Chapitre IX. L’enseignement secondaire, l’enseignement primaire supérieur, et l’école unique (1880-1942)
p. 369-445
Texte intégral
1Quand on compare l’état des relations de l’enseignement primaire supérieur et de l’enseignement secondaire en 1880 et à la veille de 1940, l’ampleur des évolutions est tout à fait frappante. En début de période, nul ne se hasarde à comparer l’enseignement donné dans les EPS à l’enseignement proprement secondaire (c’est-à-dire l’enseignement classique) des lycées et des collèges. En 1937, la proximité entre les premières années de l’enseignement primaire supérieur et le premier cycle de l’enseignement secondaire est au contraire si marquée que l’argument d’une différence essentielle entre ces deux cursus ne fut pas invoqué pour récuser le rattachement des EPS à la direction de l’enseignement du second degré et les dispositions qui harmonisent les programmes des EPS et du premier cycle des lycées. Pour la plus grande partie des administrateurs de l’Instruction publique, le rapprochement entre l’enseignement secondaire moderne et l’enseignement primaire supérieur est alors considéré comme un fait accompli. C’est d’ailleurs ce que devaient confirmer les évolutions ultérieures, malgré la diversité des intentions des réformes institutionnelles : le gouvernement de Vichy maintint en effet le rattachement des EPS au second degré, en leur conférant la nouvelle appellation de collèges modernes et en les réorganisant sur le modèle des autres établissements secondaires, et ces dispositions furent confirmées à la Libération.
2Ce rapprochement avec l’enseignement secondaire ne concerne pas la totalité de l’enseignement primaire supérieur mais seulement la filière générale des EPS, et le cas des cours complémentaires est moins clair. Il est par ailleurs impossible de lui attribuer un point de départ clairement défini. Il s’agit plutôt d’un processus lent, marqué par des dispositions diverses, prises parfois en fonction de la conjoncture et sans visée à long terme, et partiellement déterminées par les nécessités de fonctionnement de ces deux entités administratives que sont les ordres d’enseignement primaire et secondaire. Mais cette évolution renvoie également aux débats concernant les questions d’enseignement au cours desquels apparurent de nouvelles conceptions de l’organisation du système scolaire et de sa relation avec la structure sociale. A ces débats postérieurs à 1880 participent, et c’est un fait nouveau, non seulement les élites politiques et universitaires, mais, de plus en plus activement, des représentants de l’ensemble des personnels de l’enseignement public, instituteurs compris.
3Ce chapitre est consacré à l’étude de la transformation de fait de l’enseignement des EPS entre 1880 à 1940. On mettra en évidence la relation d’interdépendance qui unit l’état institutionnel de l’enseignement public et les conceptions du système scolaire, en distinguant les deux principes actifs de cette évolution : premièrement, les nécessités liées au fonctionnement ordinaire de l’institution et à son environnement ; deuxièmement, les conceptions socialement constituées de l’enseignement, qui orientent, à travers des médiations complexes, la politique scolaire. Il convient donc d’adopter la périodisation qui découle de la situation scolaire qui sert de référence. C’est entre 1880 et les années 1900 que s’est constitué comme un fait presque unanimement admis l’état des institutions scolaires qui est le point de départ de tous les débats et de tous les projets de réformes envisagés dans les années suivantes : l’école publique apparaît formée dorénavant d’organisations administratives séparées, partiellement concurrentes et parfois hostiles, les ordres d’enseignement primaire, secondaire et technique qui offrent des filières d’études parallèles ; c’est au cours de cette période que la similitude de l’enseignement primaire supérieur et des premières années de l’enseignement moderne tend à acquérir le statut d’un fait reconnu. A partir du début du siècle, les débats scolaires se focalisent progressivement sut la question de la légitimité d’une telle structure du système scolaire. Ils s’accompagneront après 1920 d’un ensemble de mesures institutionnelles qui concourent au rapprochement des différentes formes de scolarisation prolongée.
Les relations sur le terrain entre enseignement primaire et enseignement secondaire (1880-1900)
4On a vu précédemment qu’une certaine indétermination caractérisait la définition de l’enseignement primaire supérieur à ses débuts. Mais ses promoteurs, comme cinquante ans plus tôt Guizot (quoique peut-être pour des raisons opposées), insistaient sur la distance infranchissable entre cet enseignement et le secondaire : le rapport de Ferry au Président de la République, qui justifie la résurrection de l’enseignement primaire supérieur, en 1881, insiste sur les liens du nouveau venu avec l’enseignement primaire élémentaire : « Il ne faut pas que l’enseignement primaire supérieur s’isole et vise à quelque existence à part. Si haut et si loin qu’il doive aller, il est bon qu’il s’appuie toujours de quelque façon sur l’école populaire. S’il affectait de s’en séparer par ses programmes, (...) par le ton général des études (...), il n’aurait plus de raison d’être. C’est ce que redoutaient de bons esprits à l’origine du mouvement. Il leur semblait à craindre que la vanité des familles, peut-être l’amour-propre des municipalités intervenant, l’enseignement primaire supérieur ne sortît bien vite de ses cadres jugés trop modestes, et ne devînt tôt ou tard une contrefaçon malheureuse de l’enseignement secondaire spécial »1. Cette définition de la place de l’enseignement primaire supérieur, qui insiste sur la séparation d’avec le secondaire, est alors partagée par à peu près tous ceux qui s’intéressent aux questions d’enseignement, universitaires ou publicistes. Les clientèles sociales visées et les débouchés sont clairement séparées, ainsi que les durées d’études, les programmes et la conception pédagogique de l’enseignement. L’accent est mis sur l’opposition entre un enseignement supposant un contact prolongé avec les œuvres de culture et un enseignement utilitaire et pratique, destiné à des élèves qui devront rapidement utiliser les connaissances acquises dans l’exercice d’un métier.
5Mais on doit insister sur le fait qu’il s’agit là seulement d’un modèle abstrait ou, si l’on préfère, d’un exposé de principes qui trace les limites a priori des différentes formes de scolarisation. Sur le terrain, c’est-à-dire au niveau des établissements, les distinctions sont nécessairement beaucoup moins tranchées, car les nécessités du recrutement s’imposent toujours, et l’institution scolaire ne parvient jamais ni à définir clairement les différentes filières de scolarisation, ni à imposer les définitions officiellement adoptées, et elle doit composer avec les modes d’utilisation de ces filières par les familles. L’élément décisif au plan institutionnel est l’existence, vers 1880, de l’enseignement secondaire spécial, une formule intermédiaire entre les enseignements secondaire et primaire supérieur.
6Il faut rappeler d’abord que l’enseignement secondaire spécial est soumis, à partir de 1880, à une suite de réformes qui l’éloignent de l’enseignement primaire supérieur par sa définition formelle : les programmes concentriques de l’enseignement spécial, destinés à permettre des scolarités courtes, sont abandonnés en 1880 ; la durée théorique des études est prolongée d’un an en 1891 et l’appellation « enseignement secondaire moderne » remplace celle qui avait été adoptée depuis Duruy ; les sanctions des études secondaires spéciales ouvrent progressivement des possibilités de poursuite d’études supérieures de plus en plus larges. Ces réformes s’accompagnent d’un débat presque permanent au Conseil supérieur de l’Instruction publique et dans les publications universitaires, qui mêle la question de la définition sociale et professionnelle de l’enseignement spécial et celle de la place du latin et du grec dans les études secondaires. Les dispositions institutionnelles successivement adoptées vont presque toutes dans le sens d’une insistance croissante sur le caractère d’enseignement de culture de l’enseignement spécial (certains ont proposé vers 1891 de lui conférer l’appellation d’enseignement classique français), et d’un effacement du caractère pratique et utilitaire des études, qui s’accordait aux sorties après deux ou trois ans d’études. La réforme de 1902 accomplit un nouveau pas vers la mise en parallèle complète des sections moderne et classique, bien qu’elle préserve encore la possibilité d’accueillir des élèves pour des études courtes dans l’enseignement moderne : le sommaire du projet de Georges Leygues remarque en effet : « La durée des cours de l’enseignement secondaire moderne sera sensiblement diminuée de manière à retenir le moins longtemps possible dans les lycées et les collèges les jeunes gens dont l’agriculture, le commerce, l’industrie et les colonies sollicitent de bonne heure l’activité »2. Différentes dispositions du texte adopté confirment la prise en compte de ce type de recrutement.
7Malgré ces hésitations, l’évolution de l’enseignement spécial n’est pas le produit des circonstances, mais constitue une politique qui sera expressément assumée par certains ministres et certains administrateurs en tant que telle, les alternatives étant à plusieurs reprises clairement exposées : le rapport au Conseil Supérieur de l’Instruction Publique de 1886 examina par exemple les différentes possibilité de définition de l’enseignement spécial et releva que, dans sa définition de 1865, sa place était en train d’être occupée par l’enseignement primaire supérieur en cours de création3. Cependant les réalisations au niveau des établissements secondaires restent toujours en arrière de cette politique, qui tend à accentuer la séparation entre études secondaires et primaires supérieures. En 1880, en dépit des affirmations péremptoires des partisans de la création de l’enseignement primaire supérieur, le recouvrement partiel de la clientèle des EPS et des sections d’enseignement secondaire spécial n’échappait pas à tous les administrateurs, comme le montre l’inquiétude immédiate à l’égard de la possibilité d’une concurrence sur le terrain entre les divers types d’établissements.
Le recteur de Lille, par exemple, ordonna une enquête dès 1882, présentée par une circulaire aux inspecteurs d’académie ainsi rédigée : « Mon attention a été appelée sur la concurrence qui est faite aux établissements d’enseignement secondaire par les écoles primaires supérieures (...). Je vous prie de demander à MM. les inspecteurs primaires et surtout à MM. les principaux si, dans les écoles primaires supérieures, l’enseignement ne tendrait pas à perdre son caractère primaire pour se confondre avec celui de l’enseignement spécial et pour s’élever même jusqu’aux éléments des classes latines »4. Le problème fut de nouveau soulevé en 1884, et l’inspecteur d’académie de la Somme remarque que « les caractères qui différencient l’enseignement primaire supérieur de l’enseignement secondaire spécial ne sont pas assez marqués pour que la supériorité du second sur le premier puisse paraître évidente à toutes les familles ».
Cette situation de concurrence est évidente pour tous les administrateurs, car les cursus effectifs dans l’enseignement secondaire spécial sont généralement très courts. L’enquête de 1887 sur l’enseignement secondaire révèle que les deux tiers environ des effectifs entrés en première année abandonnent au cours des trois premières années d’études ; dans de nombreux établissements, les trois dernières années d’études ne sont d’ailleurs même pas organisées faute d’effectifs. L’enseignement spécial n’est, au demeurant, pas seul à abriter ces cursus courts, car dans les petits collèges, ainsi que dans un grand nombre d’établissements secondaires privés, les abandons d’étude au niveau des classes de quatrième sont nombreux, même pour les élèves qui suivent la filière classique : les sorties précoces évaluées à partir de l’enquête de 1887 atteignent au moins 20 % des effectifs entrés en sixième au niveau de la troisième, 40 % au niveau de la seconde. Au cours des années suivantes, et notamment après la réforme de 1891, la part des cursus courts décline : l’enquête de 1899 sur l’enseignement secondaire permet d’estimer qu’au moins 80 % des élèves entrés en sixième moderne atteignent la classe de troisième, ainsi que la quasi totalité des élèves entrés en sixième classique (mais plus du quart des élèves entrés en sixième n’entraient sans doute pas en seconde). On peut conclure, comme le faisait déjà Gréard en 18815, et comme le firent de nouveau une bonne partie des inspecteurs d’académie et des recteurs à l’occasion de l’enquête de 1899, que l’ancienne clientèle de l’enseignement secondaire spécial était en grande partie passée à l’enseignement primaire supérieur entre 1880 et 1900.
8La reconnaissance de la proximité entre enseignement spécial et enseignement primaire supérieur tient aussi à l’existence d’établissements divers qui lient étroitement les deux filières, et font la preuve qu’il n’y a pas plus de discontinuités tranchées dans leur recrutement social que dans les compétences scolaires exigées. Il en va ainsi d’abord au collège Chaptal, qui juxtapose sections primaires supérieures et sections d’enseignement spécial, ainsi que, dans un certaine mesure, dans les EPS parisiennes, où les études sont, pour un petit nombre d’élèves, plus longues et plus approfondies que dans les EPS de province. Cette situation est parfois officiellement reconnue et mise en avant vers 1900 : Georges Leygues remarquait, par exemple, dans son discours d’inauguration de nouveaux locaux de l’EPS J.-B. Say de Paris : « Vous avez établi, en quelque sorte le chaînon qui relie l’enseignement moderne à l’enseignement primaire »6. L’exemple d’élèves ayant passé le baccalauréat peu de temps après avoir achevé leurs études primaires supérieures est également parfois invoqué comme une preuve que la distance entre les deux enseignements n’est pas infranchissable7. Plus important encore, certains établissements privés, notamment ceux que tiennent les Frères des écoles chrétiennes, témoignent aussi de la constante proximité des études primaires supérieures et spéciales.
Les Frères des écoles chrétiennes figurent, comme on sait, parmi les inventeurs de l’enseignement primaire supérieur autour de 1830 : la règle de l’ordre leur interdit d’enseigner le latin dans leurs locaux, ce qui les a incités à développer les enseignements à caractère scientifique et technique - dessin, comptabilité, etc. Dans leurs pensionnats ou demi-pensionnats situés dans des villes moyennes ou grandes, ils ont maintenu pendant tout le XIXe siècle cette formule d’enseignement. Une partie de leurs établissements sont déjà ouverts, en 1880, comme établissements secondaires selon les dispositions de la loi de 1865, ce qui permet de les soustraire aux contrôles des autorités de l’enseignement primaire (il suffit pratiquement qu’un frère titulaire du baccalauréat soit reconnu comme directeur). Selon leurs prospectus, certains de leurs établissements offrent à l’issue de cursus courts, sans doute analogues à ceux des EPS et des premières années de l’enseignement spécial, des prolongements permettant l’accès au diplôme de fin d’études, puis au baccalauréat moderne. Après 1890, cette orientation des établissements de Frères vers l’enseignement secondaire est de plus en plus nette : entre cette date et 1898, vingt de leurs pensionnats primaires adoptent le statut secondaire, dont les deux gros établissements parisiens des Francs-Bourgeois et de Passy, qui s’ajoutent ainsi à leurs quinze établissements possédant précédemment le statut secondaire8. Cette évolution des établissements de Frères n’échappait évidemment pas aux autorités de l’enseignement public, même s’ils ne connaissaient pas dans le détail l’organisation pédagogique adoptée par les Frères pour faire coexister filières d’enseignement court de type primaire supérieur et préparation du baccalauréat moderne. Les avantages de l’organisation souple des établissements privés sont soulignés à plusieurs reprises dans l’enquête de 1899 sur l’enseignement secondaire, et la politique de création d’EPS annexées à des collèges qui se met en place à cette époque tirera, en quelque sorte, les conséquences de cette remarque.
9L’existence d’établissements privés qui offrent à la fois filière primaire supérieure et filière d’enseignement secondaire moderne n’a pas seulement pour effet de faire apparaître la proximité entre ces deux formes d’enseignement, elle constitue pour les responsables de l’enseignement public un sujet d’inquiétude, puisque la liberté d’organisation des établissements privés renforce leur position dans la concurrence qui les oppose au maillon le plus faible du réseau d’établissements secondaires publics, les collèges communaux : c’est d’ailleurs sans doute pourquoi la réforme de 1902 maintiendra explicitement la possibilité de cursus courts dans l’enseignement secondaire.
10Les mêmes contraintes institutionnelles expliquent le traitement du problème des relations entre les classes élémentaires des établissements secondaire et l’enseignement primaire. Les classes élémentaires des établissements secondaires constituent en effet la filière d’étude conduisant « normalement » aux classes secondaires. Mais, vers 1890, des responsables de l’enseignement public se soucient de compléter ce recrutement, au niveau de la sixième notamment, par un recrutement dans les écoles primaires. La question se pose alors dans des termes nouveaux par rapport à la période précédente : l’enseignement dispensé par les écoles primaires ne se limite plus, depuis 1880, aux rudiments, mais diffuse ce qui apparaît comme une culture complète ; par ailleurs, le latin n’est plus enseigné dès la classe de huitième dans le secondaire, si bien que l’entrée dans le secondaire au niveau de la sixième ne rencontre plus d’obstacles insurmontables. Sans devenir après 1890 une politique officielle, le recrutement des lycées et collèges dans l’enseignement primaire est à l’occasion évoqué par des parlementaires et des administrateurs. La conjoncture du recrutement de ces établissements est alors difficile, et la faveur pour cette mesure ne semble pas renvoyer à des convictions démocratiques.
Parmi les partisans de cette mesure on trouve notamment Charles Dupuy (peu avant son passage au ministère de l’Instruction publique), dans le rapport sur le budget de ce ministère pour 1892, largement consacré à la concurrence entre établissements secondaires publics et privés. Charles Dupuy remarque que « l’Université gagnerait beaucoup à associer à son œuvre les instituteurs primaires, si bien placés pour chercher les recrues aux lycées et aux collèges. Ne voit-on pas les curés et les vicaires recruter des élèves dans leur paroisse pour les établissements ecclésiastiques ? »9. Des inspecteurs d’académie rédigèrent de leur propre mouvement des circulaires pour inciter les instituteurs de leur circonscription à conduire des élèves vers les lycées et collèges : une note de la Revue pédagogique signée E. J. (sans doute l’inspecteur général Jacoulet)10 relate, par exemple, l’expérience d’un inspecteur d’académie qui « fait appel à la bonne volonté des instituteurs primaires » pour lui signaler les élèves susceptibles de poursuivre des études : 172 élèves de son département ont ainsi été repérés, dont 53 ont effectivement entrepris des études secondaires dans des établissements publics (mais une partie d’entre eux auraient sans doute de toute façon choisi cette orientation). Cette note en suscita une seconde, rapportant un appel d’un inspecteur d’académie aux instituteurs de son ressort en 1890 : « C’est à vous (les instituteurs) qu’il revient de préparer cette sélection des individus, d’abord par la manière dont vous donnerez l’instruction, puis en excitant au travail de l’esprit particulièrement ceux de vos élèves qui s’annoncent avec d’heureuses dispositions naturelles, en intervenant auprès des familles pour leur faire connaître le lycée ou le collège, ainsi que les moyens d’y faire parvenir les enfants les plus déshérités de la fortune »11. L’efficacité de ces incitations était certainement limitée - au plus quelques élèves furent ainsi attirés vers le secondaire-, mais ces pratiques eurent au moins pour conséquence de souligner que la barrière entre les deux enseignements n’était plus infranchissable.
