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Les Juloded

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Louis Elégoët

Chapitre V. La caste des Juloded

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Géographique :

France

Texte intégral

Les alliances matrimoniales

1Lorsqu’on cite des patronymes de Juloded devant des descendants de ces familles, on s’attire des remarques telles que : « nous sommes un peu parents » ou encore « mes parents racontaient qu’ils étaient allés à un mariage dans cette famille ». On vous citera, par ailleurs, des anecdotes relatives à tel membre des familles Quéinnec, Boucher, Abgrall, Pouliquen, Soubigou, Le Bras... d’autant plus facilement que le lien de parenté entre votre interlocuteur et l’individu évoqué est éloigné. Il arrive même que l’on vous produise de nombreuses photographies, vieilles de trois, quatre ou cinq générations, montrant des représentants des familles précitées et de bien d’autres. L’interconnaissance au sein du groupe social des Juloded demeure, sans conteste, remarquable, bien que les liens entre ces familles apparentées se distendent depuis le milieu du xixe siècle. Jusqu’à cette époque les marchands de toile et les tanneurs se marient presque toujours entre eux et forment une sorte de caste.

  • 1 Pol De Courcy, op. cit., p. 83.

2Ce phénomène n’a pu échapper aux observateurs du siècle dernier. Ces familles, écrit Pol de Courcy en 1865, « ne s’allient qu’entre elles »1. On lit, par ailleurs, dans un article anonyme, relatif aux Juloded, paru dans l’Écho de Morlaix en janvier 1876 :

« Ayant en commun l’origine, le degré d’instruction, la manière de vivre et surtout les intérêts, ces plébéiens, enrichis par le travail, se lièrent tout naturellement, se rapprochèrent encore par des mariages et formèrent dès lors une caste... »

Quatre tableaux généalogiques

3Des familles, prises presque au hasard, à différentes époques, illustrent la réalité de cette caste, comme le montre les tableaux suivants :

  • 2 La profession de ces conjoints nous est connue grâce aux inventaires après décès, aux rôles de cap (...)

4Tous les conjoints qui apparaissent en ces quatre tableaux sont fils ou fille de paysans-marchands de toile ou de paysans-tanneurs2. Ce qui révèle bien l’existence d’une caste de fait. Un travail poussé, par ordinateur par exemple, indiquerait qu’un réseau serré d’alliances matrimoniales relie entre eux les tableaux généalogiques de la plupart des familles julodes. Si l’on s’en tient aux tableaux sommaires présentés ci-dessus, on découvre plusieurs liens de parenté entre ces quatre familles.

  • — Les Abhervé-Guéguen, de Plounéventer, apparaissent en trois tableaux et apparaîtraient rapidement dans le quatrième, s’il était plus développé.
  • — Les Boucher sont présents dans les tableaux II et III.
  • — Les Breton, de Saint-Thégonnec, dans les tableaux II et IV.
  • — Les Cloarec, de Landerneau, dans les II et IV.
  • — Les Martin, de Plouédern, dans les II et III ( la mère de Marie Kermarrec est une Martin).

5Les tableaux généalogiques, dont nous disposons, révèleraient, par ailleurs, une multitude d’autres liens entre ces quatre tableaux s’ils étaient plus détaillés. C’est ainsi qu’on découvrirait des parentés entre les Le Verge, de Bodilis et les Le Bras, de Guiclan ; entre les Boucher et les Abhervé-Guéguen ; entre les Joncour et les Quéinnec ; entre les Soubigou et les Martin, Boucher, Abgrall, Pouliquen, Breton ; entre les Rannou et les Quéinnec, Boucher, Abgrall... Il nous serait difficile d’être exhaustif. En tout état de cause, il est certain qu’on est loin d’observer les mêmes cousinages entre les familles paysannes ordinaires du Léon.

  • 3 Ségalen (Martine), Sociologie de la famille, Paris, 1981, p. 113.
  • 4 Ancêtres et terroirs, op. cit., p. 178.

6Comme les Juloded s’entre épousent, il est inévitable que les futurs mariésne soient pas quelquefois amenés à solliciter des dispenses de mariage : l’Église interdit d’épouser ses parents par le sang jusqu’au 4e degré, c’est-à-dire jusqu’aux cousins de germains inclus3. Nous avons relevé quelques dizaines de cas de dispenses dans les registres paroissiaux mais nous ne pouvons dire, précisément avec quelle régularité ils interviennent. Il est certain qu’ils sont nettement moins nombreux que chez les caquins, c’est-à-dire les descendants de lépreux : ceux-ci doivent demander des dispenses de mariage une fois sur quatre4. Il nous semble que chez les Juloded ces mêmes demandes ne concernent pas plus d’un mariage sur dix.

Continuité julode

  • 5 Thierry Cleac’h, op. cit., p. 182.

7Quoi qu’il en soit, il n’est pas douteux que beaucoup de familles font partie de la caste des Juloded pendant deux ou trois siècles, voire davantage. Ainsi, des Boucher, qui sont paysans-marchands de toile à Ploudaniel dans la première moitié du xviie siècle, ont des descendants qui exercent les mêmes activités à Ploudiry et à Sizun vers 1850, cependant que d’autres membres de leur lignée sont tanneurs à Lampaul-Guimiliau vers 1900. Il apparaît, par ailleurs, que des Abgrall, Cessou, Grall, Le Bras, Le Guen, Le Hir, Léon, Le Roux, Martin, Perrot, Picart, Quéinnec, Sanquer, Soubigou, Tanguy, Traonouez sont présents à Josselin dans le deuxième tiers du xviie siècle. Ces marchands, temporairement en exil, ont des descendants qui pratiquent le commerce des toiles dans la zone julode au début du xixe siècle. Il resterait à savoir depuis quand leurs ascendants se livraient à cette activité. On sait seulement qu’un Alain Le Guen était « marchand » à Kermadec en Ploudaniel, lors de la réformation de 15365.

8Compte tenu du long passé de la caste, il ne serait pas surprenant que les multiples mariages intervenus entre les mêmes familles au fil des décennies et des siècles aient déterminé une certaine spécificité génétique julode.

  • 6 Le Febvre (Yves), La terre des prêtres, Amiens, 1924.

