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Les collèges du peuple

 | 
Jean-Pierre Briand
, 
Jean-Michel Chapoulie

Troisième partie. L'enseignement primaire supérieur féminin

Chapitre VII. Le développement de l’enseignement primaire supérieur féminin entre 1900 et 1914 : une question non débattue

Texte intégral

1L’interprétation que nous avons donnée du développement de l’enseignement primaire supérieur féminin entre 1900 et 1914 a mis en avant trois types de déterminants. Premièrement, des facteurs internes à l’organisation de l’enseignement primaire : les nécessités du recrutement des institutrices et la faveur des personnels de tous niveaux, des instituteurs aux inspecteurs d’académie, pour offrir cette forme de scolarisation prolongée dans tous les départements et dans les villes suffisamment importantes. Deuxièmement, un facteur structurel externe : la situation de concurrence entre enseignements public et privé. Troisièmement, les facteurs contextuels et conjoncturels que sont l’état des équipements scolaires des villes en début de période et les occasions offertes par les dispositions des lois laïques concernant l’affectation des locaux confisqués à l’Eglise.

  • 1 Armand Charpentier : Le parti radical et radical socialiste à travers ses congrès (1901-1911), Par (...)

2Nous avons donc implicitement admis que ce développement ne s’était pas inscrit dans une politique d’ensemble, assumée en tant que telle par les coalitions et les personnels politiques au pouvoir. Le congrès radical de 1904 vota certes un vœu demandant au gouvernement de créer des EPS et des CC « partout où c’est demandé » et de « prendre l’initiative d’en créer dans tous les cantons où il n’en existe pas »1. Mais un tel vœu n’indique qu’une faveur un peu abstraite pour ce type de scolarisation et l’on constate que les parlementaires qui occupent plus de quelques mois le ministère de l’Instruction publique au cours de la période n’ont pas proposé explicitement un plan de développement de l’enseignement primaire supérieur, notamment féminin, et que leur attention était retenue par d’autres questions. Cela n’exclut nullement que certains d’entre eux aient poursuivi un tel objectif, mais il faut nécessairement recourir à d’autres sources pour comprendre comment la question du développement de l’enseignement primaire supérieur féminin a été perçue et interprétée par le personnel politique.

Entre 1900 et 1914, trois ministres de l’Instruction publique disposent d’une certaine longévité dans ces fonctions : Joseph Chaumié (de juin 1902 à janvier 1905), Aristide Briand (de mars 1906 à janvier 1908) et Gaston Doumergue (de janvier 1908 à novembre 1910). Aucun d’entre eux ne semble avoir jamais évoqué une politique de développement de l’enseignement primaire supérieur, bien que tous trois aient été ses défenseurs dans le conflit avec le ministère du Commerce. Chaumié s’est surtout préoccupé de l’application de la réforme de l’enseignement secondaire et, comme Briand, des conséquences des lois sur les congrégations et la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Briand, comme Doumergue, s’est soucié de la question de la fréquentation scolaire dans les écoles élémentaires. La réforme des programmes de l’enseignement primaire supérieur, en 1909, qui est une conséquence du conflit entre les ministères de l’Instruction publique et du Commerce sur le rattachement administratif des EPS, a été avant tout l’ œuvre de la direction de l’enseignement primaire et de son directeur, Gasquet, selon des témoignages concordants (dont celui de l’association des personnels des EPS) et conformes à ce qu’on sait des positions de Gasquet.

3La discussion des budgets au Parlement constitue l’une des occasions principales d’intervention du personnel politique dans la politique de l’Instruction publique : la création des emplois nécessaires à l’ouverture de nouveaux établissements a été soumise aux assemblées parlementaires au moins en ce qui concerne les EPS, puisque les cours complémentaires, administrativement de simples classes des écoles primaires élémentaires, ne sont pas isolables pour les dotations en personnel ou en matériel. S’il a existé une politique explicite de développement de l’enseignement primaire supérieur, on doit donc en trouver trace dans les débats parlementaires suscités par l’examen des budgets de l’Instruction publique, et encore plus sûrement dans les rapports sur ces budgets. Or, si l’on trouve effectivement dans ces rapports de nombreuses appréciations favorables au développement de l’enseignement primaire supérieur, celles-ci n’occupent qu’une place réduite, et surtout ne se distinguent guère des remarques que l’on trouve depuis 1880 dans une grande partie des discours de célébration de la politique scolaire de la République. Aucun indice ne suggère que l’ensemble des parlementaires y aient été très attentifs.