11Il existe aussi des raisons institutionnelles internes à l’enseignement primaire supérieur qui contribuent à la transformation des conceptions de ses relations avec l’enseignement secondaire. La similitude des matières et des programmes de cet enseignement et de l’enseignement secondaire spécial (puis moderne) est tout à fait évidente : ceux de l’enseignement spécial ont certainement servi de modèles aux premiers programmes des EPS en 1880, adoptant alors la logique concentrique qu’abandonnent l’année suivante les programmes de l’enseignement spécial. Si la répartition des matières selon les années d’études n’est pas identique, les horaires totaux sur l’ensemble des cursus sont comparables : la principale différence concerne l’enseignement des langues vivantes, certainement moins développé dans le primaire supérieur que dans le spécial.
L’examen des programmes successifs de l’enseignement primaire supérieur ne suggère pas, sous ce rapport, d’évolution significative. Si on laisse de côté les changements mineurs, les programmes rédigés en 1887 ont été notablement modifiés en 1891 (et plus tard en 1909), mais les transformations alors introduites semblent, au plan des matières et des horaires, sans incidence claire sur la relation avec l’enseignement spécial, à qui sont d’ailleurs attribués en 1893 de nouveaux programmes. Par exemple, l’enseignement des langues fut un peu renforcé dans les EPS en 1891, mais la distance s’accroît de nouveau en 1893 avec les programmes du nouvel enseignement moderne. La réforme de 1902 n’entraîna pas de changements notables, comme le suggère le tableau dressé en 1904 par un directeur d’EPS, qui met l’accent sur la similitude des programmes des EPS et des premières années d’études secondaires12. Il faut certes insister sur le caractère sommaire des comparaisons concernant la lettre des programmes ou les horaires réglementaires, car ceux-ci n’étaient souvent appliqués qu’avec les aménagements imposés par les ressources en personnel et la taille des effectifs (qui peuvent imposer des regroupements de classes) ; ce sont cependant ces indices qu’utilisent le plus souvent les observateurs de la réalité scolaire et à partir desquels certains d’entre eux concluent, vers 1900, à l’identité des deux enseignements.
12Plus qu’à l’évolution de ses programmes, c’est à la transformation de ses conditions de fonctionnement et à celle de son public et de son personnel au cours des vingt premières années de fonctionnement qu’on doit imputer le rapprochement de l’enseignement primaire supérieur avec l’enseignement spécial (puis moderne). Le niveau des acquisitions scolaires préalables des candidats à l’enseignement primaire supérieur s’élève certainement après 1880, par suite des transformations dans le fonctionnement de l’enseignement primaire élémentaire dans une partie des écoles (notamment celles qui reçoivent comme instituteurs des normaliens récemment formés). De même, le niveau d’étude du personnel enseignant des EPS s’accroît, puisque les titulaires du seul brevet supérieur (et parfois du seul brevet élémentaire), assez nombreux vers 1880, sont progressivement remplacés par des titulaires du professorat des écoles normales (notamment issus des écoles normales supérieures de Saint-Cloud et de Fontenay) ainsi que par des licenciés : on peut penser que, comme dans d’autres cas similaires, ce personnel ayant suivi des études plus longues eut tendance à élever le niveau des études.
Au moins un des deux facteurs qui contribua au relèvement du niveau de l’enseignement primaire supérieur ne se retrouvait pas pour l’enseignement spécial : la qualité scolaire des élèves. Ces sections recevaient en effet une partie des élèves refusés à l’entrée ou en cours d’études dans les sections classiques. La meilleure qualité scolaire des élèves de l’enseignement primaire supérieur (qui ne concerne sûrement que certaines écoles dont le recrutement est aisé) est évoquée dans certains témoignages. Un inspecteur d’académie remarquait par exemple, à l’occasion de l’enquête de 1899 sur l’enseignement secondaire : « Je ne puis m’empêcher de comparer les mornes élèves de l’enseignement spécial, dont l’inertie désolait leurs professeurs de lettres, à ces enfants des classes populaires qui, dans nos écoles primaires supérieures, suivent l’explication d’un texte - prose ou poésie - avec une curiosité parfois naïve, mais aussi avec un très vif intérêt. La comparaison est certainement à l’avantage de ceux-ci »13. Le fait qu’une partie des élèves de l’enseignement primaire supérieur possédaient des caractéristiques comparables à celles des élèves de l’enseignement secondaire est confirmé par l’expérience effectuée par Paul Lapie, alors recteur de Toulouse, qui compara des copies de français du baccalauréat et du brevet supérieur, remarquant en particulier que ces dernières témoignaient d’une meilleure orthographe14.
13Vers 1900, le rapprochement entre les deux enseignements primaire supérieur et secondaire moderne est un fait encore débattu dans les publications consacrées aux problèmes d’enseignement, mais il est dorénavant assez généralement admis, quoique pour des raisons diverses. Les partisans de la restriction de l’enseignement secondaire aux études classiques y trouvent un argument pour soutenir que celles-ci constituent le seul véritable enseignement de culture15. Les observateurs de la réalité scolaire qui sont attentifs aux caractéristiques sociales des élèves, comme Buisson, l’historien Charles Langlois, ainsi qu’une partie des administrateurs, insistent au contraire sur le fait que la différence entre l’enseignement secondaire moderne et l’enseignement primaire supérieur réside essentiellement dans l’origine sociale des élèves16. Pour quelques-uns, enfin, le fait significatif est le rapprochement progressif des cultures transmises par les deux enseignements : « le secondaire a voulu se préoccuper davantage de l’utilité directe et pratique ; le primaire a tendu sans cesse depuis quinze ans à devenir, à sa manière une culture : ils devaient donc se rencontrer », remarque par exemple un inspecteur d’académie en 189917. Quels qu’en soient les attendus, le constat de la proximité des enseignements primaire supérieur et secondaire moderne débouche naturellement sur une interrogation globale concernant la structure de l’enseignement public.
On peut par contre constater que ce rapprochement n’a pas entraîné un passage plus fréquent de l’enseignement primaire supérieur à l’enseignement secondaire : au contraire, il semble que les passages soient de moins en moins fréquents, alors que les effectifs de l’enseignement primaire croissent : un rapport parlementaire évalue en effet ces passages à 410 en 1892, à 256 en 1998, 389 en 1908, et, après un déclin régulier, 215 en 1913 (cette statistique est peut être discutable, car elle ne sépare pas les passages en fin de cursus primaire supérieur des autres, et il se peut que les transferts des années les plus anciennes concernaient plus souvent des élèves qui venaient seulement de finir leurs études primaires élémentaires)18.
14L’apparition de controverses nouvelles sur l’école renvoie à plusieurs éléments nouveaux, qui marquent les débats scolaires de l’époque. Les institutions scolaires mises en place dans les années 1880 sont dorénavant solidement établies, bien connues de tous les observateurs de la réalité scolaire (ce qui n’était pas le cas dans les premières années de l’existence de l’enseignement primaire supérieur), et elles servent donc de point de référence dans les débats. L’enquête parlementaire sur l’enseignement secondaire de 1899 a certainement contribué à l’élargissement de la connaissance du système scolaire, et elle a donné un écho à des opinions hétérodoxes.
A l’origine de cette enquête se trouvait la crainte, exprimée par les défenseurs de la laïcité, que le déclin des effectifs des établissements secondaires publics dans les dix années précédentes fût consécutif au progrès des congréganistes19. Les investigations mirent en pleine lumière le développement de l’enseignement primaire supérieur masculin, qui apparut ainsi comme un fait national - alors que les rapports des recteurs et des inspecteurs d’académie semblaient le considérer souvent comme une singularité de leur région-, et l’incidence de ce développement sur l’enseignement secondaire.
Certaines conséquences tirées discrètement par l’administration de l’Instruction publique - le maintien dans les collèges de « sections spéciales », la politique d’annexion d’EPS - montrent qu’il ne faut pas surestimer l’importance de la dimension culturelle des débats suscités par cette enquête.
15Le contexte politico-intellectuel est affecté par le développement du mouvement ouvrier qui favorise l’interrogation sur les relations entre l’institution scolaire et la structure de classe, considérée jusque-là comme une donnée indiscutable. Il l’est aussi par l’existence d’un autre débat sur les relations entre les classes sociales - celui qu’animent des « républicains de progrès », comme Léon Bourgeois ou Ferdinand Buisson, et des socialistes dissidents, comme Alexandre Millerand ou Aristide Briand, à propos de la solidarité et de la démocratie sociale-, qui conduit progressivement à la mise en place d’une législation sociale20. Cet événement qu’est le vote des lois de Séparation de l’Eglise et de l’Etat contribue également à dégager une place pour de nouveaux débats sur l’école. Après 1905, en effet, pour une grande partie des élites universitaires et politiques de la gauche (mais non pour les catholiques de la Société générale d’éducation et d’enseignement), la question des relations de l’école publique avec l’Eglise cesse d’être un sujet de controverses intellectuelles. Enfin, le développement des débats sur l’école est favorisé par l’existence de périodiques consacrés aux problèmes scolaires - comme la Revue pédagogique fondée en 1878, la Revue internationale de l’enseignement, créée trois ans plus tard, ou la Revue universitaire, fondée en 1892 - qui est à la fois le signe de l’importance culturelle des débats scolaires, et un facteur qui contribue à l’alimentation de ces débats.
Les premiers débats sur les relations entre formes de scolarisation prolongée (1900-1914)
16On peut attribuer une triple origine aux premières mises en cause de l’organisation de l’enseignement public établie à la veille de 190021. Il y a d’abord les critiques que développe Ferdinand Buisson, avec l’autorité que lui confère son rôle passé dans l’organisation de l’enseignement primaire de 1879 à 1896. Buisson écrit après cette date de nombreux articles dans des revues diffusées auprès des instituteurs ou d’autres catégories de personnels de l’enseignement public, et son point de vue, quoique certainement original, trouve des échos dans l’expérience d’autres universitaires et d’administrateurs. Formulées initialement dans un cadre universitaire, ses critiques atteignent ensuite une audience plus large lorsque Buisson devient député radical et président de la Ligue de l’enseignement en 1902, participe aux congrès de ces organisations, préside la Commission de l’enseignement et des beaux-arts de la Chambre des députés, et écrit des articles repris dans plusieurs journaux radicaux.
Une des premières mises en cause explicites de la légitimité de la séparation entre les enseignements primaire supérieur et secondaire se trouve dans la déposition de Buisson devant la Commission parlementaire sur l’enseignement secondaire de 189922 : « La définition même de l’enseignement secondaire ne peut plus se faire en France que sous la forme d’une définition sociale ; il ne se caractérise pas par ses programmes ; on le reconnaît à ceci : c’est l’enseignement accessible à des enfants d’une certaine condition (...) ». Buisson demande ensuite la création des enseignements différenciés pour l’ensemble de la population qui poursuit des études « au-delà du primaire élémentaire ». Questionné par le président de la commission, Alexandre Ribot, sur la distinction entre primaire supérieur et secondaire moderne, Buisson observe : « D’après mon expérience, la principale distinction vient de l’idée d’inégalité sociale qu’y attache la vanité des familles. Quand elles ont à proximité une école primaire supérieure et un collège, elles hésitent et le plus souvent elles se déterminent d’après des considérations qui en sont vraiment pas d’ordre pédagogique et qui ne sont même pas toujours bien réfléchies ». Il évoque ensuite les préférences fréquentes des familles pour les EPS, « ces belles écoles de chefs-lieux de canton, bien installées, bien dirigées, en pleine prospérité matérielle et morale ».
17La seconde contribution importante à ce débat est celle des personnels de l’enseignement public, et notamment des instituteurs proches du mouvement socialiste. Les relations des instituteurs avec le personnel secondaire ne sont pas plus aisées vers 1900 que dans la période précédente. Une certaine hostilité mutuelle se nourrit de la concurrence entre établissements et du soutien généralement accordé aux intérêts du secondaire par les échelons supérieurs de l’administration. Il s’y ajoute les nombreux conflits qui naissent à l’occasion des contacts entre les deux personnels, où les primaires trouvent des indices de la morgue et du mépris culturel du personnel secondaire à leur égard23. Les réflexions sur l’école du mouvement socialiste s’attardent peu, avant 1900, sur la question de la séparation entre enseignement populaire et enseignement bourgeois : par exemple, les discours et interventions de Jaurès au Parlement, avant 1899, portent principalement sur les universités, le secondaire et les droits politiques des personnels ; ils ne révèlent pas une conception originale des problèmes scolaires de l’époque, mais contiennent seulement des remarques, analogues à celles que formulent certains universitaires républicains, sur la nécessité « d’élever le niveau général de l’enseignement du peuple », ou d’assurer « une communication étroite entre tous les ordres d’enseignement »24.
Même après 1900, il existe peu de réflexions précises des socialistes sur l’école. Ludovic Zoretti, l’auteur d’un des ouvrages qui influencera les projets de réformes postérieurs à la guerre (voir infra), ne cite parmi ses devanciers qu’un seul ouvrage, dirigé par Georges Renard, l’ancien secrétaire de Rossel au début de la Commune, devenu professeur d’histoire du travail au CNAM, puis au Collège de France, grâce à la protection de Millerand25. Les développements consacrés par cet ouvrage à l’enseignement n’occupent cependant qu’une place assez réduite. L’enseignement secondaire est qualifié de « survivance ploutocratique » et considéré comme l’enseignement de la bourgeoisie, mais les réformes proposées ne sont pas substantiellement différentes de celles que proposent à la même époque certains radicaux. Elles revendiquent la gratuité des études (mais en attendant, on « multipliera les bourses »), l’organisation d’un enseignement par degré (c’est-à-dire par tranche d’âge, et non par ordre). L’enseignement secondaire, auquel l’accès s’effectuerait par un examen, deviendrait obligatoire de 14 ans à 17 ou 18 ans (c’est l’innovation la plus notable, et elle révèle le caractère utopique du projet). Le projet préconise par ailleurs la coéducation des sexes, la limitation de la place accordée au latin, et une note suggère l’intégration de l’enseignement technique dans le cadre de l’enseignement général. On peut mentionner également, dans les années suivantes, des réflexions qui mêlent l’utopie et la réaction d’humeur, comme celles d’un professeur d’école normale, Albert Thierry, qui critique amèrement toutes les formes de scolarisation existantes, prône le « refus de parvenir », et donc celui des études secondaires pour les enfants du prolétariat, et qualifie l’enseignement primaire supérieur « d’école des jaunes »26. La revendication d’une organisation scolaire autonome pour la classe ouvrière et le refus de l’accès à l’enseignement de la bourgeoisie sont également défendus avec insistance à la même époque par Hubert Lagardelle27.
18Plutôt que l’influence d’une réflexion du mouvement socialiste sur le système d’enseignement, c’est l’application au cas de l’école des idées d’égalité véhiculées par ce mouvement qui explique l’insistance de certains instituteurs sur le fait que l’enseignement secondaire est l’école de la bourgeoisie. A l’instigation d’un des animateurs du mouvement syndical chez les instituteurs, Maximilien Carnaud, alors député socialiste, le Bulletin des institutrices et instituteurs de France propose en 1900, comme moyen de remise en cause de cette situation, l’application d’une sélection et d’une orientation (pour employer un terme utilisé trente ans plus tard) sur critère scolaire à toutes les étapes des cursus. Cette campagne déboucha sur l’adoption par le Congrès des associations amicales des institutrices et instituteurs, en 1901, d’un vœu mettant en avant le « principe de l’égalité devant l’instruction ». Celui-ci semblait aux instituteurs l’aboutissement naturel des principes sur lesquels prétend s’appuyer la IIIe République. L’activité de Carnaud à la Chambre contribuera à transformer en un thème de débat national ce qui n’était au départ qu’un projet un peu vague et utopique, mais qui rencontrait pour des raisons évidentes, notamment biographiques, un écho parmi les instituteurs.
Comme une grande partie de ceux qui contribueront à cette époque aux projets de réforme de l’organisation scolaire, Carnaud (1863-1937), avait des raisons biographiques d’être attentif à la sélection des élites : fils d’artistes lyriques, orphelin jeune, Carnaud avait préparé le brevet tout en travaillant et était devenu instituteur. Militant socialiste actif, il fut élu conseiller général de Marseille en 1892, et révoqué de ses fonctions d’instituteur en raison de ses propos au conseil général des Bouches-du-Rhône, peu avant son élection à la Chambre des députés en 1894. Il était alors guesdiste, mais son évolution ultérieure le rapproche en 1901 des « socialistes ministériels », puis du centre-gauche : en 1909 il appartient au groupe des « républicains de gauche » que dirigent Fernand Dubief et Victor Bérard. Il avait, avant 1900, déposé une autre proposition de loi proposant d’accorder des bourses à 1 % des enfants en âge de poursuivre des études.
Une brochure rédigée par Carnaud en 1901 semble la première formulation, dans ce nouveau contexte, d’un recours généralisé à la sélection sur critère scolaire comme principe de fonctionnement de l’institution scolaire28. Elle fut rédigée, pour la campagne législative de 1902, au nom d’un groupe de pression de la Chambre présidé par Henri Brisson, le Groupe de l’enseignement. Ces parlementaires plaçaient leur action sous le patronage des réformes républicaines de Bert, Ferry et Goblet, et prétendaient réagir à l’immobilisme en matière d’enseignement de la Chambre sortante, « qui a laissé de côté toutes les questions qui intéressent le plus notre enseignement primaire ». Ils réclamaient également une amélioration du traitement des instituteurs, l’abrogation de la loi Falloux et le retrait de l’enseignement « d’entre les mains des congrégations religieuses ». Réélu en 1902, Carnaud rédigea une proposition de loi esquissant une sorte d’organisation générale de l’enseignement qui reposait sur le recours systématique à des examens et à l’avis du personnel enseignant pour décider de l’orientation des élèves entre les divers types d’études29. Cette proposition n’eut pas, semble-t-il, d’autre suite que le vote par la Chambre, le 14 février 1902, à une écrasante majorité, d’un ordre du jour ainsi rédigé : « Considérant que si l’enseignement secondaire est une fraction importante du système de l’éducation nationale, il ne saurait cependant être isolé des autres parties ; qu’il conviendrait de faciliter l’accès à cet ordre d’enseignement des élèves les plus méritants des écoles primaires publiques afin d’arriver à l’égalité de tous les enfants devant l’instruction ». En avril 1909, Carnaud déposa de nouveau une proposition de loi visant à « réaliser l’égalité des enfants devant l’instruction par la recherche de leurs aptitudes et la coordination des divers enseignements de l’Etat », qui ne contient presque plus de dispositions concernant l’enseignement privé ; adoptée cette fois par la Commission de l’enseignement, elle ne déboucha sur aucune disposition concrète.