« Les julots, écrit Yves Le Febvre vers 1920, se marient entre eux, ce qui accentue de génération en génération les caractères de la race...
« [leurs] caractères physiques... les différencient de la plèbe paysanne parmi laquelle ils vivent avec une familiarité mêlée d’orgueil. Plus blonds, en général, que les Léonards de l’antique évêché ils sont en même temps plus grands et plus forts, plus larges de poitrine et plus carrés des épaules. Aucune autre race en Bretagne ne donne la même impression de puissance et d’autorité. L’habitude du commandement a conféré une majesté particulière à leurs visages graves et rasés... »6.

9Aujourd’hui, des descendants de paysans-marchands de toile disent reconnaître des traits physiques communs à nombre de Juloded.

  • 7 Les grands-parents de Guy Le Guen de Kerangall et les arrière-grands-parents de Marie-Françoise Ke (...)

10Ce sont généralement des dispenses de mariage de quatrième degré qui sont accordés aux Juloded. Elles concernent, par conséquent, des petits-cousins. Il arrive cependant que les liens de parenté entre futurs époux soient plus proches. C’est, par exemple, le cas de Guy Le Guen de Kerangall, futurdéputé aux États-Généraux, qui, le 18 avril 1774, épouse Marie-Françoise Kermarrec, à Landivisiau. Pour se marier, ces époux obtiennent « une dispense de deux empêchements de consanguinité en cour de Rome »7.

  • 8 Généalogie Inisan, op. cit., p. 53.

11Lañ Inisan nous informe sur le coût et les conditions d’obtention d’une dispense pour parenté au quatrième degré en 1760. Cette année-là Paul Inisan, de Lanséon en Plounévez-Lochrist épouse Renée Le Bras, du manoir de la Garenne dans cette paroisse : la dispense a été accordée à la condition pour les époux 1) de donner chacun trois livres aux pauvres de leur paroisse ; 2) de dire la veille et le lendemain de leurs noces chacun cinq Pater et cinq Ave dans l’église où ils recevront la bénédiction nuptiale. Le coût de la dispense s’est élevé à 59 livres 31 sols 4 deniers8.

Des possibilités de mariage limitées

  • 9 Leprohon (Roger), Vie et mort des Bretons sous Louis XIV, Brasparts, 1984, p. 219.
  • 10 Ibid., p. 219-220.

12Comme les possibilités de mariage entre Juloded sont limitées – on compte environ 500 familles julodes en 1789 –, il n’est pas rare de voir des marchands de toile parcourir de 30 à 50 kilomètres pour se marier. Ainsi, si l’on se contente de considérer les descendants de Guillaume Le Bras et de Jeanne Le Guével (tableau II ci-dessus), on constate que son fils François, de Saint-Divy, et son petit-fils du même prénom, fils de Louis, ont pris femme à Saint-Thégonnec (40 kilomètres). Nous savons, par ailleurs, que, vers 1797, Louis Martin, de Plouédern, – fils d’Yves et de Jeanne Le Bras – convole avec Marie-Jeanne Donval, de Plounéour-Ménez (50 kilomètres). En 1829, Jeanne-Louise Cloarec, de Kersaint-Plabennec, fille d’Yves et de Jeanne Kerboul, épouse François-Marie Cam, de Mesménez en Saint-Thégonnec (40 kilomètres). Vers 1860, leur fille Marceline, de Kersaint-Plabennec, se marie avec Jacques Grall, de Guiclan (30 kilomètres). Ces déplacements effectués pour se marier sont tout à fait exceptionnels dans le monde paysan de l’époque. Au xviie siècle, les conjoints étrangers aux paroisses de Guiclan et de Pleyber-Christ ne représentent que 21 % du total ; ce pourcentage est de 23 % pour Plouvorn9. 12 % seulement des femmes de Guiclan font un déplacement supérieur à 15 kilomètres pour se marier, cependant que ce pourcentage est de 11 pour Pleyber-Christ10.

13On peut se demander comment les futurs époux et leurs parents liaient connaissance, à cette époque, quand les lieux de résidence étaient si éloignés les uns des autres. Il est bien connu que les mariages font les mariages : on croit, du reste, deviner quelquefois en quelles occasions des jeunes gens ont pu se connaître. On sait, d’autre part, que les Juloded se rencontrent aux foires, aux marchés et, surtout, à l’occasion de la vente de toiles à Landerneau et à Morlaix. Cela n’empêche pas qu’il pouvait y avoir des jubenner ou bazh-valan, c’est-à-dire des entremetteurs, qui favorisaient la rencontre des jeunes gens et de leurs familles.

Des mariages entre fratries

14Dans la mesure où leur groupe social est réduit, les Juloded sont amenés, plus souvent que les paysans ordinaires, à organiser des mariages entre fratries. Ceci signifie que lorsque les conditions sont favorables, deux ou trois frères épousent deux ou trois sœurs ou bien un frère et une sœur épousent une sœur et un frère. Les quatre tableaux familiaux présentés ci-dessus laissent apparaître, à plusieurs reprises, des alliances doubles ou triples entre deux familles. On y voit trois mariages entre des Soubigou et des Abhervé-Guéguen ; trois autres mariages entre les sœurs Le Bras, de Guerjean en Guiclan et trois Abhervé-Guéguen : Yves et François Abhervé-Guéguen de Mézarnou en Plounéventer, sont frères ; Nicolas, de Leslem en Saint-Servais, est leur cousin. Deux frères Boucher, de Kervennan en Sizun, épousent deux sœurs Pouliquen de Mescoat en Ploudiry, cependant qu’une autre sœur et un frère de ces mêmes Pouliquen convolent avec un frère et une sœur Abgrall, de Roc’haouren en Lampaul-Guimiliau. Deux sœurs Kerboul, de Lanvélar en Kersaint-Plabennec, épousent deux frères Cloarec, de Gorré-Beuzit en Landerneau.

  • 11 D’après les archives privées de Mescoat.

