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Le moment PRL

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Christine Manigand
, 
Jérôme Pozzi
, 
Sylvie Guillaume
, 
et al.

Rénover la République ?

Nicolas Roussellier

Texte intégral

  • 1 Ce sont les expressions employées par l’un des fondateurs du PRL, André Mutter dans la réunion du (...)

1Si l’on se place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’expression « rénover la République » peut être interprétée de multiples façons. Dans ce moment, tous les partis utilisent le vocabulaire de la rénovation et le PRL ne fait pas exception à la règle. Il se présente, dès sa création comme le « Parti de la rénovation » avec pour ambition de devenir le « quatrième Grand Parti1 ». Dans le sillage des propositions de nouvelle République qui ont été portées par les différents courants de la Résistance, l’idée de rénovation institutionnelle et politique est donc à la fois universelle mais aussi très vague en 1944 et 1945. La question pour le PRL est de pouvoir affirmer l’originalité de sa position.

2Au milieu d’une telle floraison, une évidence apparaît cependant : le terme de « réforme de l’État » qui était si en vogue avant la guerre et qui, à bien des égards, aurait mieux convenu pour décrire les idées du PRL, apparaît dépassé. Sans doute, la formule rappelle trop les années 1930. Elle a gardé le sens trop étroit de révision des lois constitutionnelles de 1875 et un tel enjeu n’apparaît plus vraiment d’actualité une fois passé le premier référendum du 21 octobre 1945. Dès lors, la voie qui s’ouvre devant le PRL apparaît particulièrement étroite. Il s’agit de faire passer dans l’après Seconde Guerre mondiale, l’héritage des réformateurs de l’État de l’avant-guerre sans donner l’impression de mener un combat d’arrière-garde et tout en réussissant à se positionner par rapport aux idées des grandes forces politiques du moment : face aux trois grands partis, PCF, SFIO et MRP d’un côté, et face au mouvement gaulliste redéfini pour le temps de paix par le discours de Bayeux de juin 1946, puis la création du RPF en 1947 de l’autre.

3Nous allons envisager successivement la façon dont le PRL est ancré dans l’héritage de la tradition du constitutionnalisme réformateur de la famille libérale et modérée puis nous présenterons les limites de ce « moment PRL » et même les contradictions qui pèsent de manière plus générale sur le PRL.

Le PRL et la rénovation constitutionnelle de la République

  • 2 Les travaux de Jean-Paul Thomas ont montré combien le PRL ne pouvait être réduit à un parti refuge (...)
  • 3 Manifeste de l’Union patriotique républicaine (probablement août ou septembre 1945). Archives du Ce (...)

4Dans ce domaine qui porte sur le fonctionnement des institutions républicaines, le PRL avait plusieurs atouts dans sa main. D’abord, si on le considère dans la longue durée, il est l’héritier (même si ce n’est pas son origine unique, loin de là2) du courant libéral qui, depuis le XIXe siècle, a toujours joué un rôle central dans les grands débats institutionnels. Les libéraux avaient notamment joué un rôle crucial dans les débats de l’Assemblée nationale entre 1871 et 1875 pour aboutir à une constitution « orléaniste », puis, à nouveau, tout au long de l’évolution de la IIIe République pour plaider notamment en faveur d’une réforme du règlement des assemblées parlementaires. On retrouve cette tendance au PRL et dans les petites formations qui l’ont précédé ; la tendance se traduit par un intérêt marqué pour la place et pour le rôle premier des institutions. Au groupe de l’UPR fondé en juillet 1945, et qui précède le regroupement à venir dans le PRL, le premier manifeste place la réforme des institutions en tête de ses propositions : « Reconstruisons d’abord notre maison […] c’est tout notre appareil législatif, administratif et judiciaire qui demande révision3. » On retrouve ainsi ce qui a longtemps fait le propre du libéralisme politique français : la priorité accordée au constitutionnalisme considéré comme un préalable à tout programme de rénovation nationale, économique ou sociale.

