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Les Juloded

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Louis Elégoët

Chapitre VII. Les Juloded et les villes

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Selon un recensement effectué en avril 1793, la population de Landerneau se décompose comme suit : (...)
  • 2 BSAF 1972/2 Dénombrements de la population...art. cit., p. 850, 860, 866.

1À la fin du xviiie siècle, la zone julode ne comporte que deux villes : Morlaix et Landerneau. La première compte 9 351 habitants en 1800 et la seconde 3 6691. La commune de Landivisiau, qui renferme 2 124 habitants à cette même date, ne peut être considérée comme une ville, dans la mesure où une bonne partie de sa population est dispersée dans les campagnes. À la périphérie de l’aire toilière, Lesneven n’abrite pas plus de 1 860 habitants2.

La bourgeoisie du pays toilier

  • 3 D’après les rôles de capitation.

2On pourrait imaginer que les Juloded, qui disposent de capitaux et bénéficient d’une expérience artisanale et commerciale, aient contribué à stimuler le développement économique de leurs villes. Il n’en est rien, ou presque, si l’on en juge par l’origine sociale et géographique de ces éléments moteurs que sont les négociants. Sur les 24 négociants signalés à Landerneau en 1744, six seulement ont un patronyme bas-breton, dont deux sont fils de paysans-marchands de toile3. Sur les 46 négociants de Morlaix en 1788, neuf portent un nom breton cependant que cinq d’entre eux sont fils ou filles de Juloded.

Origine géographique des négociants

3Il apparaît, dans ces conditions, que les négociants de ces villes, comme du reste leur bourgeoisie, sont essentiellement provenus d’autres régions françaises. C’est ainsi que la majeure partie des négociants établis à Landerneau en 1744 portent des patronymes non-bretons. Ce sont :

  • — Bonaventure et Bernard Duthoya dont un ascendant, originaire de Saint-Macaire, évêché de Bazas dans le Bordelais, vint s’établir à Landerneau vers 16804.
  • — Un Mazurier dont le père Jean-Baptiste originaire de Tinchebray (Orne) s’installa à Landerneau vers 17205.
  • — Pierre Fauvel, également natif de Tinchebray, qui s’établit à Landerneau vers 17306.
  • — Un Duclos-Legris, dont le père originaire du diocèse de Lisieux, vint habiter Landerneau vers 1685.
  • — Un Lavau venu de Libourne vers 1720.
  • — Un Simon Pépin, originaire de Saint-Laurent-de-Roujan, évêché de Béziers, qui épouse Françoise Filloux en l’église Saint-Thomas, en novembre 17307.
  • — Un Robert, natif du Bordelais, est arrivé à Landerneau vers 1730.
  • — Un Féburier, dont le père est venu de Grenoble vers 1715.
  • — Un Chambor, d’une famille d’Épernay.
  • — Un Daumesnil, originaire du Bessin8.
  • 9 Ces informations sont tirées des registres paroissiaux, de l’Histoire de Morlaix, J. Darsel, op. c (...)

4Il en va de même à Morlaix. En 1788, les négociants qui tiennent le haut du pavé dans cette ville sont généralement venus d’ailleurs. Ce sont des Lannux, originaires de Roullet, près d’Angoulême, établis sur les bords du Dossen depuis les années 1730. Ce sont encore des Barrère, de Gascogne, des Gratien, de Bourgogne, des Beau, de Blaye, des Larraut, du Bordelais, un Couhitte, d’Oloron, près de Pau, un Miron, d’Orléans, un Hamelin, de Saint-Domingue, un Diot, de Bergues, près de Dunkerque, un Cruypenning, d’Irlande....9 La plupart de ces négociants se sont établis à Morlaix après 1730.

  • 10 Le Gallo (Yves), Brest et sa bourgoisie... op. cit., p. 88-93.
  • 11 Huit patronymes douteux ne sont pas pris en compte.
  • 12 Dix noms sont douteux.

5Cette immigration, qui touche toutes les villes de Basse-Bretagne10, provient de toute la France. Certaines régions y pourvoient davantage cependant. C’est le cas de la Normandie, notamment de la Basse-Normandie, de l’Aquitaine, de l’Auvergne, de la Champagne, du Lyonnais, de la vallée de la Loire, du Bassin Parisien. Ces courants migratoires, déjà réels au xvie siècle, s’intensifient à partir des premières décennies du xviie siècle et durent jusqu’au milieu du xixe siècle. Sur 72 mariages célébrés en la paroisse Saint-Melaine de Morlaix entre 1602 et 1606, 11,7 % des époux (16/136) ont un patronyme non-breton11, cinquante ans plus tard (1653-1657), ce sont 26,3 %12 (39/109) qui sont dans ce cas.

  • 13 Gelley (R.-A.), L’assistance dans le diocèse de Léon... op. cit., t.1, p. 35.
  • 14 Darsel (J.), op. cit., p. 85.

6Si l’on considère les patronymes non-bretons des enfants baptisés en la paroisse Saint-Houardon de Landerneau en 1655-1656, on en trouve 14,67 % (32/218), puis 21,46 % (38/177) en 1690-1691 et 28,8 % (53/184) en 1790-1791. Il apparaît, par d’autres voies, que cette immigration demeure importante dans la deuxième moitié du xviiie siècle : une étude portant sur les mariages célébrés à Landerneau entre 1771 et 1780 met en évidence qu’une Landernéenne sur six se marie avec un étranger aux diocèses de Léon et de Cornouaille, au cours de ces dix années13. On comprend mieux dans ces conditions que l’historien de Morlaix, J. Darsel, parle d’ » invasion » à propos des XVIIe et xviiie siècles et qu’il fasse observer que « nobles et bourgeois bas-bretons [sont] supplantés chez eux par des étrangers qui s’install(ent) également dans les consulats »14.

  • 15 Yves Le Gallo a établi des statistiques sur cette question à propos de Brest en 1843 (Brest et sa (...)

7Ces bourgeois immigrés se marient souvent entre eux15. Nous avons relevé à Landerneau plusieurs dizaines d’actes de mariage qui ne comportent pas un seul patronyme breton, à l’exception quelquefois de celui du maire ou d’un adjoint. En janvier 1836 à Landerneau, sur les 12 signatures qui figurent au bas de l’acte de mariage de Jean-François Hébrard et de Françoise Picquenard, une seule indique un nom breton ; c’est celle de Prigent aîné, adjoint au maire. Il est, en outre, assez fréquent que des membres de familles immigrées à Morlaix ou à Landerneau depuis plusieurs décennies épousent des bourgeois porteurs d’un patronyme non-breton. Ainsi, Marie-Caroline Duthoya, dont l’ancêtre Jean Duthoya s’est établi à Landerneau vers 1680, comme on l’a vu, épouse en 1802 Olivier Thiberge, d’origine normande.

  • 16 D’après des notes communiquées par Yvon Frère.
  • 17 L’acte de mariage indique que son frère François-Gaspard Saulnier de Cugnon est dit écuyer.

8Il est assez courant, par ailleurs, que l’on assiste à des mariages entre des bourgeois de villes différentes. Ainsi, en mai 1817, Pierre Chauchard, originaire de Chéneuil dans l’Allier et établi à Brest en qualité de négociant, épouse Marie-Françoise Radiguet de Landerneau. Quelques mariages unissent encore des nobles et des bourgeois de Landerneau et de Morlaix. En 1722, par exemple, Jacques-Louis Le Borgne de la Tour épouse Marie-Charlotte Le Gris, de Landerneau. En 1728, c’est Jacques de Quélen qui semarie à Éléonore Le Gris16. En août 1756, Jean Lannux, de Morlaix, épou-se Marie-Catherine Saulnier de Cugnon17. On ne voit guère, par contre, de mariages entre bourgeois et paysans-marchands de toile ou paysans-tanneurs. Les unions entre bourgeois et Juloded établis en ville sont assez rares jusqu’au milieu du xixe siècle, comme on le verra.

  • 18 On peut sur cette question se reporter à Brest et sa bourgeoisie... Y. Le Gallo, op. cit., p. 60-6 (...)

9L’origine étrangère de la majeure partie des bourgeois établis en Basse-Bretagne ne peut que surprendre. Elle est liée au fait que les villes y manquent de cadres dans les domaines commercial, administratif et artisanal, notamment dans les métiers qui requièrent capital initial, compétence technique et études longues18. L’attraction exercée par les villes de Basse-Bretagne sur les bourgeois allogènes est d’autant plus forte qu’on s’y enrichit rapidement. Quelques exemples nous permettront de l’illustrer.

Des exemples de réussite de la bourgeoisie importée

  • 19 ADQ 3M 15.

10Citons d’abord le cas de Charles Le Bourg qui s’établit à Landerneau vers 1770 en qualité de procureur et de notaire. Né, en 1750, à Beuzeville-sur-le-Vey dans le diocèse de Coutances, il épouse à Lesneven, le 2 juin 1772, Anne-Yvonne Miorcec de Kerdanet, fille de Jacques, avocat, et de Louise-Charlotte Brichet. On le voit arrondir régulièrement son domaine, notamment par l’acquisition de biens nationaux. En 1822, il acquitte 1 119 F d’impôts directs.19 et fait par conséquent partie des 167 éligibles du Finistère, c’est-à-dire des 167 hommes en âge de voter qui versent annuellement 1 000 francs d’impôts directs ou plus.

  • 20 AM de Landerneau.
  • 21 ADQ 3M 15.
  • 22 ADQ 3Q 6405, contrats de mariage (1809-1827).

11Vient ensuite l’exemple de cet autre Normand qu’est Étienne Radiguet. Cet homme est né, en 1760, à Feuguerolles-sur-Orne près de Caen, des « laboureurs » Thomas Radiguet et Madeleine Le Moine. Il s’établit d’abord, en qualité de marchand, à Dinan d’où il a l’occasion de venir à Landerneau. Peut-être y descend-t-il en cet hôtel de la Place Saint-Thomas tenu par ses futurs beaux-parents. Toujours est-il qu’il y fait la connaissance de Thérèse Riou qu’il épouse en l’église Saint-Thomas le 7 janvier 1790. Les parents de la jeune épouse, Jean Riou et Marguerite Jestin, étaient capités à 20 livres en 178820. Étienne Radiguet est mentionné comme négociant et armateur à Landerneau, dès la fin de la Révolution. Comme Charles Le Bourg, il se porte acquéreur de nombreux biens nationaux. Ses affaires prospèrent au point que ce fils de paysan aisé acquitte 1 330 F d’impôts directs en 182221. En 1813, à l’occasion de son mariage avec Marguerite-Pauline Poisson, son fils Jean-Isidore reçut une provision de 20 000 francs22.

  • 23 Saint-Méen...op. cit., p. 124.
  • 24 Ibid., p. 122.

12L’exemple suivant concerne Pierre Roger qui s’installe à Brest vers 1795. Il naît également dans une famille de laboureurs, le 10 juin 1776, à Saint-Germain-de-Talvende près de Vire (Calvados). Le 7 juin 1801, il épouse à Brest la fille d’un marchand de drap, Marie-Renée Clermont-Félep23. D’abord bijoutier, il est qualifié d’orfèvre à partir des années 1809-1812. Il réussit dans sa première activité, si l’on en juge par le fait qu’il se permet, en juillet 1809, d’acheter en même temps douze fermes couvrant 134 ha, pour la somme de 39 500 F24. En 1822, il acquitte 1 507 F d’impôts directs. Il meurt en 1836 sur son domaine de Froutven en Guipavas.

  • 25 Au sujet de cette famille, on pourra se reporter à l’article d’Yves Le Gallo, « Une famille “munic (...)
  • 26 Ibid.,p. 142.
  • 27 Ibid.,p. 147 n.15.

13On peut encore citer trois autres négociants d’origine basse-normande établis à Brest et qui font partie des éligibles sous la Restauration. C’est Alexandre Bouët25 né à Demouville (Calvados), en 1767, d’un père maçon ou « entrepreneur de maçonnerie », qui est maire de Lambézellec, presque sans interruption de 1808 à 183826 ; ce sont encore Jean-Étienne Gautier et André-François Dubois nés dans les années 1770, l’un à Villedieu-les-Poêles (Manche), l’autre près de Sourdeval dans le même département27. En 1822, le premier acquitte 1 020 F d’impôts directs, le deuxième 1 554 F et le troisième 1 421 F.

  • 28 AM de Landerneau.

14Même si l’on admet qu’il s’agit là de réussites exceptionnelles, il n’en reste pas moins que l’on observe un rapide enrichissement des immigrés à différentes époques. Sur les 32 marchands soumis à la capitation à Landerneau, en 1770, 24 acquittent 20 livres ou plus28. Sur ce nombre, 13 portent des patronymes à consonance française. Sur les six capités à plus de 50 L cinq ont un nom à consonance française, dont quatre sont en Basse-Bretagne depuis moins de 35 ans. Par ailleurs, Morlaix compte 34 négociants en 1775. Sur ce nombre, 13 sont capités à 100 livres ou plus, dont 12 portent un nom à consonance française. La plupart d’entre eux sont venus à Morlaix après 1730.

  • 29 Leclerc (Guy), « Notes sur les foires en Basse-Bretagne aux xviie et xviiie siècles », Écho de Sai (...)

15Les candidats à l’immigration ont eu l’occasion de connaître la Basse-Bretagne pour au moins trois raisons. De nombreux marchands allogènes y sont attirés par de grandes foires telles que celles de Coatsabiec en Bodilis, de Kersaintgilly en Guiclan et, surtout, celles de Morlaix et de La Martyre. Déposant au cours d’un procès en 1618, un marchand grossiste de Landerneau déclare que la foire de ce bourg est fréquentée par un « grand nombre de marchands tant de Paris, Lyon, Rouen, Tours, autres villes du royaume que d’ailleurs comme l’Irlande, des Flandres et d’Angleterre »29. On voit, du reste, des marchands de Tours et de Vire déposer à ce même procès.

  • 30 Touchard (Henri), Le commerce maritime breton à la fin du Moyen Âge, Paris, 1967, p. 79-81.
  • 31 Lévy (André), La bourgeoisie et les classes populaires landernéennes à la veille de la Révolution, (...)
  • 32 Moro (P.), op. cit., p. 96-98.
  • 33 Crépin (J.), Les structures socio-professionnelles à Morlaix au xviiie siècle (1700-1775), (mémoir (...)

16Il apparaît, par ailleurs, que les immigrés proviennent surtout de régions qui entretiennent d’importantes relations commerciales avec la Basse-Bretagne. Ces relations qui sont clairement attestées à la fin du Moyen Âge30, se continuent et s’intensifient aux siècles suivants comme le montrent André Lévy pour Landerneau31, Pierre Moro32 et Jacques Crépin33 pour Morlaix. La Basse-Bretagne exporte des produits agricoles (blé, viande, beurre, miel...) et artisanaux (toiles, cuirs, papier) et importe du fer, du bois, des épices, des tissus et, surtout, du vin. Il est, du reste, révélateur que de nombreux négociants de Morlaix et de Landerneau proviennent de régions viticoles.

  • 34 D’après les recherches effectuées par Hervé Dournel.
  • 35 D’après des registres d’état-civil de Landerneau.
  • 36 Sa mère est une Mazurier.
  • 37 En 1752, Mignot de Montigny évalue sa fortune à 500 000 livres (Y. Le Gallo, Une caste paysanne… a (...)

17Il est naturel, enfin, que les immigrés attirent des parents, amis et compatriotes vers leur ville d’accueil, d’autant que l’on s’y enrichit rapidement. C’est ainsi que Jean et Arnaud Duthoya qui s’établissent à Landerneau vers 1680 y attirent leur neveu Jean Duthoya, vers 1700, puis Bernard Duthoya, petit-fils du premier Jean, vers 172034. De même, vers 1825, Étienne Radiguet, qui a élu domicile à Landerneau en 1790, y fait venir son neveu Eugène Isidore35. Vers 1730, Pierre Fauvel, de Tinchebray (Orne), vients’établir sur les bords de l’Élorn à la suite de son compatriote et peut-être cousin36, Jean-Baptiste Mazurier37, qui y vint vers 1720. Nombreux sont, enfin, les immigrés de Brest, Landerneau ou Morlaix provenus de Villedieu-les-Poëles et de sa région.

Des négociants d’origine julode

18S’il est évident que la bourgeoisie de Morlaix et de Landerneau est essentiellement allogène jusqu’au milieu du xixe siècle, on sait cependant qu’une petite partie est autochtone et qu’elle comporte un certain nombre de Juloded. Rappelons que sur les 21 négociants de Landerneau en 1744, six ont un patronyme à consonance bretonne et que sur ce nombre, deux sont des enfants de paysans-marchands de toile. En 1788, sur les 46 négociants de Morlaix, les chiffres sont respectivement neuf et cinq. Pour tenter de mieux comprendre pourquoi les Juloded sont plutôt réfractaires à la ville, il est intéressant de connaître les exceptions qui confirment la règle.

  • 38 D’après le registre paroissial de Plouédern, 1722.