19Combattre les inégalités économique liées à l’origine de classe par le repérage des élèves les plus capables de poursuivre leurs études et par leur prise en charge éventuelle par l’Etat est l’idée centrale des projets de Carnaud. L’article 1 de la proposition de loi de 1909 affirme ainsi que « tous les enfants, sans distinction de fortune sont égaux devant l’instruction » et l’article 2, que « le personnel des écoles publiques et privées (...) est chargé de la recherche des aptitudes des élèves ». Les propositions de loi déposées par Carnaud restent vagues quant à l’organisation des examens annuels qui auraient permis de mesurer les aptitudes scolaires, mais elles révèlent qu’un schème nouveau de raisonnement acquiert progressivement une certaine légitimité et se substitue au schème de raisonnement antérieur, accepté sans discussion en 1880 : le principe d’organisation du système scolaire ne doit plus être l’attribution d’une filière de scolarisation à chaque classe sociale, mais la recherche des mérites et des aptitudes scolaires sans souci des origines de classe.
20Une troisième forme de critique de l’organisation de l’enseignement public se développe presque à la même époque dans les milieux qui sont à l’intersection du radicalisme et de l’enseignement secondaire. Le débat porte ici sur l’opportunité de mesures concrètes d’ampleur modeste, comme la gratuité des études secondaires et la suppression des classes élémentaires de l’enseignement secondaire. Ces mesures sont cependant jugées déjà à la limite de l’utopie par ceux-là même qui les proposent.
Ces deux propositions de réformes sont évoquées devant la commission d’enseignement du Congrès des républicains radicaux et radicaux-socialistes en octobre 1902 par un professeur de philosophie de la Faculté des lettres de Lyon, Alexis Bertrand, qui plaide en faveur de l’instauration de la gratuité des études secondaires par l’installation dans les EPS de classes secondaires suivant les programmes de la section moderne (D, dans la terminologie de la réforme de 1902)30. En 1905, le député radical Alfred Massé déposa une proposition de loi visant à la création d’une section gratuite dans l’enseignement secondaire public, recrutant au concours et destinée notamment à recevoir des élèves issus de l’enseignement primaire supérieur31. Il réitéra cette proposition dans ses rapports sur les budgets de l’Instruction publique de 1905 et 1906, mais les rapporteurs des années ultérieures, également radicaux, ne la reprennent pas, ni ne proposent d’autre plan visant à rapprocher les enseignements primaire supérieur et secondaire (Charles Couyba, dans le rapport sur le budget 1907, exprime même une réticence explicite devant l’idée de gratuité du secondaire défendue par Massé et avancée pour la première fois dans le rapport de Maurice Faure sur le budget de 1902). En 1906, le 26e congrès de la Ligue Française de l’enseignement entendit de son côté un rapport sur « l’égalité des enfants devant l’instruction » rédigé par un professeur d’histoire au lycée Condorcet, plus tard député radical, François Thalamas, qui soulève la question de l’organisation des ordres d’enseignement : « A côté du vieil enseignement des lycées de garçons (...) et qui est resté un enseignement de catégorie sociale, ayant en bas ses classes primaires et même son école maternelle et en haut ses classe supérieures (...) l’enseignement primaire a créé des prolongements variés qui se distinguent mal du premier cycle de l’enseignement secondaire et de beaucoup d’écoles dites professionnelles où se donne en réalité un enseignement général. J’estimais qu’il aurait été urgent de poser au moins le principe de la fusion, de manière à créer au moins un enseignement secondaire élémentaire, qui serait à la fois primaire complémentaire et professionnel général (...) ». L’examen de la question fut cependant différé : « Mais la commission a pensé que la complexité des questions étaient telle qu’il valait mieux en ajourner la discussion que de risquer de l’escamoter. Elle a seulement retenu, à titre d’indication, un vœu relatif à la suppression des classes primaires des lycées »32.
21En 1910 Buisson déposa, en compagnie de quelques députés radicaux et socialistes, la première proposition de loi exposant une réorganisation d’ensemble de l’enseignement publique. Cette proposition reprend des éléments des réflexions des deux groupes de réformateurs précédemment évoqués. Qualifiée « d’ébauche » dans l’exposé des motifs, qui reconnaît que « la question n’est pas mûre » et qu’il s’agit « d’une réforme beaucoup plus sociale que scolaire », la proposition ne fut pas discutée par la Commission de l’enseignement, ni a fortiori par le Parlement, et fut déposée une seconde fois en 1913, presque sans modification33.
Les caractéristiques des différents co-signataires de ce projet, tous nés autour de 1860, suggèrent que le projet avait pour eux une signification concrète. Jean Bouveri et Léon Bétoulle étaient tous deux socialistes, militants syndicalistes ouvriers actifs avant leur élection, et maires de villes ouvrières (Montceau-les-Mines et Limoges) ; Arthur Groussier, également d’origine populaire, était un ancien élève des arts et métiers, fondateur d’un syndicat et l’un des premiers députés siégeant au groupe socialiste (allemaniste). Les deux derniers signataires étaient radicaux. Louis Gérard-Varet (député de la Côte-d’Or), était fils d’agriculteur aisé ; il avait fait des études supérieures comme boursier et passé l’agrégation tout en enseignant, puis préparé un doctorat qui lui permit d’accéder à une chaire de philosophie à la Faculté des lettres de Digon (après son échec aux élections de 1910, il devint recteur de Rennes, et le resta jusqu’à son départ à la retraite en 1930). Daniel-Vincent, député du Nord, était un ancien élève de l’école normale supérieure d’instituteurs de Saint-Cloud qui avait passé une thèse de lettres alors qu’il exerçait comme professeur d’école normale ; dans quelques articles publiés vers 1907, il prônait la thèse du développement séparé et autonome de l’enseignement primaire, et donc notamment de l’enseignement primaire supérieur34.
22La proposition de loi déposée par Buisson se réfère, comme celle de Carnaud, à l’organisation proposée plus d’un siècle plus tôt par Condorcet. L’objectif affirmé est de supprimer l’inégalité fondée sur la fortune, séparant deux jeunesses, l’élite et la masse, qui reçoivent une éducation différente. Comme le projet présenté par Carnaud, auquel se réfère expressément l’exposé des motifs, il s’agit également pour la nation de « tirer parti de toutes les ressources que la nature lui offre, (d’)utiliser les individus selon leurs aptitudes, (de) porter ces aptitudes par l’éducation à leur maximum de rendement ». Buisson propose, à cette fin, une organisation de l’école en trois cycles, correspondant à trois tranches d’âges. Le premier, de 5 ou 6 ans à 10 ou 11 ans, correspond à un enseignement identique pour tous, « école d’égalité » qui ferait à l’évidence disparaître les classes élémentaires des lycées. Le second, de 11 à 14 ans environ, correspond à un enseignement toujours obligatoire, mais différencié : écoles primaires supérieures, cours complémentaires, collèges viendraient (entre autres) y prendre place. Le troisième cycle, enfin, également accessible à tous, correspond à l’éducation professionnelle (aussi bien pour les « professions libérales » que pour les métiers techniques). Dans le projet de 1910, Buisson ne s’étend pas sur ce troisième cycle, mais un autre projet de loi déposé par lui en 1911 donne une idée du modèle auquel il pense35 : à l’exemple des législations suisse et allemande, il s’agirait (à côté des enseignements destinés aux professions libérales, c’est-à-dire des enseignements classiques) d’organiser des cours professionnels pour les professions agricoles, industrielles et commerciales.
Le projet de 1911, qui n’eut pas non plus de suite, permet d’apprécier la distance entre ce que Buisson considérait comme une réforme envisageable et ce qui était destinée à lancer une idée. Ce projet a pour origine un vœu adopté à l’unanimité par le Congrès radical de Dijon de 1908, sur le rapport de Buisson, qui y présidait la Commission de l’enseignement. Le rapport était intitulé « Le complément et l’achèvement de l’œuvre scolaire de la IIIe République » - ce qui suggère que pour les radicaux cette œuvre était près de son achèvement et qu’ils ne se proposaient pas d’accomplir des réformes importantes de structure. Le projet de 1911 visait d’abord à modifier certaines dispositions de la loi de 1882 sur l’obligation scolaire afin d’en rendre l’application effective (le vœu du Congrès radical envisageait l’objectif un peu plus ambitieux de fixer à 13 ans l’âge de fin d’études obligatoires, alors que Buisson qualifie ailleurs l’âge de 14 ans « d’extrême limite »). Le projet reprenait ensuite une idée déjà développée par Buisson en 189536, en prévoyant l’organisation d’un enseignement complémentaire obligatoire, à temps partiel pendant les heures de travail, d’une durée de 3 ans, dont l’objectif était de donner les éléments d’un enseignement professionnel et d’assurer « la conservation, la défense et l’entretien de (l)’instruction (élémentaire) » pour la totalité des adolescents mis au travail. Ce projet, ainsi que l’ensemble des articles, interventions et propositions de Buisson à la même époque, montre que les formes d’enseignement prolongé - du moins au-delà de 14 ans - comme l’enseignement primaire supérieur lui apparaissent toujours comme accessibles seulement à un nombre réduit de familles, en raison des nécessités économiques qui imposent aux classes populaires une mise au travail rapide des enfants.
23Le second dépôt du projet de Buisson en 1913 ne conduisit pas plus que le premier à une discussion parlementaire. La question d’une réforme d’ensemble du système scolaire est cependant parfois évoquée au cours de la période : en 1910, un député proposa ainsi la suppression des crédits des classe élémentaires ; en 1911, Thalamas réclama la suppression de la distinction des trois ordres d’enseignement. Mais ces différentes propositions ne suscitent pas véritablement de débats : les périodiques spécialisés, comme la Revue pédagogique ou la Revue universitaire, évoquent ces projets et discutent à l’occasion des problèmes d’organisation scolaire, mais ces questions n’y occupent qu’une place modeste et les prises de positions ne suggèrent jamais que leurs auteurs croient à des changements proches. Les difficultés éprouvées par les parlementaires pour mener à bien les projets d’ampleur bien plus limitée - qui concernaient la fréquentation scolaire au cours de la scolarité obligatoire et la création d’un cadre pour l’enseignement technique - démontraient à l’évidence qu’aucune réforme de grande ampleur n’était proche. Au début de la guerre, ces deux projets sont encore en cours d’examen, et les difficultés rencontrées pour assurer les services dans le contexte de la mobilisation interdisaient par ailleurs toute décision d’envergure qui aurait préparé une réforme.
24De 1914 à 1916, les évocations d’une réforme scolaire d’ensemble sont donc rares, imprécises, et n’introduisent pas d’élément nouveau. A la fin de l’année 1916, le ministre de l’Instruction publique, Paul Painlevé, envisage seulement de faire étudier par le Conseil supérieur de l’Instruction publique le « problème de la corrélation entre l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire »37. Mais l’administration de l’Instruction publique prend à ce moment de nouveau quelques initiatives qui ne sont pas de simples réponses à la situation de guerre. Elles s’inscrivent dans le prolongement immédiat des débats antérieurs à 1914 sur l’enseignement professionnel.
25Le ministère de l’Instruction publique s’occupe d’abord des formes d’enseignement professionnel ou « complémentaire » concernant la masse des enfants qui quitteront ou ont quitté l’école de bonne heure. Cette question est alors le principal thème de discussion de la Ligue de l’enseignement - en dehors du soutien à l’effort de guerre-, et la Revue pédagogique revient à plusieurs reprises sur le sujet. Probablement aiguillonné par l’adoption au Sénat, le 30 juin 1916, de la loi Astier (que la Chambre ne votera qu’après la guerre), Painlevé, soutenu par la Ligue, prépare un projet de loi que son successeur, René Viviani, parachève et soumet à la Chambre le 13 mars 191738. Ce projet crée l’enseignement post-scolaire obligatoire jusqu’à 18 ans. Conformément à la position constante de la direction de l’enseignement primaire et de la Ligue de l’enseignement, il se distingue de la loi Astier (qui prévoit aussi l’organisation de cours professionnels obligatoires jusqu’à 18 ans) par l’accent mis sur les compléments d’enseignement général et civique et sur le rôle des instituteurs dans ces cours de demi-temps (de 200 à 300 heures par an, selon l’âge), qui devraient constituer non pas seulement un rattrapage, mais un enseignement « supérieur à l’éducation élémentaire », des « humanités populaires ». Ce projet ne fut pas voté mais, dans les débats qui suivront, il servira de référence, positive pour les partisans de l’enseignement primaire supérieur, négative pour ceux qui souhaitent au contraire l’alignement des formes d’enseignements prolongées sur l’enseignement secondaire.
26Un peu plus tard et juste avant la fin de la législature, le 16 septembre 1919, une proposition de loi « pour le droit intégral du peuple à l’instruction » fut déposée à la Chambre par Pierre Rameil (républicain-socialiste) et Pierre Laval (alors socialiste dissident) : cette proposition fait explicitement le lien avec les projets antérieurs de Carnaud et de Buisson, mais elle introduit des attendus nouveaux liés à l’expérience de la guerre, qui sont l’écho des débats en cours dans les milieux universitaires. L’objectif de cette proposition de loi, qui ne fut pas votée, était modeste : elle aurait instauré une sélection sur titres scolaires pour l’admission dans l’enseignement secondaire, l’attribution automatique d’une bourse à ceux qui ne pouvaient pas payer, complétée par une allocation supplémentaire pour le manque à gagner subi par les familles les plus défavorisées. La même proposition de loi fut déposée de nouveau par Rameil au début de la législature suivante, ainsi qu’une proposition de résolution de Jules Guesde préconisant que la nation prenne en charge les frais d’entretien des enfants jusqu’à l’âge du travail, afin « qu’aucun cerveau ne soit laissé en friche »39.
27Au cours des deux dernières années de guerre, une réorganisation d’ensemble de la réglementation de l’enseignement primaire est également entreprise par Lapie. Si on laisse de côté la réforme du brevet élémentaire (décret du 20 juillet 1915), le première transformation réglementaire significative concernant l’enseignement primaire supérieur est contenue dans deux décrets et un arrêté du 19 juillet 1917 : elle esquisse une consolidation de l’enseignement primaire supérieur en parfaite continuité avec la politique antérieure. Signées par Théodore Steeg, récemment nommé ministre de l’Instruction publique, ces dispositions rehaussent le titre du Certificat d’études primaires supérieures, qui devient Brevet d’études primaires supérieures, et prônent, comme on l’a vu précédemment, une diversification et un développement des sections spéciales (commerciales, industrielles, agricoles) à caractère technique des EPS, sanctionnées par une diversification des épreuves du BEPS.
La circulaire aux recteurs du 1er septembre 1917, rédigée par Paul Lapie (directeur de l’enseignement primaire et par ailleurs collaborateur proche de Théodore Steeg), présente les motifs de ces mesures. La circulaire, dans laquelle l’association des professeurs d’EPS verra une nouvelle charte de l’enseignement primaire supérieur, est le premier exposé officiel de la politique de développement systématique de l’enseignement primaire supérieur que Lapie entreprend alors. Certains passages sont particulièrement significatifs des ambitions de cette politique : « Tous les jeunes gens, toutes les jeunes filles qui, sans pouvoir continuer leurs études jusqu’à la vingtième année comme les élèves de l’enseignement secondaire prolongé par l’enseignement supérieur, possèdent des aptitudes suffisantes pour les poursuivre utilement jusqu’à dix-huit ans et peuvent reculer jusqu’à cette date le moment de gagner leur vie, doivent trouver place dans nos écoles primaires supérieures (...) ».
28Cette politique de renforcement du primaire supérieur et de diversification vers l’enseignement technique est certainement, en partie, une contrecoup du vote de la loi Astier, et constitue donc une réaction analogue à celle qu’avait suscitée la création du cadre des EPCI en 1892. Elle fait également apparaître qu’un développement de l’enseignement primaire supérieur à l’écart de l’enseignement secondaire est encore à cette époque une éventualité envisageable. En 1919, un rapport parlementaire dressant un bilan de la réforme de l’enseignement secondaire de 1902, rédigé par le député radical Julien Simyan, propose même la suppression de la section D du second cycle secondaire au profit des EPS40 ; par ailleurs, de nouvelles EPS furent créées dans les départements d’Alsace-Lorraine repris à l’Allemagne.
29De nouveaux éléments s’introduisent cependant à la même époque dans les débats sur l’organisation de l’enseignement public qui reprennent dans les milieux universitaires. Ces débats, qui se situent dans un contexte intellectuel différent de celui de la période précédente, sont menés par de nouveaux participants qui joueront un rôle jusqu’en 1940, et même au-delà.
Les débats sur l’école unique
30Le premier élément nouveau est l’écho des débats qui se développent à la même époque en Allemagne. Ainsi s’introduit l’expression « école unique » (traduisant Einheitsschule) qui remplace complètement l’invocation du « principe d’égalité devant l’instruction ». Les débats en Allemagne, auxquels participent les instituteurs et le mouvement socialiste, mais aussi des intellectuels, portent également sur le recrutement des élites dans toutes les classe sociales. Les moyens proposés sont la gratuité des études et la suppression des Vorschulen, les classes préparant aux Gymnasium (l’analogie avec les classes élémentaires des établissements secondaires français est évidente). Ces débats ont débuté avant la guerre, mais ils connaissent un rebondissement avec le conflit, qui entraîne une critique des élites de formation classique ; quelques grandes villes (dont Berlin) entreprennent même avant la fin de la guerre, avec la bénédiction des autorités de l’Empire et notamment l’agrément du chancelier Bethmann-Hollweg, des réformes scolaires mettant en application le principe de l’école unique.
Les premiers articles consacrés en France aux projets de réformes de l’école en Allemagne paraissent avant la guerre : en 1913, la Revue pédagogique avait présentée une analyse des débats de la Société Gœthe, en des termes où les analogies avec la situation française sont transparentes (la Société réclame la gratuité de l’enseignement public, la suppression des Vorschulen, et une organisation unifiée de l’école primaire à l’Université)41. En 1916 un nouvel article fut publié par la Revue pédagogique, qui met en avant que la revendication de l’école unique est aussi bien celle des instituteurs que celles des partis avancés42. La connaissance de ces projets allemands se diffuse ensuite par des articles dans des publications diverses, notamment les revues L’Ecole et la Vie et le Manuel général43, qui s’adressent aux membres de l’enseignement primaire.