  • 4 Le parcours qui mène du PSF au PRL n’est pas spécifique à Barrachin puisqu’il semble concerner une (...)
  • 5 Canevas d’un discours de campagne pour les législatives des 1er et 8 mai 1932 (Rethel). La profess (...)
  • 6 Par exemple : « Devons-nous souhaiter une dissolution », Journal des Ardennes, 8 avril 1934. Voir (...)
  • 7 Il a été élu député de Sedan lors d’une élection partielle en mai 1934. EBA no 6.
  • 8 « Front républicain », juillet 1935 (le groupe était placé sous le parrainage de Henry Franklin-Bo (...)
  • 9 Discours devant les cadres de la fédération, 10 février 1937 (ou 1938 ?). EBA no 5.
  • 10 Canevas du discours du 5 juillet 1939. EBA no 5.

5Mais le PRL peut aussi être considéré dans la moyenne durée. Il apparaît alors comme l’héritier des débats sur la réforme de l’État des années 1930. La filiation ici est double puisqu’elle renvoie au débat que l’Alliance républicaine a tenté de porter, non sans mal et non sans divisions, puis au programme du PSF dont Edmond Barrachin devient le directeur du Bureau politique à partir de 1936. Précisément, l’itinéraire de Barrachin permet de suivre assez bien cette continuité qui relie le début des années 1930 à la fin des années 1940 et à la formation du PRL4. Ainsi, on apprend au détour d’un discours écrit pour sa première campagne législative en 1932, qu’Edmond Barrachin a assisté « depuis huit ans aux débats de la Chambre ». Il se vante dès lors d’en connaître tous « les détails » et de pouvoir en déduire les lignes d’une réforme du travail parlementaire qui se caractériserait par la réduction du nombre des députés et par l’obligation de présence5. Cet intérêt n’est pas démenti par la suite. On le voit dans les articles qu’il donne au Journal des Ardennes au cours du premier semestre 1934 dans lesquels il apporte son soutien à l’expérience Doumergue. Edmond Barrachin appelle à la réforme électorale et à la révision de la Constitution pour renforcer l’exécutif6. Peu de temps après avoir été élu député7, il prend l’initiative de créer en juillet 1935 avec Roger Sarret un groupement de jeunes parlementaires appelé « Front républicain ». C’est tout logiquement qu’il place en tête du programme « une profonde réforme de l’État qui seule permettra le maintien du principe démocratique en l’adaptant aux problèmes de l’heure8 ». Trois ans plus tard, au sein du PSF, Edmond Barrachin continue de porter la thématique de la révision constitutionnelle, sans que la teneur du programme ait été modifiée : « S’il y avait à la Chambre une majorité de députés PSF, la première chose que nous ferions serait d’aller d’abord à Versailles9. » Dans un discours du 5 juillet 1939, il précise que la « réforme de l’État » doit favoriser le « renforcement des pouvoirs du Président de la République » tout en étant associée à une série de réformes complémentaires comme le vote des femmes, le vote familial, la réforme électorale ainsi que la suppression du droit d’initiative parlementaire en matière de dépenses10.

  • 11 Union patriotique et républicaine. Bulletin de liaison et d’information, no 3, 24 septembre 1945. E (...)
  • 12 Assemblée nationale constituante élue le 21 octobre 1945, Séances de la commission de la Constitut (...)
  • 13 Tract de février 1946. Archives Rémy-Granger no 3.
  • 14 EBA, carton no 8.
  • 15 Ibid., p. 3 de la Déclaration.
  • 16 Déclaration du président du PRL, Michel Clemenceau, le 28 septembre 1946. Reproduit dans la brochu (...)
  • 17 Propos rapportés et résumés dans la brochure L’activité parlementaire du PRL, 5 février-2 mars 194 (...)
  • 18 Journal Officiel, 21 décembre 1946 (débat à l’Assemblée nationale).

