1Il faut tout d’abord faire une considération préalable et surtout répondre à une question clé : le thème de l’école et tout particulièrement la question de l’enseignement dit « libre », est-il pertinent pour décrire la brève, mais intense, histoire du Parti républicain de la liberté1 ? Aborder l’histoire du PRL en analysant son rapport avec cette question clé du début de la IV^e République (qui sera à nouveau centrale au début de la V^e République puis pendant le premier septennat mitterrandien2) peut-il nous aider à mieux décrire la tentative ratée qui a été celle du PRL dans l’histoire multiforme de la recomposition des droites françaises après la Seconde Guerre mondiale3 ? À notre avis, la réponse est positive, et cette contribution part d’une tentative de périodisation du sujet, une périodisation dans laquelle question scolaire, évolution du PRL, et premiers pas de la IV^e République se superposent inévitablement.

2On peut distinguer de trois phases dans l’histoire des relations entre le PRL et la question scolaire, et cette tripartition, loin d’être seulement temporelle, répond aussi à une logique thématique. La première phase va de la naissance du PRL, donc des élections pour la première Assemblée constituante d’octobre 1945 (même si la première réunion du comité directeur du PRL date du 22 décembre 1945), jusqu’aux élections législatives du 10 novembre 1946. Durant cette première période, la question scolaire, bien qu’il serait préférable d’évoquer l’enseignement « libre », est la première arme utilisée par le PRL contre son principal adversaire à droite, c’est-à-dire le Mouvement républicain populaire4. Comme on le verra, l’idée selon laquelle le PRL serait le véritable défenseur de l’école libre (voire de l’école catholique), contrairement au MRP, disposé à immoler ce principe sur l’autel de la survivance du tripartisme (et du compromis de la seconde Constitution), constituera le véritable moyen tactique, plus qu’idéologique, utilisé par le Parti républicain de la liberté pour faire obstacle aux succès électoraux du Mouvement républicain populaire, notamment à l’égard de l’électorat catholique et tout particulièrement dans les départements de l’Ouest5. On peut affirmer que les attaques les plus virulentes du PRL à l’encontre du Mouvement républicain populaire sont conduites, pendant l’année de la Constituante, précisément sur la question scolaire. La défense de la liberté de l’enseignement devient l’un des éléments les plus identitaires du PRL durant cette phase et, sur ce sujet, le PRL essaie de voler au Mouvement les voix catholiques, du moins celles de sa composante modérée.

3La deuxième phase débute en 1947 pour se conclure à la mi-juin 1950 environ, quand s’achève la grève de l’impôt dans les territoires de l’Ouest, dominés par M^gr Cazaux, évêque de Luçon. La situation dans cette deuxième partie de la périodisation est moins linéaire, mais elle constitue un autre facteur important pour décrire l’échec du PRL. Apparemment, surtout jusqu’en avril-mai 1948, la question scolaire n’occupe pas une place déterminante, le parti s’occupe plutôt dans son opposition à la Troisième Force des thèmes économiques et doit en outre surveiller sa droite. En effet, avec le lancement du Rassemblement du peuple français, le PRL voit se réduire significativement sa place de seule opposition crédible (les communistes sont un parti antisystème) à l’immobilisme des partis de gouvernement6. En réalité, la question scolaire est encore bien présente et se manifeste à travers la double tentative du PRL d’attaquer la Troisième Force, d’une part, et de s’imposer comme le point de référence politique d’une révolte « religieuse » implantée dans les territoires de l’Ouest (en particulier la Vendée et la Loire-Inférieure). Pour ce qui est des attaques contre la Troisième Force et, en particulier, une fois de plus contre le MRP, il faut rappeler la question, apparemment mineure mais en réalité très significative, des écoles des Houillères. Le deuxième point est un petit peu plus délicat. En effet, d’une part, il s’agira de rendre compte d’une tentative constante, mais sans résultats réels, du PRL qui tente de lutter contre l’idée (très répandue dans l’opinion publique et, de fait, assez proche de la vérité) selon laquelle le MRP serait le seul parti vraiment catholique. Il s’agit, d’autre part, de s’arrêter quelques instants sur le rôle que le PRL cherche à jouer, pour obtenir des retombées politiques, dans la révolte compliquée qui, à partir des procès des kermesses et jusqu’à la grève de l’impôt et aux grandes manifestations populaires d’avril 1950, se concrétisera dans les territoires de l’Ouest7.