19En 1744, les deux négociants d’origine julode installés à Landerneau sont Charles Kermarrec et Tanguy Cadour. Né, vers1700, à Kerloï en Ploudaniel, de Goulven Kermarrec et d’Anne Le Richou, Charles Kermarrec épouse Marguerite Le Guen, de Larlarc’h en Plouédern, le 28 juillet 1722, « en présence de parents et de plusieurs autres marchands »38. La jeune femme, âgée de 18 ans, est la fille d’Yves Le Guen et de Françoise Rolland et, par conséquent, la sœur de Guy Le Guen (X Anne Kerangall), père d’autre Guy LeGuen de Kerangall, qui sera député aux États généraux. Les jeunes époux Kermarrec résident quelques années à Kerloï puis décident vers 1730 de s’établir en la paroisse Saint-Houardon de Landerneau, où Marguerite Le Guen meurt le 15 mars 1734. Quatre ans plus tard, le 17 novembre 1738, Charles Kermarrec convole avec Marie-Gabrielle Guennégan, de la trève de Saint-Julien en cette même ville. Son acte de mariage comporte une vingtaine de paraphes, dont quatre de prêtres. Qualifié de marchand de toile jusqu’en 1736, il est mentionné comme négociant à partir de l’année suivante. En 1744, il est capité à 48 livres.

  • 39 Ancêtres et terroirs, op. cit., p. 24.
  • 40 Selon le dictionnaire de Trévoux, (Paris, 1752), le terme drogue concerne des « marchandises d’épi (...)
  • 41 Ancêtres et terroirs, op. cit., p. 33.
  • 42 Ibid.

20Le second, Tanguy Cadour, est né, en mai 1696, à Rodalvez en Plouider, de Sébastien et de Marguerite Pengam. À son décès survenu en juin 1712, Sébastien Cadour laisse une valeur mobilière de 14 384 livres, dont 4 470 L en fil et en toiles39. En octobre 1713, Tanguy Cadour épouse Marie-Yvonne Le Béon, de Landerneau, née de merciers et de marchands de toile. Dès lors, ces jeunes époux s’établissent dans cette ville où ils sont d’abord marchands de toile et droguistes40. Leurs affaires prospèrent si l’on en juge par le fait que « noble homme » Tanguy Cadour est qualifié de négociant à partir de 1737. Plus significative encore est l’évolution du montant de la capitation qu’il acquitte. Celle-ci est de 13 livres 4 sous en 1716, de 30 L en 1727, de 70, en 1744 et de 80, en 174541. En 1744, sur les 803 capités de l’ensemble de la ville de Landerneau, Tanguy Cadour figure au 8e rang. Il meurt, sans enfants, en juin 1746, à l’âge de 56 ans. Sa femme continue de pratiquer le commerce des toiles jusqu’à son décès survenu en 1764. Elle est capitée à 75 livres en 1747, à 42, en 1754, à 30, en 1761 et à 27, en 176442. Signalons enfin que les trois sœurs de Tanguy Cadour épousent des paysans-marchands de toile.

  • 43 D’après l’acte de mariage.
  • 44 Garion (Jean-Miliau), Les négociants en toile au xviiie siècle, art. cit., p. 6.
  • 45 Stofft (H.) et Ségalen (Jean), Bouëstard, op. cit., p. 176.
  • 46 Garion (Jean-Miliau), art. cit., p. 6.
  • 47 ADQ 3M 13.

21Cinq fils ou filles de paysans-marchands de toile sont négociants à Morlaix en 1788. Ce sont Hervé Broustail, Guillaume Rannou, Marie-Françoise Le Guen, Anne Madec et Jean-François Le Bras. Né, en janvier 1727, à Bodénéry en Saint-Thégonnec, des fabricants Hervé Broustail et Anne Corre, Hervé Broustail, qui a peut-être passé quelques années au collège de Léon, devient procureur fiscal de la juridiction de Penhoat et homme d’affaires du comte de Kerouartz. Il est négociant à Morlaix lorsqu’en novembre 1763, âgé de 36 ans, il épouse dans cette ville Anne Delange dont le père François-René (X Anne-Thérèse Saulnier) vient d’arriver de Lisbonne où il était négociant43 Hervé Broustail s’associe quelques années avec son beau-père puis se rend indépendant. Il est capité à 60 livres en 1770, à 84, en 1775 et à 209 L en 1788. Cette élévation spectaculaire de sa capitation correspond peut-être au fait qu’il développe son négoce avec l’Espagne : il est attesté que son fils Noël né vers 1765 est à Cadix en 179044 et en 179345. Compromis du fait qu’il continue à gérer les affaires du comte de Kerouartz, durant la Terreur, Hervé Broustail est arrêté et guillotiné à Brest le 11 mars 179446. En 1816, Noël Broustail est juge de paix du canton de Taulé, où il acquitte 600 F d’impôts directs47.

  • 48 Daumesnil (Joseph), Histoire de Morlaix, rééd. de 1993, p. 62.
  • 49 Hétet (Auguste), art. cit., p. 64.
  • 50 Hétet (A.), art. cit., p. 64.

22Guillaume Rannou qui sera également négociant à Morlaix et maire de cette ville en 1784-178548 est né à Landivisiau le 28 décembre 1738. Ses parents Yves et Suzanne Pouliquen appartiennent l’un et l’autre à des familles de paysans-marchands de toile. Guillaume Rannou, père d’Yves, est originaire de Bodilis49, cependant que sa mère Marie Kerangall est de Landivisiau. Les parents de Suzanne Pouliquen sont de Saint-Thégonnec. C’est vers 1760 que Guillaume Rannou s’établit à Morlaix. En 1763, il y épouse Anne Larraut, fille du négociant Jean, originaire du Bordelais et capité à 180 livres en 1770. Comme ce mariage est prématurément interrompu du fait du décès d’Anne Larraut, le 16 mai 1774, Guillaume Rannou convole avec Marie-Josèphe Querangall, de Lorient, où le mariage est célébré. La jeune épouse est née de François-Julien, capitaine des vaisseaux de la compagnie des Indes, et de Guyonne Gillart de Keranflech. Selon A. Hétet, ces Querangall des-cendent des Kerangall de Bodilis et de Landivisiau que nous avons cités50. À Morlaix, Guillaume Rannou est capité à 48 L en 1770, à 64, en 1775 et à 79, en 1788.

23Marie-Françoise Le Guen n’est autre que la sœur et la marraine de GuyLe Guen de Kerangall qui sera député aux États-Généraux. Née à Landivisiau en 1732, elle y épouse le négociant morlaisien Jean-Marie Carré de la Reignère le 2 juillet 1753. Les époux s’établissent à Morlaix où ils sont de petits négociants en vins : leur capitation n’atteint pas les 24 livres en 1763. Après le décès de son mari survenu vers 1775, la veuve Reignère poursuit ses activités commerciales.

  • 51 D’après son acte de mariage (AM de Landivisiau).
  • 52 Garion (Jean-Miliau), art. cit., p. 5.

24Par ailleurs, une autre fille de marchand de toile landivisien épouse un très riche négociant morlaisien. Il s’agit de Marguerite Kerangall, née de Jean et d’Olive Le Mer, qui se marie avec Pierre Barrère le 10 mai 1757. Natif de Sainte-Marie-d’Oloron dans le Béarn51, cet homme est regardé en 1770 comme « le négociant de Morlaix qui fait le plus d’affaires »52. En réalité, il est capité à 300 livres à cette date et arrive au 2e rang, à Morlaix, derrière Jean Lannux aîné, cependant qu’il acquitte la capitation la plus élevée en 1788 avec 410 L. Il est, en outre, maire de sa ville d’adoption de 1765 à 1768.

25Les trois dernières personnes que nous venons de considérer ont en commun d’avoir résidé dans une grosse bourgade avant de s’établir à Morlaix. Leur caractère de demi-citadins n’a pu que favoriser leur implantation en ville. On constate, d’autre part, qu’il existe des liens de parenté entre quatre des six négociants d’origine julode que nous avons suivis à la trace jusqu’à présent. Marguerite-Jacquette Kerangall et Marie-Françoise Le Guen sont cousines, comme le montre le tableau ci-après, cependant que Guillaume Rannou est leur petit-cousin. En outre, Marie-Françoise Le Guen est la nièce de Charles Kermarrec. Il n’est pas exclu qu’une certaine émulation familiale ait incité les Kermarrec, Kerangall, Le Guen, Rannou et autres à faire le choix et l’effort de se diriger vers les villes.

  • 53 Anne Madec est la tante de Bernard Breton, cet acquéreur de biens nationaux dont il a été question (...)
  • 54 Ils se sont épousés en février 1723 à Saint-Thégonnec. Apparentés au 4e degré, ils ont dû obtenir (...)

26La destinée d’Anne Madec est particulièrement singulière. Cette femme est née, en septembre 1730, au manoir du Herlan en Saint-Thégonnec53, des paysans-marchands de toile Yves et Jeanne Le Maguet54. En octobre 1746, âgée de 16 ans, elle épouse François Le Bras, de Kerellou en Saint-Divy, né en mars 1723 des fabricants toiliers Guillaume et Jeanne Le Guével. Le jeune couple s’établit au Herlan où François Le Bras meurt prématurément, le 29 novembre 1752, laissant un fils, Jean-François, né en février 1751, cependant que sa fille posthume Marie-Françoise naîtra le 16 janvier 1753.

  • 55 Daumesnil (J.), op. cit., p. 61.

27Après le décès de son mari, Anne Madec quitte son hameau natal pour s’établir à Morlaix où elle devient négociante. Le 25 janvier 1762, elle convole avec François-Charles Lannux Descombes. Celui-ci provient, on l’a vu, de Roullet dans le diocèse d’Angoulème, où il est né vers 1718. Il appartient à l’une des plus riches familles de négociants de Morlaix : son frère aîné Jean, maire de Morlaix en 1753-175455 est capité à 320 L en 1770 ; son autre frère Jean, dit Lannux de la Chaume, maire de cette même ville de 1768 à 1771, verse 100 L de capitation en 1770 ; sa sœur Madeleine Lannux épouse le négociant Philippe Miron, maire de Morlaix en 1751-1752 et capité à 75 L en 1770. En octobre 1747, François-Charles Lannux a épousé en premières noces Élisabeth Le Jeune qui appartenait à une riche famille de négociants morlaisiens. François Le Jeune (X Élisabeth Marine Lazou), père d’Élisabeth est capité à 170 livres en 1770.

  • 56 D’après le registre paroissial.
  • 57 Crépin (Jacques), op. cit., p. 159.
  • 58 Ibid., p. 158.
  • 59 Ibid., p. 144.

28Le second mariage d’Anne Madec dure encore moins que le premier : le 8 juillet 1765, François-Charles Lannux est « trouvé mort dans le bois de Coatcongars », cependant qu’il était prieur consul en charge56. Il laisse quatre enfants, dont deux d’Anne Madec. L’inventaire effectué après son décès révèle que ses biens meubles représentent une valeur de 89 569 livres, bien qu’il n’ait pas de marchandises en magasin57 ; Jacques Crépin démontre qu’il commerçait non seulement avec l’Espagne mais aussi avec les Antilles et le Mexique58. À ces richesses mobilières s’ajoutent, à coup sûr, d’importants biens immobiliers : la bourgeoisie a l’habitude, on l’a vu, d’investir dans la terre et dans la pierre. En cette même année 1765, la valeur des biens meubles de Jean Lannux l’aîné est supérieure à 300 000 livres59.

  • 60 Cette capitation se décompose ainsi : la veuve Descombes Lannux : 30 L ; deux enfants du premier l (...)
  • 61 Il sera maire de Morlaix en 1776-1777 (J. Daumesnil, op. cit., p. 61).

29Après la mort de son second mari, Anne Madec continue d’exercer sa profession de négociante. Elle acquitte 64 L de capitation en 177060 et 65 L en 1788. Ses enfants épousent des conjoints de leur condition, c’est-à-dire des membres de la grande bourgeoisie morlaisienne. C’est ainsi qu’en janvier 1779, sa fille Marie-Françoise Le Bras née en janvier 1753 se marie avec sonbeau-frère Jean-Marie Lannux, fils de François-Charles et d’Élisabeth Le Jeune. S’il faut y voir une stratégie matrimoniale poussée, on peut penser que l’on fait encore mieux dans la famille Lannux : en 1771, Charles Lannux61, 27 ans, fils de Jean l’aîné, convole avec sa cousine, Marie-Jeanne Lannux, 14 ans, fille de Jean Lannux de la Chaume. En novembre 1782, la fille du second lit d’Anne Madec, Françoise-Marine Lannux, épouse le négociant Jean-Pierre Diot, originaire de Dunkerque. Jean-François Le Bras, l’aîné des enfants d’Anne Madec, se marie également dans son clan, comme on le verra.

30Anne Madec Lannux Descombes, comme elle se plaît à signer, meurt, à l’âge de 78 ans, à Morlaix, chez sa fille Marie-Françoise, veuve Lannux de Kermabon. Exceptionnelle est, sans conteste, la destinée de cette femme qui s’est agrégée à la grande bourgeoisie morlaisienne. On aimerait mieux connaître les raisons qui l’ont amenée à s’établir à Morlaix et qui lui ont per-mis de réussir sur le plan socio-économique.

  • 62 L’inventaire effectué, en juin 1780, après le décès de Catherine Le Gall – veuve Rozec – atteste q (...)
  • 63 ADQ 13L 106.

31Le dernier négociant d’origine julode que nous allons suivre est Jean-François Le Bras. Né au Herlan en Saint-Thégonnec le 1er février 1751, il n’est autre que le fils de François et d’Anne Madec. À la fin des années 1770 et au début des années 1780, il est commissionnaire à Cadix62. En 1788, négociant à Morlaix où, capité à 200 livres, il se trouve, si l’on peut dire, au 8e rang, juste derrière Hervé Broustail. Dix ans plus tard, il fait partie des cinq habitants de Morlaix soumis aux plus fortes patentes63.

32Le 25 septembre 1790, Jean-François Le Bras, âgé de 39 ans, épouse, en l’église Saint-Melaine de Morlaix, Marie-Victoire Mérer de Walop qui n’en a que 18. Cette jeune femme est née de Joseph-Simon Mérer de Walop et de Marie-Marguerite de Robuste Trédilly. Au moment de son mariage en septembre 1767, Joseph-Simon Mérer revenait de Cadix où son père, Guillaume, était négociant, cependant que sa mère Marie Walop était décédée. Marie-Marguerite de Robuste de Trédilly est la fille de Jérôme, capitaine des vaisseaux de la compagnie des Indes, et de Marie-Julienne Kerhoas.

  • 64 Généralement, les noms doubles indiquent qu’il s’agit de la signature d’une femme. Dans le cas pré (...)
  • 65 Il s’agit de Marguerite-Louise Barrère, fille de Pierre et de Marguerite-Jacquette Kerangall qui s (...)
  • 66 Neveux d’Anne Madec. Madeleine Lannux de la Chaume a épousé en 1776 Armand Joseph Dubernad, négoci (...)
  • 67 Il s’agit d’Hervé Broustail, natif de Saint-Thégonnec, ami de la famille Le Bras.
  • 68 Les Barrère paraissent être des amis.
  • 69 Jean-Baptiste Duplessix Pégasse, directeur de la Manufacture des tabacs, vient d’épouser Marie-Ros (...)
  • 70 Moro (Pierre), op. cit., p. 111.

33L’acte de mariage de Jean-François Le Bras et de Marie-Victoire Mérer de Walop comporte une page entière de paraphes, soit une bonne quarantaine, qui démontrent que les jeunes époux sont bien insérés dans la bourgeoisie morlaisienne. C’est ainsi qu’on relève les signatures de Le Mérer Beaumont64, Barrère Beaumont65, Beaumont fils, Dubernad, Lannux Dubernad66, Broustail67, P. Barrère, Kerangall Barrère68, Barrère fils, Cruypenning Barrère, Duplessix Pégasse69, Barrère Duplessis Pégasse, Duclos Le Gris, Coetanlem de Lannurien, Barazer, Diot... Le contrat de mariage prévoit que la dot de la jeune épouse ne sera que de 2000 L, tandis que Jean-François Le Bras y fait état d’une provision tout à fait exceptionnelle puisqu’elle s’élève à 200 000 L70.

  • 71 ADQ 3 M 16.
  • 72 Nous n’avons trouvé ni son acte de mariage ni son acte de décès.

34Ce couple aura, au moins, trois enfants. Né en novembre 1795, Jean-Marie devient négociant et acquitte 2 182 F d’impôts directs en 182971. À cette date, il est le plus imposé de la ville de Morlaix. À la fin de la Restauration (1814-1830), Morlaix compte 96 électeurs, c’est-à-dire 96 hommes acquittant au moins 300 F d’impôts directs, et 17 éligibles. Pour être éligible, il faut payer au moins 1 000 F d’impôts directs. En 1829, sur les 17 éligibles de Morlaix, deux acquittent plus de 2 000 F (Auguste Teurnier, avocat, et J.-M. Le Bras) et trois de 1 500 à 2 000 F (François-Marie Andrieux, négociant, François-Étienne Barazer-Lannurien, avocat et Paul-Émile de la Fruglaye, propriétaire). En 1840, au moment du décès de sa mère, Jean-Marie Le Bras vit au manoir de Quélennec en Saint-Thégonnec72.

  • 73 ADQ 10 L 135.
  • 74 On pourra à son sujet se reporter au tome 3 de Marthe Le Clech, op. cit., p. 105-106.

