1La disparition du PRL, au moment des élections législatives de 1951, surprend peu les observateurs contemporains, dans la mesure où ce parti, qui avait suscité une certaine espérance au moment de sa création en 1945, était depuis plusieurs années affaibli par des dissensions et des départs successifs. Dans son livre de souvenirs, publié près de trente ans après cette période, Georges Riond livre une analyse sans concessions des faiblesses du PRL et des causes de son échec1. Il évoque notamment la focalisation de l’activité du parti sur la préparation des échéances électorales, aux dépens du développement d’une vraie vie militante. Mais il insiste surtout sur le rôle des personnalités : « Le PRL fut ceinturé par des privilégiés qui redoutaient d’en voir briser la ligne par des nouveaux venus. Les congrès furent des parades d’hommes en place. Les militants de la base n’y jouaient que de brefs intermèdes », écrit-il, avant d’ajouter : « Pour Joseph Laniel, le PRL était d’abord un groupe parlementaire. Pour André Mutter, il était l’embryon d’une ligue. L’un s’inspirait de l’Alliance démocratique […]. L’autre rêvait d’être un La Rocque passé au vernis de la Résistance. » La présente contribution cherchera à discuter cette analyse, en soulignant la part des facteurs externes qui, autant que les faiblesses internes, ont contribué à fragiliser un parti qui n’a jamais vraiment trouvé sa place dans le champ politique de l’après-guerre.

Les faiblesses internes

2Les difficultés du PRL apparaissent dès les premiers mois de son existence. Le nouveau parti suscite la méfiance des dirigeants des autres partis modérés (Fédération républicaine, Parti de la réconciliation française) et plus encore des notables locaux, qui préfèrent arborer l’étiquette d’indépendant. Il n’a donc jamais réussi à fédérer l’ensemble des droites modérées2. Dès les premiers scrutins nationaux de la Libération, il ne parvient pas à présenter des listes dans l’ensemble des circonscriptions. Son groupe à l’Assemblée nationale ne rassemble que 38 députés (y compris les apparentés) à la fin de l’année 1946. Au cours de la première législature de la IV^e République, il perd une dizaine de membres qui rejoignent des groupes qui disputent au PRL l’héritage de la droite modérée : les Républicains indépendants, le groupe paysan et le groupe de l’Union des indépendants. Au Conseil de la République, l’échec du PRL est plus net encore, puisque son groupe ne compte qu’une douzaine de membres (présidés par Georges Pernot), alors que le groupe républicain indépendant et le Centre républicain d’action rurale et sociale d’Hector Peschaud en revendiquent respectivement 42 et 15.

Les divisions stratégiques

3En effet, la vie interne du parti est traversée par des divisions stratégiques et doctrinales, qui se concluent par des départs successifs et parfois fracassants. La première crise a lieu dès le printemps 1947, lorsqu’André Mutter, directeur de l’hebdomadaire Paroles françaises et principal espoir du parti, se lance dans une campagne virulente sur l’amnistie et tient en février, au Club du Faubourg, une conférence sur ce thème devant un auditoire composé de nostalgiques de la Révolution nationale. Le scandale pousse le groupe parlementaire du PRL à se désolidariser d’André Mutter, qui est exclu par le comité directeur du parti le 8 mai 1947, après de vifs débats internes3. C’est dans ce contexte que la fédération girondine, animée par Jules Ramarony4, président du groupe parlementaire, fait sécession en dénonçant la dérive droitière dont, à ses yeux, l’incident créé par André Mutter est le révélateur : « Nous ne pouvons nous solidariser plus longtemps de ce parti que, jusqu’à ces temps derniers, nos élus girondins avaient réussi à maintenir dans la ligne démocratique », martèle la motion adoptée par les adhérents du groupe de l’Unité républicaine girondine, réunis en congrès le 3 mars 19475. Les députés girondins rejoignent le groupe paysan où ils retrouveront d’autres transfuges du PRL, dont… André Mutter ! Ce départ ne modifie pas la position politique du PRL, qui reste libérale et modérée.