4Enfin la troisième partie de cette réflexion, une sorte de dénouement, traite des années 1950 et 1951 et s’achève avec l’adoption de la loi Barangé-Barrachin-Baudry d’Asson (rappelons qu’Edmond Barrachin et Armand de Baudry d’Asson sont deux anciens membres du PRL, respectivement élus aux élections de juin 1951 sur les listes du RPF et des Républicains indépendants). Pourquoi peut-on parler de dénouement ? Parce que la « mort politique » du PRL correspond, d’un point de vue politique, au choix explicite de l’Église pour le MRP (un choix qui ne payera pas et qui, par exemple, suscitera les réactions des catholiques gaullistes, la plus connue étant celle d’Edmond Michelet8). L’effort du PRL pour la défense de l’enseignement libre a-t-il donc été vain ? Il y a dans ce succès provisoire et surtout dans le lancement de l’Association parlementaire pour la Liberté d’enseignement un moment de rupture périodisant : le fait que la question de la défense scolaire perde sa connotation d’arme politique pour mener la bataille des droites et devienne le patrimoine de toute une mouvance, modérée et catholique, qui va au-delà des divisions présentes au sein de la droite, au moins jusqu’à la synthèse opérée par le gaullisme de la V^e République, trouve sa consécration définitive.

L’Enseignement libre comme moyen de s’opposer au MRP

5Tout commence avec les élections du 21 octobre 1945. Le 28 mars 1945, l’Assemblée consultative a voté la proposition du député communiste Georges Cogniot pour la suppression des subventions aux écoles catholiques. Le Conseil des ministres, trois jours plus tard, a pris acte et confirmé cette décision, en la différant au plus tard à la mi-juillet. Si la campagne électorale est essentiellement dominée par les questions relatives aux deux référendums9, on n’hésite pas, au sein de la mouvance modérée qui va se structurer durant cette phase avec ses listes d’Union nationale et républicaine, à attaquer le Mouvement républicain populaire en utilisant le thème sensible de l’enseignement libre.

« Partisan de l’Enseignement libre, le MRP désire le contrôle de cet enseignement par l’État, non pas dans ce qu’il a de technique, mais dans son esprit. Il a déjà réussi à provoquer une réforme similaire avec l’École des Sciences Politiques. En fait, cette école n’existe plus. Ce qui en faisait la grandeur c’était la liberté. Aujourd’hui elle enseigne ce que veut bien lui permettre l’État.
C’est la politique des pays totalitaires.
Le jour où le Gouvernement serait anticlérical on voit où cette situation pourrait mener !
Ce n’est point que nous soyons opposés à ce que, dans chaque école soit donnée sous le contrôle de l’État un enseignement civique dont le pays a besoin ; mais alors qu’avec le droit scolaire donnant aux parents la possibilité d’élever leurs enfants dans l’école de leur choix, cet enseignement civique peut être fourni sans que soient déformés les principes fondamentaux d’une éducation bien menée, ce contrôle direct de l’Enseignement rend la liberté fatalement illusoire10. »

6L’article de fond publié dans L’Avenir de l’Ouest du 19 octobre 1945 est encore plus explicite. Après la présentation des différents points de vue des partis politiques, les principaux projets de la liste d’Union nationale sont dévoilés. L’idée d’un libéralisme offensif par rapport, surtout, au bloc marxiste et étatiste, est complétée par une claire référence à la question de la liberté du choix scolaire.