15On peut penser que les deux familles qui établissent entre elles des liens multiples se situent au même niveau économique et social. Outre ce fait, les alliances doubles ou triples règlent, d’un coup ou progressivement, la question délicate des mariages. Elles permettent au surplus, de mieux résoudre le problème de l’avenir de la ferme parentale. La succession est assurée par l’un des enfants, quelquefois deux, cependant que les autres doivent s’en aller et trouver, par conséquent, un conjoint successeur. Ainsi, Yves Cloarec s’établit chez sa femme à Lanvélar, cependant que son frère Jean assure la succession à Gorré-Beuzit et y attire par conséquent sa femme, Anne Kerboul. Dans le cas de la famille d’Yves Le Bras de Guerjean en Guiclan, Marie-Jeanne, qui épouse Yves Abhervé-Guéguen, de Mézarnou, demeure en la ferme paternelle, alors que ses sœurs s’établissent chez leur mari : Marie-Jeanne à Mézarnou et Marie-Renée à Leslem. Dans le cas de la triple alliance, en 1784, entre les Soubigou et les Abhervé-Guéguen, Nicolas Soubigou (X Marie-Renée Abhervé-Guéguen) assure la succession à Kergréguen en Plounéventer, cependant que Marie-Jeanne Soubigou s’établit chez son mari à Mézarnou et qu’Allain Abhervé-Guéguen (X Marguerite Soubigou) s’installe en la ferme de Leslem en Saint-Servais, après avoir demeuré quelques années à Mézarnou, après son mariage. Les Boucher sont de Kervennan en Sizun. Gabriel qui, en 1821, épouse Anne Pouliquen y demeure, cependant que François qui, en 1826, épouse Marie-Jeanne Pouliquen, s’établit chez sa femme à Mescoat en Ploudiry. Vers 1830, à la suite du mariage de Guillaume Pouliquen – frère d’Anne et de Marie-Jeanne – et de Catherine Léon, la ferme de Mescoat est divisée en deux lots et les deux jeunes ménages y vivent en deux maisons séparées11.

16Il serait intéressant de savoir en fonction de quels critères est désigné le successeur de la ferme parentale. Il est certain que ce n’est pas nécessairement le plus âgé qui y demeure. La décision ne manque pas d’importance, ne serait-ce que dans la mesure où ceux qui s’en vont doivent vivre en position de gendre ou de bru et non de fils ou de fille, adopter les us et coutumes d’une autre maison et, quelquefois, d’une autre paroisse.

Des mariages à peine hors-caste

  • 12 Jean Jaouen et Marie-Françoise André se sont épousés en la chapelle de Sainte-Pétronille, en Ploud (...)
  • 13 ADQ 3M 16.

17Comme une caste n’est jamais complètement fermée, il arrive que des Juloded épousent des non-Juloded. Ces cas sont d’autant plus repérables qu’ils sont exceptionnels. C’est ainsi que l’on voit des fils ou filles de marchands de toile épouser des enfants de paysans riches, de meuniers ou de papetiers. Vers 1794, Marie-Ursule Jaouen, de Kerloïs en Ploudaniel, née des paysans-marchands de toile Jean Jaouen et de Marie-Françoise André12, épouse Gabriel Abjean, de Plouguerneau, fils des paysans riches François et Anne Le Jeune. En 1790, Jean-René Abjean, frère de Gabriel, est maire de Plouguerneau, cependant que leur frère Jean-René est recteur de Saint-Thégonnec. En 1829, cinq Abjean de Plouguerneau, de la famille de Gabriel, acquittent plus de 300 francs d’impôts directs. Il s’agit d’Augustin, né en 1788, qui en verse 354,26 F, de Jean-René (377,67 F), de Louis (321,99 F), d’Yves (350,29 F) et de François (377,67 F)13.

  • 14 ADQ 1Q 1212.

18À Kerloïs où il s’est établi, Gabriel Abjean exerce tout naturellement la profession de paysan-marchand de toile comme ses beaux-parents. En juin 1799, il achète la chapelle de Sainte-Pétronille, vendue comme bien national, afin qu’elle continue d’être un lieu de culte14. En 1810, il s’associe à d’autres habitants de son terroir pour racheter la basilique du Folgoët, qui avait été vendue comme bien national pendant la Révolution. Il est maire de sa commune d’adoption de 1803 à 1814. Il est manifestement un grand notable à Ploudaniel. En témoigne particulièrement la rédaction exceptionnellement soignée de son acte de décès († 9/10/1828) qui contraste avec l’ensemble des autres.

  • 15 ADQ 3M 15.
  • 16 L’hostis (F.), op. cit., p. 98.
  • 17 Ibid., p. 390.
  • 18 Ibid., p. 178 et 418.

19Le 27 octobre 1818, Guillaume Quéinnec, de Kermorvan en Guiclan, né le 16 janvier 1788 de Jacques – le député Conventionnel – et de Louise Madec épouse Marie-Jeanne Perrot, de Kervedennic en Kernouès, elle-même née de Toussaint et de Marie-Jeanne Le Guen. Ces deux derniers sont, dans leur terroir, des paysans riches : en 1815, ils acquittent 300 F d’impôts directs15. Toussaint Perrot est maire de sa commune de 1792 à 1807, cependant qu’il est membre du directoire de son district, durant deux ans, au cours de la Révolution16. En 1798, un commissaire de district porte sur lui le jugement suivant : « bon patriote, sachant lire et écrire, ayant du bon sens mais peu de conduite »17. Il profite de la nationalisation des biens du clergé et de la noblesse pour acheter quelques biens nationaux18.

  • 19 Deux de ses descendants, l’un et l’autre prénommés Vincent, se distinguèrent à Kernouès. Le premie (...)
  • 20 Les familles Perrot, Inizan et Abjean s’allient par des mariages.
  • 21 L’hostis (F.), op. cit., p. 97.

20En fait, les Abjean et les Perrot ne sont nullement éloignés des Juloded. Leurs familles tirent leur richesse de leur ferme qui est relativement grande et du fait qu’elles ont pratiqué le commerce du fil, si elles ne le font plus. En 1790, Vincent Inisan19, de Kergoff en Kernouès, qui est du même groupe social20 que les Abjean et Perrot, est dit « marchand et cultivateur »21.

21Bien qu’ils soient originaires d’une zone non-julode, les Caill ne sont pas sans rappeler les paysans-marchands que nous considérons. Le 28 janvier 1830, Antoine Caill, né à Kerjean en Lambézellec, le 19 juin 1800, d’Antoine et de Françoise Colin, épouse Marie-Jeanne Le Roy, de Kervingant en Plouzévédé. Cette jeune femme est née en 1809, au Creac’h en Plougar, d’Yves Le Roy, « marchand ménager » et de Louise Aballéa décédée en février1815. À son mariage, Antoine Caill est également « marchand ménager » de même que ses frères Guillaume et Jérôme : le premier réside à Ploudalmézeau ; le second à Porspoder. Il est probable que ces trois hommes sont des marchands de fil.

