses autour de la question des pratiques capitalistiques socialement légitimes signifient que les influences sociologiques s’entremêlent de manière contradictoire. Plus d’un « environnement institutionnel » pèse sur les agents et les organisations, leur envoyant des signaux contradictoires à propos de ce qu’il est juste ou bon de faire.
74Ainsi, selon la perspective de l’institutionnalisme sociologique, l’intégration dépend de manière cruciale des variations cognitives et culturelles et par conséquent de l’impact des valeurs, des croyances et des identités sur les réponses des acteurs aux défis d’intégration. Ces variations culturelles et cognitives peuvent se manifester à l’échelle des professions comme quand des groupes professionnels de différents États membres se mettent à répondre de manière similaire à telle ou telle politique publique ou proposition de politique publique. Elles peuvent également se donner à voir à l’intérieur des organisations comme la Commission européenne. Elles peuvent encore être déterminées par les frontières nationales. Pensons par exemple à ces cas d’étude où des firmes évoluant dans un contexte anglo-américain développent des vues différentes des marchés que des firmes ancrées dans un contexte issu du capitalisme rhénan90. On peut enfin citer le cas des variations culturelles sub-nationales caractéristiques des situations où divers groupes sociaux d’un même pays ont des représentations différentes de ce qui constitue une « bonne » relation État/société91.
75L’idée centrale est que les frontières cognitives augmentent les coûts de transaction inhérents à toute coopération, que ces frontières soient fondées sur la langue, la foi, la géographie, sur des réalités culturelles plus particulières comme le « professionnalisme épistémique » (« epistemic profesionnalism ») ou sur d’autres liens qui assignent un sens partagé et des valeurs à l’expérience humaine. Les persistances culturelles peuvent être la résultante de pressions extérieures (besoin fonctionnel ou désir de rétribution) ou de processus d’intériorisation de normes. Elles peuvent également avoir pour origine la transmission d’une « réalité extérieure ou objective », transmission en vertu de laquelle ces structures de sens qui ont une grande signification dans la société, se transforment en culture avec le renouvellement des générations92. Ces points communs solidifient avec le temps de telle sorte que l’institutionnalisme sociologique partage avec l’institutionnalisme historique cet intérêt particulier pour l’inscription temporelle des institutions. Si l’on se déplace de l’institutionnalisme historique vers son cousin sociologique, on observe par ailleurs une tendance de plus en plus grande à considérer que les institutions sont intériorisées par les agents et qu’elles constituent leur identité. Les institutions deviennent un facteur explicatif supplémentaire des décisions en matière de changement institutionnel, de construction de nouvelles institutions ou d’élaboration de politiques publiques.
Méthodologie et théorie : un agenda de recherche provisoire
76Dans cette section, nous exposons quelques questions méthodologiques qu’il convient d’aborder quand on applique les trois néo-institutionnalismes aux études sur l’intégration européenne. Un agenda de recherche provisoire est également exposé. Nous prenons comme point de départ à cette réflexion l’idée selon laquelle tous nos néo-institutionnalismes sont parties prenantes d’une même entreprise scientifique. Par ailleurs, nous suivons l’argument de King, Keohane et Verba d’après lequel il convient de rechercher des règles d’inférence partout où l’objectif consiste à enrichir la connaissance grâce aux études empiriques et à la recherche de régularités. « L’inférence, qu’elle soit descriptive ou causale, qualitative ou quantitative, est le but ultime de toute science sociale93. » Qu’elles s’appuient sur la perspective rationaliste, historique ou sociologique, nos recherches sont confrontées à l’incertitude et s’efforcent de faire des inférences descriptives, explicatives et causales sur la nature de l’intégration européenne.
77Cette idée constitue sans doute le point de départ pour une compréhension réciproque, si ce n’est une réconciliation, entre les trois néo-institutionnalismes. Elle découle de l’argument, énoncé plus haut, d’après lequel l’influence des institutions sur les résultats constituera l’une des questions de recherches les plus fondamentales des années à venir. Les institutions, entendues comme des mécanismes formels et informels qui produisent des régularités dans les comportements sociaux, sont appréhendées à la fois comme des variables dépendantes et indépendantes. Les variables dépendantes incluent des résultats comme les politiques publiques communes, la réforme des institutions supranationales, l’élargissement et bien d’autres questions pratiques auxquelles l’Union Européenne se trouve confrontée.
78On a fait beaucoup de cas des différences entre les méthodologies des trois institutionnalismes, en particulier de l’opposition « recherche qualitative/quantitative » et de l’alternative « déduction formelle/étude de cas descriptive, détaillée et inductive ». Il est vrai que ces différentes méthodologies sont souvent (quoique pas toujours) associées à une compréhension particulière des institutions.
79L’institutionnalisme du choix rationnel s’est surtout focalisé sur les règles formelles et l’influence potentielle de l’acteur à l’intérieur d’un cadre stratégique spécifique. Les institutions sont comme un labyrinthe ou une série de haies, quelque chose dont on doit tenir compte pour obtenir la récompense que chacun recherche. Le résultat le plus important de cette approche est certainement la démonstration, rigoureuse, relative à la distribution complexe et souvent contre-intuitive du pouvoir entre les acteurs. L’approche fait l’hypothèse que les acteurs comprennent les possibilités et les limites créées par les différentes règles. L’institutionnalisme du choix rationnel fait plus précisément l’hypothèse que les acteurs adaptent leur comportement à ces institutions et les utilisent stratégiquement.
80La méthodologie de l’institutionnalisme du choix rationnel est essentiellement déductive, formelle et universaliste. Cette approche tend à examiner des cas spécifiques, ce qui a conduit à des interprétations divergentes de mêmes événements (comme nous avons pu le voir dans le cas de la procédure de codécision). Comme Green et Shapiro l’ont montré, une faiblesse majeure de la théorisation en termes de choix rationnel réside précisément dans ce manque d’empirisme94. Cette faiblesse est aggravée par la tendance occasionnelle à ne pas prendre en considération les théories concurrentes ou à pratiquer des ajustements théoriques post-hoc quand les données empiriques se révèlent contradictoires avec le modèle (ces deux tendances ne sont évidemment pas propres aux théoriciens du choix rationnel).