4La rupture du tripartisme pose un autre problème stratégique, qui crée également des tensions et des divisions : le PRL peut-il participer à une majorité désormais expurgée des communistes et où dominent les éléments plus modérés (radicaux et MRP) ? Ou bien doit-il s’en tenir à une attitude intransigeante à l’égard de gouvernements qui perpétuent les illusions politiques et sociales de la Libération et se placer ainsi sur la même ligne que le RPF de Charles de Gaulle ? Ce débat n’est jamais véritablement tranché. Le 24 juillet 1948, Joseph Laniel participe au gouvernement André Marie, alors même que la majorité du groupe s’y était opposée. À l’automne 1948, Robert Bétolaud et Robert Bruyneel rejoignent le gouvernement Henri Queuille, mais ils ne sont pas soutenus par le groupe parlementaire, qu’ils décident de quitter un an plus tard. Le PRL ne parvient pas à adopter une position claire, comme le souligne Jacques Fauvet en 1951 :

« Bien qu’il se divise par moitié dans les grands scrutins et soit le dernier parti bigame, le PRL n’est pas systématiquement dans l’opposition. Il n’est d’ailleurs pas sûr que, dans une assemblée modérée, il puisse jamais être tout à fait au gouvernement […]. La forme d’esprit de ses électeurs, plus encore que de ses élus, lui interdit d’être durablement au pouvoir. Celui-ci exerce, par définition, des contraintes – et le PRL n’en souffre aucune, du moins qui vienne de la puissance publique6. »

5Dans ses mémoires, Joseph Laniel justifie la position ondoyante de son groupe, en mettant en avant la notion d’« opposition constructive » et la volonté de défendre des idées « en prenant le risque de ne pas provoquer le pire, c’est-à-dire le retour du Parti communiste au pouvoir ». Et d’ajouter : « À plusieurs reprises, dans les cas de péril, notre groupe se divisa volontairement à l’égard de gouvernements que nous ne voulions pas voir renverser, ainsi des gouvernements Ramadier, Queuille, Bidault […]. Une certaine souplesse était nécessaire pour éviter une crise que nous jugions indésirable7. » Il n’est pas certain que la dispersion des voix, observable dans plusieurs scrutins importants, ait obéi à une stratégie délibérée. En tout cas, elle donne du PRL l’image d’un groupe indiscipliné et finalement peu cohérent.

Une construction partisane inaboutie

6Le PRL manque d’abord d’un leader indiscutable. Le président du parti, Michel Clemenceau, a d’abord été choisi en fonction de son nom plus que de son charisme ; son influence politique est faible. Joseph Laniel ne joue pas davantage le rôle de chef incontesté. Certes, il prend rapidement la tête du groupe à l’Assemblée nationale, mais, attaché d’abord à une conception traditionnelle des organisations politiques (dans la continuité de son engagement premier au sein de l’Alliance démocratique), il semble peu intéressé par la vie interne du parti où il intervient très rarement. Edmond Barrachin, qui a été la véritable cheville ouvrière du PRL au moment de sa constitution, s’en détache à partir du moment où il rejoint le RPF, même s’il reste membre du parti jusqu’en 1951. Le PRL repose donc sur une petite équipe de cadres, dont émergent Gabriel Campana (délégué aux fédérations), Jacques Féron (secrétaire général), Georges Riond ou encore Pierre Cornet, secrétaire de la Commission de doctrine.

7En dehors des périodes électorales, l’activité du parti se limite à quelques tournées de propagande annuelles, à l’édition d’affiches ou de brochures et à des réunions et des congrès dans les rares régions où le parti bénéficie d’une réelle implantation, liée souvent à l’influence d’une ou plusieurs personnalités (le Rhône, les Bouches-du-Rhône, les Alpes-Maritimes, le Nord, la Lorraine, Paris et sa région et, à partir du printemps 1949, une Union régionale Côte-d’Argent/Dordogne, constituée à partir de la fédération girondine en pleine restructuration8). Mais derrière l’optimisme mobilisateur des comptes rendus d’activité se devine peu à peu une inquiétude sur la pérennité de l’action des structures locales. En mai 1950, Jacques Féron reconnaît que « certaines de nos organisations départementales ou locales n’ont pas une activité suffisante », par manque de moyens financiers et humains. Il suggère alors aux cadres locaux du PRL d’adopter des méthodes plus modestes, pour maintenir une sociabilité militante : « des dîners en commun, des assemblées d’étude et d’information » peuvent être « plus faciles à réaliser » et plus « fructueuses » que des grands meetings9. En 1949 et 1950, les structures centrales du PRL se réunissent régulièrement, sans que leurs travaux soient réellement médiatisés. Seuls les congrès annuels donnent lieu à des comptes rendus détaillés dans la presse : ces congrès, dominés par les parlementaires qui se succèdent pour présenter un rapport sur leur domaine de spécialité, accordent une faible place aux questions internes et à la parole militante.