  • 22 ADQ 3M 24.
  • 23 Cloître-Quéré (Marie-Thérèse), Brest et la mer (1848-1874), Saint-Thonan, 1992, p. 202.

22Quoi qu’il en soit, il apparaît qu’Antoine Caill, qui s’établit chez sa femme à Plouzévédé, y pratique le commerce des toiles. En 1840, il acquitte une patente de 21,93 F. L’ensemble de ses impôts directs s’élève à 237,97 F, dont 205,97 F consistent en taxes foncières22. Il paraît s’intégrer au monde des Juloded. Il est nommé maire de Plouzévédé dès 1832. Ses enfants et ses petits-enfants épousent des descendants de marchands de toile, notamment des Quéinnec. L’un de ses frères, Jean-Marie, demeuré à Lambézellec, réalise d’excellentes affaires en vendant des terrains « à la Compagnie des ports de Brest ». En mars 1864, l’Armoricain estime qu’il laisse une fortune de 1 000 000 F23.

  • 24 ADQ 3C 36.
  • 25 ADQ 3M 24.
  • 26 ADQ 3M 16 On peut y ajouter Pierre Tanguy de Plouider : 260 F en 1840 (3M 22) ; Guillaume Le Roux, (...)

23Faisant fi des préjugés qui touchent les meuniers, quelques Juloded épousent des membres de cette profession. Il est vrai qu’un certain nombre d’exploitants de moulins se haussent au niveau fiscal des marchands de toile et des tanneurs. En 1750, Guillaume Kerdoncuff, de Landivisiau est capité à 26 livres24. En 1829, François Tanguy de Lampaul-Guimiliau est imposé à 320 F, Christophe Le Han de Plounévez-Lochrist à 588,88 F, Jean-Marie Le Sanquer et Jean Le Bras, de Sizun, le sont respectivement à 391,65 F et à 291,32 F25, Yves Corre, de Guiclan, à 321 F26. Les rôles de patente établis en 1799 attestent, par ailleurs, que plusieurs meuniers sont fortement imposés.

  • 27 Jusqu’à la Révolution, Lampaul est une trève de Guimiliau.
  • 28 D’après les archives privées E. Pouliquen.
  • 29 Né le 21 mars 1784, à Coat-Saliou en Loc-Brévalaire, des marchands de toile Jacques Tanné et Marie (...)
  • 30 La section dont Rufily faisait partie fut rattachée à Saint-Méen par décret du 3 juillet 1846.
  • 31 François-Marie Lichou est né à Landivisiau le 5 mai 1790 de Pierre († 19/6/1791) et de Marie Tangu (...)
  • 32 Louis Lichou, président honoraire du CMB (Crédit Mutuel de Bretagne), est l’un de ses descendants.
  • 33 Le Gallo (Yves), Clergé, religion et société... op. cit., p. 912.
  • 34 Soubigou (Auguste), op. cit., p. 34.

24Dans ces conditions, on comprend mieux que quelques mariages unissent Juloded et meuniers. C’est ainsi qu’en 1772, Marie Abgrall, fille de tanneurs, de Roc’haouren en Lampaul-Guimiliau, épouse Laurent Breton, meunier à Roc’hfily dans cette même trève27. En 1791, Anne-Françoise Cloarec, fille d’Yves et d’Anne Cessou, paysans-marchands de toile à Gorré-Beuzit en Landerneau, épouse Jean-Marie Rivoallon, né de Laurent et d’Anne Calvez, qui étaient meuniers à Kerhamon en Plouédern. Les deux jeunes époux s’établiront au moulin de Kéroullas en Brélès28. En février 1844, Jean-Louis Tanné fils des marchands de toile François et Jeanne Mazé29, de Rufily en Ploudaniel30 se marie avec Anne Lichou, du Coz-Castel en Saint-Méen. Cette épouse est née à Tréflaouénan, en 1818, du meunier François Lichou et d’Annette Le Roux31. Une autre alliance est conclue entre ces deux mêmes familles en novembre 1845 : Jean-François Tanné épouse Marie-Anne Lichou. Lors de ces mariages, François Lichou32 exploite les moulins du Coz-Castel en Saint-Méen et de Milin-an-Eskop en Trégarantec, cependant qu’il exploite, au surplus, l’importante ferme du Coz-Castel. En juillet 1851, François-Louis Soubigou, de Kergréguen en Plounéventer, épouse en secondes noces Françoise Allançon, qui est d’une famille de meuniers du pays de Saint-Renan33. Il a fait sa connaissance lorsqu’elle résidait chez son oncle, recteur de Trémaouézan, après le décès de ses parents survenu en 1835 et en 183634.

  • 35 ADQ 3C 96.

25On remarque encore quelques mariages entre enfants de paysans-marchands de toile et de papetiers. C’est ainsi qu’en janvier 1803, le marchand Jean Charles, de Saint-Thégonnec convole avec Marie-Hélène Georget, fille de papetiers. Le fils de papetiers Guillaume Le Loutre, né en 1785, épouse Marie-Olive Kerbrat, fille de marchands de toile, et adopte la profession de ses beaux-parents. À la fin du xviiie siècle, quelques papetiers sont aussi capités que des marchands de toile. En 1788, Thomas Le Maître, Guillaume Fornery et Yves Georget, papetiers à Quirin en Pleyber-Christ, versent respectivement 54, 30 et 25 livres au titre de la capitation35.

26Si les mariages, rares au total, entre Juloded et meuniers ou papetiers contreviennent à l’esprit de caste, il n’en reste pas moins que les époux se situent au même niveau économique. Nous n’avons trouvé qu’une seule exception à cette dernière règle mais elle est particulièrement remarquable. Elle concerne le petit-fils de Maurice Abgrall, de Roc’haouren en Lampaul-Guimiliau, le plus riche Julod que nous avons rencontré : il acquitte, rappelons-le, 1 872 F d’impôts directs en 1822.

  • 36 Jean-Marie et Marie-Gabrielle Pouliquen sont nés de Jacques et de Marie Kermarrec, de Mescoat en P (...)