81L’institutionnalisme historique part au contraire de la prémisse d’après laquelle les décisions humaines sont beaucoup moins volatiles. Elles créent un réseau de règles et de modes de comportement qui apportent des régularités dans les conduites humaines de telle manière que certaines options, certains choix ou certaines préférences ne sont pas envisageables. Ceci étant, les institutionnalismes historique et rationaliste se retrouvent sur un certain nombre de points. De nombreux institutionnalistes historiques ne contrediraient par exemple pas l’idée selon laquelle les agents créent intentionnellement des institutions afin de résoudre des problèmes d’action collective. Les institutionnalistes historiques estiment par ailleurs eux-aussi que les acteurs agissent de manière rationnelle, ordonnent leurs préférences (dans la mesure où ils en sont capables) et adoptent des comportements stratégiques pour parvenir à leurs fins quand ils sont soumis à certaines contraintes particulières. Si les institutions deviennent plus familières ou si les activités sociales s’en rapprochent, les institutionnalistes historiques auront tendance à prédire un rétrécissement des logiques rationalistes.
82Au final, l’institutionnalisme sociologique donne la primauté à ce qui conditionne, à un niveau plus profond et plus culturel, les comportements humains. Les institutions ne sont pas des séries de haies ou des labyrinthes extérieurs aux acteurs ; elles sont intériorisées, subconscientes, pré-rationnelles. Les liens cognitifs créés par les expériences communes relient les êtres humains entre eux, ce qui fait baisser les coûts de transaction par rapport à ce qu’il convient de faire dans des situations particulières. Ces points communs et ces significations partagées ne peuvent voir le jour que dans le temps, ce qui explique la proximité entre certains institutionnalistes historiques et sociologiques.
83Certains éléments de l’institutionnalisme historique sont étroitement liés à l’institutionnalisme sociologique malgré l’intérêt de la première approche pour les caractéristiques contraignantes et structurelles des institutions et la focale de la seconde sur les éléments culturels. Les institutions comme l’État et la bureaucratie sont par exemple des artefacts historiques : elles structurent et contraignent le social. Elles sont cependant endossées par les acteurs et légitimées par des attributs culturels. Avec le temps, les institutions étatiques contribuent par ailleurs à renforcer la culture et conditionnent les réponses aux changements potentiels et réels. L’interaction fonctionne dans les deux sens : les contraintes et les processus cognitifs s’entremêlent. Au fil des années, il devient impossible de séparer l’impact mutuel de la culture et de l’évolution institutionnelle.
84La méthodologie des institutionnalismes historiques et sociologiques appliqués aux études européennes est essentiellement empirique et orientée vers les études de cas. Intentionnellement ou non, ces deux approches ont surtout suivi la route « de l’analyse inductive et des comparaisons à base historique95 ». Cette tendance a permis l’accumulation de riches analyses événementielles mais elle n’a pas que rarement débouché sur des généralisations théoriques et encore moins sur des études manipulant les données quantitatives. Tout laisse à penser que les méthodes quantitatives pourraient être appliquées aux études sur les influences institutionnelles. De tels travaux n’existent cependant pas dans le champ des études européennes, du moins jusqu’à aujourd’hui.
85Les études de cas empiriques ont l’avantage distinctif d’être particulièrement riches du point de vue descriptif et assez précises quant il s’agit d’expliquer des événements uniques. Ceci étant, elles présentent souvent le défaut d’entrer tellement dans les détails que l’importance relative des différentes variables explicatives n’apparaît pas clairement. Par ailleurs, les études de cas singulières ne permettent pas les généralisations valides tant qu’aucun modèle explicatif n’a été élaboré afin d’assister le chercheur dans la tâche inévitable du raisonnement contre-factuel96. Les chercheurs pourraient facilement contourner ce problème en regroupant les études de cas. L’Union Européenne est certes une institution unique. Mais cette unicité ne saurait expliquer le manque de sophistication théorique et de rigueur méthodologique. Au contraire, la plupart des questions de recherche sur l’Union Européenne soulevées par les institutionnalistes se réfèrent à une sélection d’événements et invitent par conséquent à l’analyse comparative, que ce soit entre domaines/secteurs de politique publique, entre États membres ou dans le temps97.
86Comme nous l’avons expliqué plus haut lors de la discussion générale sur les trois approches, les contributions institutionnalistes à l’étude de l’Union Européenne divergent sur au moins deux points importants. Premièrement, les approches concurrentes diffèrent du point de vue des efforts fournis afin d’établir des explications causales des interrelations entre les acteurs, le contexte et les règles. Les institutionnalismes sociologiques et du choix rationnel s’intéressent tout particulièrement au contexte qui pèse, de leur point de vue, sur les changements de politique publique, sur les acteurs qui portent le processus d’intégration et sur les conditions à partir desquelles les décisions européennes ou « intégratives » sont prises. À l’intérieur de ce paradigme (c’est particulièrement vrai pour l’institutionnalisme sociologique), la structure prime sur les acteurs. Dans le cas des recherches d’inspiration rationaliste, le contexte pèse moins. Même si des environnements différents induisent des structures d’incitations (« incentive structure ») différentes, on conçoit généralement les individus comme des êtres largement autonomes par rapport à ce contexte et agissant d’une manière stratégique voisine.
87La deuxième différence renvoie à la manière avec laquelle les approches appréhendent l’administration de la preuve. Alors que les illustrations et les anecdotes sont souvent considérées comme une assise suffisante afin de soutenir un argument rationaliste, les explications des institutionnalistes sociologiques et historiques accordent beaucoup plus d’importance aux trouvailles empiriques. Quand les rationalistes prennent plus au sérieux le travail empirique, ils utilisent généralement des théories « positivistes98 ». D’un autre côté, alors que de nombreux institutionnalistes historiques et sociologiques appréhendent l’administration quantitative ou qualitative de la preuve de manière positiviste, ils ne sont souvent pas exempts de présupposés normatifs, notamment quand leurs théorisations soulignent que les institutions produisent des résultats d’un certain type du fait des distorsions structurelles dont elles sont porteuses.