  • 2 Au cours de la période, la présentation des budgets change et l’on, peut sans doute, considérer co (...)
  • 3 Les crédits consacrés aux EPS de garçons sont, sans doute, proportionnellement plus faibles que ce (...)

4Certaines caractéristiques des budgets de l’époque détournaient l’attention de la question du développement de l’enseignement primaire supérieur. Tout d’abord, la faible proportion des crédits consacrés à l’enseignement primaire supérieur dans le budget total n’incitait pas les parlementaires à s’attarder sur les évolutions en cours : un autre poste budgétaire - les crédits pour traitements du personnel dans les écoles primaires élémentaires des villes de moins de 150 000 habitants, qui passent de 60,4 % du budget total en 1899 à 62,4 % en 1913 - suscitent bien davantage de controverses puisque son augmentation est liée à la laïcisation des écoles de filles. En outre, l’augmentation des sommes attribuées au primaire supérieur pouvait sembler normale au sein de la forte croissance globale du budget de l’Instruction publique - 50 % environ entre 1900 et 1914 - dans une conjoncture économique et financière favorable : les crédits consacrés aux EPS passent de 1,2 % pour le budget 1899 à 2,1 % pour le budget 1913, ce qui correspond à une croissance en volume de 2 380 000 F à 6 524 000 F. L’effort particulier en faveur des EPS apparaît cependant clairement si l’on compare cette augmentation avec l’évolution des crédits affectés à l’enseignement secondaire féminin, qui bénéficie également de nombreuses créations entre 1900 et 1913 et à l’enseignement secondaire masculin : dans le premier cas, la part du budget passe seulement de 1,05 % en 1899 à 1,40 % en 1913, alors qu’il régresse dans le second de 7,94 % en 1899 à 7,08 % en 19132. Par ailleurs, la présentation des budgets ne permettait pas d’apercevoir les conséquences spécifiques de la politique de création d’EPS de filles : premièrement, parce que les crédits ne les séparent pas de ceux consacrés aux EPS de garçons3 ; deuxièmement, parce que les crédits consacrés aux EPS des villes de plus de 150 000 habitants sont confondus avec ceux de l’enseignement élémentaire de ces villes ; enfin parce que les créations d’écoles ont lieu en cours d’année budgétaire, et qu’elles n’ont d’incidence véritable que l’année suivante, où elles apparaissent comme la conséquence d’une décision déjà prise. Il faut ajouter que les crédits concernant les cours complémentaires ne sont jamais isolables de ceux de l’enseignement primaire élémentaire, si bien que l’ensemble des crédits consacrés à l’enseignement primaire supérieur ne pouvait faire l’objet d’aucun contrôle au niveau parlementaire : c’est le ministère - c’est-à-dire la direction de l’enseignement primaire - qui répartissait effectivement ces crédits.

5On peut sûrement exclure que la totalité des parlementaires aient été aveugles à l’égard de l’expansion de l’enseignement primaire supérieur, et en particulier à l’égard du développement des EPS de filles. Le fait ne pouvait échapper aux rapporteurs du budget de l’Instruction Publique à la Chambre et au Sénat qui, dans presque tous les cas, étaient de bons connaisseurs des affaires scolaires. Plusieurs de ces rapporteurs du budget de l’Instruction publique figurent d’ailleurs parmi les défenseurs actifs de l’enseignement primaire supérieur, aussi bien à l’occasion de la revalorisation des traitements du personnel que, comme on l’a vu, lors de la controverse entre les ministères de l’Instruction publique et du Commerce.