27Né le 15 janvier 1818, son petit-fils Jacques Abgrall perd prématurément ses parents Yves († 27/11/1822) et Marie-Gabrielle Pouliquen († 14/5/1823). En même temps que son frère et ses deux sœurs, il sera élevé par son aïeul Maurice Abgrall, qui élève également les quatre enfants orphelins de sa fille Marie-Françoise († 1824) et de Jean-Marie Pouliquen († 1826)36. En 1846, Jacques Abgrall, qui a partiellement hérité des biens de son grand-père († 1838) et de son frère Maurice († 1840), acquitte 910,90 F d’impôts directs. Faisant fi de son exceptionnelle richesse, il épouse, en juin 1843, Marie-Jeanne Le Loutre née de Marie-Rose Bono († 1827) et d’Yves Le Loutre qui, jusqu’à son décès survenu en 1823, était « ouvrier en tabac » à la Manufacture de Morlaix. Le patronyme, la tradition et les archives rappellent que Marie-Jeanne appartient à une famille de papetiers venus de Normandie au xviie siècle. Mais le déclin des papetiers a amené son père à renoncer à la profession de sa lignée. Yves Le Loutre est né à Plounéour-Ménez en novembre 1765 des papetiers Jean et Marguerite Jouan. En 1827, son frère, Jean-Hervé, qui s’est reconverti, est marchand de toile à Saint-Thégonnec, cependant que son autre frère Jean-Marie réside à Morlaix, où il est dit « ancien papetier ». Le mariage hors-caste de Jacques Abgrall ne fait nullement perdre leur qualité de Julod à ses enfants : ils épousent des Quéinnec, Soubigou, Boucher...

Un groupe social hiérarchisé

  • 37 Leprohon (R.), op. cit., p. 219. À Guiclan, 21 % des conjoints sont étrangers à la paroisse ; à Pl (...)

28À la fin du xviiie siècle, on compte, comme on l’a vu, quelque 500 familles julodes, soit environ 3 000 personnes. Ce qui est presque suffisant pour que les unions matrimoniales puissent se conclure dans la caste, tout en laissant aux futurs époux une certaine liberté de choix du conjoint et en évitant le plus possible des mariages consanguins : dans les paroisses léonardes d’environ 3 000 habitants, les quatre cinquièmes des conjoints sont de la même paroisse au xviie siècle37. Mais les alliances matrimoniales julodes sont compliquées par le fait que ce groupe social est hiérarchisé et comporte, par conséquent, des rangs ou des classes : il est des mariages de kentañ trouc’h, d’eil trouc’h..., « première coupe », « deuxième coupe ». Le terme breton trouc’h qui a donc le sens de « coupe » paraît emprunté au vocabulaire agricole : il est bien connu que la première coupe de foin ou de trèfle est plus abondante, plus riche, que la seconde.

  • 38 À notre connaissance, il apparaît pour la première fois dans l’article d’Yves Le Gallo : Une caste (...)
  • 39 Le montant des inventaires est généralement tiré du mémoire de maîtrise de P. Moal et de M.-L. Car (...)

29Il est probable que ce terme imagé, qui n’est pas connu de tous les descendants de Juloded que nous avons consultés, est d’utilisation relativement récente38. Il n’en reste pas moins qu’il correspond à une réalité. Les inventaires après décès, les dots, les rôles d’impositions permettent de différencier les mariages de la kentan trouc’h et ceux de l’eil trouc’h... Le tableau suivant met en relief des alliances conclues entre les conjoints de la première classe de 1725 à 1785. Rappelons que sur les 213 inventaires étudiés par P. Moal et M.-L. Carrer, 17 seulement, soit 8 % se situent entre 15 000 et 20 000 livres et 21, soit 10 %, entre 20 000 et 50 000 livres. Un seul dépasse les 100 000 livres. Nous avons, par ailleurs, remarqué, à plusieurs reprises, des mariages conclus entre des conjoints dont les inventaires après décès des parents se situaient entre 5 000 et 10 000 livres ou, pour de nombreux autres, entre 10 000 et 15 000 livres39.

  • 40 ADQ 3Q 7013.

30Les dots ou provisions attribuées aux deux époux sont également révélatrices de la hiérarchie qui existe au sein de la caste des Juloded. Le plus souvent, elles sont, du reste, d’un même montant pour les deux conjoints. Ainsi, en 1823, François Abgrall, de Kernévez en Saint-Sauveur et Marie-Françoise Fagot reçoivent l’un et l’autre 1 740 F40.

  • — Olivier Caroff, de Rosancloarec en Guimiliau41, et Mathurine Le Gall, de Sizun, qui s’épousent en 1845, reçoivent l’un et l’autre 2 400 francs.
  • — En 1833, Louis Pouliquen, du Fers en Saint-Thégonnec, et Catherine Dantec, de Sizun, obtiennent 3 640 francs l’un et l’autre.
  • — François-Marie Caroff42, de Keranfors en Guimiliau, et Marguerite Pouliquen43, de Lampaul, qui s’épousent en 1845 reçoivent l’un et l’autre 4 500 F. Ils émanent tous deux d’une famille de paysans-tanneurs, à l’inverse des époux précédents qui appartiennent à des familles de paysans-marchands de toile.

Alliances matrimoniales entre des Juloded de la Kentañ trouc'h entre 1725 et 1785

Alliances matrimoniales entre des Juloded de la Kentañ trouc'h entre 1725 et 1785
  • 44 Autant que l’on peut en juger, vers 1845, les taxes foncières représentent environ 6,5 % des reven (...)

31Les impôts directs acquittés au siècle dernier sont encore plus significatifs que les dots et les inventaires après décès. Les tableaux des électeurs censitaires précisent, par imposable, la répartition des quatre impôts directs : taxes foncières, contribution personnelle et mobilière, patente, impôts sur les portes et fenêtres. Là-dessus, les taxes foncières, qui représentent de 65 % à 85 % du montant total, permettent de se faire une idée des biens immobiliers de chaque imposable44. Le tableau ci-contre, que nous avons établi en fonction des données généalogiques dont nous disposons, illustre bien que l’on se marie dans son clan : les quatre familles concernées sont sensiblement au même niveau économique.

Alliances matrimoniales conclues au sein de l'eil trouc'h entre 1844 et 1876

Alliances matrimoniales conclues au sein de l'eil trouc'h entre 1844 et 1876

Légende :

214,63 F

Montant total des impôts acquittés par une famille en 1846

  • 45 Né en septembre 1795, d’Yves et de Marie Salou, Joseph Galliou épouse en premières noces Marie-Jea (...)