88Que pouvons-nous faire de ce pluralisme méthodologique ? Qu’elle inclut des acteurs complètement rationnels ou dotés d’une rationalité limitée, la modélisation formelle présente l’avantage d’obliger l’analyste à plus de précision dans ses arguments. Pour le dire autrement, la rationalité stratégique (conçue d’une manière large et générale) révèle un certain nombre de problèmes du raisonnement de type inductif. Elle ajoute de la précision aux arguments théoriques et permet aux théoriciens formalisateurs d’interroger des interprétations du sens commun. Le complément nécessaire à une stratégie empirique convaincante99 est un modèle, rationaliste ou non, qui établit des liens causaux entre les variables et à partir duquel on peut inférer des hypothèses testables. Alors que nous sommes d’accord avec de nombreuses critiques adressées au choix rationnel d’après lesquelles seules les études fondées empiriquement permettent d’avancer en sciences sociales, nous croyons également qu’il importe d’établir un modèle théorique solide avant de s’engager dans des tests quantitatifs ou qualitatifs. Sans une base solide pour les hypothèses principales, toute recherche empirique reste incomplète et mal assurée.
89Par conséquent, nous encourageons ceux qui travaillent selon une approche historique ou sociologique à augmenter leurs aspirations théoriques en travaillant avec des modèles aussi explicites et généralisables que possible. Ils devraient par ailleurs faire tout leur possible pour générer un maximum d’hypothèses dérivées observables à partir de leur travail empirique. Idéalement, ils devraient regrouper un certain nombre de cas dans un cadre comparatif et tester un modèle explicite.
90Les modèles analytiques sont indispensables au développement des théories institutionnalistes même si elles ne traitent que de constellations potentiellement uniques. En même temps, tout modèle appliqué à un espace particulier comme le processus de décision de l’UE devrait être informé empiriquement et accompagné d’un test solide. Sans la mise à l’épreuve et la confrontation avec des données empiriques, les hypothèses doivent rester sujettes à caution. Certains travaux de l’institutionnalisme non-rationaliste nous emmènent dans cette direction. Nous pensons que cette synthèse entre rigueur théorique et test substantiels des hypothèses déduites pourrait constituer la plus grande valeur ajoutée d’un institutionnalisme révisé.
91Finalement, nous pensons qu’il est crucial que les théoriciens prennent en considération les explications alternatives aux énigmes sur lesquelles ils travaillent. Cette remarque vaut tout particulièrement pour les théoriciens du choix rationnel qui devraient sans doute mettre un bémol à leurs prétentions universalistes. Comme le remarquent deux institutionnalistes bien connus :
« Il n’est pas certain qu’une approche soit meilleure que les autres pour capter la complexité du changement. Il est bon de raconter plusieurs histoires et de le faire avec humilité100. »
92Que devrions-nous faire des différentes conceptions des institutions ? Le pluralisme théorique et méthodologique est-il intrinsèquement problématique ? Nous croyons avec Olstrom, Norgaard et d’autres qu’il existe des possibilités de convergence et nous ne rejetons pas le pluralisme, que ce soit en matière théorique ou méthodologique101. Premièrement et avant tout, la compréhension des institutions converge en partie dans la mesure où toutes les approches les considèrent à la fois comme des contraintes et des opportunités. Deuxièmement, aucune approche ne comporte un biais particulier pour tel ou tel niveau d’analyse. Même si certains remarquent que les institutionnalistes rationalistes ont surtout travaillé sur les négociations spectaculaires au Conseil européen, cette focale théorique n’est pas une nécessité. Au contraire, des recherches institutionnalistes récentes ont mis en évidence que le partage du pouvoir augmente malgré la prédominance, en dernier ressort, d’institutions intergouvernementalistes comme le Conseil européen102.
93Le renoncement des rationalistes à leurs postulats sur la rationalité absolue des individus constitue une piste en vue d’une plus grande convergence théorique. C’est en particulier le cas avec la théorie des jeux évolutifs qui étudie l’émergence de régularités dans les comportements chez des acteurs dotés d’une rationalité limitée et orientés vers les comportements coutumiers103. Olstrom va dans le même sens quand elle écrit que les décisions rationnelles adviennent à l’intérieur d’un contexte normatif.
« Plutôt que d’envisager les comportements déterminés par les normes comme plus important que le choix rationnel, une approche générale devrait s’appliquer à expliquer comment les règles et les phénomènes d’anticipation des conséquences affectent les comportements et les résultats104. »
94Norgaard va encore plus loin et défend une approche
« qui envisage à la fois que les êtres humains sont réflexifs et intentionnels, et ce indépendamment du contexte, et que les préférences des gens sont déterminées par les expériences passées, les héritages culturels et, indirectement, par les institutions qui contraignent et rendent possibles les interactions sociales105 ».
95Cette « rationalité raisonnable » nous libère de nombreux postulats sur le caractère matérialiste et optimisateur de bien-être de la nature humaine. Mais dans le même temps, elle ouvre le risque de la généralisation des affirmations tautologiques consistant à qualifier tout type de comportement de « rationnel ».
96Une autre possibilité consiste à mieux prendre en considération la dimension temporelle de l’analyse. La focale de l’institutionnalisme du choix rationnel porte d’abord sur les négociations de court-terme même si ces jeux doivent se répéter. L’institutionnalisme sociologique et historique fait au contraire l’hypothèse que le comportement des acteurs est le produit d’une longue période de gestation. Dans la mesure où ces institutionnalistes sont pré-programmés pour commencer leurs analyses à partir d’une perspective structurelle, ils choisissent par définition une vision à long-terme des institutions. La structure peut constituer les agents mais il lui faut en général beaucoup de temps pour évoluer. Pourtant, si ces théoriciens examinaient un scénario de prise de décision unique, ils découvriraient peut-être que les acteurs se comportent de manière rationnelle à l’intérieur du contexte institutionnel. Berger et Luckmann ne disent pas autre chose quand ils écrivent que « devant la scène des activités coutumières se déploie un jeu de délibération et d’innovation106 ».
97À l’inverse, l’institutionnalisme du choix rationnel peut admettre que les interactions répétées ont pour conséquence la légitimation, dans un contexte de négociation, de certains comportements. À moins que les pratiques institutionnalisées soient rejetées, le temps renforce généralement l’intériorisation de leurs effets de telle sorte que les acteurs ont moins tendance à s’interroger de manière consciente sur leur efficacité. Avec le temps, les institutions sortent de l’orbite du calcul rationnel effectué par les acteurs. Elles sont au contraire intériorisées et « congelées » dans le système décisionnel, ce qui ouvre la voie à des comportements coutumiers plutôt que réflexifs107.
