Les projets de Louis de France outre-Manche à l’épreuve de la rumeur (1216-1217)
p. 177-191
Texte intégral
1Au début du XIIIe siècle, l’Empire angevin n’est plus que l’ombre de lui-même. En seulement quelques années, Jean sans Terre a perdu la majeure partie de ses domaines continentaux au profit du roi de France, Philippe Auguste, et voit son autorité contestée en Angleterre par les barons qui lui sont pourtant restés fidèles au prix d’une large partie de leurs héritages. Démoralisés par les défaites de la Roche aux Moines et Bouvines (2 et 27 juillet 1214)1, écrasés par les exigences fiscales du prince (droits de relief exorbitants, écuage très lourd, sommes extorquées en guise d’amendes), les seigneurs anglais sont aussi exaspérés par ses abus de pouvoir qui se manifestent notamment par le contrôle étroit des héritages et des mariages, le nombre accru des biens confisqués arbitrairement, etc. Mais ce n’est pas tout. Matthieu Paris place dans la bouche de Philippe Auguste l’inventaire d’autres griefs émis contre Jean, une personnalité trouble, coupable des pires trahisons : « plusieurs jours auparavant, le roi Jean, qui avait voulu priver injustement son frère, le roi Richard de la couronne d’Angleterre, et avait été accusé de trahison, fut reconnu coupable devant lui et condamné par jugement de la cour de ce même roi2 [...] il n’aurait donc jamais dû être roi, ni transmettre le royaume. Devenu malgré tout roi, il a forfait ensuite sa couronne par le meurtre d’Arthur, pour lequel il a été condamné par notre cour3. De plus, aucun roi ni aucun prince ne peut céder son royaume4 sans le consentement de ses barons qui sont tenus de le défendre5 ». Jean est donc renégat à plus d’un titre et assassin. Enfin, les faveurs accordées aux « étrangers » à sa cour, notamment son entourage « poitevin », poussent à l’exaspération. Bref, entre lui et ses barons, le torchon brûle. En 1215, ils exigent la reconnaissance et le respect des chartes et libertés octroyées par les précédents rois d’Angleterre6 et lui imposent la signature de la Grande Charte (Magna Carta)7. Mais son engagement n’est pas sincère et il le rompt à la première occasion. La guerre civile devient alors inévitable. Jean est chassé de sa capitale. On compte parmi les seigneurs rebelles des sires de renom comme les comtes de Warenne, d’Arundel, de Salisbury et le fils du Maréchal, mais tout le baronnage ne se rallie pas à la révolte et la position militaire du roi reste solide. Sans espoir de pouvoir se libérer définitivement du joug tyrannique de leur seigneur, les rebelles se tournent alors vers un prétendant étranger : le prince Louis, fils de Philippe Auguste. S’étant réunis à Londres, ils « envoieroient, note la Chronique des ducs de Normandie et des rois d’Angleterre, à Looys le fill le roi de France [une ambassade] ; si li manderoient qu’il les secourust et il le feroient roi d’Angleterre8 ». Ils souhaitaient qu’il restaure leurs possessions continentales et leurs libertés9. Réceptif à leur requête, le Capétien passe outre l’hostilité du pape qui avait condamné le projet d’expédition outre-Manche et, le 21 mai 1216, il débarque sur les côtes anglaises, à la tête d’une armée considérable ; les habitants de Londres et une partie du baronnage l’accueillent avec joie10. La conjoncture est plutôt propice et, en quelques semaines, avec l’aide des barons révoltés11, Louis prend le contrôle d’une large moitié orientale du royaume12. Malgré ces débuts fulgurants, la conquête de l’Angleterre échoue. Le 29 septembre 1217, après plusieurs défaites cuisantes, Louis se rembarque pour le continent et abandonne ses velléités expansionnistes, ce que confirme le traité de Paris en 1259.
2Pour expliquer ce renversement de situation et cet échec français, l’historiographie a retenu le rôle des papes : Innocent III, puis Honorius III, qui ont apporté un soutien indéfectible à la monarchie Plantagenêt, il est vrai, placée sous leur souveraineté. Ils ont exercé une forte pression sur le clergé anglais afin qu’il demeure très largement royaliste, menacé Philippe Auguste pour qu’il n’apporte pas de soutien à son fils et tourmenté l’aristocratie rebelle par des excommunications et des menaces spirituelles répétées. On peut également avancer l’importance psychologique et stratégique jouée par la forteresse de Douvres qui ne tomba pas sous le joug des Français alors que tous les comtés du Sud-Est furent facilement soumis. Mais surtout, ce qui joua un rôle décisif dans l’échec final des Français c’est la mort de Jean Sans Terre, le 19 octobre 1216, et l’avènement de son fils Henri III13. Le jeune prince ne pâtissait pas, en effet, des haines suscitées par son père : « sa grâce juvénile et son innocence [le] rendait aimable à tous14. » Il bénéficiait même de la réputation fort positive de celui qui fut choisi comme son tuteur : le célèbre Guillaume le Maréchal15. Ce changement ramena de nombreux rebelles dans le giron royaliste16, d’autant qu’on fit signer à Henri une version révisée de la Magna Carta, qui représentait une garantie pour les barons17. Cependant, à croire certaines sources, un autre fait aurait contribué à la défaite française et au maintien de la monarchie Plantagenêt : une rumeur concernant les véritables projets de Louis en Angleterre envers les barons anglais, rumeur venant infirmer les précédents « on dit » et les espoirs de ces derniers notamment quant à la récupération de leurs héritages continentaux. Elle repose sur des prétendues révélations issues de l’entourage du prince Capétien, qui se seraient répandues comme une traînée de poudre. Matthieu Paris parle de propos qui se seraient « propagés parmi les barons18 » qui auraient « déposé un levain funeste dans [leurs] esprits19 » et les auraient poussés à se détourner de leur candidat pour rallier le camp royaliste.
3Les sources qui font état de cette rumeur sont cependant peu nombreuses. Il s’agit des chroniques composées à Saint-Albans : les Flores Historiarum de Roger de Wendover, l’Historia Anglorum et la Chronica Majora de Matthieu Paris20, ce qui a amené plusieurs historiens, notamment Ch. Petit-Dutaillis, à parler d’invention historiographique21. Réelle ou imaginaire, cette rumeur est extrêmement intéressante car on y retrouve un grand nombre de paramètres « classiques », mis en évidence par les études de sociologie contemporaines22, en particulier les trois conditions de l’échange rumoral : la première concernant l’émetteur du message, qu’il s’agisse d’une confidence et qu’elle soit crédible ; la seconde concernant l’information transmise, qu’elle ait une certaine valeur qui justifie sa diffusion et la troisième, concernant les récepteurs, qu’ils soient impliqués et/ou intéressés par l’information23.