35Ses deux sœurs épousent l’une et l’autre de riches Morlaisiens. Le 4 juillet 1840, Marie-Victoire Le Bras se marie à Philippe Le Denmat, juge au tribunal de grande instance de Morlaix, qui acquitte 1 385 F d’impôts directs en 1829. Il appartient à une famille venue de Callac vers 175073. Son père, Yves, avocat, fait partie des 26 administrateurs du Finistère guillotinés à Brest le 22 mai 1794. Son oncle Philippe Mathurin Le Denmat, négociant, témoin à son mariage, était capité à 336 L en 1788. L’autre sœur, Jeanne Marine née en septembre 1792, convole, le 24 mai 1823, avec le négociant François-Marie Andrieux74 qui, on l’a vu, acquitte 1 525 F d’impôts en 1829. En premières noces, cet homme avait épousé Marie-Catherine Riou, fille de Pierre, auteur du rapport, que nous avons exploité, sur le commerce à Morlaix en 1789.

  • 75 Leurs mères, Anne et Jeanne Madec, sont sœurs.

36Jean-François Le Bras meurt à Morlaix le 24 mars 1816, à l’âge de 65 ans, alors que sa femme s’éteindra 24 ans plus tard sur son domaine de Quélennec en Saint-Thégonnec. Il eût été intéressant de connaître le montant de la fortune de ce négociant à son décès. Cela aurait, entre autres, permis de mieux mesurer l’écart économique qui sépare un négociant entreprenant d’un paysan-marchand de toile dynamique : on aurait pu, en effet, comparer les richesses de Jean-François Le Bras et de son cousin75 Bernard Breton qui ont tous deux vu le jour au manoir du Herlan, le premier en 1751, le second en 1754, et qui sont morts à deux ans d’intervalle en 1814 et en 1816. La comparaison aurait permis d’opposer les grandes possibilités offertes, en certains cas, par la ville, à celles nettement plus limitées proposées par la campagne. Rappelons qu’il n’y eut qu’un seul Julod à acquitter plus de 1 000 francs d’impôts directs entre 1845 et 1848 et qu’il n’y en a pas plus de six dans la tranche des 500 à 1 000 francs à la fin de la Monarchie de Juillet (1830-1848).

  • 76 Les rôles de capitation sont très utiles pour cela, surtout quand les capités sont classés par pro (...)

37Nous venons de suivre la trace de quelques négociants d’origine julode, sans avoir nullement la prétention d’avoir été exhaustif. On en entrevoit d’autres à des époques différentes. Il n’est pas douteux, cependant, qu’ils sont relativement rares. L’examen des patronymes – bretons et non-bretons –76 ontre que les Bas-Bretons sont plus nombreux parmi les marchands, les hommes de loi ou les maîtres artisans que dans le milieu des négociants. En simplifiant, on peut dire qu’ils sont de mieux en mieux représentés dans la bourgeoisie à mesure que l’on y descend aux rangs les plus modestes. On rencontre de nombreux patronymes de Juloded parmi les bourgeois d’origine basse-bretonne. Il resterait à savoir, par un long travail d’identification, si ces citadins émanent réellement de ce groupe social. Quoi qu’il en soit, il est manifeste qu’à Morlaix et à Landerneau, comme dans toutes les villes de Basse-Bretagne, la bourgeoisie, notamment la plus huppée, est essentiellement importée. On comprend mieux, dans ces conditions, que dans une ville comme Landerneau, les débuts de la Révolution industrielle soient presque exclusivement le fait de bourgeois allogènes.

L’industrie à Landerneau

  • 77 Né à Landerneau, en 1816, de Jean-Isidore et de Marguerite-Pauline Poisson, Max Radiguet est le pe (...)
  • 78 Radiguet (Max), À travers la Bretagne, Paris, 1865, p. 134.
  • 79 Ibid., p. 138.
  • 80 Brousmiche (J.-F.), op. cit., p. 75.
  • 81 Abéguilé (Catherine), Landerneau, une ville de Bretagne à l’ère industrielle (mémoire de maîtrise) (...)
  • 82 Annuaire de Brest... op. cit., p. 177.

38En 1865, Max Radiguet77 regarde Landerneau comme une « ville active et entreprenante »78. Il fait état des « vastes établissements industriels auxquels Landerneau doit son importance »79. Par ailleurs, vers 1830, J.-F. Brousmiche écrit que « nulle autre ville du Finistère n’est plus avancée que Landerneau dans la carrière industrielle »80. Si surprenant que cela puisse paraître, Landerneau est une ville industrialisée au xixe siècle. Ainsi, à partir de 1822, une fabrique produit des machines à vapeur, des pompes et des machines-outils sur les bords de l’Élorn, au lieu-dit La Bascule. Elle emploie 116 ouvriers en 183581 ; ce qui est considérable dans cette catégorie d’industrie. C’est « l’usine à fer la plus importante du département », lit-on dans l’Annuaire de Brest et du Finistère, en 183482.

  • 83 D’après son acte de mariage.
  • 84 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 144.
  • 85 Ibid.
  • 86 Rousseau (Armand), Souvenirs de famille, p. 28.
  • 87 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 144.
  • 88 ADQ 3 M 22.

39L’initiative de cette fondation est due à Jacques Frimot. Né à Saint-Germain-le-Gaillard (Manche)83, en juin 1790, de Jacques († 1799), instituteur, et de Marie Mosrin, Jacques Frimot est élève de l’École Polytechnique de 1808 à 1810 avant de suivre les cours de l’École des Ponts-et-chaussées84. Il est ingénieur en chef des Pont-et-chaussées du département du Finistère, lorsqu’il fonde son entreprise à Landerneau. Le 2 août 1827, il y épouse Caroline Rousseau. Trois négociants sont témoins à son mariage, Joseph Goury, François Heuzé et Jean-Isidore Radiguet, de même qu’Auguste Jencker, ingénieur des mines de Poullaouen. Jacques Frimot est un « ingénieur engagé », soucieux de moderniser sa région d’adoption85. « C’est un homme de science autant que d’imagination »86 écrit, à son sujet, Louis Rousseau, qui est hébergé chez lui, lorsqu’il arrive en Bretagne en 1823. Conseiller municipal de sa ville d’adoption de 1820 à 1853, il se montre particulièrement actif87. Il convient, cependant, de relever qu’il est loin d’investir tout son argent dans son entreprise. En 1846, ses taxes foncières s’élèvent à 508 francs. Il les acquitte dans les bureaux de Landerneau, Plounéventer, Plounéour-Trez, Plouguerneau, Plouénan, Roscoff88. Jacques Frimot prend, en quelque sorte, sa retraite vers 1850 et meurt à Landerneau en 1866.

  • 89 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 35.
  • 90 Ibid., p. 67-68.

40Les autres activités industrielles de Landerneau dérivent des activités agricoles et artisanales de la Basse-Bretagne. C’est ainsi qu’en 1807 est fondée dans la rue Neuve – aujourd’hui, rue de la Libération – une fabrique qui va s’y maintenir jusqu’au milieu des années 1930. Il s’agit des établissements Belhommet. À partir du suif, ils fabriquent d’abord des chandelles et du savon qui sont exportés dans toute la France, notamment vers Brest, Bordeaux, Bayonne. En 1824, on y produit 200 tonnes de chandelles et 40 tonnes de savon89. Le suif y provient de tout le département mais aussi des régions de Guingamp et de Saint-Brieuc90.

  • 91 Les Bazin sont originaires de Fresne dans l’Orne.
  • 92 Il est natif de Nancy. Veuf de Renée Bazin, il épouse Marie Onfrey en 1794.
  • 93 Il est natif de la région de Vire.
  • 94 En premières noces Marin Drant avait épousé, en 1773, Françoise Decomble de l’évêché de Rennes.
  • 95 Le duc de Chartres, le futur Louis-Philippe-Égalité était descendu en cet hôtel en 1771, en 1772, (...)
  • 96 ADQ 3Q 6405.

41Le fondateur de cette fabrique est Noël Didier Belhommet. Né à Reims, le 19 septembre 1775, de Nicolas, marchand, et de Marie Chambord, Noël Didier Belhommet s’établit à Landerneau vers 1800. Le 17 janvier 1809, il y épouse Marguerite Bastienne Drant, en présence de Michel et Barthélémy Bazin91, négociants, de Nicolas Dumaige92 et de Jacques Picquenard93, tous deux officiers de santé. On peut constater que les quatre témoins sont des immigrés ou des fils d’immigrés comme, du reste, ceux qui assistent au mariage de Jacques Frimot. Les parents de Marguerite Drant, Marin Jean-Baptiste et Jeanne Le Roux.94 sont hôtes, c’est-à-dire hôteliers, au Duc de Chartres95, rue Neuve. Originaire de Saint-Pierre-d’Oisseau, évêché du Mans, Marin Drant s’est établi à Landerneau vers 1770. Au moment où il fonde sa fabrique, Noël Didier Belhommet ne semble pas disposer de gros moyens financiers : son contrat de mariage ne fait état que d’une provision de 2 400 F96. En 1832, il est imposé à 400 F, dont 275,89 consistent en taxes foncières.

42Après la mort de son mari survenue le 1er septembre 1833, Marie Drant, secondée par ses fils Nicolas et Victor, élargit les activités de son entreprise : à partir des années 1840, on y produit des bougies stéariques, dont la fabrication, à partir du suif, a été mise au point, en 1823, par le chimiste Chevreul.

  • 97 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 44.
  • 98 Ibid., p. 35.
  • 99 Elle est née à Nantes le 1er septembre 1788 d’Alexandre, commerçant, et de Jeanne Forgeot.
  • 100 D’acte l’acte de mariage aimablement communiqué par le service des archives de l’Hôtel de ville de (...)
  • 101 C’est probablement la fille de François Tiby mis en scène par Alain Croix dans l’article « Droit d (...)

43En 1820, est fondé un atelier de tissage dans l’ancien couvent des Capucins. Il comprend 120 métiers à tisser et emploie 400 personnes, qui sont tisserands, dévideuses et teinturiers97. En 1824, on y fabrique 800 kilomètres de toiles diverses annuellement98. Ses fondateurs sont Joseph Poisson né à Granville en 1768 ; Jean-Isidore Radiguet, né à Landerneau, en 1792, d’Étienne Radiguet venu des environs de Caen en 1790 ; un certain Sourimant, autre Normand ; Joseph Goury, dont le père, originaire de Provins en Champagne, s’est établi à Landerneau vers 1750 et, enfin, François-Marie Heuzé fraîchement arrivé sur les bords de l’Élorn de Nantes, où il s’est marié à Émilie Lourmand99, le 28 octobre 1815100. Né le 26 juillet 1789, F.-M. Heuzé est dit négociant au moment de son mariage. Son père, François-Marie, est mentionné comme marchand de draps, sa mère, Catherine Jeanne Tiby, appartient à la bourgeoisie nantaise101.

  • 102 L’Annuaire de Brest pour l’année 1835 signale que MM. Poisson et compagnie viennent de fonder à Si (...)
  • 103 Blavier (Yves), La société linière et son environnement industriel (1845-1891),(Une entreprise de (...)
  • 104 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 47.

44Entre 1830 et 1840, cette compagnie crée d’autres fabriques de toiles dans la région de Landerneau. Ainsi, en 1845, les ateliers de Sizun102. Commana et Ploudiry comprennent respectivement 55, 77 et 50 métiers103. À ces ateliers de tissage, s’ajoute, enfin, une blanchisserie qui est implantée au Lech en Landerneau. Suivant les commandes, elle emploie de 60 à 80 salariés104.

  • 105 D’après son acte de décès, Brest 6/6/1812.
  • 106 ADQ 3M 22.

45La tradition de la tannerie à Landerneau y suscite la création d’autres fabriques dès les débuts de la Révolution industrielle. Vers 1820, Charles Brec, dont le père est originaire de Guérande105, fonde une importante cha-pellerie à Bel-air. Né à Brest le 23 août 1783 de Charles, marchand chape-lier, et de Marie-Josèphe Royer, il épouse Henriette Villeneuve dans cette même ville en juin 1805. En 1840, ses impôts directs s’élèvent à 1 314 F, dont 237,42 F de patente et 951 F de taxtes foncières106. Ses biens immobiliers sont répartis aux quatre coins du Léon. Le décès de Charles Brec, survenu le 20 décembre 1844, paraît entraîner la disparition de son entreprise.

  • 107 Ibid., p. 51.
  • 108 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 41.
  • 109 Ibid.

46Vers 1833, Joseph Vacheront, né à Phalsbourg (Moselle) en 1810, lance, à la Petite-Palud, une tannerie et une importante fabrique de vêtements et d’équipements militaires (coiffures, chaussures, boucles, galons...). Très rapidement l’établissement comptera jusqu’à 300 ouvriers107. Le matériel de fabrication se compose d’un moteur hydraulique de dix chevaux, d’une machine à broyer les écorces, d’un foulon, de presses, de découpoirs, de cylindres et de scies circulaires108. La production atteint annuellement une valeur de 400 à 600 000 F109. Vers 1842, d’autre part, Jacques Picquenard, officier de santé, né à Saint-Germain-de-Tallevende, près de Vire (Calvados), crée, à Kermoné, une fabrique de chapeaux de feutre vernis.

  • 110 Annuaire de Brest... op. cit., p. 181.
  • 111 Rioual (Claude), op. cit., p. 50.

47Après avoir étudié six entreprises créées par des bourgeois allogènes, nous arrivons à l’exception qui confirme la règle. Au début des années 1830, un jeune Landernéen se lance dans la chapellerie, à son tour. Il s’agit de Sébastien Sanquer, né en 1810, dans une famille de tanneurs établie à Landerneau depuis au moins deux générations. Son grand-père Alain Sanquer (X Perrine Courtez), qui était tanneur à Keranden, était capité à 9 L en 1787. Son père Jean-Marie (X Marie-Anne Laurent), né en 1788, y exerce la même profession. Non content de poursuivre purement et simplement la profession ancestrale, Sébastien Sanquer éprouve le besoin de se reconvertir. En février 1834, il présente ses produits à l’exposition de l’industrie, qui se déroule pour la première fois, dans les salles de la mairie de Brest : ce sont des chapeaux vernis et des seaux à incendie, en cuir. Ces derniers sont admis à l’exposition de Paris110. Installé d’abord dans la rue Neuve, Sébastien Sanquer est au Voaz-Glas au début des années 1840. Il semble que sa fabrique ferme après son décès survenu le 25 avril 1865111.

  • 112 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 39.

48En 1808, on signale cinq tanneries à Landerneau : celle de Charles Béon qui emploie deux ouvriers, celle de F.-M. Perron en comporte deux, celle de P.-L. Félep, cinq, celle de Thépaut, trois et celle de Jean-Marie Sanquer, père de Sébastien, un112. Bornons-nous, dans le moment, à constater qu’une seule de ces tanneries – la plus petite, si l’on en juge par le nombre de salariés – s’est orientée vers d’autres activités, alors que des gens venus d’ailleurs comprennent rapidement le parti que l’on peut tirer des peaux travaillées aux abords de l’Élorn.

La Société linière

  • 113 Né à Morlaix en octobre 1800, Charles Homon acquitte 842 F d’impôts directs en 1840, dont 179,50 F (...)
  • 114 Né en septembre 1796, Joseph Desloges acquitte 289 F d’impôts en 1840, dont 179,50 de patente.
  • 115 Blavier (Yves), op. cit., p. 16.
  • 116 Ibid., p. 35-36.

49Fondée en septembre 1845, la Société linière est, de loin, la plus grande entreprise landernéenne du xixe siècle. En cette année, les fabricants landernéens (Poisson, Heuzé, Goury, Radiguet) qui créèrent un atelier de tissage en 1820, comme nous venons de le voir, décident de s’associer avec des collègues de Morlaix (Charles Homon113 et Joseph Desloges)114 et de Landivisiau (Guillaume Le Roux)115. Outre les importants bâtiments construits à Traon-Élorn en Landerneau, la Société linière se compose des apports des associés. Les Landernéens y apportent la blanchisserie du Lech, l’ancien couvent des Capucins et quatre ateliers de tissage : ceux de Landerneau, Sizun, Commana et Ploudiry. Charles Homon apporte deux blanchisseries situées à Plourin, près de Morlaix, de même que deux ateliers de tissage : l’un, à Landivisiau, contient 70 métiers ; l’autre, à Saint-Sauveur, en renferme 60. De son côté, Guillaume Le Roux apporte une blanchisserie et un atelier de tissage pourvu de 60 métiers. Ces deux établissements sont à Landivisiau116.

  • 117 Ibid., p. 45.
  • 118 AM de Landerneau 1591. D’après la liste des acquéreurs entre le 1er octobre 1845 et le 31 octobre (...)
  • 119 Blavier (Y.), op. cit., p. 346.
  • 120 Ibid., p. 347.

50La Société linière, dont le directeur est F.-M. Heuzé, décide d’émettre 2 000 actions, dont la moitié est acquise par les associés, cependant que l’autre moitié est répartie entre 237 actionnaires, au maximum117. Pas un seul Julod ne s’en porte acquéreur118. Cet apport d’argent frais permet, entre autres, d’équiper les bâtiments de Traon-Élorn en machines relativement modernes. Le nouvel établissement industriel vend des fils et des toiles. En 1848, celles-ci sont destinées à la Marine ou au Ministère de la Guerre dans la proportion des 7/10e119. Dès les années 1850, la production annuelle y est de l’ordre de 1 200 000 mètres120.

  • 121 Ibid., p. 197.
  • 122 Ibid.