98Finalement, les agents agissent peut-être de manière différente en fonction des enjeux. Il est tout à fait plausible qu’ils deviendront plus « rationalistes » si la perception des enjeux augmente. Ils considèreront avec attention les coûts et les bénéfices, les risques et les opportunités de tel ou tel résultat. De la même manière, dans des situations moins coûteuses, plus mondaines, les acteurs agiront peut-être davantage en prenant en compte ce qui relève des convenances sociales108. Pour le dire autrement, ils se demanderont peut-être comment ils « devraient » répondre à la situation.
99On peut prolonger cette première réflexion en notant que les institutionnalistes de toutes les tendances devraient commencer à réfléchir plus attentivement aux moyens permettant d’identifier le pouvoir explicatif de chaque institutionnalisme. À titre d’exemple, on gagnerait à se demander si l’intégration européenne advient en raison d’un calcul rationnel sur les bénéfices futurs qu’elle apportera ou du fait des normes incorporées dans l’UE. On pense par exemple à celles sur les relations pacifiques, sur le gouvernement démocratique ou encore sur le rapprochement toujours plus proche entre les États, autant de normes qui fabriquent une légitimité supranationale. Les controverses autour de la nature de l’intégration européenne nous font parfois oublier les normes qui unissent les États européens.
100Compte tenu de ces réflexions, nous proposons une série de questions générales qui pourraient servir d’orientation à de futures recherches dans ce domaine. Premièrement, quel type d’institution joue un rôle dans le contexte de l’intégration européenne et comment affectent-elles le comportement des agents à tous les niveaux du processus de décision ? Deuxièmement, dans quelles circonstances certaines institutions émergent-elles et quel est le rôle respectif, dans cette émergence, des comportements intentionnels et du temps qui passe ? Troisièmement, comment les institutions évoluent ou se perpétuent-elles, et comment les institutions européennes affectent-elles d’autres institutions, et vice versa ? Quatrièmement, comment les institutions de l’UE influencent-elles le processus de décision ? Le tableau 2 s’appuie sur ce cadre de recherche pour esquisser quelques pistes d’investigation qu’on peut inférer de la discussion qui précède et de la recherche actuelle sur les institutions.
Conclusion
101Cet article a exploré les bases communes aux différents courants de la pensée institutionnaliste en essayant de dépasser les affirmations tautologiques selon lesquelles l’édulcoration des postulats rationalistes – que ce soit sous la forme de la « rationalité raisonnable » ou de la « rationalité encadrée par des règles » (« rule-bound rationality ») – permettrait de réconcilier les deux écoles. Nous pensons que les différences théoriques entre les approches concurrentes sont généralement exagérées. À l’inverse, les divergences épistémologiques sont sans doute minorées dans le débat.
102Nous montrons comment un certain degré de réconciliation basé sur un agenda de recherche commun pourrait être atteint. L’article montre en particulier que les « descriptions de détail » qui caractérisent l’institutionnalisme sociologique et historique sont en partie compatibles avec le raisonnement rationaliste. De même, les études comparatives portant sur de nombreux cas pourraient conduire à la conclusion que les préférences, les stratégies et les résultats dépendent de processus sociaux et historiques. Un moyen pour parvenir à cette réconciliation consisterait à examiner, à partir de la méthode des études de cas, un épisode de changement institutionnel ou de formulation de politique publique en essayant de contrôler l’influence des institutions sur les préférences des acteurs et leurs stratégies. En d’autres termes, l’étude pourrait s’efforcer d’imaginer ce que les préférences et les stratégies des acteurs auraient pu être en l’absence d’institutions et comparer avec le résultat observé.
103Une convergence méthodologique ne deviendra cependant probable qu’à deux conditions. Premièrement, les rationalistes appliqués doivent concéder davantage aux partisans de l’institutionnalisme sociologique et historique quand ceux-ci leur demandent plus de précision empirique. Si elles ne font pas référence de manière significative à la réalité, les hypothèses ne sont que des « intuitions sans preuves », pour reprendre une expression de David Singer. Deuxièmement, les institutionnalistes non-rationalistes devraient admettre que les modèles, fussent-ils rationnels ou non-rationnels, sont une méthode indispensable pour inférer des hypothèses. Nous pensons que de nombreuses études de cas pourraient être améliorées si elles étaient davantage structurées théoriquement et plus enclines à chercher de manière explicite les mécanismes causaux qui comptent. Quelle que soit la perspective qu’on adopte, le futur de l’institutionnalisme dans les études sur l’intégration pourrait apparaître décourageant. De notre point de vue, le défi analysé dans cet article est cependant aussi excitant et prometteur109.
Tableau 2/Pratique Actuelle de recherche (PA) et Pratique de recherches possibles dans le Futur (PF)

Notes de bas de page
1 Almond G. A., Discipline Divided. Schools and Sects in Political Science, Newbury Park, Sage, 1990.
2 King G., Keohane R. O. et Verba S., Social Inquiry : Scientific Inference in Qualitative Research, Princeton, Princeton University Press, 1994.
3 Scharpf F. W., « Die Politikverflechtungsfalle – Europäische Integration und deutscher Föderalismus im Vergleich », in Politische Vierteljahresschrift, 26, 1985, p. 323-356 ; Scharpf F. W., « The Joint Decision Trap : Lessons From German Federalism and European Integration », in Public Administration, 66, 1988, p. 239-78.
4 March J. et Olsen J., « The New Institutionalism : Organizational Factors in Political Life », in American Political Science Review, 78, 1984.
5 Bulmer, S. J., « The New Governance of the European Union : A New Institutionalist Approach », in Journal of Public Policy, 13/4, 1994, p. 351-380 ; Shepsle K., « Studying Institutions : Some Lessons from the Rational Choice Approach », in Journal of Theoretical Politics, vol. 1, no. 2, 1989, p. 131-147 ; Moe T., « Politics and the Theory of Organization », in Journal of Law, Economics and Organization, vol. 7, 1991, p. 106-129 ; Norgaard A. S., « Rediscovering Reasonable Rationality in Institutional Analysis », in European Journal of Political Research, vol. 29, Jan 1996, p. 31-57.