31Le second élément nouveau qui s’introduit dans les débats postérieurs à 1917 est lié à la guerre : celle-ci suscite une réflexion des « élites » sur elles-mêmes. Aux considérations de justice sociale qui dominaient avant-guerre, s’ajoute en effet le souci de reconstituer les élites décimées, ainsi que d’en élargir le recrutement. La guerre a, par ailleurs, apporté une coloration nouvelle au thème de la justice sociale : l’égalité devant l’instruction est parfois considérée comme une dette de justice sociale contractée par la nation envers les combattants des classes populaires. D’autres aspects de la situation de guerre servent aussi d’arguments à l’occasion : le manque de personnel enseignant entre 1914 et 1918 a entraîné le brassage des professeurs et des élèves par-dessus les frontières qui séparent les ordres d’enseignement ; le financement de l’effort de guerre a montré que l’Etat pouvait, en cas de nécessité, « trouver des milliards ». Enfin, aux yeux de certains, les clivages entre catholiques et non catholiques sont atténués, ce qui traduit non seulement l’expérience de la guerre, mais le temps écoulé depuis la mise en application de la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Un périodique fondé en 1917 avec une formule voisine du Manuel général, L’Ecole et la Vie, auquel collaborent notamment Edouard Herriot et une partie des jeunes dirigeants radicaux, est l’un des organes où s’expriment les idées nouvelles liées au contexte de la guerre. La page de garde du premier numéro, daté du 15 septembre 1917, comporte un dessin qui met face-à-face un poilu et un officier accompagnés de leurs fils d’âge primaire, habillés l’un en bourgeois, l’autre en enfant du peuple. La légende demande : « Puisque les pères ont veillé dans les mêmes tranchées, pourquoi les fils n’étudieraient-ils pas sur les mêmes bancs ? »
32Ces deux thèmes, l’exemple de l’Allemagne et les leçons à tirer de l’expérience de la guerre, sont développés par un groupe de jeunes universitaires, les Compagnons de l’Université nouvelle, qui seront au centre de la campagne pour une réforme d’ensemble de l’organisation scolaire, et dont l’action se prolongera jusqu’en 193644. Un peu après le lancement de L’Ecole et la Vie, les Compagnons de l'Université nouvelle entament, dans l’hebdomadaire L’Opinion, du 9 février 1918, une série d’articles qui susciteront un débat intense et seront bientôt repris et étoffés sous la forme de deux volumes45.
Certaines caractéristiques des Compagnons les distinguent clairement des participants aux débats scolaires de la période précédente. Le groupe est constitué de jeunes universitaires, notamment d’élèves et d’anciens élèves de l’école normale supérieure mobilisés à l’état major du général Pétain. Professeurs des enseignements secondaire et supérieur, ils n’ont pas d’appartenance politique claire et prétendent représenter un large éventail de positions (« Beaucoup d’entre nous sont très à gauche ; certains inclinent assez à droite46. Les protestants d’origine côtoient des catholiques (l’un des Compagnons enseigne d’ailleurs dans une Faculté catholique). Ainsi, pour la première fois, des membres éminents de la partie centrale de l’enseignement public, avec des appartenances politiques et religieuses qui ne respectent pas les clivages antérieurement établis, proposent une réforme d’intention démocratique de l’enseignement public.
33Les Compagnons ne se cherchent pas d’antécédents en France, mais, peut-être parce que les deux rédacteurs du premier article, Jean-Marie Carré et Edmond Vermeil, sont germanistes, ils invoquent l’exemple de l’Allemagne, sans d’ailleurs faire preuve d’une connaissance particulière des expériences qui s’y déroulent47. Leurs propositions ébauchent seulement les grandes lignes d’une refonte des institutions scolaires. L’enseignement public serait gratuit à tous les degrés et, pour éviter la coupure entre celui-ci et les établissements privés payants, où se réfugierait la bourgeoisie, les Compagnons proposent que l’Etat aide financièrement l’enseignement libre. Les classes élémentaires des lycées et collèges seraient supprimées, afin que tous les enfants fréquentent le même type d’école primaire (c’est cette modification que désigne, pour les Compagnons, l’expression « école unique »). A l’intérieur des écoles primaires seraient distingués, à partir de 11 ans, deux cursus : le premier, qui comporte obligatoirement du latin, d’une durée de deux ans, serait suivi par les élèves qui se destinent à l’enseignement secondaire ; le second, à caractère professionnel, se terminerait à 14 ans.
34Le principal souci des Compagnons est la formation des élites, et la question du recrutement de l’enseignement secondaire est pour eux primordiale : ils se soucient de l’améliorer en élargissant sa base sociale. Mais ils ne réclament pas d’augmentation de la fréquence des scolarisations prolongées. Récusant le projet Viviani (« nous aimons mieux une école sérieusement suivie jusqu’à 14 ans qu’une école plus ou moins fréquentée de 13 à 20 ans »), les Compagnons sont discrets sur le primaire supérieur, dont ils affirment toutefois au passage qu’il « prolonge inutilement le primaire sans le compléter »48.
Dans d’autres textes, les Compagnons expriment clairement des réserves sérieuses à l’égard des EPS. Dans un article de 1918, ils écrivent en effet : « Pour celles-ci (les EPS), entre le lycée et l’école professionnelle, il ne doit plus y avoir de place. (...) L’enseignement primaire supérieur n’a pas de caractère précis. Il veut tout englober, culture, profession, préparation pédagogique. Il faut le ramener à l’enseignement professionnel »49. Plus tard leur réserves se porteront sur les cours complémentaires : en 1927, leurs représentants au Comité d’étude et d’action « Pour l’Ecole Unique » (voir infra) « désiraient la suppression de ces cours complémentaires, dont la définition par rapport à l’ensemble du système leur paraissait « assez difficile »50.
35Les Compagnons de l’Université nouvelle, constitués en association, joueront un rôle central pendant les dix années où se poursuivra l’élaboration des projets de réformes de l’organisation de l’enseignement public. Edouard Herriot, qui devient alors l’un des principaux dirigeants du parti radical, est l’un des tout premiers adhérents à leur association51, et se réfère souvent à leurs analyses. Mais surtout, des représentants des Compagnons participent, aux côtés de syndicats, de partis politiques et d’associations diverses, aux instances dans lesquelles s’élaborent progressivement les compromis entre les différents intérêts en présence.
36A côté des Compagnons, il faut faire une place à part à Ludovic Zoretti, un professeur à la Faculté des sciences de Caen, qui contribue à la définition des positions de la CGT sur la réforme de l’enseignement. Adhérent de la SFIO depuis 1914, de la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs depuis 1918, et, via celle-ci, de la CGT (où il est un des très rares enseignants du supérieur et le fondateur, avec Lucien Herr, du syndicat national des membres de l’enseignement secondaire et supérieur, connu sous l’appellation de « Fédération Zoretti »), il est en effet le rapporteur de la Commission de l’enseignement de la CGT au congrès de 1919. Ce congrès se prononce pour une réforme de l’enseignement selon des principes qui sont, sous une forme beaucoup plus vague, ceux que développe par ailleurs Zoretti52.
37Zoretti publie en 1918 un ouvrage largement diffusé qui contient à la fois une réflexion sur l’état actuel de l’enseignement et des propositions pour une réforme53. L’ouvrage s’appuie sur l’expérience personnelle de l’auteur, qui témoigne d’une connaissance bien plus précise de l’enseignement primaire que les Compagnons, comme le remarquent les bons connaisseurs de celui-ci54. Ludovic Zoretti se place sous le patronage socialiste : il propose, selon ses termes, une réforme d’inspiration socialiste acceptable par les non-socialistes, dont il ne trouve les prémisses que dans le livre de Georges Renard et dans le projet de Buisson en 1910. Mobilisé comme les Compagnons, Zoretti insiste moins que ceux-ci sur les sentiments provoqués par la guerre et s’attarde davantage sur l’examen du système scolaire. Autres différences significatives : ses propositions de réforme concernent la masse des enfants, et non principalement la minorité que constitue l’élite scolaire ; elles ne s’attachent pas à la défense de l’enseignement classique, alors que l’appréciation portée sur l’enseignement primaire supérieur et sur l’action de Gasquet et de Lapie est favorable.
L’origine et l’expérience du système scolaire de Zoretti sont nettement différentes de celles de la majorité des Compagnons : né en 1880, Ludovic Zoretti était en effet un boursier d’origine populaire - une situation qu’il décrit dans son livre55 - qu’une scolarité particulièrement brillante avait conduit à l’école normale supérieure. Devenu professeur de mécanique rationnelle et appliquée à la Faculté des sciences de Caen, il y avait fondé en 1914 un Institut de sciences appliquées, dont il resta directeur après la guerre. (On a vu que ces instituts, recrutant leurs étudiants sans exiger le baccalauréat, étaient en quelque sorte, vis-à-vis de l’enseignement supérieur, dans la même position que le primaire supérieur vis-à-vis du secondaire.)
38Le plan de réforme de Zoretti propose de prolonger la scolarité obligatoire jusqu’à 15 ans, de supprimer les classes élémentaires des lycées et collèges et, dans l’enseignement primaire ainsi unifié, de créer un second cycle commençant à 10 ans, orienté vers le préapprentissage, et diversifié selon que l’école est urbaine ou rurale. Ce cycle adopterait, à partir de 12 ans, le programme, des EPS (« ces programmes sont très bien faits, (...) ils donneront (...) de merveilleux résultats »56. Ensuite, un enseignement « moyen » ou « secondaire » de trois ans serait ouvert à une minorité sélectionnée selon ses aptitudes scolaires. Cet enseignement fusionnerait les actuels établissements secondaires et les EPS, dont il récupérerait les professeurs, tout en conservant des options, dont certaines resteraient proches des filières professionnelles des EPS ou des écoles techniques d’un niveau supérieur aux EPCI (écoles supérieures de commerce ou d’arts et métiers), et d’autres comporteraient du latin - qui n’est donc pas obligatoire. Zoretti n’envisage pas d’augmentation immédiate du nombre des lycées (un par département conviendrait), mais, grâce aux locaux libérés par le premier cycle, le nombre des élèves pourrait tripler. La majorité des enfants, qui n’entreraient pas dans le secondaire, suivraient des cours postscolaires d’enseignement général du type de ceux prévus par le projet Viviani, en sorte qu’une scolarité d’une forme quelconque serait obligatoire jusqu’à 18 ans. L’enseignement public serait gratuit à tous les degrés, mais, si cette mesure s’impose à l’évidence, Zoretti considère que le problème est complexe : d’une part, l’Etat et les collectivités locales assurent d’ores et déjà au moins les deux tiers des dépenses de l’enseignement secondaire payant ; d’autre part, comme il le souligne devant le Congrès de 1919 de la CGT, la gratuité ne suffit pas : il faudrait aussi indemniser les parents des classes populaires pour le manque à gagner que constitue la poursuite des études de leurs enfants57. Enfin, comme « minimum des réformes qu’on doit immédiatement réaliser », Zoretti demande de « rendre les écoles primaires supérieures obligatoires »58.
39Les perspectives proposées par les Compagnons et par Zoretti définissent les deux pôles entre lesquels s’établiront, au cours des années suivantes, une sorte de compromis, auquel participeront la quasi-totalité des partisans d’une réorganisation d’ensemble de l’enseignement public59. Ce compromis s’établit dans un contexte politique marqué par des combinaisons parlementaires complexes, où la politique scolaire sert de point d’appui à des alliances électorales entre radicaux et socialistes60. Un autre élément du contexte, extérieur aux débats analysés ici, est également important : l’activité politique des partisans de l’enseignement catholique pour obtenir des subventions d’Etat avant 1924, et leur hostilité radicale à tout projet de réforme de l’enseignement public comportant des dispositions comme la gratuité des études, une sélection par examen, ou la diminution de l’enseignement classique. Toutes ces mesures sont identifiées par les catholiques à un projet machiavélique destiné à établir, par un moyen détourné, un monopole d’Etat sur l’enseignement secondaire. Cette hostilité à toute réforme des partisans de l’enseignement catholique explique en partie pourquoi les divergences entre partisans des réformes ne prirent généralement pas la forme d’oppositions cristallisées et systématiques.
40La victoire du Cartel des gauches aux élections d’avril 1924, la nomination comme Président du Conseil d’Edouard Herriot et comme ministre de l’Instruction publique du sénateur radical François-Albert, président en fonction de la Ligue de l’enseignement, marquèrent le début des premières - et modestes - réalisations : les projets cessent alors de se limiter à des esquisses, et commencent les négociations et les compromis entre les différents groupes et catégories concernés par une politique de réforme. Par une démarche tout à fait inhabituelle, Herriot chargea, en décembre 1924, la Ligue de l’enseignement du soin de constituer une « Commission pour l’étude de la réalisation au point de vue technique de l’école unique », dont la présidence fut confiée à Buisson. Cette commission, composée principalement de personnels de l’enseignement et de parlementaires également universitaires, n’avait pas achevé ses travaux avant la chute du gouvernement Herriot en avril 1925, mais, avec une composition modifiée par la nomination de représentants des intérêts du secondaire, elle les poursuivit dans les mois suivants et proposa des recommandations où figurent les dispositions peu controversées, comme la prolongation de la scolarité primaire à 14 ans, la création de cours postscolaires obligatoires, la gratuité des études secondaires61. Elle retint (à une courte majorité qui correspond aux défenseurs des intérêts de l’ordre primaire) la proposition de séparer les collèges (établissements recevant les enfants de 12 à 15 ans, et pour lesquels le modèle d’organisation des EPS fut retenu) des lycées (qui auraient reçu des élèves entre 15 et 18 ans).
41Dans une seconde étape, en 1926, le relais de la commission fut prit par un Comité d’étude et d’action « pour l’école unique » plus large, regroupant cette fois non seulement des universitaires et des parlementaires proches des milieux enseignants, mais aussi, des représentants des associations et des syndicats d’enseignants (du SNI à la société des agrégés, en passant par le syndicat des personnels des EPS et la fédération Zoretti), des représentants de différentes associations comme les Compagnons de l’Université nouvelle, la Ligue de l’enseignement et la Ligue des droits de l’homme, les principales obédiences de la Franc-maçonnerie, divers partis politiques (dont le parti radical, mais ni la SFIO, ni le parti communiste ne sont représentés ès qualités). Ce comité rédigea en 1927 un « Projet de statut organique de l’enseignement public », qui fut ensuite officiellement adopté par la Fédération de l’enseignement de la CGT, puis, avec quelques modifications, par le Congrès de la CGT de 193162. Laissé de côté entre 1931 et 1936, ce projet fut alors pris comme point de départ pour la préparation des réformes du Front populaire.
Deux rapports de Maurice Weber (qui représente les Compagnons)63 et de Marceau Pivert (un professeur d’EPS, membre de la SFIO et de la Fédération Zoretti) donnent une idée des points controversés64. Le rapport de Weber reconnaît comme « l’une des questions les plus essentielles et les plus délicates (...) le sort et la place que la réforme réserve à l’enseignement primaire supérieur » et ajoute qu’il « semble difficile de le maintenir dans son organisation actuelle ». Il précise que le représentant de cet enseignement « reconnaît la nécessité de l’intégrer dans l’organisation prévue en trois sections ». Le rapport de Marceau Pivert propose le maintien de la séparation entre collèges (établissements de premier cycle « dont l’organisation pédagogique s’inspirera de celle des écoles primaires supérieures actuelles », avec une différenciation en trois sections, classique, moderne, et technique) et lycées (établissements de second cycle). Il insiste sur les dispositions concernant l’enseignement destiné à la masse (élévation à 14 ans de l’âge de fin de scolarité obligatoire, création d’enseignements postscolaires), et développe par ailleurs les thèmes de la gratuité des études et de la sélection par examen et concours dans les filières destinées à l’élite. Il se prononce en faveur de l’unification de la formation des professeurs de cet enseignement sur la base des études de licence et pour le maintien des écoles normales sur le même plan que les lycées.
42La rédaction finalement adoptée par le Comité reprit les dispositions non controversées concernant l’enseignement primaire, la gratuité des études à tous les niveaux, et la place de la sélection par examen. Elle abandonnait par contre la distinction entre collèges et lycées, et n’évoquait pas précisément la différenciation des sections. Sans doute en contrepartie de cet abandon (sûrement regretté par les défenseurs de l’enseignement primaire supérieur), le projet préconisait deux années d’études communes (sans option, ce qui impliquait le report du latin). Comme dans les propositions de Zoretti, et à l’inverse de celle des Compagnons, l’accent est mis autant sur les problèmes qui concernent l’enseignement de la masse que sur ceux qui concernent l’élite (pour reprendre les expressions d’époque). Un article ajouté dans le projet adopté par la CGT mentionne le travail manuel, à côté des langues et littératures anciennes, parmi les « éléments d’une culture générale commune » destinée à assurer « l’unité spirituelle fondamentale de l’enseignement public ». Rien n’indique dans le projet la place qui serait faite à l’enseignement primaire supérieur dans la future organisation, signe que les difficultés institutionnelles et les intérêts catégoriels devaient être mis de côté pour parvenir à un compromis acceptable par les différentes parties en présence.
43L’examen de ces projets de réformes ne permet pas de conclure que la perspective des Compagnons - ou, si l’on préfère, celle d’une réorganisation à partir du modèle de l’enseignement secondaire - l’a finalement emporté sur la perspective d’une réorganisation empruntant au modèle de l’enseignement primaire supérieur. Pourtant, comme on va le voir, les évolutions sur le terrain vont dans ce sens, et, en 1936, les défenseurs du primaire supérieur se rallieront à peu près unanimement à cette perspective, qui est aussi celle des réformes de Zay. On peut distinguer deux aspects dans cette évolution : les transformations des relations entre établissements primaires supérieurs et secondaires ; les transformations des conceptions de la structure sociale et la logique des intérêts catégoriels, qui favoriseront une sorte de ralliement du personnel des EPS à l’hypothèse de l’intégration de celles-ci dans les cadre de l’enseignement secondaire. Nous commencerons par ce second point.