« Que voulons-nous, nous autres ?
Nous voulons le progrès dans l’ordre. […] Du passé nous voulons conserver les bases de notre civilisation qui a apporté à l’homme la liberté, bien que nous considérons comme le premier de tous.
Or la liberté forme un tout indivisible. Il n’y a pas de liberté de pensée, il n’y a pas de liberté d’opinion en dehors d’un système de liberté économique. […] Nous réclamons la liberté de l’enseignement par l’adoption du bon scolaire qui laisse aux parents le choix de l’école à laquelle vont leurs préférences, système déjà adopté par des pays étrangers.
[…] Mais ce contre quoi nous nous élevons avant tout, c’est contre la dictature de l’État à laquelle abouti le principe des nationalisations érigé en système.
Pour nous, l’État représenté par le gouvernement doit être un arbitre et non pas un entrepreneur11. »

7Dans la période qui suit immédiatement le scrutin d’octobre, du côté modéré, on souligne bien vite les contradictions d’une possible coalition de gouvernement entre le MRP et les socialistes. Le colonel Félix (Jacques Chombart de Lauwe, l’une des personnalités les plus actives du PRL, élu de la Loire-Inférieure) présente le MRP comme une « statue aux pieds d’argile », divisé entre libéraux antimarxistes, catholiques intéressés par la dimension sociale du politique et vrais socialistes. Surtout, il bâtit l’idée d’une incompatibilité entre le Mouvement républicain populaire et la SFIO, en premier lieu sur la question scolaire :

« Il est douteux qu’une combinaison socialo-MRP puisse y survivre sans scission du parti car les socialistes, en l’état actuel des choses, n’accepteront jamais que l’État prenne à sa charge l’entretien d’une école libre véritablement digne de ce nom et les catholiques ne peuvent accepter ce dirigisme dans l’esprit de l’enseignement que réaliserait le seul fait d’un droit de choix des livres de classe par l’État et la formation des maitres sous son contrôle12. »

8Le débat s’étend alors à la première Assemblée Constituante. La question clé est la suivante : le MRP a-t-il fait tout son possible pour défendre à la Constituante le principe de l’égalité entre l’école publique et l’école libre ? A-t-il tout fait pour tenter d’intégrer ce principe à la nouvelle charte constitutionnelle ? La réponse du PRL est catégorique : absolument non. Par deux fois, la commission refuse d’inscrire la liberté de l’enseignement dans la Déclaration des droits, en janvier et en février 1946. Mais c’est le 15 mars, lorsque la question est discutée à l’Assemblée, que la situation devient la plus critique. Même si les interventions des MRP Pierre-Henri Teitgen et Maurice Schumann ne semblent pas différer beaucoup de celles des députés PRL Robert Montillot et Joseph Denais13, le quotidien L’Époque, très proche du PRL, n’hésite pas à condamner le manque de courage politique du MRP.

« Pratiquement, le MRP accepte la responsabilité de gouverner avec ceux qui menacent l’école libre, qui veulent la détruire et qui asserviront demain les jeunes Français. Il met ses principes dans sa poche. Il les ressort de temps en temps et les brandit, mais il cligne de l’œil du côté des deux autres grands partis pour bien leur faire entendre que ce n’est pas sérieux14. »

9Comme on le sait, malgré ces interventions, l’amendement sur la liberté de l’enseignement est rejeté le 15 mars 1946 par 321 voix contre 222. Dès lors, le thème de la liberté de l’enseignement devient l’instrument privilégié du PRL pour souligner les contradictions politiques et doctrinales du MRP.

10Il y a avant tout une dimension constructive de la question. Comme l’explique très bien Michel Raingeard, la liberté de l’enseignement devient un « droit sacré » pour le Parti républicain de la liberté. De façon très précise et articulée, Michel Raingeard exprime la primauté de l’argument en rappelant que le principe doit être défendu au nom de la tradition libérale et républicaine de la nation française, mais aussi au nom du respect des croyances religieuses.