  • 4 L’intervention de Couyba figure dans le compte rendu des séances de la Chambre des députés les 12 (...)

Le rapporteur du budget de l’Instruction publique à la Chambre est Maurice Faure de 1899 à 1902 (il fut ensuite rapporteur de ce même budget au Sénat en 1908 et de 1910 à 1913). Ses successeurs furent Jean Bepmale (pour 1903), Julien Simyan (pour 1904), Alfred Massé (pour 1905 et 1906), Charles Couyba (1907), Théodore Steeg (de 1908 à 1911). Tous ces parlementaires sont radicaux, mais leurs successeurs immédiats furent socialistes : René Viviani (pour 1912 et 1913) et Adrien Veber (pour 1914). Couyba et Faure, et dans une mesure un peu moindre, Massé et Steeg, sont les parlementaires les plus cités comme défenseurs de l’enseignement primaire supérieur par le bulletin de l’association amicale de ces personnels. Dans une intervention à la Chambre en 1902, Couyba esquissa un projet de réorganisation de l’enseignement public qui préfigure les projets d’« école unique » d’après 1920, puisqu’il aurait fait des EPS un intermédiaire obligé entre les études primaires et les études secondaires des lycées. Ce projet impliquait donc la multiplication des EPS, que Couyba souhaite d’ailleurs explicitement4.
On a évoqué précédemment les raisons biographiques et de politique locale qui donnent sa signification à l’intérêt particulier de Couyba pour l’enseignement primaire supérieur. Les raisons électorales qui pouvaient inciter Maurice Faure à soutenir l’enseignement primaire supérieur ne sont pas moins claires : Faure (député de 1885 à 1902, sénateur de 1902 à 1919, trois mois ministre de l’Instruction publique en 1910-11) représentait un département, la Drôme, où, comme on l’a vu, l’enseignement primaire supérieur avait été reçu, dès 1880, par les élus locaux, avec une faveur particulière : en 1913, c’était le département pour lequel les dépenses de l’Etat pour cet enseignement étaient, d’après les documents budgétaires, le plus élevé (à l’exception de la Seine-Inférieure et du Nord, départements beaucoup plus peuplés).

  • 5 Les autres thèmes débattus sont le renforcement de l’obligation scolaire au niveau primaire et la (...)
  • 6 Le rapport de 1912 est cité partiellement dans le Bulletin de l’enseignement primaire supérieur, j (...)

6Dans leur rapports de 1907 et 1908 sur le budget de l’Instruction publique, Couyba et Steeg soulignèrent - tout comme Faure, en 1910, dans son rapport au Sénat - l’augmentation en cours du nombre des écoles primaires supérieures et de leurs élèves, mais le commentaire qu’ils en donnent est succinct et reprend les interprétations usuelles sans insister sur l’originalité du phénomène. Dans son rapport sur le budget de 1907, Couyba relève ainsi seulement « la faveur extraordinaire dont jouissent les écoles primaires supérieures prouvent qu’elles répondent à des besoins réels et impérieux. Depuis deux ans, 43 écoles ont été ouvertes, en majorité pour les jeunes filles ». On peut évidemment penser que ces parlementaires ne jugeaient pas opportun d’attirer spécialement l’attention sur la fondation de nouvelles EPS, et plus généralement sur le développement en cours de l’enseignement primaire supérieur, peut-être justement parce qu’ils figuraient parmi les partisans de cet enseignement. Parmi les principaux thèmes des débats parlementaires consacrés à l’école au cours de cette période deux seulement concernaient directement les EPS : la revalorisation des traitements des personnels primaires et secondaires, et l’organisation de l’enseignement technique5(Ce dernier englobait la question de l’orientation des études primaires supérieures et du rattachement administratif éventuel des EPS au ministère du Commerce. Dans ce contexte, les défenseurs de l’enseignement primaire supérieur pouvaient juger préférable d’impulser un développement de cet enseignement qui rendait difficile son démantèlement ultérieur, et de ne pas attirer l’attention sur son coût futur : c’est ce dont témoignent les rapports respectifs de Viviani et de Veber - tous deux socialistes - sur les budgets de 1912 et 1914 ; le premier remarque que « l’existence de ces écoles et surtout leur développement posent des problèmes d’ordre scolaire, d’ordre administratif, d’ordre social, auxquels on ne pourra pas longtemps refuser l’attention » ; le second met au premier plan des aspects du processus de développement du primaire supérieur négligés par les rapports antérieurs : les cours complémentaires, « ignorés du grand public », et le retard dans l’équipement de la banlieue parisienne6.