44Un fait apparaît clairement quand on suit l’évolution des débats de 1918 à 1936 : l’affaiblissement des positions ou des convictions des partisans de la formule de l’enseignement primaire supérieur. Jusqu’à son départ de la direction de l’enseignement primaire, en mai 1925, le partisan le plus actif et le plus convaincu de l’enseignement primaire supérieur est le directeur de l’enseignement primaire Paul Lapie. Plusieurs indices montrent que sa prédilection pour cet enseignement dépasse les obligations de ses fonctions, et Lapie proposa lui-même en 1922, sous un pseudonyme, un plan général de l’organisation de l’enseignement qui, plus précis mais assez semblable à celui de Zoretti, prenait pour modèle l’enseignement primaire supérieur.
L’idée que l’enseignement peut être reconstruit à partir de l’enseignement primaire supérieur explique au moins en partie les réticences constantes de Lapie à l’égard des Compagnons. Au congrès de la Ligue de l’enseignement de 1919, contrairement à Buisson, Lapie ne manifeste que des réserves à l’égard de ceux-ci, et il rabaisse « l’école unique » (« des réformes en réalité assez médiocres »), en ramenant cette perspective à la suppression des classes élémentaires des lycées et collèges. En revanche, il plaide pour l’enseignement primaire supérieur (« un organisme des plus intéressants parmi toutes nos institutions scolaires ») et l’orientation plus professionnelle qu’il s’efforce de lui donner, demande à la Ligue de prendre EPS et CC sous son patronage, et réclame des crédits pour l’outillage65. Les mêmes réticences à l’égard des Compagnons apparaissent dans l’article de la Revue pédagogique de 1922, où il esquisse son plan de réforme66. Ironique à l’égard des « réformateurs d’opérette » qui réclament la Réforme sans y travailler et à l’égard de ceux qui « échafaudent projets sur projets », Lapie évite, à une exception près, d’employer l’expression « école unique », et justifie son projet par la rationalisation administrative - éviter les doubles emplois et les conflits de compétence - plus que par la justice sociale. Il note cependant que la différence entre enseignements primaire supérieur et secondaire ne repose que sur la fortune des élèves, émet des réserves sur le secondaire, « plus indécis dans sa marche » que le primaire, et défend qu’il n’y a pas de différences tranchées entre les enseignements secondaire, primaire supérieur et technique. Dans le plan qu’il propose, à la fin de l’école obligatoire, à 13 ans, les enfants entrés dans la vie active suivraient des cours du type de ceux que prévoyait le projet Viviani. Les autres, à partir de 12 ans, seraient admis sur examen dans un type d’établissement unique, le collège, localisé dans les petits centres urbains (par exemple les chefs-lieux d’arrondissement), et qui comporteraient des options (le latin, les sciences appliquées) « selon la souple organisation de nos écoles primaires supérieures » : Lapie récuse ainsi la distinction que veulent maintenir les partisans de l’enseignement secondaire, qui prétendent opposer éducation utilitaire et éducation désintéressé. Présentant un résumé de son plan aux lecteurs du Manuel général (c’est-à-dire aux membres de l’enseignement primaire), Lapie insiste encore davantage : « Un collège serait, si vous le voulez, une école primaire supérieure professionnelle avec section latine »67. Le corps professoral serait formé dans l’immédiat des personnels des collèges, EPS et écoles pratiques : en d’autres termes, ce que propose Lapie, c’est de fusionner dans un cadre unique EPS, EPCI et les premiers cycles des collèges, et de partir de la formule pédagogique des EPS. A 15 ans, une partie des collégiens, munis d’un brevet, accéderaient, pour trois ans, aux lycées, qui seraient de quatre types, ou combineraient quatre types de sections : littéraire, scientifique, technique et normal (suivant le programme des actuelles écoles normales). Les trois degrés d’enseignement seraient gratuits.
45La position de Lapie semble cependant un peu isolée dès de début des années vingt, puisqu’elle n’est guère défendue que par quelques-uns de ses proches, comme l’inspecteur général Félix Pécaut ou Louis Rascol, directeur de l’EPS d’Albi et l’un des principaux dirigeants du syndicat des personnels des EPS68. Non seulement certains des nouveaux dirigeants radicaux, comme Herriot ou Hippolyte Ducos, rapporteur pendant plusieurs années du budget de l’Instruction publique, sont acquis à une perspective voisine de celle des Compagnons, mais Buisson lui-même semble se rallier à cette formule, en reconnaissant les mérites culturels incomparables de l’enseignement secondaire.
Le ralliement discret de Buisson à la formule de l’enseignement secondaire ne semble avoir été qu’à peine relevé par les défenseurs de l’enseignement primaire supérieur, mais il constitue un fait particulièrement significatif. A l’occasion d’un débat à la Chambre, le 11 juin 1920, Buisson approuva en effet explicitement Herriot, rapporteur du budget de l’Instruction publique, qui défendait une position proche de celle des Compagnons. Herriot, tout en reconnaissant le « rôle de transition » qu’a joué l’école primaire supérieure, la déclare « insuffisante », et estime que « l’enfant sortant de l’école primaire devrait être dirigé vers l’enseignement technique ou vers l’enseignement général (secondaire) ». Buisson ajouta lui-même : « Dans notre édifice universitaire, c’est l’enseignement secondaire qui se tient le mieux et, quand nous voulons réaliser une amélioration, c’est encore là que nous devons prendre notre modèle » (mais il insista, comme à son habitude, sur le besoin d’écoles professionnelles pour le plus grand nombre). De telles déclarations troublèrent les professeurs d’EPS : leur bulletin publia une réplique à Herriot qui évite d’impliquer directement Buisson et feint de reconnaître dans les écoles professionnelles prônées par celui-ci les EPS elles-mêmes, ou plutôt ce qu’elles pourraient être si on leur en donnait les moyens69.
Il est difficile d’affirmer que la position alors adoptée par Buisson traduit une évolution de ses conceptions : peut-être le changement de conjoncture l’incite-t-il à voir dans le plein accès à l’enseignement secondaire une conquête dorénavant à la portée des classes populaires. Peu de mois auparavant, au congrès de la Ligue de l’enseignement de 1919, il avait développé ses analyses antérieures quant à la seule base sociale de la distinction entre l’enseignement secondaire et l’enseignement primaire supérieur, se situant lui-même, par comparaison avec les Compagnons, du côté du primaire (« C’est du côté du peuple que je suis et resterai »), et il insistait sur les difficultés que rencontrerait la réalisation du mot d’ordre « égalité des enfants devant l’instruction » : le coût financier, le préjugé social, l’aiguisement des conflits avec le privé, la crainte de l’embourgeoisement des enfants d’ouvriers, le caractère timoré du programme radical70. Il est en tout cas impossible de considérer qu’il s’agit d’un clivage politique : Lapie était sans doute plus proche du radicalisme d’Herriot que Buisson. Il n’est d’ailleurs même pas sûr que les intéressés aient considéré qu’il s’agissait là d’un clivage décisif, car il n’y a pas l’ombre d’une réserve sur le projet de Lapie dans l’article que Buisson consacra à celui-ci après sa mort71.
46Après 1924, on trouve de moins en moins souvent de défense explicite des mérites particuliers de la formule des EPS dans les milieux universitaires, ainsi qu’au Parlement, où le principal relais semble être un ancien professeur d’école normale, Pierre Jossot, sénateur radical de la Côte-d’Or, qui présida la Commission de l’école unique après le retrait de Buisson et fut longtemps rapporteur du budget de l’Instruction publique. Deux éléments, qui ont été complètement laissés de côté par les analyses antérieures de Talbott et Watson, semblent essentiels dans l’affaiblissement des convictions quant à la valeur de la formule de l’enseignement primaire supérieur : les intérêts catégoriels des personnels des EPS et la question des écoles normales.
47Après la fin de la guerre et dans la période qui suit, marquée par l’inflation, la question d’une réorganisation des grilles de salaires des fonctionnaires occupe une grande place dans les préoccupations du personnel enseignant. Pour les professeurs des EPS, la revendication de la parité des rémunérations avec les professeurs de collèges, qui constituent une catégorie immédiatement supérieure, structure les revendications. Toute réorganisation qui les rapproche de cette catégorie renforce leur argumentation en faveur de la parité. Dans les réflexions autour des projets d’école unique - et dans le projet de statut organique adopté par la CGT en 1931 - figure toujours l’exigence d’une unification des personnels enseignants au niveau du futur second degré : l’accord semble unanime sur la formation de ceux-ci par l’université et au niveau de la licence (une disposition qui fournissait une satisfaction au moins symbolique aux titulaires du professorat des EPS et des EN, car des clauses restrictives leur rendaient difficile l’accès aux études de licence s’ils ne possédaient pas le baccalauréat (voir infra)). Le syndicat du personnel des EPS ne revendiquait pas d’autre solution, et, en 1936, lors de l’une de ses premières rencontres avec le ministre de l’Education nationale du Front Populaire, il présenta un rapport dont le premier point affirmait que « la distinction fondamentale entre les personnels de l’enseignement secondaire et de l’enseignement primaire (...) n’a plus aujourd’hui de raison d’être »72.
48Les incertitudes concernant la formation des instituteurs dans ces institutions séparées de l’enseignement secondaire que sont les écoles normales contribuent également à affaiblir les convictions quant à la valeur culturelle de l’enseignement primaire supérieur. La question se pose depuis 1905, lorsque Massé, rapporteur du budget de l’Instruction publique et par ailleurs, comme on l’a vu, un des soutiens du développement de l’enseignement primaire supérieur, proposa de former les instituteurs dans les lycées. Après 1920, cette solution est considérée, notamment par les Compagnons, comme un moyen de rapprochement des deux ordres d’enseignement.
Les défenseurs du maintien en l’état des écoles normales sont de moins en moins nombreux après 1920 (le plus insistant est un proche de Lapie, le directeur de l’école normale supérieure Célestin Bouglé). L’un des projets parlementaires d’organisation de l’école unique, déposé par Anatole De Monzie en 1926, juste après son départ du ministère de l’Instruction publique, et qui s’inspirait des travaux de la Commission de l’école unique établie en 192473, inscrivait parmi ses objectifs principaux la formation des instituteurs par l’enseignement secondaire, soit dans les écoles normales, soit dans des sections normales créées dans des lycées. Il prévoyait l’intégration au second degré des EPS et des CC, et, par ailleurs, un rapprochement des enseignements pour faciliter l’accès des élèves du primaire supérieur à l’enseignement secondaire moderne. Ce projet ne suscita guère de réactions négatives. Son rédacteur s’abritait derrière l’autorité de Jossot : celui-ci convenait lui-même que « les écoles normales dans leur forme actuelle n’ont pas de place dans la réalisation de l’école unique ». La formation des instituteurs dans l’enseignement secondaire est certes justifiée par les économies de cette solution (déjà appliquée à Laon, et qui le sera un peu plus tard dans le département du Lot que représente De Monzie), mais aussi par la valeur culturelle particulière de l’enseignement secondaire, qui dispose, écrit De Monzie, « des moyens propres à transfuser au primaire les vertus propres au secondaire, sa sereine impartialité, son sens délicat de l’illimité du savoir ». De Monzie déposa une proposition de loi presque identique à la Chambre en 1931, en compagnie de l’ancien ministre de l’Instruction publique du Cartel des gauches, François Albert : ancien président de la Ligue de l’enseignement, celui-ci ne pouvait être soupçonné d’hostilité à l’égard du personnel primaire, et son adhésion à un tel projet confirme l’affaiblissement de l’attachement aux écoles normales74.
Le projet de statut organique adopté par la CGT ne tranchait pas clairement le sort des écoles normales, mais il prévoyait également le passage des futurs instituteurs dans des « sections normales » de second cycle, ce qui signifiait probablement une formation générale dans un cadre analogue à celui de l’enseignement secondaire.
49Ainsi, le déclin de la reconnaissance culturelle de la formule de l’enseignement primaire supérieur n’est qu’un aspect d’une remise en cause générale de ce qui avait fait la spécificité de l’ordre primaire, tel que l’avaient mis en place les premières années de la IIIe République. Après 1924, si l’enseignement primaire supérieur continue de disposer de la forte position institutionnelle que lui assure son « succès auprès des familles » (et tout autant son insertion dans l’organisation de l’enseignement primaire), par contre il ne trouve plus de partisans influents, convaincus de la valeur culturelle de sa formule, mais seulement des défenseurs des intérêts catégoriels de ses personnels. C’est cette dernière étape que nous étudierons maintenant, en analysant les premières réalisations institutionnelles qui traduisent l’alignement de l’enseignement primaire supérieur sur son rival secondaire.
Réalisations institutionnelles et évolutions tendancielles (1924-1936)
50Les études de Watson, Talbott et Prost ont insisté sur le peu d’ampleur des évolutions concernant l’organisation de l’enseignement public au cours de cette période. Cette interprétation reflète sans doute excessivement le point de vue des partisans d’une réforme institutionnelle d’ensemble, qui concevaient celle-ci comme l’application d’une loi d’organisation définissant les relations entre les diverses filières d’études et les différentes parties du système scolaire. On sait qu’aucun projet de loi de ce type ne fut voté par le Parlement avant la fin de la IIIe République. Il ne faut cependant pas sous-estimer les conséquences à long terme des mesures prises entre 1924 et 1939 par décrets, arrêtés, ou même préconisées par de simples circulaires : comme le remarquait un inspecteur d’académie de l’époque, les barrières institutionnelles qui s’élevaient entre l’enseignement primaire supérieur et l’enseignement secondaire s’effacent progressivement au cours de la période75. Plus clairement encore apparaissent sur le terrain les signes d’un prochain abandon de la formule de l’enseignement primaire supérieur.
51Un aspect majeur de cette évolution est largement extérieur aux projets de réformes : il réside dans la transformation de la carte scolaire en cours depuis le début du siècle, qui se traduit par la création d’EPS annexées à des établissements secondaires et par le dépérissement corrélatif d’une partie des EPS indépendantes de petites villes. Cette évolution s’effectue sans transformation réglementaire notable jusqu’au XIIIe décret-loi du 1er octobre 1926. L’objet principal de ce décret, signé par Herriot, est l’annexion d’établissements techniques à des établissements secondaires ou primaires supérieurs, et vice versa. Son importance symbolique ne doit pas être sous-estimée, car c’est la première fois qu’est officialisée la création d’établissements juxtaposant dans les mêmes locaux et sous la même direction les différentes filières d’enseignement prolongé : les annexions précédentes, parfois recommandées par circulaire, relevaient de décisions prises cas par cas76. Le décret-loi prévoit également une définition des horaires et des programmes pour les enseignements communs aux trois filières.
52Dès le milieu des années vingt, du fait des annexions antérieures, il existe de nombreux établissements où sont organisées en parallèle les premières classes de l’enseignement secondaire et les classes d’enseignement primaire supérieur. Les mesures d’économies liées à la situation budgétaire et à l’effondrement des effectifs dans les établissements secondaires, consécutif à la dénatalité des années de guerre, entraînent, dans un premier temps, « l’amalgame » pour les matières principales (c’est-à-dire la réunion dans les mêmes classes des élèves secondaires et des élèves primaires supérieurs).
Les enseignements concernés sont notamment le français, l’arithmétique et l’algèbre, les langues vivantes, les sciences naturelles, la géographie. Un arrêté définit les horaires et les programmes suivis dans les classes regroupées. On peut penser que sa valeur fut surtout indicative, puisqu’il s’appliqua principalement à des établissements à effectifs réduits, où des arrangements à l’intérieur des classes secondaires étaient pratiqués avant même cette réglementation. Au collège de Saint-Amand-les-Eaux, placé sous l’autorité directe du recteur de Lille, Albert Châtelet, l’amalgame fut systématiquement pratiqué et l’établissement fut considéré, à partir de 1926, comme une sorte d’établissement expérimental.
53Cette mesure d’harmonisation des horaires et des programmes et de redéfinition de l’utilisation des enseignants constitue un exemple typique des arrangements de terrain dans lesquels l’administration de l’Instruction publique est experte. Elle déboucha sur l’adoption de la gratuité des études secondaires, une mesure qui, bien que peu coûteuse pour le budget, suscitait d’ardentes oppositions. L’amalgame impliqua en effet d’abord la gratuité des études secondaires dans les classes allant de la sixième à troisième des établissements secondaires où il était pratiqué (loi de finances de 1928) ; puis son extension, par le biais de dispositions également inscrites dans les lois de finances, aux autres classes secondaires des mêmes établissements (1929) ; puis à toutes les classes de sixième (1930) ; à toutes les classes de cinquième et de quatrième (1931 et 1932) ; enfin à toutes les classes secondaires des établissements publics (1933). Ainsi se trouvèrent contournées les oppositions universitaires et politiques à la gratuité de l’enseignement secondaire, notamment celle des catholiques, qui estimaient que la mesure menaçait leurs établissements.
Edouard Herriot fut à l’initiative de l’instauration de la gratuité de l’enseignement secondaire, en tant que ministre de l’Instruction publique du gouvernement d’union nationale présidé par Poincaré, qui succéda à l’échec du Cartel des gauches. Ses intentions ne font pas de doute. Dans un ouvrage publié à la veille de son départ de la direction de l’enseignement secondaire, le directeur de l’enseignement secondaire de l’époque, Francisque Vial, en fonction dans la période concernée et proche d’Herriot, remarque : « Qui serait assez naïf ou partial pour croire qu’Edouard Herriot ne se rendait pas compte que ce premier pas (la décision de créer l’amalgame en 1926) engageait tous les autres ? Sa manœuvre, toute de logique et de loyauté, a été de créer 1 une après l’autre une succession de situations absurdes (...) »77.
54Le rapprochement du primaire supérieur et du secondaire au plan institutionnel passe également par des dispositions concernant les classes élémentaires des lycées et collèges : faute de les supprimer et de transférer leurs élèves dans les écoles primaires, comme le prévoyaient les projets d’école unique, les mesures successives les alignent, sous divers rapports, sur les classes primaires. La première mesure (circulaire du 29 septembre 1924) est présentée comme le prélude d’une réforme d’ensemble par François Albert, le ministre de l’Instruction publique du gouvernement du Cartel des gauches. Elle préconise l’admission à titre gratuit d’élèves dans les classes élémentaires des lycées et collèges, une disposition certainement favorisée par la conjoncture démographique. Plus importants à long terme sont le décret du 12 septembre 1925, qui prévoit que le personnel des classes élémentaire des établissements secondaires sera dorénavant recruté parmi les instituteurs, et l’arrêté du 11 février 1926, qui décide l’identification des programmes de ces classes et des classe primaires correspondantes. Après une première tentative infructueuse, en 1924, pour soumettre le personnel des classes élémentaires des établissements secondaires à l’inspection primaire, cette disposition est mise en œuvre par la circulaire du 5 décembre 1932.