« Enfin et surtout, nous réclamons la liberté de l’enseignement AU NOM DU RESPECT DES CROYANCES. Et c’est un aspect que s’obstinent à vouloir ignorer nos adversaires ; ils ne veulent pas comprendre que, pour un croyant, l’enseignement libre est la garantie de sa croyance. […] Le croyant a droit d’exiger l’éducation dans le climat de ses croyances. […] La liberté de l’enseignement est une exigence imprescriptible de la liberté religieuse. »

11Sans sous-estimer le ton presque « clérical » de ces mots, on trouve la confirmation définitive de la centralité de la question scolaire, déclinée de cette manière, à l’occasion du premier Congrès national du PRL (Paris, 26-28 avril 1946). Dans sa motion finale, on peut lire que :

« Le PRL, résolument hostile au monopole de l’enseignement, fermement résolu à maintenir la véritable laïcité qui est la stricte neutralité de l’enseignement public, proclame son ferme attachement aux principes de la liberté de l’enseignement, qu’il considère comme une des bases essentielles de la liberté politique, le droit pour les pères et mères de famille de faire élever leurs enfants par les maîtres de leur choix étant une prérogative inviolable et sacrée de la personne humaine15. »

12L’élaboration de cette doctrine du PRL sur l’école libre est de nature plutôt offensive et prépare les élections du 2 juin 1946 (précédées par le référendum du 5 mai 1946). En général, le PRL attaque le MRP en se demandant si, après six mois de gouvernement avec les gauches socialiste et communiste, il a ou non décidé d’en finir avec son « double jeu ». Mais on peut trouver une posture encore plus offensive dans les dossiers utilisés pour la propagande électorale à l’approche du vote de juin. Le succès du Mouvement, défini comme « l’imposture du MRP », aurait pu compter en octobre 1945 sur trois atouts : la carte de Gaulle, la carte catholique et la carte des votes modérés. Et à propos de la « carte catholique », encore une fois, le PRL utilise le thème de la liberté de l’enseignement.

« Le MRP a fait état du catholicisme, récent ou non, de ses principaux chefs pour gagner la confiance et les voix des électeurs catholiques. […] Ces voix, le MRP les a récoltées en masse, lors du scrutin d’octobre 1945. Mais une fois au pouvoir, le MRP a tourné le dos aux revendications les plus sacrées de tous les croyants.
Le MRP a sacrifié à son appétit de pouvoir le principe même de la liberté de l’enseignement. Il dépendait pratiquement du MRP que le principe fut inscrit dans la Déclaration des droits. Il n’avait qu’à l’exiger du reste de la majorité tripartite. S’il avait seulement menacé, faute de cette inscription essentielle, de voter l’ensemble de la Constitution, les socialo-communistes n’auraient pas osé aller tous seuls à l’épreuve du référendum. […] Et tandis que les cardinaux et archevêques de France se déclarent décidés à sauver à tout prix la liberté de l’enseignement, les députés du MRP, eux refusent de mettre en jeu leurs portefeuilles ministériels16. »

13Malgré cet effort et des sondages plutôt favorables, le PRL n’arrive pas à gagner son pari anti-MRP. Au contraire, la double consultation de mai et juin est l’occasion d’une véritable consécration pour le MRP. Le résultat du PRL dans « ses territoires », c’est-à-dire dans l’Ouest, en Vendée ou en Maine-et-Loire17 est, si cela est possible, encore plus décevant. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? À la dialectique politique PRL-MRP, il faut ajouter une dimension « religieuse », déterminante pour comprendre l’échec final du Parti républicain de la liberté. Pour le moment, on peut affirmer que les choix stratégiques du PRL ne changent pas. À l’Assemblée constituante, les amendements relatifs à la liberté de l’enseignement sont une fois de plus rejetés (cette fois-ci, pour deux voix seulement, 274 contre 272 le 30 août 194618), mais le PRL soulignera surtout l’attitude du MRP, non pas à l’occasion de cette première lecture, mais lors d’une deuxième lecture, le 24 septembre suivant. C’est Robert Bruyneel qui prend la parole et demande une nouvelle lecture pour un amendement, celui relatif à la liberté de l’enseignement, rejeté pour deux voix seulement. Ce sera le MRP Paul Coste-Floret à s’opposer à un débat qui aurait pu, sans doute, mettre en crise la fragile coalition du tripartisme. Lors du vote suivant, le choix du MRP de s’abstenir suffit à conduire le PRL à se présenter comme le seul véritable défenseur de la liberté de l’enseignement19. Encore une fois, la question scolaire est centrale au niveau électoral comme on peut le voir à propos du lancement de la Liste d’union nationale en vue de la consultation du 10 novembre 1946.