6Dans le contexte immédiat de 1945 et 1946, enfin, en courte durée donc, la thématique institutionnelle ne disparaît pas, bien au contraire. Le PRL bénéficie de ce que l’on peut appeler une logique de position. Face au projet d’une assemblée unique qui serait dominée par les grands partis de gauche, le PRL reprend à son compte le drapeau de la République et se présente comme le parti de défense du régime parlementaire. Pour le premier référendum du 21 octobre 1945, le groupe « Union patriotique républicaine » présidé par Charles Vallin et qui comprend déjà Édouard Frédéric-Dupont et Edmond Barrachin appelle ainsi à défendre le principe du bicamérisme caractérisé par l’idée d’équilibre entre deux assemblées11. Ces positions sont d’ailleurs défendues par Frédéric-Dupont qui a été nommé membre de la Commission de la Constitution le 29 novembre 194512. Dans la première assemblée constituante, le parti se présente comme le héraut de la cause parlementaire : « seuls le groupe du PRL et les rescapés du parti radical-socialiste représentent la tradition parlementaire » écrit Camille Aymard13. Il n’est pas étonnant dès lors que dans le texte de la première déclaration générale du parti, votée lors du premier congrès national organisé à Paris du 26 au 28 avril 1946, on trouve le paragraphe sur l’affirmation du PRL comme « un parti républicain » qui défend en priorité un « régime parlementaire sincère et loyal, conscient de sa grandeur et de ses responsabilités ». Ce paragraphe est même placé en tête de la déclaration et il devance les formules consacrées à la liberté, à lutte contre le marxisme14 et à la politique familiale qui sont les autres grands thèmes identitaires du PRL. Dans cette longue année de débats constitutionnels, le PRL a pu occuper une position. Contre le tripartisme de 1946, il appelle à lutter pour la défense de « l’institution parlementaire [qui] a été dégradée par le totalitarisme de la majorité15 ». On le voit avec Michel Clemenceau qui appelle au nom du PRL à voter contre le deuxième projet constitutionnel parce qu’il dénonce « un gouvernement d’assemblée [qui] ruinerait la démocratie » et « la dictature d’une Assemblée16 ». On le voit avec André Mutter qui est intervenu à la tribune de l’Assemblée nationale le 5 février 1946 pour appeler à voter contre la demande faite par le gouvernement Félix Gouin d’une délégation générale de pouvoirs budgétaires : « Parce que s’agissant des compressions budgétaires, c’est l’Assemblée qui doit prendre publiquement ses responsabilités et non pas un petit groupe de commissaires dans le secret de leur tête-à-tête avec le gouvernement17. » Par sa voix, le PRL s’oppose au retour à la pratique des décrets-lois. On le voit enfin avec Joseph Laniel en décembre 1946 qui proteste contre l’usage de la procédure d’urgence dans le vote des projets financiers du gouvernement, une procédure qui revient à retirer les droits de l’opposition et qui fait que « le Parlement devient une claque destinée à approuver les actes du Cabinet18 ».

Les limites du programme de rénovation

  • 19 Par exemple, le manifeste de l’UPR propose la suppression de l’initiative parlementaire en matière (...)
  • 20 Le programme le plus précis était apparu dans le « projet de programme de politique intérieure » d (...)
  • 21 En ce sens, le document le plus intéressant, probablement dû à Edmond Barrachin, est « Les CRR et (...)
  • 22 Manifeste de l’Union patriotique républicaine, p. 12. EBA no 12.
  • 23 EBA no 8.
  • 24 Brochure « Programme 1948 » (dactylographié). EBA no 8.