6 Hall P. et Taylor R., « Political Science and the Three New Institutionalisms », in Political Studies, XLIV, 1996, p. 936-957. Nous pensons que l’appellation « historique » est impropre dans la mesure où tout phénomène social peut être attribué à l’influence de l’histoire. En tant que chercheurs en sciences sociales, nous devrions faire la différence entre les influences historiques importantes et celles qui sont plus triviales. Nous reconnaissons toutefois que de nombreux chercheurs utilisent le « néo-institutionnalisme » historique comme une catégorie indépendante et nous suivons cette convention.
7 March J. et Olsen J., « The New Institutionalism : Organizational Factors in Political Life », op. cit., March J. et Olsen J., Rediscovering Institutions : The Organizational Basis of Politics, New York, The Free Press, 1989 ; Thelen K. et Steinmo S., « Historical Institutionalism in Comparative Politics », in Steinmo S., Kathleen T. et Longreth F. (dir.), Structuring Politics. Historical Institutionalism in Comparative Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1992 ; Lindberg L. et Campbell J., « The State and the Organization of Economic Activity », in Campbell J., Hollingsworth R. et Lindberg L. (dir.), Governance of the American Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 1991.
8 Keman H., « Approaches to the Study of Institutions », in Steunenberg B. and Van Vught F. (ed.), in Political Institutions and Public Policy, Dordrecht, Kluwer, 1997, p. 1-27, p1.
9 Calvert R. L. « The Rational Choice Theory of Social Institutions : Cooperation, Coordination, and Communication », in Banks J. S. et Hanushek E. A. (ed.) Modern Political Economy, New York, Cambridge University Press, p. 218.
10 Berger et Luckman, cité dans Jepperson R., « Institutions, Institutional Effects, and Institutionalism », in Powell W. et Dimaggio P. (dir.), The New Institutionalism in organizational analysis, Chicago, University of Chicago Press, 1991, p. 151.
11 Finnemore M., « Norms, Culture, and World Politics : Insights from Sociology’s Institutionalism », in International Organization, vol. 50, n° 2, Spring, 1996, p. 325-347, p. 333.
12 Hall P., Governing the Economy, op. cit., p 19.
13 Norgaard A. S., « Rediscovering Reasonable Rationality in Institutional Analysis », op. cit., p. 39.
14 Pierson P., « The Path to European Integration : A Historical Institutionalist Analysis », in Comparative Political Studies, vol. 29, n° 2, 1996, p. 123-163.
15 Payne D., Mokken R. et Stokman F., « European Union Powre and Regional Involvement : A Case Study of the Reform of the Structural Funds for Ireland », in Moser P., Schneider G. et Kirchgässner G., Decision Rules in the European Union : A Rational Choice Perspective, London, MacMillan, 1997. (publié également dans un numéro special : Aussenwirtschaft 52, I-II).
16 Pierson P., « The Path to European Integration : A Historical Institutionalist Analysis », op. cit.
17 Bulmer S. J., « The New Governance of the European Union : A New Institutionalist Approach », in Journal of Public Policy 13/4, 1994, p. 351-380.
18 La discussion qui suit prolonge une classification utile proposée par Imbusch. Voir : Imbusch K., Die Entwicklung des neuen Mittelmeeransatzes der Europäischen Union, Unpublished diploma thesis, Faculty of Public Administration, University of Konstanz, 1997.
19 Pour se faire une idée des distances entre ces courants, on comparera avec profit : Norgaard A. S., « Rediscovering Reasonable Rationality in Institutional Analysis », op. cit. ; Moe T., « Politics and the Theory of Organization », in Journal of Law, Economics, and Organization, vol. 7, 1991, p. 106-129 ; Thelen K. et Steinmo S., « Historical Institutionalism in Comparative Politics », in Steinmo S., Thelen K. et Longstreth F. (dir.), Structuring Politics. Historical Institutionalism in Comparative Analysis, Cambridge, Cambridge University Press.
20 Hall P. et Taylor R., « Political Science and the Three New Institutionalisms », op. cit.
21 Finnemore M., « Norms, Culture, and World Politics : Insights from Sociology’s Institutionalism », op. cit.
22 Thelen K. et Steinmo S., op. cit., 1992, p. 8.
23 March et Olsen, op. cit., 1989, p. 17-18. Voir également : Skocpol T., « Bringing the State Back In : Strategies of Analysis in Current Research », in Evans P., Rueschemeyer D. et Skocpol T. (dir.), Bringing the State Back In, Cambridge, Cambridge University Press, 1985.
24 Pierson P., « The Path to European Integration : A Historical Institutionalist Analysis », op. cit. ; Immergut E., Health Politics : Interests and Institutions in Western Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
25 Armstrong K. et Bulmer S., The Governance of the Single European Market, Manchester, Manchester University Press, 1997.
26 Lindberg L. et Campbell J., « The State and the Organization of Economic Activity », op. cit.
27 Jepperson R., « Institutions, Institutional Effects, and Institutionalism », op. cit.
28 Dimaggio P. J. et Powell W., « Introduction », in Powell W. et Dimaggio P. (ed.), The New Institutionalism in organizational analysis, Chicago, University of Chicago Press, 1991, p. 11.
29 Berger P. et Luckmann T., The Social Construction of Reality : A Treatise in the Sociology of Knowledge, Harmondsworth, Penguin., 1967, p. 79.
30 Sur la structuration dans les relations internationales, voir Ruggie J. G. « What makes the world hang together ? Neo-utilitarianism and the social constructivist challenge », International Organization, 52, 1998, p. 855-885.
31 Berger P. et Luckmann T., The Social Construction of Reality : A Treatise in the Sociology of Knowledge, op. cit., p 71.
32 Koelble T. A., « The New Institutionalisms in Political Science and Sociology », in Comparative Politics, 1995/2 : 231-243, p. 239.
33 Axelrod R., The Évolution of Cooperation, New York, Basic Books.
34 North D., Structure and Change in Economic History, New York, W. W. Norton & Co., 1981 ; Williamson O., The Economic Institutions of Capitalism, New York, The Free Press, 1985.