La naissance d’une rumeur
4Si la rumeur est le plus souvent définie comme un bruit vague et anonyme dont il est difficile d’établir l’origine, force est de constater que celle qui nous intéresse ici est clairement identifiée. Les révélations secrètes concernant le prince Louis viennent du vicomte de Melun. Matthieu Paris écrit, en reprenant presque mot pour mot l’Histoire de Roger de Wendover : « il arriva à cette époque que le vicomte de Melun, homme noble du royaume des Francs, qui avait gagné l’Angleterre avec Louis, tomba gravement malade dans la ville de Londres. Quand il sut sa mort imminente, il convoqua quelques barons anglais, restés pour garder la cité, à une entrevue très confidentielle, et ce qui oppressait sa conscience, il s’en déchargea en le racontant à tous ceux qui l’écoutait24. »
5Adam, vicomte de Melun est un personnage digne de foi pour plusieurs raisons. C’est tout d’abord un homme éminent du royaume de France. Son statut et sa renommée lui confèrent une certaine crédibilité. Chevalier banneret, il s’est battu victorieusement, en 1208, en Poitou contre les troupes de Savaric de Mauléon et le vicomte de Thouars et s’est vu confier une partie de la terre de Beaufort par Philippe Auguste25. Il est cité par Guillaume le Breton et l’Anonyme de Béthune au nombre des barons ayant participé à la bataille de Bouvines26. De plus, le personnage est un familier de la cour royale27 et un proche du prince Louis. C’est donc un personnage bien informé et, concernant l’intervention de Louis en Angleterre, il a lui-même joué un rôle clé dans les négociations préliminaires.
6Les circonstances rendent aussi ses révélations particulièrement crédibles car, très malade, le vicomte est à l’article de la mort. Ses paroles sonnent comme une ultime confession. Il se met en règle avec sa conscience et les seigneurs convoqués à son chevet ne peuvent qu’être convaincus de sa bonne foi. Au seuil du face à face avec le Créateur, le mensonge ne se conçoit pas. Son discours est un aveu dont la valeur cathartique est évidente. Selon la formule de M. Foucault, il s’agit d’« un rituel où la seule énonciation [...] produit chez qui l’articule des modifications intrinsèques : elle l’innocente, elle le rachète, elle le purifie, elle le décharge de ses fautes, elle le libère, elle lui promet le salut28 ». De quoi Adam de Melun doit-il se libérer ? D’un terrible secret qui visiblement le tourmente. Il est complice d’un complot fomenté à l’encontre des Anglais par Louis et seize de ses comtes et barons : « Je souffre à l’idée des ravages qui menacent de ruiner votre pays et des périls et des pièges manigancés contre vous, à votre insu29 ». Le discours brise donc un silence coupable et présente tous les aspects de la confidence. « Tâchez de garder sous le sceau du secret tout ce que je vous ai dit30 ». C’est une autre condition essentielle du processus rumoral : « Nouvelle à la saveur de clandestinité et d’inédit, les rumeurs sont toujours construites et échangées sur le mode d’informations qui auraient dû rester tues31. » Il est ici question de « sceau du secret » (sigillum secreti) et d’informations devant être conservées « le plus secrètement » (secretissimus) possible.
7Ce secret éventé, le vicomte ne gagne pas pour autant le salut car il trahit son seigneur et se rend coupable de parjure ; pour cela, il mérite de brûler en enfer (« je vous le dis en vérité, au péril de mon âme32 »). Le complot repose en effet sur un pacte d’association ; les conjurés ont « prêté serment » (juraverunt), ils ont « juré ensemble » (cum jurare), pris Dieu à témoin. Au seuil de la mort, Adam se trouve donc dans une impasse : soit il est complice d’un complot démoniaque, soit il est renégat. Face à ce dilemme, il fait le choix de révéler la conjuration pour sauver les Anglais et espère peut-être que Dieu trouvera là des raisons de lui accorder la rédemption. Son repentir semble sincère : il sanglote et ses paroles sont pleines de contrition. Sa destinée nécessairement noire renforce la crédibilité de l’information en raison de son caractère apparemment désintéressé. Adam est mu par des considérations altruistes puisqu’il va mourir. Cela confère un potentiel de confiance considérable à ses propos. La question n’est pas de savoir s’ils sont réalistes ; ils séduisent. Ils interpellent aussi et suscitent tout l’intérêt de l’aristocratie anglaise. Ces confidences soulèvent, en effet, une vive émotion car elles agitent un des fantasmes de la société : le fantasme du complot. Louis et ses complices auraient projeté, « s’il réussissait à soumettre l’Angleterre et à se faire couronner roi [de condamner], à un exil définitif comme traîtres à leur seigneur, tout ceux qui aujourd’hui combattent à ses côtés et pourchassent le roi Jean et [d’effacer] de la terre tout leur lignage33 ». La confession du chevalier français s’inscrit dans ce que M. Bloch nomme un « bouillon de culture favorable34 », elle touche la sensibilité du groupe social et ses angoisses, les « périls réels ou supposés qui le menacent35 ». Elle est donc propre à faire naître une rumeur – une rumeur-effroi – dont la diffusion est d’autant plus large et rapide qu’elle concerne « un événement perturbant l’ordre social36. »
La rumeur : enjeux et intérêt de l’information
8Pour les barons anglais présents au chevet du vicomte à l’origine de la diffusion de l’information et pour ceux qui prêtent foi à cette rumeur dans les semaines suivantes, les propos du seigneur de Melun sont effroyables car ils soulèvent des enjeux considérables.