8Ce fonctionnement traditionnel, voire archaïque, est en décalage avec le discours des dirigeants qui, jusqu’à la fin, entendent faire du PRL un véritable parti, à la différence du Centre national des indépendants qui se constitue alors. C’est ce qu’affirme Michel Clemenceau au conseil national du parti, le 26 février 1949 : « Nous demandons à des personnalités qui veulent conserver leur indépendance d’accepter un minimum de discipline commune pour que leur action individuelle soit valorisée par une coordination d’ensemble10. » Mais le PRL n’a alors plus les moyens de mener cette action, qui heurte la sensibilité autonomiste des cadres et des élus locaux11.

9Le manque de visibilité du PRL s’explique aussi par une faible exposition médiatique. Les mensuels successifs du parti (Parti républicain de la liberté, de mars 1947 à mai 1949 ; L’Écho républicain de la liberté, de juin 1949 à juin 1951) sont exclusivement destinés à un usage interne. À la suite de la polémique sur l’amnistie, l’hebdomadaire Paroles françaises qui, à ses débuts, diffusait auprès d’un public plus large les idées du parti, se détourne de celui-ci pour rejoindre des positions très droitières ; il ne s’en rapproche qu’à la veille des législatives de 1951, sous l’influence de son nouveau directeur politique, Paul Estèbe, candidat PRL en Gironde. Le PRL peut compter sur la sympathie du quotidien L’Époque, dont le directeur, André Bougenot, est un proche de Joseph Laniel – qui le nommera d’ailleurs dans son cabinet à la présidence du Conseil en 1953, avec le rang de secrétaire d’État. Mais le quotidien ouvre également ses colonnes à Roger Duchet qui, à partir de l’automne 1949, multiplie les tribunes en première page. Il cesse de paraître le 18 novembre 1950, privant ainsi le PRL du seul véritable relais qui lui restait à la veille d’une échéance électorale cruciale. Toutes ces difficultés expliquent la fragilité d’un parti rapidement confronté à la concurrence d’organisations plus dynamiques et attractives, qui parviennent à développer une ligne politique plus cohérente et à incarner un rempart plus crédible et efficace face à la menace communiste.

Des concurrents plus dynamiques

L’émergence du RPF

10La création et l’essor du RPF survient au moment où le PRL est affaibli par une succession de résultats électoraux décevants et où il éprouve des difficultés à relancer sa machine militante. L’attraction exercée par la formation gaulliste est d’autant plus forte que la possibilité de la double appartenance permet de concilier fidélité au PRL et soutien à une forme d’opposition à la IV^e République qui semble alors à la fois plus radicale et plus efficace. En 1948, les deux-tiers des députés PRL appartiennent à l’intergroupe gaulliste. Si, dans un premier temps, la double appartenance a semblé préserver le PRL d’une hémorragie de ses cadres et de ses militants, elle s’est rapidement transformée en piège. En effet, dès l’été 1948, les deux partis n’adoptent pas la même position face à la majorité gouvernementale : le RPF reste dans l’opposition, tandis que le PRL se divise sur l’attitude à adopter – certains de ses membres acceptant même de devenir ministres. La position des députés PRL, membres de l’intergroupe gaulliste, devient intenable : comment concilier solidarité gouvernementale et fidélité à la stratégie d’opposition ? La pression du RPF exacerbe les divergences internes du parti de Joseph Laniel. Certains soutiennent l’évolution de celui-ci et se détachent du gaullisme, comme Pierre Montel, qui démissionne alors de la vice-présidence de l’intergroupe gaulliste. D’autres privilégient la stratégie du RPF et prennent leurs distances à l’égard du PRL.