7Quelles qu’aient été la faveur à l’égard de l’enseignement primaire supérieur, les perspectives et la stratégie du cercle de ces parlementaires, rien ne permet de conclure qu’ils aient poursuivi une politique clairement définie avec des objectifs précis à moyen terme. Il semble plus vraisemblable qu’ils étaient simplement favorables, par principe, à un développement de l’enseignement primaire supérieur, sans distinguer précisément le cas des garçons et celui des filles. Aucun d’entre eux n’a été durablement en situation d’exercer une influence sur la politique suivie en matière de création d’établissements primaires supérieurs. La continuité dans la politique de création d’EPS de filles renvoie donc à l’administration, c’est-à-dire la direction de l’enseignement primaire.

8Pour préciser cette conclusion, et confirmer que le développement de l’enseignement primaire supérieur féminin est principalement la conséquence de l’activité ordinaire de l’administration qui a saisi les opportunités qu’offrait une conjoncture favorable au plan parlementaire et au niveau local, il faut examiner comment les évolutions de l’enseignement primaire supérieur féminin entre 1900 et 1914 ont été perçues et interprétées par les principaux organes et associations qui, en raison de leurs propres préoccupations, devaient être spécialement attentifs à cet enseignement. S’ils n’ont eux-mêmes pas perçu les évolutions en cours comme une menace sur les positions acquises des autres établissements scolaires féminins, l’interprétation d’une croissance produite par les activités ordinaires des administrateurs s’en trouvera renforcée. Nous avons donc examiné la place accordée à l’enseignement primaire supérieur dans le bulletin de la principale association d’études et de défense de l’enseignement catholique, la Société Générale d’Education et d’Enseignement (la SGEE) ; dans la revue officieuse de l’enseignement secondaire public de jeunes filles, fondée et encore dirigée à l’époque par Camille Sée ; enfin, dans le bulletin de l’association amicale des personnels de l’enseignement primaire supérieur créée en 1901, et qui réunit les personnels des EPS de garçons et de filles.

  • 7 Le processus de création des établissements secondaires libres de jeunes filles est étudié in Henr (...)

9Pas plus dans la période 1900-1914 que dans la période précédente, les responsables catholiques n’ont accordé une grande attention à l’enseignement primaire supérieur entre 1900 et 1914 : le Bulletin de la SGEE ne consacre pas de rubrique particulière à cet enseignement, et les rares articles qui le concernent figurent dans une rubrique unique « Enseignement primaire et professionnel ». Comme dans la période précédente, l’intérêt des responsables catholiques est centré principalement sur les évolutions et les difficultés de l’enseignement primaire élémentaire et de l’enseignement secondaire masculin ; il s’y ajoute les questions concernant l’enseignement secondaire féminin privé, qui se met en place au cours de la période7. L’examen de ces trois sujets n’a guère provoqué d’allusions à l’enseignement primaire supérieur masculin ou féminin : les rares remarques portent sur les brevets primaires. Il en va de même dans la rubrique régulière du bulletin qui analyse les rapports annuels sur l’enseignement primaire présentés aux conseils généraux par les inspecteurs d’académie. Les développements concernant l’enseignement primaire supérieur dans ces rapports sont presque complètement passés sous silence, alors que les évolutions et les problèmes des écoles normales sont longuement commentés, tout comme le développement des œuvres post-scolaires - il est vrai directement concurrentes d’œuvres catholiques.

  • 8 Jean-Louis de la Verdonie : « L’enseignement primaire en France d’après les rapports des inspecteu (...)