9Selon le vicomte, le Capétien aurait projeté une fois parvenu sur le trône d’Angleterre, de traiter ses alliés – les barons révoltés – comme des traîtres à leur seigneur et de les bannir du royaume. Comme nous l’avons souligné lors d’un précédent colloque sur la trahison, les contemporains manifestent le plus grand mépris pour les traîtres qui sont « comme des torchas que l’on jette dans les latrines une fois qu’on s’en est servi37 ». Ces individus ne méritent aucune clémence car ils sont foncièrement fourbes et il est impossible de leur faire confiance. Ils représentent un élément infecté dont il faut se débarrasser pour ne pas contaminer l’ensemble du corps social. Fin XIIe-début XIIIe siècle, les traîtres sont punis par la confiscation de leurs domaines et l’exil. Dans le monde de la haute aristocratie, la question des terres est un sujet sensible et douloureux surtout depuis que le conflit franco-anglais a débouché sur l’interdiction des doubles allégeances qui a forcé les seigneurs à choisir entre leurs manoirs anglais ou leurs seigneuries continentales38. La plupart des nobles anglo-normands, par exemple, se sont vus dépossédés d’une partie de leur puissance foncière et, dans bien des cas, les redistributions des terres des traîtres, les terrae normannorum, n’ont pas été suffisantes pour compenser les pertes39. De plus, les récriminations des nobles contre les abus de Jean et la dérive autocratique de son pouvoir se sont aussi soldées par de nombreuses confiscations de châteaux. On ajoutera que, depuis le début de la guerre civile, les troupes de Jean – pour une large part constituées de mercenaires – se sont livrées à des exactions terribles sur les propriétés des rebelles : dévastations, incendies40. L’aristocratie est meurtrie et bien des nobles – surtout parmi les rebelles – réduits à mener une « vie infâme, faite de pillages et de rapines vu qu’ils avaient été privés de manière honteuse de leurs terres et de leurs possessions41 ». Outre les difficultés financières qu’elles engendrent, à une époque où les lignages se sont largement territorialisés, les confiscations de domaines représentent une menace sociale et identitaire sérieuse. Quant au bannissement, il est, pour les contemporains, une sentence terrible car il équivaut à une mort sociale42. Exclu, sans terre, sans lien avec ses proches, sans réseau relationnel, l’exilé perd son identité. La menace qui pèse sur la destinée du baronnage anglais est donc jugée comme très sérieuse : c’est sa survie qui est en jeu (« il vous fera disparaître de la terre » dit le vicomte).
10D’un autre côté, le retour vers Jean semble impossible et tout aussi risqué que la poursuite de la révolte. Matthieu Paris écrit : « il leur semblait honteux de revenir vers un roi dont ils s’étaient détournés, par peur de ressembler aux chiens qui retournent vers leur vomi43. » Il y a là une question d’honneur. Par ailleurs, ils sont bien plus encore aux yeux de Jean qu’aux yeux de Louis des traîtres. Comme nous l’avons montré ailleurs, la possibilité pour des vassaux de rompre le lien les unissant à leur seigneur – la légitimité de la diffidatio – ne s’applique pas lorsque le seigneur est un prince oint. Dans ce cas, la violation de la foi – même pour des motifs que l’on estime justes – n’est pas possible car elle constitue un crime de lèse-majesté44. Malgré le bien-fondé de leurs griefs contre Jean sans Terre, les rebelles sont donc coupables et susceptibles d’être punis comme traîtres. Espérer la clémence du prince en cas de retour à l’allégeance légaliste est, de plus, difficile car Jean n’est pas réputé pour sa magnanimité. C’est un personnage instable qui n’est pas toujours très reconnaissant envers ses plus fidèles soutiens, comme l’a montré le cas de Guillaume le Maréchal en 120545. De plus, il peut s’avérer très cruel : l’épisode sanglant d’Évreux, en 1194, en constitue la preuve ; Jean avait trahi les Français installés dans les murs de la cité et les avait fait massacrer. Un bain de sang qui n’avait, au fond, aucune utilité46.
11De tels enjeux devaient susciter tout l’intérêt des barons et les révélations du vicomte, en réveillant leurs peurs, accentuent immanquablement, en cette fin d’année 1216, l’état fébrile dans lequel la situation politique les a placés. La fragilité psychologique de l’aristocratie constitue un terrain favorable à la diffusion de la rumeur. Les rebelles sont passés à l’action contre Jean en raison de son attitude tyrannique mais ils restent dans le doute. Avaient-ils d’autres moyens pour le ramener à la raison et l’empêcher de nuire ? Ont-ils eu raison de faire appel à un prince étranger ? Louis avait-il des droits sur la couronne d’Angleterre pouvant conforter leur décision ? En avril 1216, lors d’une assemblée tenue à Melun, Louis cherche à rassurer : il développe tout un argumentaire, pour justifier ses droits à la couronne d’Angleterre, que l’on retrouve dans une lettre conservée dans les archives du couvent Saint Augustin de Canterbury47. Il établit que Jean ne mérite pas son trône, que ses actes, notamment envers son frère Richard et son neveu Arthur ont fait de lui un roi déchu48 et présentent Louis comme héritier légitime de la couronne par le biais de son épouse Blanche de Castille, petite fille d’Henri II Plantagenêt49, mais tout cela est un peu spécieux et ne libère pas le baronnage révolté de ses doutes50.
12S’ajoute à cette confusion, un trouble lié à des préoccupations eschatologiques. À la demande du pape, résolument hostile à la sédition, le légat Guala Bicchieri51, dépêché en Angleterre, a fait prononcer une sentence d’excommunication contre Louis, les chevaliers qui l’ont accompagné outre Manche, ainsi que les barons anglais rebelles, sous prétexte que Jean avait pris la croix et qu’il était, de fait, illégal d’attenter à ses terres52. Aux yeux du pape la révolte contre Jean est hautement condamnable et une punition spirituelle s’impose pour compléter la justice des hommes. De plus, le Plantagenêt ayant prêté hommage au souverain pontife en 1213 est placé sous la protection du Saint Siège. Il est donc impossible de s’en prendre à lui, sans porter au préalable une réclamation auprès de son suzerain. L’insoumission à Jean représente un réel affront pour l’autorité pontificale. Le parti pris des autorités ecclésiastiques fait donc peser sur l’aristocratie révoltée un péril incommensurable dont les contemporains sont bien conscients. Matthieu Paris écrit : « leur accablement grandit de jour en jour sous l’effet de l’excommunication53 » ; cette fois ce n’est ni leur statut, ni leur identité nobiliaire qui est en jeu mais pire, le salut de leurs âmes.
13Le terrain est donc extrêmement propice à la diffusion de la rumeur et les auditeurs du vicomte de Melun particulièrement sensibles à ses révélations54. Et ce d’autant plus que la mise en cause des intentions de Louis fait écho à la méfiance ancienne des Anglais envers les Français : L’Histoire des ducs de Normandie et des rois d’Angleterre évoque le « grant doute [qu’ils] avoient de Looys55 ». Et, comme le dit le proverbe, si la rumeur prend c’est qu’« il n’y a pas de fumée sans feu ». Les soupçons des Anglais envers le Capétien existent déjà en raison de quelques faits qui ont interpelé les contemporains et ont été analysés comme des signes évidents de la mauvaise foi française.