« Électrices, Électeurs,
La situation du pays est dramatique. […]
En face de cette situation, l’union de tous les patriotes est indispensable, et c’est cette union que vise à réaliser la liste d’union nationale, qui comprend les représentants du PRL, de l’Union Gaulliste et du Parti Paysan.
Ensemble ils ont lutté contre un gouvernement tripartite qui conduit le pays à la ruine. Ensemble ils ont combattu une Constitution qui ne garantit véritablement aucune de nos libertés essentielles : LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT, LIBERTÉ DE LA PRESSE, LIBERTÉS SYNDICALES. Ensemble, ils se sont dressés contre un texte de constitution qui ne reconnaît pas à la famille “fondée sur le mariage” la place qui lui revient. Ensemble, ils lutteront pour que soit révisée la Constitution et pour que cesse un régime malfaisant qui mène la France à l’avilissement et au désastre20. »

14Cette fois-ci, il faut constater un progrès général des votes modérés, dont peut aussi bénéficier le PRL, surtout dans l’Ouest. Est-ce la posture gaulliste et contestataire du PRL, notamment par rapport au compromis constitutionnel, qui a payé ? Sans aucun doute. S’agit-il aussi des attaques du général de Gaulle contre le MRP ? Sans aucun doute. Mais comment peut-on expliquer l’arrêt de l’ascension du MRP en Vendée et Loire-Inférieure ? Pour traiter de ce thème, il faut aborder un sujet plus complexe qui sera l’objet du troisième paragraphe.

La question scolaire : seule certitude d’un parti en crise politique, idéologique et stratégique

15Le PRL qui voit la naissance du RPF en avril 1947 et de la politique de Troisième Force est un parti en grande difficulté du point de vue de sa stratégie politique21. Mais, s’il est défié à droite par le Rassemblement naissant, il n’arrive pas non plus à résoudre la question de sa compétition avec le MRP, en particulier à l’égard de l’électorat catholique. Pourquoi, alors, la question scolaire dans la période 1947-1950 peut-elle être considérée comme déterminante ? Pour des raisons très simples. D’une part, il existe un paradoxe : le PRL est probablement le parti le plus politiquement et idéologiquement engagé dans la défense scolaire, mais il n’obtient rien en échange de l’Église de France et de l’Église de Rome. D’autre part, c’est encore un parti qui utilise la bataille scolaire comme arme polémique pour critiquer une coalition de Troisième Force, qui finit par en décréter la mort politique. Rappelons qu’à la base des problèmes entre le PRL et l’Église de France, il y a tout d’abord le choix, parfois simplement implicite, d’autres fois ouvertement exprimé, des hiérarchies pour le MRP. Après la Libération (phase dominée par le thème de l’épuration des évêques collaborationnistes), la Curie et le MRP deviennent des alliés obligés. Le PRL ne peut nécessairement pas trouver de place dans le projet de création d’une démocratie chrétienne à la française que Pie XII, au tout début de la IV^e République, voulait voir naître en France.

16Les attaques arrivent et de manière explicite. À moins de 48 heures du vote du 2 juin, l’hebdomadaire catholique Le Pèlerin attaque directement le programme économique du PRL, en le définissant contraire à la doctrine sociale de l’Église. On peut se rendre compte de l’impact de cette déclaration en lisant la réplique du député PRL de la Loire-Inférieure Chombart de Lauwe, que tout le monde connaît sous le nom de colonel Félix :