51Le personnel de la Société linière oscille entre 1 000 et 2 500 salariés, tous établissements confondus. Dès 1848, elle emploie 1 570 ouvriers au total, dont quelques dizaines d’Écossais que l’on a attirés, afin d’initier les autochtones à de nouvelles techniques. En 1873, ce sont 1 230 personnes qui travaillent à Traon-Élorn121. Vers 1850, la Société linière est le premier employeur privé du Finistère. À cette même époque, la Manufacture de tabacs de Morlaix emploie 1 200 salariés ; la fabrique de faïence de Quimper, 200, les ardoisières de Châteaulin, 313 et les mines de Poullaouen, 329122. C’est en 1891 que cet établissement textile landernéen cesse ses activités.

  • 123 ADQ 6M 471. D’après le recensement de 1872. Sa femme se nomme Désirée Hamon. Ce qui incite à pense (...)
  • 124 Blavier (Y.), op. cit., p. 30.
  • 125 D’après les listes des électeurs censitaires et de recensement.

52Nous avons déjà évoqué les fondateurs landernéens de la Société, notamment leur origine géographique. Les deux fondateurs morlaisiens sont Joseph Desloges et Charles Homon. Le premier, négociant, né à Nantes en 1796123, disparaît rapidement de la société qu’il a contribué à fonder124. Le second émane d’une famille morlaisienne depuis au moins trois générations. Il semble que son patronyme ait été orthographié autrement jusqu’aux années 1730. Un acte de baptême de la paroisse Saint-Mathieu daté du 5 avril 1734 signale en effet un Jan Hautmont, marchand, dont la signature voisine avec celles d’un Guy Homon et d’un autre Homon. On peut donc penser que cette famille est venue du Nord. Quoi qu’il en soit, il apparaît que ces Homon appartiennent à la bourgeoisie morlaisienne125.

53Le Landivisien Guillaume Le Roux, enfin, est le seul Julod ou, plutôt, le seul descendant immédiat de Juloded à susciter une entreprise industrielle à Landerneau, au cours des cinq premières décennies du xixe siècle. Né à Landivisiau, le 1er janvier 1794, de Guillaume Le Roux et de Marguerite Bras, il naquit l’année même de l’exécution de son père, l’un des 26 administrateurs du département guillotinés le 22 mai 1794, pour cause de fédéralisme.

  • 126 Moal (P.) et Carrer (M.-L.), op. cit., p. 125.
  • 127 Tanguy (Jean), Les marchands toiliers du Léon..., art. cité, p. 190.
  • 128 Ibid., p. 191.

54Les parents de Guillaume Le Roux, fils, s’étaient épousés à Landivisiau le 23 octobre 1785. Le mariage rassembla de nombreux marchands de toile, dont Guy Le Guen de Kerangall et Jacques Quéinnec, futur Conventionnel, et cousin du marié. Les épousailles sont endeuillées par le décès de Louis François Le Roux, âgé de 54 ans, qui meurt le lendemain du mariage de son fils. L’inventaire effectué après le décès de ce marchand de toile est tout à fait exceptionnel : le défunt laisse, en bien meubles, une valeur de 111 333 L dont près de 100 000 L en fil et en toiles126. À eux seuls les fils pèsent 8,5 tonnes127. C’est l’inventaire le plus important qui soit connu dans le groupe social des Juloded. Jean Tanguy estime que ce marchand de toile faisait travailler quelque 200 tisserands128.

  • 129 Yves Le Roux, veuf de Marie Léon, et Catherine Mazé s’étaient épousés, le 10 février 1727, à Saint (...)
  • 130 ADQ 3C 36.

55Né à Loguellou, en Pencran, vers 1731, Louis-François Le Roux perd ses parents Yves et Catherine Mazé, en 1742129. Comme de nombreux fils de marchands de toile, il séjourne plusieurs années dans le Trégor où il est chargé d’acheter du fil écru. C’est à Berhet, au sud de la Roche-Derrien, qu’il réside jusqu’à ses 30 ans, avant d’épouser Jeanne Madec née à Kerjézéquel en Pleyber-Christ des fabricants Guillaume et Jeanne Corre. Après son mariage, il demeure quelques années dans le hameau natal de sa femme où naît Guillaume Le Roux, le 27 août 1766. Puis il s’établit à Landivisiau peu avant 1770. En 1771, il y est capité à 50 L, cependant que d’autres marchands de toile tels que Goulven Kermarrec et Yves Rannou le sont respectivement à 90 et à 108 livres130. On peut penser que Louis-François Le Roux s’enrichit rapidement en sa nouvelle bourgade, dans la mesure où il est entreprenant et qu’il sait s’attacher deux centaines de tisserands dans le pays de Landivisiau.

  • 131 ADQ 16 B Ploudiry (1742-1743).
  • 132 Ibid. L’inventaire mentionne des propriétés à Kerdiez, Quillificant et au Vizoc en Ploudaniel de m (...)
  • 133 Moal (P.) et Carrer (M.-L.), op. cit., p. 120.

56Le fait de s’établir dans cette petite agglomération et de se consacrer entièrement au commerce constitue, à coup sûr, un facteur favorable au développement des affaires de L.-F. Le Roux, comme c’est également le cas pour Guy Le Guen de Kerangall, Yves Rannou, Goulven Kermarrec et quelques autres. Le fait d’émaner d’une famille riche l’est également. Or, il est évident que Louis-François Le Roux appartient à la kentañ trouc’h, c’est-à-dire à une famille julode de première catégorie. En 1742, ses parents laissent une valeur mobilière de 24 380 L131, à quoi s’ajoutent plusieurs biens immobiliers132. Marguerite Bras, l’épouse de Guillaume Le Roux, appartient également à la kentañ trouc’h. En 1771, les biens mobiliers de ses parents représentent une valeur de près de 20 000 L133.

  • 134 Ces informations sont tirées d’actes d’état civil qui m’ont aimablement été communiqués par la mai (...)
  • 135 ADQ 6M 385 – Recensement de 1836.
  • 136 ADQ 3M 24.
  • 137 ADQ 3M 22.

57En fait, Guillaume Le Roux réunit les conditions pour devenir négociant et industriel : il est riche, il réside à Landivisiau et, surtout, il ne manque pas d’esprit d’entreprise. Le 2 février 1835, il épouse Marie-Gabrielle Clara Bazil née à Port-Launay, près de Châteaulin, en octobre 1810, de Jean († 16/1/1829), capitaine au long cours et de Marie-Anne Le Marchadour, négociante. En 1835, Ildut-Marie Bazil, oncle paternel de la mariée, est négociant à Brest, alors que l’oncle maternel Gabriel Le Marchadour est notaire à Châteaulin134. En 1836, les époux Le Roux emploient quatre domestiques135. En 1845, ils sont imposés à 1 088 F, dont 414 F de taxes foncières et 616 de patente136. Ce dernier impôt est exceptionnellement élevé. En cette même année, ses associés de Landerneau sont assujettis à une patente nettement moins forte : F.-M. Heuzé en verse 242 F, J.-I. Radiguet, 273, J. Goury, 123 et R. Poisson, 45137. Dans cette mesure, on peut se demander si une partie des activités de Guillaume Le Roux ne nous échap-pe pas. Sur ces cinq associés, seul Joseph Goury, avec 1 610 F, acquitte davantage d’impôts directs que le négociant de Landivisiau ; René Poisson en verse 448 F, Jean-Isidore Radiguet, 811 et François-Marie Heuzé, 511.

  • 138 Blavier (Yves), op. cit., p. 31.
  • 139 Le Bras (J.-M.), Plounéventer des origines à nos jours, 1986, p. 170.
  • 140 Saint-Méen, op. cit., p. 129.
  • 141 Informations communiquées par Daniel Collet.

58La Société linière permet à Guillaume Le Roux de s’enrichir bien davantage. En 1868, elle lui procure des bénéfices qui s’élèvent à 46 928 F. En 1869, ils sont de 62 991 F138. À ces gains s’ajoutent les dividendes de ses actions et les revenus de ses terres. Si celles-ci ne sont pas encore très étendues en 1845 – 414 F de taxes foncières représentent une soixantaine d’hectares en six fermes –, il n’est pas douteux que Guillaume Le Roux acquiert de nombreuses fermes dès la fin des années 1840. C’est ainsi qu’en 1847 il achète le manoir de Brézal en Plounéventer de même que plusieurs fermes aux alentours139. En 1864, il se rend propriétaire de quelque 150 hectares répartis en sept fermes, au moins, sur les territoires de Saint-Méen et de Plouider140. À partir des années 1850, Guillaume Le Roux s’installe au manoir de Brézal où il s’écarte de plus en plus des affaires. Il consacre, en revanche, du temps à la politique puisqu’il est conseiller général de 1833 à1852. À cette dernière date, il est largement battu par Jacques Abgrall, de Roc’haouren en Lampaul-Guimiliau141. Il meurt au château de Brézal le 9 octobre 1868, à l’âge de 74 ans.

  • 142 Saint-Méen, op. cit., p. 130.

59S’il est évident que cet homme émane du groupe social des Juloded, il n’est pas moins manifeste qu’il n’en fait plus partie, dès les premières décennies du xixe siècle. Il ne se marie pas dans son clan. La patente qu’il acquitte n’a rien de commun avec celle des marchands de toile et des tanneurs qui varie de 25 à 50 F. Il est significatif, enfin, qu’il n’amène pas un seul julod à acquérir des actions de la Société linière. Ses enfants prennent leur conjoint, l’un dans la bourgeoisie morlaisienne, l’autre dans la noblesse. Édouard, banquier à Morlaix, épouse Zoé Puyo, cependant que Marie-Anne convo-le en 1867 avec Charles Huon de Pénanster, propriétaire142.

60On pourrait imaginer que plusieurs marchands de toile et tanneurs aient travaillé à susciter des entreprises au moment de la Révolution industrielle, à l’instar de Guillaume Le Roux. À notre connaissance, ce cas est unique dans les villes de Morlaix et de Landerneau pour ce qui concerne la première moitié du xixe siècle. Le problème de l’inertie des Juloded demeure donc posé pour cette période comme pour les siècles précédents. Avant d’essayer de cerner cette question, il convient de mettre brièvement en évidence la place occupée par la bourgeoisie allogène, dans les villes de Landerneau et de Morlaix, sur les plans politique, économique et social.

Place de la bourgeoisie allogène

  • 143 Le Gallo (Yves), Brest et sa bourgeoisie... op. cit., t. 1, p. 37-41.
  • 144 Un musée d’histoire et de traditions populaires à Landerneau (rapport d’étude préalable), 1990, p. (...)
  • 145 D’après Daumesnil (J.), op. cit., p. 57 et sq.
  • 146 Gelley (Albert), Landerneau, reflet du passé, 1964, p. 20.
  • 147 Roudaut (F.), BSAF 1990, « Cahiers de doléances et députés », art. cit., p. 259.
  • 148 Ibid., p. 257.

61Aux xviiie et xixe siècles, le terme de colonie revient sans cesse à propos de Brest sous la plume d’administrateurs ou d’écrivains qui s’expriment au sujet de cette ville143. Ce même mot, on va le voir, peut également s’appliquer à Landerneau et à Morlaix. Il apparaît nettement que ces deux villes sont dominées par des bourgeois allogènes, sur le plan politique, tant au xixe qu’au xviiie siècle. Sur les 32 maires qui dirigent la ville de Morlaix entre 1706 et 1789, 22, soit plus des deux tiers, portent un nom à consonance française. À Landerneau, entre ces mêmes dates, ce sont 28 sur 35 qui sont dans ce cas144, soit quatre sur cinq. La proportion des échevins venus d’ailleurs est également très forte145. En 1774, sur les 18 membres de la municipalité de Landerneau, huit appartiennent à la famille Le Gris-Duval et cinq à la famille Mazurier146. Sur les onze députés morlaisiens désignés pour siéger à l’assemblée de la sénéchaussée, en avril 1789, il n’y a pas plus de trois à porter un patronyme breton147. À Landerneau, sur six, il n’y a qu’un seul dans ce cas148.

  • 149 Un musée d’histoire... op. cit., p. 37-38.
  • 150 Le Clech (Marthe), op. cit., t. 2, p. 102-103.
  • 151 Le Gallo (Yves), Brest et sa bourgeoisie..., t. 1, p. 92.
  • 152 AM Landerneau, liste des conseillers municipaux.
  • 153 Brest et sa bourgeoisie... op. cit., p. 92, t. 2.
  • 154 Ibid.

62De 1790 à 1900, les maires continuent d’être surtout allogènes dans ces mêmes villes : sur les 19 premiers magistrats qui président aux destinées de Landerneau entre ces deux dates, six seulement portent un patronyme breton149. À Morlaix, il ne s’en trouve que 10 sur 28150. Dans les conseils municipaux les proportions sont sensiblement les mêmes au milieu du xixe siècle. En 1846, sur les 24 conseillers municipaux de Morlaix, huit ont un patronyme breton151. À Landerneau, ce sont sept sur 24152. Il en va de même dans les autres villes basses-bretonnes : à Brest, ce sont 6 sur 28, à Quimper, 6 sur 22, à Quimperlé, 5 sur 26153. À partir de la deuxième moitié du xixe siècle, les conseils municipaux de ces villes se brittonisent progressivement : en 1962, sur les 26 conseillers municipaux de Morlaix, 20 ont un nom breton154 ; à Landerneau, ce sont 24 sur 27. Les maires de souche basse-bretonne y deviennent également plus nombreux à partir de 1900 : sept sur onze à Morlaix et huit sur quatorze à Landerneau.

63La prépondérance économique des non-Bretons, est aussi nette, dans ces deux villes, que leur domination politique. Les bourgeois allogènes, nous l’avons vu, y contrôlent le commerce dès la fin du xviie siècle, et sans doute bien plus tôt. En 1710, sur les 24 marchands capités à 20 L ou plus à Landerneau, 13 portent des patronymes à consonance française. Sur les six capités à plus de 50 L, cinq ne sont pas de souche bretonne. Sur les 21 négociants signalés dans cette même ville en 1744, six seulement ont un nombreton. À Morlaix, ce sont 9 sur 46 en 1788.

  • 155 Il faut acquitter 300 F ou plus.
  • 156 Il faut acquitter un minimum de 200 F.

64Cette prépondérance économique des gens venus d’ailleurs est aussi évidente au cours des deux premiers tiers du xixe siècle, notamment dans le domaine industriel, comme nous l’avons vu. Elle apparaît clairement dans les listes électorales sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. En 1829, sur les 96 électeurs censitaires155 de Morlaix, près des deux tiers – 68 – portent un patronyme à consonance française. En 1845, à Landerneau, ce sont 33 sur 45156, soit près des trois quarts, qui sont dans ce cas. Comme l’essentiel de leurs impôts consiste en taxes foncières, il n’est pas douteux que ces bourgeois allogènes possèdent des biens non seulement dans leur ville d’adoption mais aussi dans les campagnes voisines.

65Cette domination politique et économique exercée par la bourgeoisie allogène révèle la structure coloniale des villes de Basse-Bretagne. Il en découle que cette même prépondérance est également réelle sur le plan social. Ceci revient à dire que, d’une manière générale, l’élément autochtone est en état de subordination par rapport à l’élément immigré. Observateur sagace de la table d’hôte à l’hôtel quimpérois de l’Épée, G. Flaubert exprime fort bien cette situation en 1847, cependant qu’il parcourt la Bretagne.

  • 157 Flaubert (G.), Par les champs et par les grèves, Paris, rééd. de 1984, p. 128-129.

« Ce qu’il y a encore de plus breton dans les villes, écrit-il, ce sont les pauvres filles qu’on fait venir pour servir comme domestiques. Confinées dans leur service, avec qui communiqueraient-elles pour perdre le caractère natal ? Voyez-les s’arrêter dans la rue avec l’homme qui apporte chaque semaine de la campagne les œufs et le beurre. Que leur dit-il ? Il leur parle de leur village, de leurs parents...
« Ainsi se conserve au milieu d’une population déjà bâtarde ce petit peuple entêté, qui tournoie dans l’autre sans y perdre ses angles. À Quimper, à table d’hôte, en regardant la servante, fille large d’épaules, de visage âpre et d’une tenue rigide, avec son bonnet blanc, ses bouts de manche et son bavolet carré, qui servait des œufs à la neige à un gros monsieur à lunettes d’or, inspecteur des contributions indirectes, je me disais : « Voilà donc les deux sociétés face à face et le rapport final d’un siècle à l’autre ! Le vieux portrait s’humilie devant la caricature moderne. D’où j’ai tiré cet axiome : le Présent fait cirer ses bottes par le Passé et ne l’en remercie même pas ».157

66On ne s’étonnera pas que la bourgeoisie importée de Basse-Bretagne affiche une grande condescendance à l’égard des Bas-Bretons de souche, notamment vis-à-vis des habitants du plat pays, « dont elle méconnaît la vie profonde et en général ignore la langue ». S’exprimant, vers 1840, au sujet de ces bourgeois venus d’ailleurs, Alfred de Courcy écrit :

  • 158 De Courcy (Alfred), op. cit., p. 218-218.

« Ils ne comprennent pas leur pays. Ils n’ont jamais eu la curiosité ou le loisir d’y faire un voyage… Ils empierreraient volontiers les chemins avec les fragments de croix ou de menhirs. Ils n’aiment pas le paysan, qu’ils méprisent du haut de leurs opulents comptoirs ; et comme sa langue les gêne dans leurs marchés de grains, de miel, de beurre, ils voudraient faire disparaître ce dernier symbole d’une nationalité perdue, cette sauvegarde des croyances et des usages du passé »158.