14Après quelques mois de combats et quelques succès, Louis se serait déjà comporté en conquérant sur le sol anglais en favorisant certains de ses compagnons au détriment des barons révoltés et leur aurait confié un certain nombre de châteaux et de domaines. Matthieu Paris écrit : « Louis, en dépit du serment prêté avait réduit en son pouvoir, malgré leurs protestations, les terres, propriétés et châteaux des mêmes grands, qu’il avait conquis grâce à leur aide56. » Le comte de Nevers reçoit Winchester, Porchester et Southampton, Robert de Courtenai, le château de Rogate, Robert de Dreux, celui de Marlborough, Simon de Poissy, Cambridge57 et le comte du Perche, les manoirs d’Aldbourne, Newbury et Toddington58. Parmi les rebelles les plus influents, plusieurs manifestent ouvertement leur mécontentement et obtiennent satisfaction, comme Robert Fitz Walter qui fait reconnaître ses droits héréditaires sur le château de Hereford et le fils de Guillaume le Maréchal qui revendique le monopole familial pour la charge de maréchal – un office qui avait été malencontreusement confié à Adam de Beaumont lors du siège de Winchester. On retrouve cette accusation dans le camp royaliste quelques mois plus tard lorsque Guillaume le Maréchal, alors régent du royaume et tuteur du jeune Henri III, galvanise les troupes après la défaite de Mountsorrel : « Nous serons bien mous si nous ne prenons vengeance de ceux qui sont venus de France pour nous dépouiller de nos héritages. [...] Courons leur sus promptement ! Dieu nous donne l’occasion de nous venger de ceux qui pour nous outrager sont venus ici et pour faire le mal59. »
15La seconde accusation portée à l’époque contre Louis et ses hommes concerne leur comportement, soit disant hautain et méprisant. Matthieu Paris dénonce « l’arrogance des Français », « l’orgueil et la méchanceté des Français [qui] grossissait manifestement60 ». Selon Roger de Wendover, ces derniers ont, en effet, tendance à dénigrer ouvertement leurs alliés anglais, perçus comme des « traîtres à leur seigneur61 » et Louis aurait pris « une attitude superbe et odieuse62 ». L’Histoire de Guillaume le Maréchal apporte un témoignage similaire, évoquant « les Français qui toujours s’enorgueillissent63 » ou encore « les ribauds de France [qui] sur un ton plein de vantardise disaient [...] que l’Angleterre était à eux et que les Anglais n’ayant aucun droit sur le pays n’avaient qu’à l’évacuer64 ». Si les allégations concernant les chevaliers français sont probablement fondées, celles concernant Louis sont, en revanche, plus douteuses, Louis ayant vraisemblablement pris grand soin de ménager ses soutiens.
16Bénéficiant d’un terreau favorable, la rumeur peut donc se développer : les informations du vicomte font écho à ce que les révoltés pressentent. En cela, ces révélations constituent bien ce que J.-N. Kapferer nomme une « information consonnante65. »
L’efficacité d’une rumeur et son instrumentalisation
17Selon les chroniqueurs de Saint-Albans, la rumeur aurait eu un certain nombre d’effets, au final favorables au camp légaliste, même si c’est sa concomitance avec l’avènement du jeune Henri III qui scelle définitivement le sort de l’expédition française outre Manche. Nous pouvons, à l’instar de P. Vidal-Naquet, parler d’aspect « performatif » de la rumeur, en ce qu’elle a agi sur le réel66.
18Le premier effet évident que souligne l’Historia Anglorum est l’atteinte portée au moral des révoltés : « ces paroles, écrit Matthieu Paris, se propageant parmi les barons les accablaient de tristesse et abattus par cette grande douleur, ils étaient rongés de soupirs, conscients et embarrassés d’être impliqués dans une situation contradictoire67 ». Les révélations d’Adam de Melun n’ont fait que renforcer les doutes et éveiller « parmi les grands d’Angleterre une grande hésitation pour savoir à quel roi se rallier68 ». Ce malaise ne tarde pas à se traduire dans les faits puisque de nombreux barons décident d’abandonner le parti de Louis pour se rallier aux royalistes. Un dialogue – sans doute imaginaire – relaté par Matthieu Paris cherche à prouver l’impact de la rumeur. Il met en scène Louis et ses hommes au moment de leur retour sur le continent : « Qui a révélé aux Anglais notre serment [...] », dit le roi. « On lui répondit : “C’est le vicomte de Melun sur son lit de mort ; après cela ce n’est pas étonnant qu’ensuite tous les barons nous ai abandonnés”69. » Dès la fin de l’année 1216, le parti du jeune roi se trouve très largement renforcé. Au printemps, les barons les plus influents, comme Guillaume de Salisbury ou le fils aîné du Maréchal, font allégeance au roi70. Leur ralliement a un impact symbolique fort.
19Ce renversement de situation, providentiel, qui a finalement bénéficié aux légalistes, paraît aujourd’hui un peu trop « miraculeux » pour n’avoir pas fait l’objet de certaines manipulations. La rumeur se développe, en effet, à un moment où la situation n’évolue plus : le face à face entre les deux camps dure depuis plusieurs mois et aucun ne prend définitivement l’avantage. C’est l’impasse ! Louis cherche à quitter l’Angleterre pour « prendre conseil » sur le continent ; sans doute espère-t-il convaincre son père de soutenir sa cause afin de venir définitivement à bout de la résistance anglaise. D’après Roger de Wendover, il s’embarque aussi car les menaces du pape deviennent de plus en plus pressantes... Dans le même temps, les partisans du roi sont fort pessimistes sur l’issue du conflit. L’Histoire de Guillaume Le Maréchal en fournit un très bon témoignage. Lorsque Guillaume accepte la tutelle du jeune Henri III, il déclare : « Puisse Dieu me venir en aide ! On m’a confié un gouvernement désespéré71 » et Jean d’Erlée envisage le pire, « supposez que tous vos partisans passent à Louis, qu’ils tendent vers une si grande trahison, qu’ils lui rendent les châteaux, à ce point que vous ne puissiez plus trouver refuge nulle part en Angleterre [...]72 ».
20Dans ce contexte, la rumeur née des révélations du vicomte de Melun arrive à point nommé et ne semble pas être due au hasard. Elle manque de spontanéité et semble clairement provoquée à dessein. Si elle a bien couru à l’époque et que nos sources disent vrai, elle est probablement une « machination » du camp royaliste, conçue pour semer le doute – et la zizanie – dans le camp opposé73. D’ailleurs, notre rumeur présente bien tous les aspects d’un produit de « propagande », au sens contemporain du terme, c’est-à-dire une information destinée à orienter ou manipuler les opinions. Elle est un outil de « persuasion clandestine74 ». Elle dénigre l’adversaire « en mettant en exergue ce qu’il y a de plus effrayant chez [lui]75 », en donnant une vision déformée de son visage et de ses intentions. La rumeur a souvent à voir avec la renommée (la fama) et c’est ici le cas : dans le discours d’Adam de Melun le prince capétien est clairement diabolisé. Le portrait qui est dressé est celui du traître par excellence, séducteur et fourbe. Il est, à l’image de l’Antéchrist, pire que le tyran et porteur de mort : « la tyrannie de votre roi vous écrase et vous opprime, dit le vicomte, mais si ce fameux Louis l’emporte, il vous fera disparaître de la terre. Choisissez de deux maux le moindre76. » Il s’agit de transférer les sentiments hostiles à Jean Sans Terre sur la personne de Louis en persuadant les auditeurs que le Capétien est un être bien plus malveillant encore. Louis est odieux en raison de ses mauvaises intentions, mais aussi parce qu’il s’apprête à tromper la confiance des révoltés. La rumeur cherche à susciter la désaffection, voire la haine en réponse à la menace.