« Par ailleurs, le PRL a été le défenseur le plus ardent des libertés religieuses. Aucun parti politique n’a pris position en faveur de la liberté d’enseignement avec autant vigueur et de netteté que lui. Cela dit la doctrine économique du PRL réprouve totalement le libéralisme désordonné qui conduit à l’anarchie dans laquelle il ne saurait plus être question ni de liberté ni de justice. […] Cette action [c’est-à-dire la publication du Pèlerin] a pour résultat de jeter le trouble dans les consciences, répond mal à l’idéal que nous propose la charité chrétienne. Nous posons le problème dans toute sa clarté, car nous savons que l’immense majorité du clergé français, dont la charité, dans ce que le terme a de plus haut, fait l’admiration du monde, réprouve à la fois ces procédés et cette intégration de l’Église à un parti. L’Église est l’Église de tous les fidèles. Nous regrettons seulement qu’à l’occasion d’un incident aussi grave, pas une voix ne se soit élevée pour désolidariser l’Église d’une action aussi indéfendable que dangereuse22. »

17Aucun résultat concret pour le PRL, même si, comme on l’a vu, ses efforts ont été nombreux à la Constituante, notamment sur le thème de l’école libre. À l’approche des élections législatives de novembre 1946, les consignes communiquées par le père Léon Merklen (La Croix) aux journalistes catholiques sont, une fois de plus, très claires : soutien au MRP contre les autres partis modérés et en particulier contre le PRL23. Comme l’explique très bien une lettre envoyée par un militant PRL de l’Hérault à Edmond Barrachin après le scrutin du 10 novembre 1946, même si elles n’ont pas été publiquement exprimées, les consignes électorales pour les catholiques ont bel et bien existé.

« Alors que les milieux autorisés de l’Évêché avaient formellement déclaré que, cette fois, ils ne prendraient pas partie, ainsi qu’ils l’avaient fait ouvertement en mai-juin dernier, une violente offensive en faveur du MRP a été déclenchée à leur instigation discrète, durant les quatre derniers jours de la campagne électorale. […] Un communiqué de la Semaine religieuse reproduisant la note du cardinal Suhard a été lu officiellement dans toutes les églises et chapelles du diocèse de Montpellier, le dimanche précédant l’élection. Bien qu’il fût formellement interdit de le commenter, […] certains prêtres ne se gênèrent pas pour en accompagner la lecture de leur grain de sel au profit du MRP, nominalement désigné par eux, du haut de la chaire, comme représentant la formation électorale réunissant le plus de chances. Dans toutes les paroisses, ce fut une véritable manœuvre du “porte à porte” et de bouche à oreille de la part des curés, que vinrent renforcer le clan des délégués de toutes les œuvres pieuses, à commencer par les présidentes de la LFAC, mobilisées pour la circonstance aux échelons cantonaux et locaux. [La présidente diocésaine, sœur d’un de nos amis, a tenu à se distinguer particulièrement par son zèle emmerpéiste. J’ai reçu personnellement la visite de religieuses d’un établissement hospitalier de Montpellier, auxquelles j’avais, à l’époque, rendu quelques services, qui sont venues m’apporter le témoignage de leurs regrets de n’avoir pu nous accorder leurs suffrages, comme elles se l’étaient proposé, un devoir strict d’obéissance (ce sont leurs propres paroles) leur ayant été imposé de voter MRP. Elles ont ajouté en avoir conçu une profonde tristesse et vive déconvenue]24. »

18On peut aisément comprendre cette difficulté du PRL, parti de la défense scolaire mais en même temps mouvement politique marginalisé par les hiérarchies catholiques, en lisant le document long et détaillé probablement envoyé par Edmond Barrachin au Vatican pendant les vacances de Pâques de 1947. Dans cette note confidentielle, on parle du rôle du clergé comme soutien au MRP et de l’incapacité de ce parti de faire véritablement barrage au communisme. Mais on parle aussi des attaques du MRP à l’encontre des partis libéraux et modérés et de son désir de promouvoir une collaboration de gouvernement avec la SFIO, pour obtenir une troisième voie labouriste. La conclusion de la note exprime toute la frustration du parti et de ses principaux dirigeants.