32Note*45

  • 46 Gabriel Kernéis naquit à Kerdalaün en Saint-Divy en 1786 de Louis er de Marie Morvan. Les Kernéis (...)

33Note**46

  • 47 Marguerite Abhervé-Guéguen naquit en 1788 de Jean et de Marie-Jeanne Soubigou. Ses frères Yves et (...)

34Note***47

  • 48 On trouve des informations précises sur ces familles dans le chapitre III, notamment dans la note (...)

35Au-dessus de ces représentants de l’eil trouc’h « deuxième coupe », on trouve des familles de la kentañ trouc’h que l’on voit, à différentes reprises, nouer des alliances matrimoniales tout au long du xixe siècle. Ce sont des Abgrall, Baron, Boucher, Breton, Cloarec, Fagot, Fichou, Guénégan, Guillou, Joncour, Le Bras, Nicolas, Pouliquen, Quéinnec, Rannou, Soubigou48...

  • 49 Les taxes foncières acquittées, dans ce cas, ne s’appliquent qu’aux biens immobiliers possédés dan (...)
  • 50 ADQ 3M 16.

36Au-dessous de ces mêmes représentants de l’eil trouc’h, on trouve encore de nombreuses familles julodes qui s’allient entre elles. Elles sont plus difficiles à repérer, parce qu’elles ne figurent pas sur les listes des électeurs censitaires : sous la Monarchie de Juillet (1830-1848), il faut acquitter un minimum de 200 F d’impôts directs pour en être. Il n’en reste pas moins que ces familles, qui versent de 100 à 200 F d’impôts directs, sont relativement riches dans leur microcosme. Rappelons-nous que sur 243 foyers fiscaux établis à Guimiliau, en 1831, un seul est imposé à plus de 300 F pour les biens possédés dans la commune49, six le sont de 100 à 200 F ; cinq, de 50 à100 ; 79 ,de 5 à 5050 et 152, àmoinsde 5 F.

  • 51 Maurice Abgrall meurt, en 1840, à Plounéour-Ménez, où il s’est établi. En 1846, son frère Jacques (...)
  • 52 ADQ 3M 24.

37Si, d’une manière générale, les époux julods sont très sensiblement d’un même niveau économique, il arrive qu’il y ait entre eux d’importants écarts sur le plan de la richesse. Plus haut, le tableau relatif aux marchands de toile de la kentañ trouc’h, « première coupe », fondé sur les inventaires après décès, montre que les parents de Guillaume Le Roux (111 333 L) sont nettement plus riches que ceux de son épouse Marguerite Bras (19 916 L). Par ailleurs, Maurice Abgrall – petit-fils d’autre Maurice Abgrall –, né en 1811 d’Yves († 1822) et de Marie-Gabrielle Pouliquen († 1823), épouse en avril 1839 Marie-Françoise Guéguen, de Kergaradec-bihan en Plounéour-Ménez, née en 1813 de François et de Marie-Gabrielle Le Bras. En 1840, l’époux acquitte 465 F d’impôts directs, bien que la succession de son opulent grand-père († 1838) ne soit pas encore complètement réglée51, cependant que les parents de sa femme en versent 230 F52.

38En 1845, les époux Jean-Marie Le Bras et Catherine Breton, de Guerjean en Guiclan, sont imposés à 684 F. Comme le montre le tableau IV, trois de leurs enfants se marient au début des années 1840. Bernard épouse Marie-Jeanne Le Joncour, de Trévalan en Pleyber-Christ, dont les impôts directs de la famille s’élèvent à 323 F en 1846. Marie-Françoise épouse Jean Cloarec, de Gorré-Beuzit en Landerneau, dont le père acquitte 240 F d’impôts à la même date. Marie-Guillemette épouse Louis-Vincent Quéinnec, de Kersaintgilly en Guiclan, dont le père Guillaume verse 228 F d’impôts. Ces trois conjoints sont enfants de paysans-marchands de toile.

39Sans prétendre détenir toutes les explications à ces mariages apparemment mal assortis, nous en entrevoyons trois : la première tient à l’amour ou, du moins, à l’inclination, qui on le verra n’est pas forcément exclue des alliances matrimoniales. La deuxième réside dans le fait que pour mieux comprendre les raisons d’une union, il faut considérer l’ensemble de la famille : l’importance de l’héritage diffère selon que l’on a affaire à un fils ou à une fille unique ou bien à un membre d’une famille nombreuse. La troisième résulte de ce que les Juloded les plus riches sont amenés à épouser des conjoints moins riches qu’eux pour la raison qu’il n’y a guère de jeunes gens mariables dans leur catégorie. Cela est d’autant plus vrai qu’ils éprouvent le besoin de se marier dans leur caste : il est rare, on le verra, que des enfants de paysans-marchands de toile ou de tanneurs épousent des citadins.

La liberté des futurs époux

  • 53 Flandrin (J.-L.), Les amours paysannes, Paris, 1975.

40Compte-tenu du fait que les unions julodes se déroulent presque toujours dans la caste, on peut s’interroger sur la liberté des futurs époux dans le choix du partenaire de même que sur la place de l’amour dans le mariage. À ces questions, Jean-Louis Flandrin répond que les candidats au mariage disposent d’une certaine liberté dans le choix du conjoint : celle-ci s’inscrit dans le cadre d’interdits admis par les jeunes gens eux-mêmes53. Ce qui revient à dire que les futurs époux demeurent libres, dans la mesure où ils choisissent leur conjoint dans leur groupe social. On peut se demander si cette liberté est toujours réelle. Il est frappant de constater que des fils de marchands de toile se marient dès leur retour du Trégor ou du pays de Saint-Brieuc où ils viennent de passer quelques années : on a l’impression que leur mariage est arrangé ou préparé par d’autres. Ainsi, le 16 novembre 1723, Jean Kerouanton, « demeurant depuis longtemps dans la paroisse de Lanvollon », épouse, à Kersaint-Plabennec, Marguerite Kerdelant. Le 18 mai 1722, Jean Picart, originaire de Pleyber-Saint-Thégonnec et « habitué depuis plusieurs années à Saint-Brieuc » épouse Jeanne Cadour, à Landivisiau. Le 24 novembre 1761, Louis-François Le Roux, né à Pencran et « habitué dans la paroisse de Berhet, diocèse de Tréguier », épouse Jeanne Madec, à Pleyber. À l’opposé, on peut se demander si certains enfants de marchands de toile ne profitent pas de leur séjour à Josselin ou à Saint-Brieuc pour faire un mariage plus libre, qu’il soit d’amour ou d’inclination. C’est ainsi que nous avons repéré seize mariages mixtes (douze Léonards X Josselinaises et quatre Léonardes X Josselinais) dans la seule paroisse de Notre-Dame du Roncier entre 1660 et 1700. De son côté, Jean Tanguy nous apprend que sur 41 Léonards qui séjournent dans le pays de Saint-Brieuc entre 1716 et 1741, treize se marient dans cette ville.