21Forme de « communication insinuante », la rumeur, en distillant le doute et la méfiance est finalement beaucoup plus efficace que pourrait l’être de simples allégations du camp adverse. On serait alors tenté de parler de médisances sans fondements. Arriver à faire croire que les assertions viennent du camp opposé, d’un proche du prince qui plus est, c’est toucher le possible, le probable et peut-être, pense-t-on, la vérité. Pourtant, le discours d’Adam de Melun est suspect. Quel intérêt Louis aurait-il eu à concevoir un projet aussi déloyal alors qu’il était sollicité par le baronnage révolté pour devenir roi ? Quand bien même il aurait éprouvé le besoin de rassurer les Français engagés à ses côtés dans la guerre, il est peu vraisemblable qu’il se soit ainsi coupé de tout soutien autochtone car il se privait en même temps de ses meilleures chances de parvenir au trône. Et pourquoi aurait-il prêté serment en présence de seize complices ? Un si grand nombre d’individus dans la confidence, n’était-ce pas le meilleur moyen de voir éventer ses desseins funestes ? Il est donc probable que nous ayons ici un très bel exemple d’instrumentalisation de l’information en temps de guerre77. Une tentative victorieuse « d’intoxication » qui exploite une situation de crise et joue sur les aspects psychologiques pour obtenir un revirement d’opinion.
22Mais plus probablement, nous l’avons dit, cet épisode est le pur fruit de l’imagination des moines de Saint-Albans. Il montre la conscience que les contemporains pouvaient avoir des processus rumoraux comme instruments politiques et témoigne de l’aisance des auteurs avec ce phénomène étudié et décortiqué depuis l’Antiquité par leurs prédécesseurs78. Comment donc interpréter cette « invention » ? L’épisode de la confession du vicomte et de la rumeur qui y est liée permet à Roger de Wendover et Matthieu Paris de fournir une explication rationnelle à l’échec de la révolte baronniale et à la victoire finale des partisans d’Henri III. Soutiens de l’aristocratie, ils ont surtout cherché par là à justifier le revirement des rebelles et leur ont offert des arguments susceptibles d’expliquer leur comportement – une excuse en somme. Leur récit fait émerger le fantasme du complot, met en exergue les risques encourus par les lignages. Il suggère aussi une prise de conscience de la part des barons du caractère odieux de Louis. Ainsi ne se seraient-ils pas ralliés à Henri III en raison de ses faiblesses mais bien parce qu’il représentait un choix meilleur que le prince Capétien. La rumeur inventée participe à un processus de déculpabilisation qui rend viable l’unité retrouvée du baronnage anglais.
23Nous le voyons avec cet exemple, la rumeur n’est pas forcément un phénomène spontané. Elle est très souvent construite selon des règles bien établies. Elle appartient aux processus de propagande diffuse en action au Moyen Âge79. Des processus sciemment exploités particulièrement dans les périodes de conjoncture difficile, de perte des repères, soit par les acteurs (potentiellement le parti royaliste ici), soit pas les rédacteurs de nos sources. La rumeur réveille les plus vieux fantasmes, suscite la peur ; c’est un outil facile à utiliser qui manipule les hommes. Le bruit qui a couru autour des révélations du vicomte de Melun a aussi l’intérêt de nous rappeler que les phénomènes rumoraux ne relèvent pas seulement des catégories populaires. La société aristocratique, animée par des tensions et des enjeux considérables, est une société sulfureuse où naissent et enflent également les rumeurs, soit des rumeurs propres au groupe lui-même, en lien avec les conflits partisans qui s’y déchaînent, soit des rumeurs initiées par le pouvoir et destinées à influencer les comportements et les opinions.
24Reste évidemment bien des interrogations autour de cette rumeur et une certaine frustration pour l’historien de n’avoir pu aller au-delà de l’étude « mécanique » du phénomène mais n’est-ce pas le propre de la rumeur de ne jamais se dévoiler ?
Notes de bas de page
1 Histoire des ducs de Normandie et des rois d’Angleterre, F. Michel (éd.), Paris, 1840, p. 143-144.
2 Cette condamnation a lieu dès le retour de Richard de captivité, en 1194. Elle est promulguée par Hugues du Puiset, évêque de Durham. Roger de Wendover, Flores Historiarum, H. G. Helwett (éd.), RS 84, Londres, 1886-1889, II, p. 651. La sentence aurait remis en cause les droits de Jean sur la couronne mais Richard avait, avec magnanimité, pardonné à son jeune frère : « Et cil [Jean] mout peorosement,/Vint al rei ; as piez li chaï ;/Onques point ne l’en meschaï :/Li reis l’en leva par la main/Si besa son frère germain,/E dist : « Johan, n’i aiez garde./Enfes estes ; en mal garde. », L’Histoire de Guillaume le Maréchal, comte de Striguil et de Pembroke, régent d’Angleterre de 1216 à 1219 (ensuite HGM), P. Meyer (éd.), 3 vol. , Paris, 1841, II, v. 10395-10410.
3 Roger de Wendover, op. cit., I, p. 316 ; II, p. 178, 186 ; Guillaume le Breton, Philippide, trad. française F. Guizot, Paris, 2004 (rééd.), p. 153. Bien que plusieurs sources littéraires relatent cette condamnation, qui aurait eu lieu en 1203, pour le meurtre de son neveu Arthur de Bretagne (par exemple Matthieu Paris, Chronica Majora, H. R. Luard (éd.), RS 57, Londres, 1872-74, II, p. 659), aucun document officiel ne nous est parvenu sur ce point : aucune trace ni dans les archives royales, ni dans celles de la curie romaine. Ch. Petit-Dutaillis, Le deshéritement de Jean Sans Terre et le meurtre d’Arthur de Bretagne, Paris, 1925, pense contre M. Powicke, The Loss of Normandy (1189-1204). Studies in the History of the Angevin Empire, Londres, 1961 (2e éd.) et A. Cartellieri, Philip II August, könig von Frankreich, Leipzig, 1921, que ce procès n’a jamais eu lieu.