Une des rares allusions directes à l’enseignement primaire supérieur a été suscitée en 1913 par la question, alors importante pour les catholiques, du recrutement du personnel primaire. L’auteur de l’examen des rapports des inspecteurs d’académie, commentant la question du développement des pensionnats primaires, remarque : « Car il faut bien avoir le courage de le reconnaître, l’enseignement libre, (...) fait encore trop peu dans cet ordre d’idées. L’enseignement primaire supérieur est, en effet, un des moyens les plus pratiques de préparer à leur carrière les futurs maîtres chrétiens ; et étant donné le chiffre, relativement faible, de nos écoles normales proprement dites et de nos cours normaux libres, c’est là une ressource qu’il ne convient pas de négliger »8.

  • 9 A. d’Herbelot : « Le budget de l’Instruction publique pour 1902 », Bulletin de la SGEE, janvier 19 (...)

10A part cette remarque, rien n’indique que les responsables catholiques aient perçu le développement du réseau des établissements entre 1900 et 1914. Une rubrique, assez régulière après 1900, rend compte de travaux des Chambres lors du vote du budget de l’Instruction publique, et examine les rapports parlementaires sur ce budget. Ces articles ne s’attardent pas sur les créations d’EPS, et le coût de ces établissements n’est jamais évoqué plus en détail qu’en 1902, année où est relevé le fait que les augmentations d’effectifs d’élèves sont « insignifiantes » depuis 1896-97. L’article observe cependant que « l’enseignement primaire supérieur demeure très florissant », que certaines villes « consacrent de grosses sommes » à soutenir la « lutte de l’enseignement primaire supérieur et de l’enseignement technique », et que le premier « risque de se substituer à l’enseignement moderne »9.

11Si les responsables catholiques n’ont pas complètement ignoré l’enseignement primaire supérieur, ils ne lui ont donc reconnu qu’une importance secondaire, négligeant d’ailleurs encore plus l’enseignement primaire supérieur féminin que son homologue masculin, parfois rapidement évoqué à travers les articles périodiquement consacrés aux pensionnats des Frères des écoles chrétiennes ou dans ceux concernant les débats sur l’enseignement technique. On pourrait montrer que cette caractéristique est en affinité avec1 leur point de vue sur la structure sociale, qui les conduit à ne pas s’attacher à la distinction entre classes populaires - vouées au seul enseignement primaire élémentaire - et « classes moyennes » (pour reprendre la terminologie des partisans d’un enseignement primaire supérieur depuis la loi Guizot). Sans doute la réserve des catholiques à l’égard d’un développement général de la scolarisation des filles les incitait-elle aussi à ne voir dans l’enseignement primaire supérieur féminin qu’une sorte d’extension de l’enseignement primaire élémentaire, dont le seul débouché significatif était l’accès aux fonctions d’institutrices primaires.

  • 10 La question de l’orientation culturelle de l’enseignement secondaire féminin est aussi examinée, s (...)
  • 11 Les quelques cas d’annexions momentanée que nous n’avons pas mentionnés dans le chapitre précédent (...)
  • 12 Bulletin de l’enseignement primaire supérieur, janvier 1906, no 14.
  • 13 Bulletin de l’enseignement primaire supérieur, janvier 1907, no 2, p. 78-79. (Le même numéro repro (...)