35 Buchanan J. M. et Tullock G., The Calculus of Consent, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1962.
36 Shepsle K., « Studying Institutions : Some Lessons from the Rational Choice Approach », op. cit., p. 135.
37 North D., Structure and Change in Economic History, New York, W. W. Norton & Co. 1981, p. 12.
38 Idem, p. 201.
39 Becker G. S., Accounting for Taste, Cambridge, Mass, Harvard University Press, 1996.
40 On peut sûrement étendre le cadre théorique de Becker à des situations explicitement stratégiques. Ceci étant, on devrait garder à l’esprit l’idée que le fait d’ajouter de la complexité à un modèle déjà fort compliqué a pour effet d’augmenter l’indétermination de la sélection de la solution appropriée.
41 David P., « Clio and the Econometrics of Qwerty », in American Economic Review, 75, 1985, p. 332-337. Voir également, Arthur W. B., Increasing Returns and Path Dependence in the Economy, op. cit.
42 C’est la raison pour laquelle l’institutionnalisme du choix rationnel a aussi été baptisé « théorie de l’intégration stratégique ». Voir Moser P., « A Theory of the Conditional Influence of the European Parliament in the Cooperation Procedure », in Public Choice, 1997.
43 Idem.
44 Les études rationalistes sur l’intégration européenne sont les héritières des études sur le pouvoir en matière de vote (« voting power analysis ») où le pouvoir ex ante des acteurs individuels est évalué (par exemple : Brams S. J. et Affuso P. J., « Power and size : A new Paradox », in Theory and Decision, 7, 1-2, 1976, p. 29-56.). Comme Garrett et Tsebelis l’ont bien montré, ce type d’études se focalise largement sur les acteurs institutionnels individuels. Elles manquent de ce fait un point central du système décisionnel européen : la tendance croissante au partage du pouvoir. Voir Garrett g. Et Tsebelis G., « An Institutional Critique of Intergovernmentalism », International Organization, Vol. 50, N° 2 (Spring, 1996), p. 269-299. Des travaux plus récents tentent de mieux rendre compte de la complexité du système décisionnel européen. Un des problèmes soulevés par ces révisions est qu’elles supposent un impact non ambigu des institutions sur le pouvoir en termes de vote. Comme les théories spatiales du vote l’ont montré à maintes reprises, une telle uniformité est irréaliste si l’on autorise les changements de préférences. Trois partisans de la littérature sur le pouvoir en termes de vote ont récemment montré que ces problèmes ne peuvent pas être résolus par l’inclusion des considérations idéologiques dans la mesure où les indices du pouvoir de vote sont extrêmement sensibles à des petites variations dans les préférences des acteurs (Lane J. E., Berg S. et Maeland R., « The Power index method and the EU », in Moser P., Schneider G. et Kirchgässner G. (dir), Decision rules in the European Union. A rational perspective. London, Macmillan, 2000).
45 Schneider G., « The Limits of Self-Reform : Institution Building in the European Community », in European Journal of International Relations I, 1995, p. 59-86. Pour un corollaire de cet argument, voir Snidal et Duncan, « The Game Theory of International Politics », in Oye K. A., Cooperation Under Anarchy, Princeton, Princeton University Press, p. 25-57.
46 Steunenberg B., « Decision Making under Different Institutional Arrangements : Legislation by the European Community », in Journal of Institutional and Theoretical Economics, 150, 1994, p. 642-669.
47 Moser P., « A Theory of the Conditional Influence of the European Parliament in the Cooperation Procedure », op. cit. ; Moser P., « The Benefits of the Concilitation Procedure for the European Parliament », in Moser P., Schneider G. et Kirchgässner G., Decision Rules in the European Union : A Rational Choice Perspective, op. cit.
48 Tsebelis G., « The Power of the European Parliament as a Conditional Agenda Setters », American Political Science Review (version intégrale dans Schneider G., Weitsman P. A. et Bernauer T. (dir.), Towards a New Europe : Stops and Starts in Regional Integration, Westport/CT, Praeger).
49 Schneider G., « The Limits of Self-Reform : Institution Building in the European Community », op. cit.
50 Steunenberg B., « Constitutional Change in the European Union : Parliament’s Impact on the Reform of the Co-Decision Procedure », Unpublished Manuscript, University of Twente ; Crombez C., « The Treaty of Amsterdam and the Codecision Procedure », in Aspinwall M. et Schneider G. (dir.), The Rules of Integration, Manchester, University of Manchester Press ; Tsebelis G. et Garrett G., « Legislative Politics in the European Union », in European Union Politics, 1, 1, p. 9-36.
51 Steunenberg B., Koboldt C. et Schmidtchen D., « Comitology and the Balance of Power in the European Union : A Game Theoretic Approach », International Review of Law and Economics, 16, 1996, p. 329-344 ; Steunenberg B., Koboldt C. et Schmidtchen D., « The Comitology Game : European Policy Making with Parliamentary Involvement », in Moser P., Schneider G. et Kirchgässner G., Decision Rules in the European Union : A Rational Choice Perspective, op. cit.
52 Franchino F., « Control of the commission’s executive functions », European Union Politics, 1, 2000.
53 Garrett G., « International Cooperation and Institutional Choice : The European Community Internal Market », in International Organization, vol. 46, n° 2, 1992, p. 533-560.
54 Garrett G., « The politics of legal integration in the European Union », in International Organization, 49, 1995, p. 171-181 ; Mattli W. et Slaughter A. M., « Law and Politics in the European Union : A Reply to Garrett », in International Organization, 49, 1994, pp183-190.
55 Alter K., « Who are the « masters of the treaty » ? », in European Governments and the European Court of Justice, 52 (1), 1998, p. 121-147.
56 Moser P., « A Theory of the Conditional Influence of the European Parliament in the Cooperation Procedure », op. cit. ; Tsebelis G., « Maastricht and the Democratic Deficit », in Moser P., Schneider G. et Kirchgässner G., Decision Rules in the European Union : A Rational Choice Perspective, op. cit.