  • 159 Père de Tristan Corbière. On pourra à son sujet se reporter à Brest et sa bourgeoisie, op. cit., à (...)
  • 160 Selon Yves Le Gallo, ce pays comprend les paroisses de Goulven, Plounéour-Trez, Brignogan (détaché (...)
  • 161 Le Gallo (Yves), dans Brest et sa bourgeoisie... op. cit., p. 63.

67Quelques textes confirmeront et renforceront ce jugement d’Alfred de Courcy. En 1818, une feuille libérale et anticléricale de Brest, La Guêpe, animée par Édouard Corbière159, décrit les naturels du Pays Pagan160 comme « des espèces de sauvages à moitié nus, qui pillent et massacrent les naufragés que les coups de vent jettent dans ces parages »161. Plus tard, le même Édouard Corbière prétendra que les seuls rivages de France, qui n’auraient pas été encore touchés par la civilisation, sont ceux du Finistère.

  • 162 Ibid., p. 64.

« La plupart de nos paysans, écrit-il, sont encore plus grossiers que les peuplades que nous avons voulu policer dans le Nouveau Monde. Il y a peu de temps que les lumières se répandent en Russie, et il n’est pas sur les bords du Boristhène et du Don, un Russe qui soit moins ignorant et moins féroce que les hommes dont nous parlons. Il est inconcevable, et nous osons le dire, il est honteux que la France, au dix-neuvième siècle, ait encore des sauvages »162.

  • 163 Fils d’autre Alexandre Bouët venu de Demouville (Calvados) s’établir à Brest vers 1800.

68Édouard Corbière a des opinions d’autant plus péremptoires sur les campagnes finistériennes qu’il les connaît mal. On ne peut faire le même grief à Alexandre Bouët163, auteur de Breiz-Izel ou Vie des Bretons de l’Armorique, qui, manifestement, a une bonne connaissance du monde paysan bas-breton.

  • 164 Bouët (A.), Breiz-Izel ou Vie des Bretons de l’Armorique, Paris, édit. de 1844, p. 24.

« Plus isolé dans ses hameaux épars, écrit-il vers 1840, plus étranger par son langage à la civilisation des villes qu’aucun autre paysan du royaume, le paysan armoricain est ce que l’on appelle vulgairement arriéré ; il est plus vieux de trois siècles ; à certains égards il en est encore au Moyen Âge. Ainsi son ignorance en fait un homme superstitieux qui ne prouve sa croyance que par des vaines pratiques, souvent risibles... »164.

69Si ce Brestois d’origine normande, qui a de la sympathie pour les paysans de sa région d’adoption, porte sur eux un jugement si peu flatteur, on peut penser que l’opinion de nombre de bourgeois immigrés n’est pas éloignée de celle d’Édouard Corbière.

L’inertie des Juloded

  • 165 Flatrès (Pierre), La Bretagne, Paris, 1986, p. 106 « On dirait un goût enraciné pour le petit, le (...)

70Le moment est venu, enfin, de nous interroger sur la petite place occupée par les Juloded dans les villes, tant dans le négoce au xviiie siècle que dans l’industrie au xixe. Pour tenter de mieux comprendre leur relative inertie, on peut d’abord considérer ce « goût du menu »165 qu’on impute aux Bretons jusqu’au milieu du xxe siècle, dès lors qu’il s’agit de créer et surtout d’agrandir des entreprises. Condamné par l’Église jusqu’aux années 1840, le prêt à intérêt a certainement limité le recours aux emprunts et, partant, freiné le développement d’entreprises. Retenons cependant que sa pratique est attestée dans certains milieux julods, comme on l’a vu, dès la fin du xviie siècle.

71Tout en étant relativement riches, par ailleurs, les marchands de toile et les tanneurs ne disposent pas, sauf quelques exceptions, de gros capitaux. Il apparaît, si l’on en juge par la spectaculaire réussite économique de quelques Normands et autres en Basse-Bretagne, qu’il n’est pas indispensable d’être très riche, du moins jusqu’au milieu du xixe siècle, pour réussir dans le négoce et dans l’industrie. Étienne Radiguet et Pierre Roger qui sont tous deux des fils de « laboureurs » venus de Basse-Normandie s’installer, l’un à Landerneau, l’autre à Brest, s’enrichissent rapidement à la fin du xviiie siècle et au début du siècle suivant, comme on l’a vu. Quand il fonde sa fabrique de chandelles à Landerneau, en 1807, Noël Didier Belhommet ne paraît pas disposer de plus de 2 400 F.

  • 166 ADQ 6B (1603-1759) Goulven.
  • 167 Ancêtres et terroirs, op. cit., p. 37.

72Dans la première moitié du xviiie siècle, on voit, du reste, un fils de paysans aisés de Goulven devenir négociant à Landerneau. Il s’agit de Jacques Creff né, vers 1700 d’Yves et de Marie Fily. À son décès en 1711, Yves Creff ne laisse qu’une valeur mobilière de 1 374 L, dont cinq chevaux166. Le 28 janvier 1732, Jacques Creff, « sieur de Kermoné », épouse, en l’église Saint-Houardon de Landerneau, Marie-Anne Le Leyer, fille du négociant Philibert et de Marie Le Scanff. Le jeune couple s’établit dans cette paroisse où Jacques Creff est dit négociant et acquitte 48 L de capitation en 1744167.

73Notons, enfin, que si l’argent fait défaut aux Juloded pour fonder ou développer des entreprises commerciales ou industrielles, il leur est d’autant plus facile de s’associer qu’ils sont unis par des liens familiaux et claniques. On s’attardera, du reste, sur une association de ce type.

  • 168 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 241.

74Il semble que c’est la routine, bien plus que le manque de capitaux, qui explique le « goût du menu » que l’on constate dans l’aire julode. On n’y observe guère de progrès dans les méthodes artisanales et commerciales entre la fin du xviie siècle et le milieu du XIXe. S’adressant au ministre de l’Intérieur à propos des ateliers répandus dans les campagnes, le préfet du Finistère écrit en 1810 : « Tout ici porte l’empreinte de la simplicité et de la routine... »168. On aurait pu imaginer que ce soit des Juloded qui créent des fabriques telles que celles de Sizun, Commana, Ploudiry ou Saint-Sauveur ; l’initiative, on l’a vu, est venue de bourgeois immigrés. Il semble que les paysans-marchands de toile refusent ou, du moins, répugnent à entrer dans l’ère industrielle : le fait que l’on ne trouve pas, en 1845, un seul Julod parmi les actionnaires de la Société linière de Landerneau est significatif à cet égard.

75Cette même routine s’observe dans les tanneries. Quatre des cinq tanneurs signalés à Landerneau vers 1810 continuent de travailler comme par le passé, alors que des gens venus d’ailleurs savent y susciter des entreprises industrielles tirant parti du cuir. Il est à noter, par ailleurs, que pas une seule des quelque 70 tanneries disséminées sur les territoires de Lampaul-Guimiliau, Landivisiau ou Locmélar ne prend une allure industrielle dans la première moitié du xixe siècle.

  • 169 À travers la Bretagne, op. cit., p. 241.

76La routine manifestée par les Juloded procède encore d’autres traits de mentalité. Dans leur microcosme, il est mal vu d’aller à l’encontre de l’ordre établi. Or, créer une société commerciale ou une entreprise industrielle, c’est s’écarter des normes locales. Chacun doit rester dans son rang. L’ambition, qui confine au péché, est mal perçue. Ascension sociale et progrès économique ne sont pas interdits mais ils doivent se faire insensiblement. Des auteurs, tels que A. Bouët et Max Radiguet, qui ont observé la société rurale basse-bretonne au siècle dernier, n’ont pas manqué de remarquer ces freins socio-économiques. S’exprimant par antiphrase, Max Radiguet relève que « la patience et la résignation [sont] deux vertus chrétiennes et éminemment bretonnes »169.

  • 170 À propos des pays pauvres d’aujourd’hui, Emmanuel Todd soutient que le développement économique ne (...)
  • 171 Le Gallo (Yves), Brest et sa bourgeoisie..., op. cit., t. 1, p. 61.

77Pour expliquer la routine, on peut aussi invoquer le retard scolaire des campagnes finistériennes, notamment au cours des premières décennies du xixe siècle. Si les enfants des Juloded sont généralement scolarisés, avant comme après la Révolution, leur instruction est, le plus souvent, sommaire jusqu’au milieu du xixe siècle. Quoi qu’il en soit, l’important analphabétisme qui sévit dans le Finistère ne peut qu’en freiner le développement économique170. S’adressant au ministre de l’Instruction Publique en 1881, le préfet de ce département en brosse un tableau fort sombre. « Sur une population de 666 000 habitants, note-t-il, il y en a plus de 300 000 qui ne savent ni lire ni écrire le français. Les listes de recensement portent chaque année le nombre des conscrits entièrement illettrés à 50 et à 55 % »171.

  • 172 Personnalité en vue du syndicalisme agricole et président de la chambre d’agriculture du Finistère (...)

78Le « goût du menu » que l’on vient d’évoquer ne saurait suffire à expliquer la faible présence des marchands de toile et des tanneurs aux postes de commande, qu’il s’agisse du négoce ou de l’industrie. Ces deux activités sont essentiellement urbaines. Or il est assez net que les Juloded répugnent à s’établir en ville. La première raison en est simple. Les membres de cette aristocratie paysanne tiennent le haut du pavé dans leur terroir : ils préfèrent être les premiers dans leur monde originel plutôt que les seconds en ville. Guillaume Roué172 exprime plus abruptement ce type d’aspiration : « Il vaut mieux, dit-il, être grand parmi les petits plutôt que petit parmi les grands ».

  • 173 Bouët (A.), op. cit., p. 24.

79La deuxième raison tient au fait que les paysans entretiennent un profond sentiment d’infériorité vis-à-vis des citadins. L’homme des campagnes, écrit A. Bouët vers 1840, est craintif et méfiant « dans ses relations avec les gens des villes ». Il est « plus étranger par son langage à la civilisation des villes qu’aucun autre paysan du royaume »173. À la même époque, Alfred de Courcy remarque que « le paysan bas-breton se reconnaît volontiers inférieur à la classe policée par l’éducation, et [que] pour lui, ce qui caractérise cette classe, c’est qu’elle par le français dans ses rapports journaliers... »

  • 174 Clergé, religion et société, op. cit., p. 440.

80Le complexe d’infériorité linguistique qui transparaît en ces lignes touche également les Juloded. Retenons que ceux-ci sont bretonnants de naissance jusqu’à la fin du xixe siècle au moins. La scolarisation, dont ils bénéficient généralement, leur permet de se familiariser avec le français. Mais, dans la mesure où cette langue n’est pas pratiquée dans les campagnes, on peut imaginer qu’ils la désapprennent assez rapidement. De nombreux jeunes Bas-Bretons, d’origine rurale, fraîchement arrivés dans leur caserne, ont fait cette expérience jusqu’aux années 1950. Considérant, par ailleurs, les premières décennies du xixe siècle, Yves Le Gallo constate que les prêtres dont la carrière se déroule dans les paroisses paysannes finissent, à force de ne pratiquer que le parler indigène, « par ne plus avoir du français qu’une connaissance empruntée »174. Dans les villes, on s’exprime en breton et en français. La langue nationale est probablement moins pratiquée que la langue indigène mais elle est celle des bourgeois, c’est-à-dire celle de ceux qui donnent le ton.

81On peut penser que les Juloded ressentent leur complexe d’infériorité linguistique plus vivement que les paysans ordinaires : du fait de leur commerce, les paysans-marchands sont davantage amenés à rencontrer les bourgeois francophones et à prendre conscience de leurs difficultés à s’exprimer dans la langue de l’élite urbaine. Ce texte, daté de 1716 et dont l’auteur est Dom Le Pelletier, est significatif à cet égard.

  • 175 Cité par Christian-J. Guyonvarc’h dans Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne (sous la d (...)

« Une langue, écrit ce moine de Landévennec, ne peut manquer de périr pour toujours, si on vient à cesser de la parler. Et cela ne peut beaucoup tarder, le Français étant déjà la langue vulgaire non seulement dans les villes, mais aussi dans les bourgs, bourgades, passages et auberges, de sorte que l’on n’entend presque plus le Breton que dans les villages et aux foires où les paï-sans portent leurs denrées. Ceux-ci se voient méprisez pour leur ignorance de la langue dominante, et n’étant plus en âge de l’apprendre, envoient leurs enfans servir chez ceux qui la parlent... Les plus aisez envoient leurs garçons au collège et les filles dans les communautez Religieuses ; où les disciplines aussi bien que les maîtres travaillent de concert à ôter de la mémoire de cette jeunesse tout ce qu’elle avoit appris de sa langue maternelle en demeurant au village parmi leurs parens... »175.

  • 176 Saint-Méen... op. cit., p. 326.

82En fait, ce texte ne concerne pas l’ensemble des paysans. Pendant les deux premières décennies du xviiie siècle, le taux d’alphabétisation masculin n’atteint pas les 10 % au cœur du Léon ; celui des femmes est inférieur à 5 %176. Dans ces conditions, les observations de Dom Le Pelletier s’appliquent essentiellement aux Juloded et aux plus riches paysans de Basse-Bretagne. On y trouve du reste des notations que nous avons déjà relevées à propos de marchands de toile. C’est ainsi que dès le milieu du xviie siècle, ces patriciens envoient leurs fils à Josselin, afin d’y apprendre le français ; aux xviiie et au xixe siècles, leurs filles sont dirigées vers des communautés religieuses, cependant que les garçons fréquentent quelquefois le collège de Léon ou des écoles d’administration domestique, d’où la langue bretonne est bannie. Quoi qu’il en soit, il apparaît que dès le début du xviiie siècle cette catégorie de paysans éprouve déjà un sentiment de honte à l’égard du breton, dès lors qu’elle s’imagine en relation avec l’élite urbaine.

  • 177 A fait campagne dans le Pacifique (Tahiti, Iles Marquises) de même qu’à Haïti, au Pérou et au Chil (...)

83En réalité, le complexe d’infériorité des paysans bas-bretons n’est pas seulement linguistique, il est culturel. C’est toute la civilisation basse-bretonne qui est moquée ou stigmatisée par les bourgeois allogènes. Pour eux, elle est synonyme d’arriération. A. Bouët le dit nettement. On peut s’étonner de trouver quasiment le même dédain à l’égard de cette même civilisation chez un homme comme Max Radiguet, qui a été confronté à plusieurs cultures177. Opposant, en 1865, Brest, d’essence française et Recouvrance, d’essence bretonne, cet ancien secrétaire de l’amiral Dupetit-Thouars écrit :

  • 178 À travers la Bretagne... op. cit., p. 98-99.

« Brest était une ville moderne. Recouvrance exhalait je ne sais quels effluves du temps passé. Brest se rajeunissait sans cesse... et Recouvrance restait vieille sans être antique, le pire défaut que l’on puisse reprocher à une ville. Mœurs, langues, costumes y étaient surannés ; elle conservait des traditions rances ; elle parlait comme au temps de Grallon et de Bristokus ; elle portait une coiffe, un jupon, un mantelet, des sabots... »178.

  • 179 Le Gallo (Yves), La Bretagne à l’aube de la Révolution, op. cit., Leçon inaugurale, p. 18.

84En fait, ce texte laisse entrevoir les deux civilisations qui s’opposent en Basse-Bretagne : l’une est bretonne, orale, paysanne, religieuse, cléricale et paroissiale, pour reprendre les termes forts d’Yves Le Gallo ; l’autre est néolatine, écrite, bureaucratique, urbaine, plus rationaliste que mystique179. Compte tenu de ces antinomies culturelles, on s’étonnera moins que les Juloded se montrent réfractaires à la ville. Pleinement chez eux dans les campagnes, ils se regardent comme des étrangers dans les villes qui sont de véritables enclaves françaises et francophones. Il est, en outre, difficile de s’épanouir et de réussir quand on perçoit que la langue et la culture dont on vit est méprisée. On comprend mieux, dès lors, qu’un certain nombre des négociants d’origine julode qui s’établissent en ville soient passés, au préalable, par le tremplin semi-urbain de Landivisiau. Quant aux très rares paysans-marchands qui, sans étape transitoire, sont allés de leur hameau natal demeurer en ville, on peut penser qu’ils possèdent une trempe exceptionnelle.

Une entreprise julode

  • 180 Généalogie Soubigou, op. cit., p. 40.

85À notre connaissance, les Juloded n’ont fondé qu’une seule entreprise d’envergure : une entreprise de travaux publics. Il n’est pas surprenant que ses promoteurs soient demeurés des ruraux. Entre 1837, année de sa fondation, et 1914, année de sa disparition, cette entreprise a construit plus de 2 000 kilomètres de chemins et de routes en Bretagne de même qu’un millier de kilomètres de voies ferrées aux quatre coins de la France180.

  • 181 Né de Pierre et d’Anne Cueff.