« Le MRP a manqué à sa mission en faisant voter une Constitution qui favorise les manœuvres communistes et une loi électorale injuste qui favorise le parti de Thorez. Nous appartenons aux milieux catholiques français qui déplorent l’attitude du MRP et constatent avec une grande tristesse que les prélats et les journaux catholiques (La Croix, Le Pèlerin) dans leur grande majorité assurent les succès de ce parti.
Sans aucun doute les curés qui se sont contentés de rappeler aux fidèles de faire leur devoir en choisissant entre les deux partis qui défendent la civilisation chrétienne ont exprimé un point de vue plus juste de l’intérêt de leur patrie25. »

19En réalité, pendant un moment, le PRL semble avoir des relations harmonieuses avec les hiérarchies ecclésiastiques. Mais il s’agit d’un moment particulier, dans un contexte fortement caractérisé et avec un dénouement paradoxal. En effet, le PRL, avec ses deux députés de l’Ouest Armand de Baudry d’Asson et Jacques Chombart de Lauwe, cherche à donner une connotation politique à la longue révolte que M^gr Cazaux, évêque de Luçon, mène à partir de 1948 et jusqu’à la grande journée de mobilisation du 23 avril 1950. En réalité, il s’agit d’un succès partiel et paradoxal pour le PRL. En effet, l’initiative politique n’appartient pas au PRL mais à l’évêché ; en outre, la grève de l’impôt prend une tournure de plus en plus antipolitique ; enfin, et c’est là que réside le véritable paradoxe, parce qu’en juin 1950 le Vatican vient au secours du MRP, véritable cible des protestations, pour son rôle central au sein du gouvernement. Angelo Roncalli s’occupe personnellement de l’évêque dissident de Luçon, Pie XII nomme M^gr Chappoulie (personnalité très proche des milieux MRP) au siège vacant d’Angers26, tandis que le Vatican, d’une façon inédite, arrive à s’exposer publiquement le 25 mai 1951 en demandant aux catholiques français de voter pour les Républicains populaires, « qui méritent toute l’estime en raison de l’effort sincère accompli en vue d’acheminer la France vers un avenir meilleur27 ».

20Le thème scolaire est aussi utilisé par le PRL dans le but de dénoncer la politique de la Troisième Force. On est en mai 1948 et le gouvernement de Robert Schuman doit résoudre la situation compliquée des écoles des Houillères du Nord, récemment nationalisées. Quel doit être le destin de leurs écoles privées28 ? Si le président du Conseil fait profil bas, en cherchant à souligner qu’il ne s’agit que d’un cas particulier, les socialistes haussent le ton et dénoncent le retour d’un confessionnalisme qui finit par troubler le sommeil de Combes. Pour éviter que la querelle ne se prolonge, un vote devant l’Assemblée aura lieu. Une majorité communiste, socialiste, radicale et UDSR vote un amendement qui réintègre la nationalisation. Le point de vue du PRL est clair. Michel Raingeard en donne synthétiquement le sens : « Pour se sauver, le gouvernement a laissé voter la laïcisation des écoles des Houillères29. » Le point de vue de Pierre Montel, député PRL des Bouches-du-Rhône, est encore plus clair :

« La Troisième Force entend conserver le pouvoir à tout prix, justement craintive d’affronter à nouveau les électeurs qui lui ont clairement signifié son congé aux dernières élections municipales. Elle se prête pour cela à d’étranges renoncements sur les principes : hier le service de 18 mois ; aujourd’hui la liberté d’enseignement ; demain, quoi encore, hélas ? […] La vérité c’est que seule l’autorité du Gouvernement, en la personne de son chef pouvait sauver les Écoles Libres des Houillères. […] Il était posé devant l’option : disparition des écoles libres ou chute du gouvernement. Le Gouvernement a choisi. Pour nous, toutes les libertés sont solidaires ; les défendre sans compromission et avant tout, tel est le mandat que nous avons reçu. Nous l’avons rempli30. »

21Mais désormais le climat était en train de changer et en particulier sur la question scolaire.