12Les responsables de l’enseignement catholique ne sont pas les seuls à n’avoir accordé qu’une attention distraite au développement de l’enseignement primaire supérieur entre 1900 et 1914 : il en va de même des rédacteurs de L’enseignement secondaire des jeunes filles. Entre 1900 et 1910, les rares allusions à l’enseignement primaire supérieur de filles que contient cette publication sont suscitées par la question des brevets primaires (préparés, comme on le sait, dans de nombreux établissements secondaires). L’existence d’une concurrence entre les deux formes d’enseignement prolongé pour les filles n’est pas relevée, ce qui contraste avec la fréquence des références explicites ou allusives à la question de la concurrence avec les EPS dans les publications homologues consacrées à l’enseignement secondaire masculin10. Cette omission confirme le fait, suggéré par l’absence d’annexion d’EPS à des établissements secondaires, que la clientèle potentielle des deux types d’établissements était suffisante pour que les implantations nouvelles ne mettent pas en péril les établissements préexistants11. Mais c’est l’absence de mention du processus de développement de l’enseignement primaire supérieur féminin dans l’organe de l’Association amicale des fonctionnaires des écoles primaires supérieures qui montre le plus clairement la faible place tenue par cet enseignement dans les controverses de l’époque. Entre 1901 et 1911, les principales questions traitées dans le Bulletin de l’enseignement primaire supérieur, organe de cette association, sont la question de la réévaluation des traitements d’une part, celle de la relation des EPS avec l’enseignement secondaire et les établissements dépendant du ministère du Commerce d’autre part. En apparence les deux cas des établissements de garçons et de filles sont traités ensemble. Mais en fait la quasi-totalité des exemples portent sur les garçons. Il est clair, d’ailleurs, que le débat sur l’orientation et le rattachement administratif des EPS ne concerne alors que les établissements de garçons et que nul n’envisage une transformation massive des EPS de filles en EPCI. Enfin presque tous les rédacteurs d’articles sont des hommes, et la seule question examinée qui concerne spécifiquement les EPS de filles est celle des traitements du personnel féminin12. L’absence d’analyse consacrée au développement de l’enseignement primaire supérieur féminin ne prouve pas que l’extension du réseau des EPS de filles soit passée inaperçue : le Bulletin de l’enseignement primaire supérieur publiera, sans commentaire, la liste des EPS ouvertes en 1905 et 1906, qui révèle au premier coup d’œil l’ampleur des évolutions en cours pour les EPS de filles13. Ainsi, en dehors des personnels les plus directement concernés, aucune des catégories susceptibles de s’intéresser particulièrement à ce fait n’a accordé une très grande importance au développement rapide du réseau des établissements primaires supérieurs féminins entre 1900 et 1914, et ce développement est resté tout à fait extérieur aux débats d’époque sur les questions scolaires. Il faut donc attribuer à la direction de l’enseignement primaire la plus grande part dans le développement du réseau primaire supérieur féminin : non qu’elle soit à l’origine de l’ensemble de ces créations, mais plutôt parce que, disposant de la possibilité de poursuivre des objectifs à moyen terme, elle a soutenu et fait aboutir, en obtenant les créations budgétaires nécessaires, les demandes des inspecteurs d’académies, des villes ou des élus qui, dans la période antérieure, étaient souvent restées insatisfaites. L’acteur principal de ce développement fut Amédée Gasquet, chargé de la direction de l’enseignement primaire de 1902 à 1914, et dont la faveur pour l’enseignement primaire supérieur était tout à fait évidente.

  • 14 Amédée Gasquet : L’enseignement professionnel, Paris, Hachette, 1914.

L’arrivée de Gasquet à la direction de l’enseignement primaire coïncide à peu près avec une augmentation des crédits pour cet enseignement et une politique plus active de créations d’EPS de filles : entre 1902 et 1903, le nombre de ces établissements augmente de 4, puis les années suivantes, de 10, 8, 12, 8, 9, 6 et 9, alors que, pour les EPS de garçons, les augmentations sont de 7 (entre 1902 et 1903), 1, 4, 4, 9, 7, 12 et 2. Il faut certes tenir compte de ce que la conjoncture politique et financière était plus favorable qu’auparavant ; il semble néanmoins que Gasquet ait été plus actif dans ce domaine que son prédécesseur Charles Bayet. Gasquet avait en tout cas une connaissance directe et un intérêt affirmé pour l’enseignement primaire supérieur, comme le souligne d’ailleurs sa notice nécrologique de l’Annuaire de l’Amicale des anciens élèves de l’ENS 1916. En tant que maire « républicain » de Clermont-Ferrand de 1888 à 1893, il avait contribué au renforcement de l’EPS de garçons, alors en position difficile, en lui rattachant une section professionnelle issue d’un établissement municipal. Son intérêt pour l’enseignement primaire supérieur apparaît également dans la publication d’un ouvrage sur cet enseignement, où il défend sa politique : rien ne suggère cependant dans cet ouvrage un intérêt plus spécifique pour l’enseignement primaire supérieur féminin, ce qui confirme le rôle des circonstances dans le développement des EPS de filles entre 1900 et 191414.