55A ces mesures qui concernent l’étape antérieure aux enseignements post-obligatoires, il faut ajouter celles qui portent sur les bourses pour les enseignements prolongés : par un premier décret du 9 janvier 1925 (remplacé par un autre du 12 février 1926), un concours commun pour les trois filières d’enseignement post-obligatoire est instauré, avec classement sur une même liste des lauréats, qui permet éventuellement un changement ultérieur d’orientation. Cette réorganisation n’a guère de conséquences immédiates sur l’orientation car, même sollicités par l’enseignement secondaire, la plupart des lauréats se dirigent vers les études primaires supérieures et techniques, moins longues, moins coûteuses, et aux résultats moins incertains.
Plusieurs années après l’instauration du concours commun des bourses, les candidats demandant l’enseignement primaire supérieur étaient toujours beaucoup plus nombreux que les candidats aux établissements secondaires et techniques. Par exemple, en 1934, il y eut 35 100 candidats pour l’enseignement primaire supérieur et 8 990 bourses attribuées, contre respectivement 9 894 et 1 984 pour l’enseignement secondaire, 1 927 et 500 pour l’enseignement technique. Les conditions d’attribution effective des bourses, ainsi que leur montant, étaient pourtant favorables au secondaire : en 1934, un boursier reçoit en moyenne 696 F dans une EPS, 950 F dans le secondaire et 625 F dans une EPCI78.
56Un ensemble de mesures concerne les relations entre les diplômes primaire et secondaire. Un décret du 3 août 1926 permet aux bacheliers d’être candidats aux fonctions d’instituteur ; à l’inverse diverses mesures, entre 1924 et 1927, autorisent l’accès aux études supérieures de sciences de certains titulaires du brevet supérieur ; en lettres, l’accès sera réservé aux titulaires des première et deuxième partie du professorat des écoles normales et des écoles primaires supérieures. Un système restrictif s’applique également pour la licence en droit, alors que les études de médecine restent fermées à tous les non-bacheliers.
Ce système d’équivalences concerne principalement les personnels de l’enseignement primaire supérieur, titulaires ou auxiliaires. Les dispositions prises comportent par ailleurs toujours des conditions restrictives : pour les scientifiques, une note minimum à l’épreuve de français et de mathématiques du brevet supérieur est requise ; en lettres, les titulaires du BS, admis, avec équivalence du baccalauréat, à se présenter à certains certificats de licence dont le groupement est considéré comme équivalent à la première partie du professorat des EN et des EPS, ne peuvent passer le quatrième certificat qui leur permettrait d’obtenir le grade de licencié et d’être éventuellement titularisés comme professeurs de l’enseignement primaire supérieur. Cette restriction concernant les lettres reflète la méfiance du Conseil supérieur de l’Instruction publique envers les diplômés primaires, qui l’a conduit à refuser le même système de dispense que pour les sciences. Deux propositions de lois permettant aux titulaires du BS de s’inscrire au quatrième certificat de la licence de lettres seront déposées en 1925 et 1927 à la Chambre des députés, mais n’aboutiront pas79.
57Les mesures concernant les équivalences des diplômes primaires et secondaires s’accompagnent d’un rapprochement de fait entre le personnel des EPS et celui des lycées et collèges, puisque, d’une part, des professeurs des cadres du secondaire continuent d’être nommés comme par le passé dans les EPS parisiennes, que des licenciés sont recrutés dans les EPS, et que, d’autre part, une partie du personnel primaire a acquis des diplômes de licence. On peut mentionner enfin, parmi les mesures qui marquent le rapprochement progressif des enseignements primaire supérieur et secondaire, les dispositions qui concernent le recrutement des instituteurs, prises par le décret du 30 octobre 1935. Ce décret, qui ne sera pas appliqué avant son abrogation en 1936, prévoit l’entrée à l’école normale à 18 ans, et un concours réservé aux titulaires du brevet supérieur et du baccalauréat, la scolarité à l’école normale étant réduite à 2 ans. La mesure, inscrite dans une politique d’économies budgétaires, aurait par ailleurs entraîné l’affectation d’une partie des professeurs d’écoles normales dans les EPS. La réaction des personnels de l’enseignement primaire supérieur devant ce décret fut partagée, car s’il portait atteinte à l’une des parties centrales de l’organisation de l’enseignement primaire, il allait aussi dans le sens d’une extension de la préparation du BS dans les EPS, et attribuait à celles-ci un quasi-monopole sur cette préparation ; il pouvait par ailleurs faciliter la reconnaissance d’une complète équivalence entre le baccalauréat et le BS pour l’entrée dans les facultés.
58A l’exception de cette réforme avortée des écoles normales, aucune nouvelle disposition significative visant à rapprocher les enseignements primaire supérieur et secondaire ne fut adoptée entre 1932 et 1936. Au contraire, c’est un rapprochement avec l’enseignement technique que semblait devoir préparer en 1934 une « Commission ministérielle de coordination des établissements d’enseignement professionnel » chargée d’harmoniser les enseignements primaire supérieur et technique. Différentes mesures furent envisagées : fondre dans un nouveau type d’école les EPS et les EPCI ; créer une direction de l’enseignement technique plus large, à laquelle auraient été rattachées les EPS. Une disposition inscrite dans le décret-loi du 5 juin 1934, qui, toujours avec la justification d’économies budgétaires, impose la transformation des sections techniques des EPS en écoles pratiques du commerce et d’industrie annexées, semble anticiper sur cette évolution, en faisant peser une nouvelle menace de démembrement sur les EPS. Le même texte prévoit la création de sections d’enseignement professionnel dans les cours complémentaires, ce qui suggère que parmi les économies envisagées figure la non-création d’EPS et d’EPCI, compensée par la création de CC. Une autre disposition laissait prévoir l’abandon des programmes des sections techniques des EPS au profit des programmes des EPCI, et elle fut interprétée par le personnel des EPS comme une première étape dans la voie de la suppression de la formule originale des l’enseignement primaire supérieur.
59A la veille du succès électoral du Front populaire, la situation des EPS apparaît donc précaire, et leur avenir incertain : certes les effectifs sont alors au plus haut, les candidats à ces études plus nombreux que les places disponibles, mais la situation matérielle des établissements est médiocre, les soutiens politiques font défaut, comme si l’enseignement primaire supérieur ne parvenait plus à obtenir reconnaissance de sa définition comme collège du peuple. Au contraire les défenseurs du secondaire sont nombreux et actifs, y compris parmi les parlementaires des partis de gauche et d’extrême-gauche.
La période est, comme on le sait, marquée par des restrictions budgétaires. Celles-ci ont plus sévèrement touché les EPS que les établissements secondaires. Si on laisse de côté les transformations d’emplois qui résultent de mesures catégorielles, 47 emplois de professeurs et de chefs d’établissements sont créés en 1931 dans les EPS, contre une vingtaine dans les établissements secondaires. L’année suivante, il n’y a sans doute aucune création dans les EPS, contre 93 dans les établissements secondaires. En 1933, 1934 et 1935, il y a 58, 47 et 66 créations dans les EPS contre plus de 100, 251 et plus de 50 dans le secondaire80. Mais les suppressions imposées par les mesures d’économies budgétaires de 1934 ont entraîné par ailleurs la fermeture de 9 EPS et la suppression de 56 emplois, alors que 4 collèges de garçons seulement et un collège de filles furent supprimés, ainsi que 73 postes de professeurs ou d’administrateurs dans le secondaire, qui a donc été davantage épargné81. L’afflux des élèves dans les EPS - 25 000 de plus environ entre 1930 et 1936, soit un quart des effectifs totaux de 1936 - se traduit par de nombreuses classes à effectif pléthorique et impose des réductions d’horaires, alors que, par ailleurs, les crédits pour le matériel sont supprimés depuis 1932. La situation des établissements secondaires semble un peu meilleure sur le plan des capacités d’accueil, sauf dans les lycées des grandes villes, également surchargés.
La médiocrité des dotations budgétaires n’est pas le seul indice de l’intérêt faiblissant des milieux politiques pour les EPS et du fait que la signification sociale de cette forme d’enseignement se brouille. L’un des dirigeants du syndicat du personnel des EPS remarque en 1936 : « Je me rappelle le mal que nous avons eu à quelques membres du bureau à expliquer au chef de cabinet d’un ministre de l’éducation nationale, ce que nous étions au juste ; il n’avait jamais entendu parler de nous, de nos 100 000 élèves (...). Il nous est arrivé de faire le même travail pour tel rapporteur parlementaire »82. Au Parlement, il existait certes une sorte de groupe de députés « amis » de l’enseignement primaire supérieur, mais aucun d’entre eux ne joue un rôle de premier plan avant 1936. En 1934, c’est sur Jean Zay (qui ne semble pas faire partie de ce groupe) que compte le syndicat des EPS pour défendre ses intérêts à la Chambre : il apparut vite que celui-ci n’était pas univoquement acquis à la défense des intérêts spécifiques des EPS. En 1936, c’est le député communiste Georges Cogniot, rapporteur du budget de l’enseignement, qui n’était pas répertorié parmi les soutiens des EPS, que le syndicat du personnel des EPS considérera comme son plus efficace défenseur, lui reconnaissant le mérite d’avoir obtenu des crédits supplémentaires pour les EPS et de « nous avoir défendus comme nous ne l’avions jamais été »83.
Les premières relations avec le gouvernement du Front Populaire confirment l’importance limitée accordée aux EPS : Jean Zay omit au départ de nommer un membre de son cabinet pour faire la liaison avec l’enseignement primaire supérieur, comme il le fit pour le primaire élémentaire et pour le secondaire. La dotation supplémentaire accordée par le collectif budgétaire de 1936 favorisa encore nettement le secondaire et le primaire élémentaire par rapport aux EPS, qui ne bénéficièrent que plus tard d’une dotation complémentaire, d’ailleurs réduite (265 000 F et 111 postes, contre plus de 6 000 000 F et 796 postes pour le secondaire). Un certain équilibre ne fut retrouvé que par l’action syndicale auprès des parlementaires.
Les réformes du Front Populaire
60Les réformes esquissées par Zay constituent une nouvelle étape importante du rapprochement des EPS et de l’enseignement secondaire. L’une de ses principales mesures fut la réorganisation administrative du ministère de l’Education nationale, figurant dans le projet de statut organique adopté par la CGT en 1931, dont Zay s’inspira expressément (décret du 1er juin 1937). Les EPS furent détachées de la direction de l’enseignement primaire pour être rattachées à une direction du second degré, dont dépendaient également les lycées et collèges, alors que la direction de l’enseignement technique restait intacte. Le changement d’appellation - « direction du second degré » substitué à « direction de l’enseignement secondaire » - symbolise le remplacement de l’organisation scolaire en ordres juxtaposés par une organisation horizontale, dont le principe est l’étape dans les cursus et l’âge des élèves, sur le modèle esquissé par Condorcet puis par le projet Buisson de 1910.
Cette réforme administrative rencontrait les vœux du personnel des EPS, qui réclamait depuis plusieurs années de ne plus dépendre de la direction de l’enseignement primaire, et qui était par ailleurs inquiet du projet de création, mentionné plus haut, d’une direction de l’enseignement professionnel et technique où les EPS se seraient retrouvées à côté des EPCI. La revendication d’une séparation d’avec l’enseignement primaire traduisait l’espoir d’une promotion collective, avec l’alignement des rémunérations sur celles des professeurs de collèges ; accessoirement elle permettait d’échapper à la tutelle des inspecteurs primaires, que des conflits d’autorité et des querelles de préséance opposaient fréquemment aux directeurs d’EPS. Il faut ajouter le souci d’une séparation plus nette d’avec les CC, dont la concurrence inquiète de nombreuses EPS depuis les années trente. La satisfaction devant les perspectives ouvertes en 1936 est rapportée a posteriori avec nostalgie par l’un des dirigeants du syndicat des personnels des EPS, quand la réalisation d’une réforme d’ensemble s’éloigna : « Personne n’avait salué avec plus de joie que nous le dépôt d’un projet de loi sur la Réforme de l’enseignement. Nous y voyions d’abord notre libération d’avec la direction de l’enseignement primaire où nous étions retenus comme des captifs, ligotés par des textes qui entravaient notre développement, méconnus dans nos titres, dans notre enseignement, notre valeur sociale parce que nous portions en nous la tare de notre fonction, aussi ineffaçable que le péché originel »84.
61Zay entreprit également un nouveau rapprochement des programmes des EPS et des établissements secondaires. Cette question était liée au problème de l’organisation de l’orientation, qui constituait, au plan pédagogique, l’idée centrale de la réforme de Zay. Il s’agissait d’organiser et de canaliser la répartition des candidats aux études prolongées entre les différentes formes d’enseignement, dans une période où leur nombre apparaissait supérieur aux places disponibles. La réforme ne visait donc pas à favoriser une expansion significative de la scolarisation, même si elle ne prétendait pas empêcher le développement en cours.
Les intentions de Zay et de son entourage sur cette question sont explicitées dans une note de l’un de ses plus proches collaborateurs, Gustave Monod : « si le projet de loi a pris la formule précise que vous lui voyez, c’est que l’institution scolaire se trouve affectée par un phénomène nouveau dont l’ampleur va en s’accentuant et auquel elle est insuffisamment adaptée : je veux parler de l’augmentation massive des effectifs dans les établissements du second degré au cours des dernières années, et corrélativement de la répartition désordonnée de ces effectifs à travers les sections du second degré. Il y a là un fait qui n’est pas seulement français, (...) et il a provoqué dans presque tous les pays des réformes de structures (...) dont l’intention est la même : s’efforcer d’adapter l’institution scolaire aux besoins sociaux, parer au chômage des intellectuels en ralentissant la poussée vers les professions libérales, en répartissant cette poussée vers les diverses sources d’activité sociale ». Après avoir mis en évidence la montée des effectifs dans le secondaire et suggéré que celle-ci renvoie sans doute à un « état de civilisation », Monod affirme que « de ce point de vue un pareil mouvement est sain. On peut essayer de le contrôler et de le canaliser. On ne saurait le combattre ». Il relève ensuite ce qui lui apparaît comme un paradoxe : les EPS parisiennes sont plus sélectives que les établissements secondaires, tandis que le niveau des études classiques est menacé par l’afflux de candidats. Il en tire la conséquence qu’il faut améliorer par l’orientation le recrutement de la section moderne pour éviter que celle-ci joue le rôle de « dépotoir »85.
Les indications contenues dans les carnets rédigés par Jean Zay en prison confirment cette interprétation. Zay revient à plusieurs reprises sur les intentions de sa réforme, réagissant notamment aux décisions prises à la même époque par Carcopino (voir infra). Il y affirme l’objectif de « rendre à l’enseignement secondaire son caractère d’enseignement de culture » insiste sur l’importance de l’orientation, absente des réformes de son successeur et « seul remède à l’envahissement des études secondaire ». Il insiste aussi sur la partie de son projet, réalisée par un décret-loi de mai 1938, qui devait mettre en place pour « la masse des adolescents qui quittent l’école au plus tôt » l’apprentissage obligatoire de 14 à 17 ans (on reconnaît dans cette mesure la postérité immédiate de Buisson). Aucune des remarques de Zay ne suggère qu’il ait envisagé une augmentation massive de la scolarisation prolongée, se plaçant donc très en retrait des projets antérieurs de Lapie86.
62La création, à titre expérimental, des « classes d’orientation », destinées à orienter sur la base de la réussite scolaire, des élèves entre les trois filières d’études post-obligatoires, s’accompagna d’une harmonisation partielle des programmes de l’enseignement primaire supérieur, de l’enseignement technique et de l’enseignement secondaire (décret du 21 mai 1937 et arrêté du 11 avril 1938). Toutes les classes, de l’année préparatoire à la 3e année d’EPS et de la 6e à la 3e furent concernées par ces dispositions, qui visaient également à « permettre en cours d’études le passage d’une section à l’autre ». Ces décisions suscitèrent peu de réactions négatives de la part des personnels des EPS, même si certains évoquèrent avec nostalgie la définition antérieure de l’enseignement primaire supérieur87.
La réforme organisa la mise en parallèle des « années préparatoires » des EPS avec la classe de sixième, de la première année d’EPS avec la classe de cinquième, et ainsi de suite. En ce qui concerne les programmes, les aménagements ne semblent pas avoir soulevé de grandes difficultés dans les commissions spécialisées chargées de leur mise au point. Un rapport d’un membre de la commission de français remarque : « La confrontation des programmes actuels accusait de telles divergences entre les lycées et les écoles pratiques que la tâche s’annonçait ardue. En réalité elle fut aisée : de part et d’autre le même esprit de compréhension et de conciliation facilita les rapprochements, et le programme des EPS, en position intermédiaire, fournit souvent des possibilités d’accord ». De même, pour les mathématiques, le rapport note que « l’accord fut très facile à obtenir ». Ce fut, une fois encore, l’enseignement des langues qui suscita le plus de difficultés, car il était nettement plus développé dans les établissements secondaires que dans les EPS88.
63Le projet de loi sur l’organisation des enseignements des premier et second degrés, que Zay présenta le 5 mars 1937, butait cependant sur la place de l’enseignement primaire supérieur. Ce projet prévoyait, à la fin du cycle de l’enseignement primaire élémentaire, un cycle complémentaire d’enseignement général et d’initiation professionnelle, obligatoire jusqu’à 14 ans pour tous ceux qui n’entrent pas dans le second degré (et qui devaient suivre par la suite des enseignements post-scolaires). L’enseignement du second degré, après une première année d’orientation, devait être donné dans trois sections - classique, moderne et technique-, conduisant chacune à un examen en fin de quatrième année ; seules les sections classique et moderne comportaient une seconde période de trois ans menant au baccalauréat89. Mais la manière d’insérer la filière des EPS dans l’architecture des sections nouvelles semble avoir posé un problème qui reste sans solution dans le projet déposé.