La fin du PRL, ou quand l’école ne divise plus la droite

22Naturellement, comme tout slogan, le titre de ce paragraphe cherche à simplifier un sujet qui n’a rien de simple. Néanmoins, le débat au sein même du PRL démontre bien que, vers la fin des années 1940, quelque chose était en train de changer. Si au Conseil national de décembre 1949 le thème de l’école libre était au premier plan de la motion finale31, on ne peut pas en dire autant pour la motion finale du Congrès de Lyon, six mois plus tard. La réaffirmation « du droit naturel des parents à l’éducation de leurs enfants, dont ils sont responsables au regard de la loi civile aussi bien que de la loi morale » et le fait que « chaque famille doit avoir la possibilité de choisir, à charges égales, l’école de son choix » n’apparaît qu’en fin de motion, après la question de la réforme électorale, de l’anticommunisme, de la liberté économique et de la tutelle de l’épargne privée32. Enfin, dans une longue profession de foi électorale de juin 1951, seules quelques lignes sont consacrées à la question de l’école et encore une fois dans l’unique but d’attaquer le MRP et sa politique d’union avec la gauche socialiste33.

23Que s’est-il passé ? À partir de la création du Secrétariat d’études pour la liberté de l’enseignement d’Édouard Lizop (avril 1948), dans le monde des hiérarchies ecclésiastiques (françaises et romaines) mais pas seulement, une nouvelle stratégie s’impose : fédérer tous les groupes de pression catholiques en jouant sur le thème de la liberté de l’enseignement la carte de la négociation politique. Le changement de climat est clair et on peut le comprendre en lisant l’éditorial du Bulletin du Secrétariat d’études du mois de juin 1950. Édouard Lizop accuse de façon plutôt explicite le sectarisme des manifestations de l’Ouest.

« Il n’est question, depuis quelques décades, que de propagande.
[…] On oublie que ce genre de propagande ne peut s’appliquer qu’à la poursuite d’un but totalitaire. Il s’agit moins de conquérir une large opinion que de durcir une minorité de combat.
Il n’en est plus de même quand il s’agit d’instituer la liberté et particulièrement la liberté d’enseignement. Ce problème touche trop profondément le cœur de l’homme et la structure de la société pour espérer imposer une solution durable tant qu’un climat préalable n’a pas été créé.
En aucun pays la liberté d’enseignement n’a trouvé son statut en une seule fois. C’est par une succession de mesures particulières que, petit à petit, se dégage une solution complète. Il est souhaitable pour le succès de notre cause que l’on soit conscient de cette différence fondamentale qui existe entre ceux qui veulent imposer une solution autoritaire et ceux qui doivent faire comprendre la nécessité d’instituer dans les faits une juste et équitable liberté34. »

24La naissance de l’Association parlementaire pour la liberté de l’enseignement au printemps 1951 constituera une étape déterminante, décisive notamment pour le vote de la loi Barangé-Barrachin-Baudry d’Asson, les trois premiers signataires d’une large majorité de députés qui comprend pratiquement tout le spectre de la droite : du MRP au RPF, en passant par les Indépendants35.

« Pendant cent jours, du 21 juin au 28 septembre, tous les parlementaires membres de l’Association des parlementaires pour la liberté d’enseignement ont fait preuve d’unité de vue profonde, d’un accord sans défaillance, pour aboutir enfin, par d’écrasantes majorités, au vote définitif des dispositions prévues : 378 voix ont approuvé l’extension du bénéfice des bourses aux élèves de l’enseignement privé et 315 voix ont approuvé la création de l’allocation scolaire. […] Plus que le résultat matériel lui-même, le climat dans lequel s’est déroulé ce grand et long débat lui donne sa pleine signification. […] Que l’union qui a fait notre force se maintienne et se développe36 ! »

25Comme le succès du RPF constitue l’une des causes de la fin politique du PRL37, la fin de la division à droite sur la question scolaire contribue elle aussi à sa disparition. Il s’agit encore une fois des mots d’Édouard Lizop. Son commentaire, suite aux résultats des élections de juin 1951, sonne comme une sorte de De profundis pour le PRL et son approche de la question scolaire est offensive :

« C’est le moment pour nous de rappeler que le problème de l’enseignement doit être traité en dehors de toute préoccupation partisane. L’Association parlementaire permettra de réaliser hors de la concurrence des partis cette union nécessaire38. »