Introduction. Mame propagateur de la foi

Tangi Villerbu

p. 187-188


Texte intégral

1La maison Mame, après quelques décennies d’une existence faite d’expérimentations et d’adaptations aux régimes politiques, s’est finalement trouvé une mission fixe, dans les années 1820 et 1830, à Angers jusqu’à la fin de l’histoire angevine de l’entreprise et surtout évidemment à Tours : délivrer un message chrétien, et plus encore, bâtir une société chrétienne, au travers du livre pour la jeunesse. Sur le court terme, cela n’avait rien d’exceptionnel : passés au travers de la Révolution et de l’Empire, les Mame se tournaient vers l’esprit de la Restauration, s’accommodaient du régime en épousant au plus près ses demandes. Mais il n’y eut point de retour à un libéralisme bon teint après 1830, et peu d’évolutions par la suite : plus qu’une stratégie ponctuelle de survie économique, l’orientation prise alors par la maison semble rétrospectivement un véritable enracinement dans l’univers catholique, et loin de ses franges progressistes. Le marché religieux s’annonçait florissant sur la longue durée et le choix familial était dorénavant d’ancrer la culture maison dans le conservatisme, voire la contre-révolution.

2Michel Manson montre bien dans les pages qui suivent cette double optique : il fallait que l’entreprise fonctionne – et la rencontre entre Louis Friedel et la maison Mame est de ce point de vue un moteur essentiel – mais il fallait aussi qu’elle soit adossée à l’Église comme institution et qu’elle réponde à une demande d’un nouveau produit, le livre de jeunesse catholique. Loïc Artiaga a signalé ailleurs les débuts ambigus de cette alliance a priori improbable entre la logique réactionnaire de l’Église de la Restauration et la naissance de la culture de masse1, et Mame s’inscrit à plein dans cette dynamique. Il faudrait pour aller plus loin que l’histoire religieuse de la Touraine au XIXe siècle soit mieux connue, mais la vague de monographies diocésaines, grand genre de l’historiographie catholique française depuis les années 1960, n’a jamais touché Tours, dont les archives diocésaines demeurent largement à explorer2.

3Une telle démarche permettrait pourtant de réintégrer la maison Mame à l’histoire catholique, dont elle fait partie autant qu’elle appartient à l’histoire du livre. La dynamique Mame est en effet la dynamique même de l’Église et du peuple catholique, qui s’exprime dès le concordat de 1802 mais plus encore lors de la Restauration des Bourbons et qui ne s’essoufflera pas durant le siècle. Elle est marquée par l’idéal de la mission intérieure et extérieure, par la reconquête de la société grâce à de nouvelles formes d’engagement donnant naissance au catholicisme social, par une raideur dogmatique extrême mêlée à des expérimentations audacieuses, par l’explosion des ordres et des congrégations et par la féminisation de la foi (la piété mariale), des fidèles et du personnel religieux. Dans ce contexte, Mame entreprend effectivement une politique de conquête, l’entreprise participe d’une démarche de propagation de la foi, donc d’éloge d’une vérité et d’une beauté pensées comme seules possibles et en parallèle de dénonciation des erreurs et des ennemis qui finissent par parvenir au pouvoir avec l’avènement de la République.

4Ainsi la maison Mame s’est-elle alliée rapidement aux Frères des écoles chrétiennes, pour un partenariat qui, s’il fut tumultueux pour des raisons commerciales, ne fut jamais vraiment remis en cause car l’attachement à la même cause soudait les deux partenaires (Tangi Villerbu). De même le marché canadien devint-il dès les origines des collections pour la jeunesse une excroissance logique, même si elle était limitée quantitativement, de la dynamique catholique française, avec des spécificités dans l’usage des livres exportés qui tiennent aux équilibres des forces à l’échelle locale (Tangi Villerbu). Le corpus de 78 titres historiques étudiés par Michel Manson permet de comprendre le message que la maison voulait diffuser : au temps des Martyrs de l’Antiquité répond un merveilleux Moyen Âge chrétien qui est aussi, en partie, celui du romantisme. Une première rupture – le protestantisme – est suivie par une deuxième, le cataclysme révolutionnaire. Le monde en sort meurtri, déchristianisé, mais cela doit permettre, obliger même, un sursaut religieux, un renouveau missionnaire intérieur et extérieur dans lequel Mame s’inscrit pleinement.

Notes de bas de page

1 Artiaga L., Des torrents de papier. Catholicisme et lectures populaires au XIXe siècle, Limoges, PULIM, 2007.

2 Lagrée M., « La monographie diocésaine et les acquis de l’historiographie religieuse française », Études d’histoire religieuse, 61 (1995), p. 9-41 ; Sorrel C., « Échelles et espaces : le diocèse. Réflexions sur l’historiographie française contemporaine », in Pellistrandi B. (dir.), L’Histoire religieuse en France et en Espagne, Madrid, Casa de Velázquez, 2004, p. 225-247.


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