Une « étude du projet de loi », datée de 1938 et signée d’Albert Châtelet - le directeur de l’enseignement du second degré choisi par Zay, et l’un de ses conseillers - s’arrête longuement sur l’article 10 concernant les sections90. Châtelet considère que la section moderne mêlera en fait des élèves qui achèveront leurs études secondaires à des élèves « désireux de ne pas poursuivre au delà de 15 ans (...) (qui) ont besoin d’un enseignement plus pratique (...) permettant d’aborder en particulier les carrières administratives » - bref, la « clientèle actuellement recueillie en majorité par les EPS ». Et il s’interroge sur l’opportunité d’ajouter, pour cette clientèle, une section « spéciale », ce qui poserait toutefois un dilemme : compromettre le recrutement de la section moderne, si le choix est fait dès l’entrée en sixième, ou favoriser le bachotage de tous, si les élèves des deux sections restent mélangés mais qu’un diplôme spécial est institué en fin de troisième.
64L’avenir des cours complémentaires est une autre question essentielle qui n’était pas réglée dans les projets de réformes de Zay91. Le syndicat des personnels des EPS réclamait la transformation des CC à effectifs importants en EPS, et espérait que les autres CC seraient cantonnés dans un enseignement complémentaire ne débouchant pas sur l’enseignement du second degré. L’association des personnels des cours complémentaires, après certaines hésitations qui renvoient à l’appartenance de ses membres au corps des instituteurs, réclamait la reconnaissance de l’enseignement des CC comme enseignement du second degré, mais aussi le maintien du rattachement de leur personnel au corps des instituteurs et la reconnaissance que leur méthode pédagogique relevait du premier degré. Aucune décision ne fut prise, et Jean Zay semblait envisager en 1937 de laisser le Parlement trancher. Un peu plus tard, en 1938, l’éventualité d’un avenir différencié des CC en fonction de leur taille fut évoquée : les CC les plus importants auraient été transformés en EPS, alors que les autres auraient donné « l’enseignement complémentaire » prévu par le projet. Après l’éclatement du Front Populaire, la discussion du projet de Zay fut abandonnée, et la question de la place et de l’avenir des CC n’était donc toujours pas résolue en 1940.
Les CC se trouvaient, en 1936, dans une situation d’indétermination un peu comparable à celle des EPS en 1880 : incités par différentes dispositions institutionnelles, après 1934, à développer des enseignements à caractère technique, ils se trouvent à l’intersection des trois nouvelles directions créées en 1937. De plus, la prolongation de la scolarisation et l’éventualité du développement d’un enseignement post scolaire pouvaient leur faire espérer une nouvelle place dans l’organisation d’ensemble de l’éducation nationale. D’un autre côté, les projets de réforme des écoles normales et l’éventualité du remplacement du BS par le baccalauréat menace leur place antérieure de préparation à ces écoles. Zay chercha visiblement à se concilier le personnel des CC, en participant au congrès de leur association professionnelle, en affirmant à plusieurs reprises que « la Réforme ne porterait en rien atteinte au rôle et à la fonction des CC », et en assurant qu’ils « continueraient à puiser leurs programmes dans les programmes harmonisés des EPS et à préparer au BE et à l’école normale »92. Moins que le personnel des EPS, le personnel des CC invoque l’argument des mérites pédagogiques ou culturels de la formule d’enseignement de leurs établissements : ce qui est mis en avant, c’est le faible coût financier, l’impossibilité de créer suffisamment d’établissements mieux dotés pour assurer la scolarisation prolongée des enfants dans les zones rurales, l’importance du recrutement populaire qu’ils assurent aux écoles normales93 ; mais le personnel reconnaît lui-même, à l’occasion, qu’il s’agit d’un « enseignement de deuxième zone pour les enfants du peuple »94. Les mérites culturels supérieurs des autres établissements sont également parfois reconnus : « Mais le contact des élèves avec 4 ou 5 professeurs spécialisés, cultivés (...) affine davantage l’intelligence, ouvre largement l’esprit. Si la préparation aux examens est moins au point peut-être, la culture vraie est plus profonde »95.
65Les évolutions en cours entre 1936 et 1940 ne peuvent donc être interprétées comme les premières réalisations d’une école unique qui aurait été également l’héritière de l’enseignement primaire supérieur et de l’enseignement secondaire. Le fait de laisser de côté la question de la place des CC, et aussi la substitution du baccalauréat au brevet supérieur, montrent que c’est la formule de l’enseignement primaire supérieur qui est en cours d’abandon pour les EPS : une partie du personnel le déplora mais, d’un autre côté, la majorité se félicita de la promotion collective que constituait le rattachement à l’enseignement du second degré. Cette évolution fut confirmée dans les années suivantes. Les nécessités liées à la guerre, qui mobilisait une partie du personnel masculin, entraînèrent en effet un nouveau rapprochement entre les EPS et l’enseignement secondaire, avec la création de sections d’études classiques dans un certain nombre d’EPS. L’étape suivante fut franchie à l’occasion de la réforme Carcopino du 15 août 1941.
Dans son plaidoyer postérieur où il se crédite d’avoir réalisé « tout ce qu’il y avait de raisonnable dans les revendications de l’école unique » (c’est-à-dire une sélection des élèves primaires avant leur entrée dans les établissements secondaires), Carcopino fait apparaître que son objectif était la disparition d’un enseignement auquel il ne reconnaît aucune spécificité particulière : « La réforme de 1941 a délivré les élèves de l’équivoque où leur labeur ne trouvait jusqu’ici qu’un emploi restreint et que de médiocres satisfactions. Elle les a placés en face d’une option grave mais décisive. S’ils avaient le courage de la prononcer à temps, ils éviteraient et les désenchantements des vocations rebelles, et les aigreurs des carrières manquées. C’était à chacun de s’interroger loyalement, de sonder ses aptitudes et de prévoir les conséquences de ses engagements : s’il était tenté d'approfondir sa culture générale, il devait y mettre le prix et parcourir au moins le premier des deux cycles de l’enseignement secondaire (...) ; si au contraire il se sentait attiré vers la précision d’un métier, il lui faudrait se tourner tout de suite vers la technicité industrielle ou commerciale et, sans abandonner les études désintéressées, pousser énergiquement l’apprentissage correspondant »96. L’autre objectif institutionnel à l’arrière-plan de cette décision était le renforcement des établissements secondaires, et plus précisément celui de l’enseignement classique puisque les lycées y furent exclusivement consacrées, et que d’ailleurs, la suppression complète de l’enseignement secondaire moderne avait des partisans à Vichy.
66Les EPS furent ainsi transformées en établissements secondaires de deuxième rang, les collèges modernes, préparant à la seule première partie du baccalauréat, alors que, par ailleurs, les EPCI devinrent des collèges techniques. Cette réforme s’inscrivait aussi dans la logique des évolutions antérieures : elle mettait fin aux diversités locales arbitraires de l’offre d’études prolongées par les trois types d’établissements scolaire, que Carcopino relève, après d’autres, en les qualifiant « d’incohérence organique ». Il faut souligner, là encore, que le cas des cours complémentaires ne fut pas tranché, ni même sans doute examiné. Le gouvernement de la Libération ratifia la transformation du nom et du statut des EPS, puis décida la création d’une section du baccalauréat spécifiquement destinée aux élèves de ces établissements (qui s’accompagna de la suppression du brevet supérieur). Mais les deux principales conséquences de la mesure ne furent certainement pas celles qu’avait visées Carcopino : la création des collèges modernes entraîna une sensible démocratisation du recrutement de l’enseignement secondaire : la proportion des fils de cultivateurs, ouvriers d’industrie, artisans, dans les établissements secondaires publics passa ainsi de 8,7 % en 1936 à 32,5 % en 1943, après l’intégration des ex-EPS dans le champ de l’enquête97. Elle laissa par ailleurs une place disponible pour le nouveau développement des CC qui s’accomplit sous la IVe République. Ces établissements, après une période d’incertitude correspondant à l’éventualité de la réforme d’ensemble préparée par la Commission Langevin, furent réorganisés sur la base de quatre années d’études et héritèrent ainsi d’une partie du recrutement et des débouchés des EPS.
Conclusion
67Un fait ne ressort qu’implicitement de cette analyse : les débats sur l’école unique portent essentiellement sur les enseignements masculins. A de rares allusions près, les argumentations laissent de côté ce qu’il pouvait y avoir de spécifique dans le cas des enseignements féminins. Cette occultation a certainement été favorisée par l’absence de problèmes de recrutement qui caractérise tous les types d’établissements féminins après 1900. Elle ne traduit d’ailleurs pas un désintérêt complet : il est clair, après 1920, - Lapie l’affirme d’ailleurs ouvertement, tout comme plus tard le projet de statut organique adopté par la CGT - que toutes les dispositions adoptées pour les garçons seront appliquées, avec les aménagements nécessaires, au cas des filles. On peut donc conclure que la réorganisation de l’enseignement secondaire féminin sur le modèle masculin étant acceptée, il n’y a, dès cette époque, plus d’autre politique scolaire que l'assimilation toujours plus complète de chaque type d’enseignement féminin avec l’enseignement masculin correspondant.
68L’examen parallèle des changements de conceptions et des transformations sur le terrain a mis en évidence les interactions entre des facteurs aussi hétérogènes que les contraintes du fonctionnement institutionnel, les caractéristiques des conjonctures démographiques et socio-politiques, les alliances électorales, la place des intérêts catégoriels des personnels en place. L’évolution qui conduisit les EPS à s’intégrer dans l’enseignement secondaire a ainsi été largement réalisée sur le terrain (y compris le terrain de l’action gouvernementale discrète et des mesures administratives diverses), à l’écart des controverses publiques.
69Il faut, par ailleurs, nuancer les interprétations qui insistent sur l’incapacité de la IIIe République finissante à réaliser une réforme scolaire. De telles interprétations constituent des visions rétrospectives, qui partent du point d’aboutissement que constituent le contexte social et les réformes de l’organisation scolaire réalisées dans les quinze premières années de la Ve République, auxquelles elles comparent les évolutions des quarante années précédentes. Mais une autre lecture est également féconde : celle qui considère les évolutions dans leur continuité temporelle, et met l’ensemble des projets de Zay en relation avec ceux que défendait Ruisson au début du siècle. Les aspects frappants sont alors la difficulté à aboutir à une extension effective de la scolarisation obligatoire, et, à la suite de celle-ci, à l’organisation d’enseignements post-scolaires à caractère technique. Ce n’est pas seulement la volonté politique au niveau national et les moyens financiers qui font défaut : les collectivités locales n’ont pas soutenu ces projets et une large part des populations concernées (jeunes travailleurs et employeurs) semble réticente. Dans cette perspective, on voit que la question de la réorganisation des enseignements prolongés n’est qu’un aspect du problème beaucoup plus large du développement de la scolarisation, et que la possibilité d’une très large extension n’est, ni en 1900, ni en 1936, d’actualité immédiate.
70Les interprétations rétrospectives des réformes et projets de réformes de la IIIe République pèchent aussi, en général, par une conception schématique de celles-ci. Elles sous-estiment l’importance des institutions scolaires, en tant que contexte par rapport auquel sont définis effectivement les projets de réformes, et négligent ainsi le processus de redéfinition des relations entre les enseignements primaire supérieur et secondaire qui est en cours depuis 1900. Enfin, elles méconnaissent la temporalité propre à un processus de réforme scolaire. Les analyses précédentes ont fait apparaître que l’évolution institutionnelle inscrite dans les mesures mineures permettant le passage entre l’enseignement primaire supérieur et Renseignement secondaire des élèves et des enseignants, ruinait à terme la possibilité de défendre l’altérité radicale des deux enseignements. Elle ne pouvait conduire qu’à une redéfinition complète des formes d’enseignement prolongé, ou à la fusion des EPS dans le cadre des établissements secondaires. La lenteur du processus, qui a frappé tant d’observateurs des débats scolaires de l’entre-deux-guerres, ne doit pas surprendre. Les délais pour la mise en place des premières réalisations sont du même ordre de grandeur que ceux qui furent nécessaires pour la création de cet enseignement prolongé pour classes moyennes que visait à être l’enseignement primaire supérieur ; ils sont également comparables aux délais écoulés entre les premiers débats sur l’obligation scolaire et la gratuité du primaire, et leur réalisation par la IIIe République ; ou encore aux délais entre le début des débats sur la création d’enseignements destinés à pallier à la « crise de l’apprentissage » et les premières réalisations d’envergure visant à former une main d’œuvre ouvrière dans l’institution scolaire. En bref, ce sont les délais ordinaires - de l’ordre d’un demi-siècle - pour la réalisation des réformes scolaires d’une certaine ampleur dans la France du XIXe et du XXe siècle.
71Le rapprochement de ces différents cas suggère quelques caractéristiques que l’on retrouverait sans doute dans le processus de développement d’autres mouvements sociaux de longue durée. Une première étape correspond à une longue campagne pour imposer la définition de la situation qui justifie la nécessité de la réforme institutionnelle proposée. Une seconde étape correspond à la redéfinition des objectifs justifiant la réforme : il s’agit alors de convaincre, sinon les adversaires, du moins les indécis, que ce qui passait pour une utopie irréalisable ou dangereuse pour l’ordre social, constitue une simple réorganisation présentant avant tout des avantages « techniques » externes et internes (recruter une élite dans une population plus large ; éviter les cloisonnements et des doubles emplois coûteux, etc.). Au cours de cette seconde étape prennent place des controverses et compromis préalables à une réalisation qui lésera nécessairement certains intérêts catégoriels, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’institution. Des dispositions réglementaires de faible ampleur peuvent être alors adoptées, qui orientent dans le sens de la réforme les évolutions institutionnelles en cours. Par ailleurs ces compromis ou les premières réalisations déçoivent une partie des partisans des réformes. Enfin, la troisième étape est celle où la réorganisation d’ensemble de l’institution est décidée et accomplie (on n’a donné ici que l’exemple des réformes des années 1880, mais les réformes de 1959-1975, en fourniraient un autre) ; cette étape correspond à une conjoncture politique où un changement de l’équilibre des forces en présence permet de négliger les intérêts catégoriels et de passer outre aux intérêts sociaux plus diffus des partisans du statu quo.
Notes de bas de page
1 Rapport au Président de la République sur renseignement primaire supérieur, 29 octobre 1881.
2 Ce sommaire est reproduit dans la Revue universitaire, tome 10, no 1, 1901, p. 1-8.
3 Revue internationale de l’enseignement, 15 octobre 1886, vol 12, no 4, p. 353-360.
4 AD Nord 2 T 1372.
5 Octave Gréard : L’enseignement secondaire spécial. Mémoire présenté au conseil académique de Paris dans la séance du 22 juin 1881, Paris, 1881, Delalain.
6 Inauguration des nouveaux bâtiments de l’école municipale J.-B. Say, le vendredi 30 mars 1900, Paris, 1900, Société française d’éditeurs d’art, 48 p. (brochure conservée à la bibliothèque de l’INRP).
7 Voir par exemple dans le Bulletin universitaire de l’enseignement secondaire, no 6, 15 juin 1891, p. 195, la remarque d’un professeur agrégé qui a « fait (lui-même) bachelier en dix mois un élève d’école primaire ».
8 Nous établissons cette statistique à partir des données de l'Enquête sur renseignement secondaire, Procès verbaux des dépositions, Journal Officiel, Documents parlementaires, Chambre des Députés, no 866. Annexe au procès verbal de la 2e séance du 28 mars 1899, tome 3, p. 110-121.
9 Revue de l’enseignement secondaire et supérieur, 1891, 2, p. 133.
10 « Au sujet du recrutement des établissements de l’Etat », Revue pédagogique, 15 janvier 1893, tome 22, no 1, p. 22-24.
11 Revue pédagogique, 15 février 1893, tome 22, no 2, p. 131-133.
12 Ce tableau figure en annexe de l’ouvrage d’Alexis Bertrand : « L’égalité devant l’instruction », Cahiers de la Quinzaine, 2e cahier de la 6e série, octobre 1904.
13 R. Périé : « Trois consultations sur l’enseignement secondaire », Revue pédagogique, 15 novembre 1902, tome 41, no 11, p. 412-426.
14 Voir Pierre-Olivier Lapie : Paul Lapie. Une vie, une œuvre, Paris, s.d. (1937), Editions Sudel, p. 116 ; Paul Lapie : Pédagogie française, Paris, Alcan, 1920, p. 96-130.
15 Voir par exemple Alfred Fouillée : Les études classiques et la démocratie, Paris, 1898, Armand Colin, p. 35, 53 sq.
16 Voir la déposition de Buisson devant la Commission d’enquête de 1899 citée infra, ainsi que Ch. V. Langlois : « La question de l’enseignement secondaire en France et à l’étranger », Revue de Paris, 1er janvier 1900, p. 113-152 ; 15 janvier 1900, p. 353-382.
17 Victor Bonnaric : « Enseignement moderne et enseignement primaire supérieur. D’après un livre récent de M. A. Fouillée », Revue pédagogique, 15 mai 1899, tome 34, no 5, p. 407-413, voir p. 411. Le même thème se trouve sous la plume d’un autre inspecteur d’académie, Henri Doliveux : « L’enseignement primaire supérieur d’après l’enquête sur l’enseignement secondaire », Revue pédagogique, 15 mai 1900, tome 36, no 5, p. 401-42 (voir p. 405).
18 « Avis de J. Simyan sur le projet de loi en vue de l’amélioration des traitements du personnel de l’Instruction publique », Journal officiel, Documents parlementaires, Chambre des députés, annexe no 640, 2e séance du 1er juillet 1919, p. 2051. La statistique est fournie dans un témoignage de Paul Lapie.
19 Voir sur ce point le témoignage de Georges Leygues : L’Ecole et la vie, Paris, 1903, Calmann-Lévy, p. 191.
20 Voir Henri Hatzfeld : Du paupérisme à la sécurité sociale, Paris, A. Colin, 1971, p. 56-64, 268-281 ; Marie-Geneviève Dezès : « Participation et démocratie sociale », Le mouvement social, 1974, no 87 (avril-juin), p. 109-136.
21 Les projets de réformes du système scolaire français avant 1914 ont été étudiés par D. R. Watson (« The Politics of Educational Reform in France during the Third Republic (1900-1940) », Past and Present, 1966 (July), no 34, p. 82-99), qui s’intéresse surtout à l’enseignement secondaire, ainsi que par Jacques Gavoille, dont l’analyse est centrée sur l’enseignement primaire élémentaire (« L’obligation scolaire un quart de siècle après Jules Ferry : le législateur face aux réalités », in Willem Frijhoff (sous la direction de) : L’offre d’école, Paris, 1983, Publications de la Sorbonne/INRP, p. 341-356). Deux autres analyses ont été consacrées à la période suivante : John E. Talbott : The Politics of Educational Reform in France, 1918-1940, Princeton, 1969, Princeton University Press ; Antoine Prost : Histoire de l’enseignement en France (1800-1967), Paris, 1968, Armand Colin, p. 406-411. Voir également la controverse entre Watson et Talbott in Past and Present, April 1967, no 36, p. 126-137. Nous avons ici principalement développé les points laissés dans l’ombre par ces études antérieures : notamment l’incidence des réformes envisagées sur l’enseignement primaire supérieur et leur signification par rapport à l’état institutionnel de l’enseignement public, la continuité entre les projets antérieurs et postérieurs à 1914, la dialectique entre les débats et les réalisations institutionnelles.