7Malgré les héritages et les atouts qui étaient placés entre les mains du PRL, son programme de rénovation du régime républicain rencontre cependant un certain nombre de limites. La première est d’ordre intellectuel. Elle porte sur le contenu de ses propositions de rénovation du régime républicain et parlementaire. Car, si on les ramène à un noyau dur d’éléments concrets, elles ne font que reprendre le programme d’André Tardieu de 1933-1934 (avec le droit de dissolution) ou celui d’Alexandre Millerand des années 1920 (rôle renforcé du président de la République) ainsi qu’un certain nombre d’idées qui ont été depuis longtemps avancées par les modérés de la IIIe République19. Le programme reste ainsi fixé sur l’objectif général de renforcement du pouvoir exécutif sans véritable originalité. Ce programme manque d’ailleurs de précision20. On ne sait pas, par exemple, si c’est le renforcement de l’exécutif par le Président de la République ou par la présidence du Conseil qui est privilégié. Seule la première petite formation animée par Edmond Barrachin dans l’après-guerre, les CRR du début 1945, avait proposé un programme assez élaboré et assez précis21. Mais celui-ci a été visiblement édulcoré puis amputé par la suite, au fur et à mesure des compromis internes au PRL. Ainsi, le « programme » formulé par l’Union patriotique républicaine reste vague ; il appelle à « un régime parlementaire équilibré, la représentation nationale déléguant et contrôlant le pouvoir exécutif, assurant cependant à celui-ci des possibilités d’action et un minimum de continuité22 ». Ce n’est qu’une façon d’exposer la quadrature du cercle du régime parlementaire moderne sans pouvoir formuler une solution claire. Dans la Déclaration générale du parti, le programme constitutionnel tient simplement en deux points : défendre le bicamérisme et appeler à « un exécutif fort, capable d’élaborer une politique continue23 ». La même remarque peut s’y appliquer. Dans le Programme de 1948, la proposition est devenue encore moins précise puisqu’elle se contente pour le pouvoir exécutif d’appeler au « renforcement de l’autorité du Président de la République et du Gouvernement » et pour le législatif de plaider en faveur de l’extension des attributions de la deuxième Chambre. Mais le programme l’avoue lui-même : il ne s’agit pas « d’entretenir une vaine agitation autour des imperfections de la Constitution adoptée le 13 octobre 1946 ». Il y a « des problèmes plus urgents à résoudre que celui de la révision de la Constitution24 ». L’heure du constitutionnalisme libéral semble être donc passée au sein du PRL.

  • 25 Dans une lettre écrite à Edmond Barrachin, le 20 septembre 1948, Michel Clemenceau réclame pour le (...)

8De cette relative timidité des propositions se déduit la deuxième limite : la faiblesse de la position du PRL confrontée aux propositions faites par les grands partis de la IVe République. Par exemple, en matière de transformation du parlementarisme (sur le rôle des partis et de leur discipline, sur le parlementarisme rationalisé, etc.), les socialistes, certains MRP ou des personnalités comme René Capitant allaient beaucoup plus loin que le PRL, notamment parce qu’ils connaissaient les évolutions et les expériences du régime parlementaire à l’étranger. Au total, le PRL apparaît plutôt comme un parti conservateur qui plaide pour la cause du parlementarisme à l’ancienne, dans le style de la IIIe République. On le voit par exemple au fait que le principe de la discipline imposée aux élus par le parti ne fait pas encore consensus entre ceux qui, comme Edmond Barrachin, acceptent les contraintes du parti politique moderne et ceux qui mettent l’accent sur la tradition républicaine et parlementaire25.

  • 26 Qui comprend le vote familial, le vote obligatoire, le rejet de la représentation proportionnelle (...)

9Enfin, il apparaît que le PRL mise en fait beaucoup sur les vieilles recettes politiques comme la réforme du scrutin26 ou comme des stratégies d’alliances avec les autres groupes de droite. Il n’y a pas un appel à une rénovation de la République portée par une idée-force. En ce sens, le PRL pâtit de la comparaison avec le gaullisme qui bénéficie à la fois de l’équation personnelle du général de Gaulle et de la mystique présidentielle du pouvoir fort. La dynamique gaulliste n’aura donc pas de mal à absorber une bonne partie du PRL, de ses élus comme de ses réseaux militants.

Le PRL face à ses contradictions

  • 27 Discours d’Édouard Frédéric-Dupont, réunion du palais des Glaces, Paris, 22 décembre 1945, Bulleti (...)