11C’est notamment le cas d’Edmond Barrachin, qui a rejoint le RPF dès l’été 1947 tout en continuant à présider le Bureau politique du PRL. Il éprouve un véritable cas de conscience en 1948 devant l’évolution divergente des deux formations auxquelles il appartient. Lors du comité exécutif de la fédération de la Seine, le 29 juillet 1948, il affirme « qu’étant donné l’orientation de la politique du groupe PRL à la Chambre et le comportement de certains députés vis-à-vis du RPF, il dégageait toute responsabilité quant à un accord possible avec le RPF au moment de l’élaboration de la liste des conseillers de la République12 ». Le 13 septembre 1948, il s’explique auprès de Michel Clemenceau13 : « Il est inconciliable de tourner délibérément le dos à la politique du général de Gaulle et, dans le même temps, solliciter de lui des sièges dans une Assemblée quelle qu’elle soit. » Et il rappelle que « le président du Parti, le président du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale pratiquent eux-mêmes une politique hostile au RPF ». Dans une réponse longuement argumentée14, Michel Clemenceau exprime son « désaccord » complet avec son ancien lieutenant et dément éprouver une quelconque hostilité à l’encontre du RPF. Mais il refuse de voir dans l’adhésion des députés PRL à l’intergroupe gaulliste une approbation de l’ensemble de la doctrine et de la stratégie du « plus grand résistant de France ». Il s’agissait plutôt d’une démonstration d’union autour d’objectifs à la fois fondamentaux et limités : « réviser la loi électorale » et « changer de constitution ». Mais le PRL reste libre d’apprécier l’opportunité de rejoindre ou non une majorité, lorsque la situation nationale l’impose. Or, en 1948, l’urgence n’est pas de changer de constitution, mais de « sauver le franc ». Michel Clemenceau refuse clairement de faire allégeance au RPF. Les membres du PRL doivent d’abord agir suivant leur « conscience », sous le drapeau de leur parti et « en accord avec les idées générales et les principes qui constituent sa doctrine », « sans craindre les oukazes du RPF ».

12Edmond Barrachin ne s’aligne pas sur cette position, comme le suggère son rapport au congrès de février 1949 : « Vouloir gêner l’action du RPF est une faute très grave15. » Les tensions entre RPF et PRL, qui s’accentuent au fur et à mesure que le RPF conduit une stratégie électorale totalement autonome dans la perspective des législatives de 1951, fragilisent le parti modéré. À l’occasion de ce scrutin, sept députés PRL abandonnent cette étiquette lors de ces élections et défendent les couleurs du gaullisme, dont trois en tête de liste (Edmond Barrachin, Henry Bergasse, Jean-Marie Bouvier O’Cottereau) et quatre en seconde position (Édouard FrédéricDupont, Pierre Hénault, Robert Montillot, Michel Peytel16). Le PRL avait fondé son identité première sur le refus du tripartisme et de la IV^e République. Or, aux yeux des électeurs et d’une partie des dirigeants et des élus, le RPF défend sur ce point des positions plus cohérentes et plus claires qu’un parti qui, à la veille des élections, semble attiré par la formule de la « quatrième force », associant MRP, RGR et droites modérées, et s’inscrit de fait dans une logique de défense des institutions.

Les élections de 1951 ou l’attraction irrésistible du CNIP

13La création du CNIP pose un problème différent au PRL, dans la mesure où les grandes options du rassemblement opéré autour de Roger Duchet sont assez proches de celles d’un parti qui a abandonné son opposition intransigeante à l’égard du système de la IV^e République. Dès le premier congrès du CNIP, en novembre 1949, un proche de Joseph Laniel, André Bougenot, plaide pour un rassemblement des indépendants, des radicaux et du PRL qui constituerait une « force latente » susceptible d’être majoritaire17. Une force dans laquelle le CNIP apparaît comme la force la plus dynamique, notamment grâce à l’intense présence de Roger Duchet dans la presse quotidienne et hebdomadaire modérée18.

14La loi sur les apparentements précipite l’absorption du PRL par le CNIP. En effet, seuls les groupements qui présentent des listes dans au moins trente circonscriptions électorales ont la possibilité de s’apparenter. Le PRL, qui ne peut présenter autant de candidats, doit donc s’intégrer à une alliance, dont le CNIP prend les premières initiatives dès février 195119. Mais le PRL cherche à apparaître comme le moteur de ce rassemblement, comme en témoigne le communiqué rédigé à l’issue de son comité directeur du 9 mai 1951 : il lance alors un appel à « l’union des partis et des groupements politiques contre les communistes », faisant « confiance à ses propres candidats et à ses fédérations pour proposer une entente indispensable » afin de « mettre un terme à la politique d’imprévision et d’incompétence d’une législature qui a conduit la France […] au seuil de la faillite », sans toutefois – et c’est une attaque à l’encontre du RPF – suivre « une politique d’aventure qui, sous couleur d’un anticommunisme négatif, contient les germes de la discorde et du désordre20 ».