4 Jean sans Terre avait fait hommage au pape le 16 mai 1213 et accepté de lui verser un tribut annuel de 1 000 marcs. Roger de Wendover, op. cit., III, p. 247 ; Matthieu Paris, Historia Anglorum, F. J. Madden (éd.), Londres, RS 44, 1866, II, p. 134.
5 « Rex enim Johannes, multis retroactis diebus, volens fratrem suum regem Ricardum a regno Angliae injuste privare, et inde de proditione accusatus, et coram eo convictus, damnatus fuit per judicium in curia ipsius regis [...]. Et ita nunquam fuit verus rex, nec potuit regnum dare. Item si aliquando fuit verus rex, postea regnum forisfecit per mortem Arthuri, de quo facto damnatus fuit in curia nostra. Item nullus rex vel princeps potest dare regnum suum sine assensu baronum suorum qui regnum illud tenentur defendere. » Matthieu Paris, Chronica Majora, op. cit., p. 651.
6 « Il demanderoient al roi que il lor tenist les chartes que li roi Henris qui fu ayous (avant) son pere avoit données à lor ancessours et que li roi Estievenes lor avoit confremées », Histoire des ducs, op. cit., p. 145-146.
7 Ibid., p. 150. À propos de ce texte, voir notamment W. S. Mac Kechnie, Magna Carta : A Commentary on the Great Charter of King John, Glasgow, 1958 [1905] ; J. C. Holt, Magna Carta, Cambridge, 1992 ; A. L. Poole, From Domesday Book to Magna Carta (1087-1216), Oxford, 1998 [1951].
8 Histoire des ducs, op. cit., p. 160 ; témoignage similaire dans l’HGM : « A Londres vindrent/Li baron qui a ço se tindrent,/E transmistrent [...]/Tuit asemble por Loeïs/Qui esteit filz al rei de France. Molt eurent en lui fiance/E por ço l’enveiérent querre,/Qu’il le quidièrent d’Engleterre/Faire seingnor, ce li pramistrent », op. cit, v. 15061-15069.
9 Roger de Wendover, op. cit., II, p. 358-359.
10 Louis s’était d’ailleurs engagé auprès des révoltés dans une lettre où il promettait de venir les soutenir rapidement, Matthieu Paris, Chronica Majora, op. cit., II, 650.
11 Roger de Wendover, op. cit., II, 180 ; Matthieu Paris, Chronica Majora, op. cit., II, p. 653 ; Histoire des ducs, op. cit., p. 171.
12 Sur la marche victorieuse de Louis, voir l’Histoire des ducs, op. cit., p. 172-74.
13 Histoire des ducs, op. cit., p. 180-181.
14 « Regi igitur Henrico III, quem gratia juventutis et innocentia cunctis reddidit amabilem », Matthieu Paris, Historia, op. cit., II, p. 188.
15 L’HGM prétend que lorsque les Anglais apprirent que le Maréchal avait la garde du roi et du royaume, la joie fut universelle : « Quant la gent de fors oïrent/ces noveles, molt s’esjoïrent », op. cit., v. 15611-12. Guillaume déjà très âgé est alors secondé par le comte de Chester et l’évêque de Winchester.
16 Matthieu Paris, Historia, op. cit., II, p. 197.
17 Le 12 novembre 1216, Select Charters and other Illustrations of English Constitutionnal History, W. Stubbs (éd.), Oxford, 1913, p. 336-339. À propos des différences avec le texte de 1215, voir Mc Kechnie, op. cit., p. 139 sq.
18 « haec verba inter barones disseminarentur », Matthieu Paris, Historia, op. cit., II, p. 188.
19 Formule empruntée à F. Michel dans l’introduction de L’Histoire des ducs, op. cit., p. xx.
20 Roger de Wendover, op. cit., III, p. 383-384 ; Matthieu Paris, Historia, II, p. 187-188 ; idem, Chronica Majora, op. cit., II, p. 666-667.
21 Ch. Petit-Dutaillis, Étude sur la vie et le règne de Louis VIII (1187-1226), Paris, 1894, p. 118.
22 Notamment les travaux de J.-N. Kapferer, Rumeurs, le plus vieux média du monde, Paris, 1995 [1987] et de Ph. Aldrin, Sociologie politique des rumeurs, Paris, 2005, qui ont fourni la grille d’analyse pour cette étude. On citera aussi F. Reumaux, Toute la ville en parle. Esquisse d’une théorie des rumeurs, Paris, 1994.
23 Aldrin, op. cit., p. 137.
24 « Contigit autem hac tempestate vicecomitem de Melun, virum nobilem de regno Francorum, qui cum Lodovico in Angliam venerat, in urbe Londoniarum graviter infirmari. Qui, cum mortem sibi cerneret imminere, ascivit ad colloquium suum secretissimum quosdam baronum Angliae, qui ob custodiam civitatis remanserant ; et quod se angebat conscientia propria confessus est, audientibus cunctis dicens eis [...] », Matthieu Paris, Historia, op. cit., II, p. 187.
25 À propos de l’assaut de 1208, Guillaume Le Breton, « Historia de vita et gestis Philippi Augusti », Œuvres de Rigord et Guillaume le Breton, H. F. Delaborde (éd.), Paris, 1882, p. 240. Beaufort (Maine-et-Loire). Ce domaine angevin avait été réparti entre Adam, Jean Briard et Simon de Poissy, Catalogue des actes de Philippe Auguste, L. Delisle (éd.), Paris, 1975 [1856], no 1008 ; Cartulaire Normand de Philippe Auguste, Louis VIII, Saint Louis et Philippe le Hardi, L. Delisle (éd.), Genève, 1978, no 481 note 2, p. 81.
26 Guillaume le Breton, op. cit., p. 275, 283 ; Anonyme de Béthune, Chronique française des rois de France, L. Delisle (éd.), RHF, t. 24, Paris, 1904, p. 768.
27 Il sollicite par exemple le roi à l’occasion d’un conflit qui l’oppose aux religieux de Saint-Martin-des-Champs au sujet du bois de Blandy. En Novembre 1209, ayant transigé avec le prieur, il donne pouvoir au roi de l’obliger à exécuter l’accord conclu, A. H. Taillandier, Histoire du château et du bourg de Blandy en Brie, Paris, 1854, no 688, p. 174. Voir également, ibid., no 630, p. 157-170.
28 M. Foucault, La volonté de savoir, Paris, 1976, p. 83.
29 « Doleo super imminenti desolatione et subversione vestra et quod vobis parata pericula et laqueos absconditos ignoratis », Matthieu Paris, Historia, op. cit., II, p. 187.