10La position du PRL sur le thème d’une République rénovée se trouve aussi fortement compromise par les contradictions qui caractérisent la vie et l’évolution politique du PRL entre 1946 et 1951. Il existe, d’abord, une contradiction fondamentale sur les termes même de rénovation de la République employés depuis 1945. La plupart des autres partis pensent une République nouvelle du point de vue institutionnel mais en la couplant systématiquement avec l’objectif d’une rénovation sociale qui occupe dorénavant le premier plan de l’idée de République. Or, le PRL ne cesse de critiquer les réformes sociales et notamment les nationalisations qui « préparent la venue d’un régime totalitaire où l’État sera dieu » pour reprendre les termes d’Édouard Frédéric-Dupont27. Le PRL s’élève contre la mise en place d’un État social et contre l’accroissement des prérogatives de l’État en général. Le constitutionnalisme du PRL se trouve ainsi auto-limité et en contradiction avec lui-même : pourquoi faudrait-il proposer un renforcement de l’exécutif si c’est pour appeler à limiter le rôle de l’État au sein de l’économie ? C’est là, la grande différence avec la mystique gaulliste qui, elle, appelle à forger des nouveaux outils constitutionnels dans le cadre d’une stratégie de puissance de l’État, la force du gouvernement étant pensée comme la clé de l’intervention de l’État dans l’économie et dans les relations sociales.

  • 28 Il n’y a que deux pages sur 203 consacrées à la révision de la Constitution (un chapitre sur un to (...)

11Le PRL paye aussi les logiques et les contraintes de son positionnement dans la vie politique du début de la IVe République. Le parti développe à la fois l’anticommunisme, l’anti-marxisme, la critique des politiques économiques gouvernementales. Il se positionne contre l’inflation, contre les réformes de structure, contre les restrictions apportées aux libertés économiques et notamment à la liberté du commerce, contre les dépenses publiques et contre ce qu’il appelle la « superfiscalité ». Il appelle enfin à la défense de l’école libre et de la politique familiale. Pour exister politiquement et électoralement, le PRL est ainsi amené à placer le thème de la rénovation de la République et du constitutionnalisme libéral dans le deuxième voire dans le troisième plan de ses préoccupations et de son programme. La rénovation institutionnelle a été progressivement remplacée par les thématiques qui ont fait du PRL un parti protestataire de droite. Passé la période d’opposition aux deux projets constitutionnels de 1946, le thème constitutionnel a donc beaucoup perdu de son actualité même si le Parti appelle régulièrement à des révisions de la Constitution (par exemple une révision favorable à une réhabilitation du rôle de la seconde chambre, sous l’impulsion de Georges Pernot). Dans sa brochure de 1949 qui retrace toute l’action politique et parlementaire menée dans les quatre années précédentes, la révision de la Constitution occupe encore symboliquement la tête mais elle se retrouve complètement noyée (deux pages sur 203) au milieu de la déclinaison de tous les sujets fétiches du parti (la liberté du commerce, la politique familiale, la lutte contre les nationalisations, etc.28).

  • 29 Le PRL réclame par exemple la réduction du nombre des fonctionnaires pour obliger l’État à regagne (...)

12Enfin, le PRL se retrouve aussi en contradiction par rapport aux expériences nouvelles et modernisatrices en cours. Depuis les années 1930, le courant dit modéré, n’est plus au pouvoir, il n’est plus placé au cœur des expériences menées au sein de la sphère gouvernementale. Or, depuis 1934-1935, si la réforme de l’État a échoué dans son but officiel (la révision de la Constitution de 1875), elle a au moins permis la montée en puissance d’une présidence du Conseil organisée et renforcée. Ces expériences n’ont cessé de se développer dans la France libre, au GPRF mais aussi en ce début de IVe République. La connaissance de ce nouveau fonctionnement de l’État29, la compréhension du rôle nouveau et modernisateur joué par la haute fonction publique, les formes nouvelles prises par le travail gouvernemental semblent totalement échapper à la thématique du PRL. Les hommes du PRL apparaissent dès lors confinés à leur habitus parlementaire et prisonniers des cadres de pensée propres aux grands notables de province. Le « moment » PRL est donc bien passé.