57 Kaiser explique l’interprétation de Tsebelis d’après laquelle le Parlement Européen aurait perdu de son influence suite à l’introduction de la procédure de la codécision (par rapport au temps où seule la procédure de « coopération » existait) au fait que cet auteur omet de reconnaître que la Commission européenne joue un rôle non négligeable en deuxième lecture. Compte tenu de ce pouvoir de la Commission, l’influence du Parlement à ce moment précis serait plus limitée que ne le pense Tsebelis. Les attaques de Scully en direction de Tsebelis convoquent des arguments similaires mais elles sont malheureusement handicapées par des erreurs d’interprétations importantes sur le raisonnement stratégique. Kaiser D., Institutionelle Wandel im Europäischen Politikprozess. Europäisches Parlament und Kommission – Ende einer natürlischen Allianz. Diploma Thesis, Faculty of Public Administration, University of Konstanz, 1996 ; Scully R. M., « The European Parliament and the Co-decision Procedure : A Re-Assessment », in The Journal of Legislative Studies 3/3, 1997 ; Tsebelis G. et Garrett G., « Agenda Setting, Vetoes and the European Union’s Co-decision Procedure », in The Journal of Legislative Studies, 3/3, 1997.
58 Schneider G. et Cederman L. E., « The Change of Tide in Political Cooperation : A Limited Information Model of European Integration », in International Organization, 48, 1994, p. 633-662.
59 Pahre a également démontré que différentes formes d’implication parlementaire peuvent être utilisées stratégiquement et affecter le comportement d’un pays au niveau international. Pahre R., « Endogenous Domestic Institutions in Two-Level Games and Parliamentary Oversight of the European Union », in Journal of Conflict Resolution, 41/1, 1997.
60 Hug S., « Integration Through Referendums », in Moser P., Schneider G. et Kirchgässner G., Decision Rules in the European Union : A Rational Choice Perspective, op. cit.
61 Hug S. et Sciarini P., « Referendums on Foreign Policy : Do Institutions Matter in Voter’s Decision ? », in Comparative Political Studies, 2000.
62 Schmidt V. « The New World Order, Inc. », in Daedelus, vol. 124, n° 2, Spring, 1995, p. 75-106.
63 Schneider G. et Cederman L. E., « The Change of Tide in Political Cooperation : A Limited Information Model of European Integration », op. cit.
64 Schneider G., Choosing chameleons : The selection of the EU commissioners, Typescript, University of Konstanz.
65 Bulmer S. J., « The New Governance of the European Union : A New Institutionalist Approach », op. cit. ; Pierson P., « The Path to European Integration : A Historical Institutionalist Analysis », in Comparative Political Studies, vol. 29, n° 2, 1996, p. 123-163.
66 Bulmer S. J., « The New Governance of the European Union : A New Institutionalist Approach », op. cit., p. 355.
67 Pierson P., « The Path to European Integration : A Historical Institutionalist Analysis », op. cit.
68 Skocpol T., « Bringing the State Back In : Strategies of Analysis in Current Research », op. cit.
69 Pierson P., « The Path to European Integration : A Historical Institutionalist Analysis », op. cit., p. 156.
70 Idem, p. 131.
71 Armstrong K. et Bulmer S., The Governance of the Single European Market, op. cit., 1997.
72 Hall P. et Taylor R., « Political Science and the Three New Institutionalisms », op. cit., p. 940-941 ; Skocpol T., « Bringing the State Back In : Strategies of Analysis in Current Research », op. cit. ; Armstrong K. et Bulmer S., The Governance of the Single European Market, op. cit.
73 Même s’il ne se définirait pas lui-même comme un institutionnaliste historique, F. Scharpf a également avancé cette idée. Scharpf F. W., « The Joint Decision Trap : Lessons From German Federalism and European Integration », op. cit.
74 Voir notamment, Cram L., Policymaking in the European Union : Conceptual Lenses and the Integration Proces, London, Routledge, 1997 ; Armstrong K. et Bulmer S., The Governance of the Single European Market, op. cit. ; Burley A. -M. et Mattli W. « Europe Before the Court : A Political Theory of Legal Integration », in International Organization, vol. 47, n° 1, Winter 1993.
75 Evans P., Rueschemeyer D. et Skocpol T. (dir.), Bringing the State Back In, Cambridge, Cambridge University Press., 1986 ; Crouch C., Industrial Relations and European State Traditions, Oxford, Clarendon, 1993 ; Katzenstein P., Small States in World Markets : Industrial Policy in Europe, Ithaca/NY, Cornell University Press, 1985 ; Putnam R. D., « Diplomacy and Domestic Politics : the Logic of Two-Level Game », in International Organisation, 42, 3, 1988, p. 427-460.
76 Katzenstein P., Small States in World Markets : Industrial Policy in Europe. op. cit.
77 Armstrong K. et Bulmer S., The Governance of the Single European Market, op. cit.
78 Hall P. et Taylor R., « Political Science and the Three New Institutionalisms », op. cit. ; Armstrong, K. et Bulmer, S., The Governance of the Single European Market, op. cit.
79 Joergensen K. E. (dir), Reflective approaches to European Governance. London, Macmillan.
80 Pour un excellent apercu, voir Katzenstein P., Small States in World Markets : Industrial Policy in Europe, Ithaca/NY, Cornell University Press, 1985 ; Jepperson R., Wendt A. et Katzenstein P., « Norms, identity and structure in national security » in Katzenstein P. (dir.), The culture of national security : Norms and identity in world politics New York, Columbia University Press ; Ruggie J. G., « What makes the world hang together ? Neo-utilitarianism and the social constructivist challenge », op. cit. ; Finnemore M. « Norms, Culture, and World Politics : Insights from Sociology’s Institutionalism », op. cit. ; Risse-Kappen T., « Democratic peace – Warlike democracies ? À social constructivist interpretation of the liberal argument », in European Journal of International Relations, 1, 1995, p. 491-517.
81 Fierke K. et Wiener A., « Constructing institutional interests : EU and NATO enlargement », EUI working papers, RSC ; n° 99/14, Florence, European University Institute, 1999.
82 Wiener A., European’citizenship practice : building institutions of a non-state, Boulder, CO, Westview Press, 1998.
83 Christiansen T., « Reconstructing European space : From territorial politics to multilevel governance » in Joergensen K. E. (ed.), Reflective Approaches to European Governance, London, Macmillan, 1997, p. 51-68.