15Cette alliance prend rapidement forme à l’échelle nationale. Dès le 15 mai, est annoncée la constitution d’une Commission de conciliation électorale, présidée en alternance par Roger Duchet (pour le CNIP) et Édouard Daladier (pour le RGR) : le PRL y est représenté par Raymond Marcellin (et non par son chef parlementaire) qui siège comme simple membre, aux côtés de Camille Laurens (pour le parti paysan) et de Jean-Paul David (pour le Parti radical21). Roger Duchet déclare alors : « La quatrième force est née. » Une quatrième force dont le manifeste, publié quelques jours avant le scrutin, est signé des seuls Duchet et Daladier22 et dont l’intitulé entretient une certaine confusion avec le CNIP, puisque les listes se réclament de « l’Union des indépendants, paysans et républicains nationaux » (UIPRN). Le PRL, qui revendique 37 candidats sur ces listes, semble quasi absent de la campagne électorale en tant qu’organisation politique, sauf en de rares endroits où des personnalités continuent à porter son drapeau. C’est notamment le cas en Gironde, où Paul Estèbe mène une campagne particulièrement combattive au nom d’une fédération départementale PRL-Indépendants qui, reconstituée à la veille du scrutin, préfère se réclamer du Rassemblement des groupes républicains et indépendants français (RGRIF) et combat d’ailleurs une liste présentée par l’UIPRN. La campagne droitière de ce candidat au passé sulfureux, qui défend la mémoire de Philippe Henriot et s’adresse directement à l’électorat que celui-ci avait drainé avant guerre, s’écarte très nettement de la sensibilité modérée mise en avant par Joseph Laniel23. À l’échelle nationale, le ralliement à la quatrième force équivaut à un sabordage, masqué pendant toute la campagne électorale : le PRL cherche toujours à faire croire que « l’acceptation d’un titre commun ne comporte ni l’abandon de sa personnalité, ni sa disparition de la compétition électorale24 ».

Une disparition discrète

Les tractations préalables

16À en croire les témoignages rédigés a posteriori, la disparition du PRL, programmée dès le début de la campagne électorale, était la condition de l’intégration de ce parti dans le regroupement des indépendants. C’est ce qu’écrit Roger Duchet : « À la veille de la campagne électorale, Joseph Laniel demanda à me voir », car il souhaitait réaliser « quelques bonnes alliances ». C’est Duchet qui pose ses conditions : « que le PRL disparaisse après les élections et se fonde dans le CNI. Laniel accepta25 ». Celui-ci n’écrit pas autre chose26 :

« À l’approche des élections de 1951, il apparut à nos amis et à certains de nos voisins qu’il serait électoralement plus profitable d’affronter le scrutin électoral sous l’étiquette d’Indépendant que sous la bannière du PRL. Le terme de “parti” déplaisait à certains […]. Après des pourparlers, les modérés fusionnèrent dans le groupe des Indépendants, qui devait fonctionner à la manière d’un parti […]. À cette formation, le PRL fournissait ses apports les plus importants. C’était lui qui avait organisé, à l’échelon régional, le rassemblement des modérés de différentes nuances. Sur le plan national, un travail de coordination s’imposait. »

17Cette restructuration n’apparaît que progressivement, après des élections marquées par un bon résultat des modérés, en voix (près de 14 % des exprimés) et plus encore en sièges (une centaine de sièges27). Dans ce contexte, les résultats mitigés des candidats PRL sont vus comme un échec, illustré d’ailleurs par la défaite du président du parti, Michel Clemenceau. Au lendemain du scrutin, la presse parle, à la suite de Roger Duchet, d’un « intergroupe quatrième force » qui, associant le RGR et les modérés, « sera la formation la plus importante de la nouvelle Chambre28 ». Le 26 juin, Le Figaro révèle qu’on s’achemine vers « la constitution d’un important groupe unique qui réunirait les indépendants, les paysans et le PRL – chacun de ces groupements conservant d’ailleurs une large capacité de manœuvre à l’intérieur de la nouvelle fédération » : si les députés paysans démentent aussi la rumeur, les élus PRL restent silencieux. Le 29 juin, leurs principaux dirigeants (Joseph Laniel, Pierre André et Raymond Marcellin) participent au comité directeur du CNIP et se rallient officiellement non seulement au groupe unique, mais aussi à une structure regroupant les modérés en vue des prochaines échéances électorales (notamment les élections au Conseil de la République). L’opération ne réussit pas complètement, puisque deux groupes modérés (au lieu de trois antérieurement) sont finalement constitués en juillet 1951 : le Centre républicain d’action paysanne et sociale et des démocrates indépendants, présidé par Camille Laurens, et le Groupe des républicains indépendants, dont Joseph Laniel devient l’un des vice-présidents. Le groupe PRL, lui, a vécu.