*

13Au total, si le thème de la rénovation de la République a occupé une place de choix dans les origines et dans l’identité politique du PRL, il a finalement été la source d’une série de déceptions et de déconvenues. À l’évidence, le PRL était partagé entre plusieurs sensibilités et plusieurs stratégies. Cela avait déjà été le cas pour les modérés des années 1930 vis-à-vis du débat sur la réforme de l’État. Certains leaders du PRL, comme Edmond Barrachin, ont visiblement placé l’essentiel de leur espoir de rénovation dans la formation d’un grand parti qui prendrait exemple sur la réussite du PSF des années 1938-1939. Les améliorations constitutionnelles viendraient de surcroît, en déduction de la force d’un parti. Pour d’autres, la rénovation restait inscrite dans l’horizon réellement modéré de transformations parlementaires qui devaient être respectueuses de la liberté de vote et de la liberté de conscience des membres du parti. Mais dans un cas comme dans l’autre, il y a eu échec. Le PRL n’est jamais devenu le parti de masse capable de regrouper les bataillons dispersés et diminués du centre droit et de la droite. Cette voie était déjà tombée dans une impasse avant même que les mécanismes de ralliement au gaullisme n’entrent en jeu. Le PRL n’a jamais non plus été en mesure sur le plan parlementaire de prendre la tête d’un mouvement de rénovation interne au régime. Il ne pèse ni sur les débats constituants de 1945 et de 1946, ni vraiment sur les débats de révision constitutionnelle de la IVe République. Le « moment » PRL envisagé sous l’angle des conceptions institutionnelles n’existe finalement pas ; il est plutôt une étape supplémentaire, d’ailleurs assez confuse, du déclin du libéralisme parlementaire français. Il représente un jalon dans le cheminement ou le ralliement favorable à la solution du régime présidentiel.

Notes

1 Ce sont les expressions employées par l’un des fondateurs du PRL, André Mutter dans la réunion du palais des Glaces à Paris du 22 décembre 1945 (qui prépare la création du PRL). Bulletin de liaison du Parti républicain de la liberté, no 1, 15 janvier 1946.

2 Les travaux de Jean-Paul Thomas ont montré combien le PRL ne pouvait être réduit à un parti refuge pour les vieilles droites et les anciens ligueurs.

3 Manifeste de l’Union patriotique républicaine (probablement août ou septembre 1945). Archives du Centre d’histoire de Sciences Po, fonds Edmond Barrachin, carton no 12 (noter par la suite EBA no 12).

4 Le parcours qui mène du PSF au PRL n’est pas spécifique à Barrachin puisqu’il semble concerner une bonne moitié des élus PRL de 1945 et 1946. Voir J.-P. Thomas, « Le Parti républicain de la liberté. Ambiguïté et échec d’une tentative de recomposition politique », F. Roth (dir.), Les modérés dans la vie politique française (1870-1965), Presses universitaires de Nancy, 2000, p. 432.

5 Canevas d’un discours de campagne pour les législatives des 1er et 8 mai 1932 (Rethel). La profession de foi pour le deuxième tour est entièrement tournée comme une dénonciation du nouveau Cartel des gauches et ne mentionne rien qui concerne la réforme des institutions. Edmond Barrachin est battu au 2e tour contre un radical-socialiste par 4 132 voix contre 5 689. Ces deux documents dans EBA no 4.

6 Par exemple : « Devons-nous souhaiter une dissolution », Journal des Ardennes, 8 avril 1934. Voir EBA no 4.

7 Il a été élu député de Sedan lors d’une élection partielle en mai 1934. EBA no 6.

8 « Front républicain », juillet 1935 (le groupe était placé sous le parrainage de Henry Franklin-Bouillon). Il revendiquait une vingtaine de députés adhérents dont René Coty. Voir EBA no 6.

9 Discours devant les cadres de la fédération, 10 février 1937 (ou 1938 ?). EBA no 5.

10 Canevas du discours du 5 juillet 1939. EBA no 5.

11 Union patriotique et républicaine. Bulletin de liaison et d’information, no 3, 24 septembre 1945. EBA no 12.

12 Assemblée nationale constituante élue le 21 octobre 1945, Séances de la commission de la Constitution, comptes rendus analytiques imprimés en exécution de la résolution votée par l’Assemblée le 25 avril 1946, p. 8-9.