84 Larsen H., « British discourses on Europe : Sovereignty of parliament, instrumentality and the Non-mythical Europe », in idem., p. 109-127 ; Holm U., « The French garden is no longer what it used to be », in idem., p. 128-145 ; Laursen J., « Nordic ideas and realities », in idem., p. 146-163.
85 Diez T., « Riding the AM track through Europe. Or the pitfalls of a rationalist journey through European integration », unpublished paper, Copenhagen Peace Research Institute.
86 Finnemore M., Norms, Culture, and World Politics : Insights from Sociology’s Institutionalism, op. cit., p. 381.
87 Sur les conflits de civilisation, voir Huntington S., « The Clash of Civilizations », Foreign Affairs, vol. 72, n° 3, 1993, p. 22-49.
88 Voir en particulier Crouch C., Industrial Relations and European State Traditions, op. cit. ; Crouch C. et Streek W. (dir.), Political Economy of Modern Capitalism, London, Sage, 1997.
89 Zetterholm S. (dir.), National Cultures and European Integration : Exploratory Essays on Cultural Diversity and Common Policies, Oxford, Berg, 1994.
90 Madsen P., « Is Culture a Major Barrier to a Single European Market ? The Case of Public Purchasing », in Zetterholm S. (ed.), National Cultures and European Integration : Exploratory Essays on Cultural Diversity and Common Policies, Oxford, Berg, 1994 ; Plaschke H., « National Economic Cultures and European Integration », in Zetterholm S. (ed.), National Cultures and European Integration : Exploratory Essays on Cultural Diversity and Common Policies, op. cit. ; Streek W., « German Capitalism : Does it Exist ? Can it Survive ? », in Crouch C. et Streek W. (dir), Political Economy of Modern Capitalism, London, Sage, 1997.
91 Putnam R., Making Democracy Work : Civic Traditions in Modern Italy, Princeton/NJ, Princeton University Press, 1993.
92 Zucker L., « The Role of Institutionalization in Cultural Persistence », in Powell W. et Dimaggio P. (dir.), The New Institutionalism in organizational analysis, Chicago, University of Chicago Press, 1991.
93 King G., Keohane R. O. et Verba S., Social Inquiry : Scientific Inference in Qualitative Research, op. cit.
94 Green D. et Shapiro I., Pathologies of Rational Choice Theory, New Haven/CT, Yale University Press, 1994.
95 Comme le suggère Evans à propos des études sur l’État : Evans P., Rueschemeyer D. et Skocpol T. (dir.), Bringing the State Back In, op. cit., p 348.
96 La méthode du raisonnement « contre-factuel » a récemment été proposée pour contourner le problème qui caractérise l’exploration théorique de nombreux phénomènes sociaux intéressants où l’on semble manquer de cas d’études permettant d’alimenter la comparaison. On oublie cependant que le nombre de cas pourrait être augmenté dans la plupart des projets de recherche.
97 Voir par exemple : Hix S., « The study of the European Union II : The “new governance” agenda and its rival », in Journal of European Public Policy, 5, 1998, p. 38-65.
98 Pour un exemple convaincant de cette tendance, voir Franchino F., Control of the Commission’s executive functions, European Union Politics, 1, 2000.
99 Moravcsik A., « Overcoming the « N = 1 Challenge » : The Case for Greater Rigor », in ECSA Journal, 1997.
100 March J. et Olsen J., « The institutional dynamics of international political orders », ARENA Working paper, 5, Avril, 1998.
101 Ostrom E., « Rational Choice Theory and Institutional Analysis : Toward Complementarity », in American Political Science Review, vol. 85, p. 237-243 ; Norgaard A. S., « Rediscovering Reasonable Rationality in Institutional Analysis », in European Journal of Political Research, vol. 29, Jan., p. 31-57.
102 Schneider G., « The Limits of Self-Reform : Institution Building in the European Community », op. cit.
103 Weibull J. W., Evolutionary Game Theory, Cambridge/Mass., MIT Press, 1995.
104 Ostrom E., « Rational Choice Theory and Institutional Analysis : Toward Complementarity », op. cit.
105 Norgaard A. S., « Rediscovering Reasonable Rationality in Institutional Analysis », op. cit. p. 32.
106 Berger P. et Luckmann T., The Social Construction of Reality : A Treatise in the Sociology of Knowledge, op. cit.
107 Sur l’intériorisation des normes, voir Finnemore M. et Sikking K., International norms dynamics and political change, International Organization, op. cit.
108 March J. et Olsen J., « The institutional dynamics of international political orders », op. cit.
109 Des versions antérieures de cet article ont été présentées lors de la session annuelle de l’ECPR qui s’est tenue à l’université de Bergen du 18 au 21 septembre 1997 ainsi qu’à l’atelier sur les « règles de l’intégration » de l’université de Constance (6-8 octobre 1998). Nous voudrions remercier l’ECPR et la fondation Thyssen pour leur soutien et exprimer notre reconnaissance la plus sincère au département de politique comparée de l’université de Bergen pour son hospitalité. Cet article doit beaucoup aux réactions des différents participants, en particulier Simon Bulmer, Jeff Checkel, Laura Cram, Johan P. Olsen et Susanne Schmidt. Nous voudrions également remercier Thomas Plümper, George Tsebelis et les deux relecteurs anonymes de la revue European Journal of Political Research pour leurs commentaires. Notre projet ne représente pas seulement une tentative peut-être futile visant à trouver une synthèse entre différentes traditions de recherche dans les études européennes. Il donne également à voir les efforts de deux universitaires qui cherchent à se comprendre mutuellement. Cet article n’aurait donc pas pu s’écrire sans un certain niveau de tolérance. Le fait que nous ayons été socialisés l’un et l’autre dans la tradition de recherche de l’autre collègue a sans doute aidé : ironiquement, nous nous sommes tous les deux décidés contre le courant dominant dans notre espace culturel, M. Aspinwall devenant un institutionnaliste sociologique/historique et G. Schneider un rationaliste irréductible. Compte tenu de nos compréhensions réciproques du monde, toutes les erreurs qui pourraient subsister dans ce texte pourront être attribuées soit à de mauvaises habitudes intériorisées, soit à des choix sous-optimaux.
Auteurs
- Mathias Delori (trad.)
- Aurélien Evrard (trad.)
- Mark Aspinwall
- Gerald Schneider
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