Notes

1 Armand Charpentier : Le parti radical et radical socialiste à travers ses congrès (1901-1911), Paris, 1913, Giard et Brière (voir p. 65).

2 Au cours de la période, la présentation des budgets change et l’on, peut sans doute, considérer comme à peu près constante la part du budget consacrée à l’enseignement secondaire masculin.

3 Les crédits consacrés aux EPS de garçons sont, sans doute, proportionnellement plus faibles que ceux consacrés aux créations d’EPS de filles, puisque, dans le premier cas, il s’agit presque pour moitié d’annexes de petits collèges, dont la dotation en personnel se limitait souvent à un ou deux postes de professeurs.

4 L’intervention de Couyba figure dans le compte rendu des séances de la Chambre des députés les 12 et 14 février 1902.

5 Les autres thèmes débattus sont le renforcement de l’obligation scolaire au niveau primaire et la prolongation de la scolarité obligatoire. En début de période, il s’y ajoute la question du coût financier des laïcisations, un peu plus tard celle de l’élaboration d’une réglementation nouvelle pour l’enseignement secondaire privé (Alfred Massé fut rapporteur en 1908 d’un projet de loi qui aurait aboli la loi Falloux).

6 Le rapport de 1912 est cité partiellement dans le Bulletin de l’enseignement primaire supérieur, juillet 1911, n° 20, p. 51 ; pour le rapport de 1914, voir Journal officiel, Documents Parlementaires, Chambre des Députés, séance du 30 janvier 1914, annexe n 3448, p. 195-232 (voir p. 247 et 249).

7 Le processus de création des établissements secondaires libres de jeunes filles est étudié in Henri Péretz : « La création de l’enseignement secondaire libre de jeunes filles à Paris (1905-1920) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1985, 32 (2), p. 237-275.

8 Jean-Louis de la Verdonie : « L’enseignement primaire en France d’après les rapports des inspecteurs d’académie aux Conseils généraux de 1913 », Bulletin de la Société générale d’éducation et d’enseignement, décembre 1913, p. 942-953.

9 A. d’Herbelot : « Le budget de l’Instruction publique pour 1902 », Bulletin de la SGEE, janvier 1902, p, 26-42, voir p. 41-42.

10 La question de l’orientation culturelle de l’enseignement secondaire féminin est aussi examinée, soit en elle-même, soit par rapport à l’enseignement secondaire masculin, mais non par référence à l’orientation des rivaux privé et primaire supérieur. Lors des débuts de l’enseignement secondaire féminin, les relations de celui-ci avec l’enseignement primaire supérieur étaient, au contraire, débattues.

11 Les quelques cas d’annexions momentanée que nous n’avons pas mentionnés dans le chapitre précédent - à Alençon, Orléans, etc-, correspondent à la naissance d’un cours secondaire ou d’un collège à partir d’une EPS préexistante. Dans tous les cas, l’établissement primaire supérieur fut rapidement séparé de son ancienne annexe, qui avait un temps bridé son développement : ainsi la création du collège d’Orléans entraîna un temps la suppression des classes de préparation au brevet supérieur, et, plus gravement encore, une pénurie de locaux qui rendit nécessaire la diminution des effectifs de l’EPS alors annexée.

12 Bulletin de l’enseignement primaire supérieur, janvier 1906, no 14.

13 Bulletin de l’enseignement primaire supérieur, janvier 1907, no 2, p. 78-79. (Le même numéro reproduit des extraits du « magnifique rapport de M. Couyba » sur le budget de l’Instruction publique pour 1907).

14 Amédée Gasquet : L’enseignement professionnel, Paris, Hachette, 1914.

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