86Le fondateur de cette entreprise, Yves Prigent, est né à Leur-ar-Morris en Plounéventer, le 26 novembre 1802, des paysans-marchands de toile Jean et Marie Kermarrec. Il apparaît que ceux-ci appartiennent à l’eil trouc’h, c’est-à-dire à la deuxième catégorie de leur groupe social : Jean Prigent signe d’une manière malhabile, si ce n’est enfantine et n’accède pas au rang des électeurs censitaires. Le 23 janvier 1821, âgé seulement de 18 ans, Yves Prigent épouse une veuve de son terroir, Élisabeth Le Bras, qui compte dix années de plus que lui. Née à Mesgloaguen en Plounéventer, le 1er novembre 1792, de Gabriel († 1/1/1806) et de Marie Le Vourc’h, Élisabeth Le Bras appartient également à une famille de Juloded. En premières noces, elle a épousé Jean Ollivier181, de Keravel en Plougar, qui meurt en février 1819, laissant une fille, Marie-Anne, née le 5 juillet 1814.

  • 182 6M 1836-1861, Plounéventer.
  • 183 Saint-Méen, op. cit., p. 217.

87Au recensement de 1836, Yves Prigent et Élisabeth Le Bras résident à Leur-ar-Morris où ils sont paysans-marchands de toile. À cette date, leur maison compte 17 personnes : cinq enfants âgés de 21, 14, 9, 3 et 2 ans ; Jean Prigent, père d’Yves, âgé de 70 ans et huit domestiques : quatre hommes et quatre femmes182. Leur ferme, dont ils ne sont pas propriétaires, couvre 18 hectares. Notons encore qu’Yves Prigent est maire de sa commune depuis 1834 et le demeurera jusqu’à son décès en mars 1863183.

  • 184 Nous tirons ces informations, comme une partie de celles qui vont suivre, d’un historique de l’ent (...)
  • 185 ADQ 3M 24.

88C’est en 1837 qu’Yves Prigent fonde son entreprise de travaux publics, dont les débuts sont très modestes. Cette année-là, le paysan-marchand de Leur-ar-Morris conclut un marché de 2 400 F pour l’empierrement d’un chemin dans une commune voisine de Plounéventer184. En 1838, il s’associe à un autre Julod, Yves Quéinnec, pour un empierrement de 3 000 F. Né à Kermorvan en Plounéour-Ménez, en 1782, de Jacques et Louise Madec, Yves Quéinnec n’est autre que le fils du Conventionnel dont il a été question à plusieurs reprises. Il épousera Marie-Anne Pouliquen puis Marie-Anne Grall, qui sont des femmes de son clan. En 1836, il réside à Pen-ar-C’hoat, en Guiclan, où il est à la fois paysan, marchand et expert. En 1845, il acquitte 202 F d’impôts directs, dont 158 consistent en taxes foncières185.

  • 186 ADQ 78 J 31 Historique.

89En 1839, Yves Prigent et Yves Quéinnec s’adjoignent un troisième associé qui est François Quéinnec, frère d’Yves. Né en 1786, ce nouvel entrepreneur a épousé Anne Pouliquen de Pen-ar-C’hoat, en Guiclan, et s’est établi au Bailleguen en Saint-Thégonnec, où il exerce les mêmes activités que ses aïeux. En 1845, il acquitte 272 F d’impôts directs, dont 209 F de taxes foncières. En cette même année 1839, les trois associés concluent un marché de 6 000 F pour un chemin de Plounéventer. L’année suivante, ils s’adjugent une affaire de 150 000 F : il s’agit pour eux de rectifier la route nationale N° 12 entre Landerneau et Landivisiau186.

  • 187 Généalogie Soubigou, op. cit., p. 40.
  • 188 D’après l’historique, op. cit.

90Il apparaît qu’ils y réalisent d’importants bénéfices. C’est probablement ce qui permet à Yves Prigent d’acquérir un manoir au bourg de Plounéventer et d’y bâtir une grande maison. « Il s’y établit en 1843 et y tient une épicerie de même qu’un commerce de draps »187. En 1845, son nom apparaît sur les listes des électeurs censitaires : il est imposé à 279 F dont 210 consistent en taxes foncières. En cette même année, meurt l’associé, Yves Quéinnec, qui est remplacé par son fils Jacques. À partir du milieu des années 1840, l’entreprise Prigent prend davantage d’ampleur et dirige plusieurs chantiers à la fois. De 1844 à 1847, elle reconstruit la route N° 165 dans le secteur d’Audierne pour 160 000 F. À la même époque, elle répare le chemin vicinal entre Poulgoazec et Plouhinec pour 30 000 F. Par ailleurs, elle élargit la route nationale N° 12 dans le secteur de Saint-Thégonnec après avoir conclu un marché de 80 000 F. Diversifiant ses activités, elle travaille à la construction de la filature de Landerneau en 1846 et en 1847 pour 250 000 F. Entre 1847 et 1852, elle modernise, entre autres, la route nationale N° 12 dans la région de Belle-Isle-en-Terre (170 000 F) de même qu’un tronçon de la route nationale 169 dans le Morbihan (150 000 F)188

Associés de l’entreprise de travaux publics Prigent – Soubigou – Quéinnec et liens familiaux entre eux

Associés de l’entreprise de travaux publics Prigent – Soubigou – Quéinnec et liens familiaux entre eux

Légende : 1821 X : année de mariage ; Jean Prigent : associé de l’entreprise de travaux publics Prigent ... à une époque donnée.

  • 189 D’après l’auteur de l’historique.

91En 1848, l’ensemble des affaires conclues par l’entreprise depuis ses débuts s’élève à 1 100 000 F. Comme on estime qu’à cette époque les bénéfices sont de l’ordre de 15 % du chiffre d’affaires189, on peut considérer que de 1838 à 1848 les gains annuels de chaque associé sont de l’ordre de 5 000 F. Il semble que les profits retirés des travaux publics par les trois entrepreneurs échappent au fisc jusqu’en 1845. Les listes des électeurs censitaires de cette même année les mentionnent comme des fabricants, cependant que leur patente, qui varie de 15 à 41 F, correspond à celle qui est habituellement acquittée par les paysans-marchands de toile.

  • 190 AM de Saint-Pol-de-Léon, registres d’inscriptions du collège.

92En mars 1848, la société de travaux publics apparue à Plounéventer intègre trois habitants de cette commune : il s’agit de Jean Prigent et des frères François-Louis et Jean-Pierre Soubigou. Le premier est né d’Yves et d’Élisabeth Le Bras le 25 novembre 1821. Il a fréquenté le collège de Léon de la sixième à la quatrième entre 1835 et 1838190. Le recensement de 1841 le mentionne comme « fabricant de toile » à Leur-ar-Morris. Le 27 juillet 1847, il épouse Marie-Catherine Quéinnec († 13/12/1848), 20 ans, née à Kérambellec en Sizun de Gabriel et Catherine Rannou. En secondes noces, il convole avec Perrine Pouliquen, de Pen-ar-Vern en Saint-Thégonnec, née de Joseph et d’Annette Pouliquen.

  • 191 Ces époux se sont mariés à Ploudaniel le 9 novembre 1809.
  • 192 AM de Saint-Pol, registres d’inscriptions.

93François-Louis et Jean-Pierre Soubigou sont nés à Kergréguen, le premier en février 1819, le second en janvier 1828, des paysans-marchands de toile Jean-Marie et Marie-Josèphe Martin191. L’un et l’autre ont fréquenté le collège de Léon : François-Louis jusqu’en classe de seconde, cependant que Jean-Pierre a quitté cet établissement en quatrième, à la fin du premier trimestre192. En 1836, le manoir de Kergréguen compte 22 personnes : les parents Soubigou, âgés de 50 et de 43 ans ; leurs six garçons dont les âges vont de 9 à 23 ans ; la mère de Jean-Marie, Marie-Renée Abhervé-Guéguen, 81 ans et 13 domestiques : huit hommes et cinq femmes.

94En juillet 1846, un double mariage unit les Prigent et les Soubigou. Le 27 de ce mois François-Louis épouse Marie-Jeanne Prigent, fille d’Yves et d’Élisabeth Le Bras, cependant que Joseph Soubigou, frère de François-Louis, se marie à Marie-Anne Ollivier, née du premier mariage d’Élisabeth Le Bras. Marie-Jeanne Prigent meurt le 31 mars 1847. Quatre ans plus tard, François-Louis convole avec Marie-Françoise Allançon, de Saint-Renan, qui avait séjourné au presbytère de Trémaouézan, où son oncle fut recteur. Quant à Jean-Pierre Soubigou, il se marie dans sa caste : le 9 novembre 1852, il épouse Françoise Baron, de Bodéniry en Saint-Thégonnec.

  • 193 D’après l’historique.

95Composée de six associés à partir de 1848, l’entreprise Prigent étend ses activités : son chiffre d’affaires est de l’ordre de 3 millions de francs entre 1848 et 1858. À partir de 1859, elle se lance dans la construction de voies ferrées. Ses premiers chantiers sont sur la ligne Paris-Brest : dans les secteurs de Plouégat-Moysan, de Pleyber-Christ, de Landerneau ; sur la ligne Savenay-Quimper : dans la région de Questembert et sur la ligne Angers-Niort193. C’est au début des années 1860, par ailleurs, que cette même entreprise construit le tunnel du Château de Brest pour l’arsenal.

  • 194 Ibid.

96L’associé François Quéinnec, qui meurt en 1855, est remplacé par son fils Gabriel. Le fondateur de l’entreprise, Yves Prigent, meurt le 3 mars 1863. Dès lors, la Compagnie comprend Jean Prigent, les deux frères Soubigou et Gabriel Quéinnec. Au cours des années suivantes, elle s’adjoint deux associés étrangers à la caste des Juloded : ce sont, en 1864, Victor Radenac, de Paris, et en 1866, un certain Colbert, de Nancy194. Nous n’avons guère d’informations sur ces deux hommes qui feront partie de la Compagnie jusqu’en 1888.

  • 195 Ibid.

97Tout en continuant de construire des routes, la nouvelle société paraît s’employer, surtout, à mettre des voies ferrées en place. En 1866, elle s’adjuge deux lots sur la ligne d’Angers à Niort et un lot sur la ligne de Cognac à Angoulême. En 1868, elle obtient trois lots sur les quatre que comporte la ligne Saint-Brieuc-Pontivy. En 1869, la Compagnie de l’Ouest la charge de la construction du premier lot, dit de Mutrecy, sur la ligne Caen-Flers. La guerre de 1870 impose l’arrêt complet des travaux195.

  • 196 D’après le palmarès du collège.
  • 197 D’après le travail généalogique rédigé, vers 1902, par Marie-Josèphe Soubigou – fille de Joseph et (...)

98Deux associés meurent dans la première moitié des années 1870 : ce sont Gabriel Quéinnec en 1871 et Jean Prigent en 1875. À cette date, la compagnie se compose de Victor Radenac, de Colbert, des frères Soubigou, de leur neveu Jean-Louis Soubigou et des frères Jean-Louis et Alain Quéinnec. Né, en 1849, de Jean-Louis et de Marie-Angèle Baron, Jean-Louis Soubigou est élève au collège de Lesneven jusqu’en classe de rhétorique, au moins, où il obtient, en 1867, le Prix d’Honneur, c’est-à-dire le premier prix de composition française196. Il sera ingénieur des Arts et Métiers197. En 1872, il épouse Françoise Quéinnec (1853-1890), fille de Gabriel – l’associé décédé en 1871 – et d’Angèle Pouliquen, de Kersourat en Landivisiau. Jean-Louis et Alain Quéinnec sont les fils de Jacques et les petits-fils de François Quéinnec, qui fit partie de la Compagnie Prigent à ses débuts. Tous deux sont nés à Bailleguen en Saint-Thégonnec ; le premier en 1838, le second en 1842. Jean-Louis Quéinnec († 1879) a épousé Marie-Louise Pouliquen, de Pratcoannec en Saint-Thégonnec, en premières noces, puis Marie-Yvonne Caill, de Plouzévédé. De son côté, Alain Quéinnec a d’abord convolé avec Anastasie Abgrall († 1873), née à Roc’haouren en Lampaul-Guimiliau de Jacques et de Jeanne Le Loutre puis, en octobre 1876, avec Angèle Soubigou, de Kergréguen en Plounéventer, fille de Joseph et de Marie-Anne Ollivier. Après ce mariage, il s’établit chez sa femme.

  • 198 ADQ 78 J 31 Règlement définitif entre MM. Radenac, Colbert, Prigent-Soubigou et Quéinnec au 31/12/ (...)
  • 199 ADQ 78 J 31, Lettre de François-Louis Soubigou à son frère Jean-Pierre, 5/4/1880.
  • 200 D’après l’historique, surtout.

99En 1875, la part des Soubigou dans la société est de 37,5 %, celle des Quéinnec est d’autant et celle de Colbert-Radenac, de 25 %198. Entre 1875 et 1880, on voit l’entreprise de travaux publics construire des chemins et des routes dans le Morbihan, du côté de Lorient et de la Gacilly et dans les Côtes-du-Nord dans les secteurs de Paimpol et de Trévérec, entre Pontrieux et Lanvollon199. Par ailleurs, de 1872 à 1885, elle a des chantiers de construction de chemins de fer sur les lignes de Dol à Lamballe, de Dinan à Plancoët, de Plouaret à Lannion, de Quimper à Douarnenez, de Morlaix à Roscoff, de Clermont-Ferrand à Tulle et de Brive à Montauban200.

  • 201 L’auteur de l’historique l’appelle ainsi.
  • 202 Les informations relatives à cette « affaire de Guingamp » sont essentiellement tirées d’un rappor (...)

100Entre 1875 et 1887, la société Radenac201 connaît de grandes difficultés financières pour deux raisons. La première tient au fait que François-Louis Soubigou a pris, en 1871, l’initiative de s’associer à Louis Radenac, de Guingamp, neveu de Victor, pour un commerce qui porte sur du blé, de la farine et du bœuf salé acheté en Amérique. Les stocks sont entreposés à Guingamp202. Il apparaît, si l’on en croit Colbert, que François-Louis Soubigou s’est lancé dans ce commerce pour le compte de la société de travaux publics, sans en consulter ses associés. Il apparaît encore que ce même homme ne visite que rarement et trop rapidement les magasins de Guingamp. Quoi qu’il en soit, il s’avère que « l’affaire de Guingamp » tourne mal et que les pertes y sont de plus en plus importantes. Ainsi, la viande d’Amérique laisse un déficit de 270 000 F. Réglant cette mauvaise affaire en juin 1876, François-Louis attribue un tiers de la perte à Louis Radenac et les deux autres tiers aux membres de la société Radenac.

  • 203 Ce sel dénaturé sert à saler les foins.

101En dépit de cet échec, François-Louis Soubigou poursuit son commerce de Guingamp qui porte sur des céréales (froment, sarrasin, orge), de l’eau-de-vie, du colza, du sucre, des graines d’ajonc, des semences de trèfle, du sel dénaturé203, du pain et de la viande destinés aux troupes... Les fournitures à l’armée et aux haras de Lamballe procurent des bénéfices mais le reste du commerce entraîne d’importants déficits, cependant que les associés n’en sont avertis que tardivement. Les fonds sont prêtés par le banquier Lemonnier, de Brest, qui fait observer que le découvert de la société est passé de 104 142 F en 1872 à 1 377 142 F en 1879. Le résultat est que les pertes s’élèvent à 1 379 000 F, au 31 décembre 1887, compte non tenu du bœuf salé. Au surplus, comme Louis Radenac est insolvable, on a prélevé 600 000 F supplémentaires sur le compte de la société Radenac pour régler cette malheureuse affaire de Guingamp. Déversant son fiel à propos de ce commerce, Colbert adresse de nombreux reproches à F.-L. Soubigou. Il lui fait, entre autres, grief de s’être lancé dans un commerce qu’il ne connaissait pas, d’avoir commis l’imprudence de s’associer avec « l’apprenti commerçant » Louis Radenac, de ne pas avoir écouté les conseils de prudence du banquier Lemonnier, de n’être pas suffisamment allé sur place, d’avoir annoncé des bénéfices quand les pertes étaient déjà énormes... De son côté, François-Louis Soubigou ne fait pas état de cette affaire dans le courrier qu’il adresse régulièrement à son frère, Jean-Pierre. Suffisamment compromise par ces pertes de Guingamp, la situation financière de la société Radenac est encore aggravée, au début des années 1880, par le fait que la compagnie de Clermont tarde à lui régler les travaux exécutés entre Clermont et Tulle. Il lui faut recourir aux tribunaux et quelques années pour liquider cette affaire.

  • 204 Né à Plounéventer en 1820, Allain Soubigou a épousé Marie Angélique Léon en 1845 et s’est établi à (...)
  • 205 Autre frère de François-Louis et d’Allain, Nicolas Soubigou est né en août 1823. Il a épousé Angèl (...)
  • 206 Comptes de 1902 (ADQ 78 J 31).
  • 207 ADQ 78 J 31, d’après diverses lettres.

102En 1888, Colbert et Victor Radenac se retirent de la société de travaux publics fondée en 1837 qui, dès lors, devient la Société Soubigou et Cie. En 1902, elle se compose de huit Soubigou : ce sont François-Louis, Jean-Pierre, Yves, fils d’Allain204, Auguste, fils de Nicolas205, Jean-Louis, Joseph, fils du précédent, Pierre, fils de Jean-Pierre, Auguste, fils de François-Louis206. Entre 1888 et 1905, cette société poursuit ses travaux dans le secteur de Catus (Lot), et soumissionne de nombreux lots sur les lignes Longwy-Briey, Bayonne-Saint-Jean-Pied-de-Port, Die-Luc-en-Diois presque aux confins de la France et de l’Italie, Dieppe-Paris par Rouen, dans la région d’Oissel, Bourges-Montluçon, Coutances-Avranches, Morlaix-Carhaix, Carhaix-Guingamp207.