22 Enquête sur l’enseignement secondaire, Journal Officiel, Documents parlementaires, Chambre des Députés, no 866. Annexe au procès-verbal de la 2e séance du 28 mars 1899, tome 1, p. 435-444.
23 Voir, par exemple, les nombreuses chroniques et anecdotes sur les relations entre personnel primaire et secondaire dans la Revue de l’enseignement primaire en 1905.
24 Jean Jaurès : Action socialiste, Première série, Le socialisme et l’enseignement, Paris, 1899, G. Bellais (voir notamment p. 29 et 32).
25 Georges Renard (avec la collaboration d’Aimé Berthod, Georges Fréalle, Adolphe Landry, Paul Mantoux, François Simiand) : Le socialisme à l’œuvre. Ce qu’on a fait. Ce qu’on peut faire, Paris, 1907, Cornély.
26 Voir le recueil des articles d’Albert Thierry parus entre 1909 et 1912 : Réflexions sur l’éducation, suivies des Nouvelles de Vosves, Paris, 1923, Librairie du travail (notamment p. 143).
27 Hubert Lagardelle : Le Socialisme ouvrier, Paris, 1911, Giard et Brière, p. 127-132.
28 L’égalité des enfants devant l’instruction, Paris, 1902, Imprimerie spéciale de La Semeuse, 16 p.
29 Proposition de loi déposée devant la Chambre des députés le 6 juillet 1909, Session ordinaire de 1909, Annexe no 2655, p. 2447-2453. Nous avons trouvé trace d’une proposition antérieure, qui n’est à peu près jamais évoquée par la suite, signée par un obscur député radical de l’Yonne, Henri Hervieu : « Proposition de loi tendant à instituer l’instruction intégrale par voie de concours », no 830, déposée le 11 juillet 1890. Cette proposition ne semble pas avoir été par la suite imprimée.
30 Alexis Bertrand : « La gratuité dans l’enseignement secondaire », in L’égalité devant l’instruction, Cahiers de la Quinzaine, 2e cahier de la 6e série, octobre 1904, p. 7-53. Le même auteur avait proposé antérieurement un plan quelque peu nébuleux de réforme de l’enseignement en traitant comme une évidence le fait que le public de l’enseignement secondaire est « bourgeois » : Alexis Bertrand : L’enseignement intégral, Paris 1898, Alcan.
31 Proposition de loi du 3 novembre 1905, déposée de nouveau, le 3 juillet 1906, Journal Officiel, Documents parlementaires, Chambre des députés, annexe no 189, p. 743-745.
32 Bulletin de la Ligue Française de l’Enseignement, oct.-nov. 1906, p. 551-564. Thalamas avait déjà fait antérieurement un rapport sur le même sujet devant un Congrès radical. Thalamas (né en 1867) était un « promu » de l’école : il avait poursuivi des études en exerçant les fonctions de répétiteur, avant d’être brillamment reçu à l’agrégation.
33 Les deux propositions sont intitulées : « Proposition de loi tendant à établir l’égalité des enfants pour le droit à l’instruction », et portent les numéros 3265, 22 mars 1910, co-signée avec GérardVaret et Bouveri (Journal Officiel, Documents parlementaires, Chambre des députés, session ordinaire de 1910, p. 403-406) et 2465 du 14 janvier 1913, cosignée par Bouveri, Bétoulle, Groussier et DanielVincent (Journal Officiel, Documents parlementaires, Chambre des députés, session ordinaire de 1913, p. 2-7).
34 Voir Jean-Noël Luc, Alain Barbé : Des Normaliens. Histoire de l’école normale supérieure de Saint-Cloud, Paris 1982, Presse de la Fondation nationale des sciences politiques, p. 81-87.
35 « Proposition de loi tendant à compléter la loi du 28 mars 1882 sur l’organisation de l’enseignement primaire obligatoire », déposée le 6 mars 1911, Journal Officiel, Documents parlementaires, Chambre des députés, annexe no 798 p. 188-191. Les intentions du projet sont précisées dans une conférence de Buisson : « L’enseignement professionnel obligatoire », in L’œuvre sociale de la IIIe République, Paris 1912, Giard et Brière, p. 125-153, ainsi que dans son intervention au IIe Congrès international d’éducation populaire, Bulletin de la Ligue de l’enseignement, oct.-déc. 1908, 28e année, no 226, p. 378-383. Sur l’analyse de ce projet, voir Jacques Gavoille, loc. cit.
36 Voir le compte rendu de l’intervention de Buisson (en qualité de commissaire du gouvernement) devant la Chambre des députés dans le Bulletin de la Ligue de l’enseignement, février 1895, 15e année, no 2, p. 36-41.
37 Revue universitaire, 1916, 25e année, tome 2, no 8, p. 164.
38 Journal officiel, Documents parlementaires, Chambre des députés, 13 mars 1917, annexe no 3114, p. 356-361.
39 La première proposition de loi de Rameil figure dans le Journal officiel, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1919, annexe no 6905, p. 2713-2736 ; la seconde, ainsi que la proposition de Guesde, dans le Journal officiel, Documents parlementaires, Chambre des députés, annexe no 325, séance du 12 février 1920, p. 300.
40 « Avis (...) sur (...) l’amélioration des traitements du personnel scientifique et enseignant du ministère de l’Instruction publique (...) », Journal officiel, Documents parlementaires, Chambre des Députés, 1er juillet 1919, Annexe no 6440, p. 2042-2052.
41 Gaston Raphaël : « L’école de l’avenir », Revue pédagogique, 15 mars 1913, tome 63, no 3, p. 225-235.
42 « Les projets de Réformes scolaires en Allemagne », Revue pédagogique, septembre 1916, tome 69, no 9, p. 250-265 ; mai 1917, tome 70, no 5, p. 498-517. Ces deux articles, non signés, portent en sous-titre « Notes de lectures communiquées par le Musée pédagogique ».
43 « La réforme scolaire en Allemagne. L’école de l’unité nationale », Manuel général, 24 juin 1916, tome 83, no 41, p. 566-67 ; « En Allemagne », 25 août 1917, tome 84, no 49, p. 720 ; Henri Goy : « L’école allemande et l’après-guerre », L’Ecole et la Vie, 6 octobre 1917, no 4, p. 54-58.
44 Les caractéristiques et l’action des Compagnons sont décrits de manière détaillée par Talbott, op. cit. p. 34-64. Voir également l’historique rédigé par l’un des Compagnons, Jean-Marie Carré : « L’histoire des « Compagnons », in Les Compagnons de l’Université nouvelle, Paris, Fischbasher, 1920, 44 p., p. 3-15.
45 Les Compagnons : L’Université nouvelle, I ; Les principes ; II ; Les applications de la doctrine, Paris, Librairie Fischbacher. Ces deux volumes ont paru respectivement en novembre 1918 et juillet 1919, comme le premier et le deuxième numéros des Cahiers de Probus, édités par l’Association Nationale pour l’Organisation de la Démocratie. Nous utilisons la deuxième édition, revue et augmentée, du premier volume.
46 L’Université nouvelle, II, p. 3.
47 L’Université nouvelle, I, p. 24. L’évocation du cas de l’Allemagne semble reposer entièrement sur l’article d’Henri Goy cité supra. Dans son historique, Jean-Marie Carré déclare d’ailleurs n’avoir que « vaguement entendu parler de l’école unique et des tentatives faites dans ce sens par les pays anglo-saxons », op. cit., p. 5.
48 L’Université nouvelle, t. II, p. 202.
49 Revue universitaire, 1918-11, p. 173.
50 Comité d’étude et d’action « Pour l’Ecole Unique », brochure no 1, Ce que doit être l'Ecole Unique d’après les grandes associations démocratiques, janvier 1927.
51 Jean-Marie Carré, op. cit., p. 11.
52 Confédération Générale du travail : XXe congrès national corporatif (XIVe de la CGT) tenu à Lyon du 15 au 20 septembre 1919. Compte rendu des travaux, p. 325-329.
53 Ludovic Zoretti : Education. Un essai d’organisation démocratique, Paris, 1918, Plon. L’introduction, datée de mars 1918, est donc à peine postérieure aux premiers articles des Compagnons.
54 Voir par exemple l’appréciation de l’inspecteur général Félix Pécaut : « Ecole unique et démocratisation », Revue pédagogique, avril 1919, tome 74, no 4, p. 235-252. (C’est, à notre connaissance, le premier texte où apparaît le terme « démocratisation » à propos de l’école). Dans l’historique de l’entreprise des Compagnons précédemment cité, Jean-Marie Carré reconnaît d’ailleurs qu’avant la guerre, il n’avait plus vu d’instituteur depuis sa sortie de l’école primaire (op. cit., p. 11).
55 Ludovic Zoretti, op. cit., p. 47-49. Les éléments biographiques concernant Zoretti sont en partie empruntés à A. Chataîgnier : Ludovic Zoretti et l’éducation ouvrière dans l’entre-deux-guerres, Mémoire de maîtrise, 1971, Université de Paris, et à la notice en préparation du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (sous la direction de Jean Maitron), que Claude Pennetier nous a aimablement communiquée.
56 Zoretti, op. cit., p. 225.
57 Confédération Générale du travail : XXe congrès national corporatif (XIVe de la CGT) tenu à Lyon du 15 au 20 septembre 1919. Compte rendu des travaux, p. 329.
58 Zoretti, op. cit., p. 225.
59 Nous nous écartons ici de l’interprétation de Talbott qui, parce que son attention est centrée sur l’enseignement secondaire, tient pour à peu près identiques les positions des Compagnons et de Zoretti (op. cit., p. 59-60).
60 On trouvera dans Talbott (p. 65-95 ; 154-178) une description chronologique minutieuse de la place des questions scolaires dans la vie politique de l’époque.
61 Voir AN F17 17 500. Un résumé des travaux de la commission fut publié par Ferdinand Buisson : « L’école unique », Revue de métaphysique et de morale, 1925, 32 (4), p. 539-547.
62 La version du projet mise au point par le comité en 1927 figure dans le Bulletin officiel du syndicat des professeurs de lycées et du personnel de l'enseignement secondaire féminin, avril-mai 1930, 26e année, no 214, p. 863-869. Le projet de la CGT sur l’école unique fut publié dans le Bulletin de l’enseignement primaire supérieur, juillet 1936, vol 35 (9), p. 17-21.
63 « Rapport sur l’organisation de l’enseignement du second degré », L’Université nouvelle, mai-juin 1926, no 4-5, p. 12-23.
64 Le rapport de Marceau Pivert, rédigé au nom d’une commission où figurent également Zoretti et Weber se trouve dans Ce que doit être l’école unique d’après les grandes associations démocratiques, op. cit.
65 La Ligue de l'enseignement depuis la guerre (novembre 1918novembre 1920), p. 192-200.
66 André Duval : « Esquisse d’une réforme générale de notre enseignement national », Revue pédagogique, février 1922, tome 80, no 2, p. 79-101. Ce texte est repris dans Paul Lapie : Pédagogie française, Paris, 1926 (2e édition), Alcan, p. 240-273.
67 André Duval : « Réforme générale de l’enseignement », Manuel général, 6 mai 1922, 89e année, no 33, p. 433-435.
68 Voir l’article cité supra de Félix Pécaut ; Louis Rascol : La véritable éducation professionnelle. Enseignement primaire supérieur ou enseignement technique ?, Paris, 1923, A. Colin (Il s’agit d’un recueil d’articles parus dans L'Ecole et la Vie entre 1920 et 1923).
69 Bulletin de l’enseignement professionnel, juin-juillet 1920, p. 17-20, et janvier 1921, p. 55-61.
70 La Ligue de l'enseignement depuis la guerre (novembre 1918novembre 1920), p. 137-152.
71 Ferdinand Buisson : « L’œuvre de Paul Lapie », Revue de métaphysique et de morale, avril-juin 1934, vol. 34, no 2, p. 239-252.
72 Bulletin de l'enseignement primaire supérieur et professionnel, 10 novembre 1936, 35 (13), p. 12.
73 « Proposition de loi tendant à la réorganisation générale de l’enseignement public », Journal Officiel, Documents parlementaires du Sénat, annexe no 564, déposée le 7 août 1926, p. 1249-1261.
74 « Proposition de loi tendant à la réorganisation de l’enseignement public et privé », Journal Offciel, Documents parlementaire, Chambre des députés, annexe n°4 753, 2e séance du 10 mars 1931, p. 538-550.
75 Albert Autin : L’école unique, Paris, 1935, Alcan. Une note au Ministre de 1931, in A N F17 17 500, récapitulant les mesures prises au cours de la période, confirme que celles-ci s’inscrivaient explicitement dans le projet de réalisation de l’école unique.
76 La campagne d’annexion immédiatement antérieure avait fait l’objet d’une circulaire aux recteurs, le 5 février 1924. Elle invoquait aussi « d’indispensables économies », mais ne définissait pas un cadre réglementaire pour les annexions d’EPS à des collèges.
77 Francisque Vial : Vues sur l’école unique, Paris, 1935, Delagrave, p. 22. Les étapes, notamment parlementaires, de la réalisation de la gratuité sont décrites dans le détail par Talbott, op. cit., p. 154-170.
78 Bulletin de l’enseignement primaire supérieur et professionnel, 10 mars 1934, 33 (10), p. 26.
79 Proposition de loi Caffort du 5 novembre 1925 (Journal Officiel, Documents parlementaires, Chambre des députés, annexe no 2038, p. 68) et proposition de loi Bernard du 7 juillet 1927 (Journal Officiel, Documents parlementaires, Chambre des députés, annexe no 4790, p. 1340).
80 Ces évaluations reposent sur la série des budgets votés par le Parlement. La présentation de ces budgets, variable d’une année à l’autre, ne permet pas de constituer une série homogène : on ne dispose parfois que des crédits votés et non des postes créés. Le Bulletin de l’enseignement primaire supérieur et professionnel fournit d’autres données, nettement plus défavorables à l’enseignement primaire supérieur, mais dont la cohérence n’est pas meilleure.
81 L’estimation concernant le secondaire s’appuie sur le texte du décret supprimant les 5 collèges et les postes des lycées de garçons, ainsi que le lycée de filles de Tournon (qui fut finalement conservé).
82 Bulletin de l’enseignement primaire supérieur et professionnel, 25 mars 1936, 35 (5), p. 31-32.
83 Bulletin de l’enseignement primaire supérieur et professionnel, novembre 1937, 36 (10), p. 26.
84 Bulletin de l’enseignement primaire supérieur et professionnel, 5 février 1939, 38 (2), p. 25.
85 Cette note de Monod se trouve in AN F17 17 501 et a été ensuite publiée avec quelques modifications dans L'information pédagogique, 1938, 2e année, no 3, p. 97-105. Rappelons que, comme on l’a montré ailleurs, le gonflement des effectifs de l’enseignement secondaire correspond à un léger tassement des taux de scolarisation après l’augmentation notable, entre 1927 et 1931, qui concerne les générations creuses nées pendant la guerre.
86 Jean Zay : Souvenirs et solitude, Le Rœulx, 1987, Talus d’Approche (voir notamment p. 207-210 ; 350). Dans ses mémoires, Georges Cogniot évoque les doutes d’une partie de la gauche - dont lui-même, bien qu’il ait approuvé les « grandes lignes » de la réforme projetée par Zay - quant à la « nature démocratique » d’une entreprise qui commençait par s’inquiéter de l’afflux d’élèves dans les lycées : Parti pris, Paris, 1976, Editions sociales, tome 1, p. 301-304.
87 Les conséquences de l’application des dispositions concernant les classes d’orientation et les autres réformes des années 1936-1945 sont examinées dans le cas de Sens par Emmanuelle Moréno : L'enseignement du second degré dans la région de Sens au XXe siècle. Scolarisation et démocratisation, Thèse pour le doctorat d’histoire nouveau régime, Université de Paris I, 1986, 2 vol., 712 p.
88 Ce bref compte rendu des travaux des commissions figure dans le Bulletin de l'enseignement, primaire supérieur et professionnel', février 1938, 37 (2), p. 13-14 ; mars 1938, (3), p. 8-10.
89 Voir Luc Decaunes et Marie-Louise Cavalier : Réformes et projets de réforme de l’enseignement français de la Révolution à nos jours, 1789-1960, Paris, 1962, Institut pédagogique national, p. 255-58.
90 AN F17 17 501.
91 Dans la même étude, Châtelet signale, à propos de l’article 4 définissant « l’enseignement complémentaire » qu’il existe un « Problème des cours complémentaires ». Une remarque en tête de l’étude indique qu’il manque une note sur les CC et les EN, « en cours d’impression » ; cette note manque également dans le dossier déposé aux archives.
92 Voir le Bulletin mensuel de l'association nationale des cours complémentaires, mai 1937, no 104, p. 1-4 ; 21-23. Un article affirmant que les CC, en dehors d’un rôle nouveau dans la prolongation de la scolarité, conserveraient leurs missions traditionnelles fut également publié par un inspecteur général, adjoint au directeur de l’enseignement du premier degré, et suscita une vive réaction du syndicat des personnels des EPS : P. Barrier : « Pour nos cours complémentaires », L’Enseignement public, 1937, tome 118, no 9, p. 235-243.
93 Voir par exemple l’examen de la question de la transformation de CC en EPS ou en établissements techniques dans le Bulletin mensuel de l’association nationale des cours complémentaires, novembre 1936, no 99, p. 36-41.
94 Bulletin mensuel de l’association nationale des cours complémentaires, janvier 1937, no 101, p. 8-9. Voir aussi la discussion des projets de Zay in Bulletin mensuel de l’association nationale des cours complémentaires, avril 1937, no 103, p. 48-66.
95 Bulletin mensuel de l’association nationale des cours complémentaires, novembre 1936, no 99, p. 37-38.
96 Jérôme Carcopino : Souvenirs de sept ans (1937-1944), Paris, 1953, Flammarion, p. 407-412.
97 Alain Girard : « L’origine sociale des élèves des classes de 6e », Population, 1962, no 1, p. 9-28.
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