  • 54 Eliès (Fañch), Hervelina Geraouell, Abeozen, Brest, 1943.
  • 55 Récemment, une adolescente du pays julod exprimait cette situation, on ne peut plus clairement : « (...)

41Quoi qu’il en soit, il apparaît que les interdits ne sont pas toujours respectés par les Juloded candidats au mariage. Un roman intitulé Hervelina Geraouell54 nous éclaire sur cette question. Son auteur Fañch Eliès (1896-1963), natif de Saint-Sauveur, entre Landivisiau et Commana, est manifestement un bon connaisseur des Juloded et de leur mentalité. Vers 1920, Anton Penneg, de Saint-Thégonnec, et Hervelina Geraouell, du pays de Plouescat, sont tous deux étudiants à Rennes. Les parents d’Anton, Per Penneg et Madalen Beleg sont des Juloded. Per est, du reste, notaire à Saint-Thégonnec. Le père d’Hervelina est marin de commerce. Les deux jeunes gens s’aiment et projettent de se marier. Les parents d’Anton regardent Hervelina comme avenante et intelligente mais regrettent qu’elle ne soit pas de leur condition. Le notaire n’est cependant pas complètement hostile au mariage. Sa femme, en revanche, ne veut pas en entendre parler. Son mari n’ose pas lui résister, pas plus qu’Anton, qui en est malheureux. Fañch Eliès connait bien les formes subtiles du matriarcat léonard et julod. Ce n’est pas parce que le mari occupe le devant de la scène qu’il décide en dernier ressort55. Hervelina est fortement déçue par le comportement de son ami, qui lui paraît manquer de personnalité. Il apparaît qu’Anton n’adhère pas aux interdits de sa caste mais il ne peut transgresser la volonté de sa mère.

  • 56 Généalogie Lichou, op. cit.
  • 57 Joseph Goujon à un frère, Victor, qui, en 1857, est « instituteur public » à Landerneau.
  • 58 Au sujet de cet instituteur haut en couleur, on pourra se reporter à Ancêtres et terroirs, op. cit (...)

42Il arrive cependant que l’on voie de jeunes Juloded rejeter certaines normes de leur monde. C’est, on l’a vu, le cas de Jacques Abgrall qui, en 1843, épouse la fille d’un ouvrier de la Manufacture des tabacs de Morlaix. C’est encore le cas de Marie-Jeanne Lichou, du Coz-Castel en Saint-Méen, qui s’éprend de Joseph Goujon, instituteur de sa commune et natif de Plouyé. Les parents de Marie-Jeanne s’opposent fermement à cette fréquentation, cependant que les jeunes tourtereaux continuent d’échanger leurs sentiments « en dissimulant leurs lettres dans une vieille souche de chêne en bordure de la route »56. Finalement, ils se marient en octobre 185757. Il y a lieu de penser que le mariage, en 1838, de Françoise Lagadec et d’Aimé Berriet suscite également des difficultés. Françoise est la fille unique de François et d’Anne-Dorothée Inisan, marchands de toile à Landivisiau, cependant qu’Aimé Berriet, natif de Cléden-Cap-Sizun, est l’instituteur de Plounevez-Lochrist58. Le fait que ces deux instituteurs appartiennent à une autre ethnie et proviennent, par conséquent, d’un autre monde – Plouyé et Cléden-Cap-Sizun – ne peut qu’accroître les réticences et les résistances des parents de leur bien-aimée.

43Il n’est pas douteux que de nombreuses oppositions parentales julodes se sont ainsi manifestées, lorsqu’il s’est agi d’alliances matrimoniales, même au sein de la caste. Il reste à savoir si les parents – ou les tuteurs – font passer leur intérêt ou le prétendu intérêt de leurs enfants avant la réelle volonté des jeunes gens. Il doit y avoir à cette question autant de réponses que de cas.

Les diverses composantes des unions julodes

44Il est bien connu que l’amour est loin d’être l’unique facteur du mariage. Il convient de s’interroger sur les principales composantes des unions matrimoniales, notamment dans le milieu julod. Il est évident que les données économiques y jouent un grand rôle.

  • 59 Ségalen (Martine), Sociologie de la famille, Paris, 1981, p. 110.
    « On a coutume, écrit encore Mart (...)

« Hier comme aujourd’hui, écrit Martine Ségalen, on tend à épouser son semblable sur le plan social ou professionnel. Il faut faire une union assortie, « harmoniser les états ». Une des fonctions du mariage conçu comme une alliance entre deux lignées est de transmettre les patrimoines. Le meilleur moyen de le protéger est de s’assurer que le conjoint choisi est bien son semblable socialement59 ».

  • 60 Cet auteur commença ses études à l’École de Médecine de Brest en 1823. Il fut chirurgien de marine (...)

45Écrivant en 1868, Charles Pellarin60 fustige « ce vice des unions intéressées » :

  • 61 Souvenirs anecdotiques – Médecine navale – saint-simonisme, Chouannerie, Paris, 1868, p. 18.

« Ce vice des unions intéressées, écrit-il, vice de plus en plus général chez nous, car il s’étend depuis la ferme et l’atelier jusqu’aux plus hautes régions du monde aristocratique, voilà une cause de dégénérescence de l’espèce que je signale en passant à mes collègues de la Société d’anthropologie. Virtus post nummos ; la vigueur morale et physique, l’intelligence, la grâce et la beauté ne venant que bien loin après les écus, les billets de banque, les maisons et les terres dans les motifs déterminants des mariages, c’est une sélection à contresens qui compromet les plus précieux intérêts de l’humanité. Celui qui chassera les marchands des abords du temple de l’hymen aura bien mérité des générations futures... »61.