  • 208 ADQ 78 J 31, rapport de Colbert sur l’affaire de Guingamp.
  • 209 D’après l’historique.
  • 210 D’après le rapport de Colbert.

103Nous sommes mal informés sur le personnel employé par l’entreprise de travaux publics de même que sur la nature des travaux et des bénéfices réalisés par les associés. Dans la mesure où les documents le laissent apparaître, nous avons l’impression que les ouvriers sont recrutés sur place. Lors de l’entrée de Colbert dans la société, en 1866, il est convenu que les « vieux »ne résideront pas sur les chantiers : ils se contenteront de les visiter. À cette date, les anciens sont Jean Prigent, 45 ans, Gabriel Quéinnec, 48 ans, François-Louis Soubigou, 47 ans et Radenac208. En revanche, Jean-Pierre Soubigou dirige des chantiers jusqu’en 1882209, c’est-à-dire jusqu’à ses 54 ans. De son côté, Alain Quéinnec contrôle les travaux jusqu’aux années 1890. C’est ainsi qu’en 1876, Colbert est à Ussel, Alain Quéinnec à Tulle, Jean-Louis, son frère, à Clermont-Ferrand, cependant que Jean-Pierre Soubigou et son neveu Jean-Louis travaillent sur la ligne Dol-Lamballe210.

  • 211 D’après l’historique.
  • 212 ADQ 78 J 31, Lettres de François-Louis à Jean-Pierre, 24/11/1878 ; 29/10/1879 ; 30/8/1880...

104Les entrepreneurs sont, le plus souvent, secondés par leurs fils et neveux qui « font office de chefs de chantier » dès les années 1840211. Au tournant des années 1870-1880, quatre jeunes Soubigou sont sur des chantiers : ce sont Yvonik (Yves), les deux Auguste et Joseph. Dans la mesure où ils apprennent leur métier, Colbert et Alain Quéinnec estiment que ces hommes âgés de 26 à 32 ans en 1880 doivent travailler gratuitement. Tel n’est point l’avis de François-Louis qui s’insurge à plusieurs reprises contre le point de vue de ses deux associés. Il insiste pour qu’ils soient rétribués à raison de 150 F par mois212.

105Il apparaît que les entrepreneurs, comme du reste leurs fils et neveux, séjournent environ trois mois sur les chantiers avant de venir passer quelques jours dans leur terroir natal. En février 1880, François-Louis Soubigou reproche à son frère d’avoir expédié prématurément son fils Auguste vers une ligne, alors qu’il venait de se marier.

  • 213 Il tutoie son frère, habituellement. Un autre associé, au moins, est donc également concerné par c (...)
  • 214 Auguste Soubigou a épousé Marie-Anne-Elisa Prigent, fille de Jean et de Perrine Pouliquen.
  • 215 ADQ 78 J 31, lettre du 18/12/1880.

« L’autre, écrit-il, qui est seul là-bas, éloigné de sa tourterelle pendant près de trois mois trouvera que vous213 n’avez pas assez tenu compte de sa situation... Je crois que sa lune de miel n’a duré que quinze jours. C’est raide à mon avis. Sa belle-mère214 ne voulait pas laisser partir sa fille de sitôt après la noce de telle sorte que le pauvre diable a été vexé des deux côtés... »215.

  • 216 D’après la généalogie Soubigou, op. cit.

106Il arrive que des entrepreneurs soient accompagnés de leur famille sur les lieux de travail. C’est, par exemple le cas de Jean-Louis et de Pierre Soubigou. En janvier 1881 Jean Louis Soubigou et Françoise Quéinnec enterrent à Plouaret leur fille Marie-Angèle âgée de 7 ans. En 1885 et en 1886, deux enfants leur naissent à Catus dans le Lot. En octobre 1893, meurt à Oissel-sur-Seine (Seine-Maritime) Marie-Anne Boucher, épouse de Pierre Soubigou216.

  • 217 Les ingénieurs ont pour noms Krafft, Morandière, Châtel, Longraire ; les chefs de section s’appell (...)
  • 218 Alain Quéinnec conserve, dans un registre, une copie de toutes les lettres qu’il envoie aux respon (...)

107Les entrepreneurs de la société que nous évoquons travaillent sous le contrôle permanent d’ingénieurs et de chefs de section de la compagnie adjudicatrice. Ainsi, Alain Quéinnec adresse quelque 500 lettres aux responsables217 de la compagnie Clermont-Tulle entre 1874 et 1878218. Généralement, ces lettres traitent de questions techniques : projets d’ouvrages d’art, nature et quantité des matériaux, modifications de tracés, acquisitions de terrains supplémentaires, écoulement des eaux, droits de passage, déviations...

108Les relations sont quelquefois orageuses entre les différents membres de la société de travaux publics. En 1887, l’auteur de l’historique de la société tire gloire – ou presque – du fait que les associés se sont toujours engagés « sur de simples paroles, pas le moindre écrit ni acte de société ». Il paraît ignorer que cette manière de procéder est à l’origine de difficultés, notamment dans l’affaire de Guingamp. Par ailleurs, il arrive que François-Louis Soubigou reproche à son confident de frère de vouloir embrasser trop d’affaires et d’être insuffisamment présent sur les chantiers.

  • 219 Le fondateur de la société.
  • 220 ADQ 78 J 31 Lettre à Jean Pierre datée du 13/12/1878.

« Est-ce que tu partages, lui écrit-il en décembre 1878, l’avis du père Prigent219 qui prétendait être au courant d’une affaire et la diriger en ne la visitant que tous les quinze jours ou tous les mois ?... Fâche-toi tant que tu voudras, poursuit-il. Je te dois la vérité tant que je pourrai te la dire »220.

109C’est fréquemment, en revanche, que le sénateur Soubigou fait le procès de son neveu, Jean-Louis Soubigou, auprès de Jean-Pierre. Son animosité est avivée par le fait que son frère paraît admirer ce même neveu.

  • 221 ADQ 78 J 31 Lettre à Jean-Pierre datée du 24 novembre 1878.

« Tu me [le] donnes comme un géant, lui écrit-il en 1878, tandis que pour moi c’est un simple original, bourré de pensées philosophiques qui sont du domaine des grands écrivains ou grands rêveurs mais incompréhensibles au commun des martyrs (sic) avec lesquels il est cependant destiné à vivre puisqu’il paraît vouloir s’occuper de travaux. S’il opte pour cette carrière qu’il descende donc du royaume des astres et reste tout simplement sur le plancher des vaches comme on dit communément, et tâche de se faire avec ses semblables »...221

  • 222 D’après les copies de lettres, op. cit., (archives Vincent Francout).

110Il est manifeste qu’il existe une grande incompatibilité d’humeur entre le sénateur et Jean-Louis Soubigou mais nous ne pouvons dire si les griefs de l’oncle sont justifiés. Par contre, il apparaît qu’Alain Quéinnec est consciencieux, méthodique, organisé et compétent, si l’on peut en juger222.

  • 223 ADQ 78 J 31 Lettre de Jean-Louis Soubigou à Jean-Pierre datée du 16/10/1873.
  • 224 Archives Vincent Francout. Un deuxième registre s’ajoute à celui que nous avons décrit ; il va de (...)
  • 225 ADQ 78 J 31 Lettre de F.-L. à J.-P. Soubigou datée du 18/4/1881.
  • 226 ADQ 78 J 31 Lettre de Jean-Louis Soubigou à son oncle J.-P., 22/4/1894.

111L’entreprise de travaux publics devra faire face à toutes sortes de travaux. S’il lui est possible d’avancer d’un kilomètre par semaine sur la ligne Quimper-Douarnenez, à certaines périodes de l’année 1873223, il s’avère que la progression est nettement plus lente entre Clermont et Tulle. Entre 1875 et 1883, on voit Alain Quéinnec faire construire un grand nombre de ponts et de ponceaux, plusieurs aqueducs et quelques viaducs, dont celui de la Corrèze224. Il lui faut, par ailleurs, faire percer plusieurs tunnels. En 1881, la société Radenac soumissionne un lot de 1 400 000 F aux environs de Meymac, au nord-est de Tulle. Ce tronçon comporte trois tunnels, dont un de 800 mètres225. D’autre part, en 1894, la société Soubigou édifie deux viaducs au-dessus de la Seine : l’un à Oissel, l’autre à Tourville226.

  • 227 ADQ 78 J 31.

112Nous ne possédons que des indications fragmentaires sur les bénéfices réalisés par la société de travaux publics fondée par Yves Prigent. Nous avons estimé qu’au cours des dix premières années de l’entreprise, les gains annuels moyens sont de l’ordre de 5 000 F par associé. Ensuite, les activités prennent de l’ampleur et les bénéfices deviennent nettement plus importants. Le règlement définitif conclu le 31 décembre 1875 indique que les « bénéfices à partager » s’élèvent à 538 727 F. En décembre 1902, l’entreprise Soubigou accuse un bénéfice de 453 529 F227. Ces résultats, qui paraissent intéressants, sont difficiles à exploiter dans la mesure où ils ne sont pas annuels.

  • 228 Ibid.
  • 229 ADQ 78 J 31 Lettre de F.-L. Soubigou à Jean-Pierre datée du 29/10/1879.

113Un document nous apprend que l’empierrement d’un chemin de Trévérec, en 1875, a dégagé des bénéfices qui représentent de 25 % à 30 % du montant des travaux228. Un autre, daté du 31 décembre 1881, révèle que les travaux de Dinan (ligne Dinan-Plancoët), qui s’élèvent à 2 305 364, rapportent 382 876 F ; soit 16,6 % du montant des travaux. En 1879, F.-L. Soubigou considère que les travaux de Tinchebray dans l’Orne (ligne Caen-Flers) doivent procurer de 350 000 à 400 000 F de bénéfices229. La même lettre nous révèle que les bénéfices tirés par Jean-Pierre Soubigou de la société de travaux publics s’élevaient à 577 000 F en 1876, « défalcation faite des pertes sur viandes ». On ne sait s’il s’agit là de la totalité des gains réalisés par cet associé, depuis son entrée dans la société en 1848. Dans ce cas, ses bénéfices annuels moyens se montent à 32 000 F entre 1848 et 1876.

  • 230 ADQ recensements de Plounéventer.

114Il apparaît, en définitive, que les travaux réalisés par l’entreprise de travaux publics de Plounéventer sont loin d’être négligeables : outre les routes, on peut considérer qu’elle a construit le quarantième du réseau ferré français. On peut constater que la plupart des entrepreneurs julods que nous avons évoqués sont non seulement demeurés des ruraux mais encore des paysans : en 1881, la ferme de Jean-Pierre Soubigou emploie sept domestiques ; celles d’Alain Quéinnec en compte cinq en 1886230. On peut faire la même observation à propos des Quéinnec de Guiclan et de Saint-Thégonnec. Dans cette mesure, ces entrepreneurs rappellent leurs ancêtres paysans-marchands, réfractaires à la ville. En dépit des difficultés financières qu’elle connaît vers 1880, il ressort que cette société de travaux publics réalise de bonnes affaires. Ceci nous autorise à penser que bien d’autres Juloded auraient pu créer des entreprises d’envergure : cela aurait stimulé le développement industriel de leur coin de terre et freiné les départs, le plus souvent, douloureux, de nombre de leurs compatriotes vers d’autres cieux. C’est compter sans les pesanteurs socio-économiques et les préjugés linguistiques ou culturels qui y ont fait obstacle.

Notes

1 Selon un recensement effectué en avril 1793, la population de Landerneau se décompose comme suit : paroisse de Saint-Houardon : 1582 ; Saint-Julien : 750 ; saint-Thomas : 730 ; campagnes de la ville : 950. Total : 4 012 (ADQ 24L 46).

2 BSAF 1972/2 Dénombrements de la population...art. cit., p. 850, 860, 866.

3 D’après les rôles de capitation.

4 D’après les recherches généalogiques effectuées par Hervé Dournel.

5 D’après des recherches effectuées par l’abbé Jean Aubert, 84, rue de Lancrel, Alençon.

6 Les informations relatives à l’origine géographique des immigrés proviennent, généralement, des registres paroissiaux, ou des registres d’état-civil. Ainsi, l’acte de mariage de Pierre Fauvel, qui épouse Marie Mazéas à Landerneau en février 1738, indique son lieu de naissance.

7 Des Pépin, orfèvres, sont signalés à Landerneau dès la première moitié du xviie siècle.

8 Darsel (J.), Histoire de Morlaix, Rennes, 1942, p. 89.

9 Ces informations sont tirées des registres paroissiaux, de l’Histoire de Morlaix, J. Darsel, op. cit., p. 89, de l’article de Jean-Miliau Garion, Les négociants en toile au xviiie siècle, Le Lien, p. 5-6, de Morlaix, Marthe Le Clec’h, t. 3, 1993 et de Bouëstard, Henri Stofft et Jean Ségalen, Morlaix, 1989, p. 170-176.

10 Le Gallo (Yves), Brest et sa bourgoisie... op. cit., p. 88-93.

11 Huit patronymes douteux ne sont pas pris en compte.

12 Dix noms sont douteux.

13 Gelley (R.-A.), L’assistance dans le diocèse de Léon... op. cit., t.1, p. 35.

14 Darsel (J.), op. cit., p. 85.

15 Yves Le Gallo a établi des statistiques sur cette question à propos de Brest en 1843 (Brest et sa bourgeoisie..., op. cit.,p. 58).

16 D’après des notes communiquées par Yvon Frère.

17 L’acte de mariage indique que son frère François-Gaspard Saulnier de Cugnon est dit écuyer.

18 On peut sur cette question se reporter à Brest et sa bourgeoisie... Y. Le Gallo, op. cit., p. 60-62.

19 ADQ 3M 15.

20 AM de Landerneau.

21 ADQ 3M 15.

22 ADQ 3Q 6405, contrats de mariage (1809-1827).

23 Saint-Méen...op. cit., p. 124.

24 Ibid., p. 122.

25 Au sujet de cette famille, on pourra se reporter à l’article d’Yves Le Gallo, « Une famille “municipale” brestoise : les Bouët de Lambezellec », dans Histoire et politique, Mélanges offerts à Edmond Monange, Brest, 1994, p. 139-155.

26 Ibid.,p. 142.

27 Ibid.,p. 147 n.15.

28 AM de Landerneau.

29 Leclerc (Guy), « Notes sur les foires en Basse-Bretagne aux xviie et xviiie siècles », Écho de Saint-Louis (Châteaulin), novembre 1973, n° 86, p. 40.

30 Touchard (Henri), Le commerce maritime breton à la fin du Moyen Âge, Paris, 1967, p. 79-81.

31 Lévy (André), La bourgeoisie et les classes populaires landernéennes à la veille de la Révolution, (DES), Brest, 1966, p. 103.

32 Moro (P.), op. cit., p. 96-98.

33 Crépin (J.), Les structures socio-professionnelles à Morlaix au xviiie siècle (1700-1775), (mémoire de maîtrise), Brest, 1970, p. 156.

34 D’après les recherches effectuées par Hervé Dournel.

35 D’après des registres d’état-civil de Landerneau.

36 Sa mère est une Mazurier.

37 En 1752, Mignot de Montigny évalue sa fortune à 500 000 livres (Y. Le Gallo, Une caste paysanne… art. cit., p. 74).

38 D’après le registre paroissial de Plouédern, 1722.

39 Ancêtres et terroirs, op. cit., p. 24.

40 Selon le dictionnaire de Trévoux, (Paris, 1752), le terme drogue concerne des « marchandises d’épicerie de toutes sortes de nature et surtout des pays éloignés, lesquelles servent à la médecine, aux teintures et aux artisans, comme séné, casse, mastic, borax, alun, brésil... On donne aussi ce nom au sel ou cendre de verre dont on se sert dans quelques blanchisseries pour le blanchissage des toiles ».

41 Ancêtres et terroirs, op. cit., p. 33.

42 Ibid.

43 D’après l’acte de mariage.

44 Garion (Jean-Miliau), Les négociants en toile au xviiie siècle, art. cit., p. 6.

45 Stofft (H.) et Ségalen (Jean), Bouëstard, op. cit., p. 176.

46 Garion (Jean-Miliau), art. cit., p. 6.

47 ADQ 3M 13.

48 Daumesnil (Joseph), Histoire de Morlaix, rééd. de 1993, p. 62.

49 Hétet (Auguste), art. cit., p. 64.

50 Hétet (A.), art. cit., p. 64.

51 D’après son acte de mariage (AM de Landivisiau).

52 Garion (Jean-Miliau), art. cit., p. 5.

53 Anne Madec est la tante de Bernard Breton, cet acquéreur de biens nationaux dont il a été question. Sa mère, Jeanne Madec, née en 1724, est la sœur d’Anne.

54 Ils se sont épousés en février 1723 à Saint-Thégonnec. Apparentés au 4e degré, ils ont dû obtenir une dispense.

55 Daumesnil (J.), op. cit., p. 61.

56 D’après le registre paroissial.

57 Crépin (Jacques), op. cit., p. 159.

58 Ibid., p. 158.

59 Ibid., p. 144.

60 Cette capitation se décompose ainsi : la veuve Descombes Lannux : 30 L ; deux enfants du premier lit : 26 L ; deux enfants du second lit : 4 L ; deux domestiques : 4 L (AM de Morlaix).