30 « Ea vero, quae jam dixi vobis, sub sigillo secreti teneatis », ibid., p. 188.
31 Aldrin, op. cit., p. 101. Même idée dans J. Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts, Paris, 1995 [1977], p. 18.
32 « in periculo animae meae vobis veraciter affirmo », Matthieu Paris, Historia, op. cit., II, p. 187.
33 « Si contigerit eum Angliam sibi subjugare et in regem coronari, ipse omnes illos, qui nunc ipsi militant et regem Johannem persequuntur, ut proditores domini sui, perpetuo dampnabit exilio et omne genus eorum delebit de terra », Matthieu Paris, Historia, op. cit., II, p. 187.
34 M. Bloch, Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre, Paris, 1999 [1921], p. 17.
35 Ibid.
36 Aldrin, op. cit., p. 73. Même idée chez Kapferer, « la rumeur est une communication émotionnelle », op. cit., p. 72. La rumeur repose invariablement sur le spectre du désordre, de la mise en péril des normes établies. En révélant les angoisses et les fragilités de la société, la rumeur apparaît comme un objet d’étude précieux pour une approche phénoménologique de l’histoire. Elle fait partie des concepts qui permettent une approche des imaginaires sociaux. Voir B. Baczko, Les imaginaires sociaux. Mémoires et espoirs collectifs, Paris, 1984, en particulier p. 38-46 ; F. Ploux, « L’imaginaire social et politique de la rumeur dans la France du XIXe siècle (1815-1870) », Revue historique, 302/2 (2000), p. 395-434.
37 « Qu’il est dels comme de torchaz :/Quant l’om en a faite s’ouvraingne/S’il jete l’om en la longaingne », HGM, op. cit., v. 12698-700. À ce sujet, voir La trahison au Moyen Âge, M. Billoré, M. Soria (dir.), Rennes, 2009.
38 En 1204, Philippe Auguste accorde aux seigneurs possessionnés en Normandie un délai de douze mois pour lui faire allégeance. Ceux qui optent pour cette solution doivent renoncer à tout lien avec Jean Sans Terre, ce qui signifie qu’ils acceptent de perdre leurs domaines anglais. Ces conditions tout à fait contraires aux usages féodaux visent une rupture définitive entre la Normandie et l’Angleterre et permettent de résoudre le problème du service militaire en cas de conflit franco-anglais. Jean sans Terre adopte de son côté la même fermeté. Des confiscations ont donc lieu de part et d’autre de la Manche : voir, par exemple, les mentions « rex habet » ajoutées aux enquêtes sur les fiefs de chevalier dans les Registres de Philippe Auguste, J. Baldwin (éd.), RHF, Documents financiers et administratifs, t. IV, Paris, 1992, p. 267-276 ; 280-305 ; M. Nortier, « Un rôle des biens tombés en la main du roi en la baillie de Lisieux après la conquête de Normandie par Philippe Auguste », Annales de Normandie, 1 (1995), p. 55-68 et côté anglais : « Rotulus de valore terrarum Normannorum », Rotuli de oblatis et finibus in Turri londinensi asservati, tempore regis Johannis, T. Duffus-Hardy (éd.), Londres, 1835.
39 À ce sujet : D. Power, « Terra regis Anglie et terra Normannorum sibi invicem adversantur : les héritages anglo-normands entre 1204 et 1244 », La Normandie et l’Angleterre au Moyen Âge, P. Bouet et V. Gazeau (dir.) p. 189-209 ; M. Billoré, Pouvoir et Noblesse en Normandie. De l’autocratie Plantagenêt à la domination capétienne, thèse soutenue à Poitiers, 2005 (à paraître), p. 832-844 ; eadem, « Construction des territoires et choix des aristocraties entre la France et l’Angleterre (1204-1258), La France et les îles britanniques : un couple impossible ?, Colloque du GDR 2136, Caen, 20-22 septembre 2007 (à paraître), p. 39-55.
40 À propos de ces déprédations, Roger de Wendover, op. cit., II, p. 625-26, 635 sq. ; Histoire des ducs, p. 163 sq. ; Raoul de Coggeshall, Chronicon Anglicanum, J. Stevenson (éd.), RS 66, Londres, 1875, p. 177 sq.
41 « terris et possessionibus [...] miserabiliter privati, praedis et rapinis miseram vitam protrahentes », Matthieu Paris, Historia, op. cit., II, p. 188.
42 Sur ce thème : H. Zaremska, Les bannis au Moyen Âge, Paris, 1996 ; Exile in the Middle Ages, L. Napran et E. Van Houts (dir.), Turnhout, 2004 ; E. Van Houts, « L’exil dans l’espace anglonormand », La Normandie et l’Angleterre, op. cit., p. 117-127.
43 « Ceterum turpe sibi videbatur, ad regem a quo abierant, redire, ne viderentur canes ad vomitum revertentes », Matthieu Paris, Historia, op. cit., III, p. 11. Le passage fait référence à Proverbes, 26,11.
44 Sur ce point: M. Strickland, War and Chivalry. The Conduct and Perception of War in England and Normandy (1066-1217), Cambridge, 1996, p. 233; H. G. Richardson et G. O. Sayles, The Governance of Medieval England from the Conquest to Magna Carta, Edimbourg, 1963, p. 149; J. Gillingham, « 1066, the Introduction of Chivalry into England », Law and Government in Medieval England and Normandy, G. Garnett, J. Hudson (dir.), Cambridge, 1994, p. 48; M. Billoré, « Introduction », La trahison, op. cit., p. 16-18.
45 En 1205, lorsque Guillaume prête hommage à Philippe Auguste mais promet de toujours servir fidèlement Jean, ce dernier cherche à le faire condamner pour trahison et face au refus des barons, il met en œuvre tous les moyens de lui nuire : « Que del rei fu lonc tens par mal/Sanz deserte et sanz nul forfait,/Que unques en lui n’out sorfait », v. 13088-90 ; « Molt pensa [...] comme peüst estre vengié/E coument il peüst trouver/Forme del Marechal grever », HGM, op. cit., v. 13249-52.
46 Cet épisode ternit durablement l’image du prince et, comme le souligne J. Gillingham, après cela, « les auteurs de l’orbite capétienne comme les chroniqueurs angevins le considéraient tous avec dégoût », Richard Cœur de Lion, Paris, 1996 [1978], p. 328.