13 Tract de février 1946. Archives Rémy-Granger no 3.

14 EBA, carton no 8.

15 Ibid., p. 3 de la Déclaration.

16 Déclaration du président du PRL, Michel Clemenceau, le 28 septembre 1946. Reproduit dans la brochure Le PRL a eu raison, juin-septembre 1949.

17 Propos rapportés et résumés dans la brochure L’activité parlementaire du PRL, 5 février-2 mars 1946.

18 Journal Officiel, 21 décembre 1946 (débat à l’Assemblée nationale).

19 Par exemple, le manifeste de l’UPR propose la suppression de l’initiative parlementaire en matière de dépenses, proposition déjà avancée par Raymond Poincaré et par d’autres avant la Première Guerre mondiale.

20 Le programme le plus précis était apparu dans le « projet de programme de politique intérieure » des Comités de regroupement républicain (où figurent notamment Edmond Barrachin qui est le secrétaire général et Édouard Frédéric-Dupont) qui doit dater de la toute fin 1944 ou du premier trimestre 1945. Était proposée l’élection du Président par un collège électoral élargi comprenant députés, sénateurs et tous les conseillers généraux, le droit de dissolution sans avis conforme, le droit pour l’exécutif de soumettre par référendum « une décision importante engageant l’avenir de la Nation ». Un tel programme aussi précis n’apparaît plus ensuite ni dans le groupe UPR ni dans le PRL.

21 En ce sens, le document le plus intéressant, probablement dû à Edmond Barrachin, est « Les CRR et la refonte du mécanisme parlementaire français », daté d’avril 1945. C’est un mixte du programme d’Alexandre Millerand (élargissement du collège électoral du Président), du programme d’André Tardieu (droit de dissolution, suppression de l’initiative parlementaire en matière de dépenses) et de l’expérience du PSF (pour remédier à l’émiettement des groupes et partis, il faut un grand parti de droite comme l’avait été le PSF avec 687 000 adhérents en 1939).

22 Manifeste de l’Union patriotique républicaine, p. 12. EBA no 12.

23 EBA no 8.

24 Brochure « Programme 1948 » (dactylographié). EBA no 8.

25 Dans une lettre écrite à Edmond Barrachin, le 20 septembre 1948, Michel Clemenceau réclame pour les députés le droit d’être « libres de voter et d’agir, lorsque les intérêts généraux du pays sont en jeu, suivant notre conscience » (il s’agissait notamment de garder la liberté de vote individuelle vis-à-vis de l’intergroupe RPF/PRL). Voir EBA, no 8.

26 Qui comprend le vote familial, le vote obligatoire, le rejet de la représentation proportionnelle et l’adoption d’un mode de scrutin majoritaire et plus individualisé. Edmond Barrachin avait beaucoup plaidé la cause du vote obligatoire, cf. « Le vote obligatoire », Le Figaro, 23 octobre 1950 : voir EBA, no 31. Il avait aussi proposé en juillet 1949 une formule de scrutin de liste majoritaire à deux tours (la même liste emporte tous les sièges, soit à la majorité absolue au premier tour, soit à la majorité relative au deuxième tour). Proposition de loi déposée le 26 juillet 1949 : voir EBA no 13.

27 Discours d’Édouard Frédéric-Dupont, réunion du palais des Glaces, Paris, 22 décembre 1945, Bulletin de liaison du Parti républicain de la liberté, no 1, 15 janvier 1946.

28 Il n’y a que deux pages sur 203 consacrées à la révision de la Constitution (un chapitre sur un total de 19). Le PRL a eu raison, juin-septembre 1949.

29 Le PRL réclame par exemple la réduction du nombre des fonctionnaires pour obliger l’État à regagner son « rôle normal ». Motion générale votée au 3e Congrès national ordinaire du PRL, Nancy, 29 et 30 mai 1948. Publiée dans : Parti républicain de la liberté. Bulletin d’information des cadres du Parti, no 13-14, juin-juillet 1948.

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