61 Il sera maire de Morlaix en 1776-1777 (J. Daumesnil, op. cit., p. 61).

62 L’inventaire effectué, en juin 1780, après le décès de Catherine Le Gall – veuve Rozec – atteste que celle-ci entretient une correspondance commerciale avec un sieur Le Bras, négociant à Cadiz. La dernière des 30 lettres conservées a été expédiée de cette ville le 11 mai 1779 (ADQ 7B Morlaix 1779-1780). On apprend, par ailleurs, que Jean-François Le Bras est « absent » en 1782 au moment du partage des biens de son oncle Jean Le Bras († 3 mai 1781), ancien recteur de Plabennec (Acte de partage prêté par Jean-François Pellan).

63 ADQ 13L 106.

64 Généralement, les noms doubles indiquent qu’il s’agit de la signature d’une femme. Dans le cas présent, c’est Charlotte Le Mérer, tante de Marie-Victoire qui paraphe. Elle a épousé en 1752, Mathieu Beaumont, banquier et négociant, originaire d’Auvergne.

65 Il s’agit de Marguerite-Louise Barrère, fille de Pierre et de Marguerite-Jacquette Kerangall qui s’est mariée, en 1779, à Jean-Marie Beaumont, cousin de Marie-Victoire Mérer de Walop.

66 Neveux d’Anne Madec. Madeleine Lannux de la Chaume a épousé en 1776 Armand Joseph Dubernad, négociant originaire de Bayonne qui a séjourné quelques années à Séville.

67 Il s’agit d’Hervé Broustail, natif de Saint-Thégonnec, ami de la famille Le Bras.

68 Les Barrère paraissent être des amis.

69 Jean-Baptiste Duplessix Pégasse, directeur de la Manufacture des tabacs, vient d’épouser Marie-Rose Barrère le 3 mai 1790.

70 Moro (Pierre), op. cit., p. 111.

71 ADQ 3 M 16.

72 Nous n’avons trouvé ni son acte de mariage ni son acte de décès.

73 ADQ 10 L 135.

74 On pourra à son sujet se reporter au tome 3 de Marthe Le Clech, op. cit., p. 105-106.

75 Leurs mères, Anne et Jeanne Madec, sont sœurs.

76 Les rôles de capitation sont très utiles pour cela, surtout quand les capités sont classés par profession, comme c’est le cas à Landerneau en 1710 ou en 1716.

77 Né à Landerneau, en 1816, de Jean-Isidore et de Marguerite-Pauline Poisson, Max Radiguet est le petit-fils d’Étienne Radiguet, dont il a été question.

78 Radiguet (Max), À travers la Bretagne, Paris, 1865, p. 134.

79 Ibid., p. 138.

80 Brousmiche (J.-F.), op. cit., p. 75.

81 Abéguilé (Catherine), Landerneau, une ville de Bretagne à l’ère industrielle (mémoire de maîtrise), Rennes, 1991, p. 144.

82 Annuaire de Brest... op. cit., p. 177.

83 D’après son acte de mariage.

84 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 144.

85 Ibid.

86 Rousseau (Armand), Souvenirs de famille, p. 28.

87 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 144.

88 ADQ 3 M 22.

89 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 35.

90 Ibid., p. 67-68.

91 Les Bazin sont originaires de Fresne dans l’Orne.

92 Il est natif de Nancy. Veuf de Renée Bazin, il épouse Marie Onfrey en 1794.

93 Il est natif de la région de Vire.

94 En premières noces Marin Drant avait épousé, en 1773, Françoise Decomble de l’évêché de Rennes.

95 Le duc de Chartres, le futur Louis-Philippe-Égalité était descendu en cet hôtel en 1771, en 1772, en 1778. (Bazin (Jehan), Landerneau, ancienne capitale de la principauté de Léon, Landerneau, 1973, p. 241).

96 ADQ 3Q 6405.

97 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 44.

98 Ibid., p. 35.

99 Elle est née à Nantes le 1er septembre 1788 d’Alexandre, commerçant, et de Jeanne Forgeot.

100 D’acte l’acte de mariage aimablement communiqué par le service des archives de l’Hôtel de ville de Nantes.

101 C’est probablement la fille de François Tiby mis en scène par Alain Croix dans l’article « Droit de pêche et système de valeurs en 1789 : l’affrontement Tiby-Charette » (La Bretagne, une province à l’aube de la Révolution, Brest, 1989, p. 379 et suivantes). Il y est dit que l’une des filles de François Tiby a épousé un marchand de draps de soie.

102 L’Annuaire de Brest pour l’année 1835 signale que MM. Poisson et compagnie viennent de fonder à Sizun un nouvel établissement (op. cit., p. 178).

103 Blavier (Yves), La société linière et son environnement industriel (1845-1891),(Une entreprise de Landerneau), (thèse), Brest, 1991, p. 35.

104 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 47.

105 D’après son acte de décès, Brest 6/6/1812.

106 ADQ 3M 22.

107 Ibid., p. 51.

108 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 41.

109 Ibid.

110 Annuaire de Brest... op. cit., p. 181.

111 Rioual (Claude), op. cit., p. 50.

112 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 39.

113 Né à Morlaix en octobre 1800, Charles Homon acquitte 842 F d’impôts directs en 1840, dont 179,50 F de patente (ADQ 3M 24).

114 Né en septembre 1796, Joseph Desloges acquitte 289 F d’impôts en 1840, dont 179,50 de patente.

115 Blavier (Yves), op. cit., p. 16.

116 Ibid., p. 35-36.

117 Ibid., p. 45.

118 AM de Landerneau 1591. D’après la liste des acquéreurs entre le 1er octobre 1845 et le 31 octobre 1846.

119 Blavier (Y.), op. cit., p. 346.

120 Ibid., p. 347.

121 Ibid., p. 197.

122 Ibid.

123 ADQ 6M 471. D’après le recensement de 1872. Sa femme se nomme Désirée Hamon. Ce qui incite à penser que Joseph Desloges est le beau-frère de Charles Homon.

124 Blavier (Y.), op. cit., p. 30.

125 D’après les listes des électeurs censitaires et de recensement.

126 Moal (P.) et Carrer (M.-L.), op. cit., p. 125.

127 Tanguy (Jean), Les marchands toiliers du Léon..., art. cité, p. 190.

128 Ibid., p. 191.

129 Yves Le Roux, veuf de Marie Léon, et Catherine Mazé s’étaient épousés, le 10 février 1727, à Saint-Servais, près de Landivisiau. De beaux paraphes attestent que de nombreux paysans-marchands de toile assistent au mariage. Ce sont des Dantec, Le Roux, Bléas, Piriou, Grall…

130 ADQ 3C 36.

131 ADQ 16 B Ploudiry (1742-1743).

132 Ibid. L’inventaire mentionne des propriétés à Kerdiez, Quillificant et au Vizoc en Ploudaniel de même qu’à Botcaërel et à Lesmoualc’h en Pencran ou encore à Landiargas à La Martyre.

133 Moal (P.) et Carrer (M.-L.), op. cit., p. 120.

134 Ces informations sont tirées d’actes d’état civil qui m’ont aimablement été communiqués par la mairie de Saint-Ségal. La commune de Port-Launay a été créée en 1840 sur Châteaulin et Saint-Ségal (J. Charpy, op. cit., p. 350).

135 ADQ 6M 385 – Recensement de 1836.

136 ADQ 3M 24.

137 ADQ 3M 22.

138 Blavier (Yves), op. cit., p. 31.

139 Le Bras (J.-M.), Plounéventer des origines à nos jours, 1986, p. 170.

140 Saint-Méen, op. cit., p. 129.

141 Informations communiquées par Daniel Collet.

142 Saint-Méen, op. cit., p. 130.

143 Le Gallo (Yves), Brest et sa bourgeoisie... op. cit., t. 1, p. 37-41.

144 Un musée d’histoire et de traditions populaires à Landerneau (rapport d’étude préalable), 1990, p. 36-37.

145 D’après Daumesnil (J.), op. cit., p. 57 et sq.

146 Gelley (Albert), Landerneau, reflet du passé, 1964, p. 20.

147 Roudaut (F.), BSAF 1990, « Cahiers de doléances et députés », art. cit., p. 259.

148 Ibid., p. 257.

149 Un musée d’histoire... op. cit., p. 37-38.

150 Le Clech (Marthe), op. cit., t. 2, p. 102-103.

151 Le Gallo (Yves), Brest et sa bourgeoisie..., t. 1, p. 92.

152 AM Landerneau, liste des conseillers municipaux.

153 Brest et sa bourgeoisie... op. cit., p. 92, t. 2.

154 Ibid.

155 Il faut acquitter 300 F ou plus.

156 Il faut acquitter un minimum de 200 F.

157 Flaubert (G.), Par les champs et par les grèves, Paris, rééd. de 1984, p. 128-129.

158 De Courcy (Alfred), op. cit., p. 218-218.

159 Père de Tristan Corbière. On pourra à son sujet se reporter à Brest et sa bourgeoisie, op. cit., à « Études sur Édouard et Tristan Corbière », Cahiers de Bretagne occidentale, N° 1, 1976 ; à Édouard Corbière Père du roman maritime en France (Brest 1793-Morlaix 1875) Catalogue de l’exposition présentée à Brest (mai-juin 1990) et à Morlaix (juillet-août 1990), Jean BERTHOU, Paris.

160 Selon Yves Le Gallo, ce pays comprend les paroisses de Goulven, Plounéour-Trez, Brignogan (détaché de Plounéour en 1934), Kerlouan et Guissény. On peut lui ajouter la commune de Plouguerneau, excepté le terroir du Grouanec qui est une paroisse, sans être une commune. Ses habitants sont des terriens et non des marins. En élargissant ainsi le Pays Pagan, on lui crée, entre autres, des limites naturelles : l’Aber-Wrac’h à l’ouest, la Flèche, à l’est.

161 Le Gallo (Yves), dans Brest et sa bourgeoisie... op. cit., p. 63.

162 Ibid., p. 64.

163 Fils d’autre Alexandre Bouët venu de Demouville (Calvados) s’établir à Brest vers 1800.

164 Bouët (A.), Breiz-Izel ou Vie des Bretons de l’Armorique, Paris, édit. de 1844, p. 24.

165 Flatrès (Pierre), La Bretagne, Paris, 1986, p. 106 « On dirait un goût enraciné pour le petit, le menu », note ce géographe ( p. 91). « Une troisième ombre au tableau est une certaine réticence vis-à-vis de la création d’entreprises industrielles et, plus encore vis-à-vis de l’expansion, l’agrandissement, l’ambition d’entreprise. On retrouve ici ce goût du menu... » (p. 106).

166 ADQ 6B (1603-1759) Goulven.

167 Ancêtres et terroirs, op. cit., p. 37.

168 Abéguilé (Catherine), op. cit., p. 241.

169 À travers la Bretagne, op. cit., p. 241.

170 À propos des pays pauvres d’aujourd’hui, Emmanuel Todd soutient que le développement économique ne se produit que 70 ou 80 ans après que le taux d’alphabétisation masculin dépasse les 85 %. Le Monde du 22 mars 1992, Un entretien avec Michel Rocard, p. 6.

171 Le Gallo (Yves), Brest et sa bourgeoisie..., op. cit., t. 1, p. 61.

172 Personnalité en vue du syndicalisme agricole et président de la chambre d’agriculture du Finistère de 1989 à 1995.

173 Bouët (A.), op. cit., p. 24.

174 Clergé, religion et société, op. cit., p. 440.

175 Cité par Christian-J. Guyonvarc’h dans Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne (sous la direction de Jean Balcou et d’Yves Le Gallo), Paris, 1987, t. 1, p. 198.

176 Saint-Méen... op. cit., p. 326.

177 A fait campagne dans le Pacifique (Tahiti, Iles Marquises) de même qu’à Haïti, au Pérou et au Chili (J. BAZIN, op. cit., p. 247).

178 À travers la Bretagne... op. cit., p. 98-99.

179 Le Gallo (Yves), La Bretagne à l’aube de la Révolution, op. cit., Leçon inaugurale, p. 18.

180 Généalogie Soubigou, op. cit., p. 40.

181 Né de Pierre et d’Anne Cueff.

182 6M 1836-1861, Plounéventer.

183 Saint-Méen, op. cit., p. 217.

184 Nous tirons ces informations, comme une partie de celles qui vont suivre, d’un historique de l’entreprise Prigent... rédigé en décembre 1887 par l’un des fils de Jean-Pierre Soubigou (1828-1905) : Pierre (1854-1910) ou par le futur député Louis (1863-1914). Ce document se présente sous la forme d’un brouillon, qui ne comporte que trois pages d’un grand format 19 x 35. Les archives de Jean-Pierre Soubigou, qui ont été déposées chez Maître Perret, de Lesneven, sont aujourd’hui versées aux archives départementales où leur cote est 78 J 31. Elles consistent en rapports et surtout correspondances, notamment en lettres adressées par le sénateur François-Louis Soubigou à son frère Jean-Pierre. Ces divers documents permettent de rectifier et de compléter l’historique établi en 1887.

185 ADQ 3M 24.

186 ADQ 78 J 31 Historique.

187 Généalogie Soubigou, op. cit., p. 40.

188 D’après l’historique, op. cit.

189 D’après l’auteur de l’historique.

190 AM de Saint-Pol-de-Léon, registres d’inscriptions du collège.

191 Ces époux se sont mariés à Ploudaniel le 9 novembre 1809.

192 AM de Saint-Pol, registres d’inscriptions.

193 D’après l’historique.

194 Ibid.

195 Ibid.

196 D’après le palmarès du collège.

197 D’après le travail généalogique rédigé, vers 1902, par Marie-Josèphe Soubigou – fille de Joseph et de Marie-Anne Ollivier –, religieuse au Carmel de Brest (Document communiqué par Louis Le Fur).

198 ADQ 78 J 31 Règlement définitif entre MM. Radenac, Colbert, Prigent-Soubigou et Quéinnec au 31/12/1875.

199 ADQ 78 J 31, Lettre de François-Louis Soubigou à son frère Jean-Pierre, 5/4/1880.

200 D’après l’historique, surtout.

201 L’auteur de l’historique l’appelle ainsi.

202 Les informations relatives à cette « affaire de Guingamp » sont essentiellement tirées d’un rapport établi par Colbert en 1888 (ADQ 78 J 31).

203 Ce sel dénaturé sert à saler les foins.

204 Né à Plounéventer en 1820, Allain Soubigou a épousé Marie Angélique Léon en 1845 et s’est établi à Mesgouez au Tréhou, où il meurt en 1901.

205 Autre frère de François-Louis et d’Allain, Nicolas Soubigou est né en août 1823. Il a épousé Angèle Abjean, de Ploudaniel, en 1849 et s’est établi à Kerven dans cette même commune.

206 Comptes de 1902 (ADQ 78 J 31).

207 ADQ 78 J 31, d’après diverses lettres.

208 ADQ 78 J 31, rapport de Colbert sur l’affaire de Guingamp.

209 D’après l’historique.

210 D’après le rapport de Colbert.

211 D’après l’historique.

212 ADQ 78 J 31, Lettres de François-Louis à Jean-Pierre, 24/11/1878 ; 29/10/1879 ; 30/8/1880...

213 Il tutoie son frère, habituellement. Un autre associé, au moins, est donc également concerné par cette décision.

214 Auguste Soubigou a épousé Marie-Anne-Elisa Prigent, fille de Jean et de Perrine Pouliquen.

215 ADQ 78 J 31, lettre du 18/12/1880.

216 D’après la généalogie Soubigou, op. cit.

217 Les ingénieurs ont pour noms Krafft, Morandière, Châtel, Longraire ; les chefs de section s’appellent Fournès, Lacour, Amann, Ceccaldi...

218 Alain Quéinnec conserve, dans un registre, une copie de toutes les lettres qu’il envoie aux responsables de la Compagnie (Archives privées Vincent Francout).

219 Le fondateur de la société.

220 ADQ 78 J 31 Lettre à Jean Pierre datée du 13/12/1878.

221 ADQ 78 J 31 Lettre à Jean-Pierre datée du 24 novembre 1878.

222 D’après les copies de lettres, op. cit., (archives Vincent Francout).

223 ADQ 78 J 31 Lettre de Jean-Louis Soubigou à Jean-Pierre datée du 16/10/1873.

224 Archives Vincent Francout. Un deuxième registre s’ajoute à celui que nous avons décrit ; il va de novembre 1878 à janvier 1883. Un troisième publié par la Compagnie d’Orléans ne comporte que des schémas de ponts et de ponceaux.

225 ADQ 78 J 31 Lettre de F.-L. à J.-P. Soubigou datée du 18/4/1881.

226 ADQ 78 J 31 Lettre de Jean-Louis Soubigou à son oncle J.-P., 22/4/1894.

227 ADQ 78 J 31.

228 Ibid.

229 ADQ 78 J 31 Lettre de F.-L. Soubigou à Jean-Pierre datée du 29/10/1879.

230 ADQ recensements de Plounéventer.

Table des illustrations

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/11560/img-1.png
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Titre Associés de l’entreprise de travaux publics Prigent – Soubigou – Quéinnec et liens familiaux entre eux
Légende Légende : 1821 X : année de mariage ; Jean Prigent : associé de l’entreprise de travaux publics Prigent ... à une époque donnée.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/11560/img-2.png
Fichier image/png, 414k

© Presses universitaires de Rennes, 1996

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