47 Les revendications de Louis ainsi que ses promesses d’un bon gouvernement auraient été exposées dans une série de lettres adressées à l’abbé de Saint Augustin. Une de ces lettres a survécu dans deux des cartulaires de l’abbaye et dans la continuation des Gesta abbatum Sancti Augustini Cantuariensis, attribuées à William Thorne, R. Twysden (éd.), Londres, 1652, col. 1868-70. Sur ce point, voir The Letters and Charters of Cardinal Guala Bicchieri, Papal Legate in England (1216-1218), N. Vincent (éd.), Woodbridge – Rochester – New York, 1996, introduction, p. XL. Matthieu Paris reprend ces arguments, Chronica majora, op. cit., p. 652. Plus loin il relate des propos similaires, tenus par les ambassadeurs que Louis envoie au pape pour justifier, a posteriori, son intervention anglaise : ibid., p. 657, 659, 661.
48 Voir ci-dessus, note 2-5.
49 L. Grant, « Blanche of Castille and the claim to England », Thirteenth Century England. England and France, c. 1180-1330, colloque de Paris, 9-12 sept. 2009 (à paraître).
50 À propos de ces arguments, voir Ch. Petit-Dutaillis, Étude, op. cit., p. 75-87.
51 Guala de Bicchieri di Vercelli (1150-1227), chanoine régulier de Parvie, cardinal dès 1204, fut légat pontifical en France (1208-1209), en Ombrie (1210), puis à nouveau en France (1216) et en Angleterre (1216). Sur ce personnage, voir Vincent, The Letters and Charters, op. cit.
52 À propos de cette sentence (mai 1216), voir Roger de Wendover, op. cit., II, p. 213, 654 ; Histoire des ducs, op. cit., p. 69 ; HGM, op. cit., v. 16233-34.
53 « Auxit praeterea tristitiam eorum, quod singulis essent diebus excommunicati papae », Matthieu Paris, Historia, op. cit., II, p. 188.
54 Sur l’importance du contexte dans l’élaboration de la rumeur, voir Aldrin, op. cit., en particulier p. 10.
55 Histoire des ducs, op. cit., p. 182.
56 « Lodovicus spreto juramento terras possessiones et castella corundem optimatum, quae eorum auxilio subegerat », Matthieu Paris, Historia, op. cit., III, p. 11.
57 Histoire des ducs, op. cit., p. 172, 174, 175, 182.
58 Rotuli litterarum Clausarum, T. Duffus-Hardy (éd.), Londres, 1833, I, 311b.
59 « Trop de nos deduirons molement/Se nos pernons or venjance/De cels qui sunt venu de France/Por nostre gent desheriter [...] Mès isnelement lor corons sore./Diex nos a doné tens et ore/Soie merci, de nos vengier/De cels qui por nos ledengier/Sunt ci venu et por mal faire », HGM, op. cit., v. 16162-65 ; 16189-93.
60 « superbia francorum », Matthieu Paris, Historia, op. cit., II, p. 187 ; « crescente et apparente superbia Francorum et malitia », ibid., p. 200. Dans l’HGM, le comte de Nevers par exemple est stigmatisé comme « orguilos et porvers », op. cit., v. 16080.
61 « Ut proditores domini sui », Wendover, op. cit., II, p. 166-167. Ce genre d’insulte coûte la vie au comte du Perche à Lincoln, ibid., III, p. 21-22.
62 Ibid., II, p. 162.
63 « Franceis qui toz jors s’orguiellièrent », HGM, op. cit., v. 15750.
64 « Li ribaut de France/Qui si èrent pleindevantance/Qu’ils disoient que Engleterre/Ert lor e voidassent la terre/Engleis, quer nul dreit n’i aveient/Franceis a lor oès la tendreit », ibid., v. 15103-108.
65 « qui résonne avec », Kapferer, op. cit., p. 127.
66 P. Vidal-Naquet, « Pour ouvrir le bal », Hypothèses, 2000, p. 251-255.
67 « Cum autem haec verba inter barones disseminarentur, contristabantur vehementer et in semetipsis dolore vehementi suspirantes contabuerunt, dum se perplexos et adversitatibus irretitos undique cognovissent », Matthieu Paris, Historia, op. cit., II, p. 188.
68 « Erat ea tempestate inter optimates Angliae fluctuatio maxima cui se regi committerent », ibid., III, p. 11.
69 « “Quis revelavit Anglicis sacramentum nostrum de eo [...] ?” Et responsum fuit ei : “Vicecomes de Melun morituras ; unde non est admirandum si omnes postea barones a nobis recesserint” », ibid., II, p. 224.
70 Ibid., III, 13; Roger de Wendover, op. cit., II, 206; Memoriale Fratris Walteri de Conventria: the Historical Collections of Walter of Coventry, W. Stubbs (éd.), Londres, 1825-1901, II, p. 235.
71 « Mais Dex, si li pleist, me maintienge !/L’om m’a baillé ceste ballie/Qui la est près de mesballie », HGM, op. cit., v. 15640-42.
72 « Or seit posé qu’à Loeïs/Se rendent trestuit vostre empris,/Equ’a si grant traïson tendent/Que testoz les chastels i rendent,/E eisi seit enpris e fet/Qu’os n’i puissiez aveir recet/En nul liu en tote Engleterre », ibid., v. 15665-15671.
73 Elle vise particulièrement les Anglais rebelles. C’est souvent le propre de la rumeur de porter sur des « dissensions, des inimitiés internes », Kapferer, op. cit., p. 255.
74 V. Packard, La persuasion clandestine, Paris, 1958.
75 S. Fargette, « Rumeurs, propagande et opinion publique au temps de la guerre civile (1407-1420) », Le Moyen Âge, 113 (2007), p. 309-334, ici p. 324.
76 « Revera tirannide regis vestri oppressi conculcamini, sed si iste Lodovicus praevaleat delebit vos de sub cœlo. Duorum malorum minus eligatis », Matthieu Paris, Historia, op. cit., II, p. 188.
77 Pour d’autres exemples de ce type d’instrumentalisation, voir Ch. Ross, « Rumour, propaganda and popular opinion during the war of the roses », Patronage, the Crown and the Provinces in Later Medieval England, R. A. Griffiths (dir.), Gloucester, 1981, p. 15-32 ou encore G. et É. Lecuppre, « La rumeur : un instrument de la compétition politique au service des princes de la fin du Moyen Âge », dans ce volume.
78 Sur cet héritage, déjà évident pour les intellectuels du haut Moyen Âge, voir dans ce volume la contribution de M.-C. Isaïa, « Rumor ad nos magnum pervenit. Information et circulation des nouvelles aux origines du royaume franc ».
79 « Convaincre et persuader : communication et propagande aux XIIe et XIIIe siècles », M. Aurell (dir.), Civilisation médiévale, XVIII, Poitiers, 2007.
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