Des résistances ponctuelles

18La disparition du PRL ne fait pas l’unanimité, notamment au sein de l’aile droite du parti qui trouve en Paul Estèbe un porte-parole particulièrement incisif. L’ancien directeur adjoint du cabinet civil du maréchal Pétain s’était hissé dans le petit noyau dirigeant du parti, après son élection comme conseiller de l’Union française en 1947. Il prend alors la direction de Paroles françaises. Et c’est dans les colonnes de cet hebdomadaire qu’il dénonce le sabordage de ce parti qui « mérite mieux que le silence et l’oubli29 ». « Curieuse fortune que celle du PRL », écrit-il, « une des très rares formations politiques neuves qui, surgies au lendemain de la Libération, ait su gagner et conserver l’audience d’une fraction de l’opinion certainement beaucoup plus importante que les sièges acquis ne le laissent supposer ». « Il n’est pas indispensable d’avoir eu raison – même trop tôt – pour disparaître de la scène au moment où nos idées viennent à maturité. Que les accords plus larges se concluent avec les groupes relevant de la même famille spirituelle – soit ! Ce n’est pas du PRL, qui toujours a fait preuve de sa volonté d’union […], que viendra la moindre objection au regroupement nécessaire de toutes les forces nationales. » Mais Paul Estèbe plaide pour que le parti garde sa place dans le jeu politique, dans la mesure où il ne saurait se confondre avec les Indépendants. Ceux-ci représentent une sensibilité plus marquée par la culture parlementaire, la modération et le regroupement des centres – là où Estèbe et une partie de ses proches (Jean-Louis Tixier-Vignancour notamment) souhaitent assumer une position plus droitière, sans se confondre pour autant avec les gaullistes.

19Si le PRL ne survécut pas à l’échelle nationale et ne fut pas remplacé par une autre organisation politique, en dépit des tentatives de Jean-Louis Tixier-Vignancour notamment, il se maintient dans certains départements jusqu’aux municipales de 1953 : dans le Rhône, c’est en juillet 1952 seulement que, sous la houlette de Pierre Montel, se constitue un Centre des indépendants, en lieu et place de la fédération départementale du PRL30 ; et il faut attendre mars 1953 pour que, dans la Loire-Inférieure, l’Union nationale et républicaine (UNR), adhérente du PRL, se rallie au CNIP31. En Gironde, Paul Estèbe conserve l’étiquette PRL jusqu’à la veille des législatives de 1956. Les 22 et 23 octobre 1955, un congrès interfédéral regroupe 300 délégués de l’Union PRL-Indépendants et du Parti paysan, qui adoptent une motion réclamant la révision constitutionnelle, la réforme constitutionnelle et une politique de « fermeté » en Afrique du Nord32. Et c’est comme vice-président de cette Union PRL-Indépendants que Paul Estèbe conduit en janvier 1956 une liste parrainée par le CNIP d’Antoine Pinay qui combat la candidature du premier président du groupe parlementaire du PRL, Jules Ramarony, accusé d’avoir trahi le parti qu’il a contribué à fonder33.

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20La mort du PRL survient au terme d’une lente agonie, qui a commencé dès 1947, à tel point que l’on peut se demander si le « moment PRL » ne se réduit pas à la seule année 1946. Elle procède de facteurs internes (divisions stratégiques, crise de leadership, incapacité à faire vivre un véritable militantisme de masse), aggravés par la pression des groupements politiques voisins, à la fois plus dynamiques et plus cohérents. Le surgissement du RPF en 1947 a ainsi révélé l’archaïsme des méthodes d’organisation du PRL, ainsi que son hésitation à adopter une stratégie d’opposition frontale à la troisième force. L’essor du Centre national des indépendants, formation plus souple et plus ouverte au regroupement des centres, a, par un jeu de contraste, donné du PRL l’image d’un parti rigide et cantonné à une base politique trop étroite – celle de la droite conservatrice. Contrairement à ses deux principaux concurrents, le PRL n’a pas réussi à apparaître comme une force de rassemblement durable. C’est pourquoi il n’a joué qu’un rôle secondaire dans le processus de regroupement des modérés au début des années 1950.