46Outre les facteurs économiques, on discerne des considérations sociales dans les unions matrimoniales :

  • 62 Cité par Martine Ségalen in Sociologie de la famille, op. cit., p. 114. le texte est tiré de Célib (...)

« Avant 1914, écrit Pierre Bourdieu, le mariage était régi par des règles strictes. Parce qu’il engageait tout l’avenir de l’exploitation familiale, parce qu’il était l’occasion d’une transaction économique de la plus haute importance parce qu’il contribuait à réaffirmer la hiérarchie sociale et la position de la famille dans la hiérarchie, il était affaire de tout le groupe plus que de l’individu. C’est la famille qui mariait et l’on se mariait avec une famille... »62.

47Il apparaît que ces conclusions de Pierre Bourdieu s’appliquent bien au groupe social que nous considérons. Le mariage y est effectivement une affaire familiale et l’occasion d’affirmer son rang dans la société et dans la caste. La lecture du travail généalogique d’Auguste Soubigou (1852-1910) est significative à cet égard. Rétrospectivement, cet auteur se félicite de ce que ses ancêtres tiennent le haut du pavé dans leur paroisse ou dans leur commune. Il ne manque pas de souligner que telle famille qui s’unit à la sienne comporte un ou deux prêtres. Ce qui est une garantie d’honorabilité. Au milieu des années 1950, par ailleurs, un descendant des marchands de toile, orphelin de père, voit ses oncles paternels s’opposer au mariage qu’il projette : sa future est jugée indigne de la tribu. Les exemples de ce type ne sont pas rares au milieu du xxe siècle.

  • 63 Hervelina Geraouell, op. cit., p. 158.
  • 64 Généalogie... op. cit., p. 46.
  • 65 Ibid., p. 5.

48Les alliances matrimoniales julodes comportent encore une connotation religieuse. Les paysans-marchands de toile et les tanneurs se regardent, plus ou moins clairement, comme des élus de Dieu : Eur ouenn dilennet a-berz Doue, « une race choisie par Dieu » écrit Fañch Eliès63 qui connaît bien la mentalité julode. Des propos de Jean-Pierre Inisan (1801-1877) – père de Lañ –, de Plounevez-Lochrist et de Marie-Jeanne Prouff (1843-1916), de Bodilis, déjà évoquée, abondent dans le même sens. « Dieu, aime répéter le premier, a donné Lanzéon aux Inisan et les Inisan jouiront toujours de la plus grande considération »64. Lanzéon est un hameau de Plounevez qui comporte un manoir et une belle ferme occupés par les Inisan depuis le xvie siècle, au moins65. Rappelant la position sociale relativement élevée de sa famille, Marie-Jeanne Prouff se plaisait à « inculquer cette maxime à ses enfants » :

  • 66 Envier les richesses d’autrui, et même avoir envie de s’enrichir, c’est en quelque sorte céder à l (...)
  • 67 Nos Souvenirs d’une Mère Bien-Aimée, op. cit.

« Il ne faut pas, répétait-elle, chercher à s’élever au-dessus de sa position [mais il faut] conserver cependant avec un soin jaloux la position et la fortune de [ses] parents. Telle était sa règle de conduite ; elle aimait à ajouter que c’est le bon Dieu qui le veut ainsi ; que c’est le grand moyen de bonheur ici-bas et dans l’autre [monde] : se contenter de ce que la Providence a donné66... La maxime contraire est une des grandes plaies de notre époque : quel déclassement partout... Aussi comme [Marie-Jeanne Prouff] a souffert de voir ses enfants tomber dans la classe ouvrière!... »67.

  • 68 Bien qu’on nous l’ait maintes fois prétendu (Saint-Méen, op. cit., p. 214), il est difficile d’adm (...)
  • 69 Cité par Calvez (Ronan), op. cit., p. 230.

49Ces considérations, rapportées par la fille religieuse de Marie-Jeanne Prouff, ne sont pas sans rappeler la prière suivante, qui fut récitée en certaines riches maisons paysannes du Léon, et notamment julodes, jusqu’aux approches de la Seconde Guerre mondiale : Lavaromp bremañ ur Bater hag un Ave evit da bep hini da chom en e stad. « Récitons maintenant un Pater et un Ave afin que chacun demeure dans son état »68. Ce trait de mentalité est confirmé par Goulven Morvan, directeur de Feiz ha Breiz de 1865 à 1875. Il faut, écrit ce prêtre dans sa revue en mars 1865, « faire le bien dans l’état où l’on se trouve, sans chercher à s’élever au-dessus de ses consorts, c’est sans doute la vraie route à prendre pour être heureux »69.

  • 70 Cité dans Ancêtres et terroirs, op. cit., p. 319.
  • 71 Kannadig = petit messager. C’est le titre du bulletin paroissial.

50En fait, il est admis dans le milieu julod, comme du reste en d’autres milieux, que l’enrichissement n’est que la manifestation de l’élection divine et qu’il vient, par conséquent, comme par surcroît. « Dieu donne souvent en fonction de ce que nous méritons »70 écrit, en 1920, le recteur de Tréglonou, Jacques Calvarin, dans son Kannadig71. Lañ Inisan, auteur d’Emgann Kergidu, se fait plus précis sur cette question, lorsqu’il évoque le comportement courageux d’Emmanuelle Conseil et de Jeannette Le Goff pendant la Révolution. Ces deux jeunes filles assaillent des soldats de la République, c’est-à-dire des ennemis de Dieu, à l’aide d’un tison.

  • 72 Inisan (Lañ), La bataille de Kerguidu, Paris, 1977 ( traduction par Yves Le Berre), p. 219.

« Il plaît à Dieu, écrit Lañ Inisan vers 1875, de laisser Jeannette Le Goff et Emmanuelle Conseil en vie, pour donner la récompense de leur amour et de leur courage, juste et sans faiblesse, à leurs descendants. Toujours est-il que la fille de Jeannette Le Goff, Anne Guéguen, mariée à Jean Kerbrat, de Lannener, a aujourd’hui deux fils prêtres : l’un d’eux est recteur, l’autre le sera bientôt. Emmanuelle Conseil épousa Paul Le Moan, de Lescoat. Ses enfants sont tous à l’aise aujourd’hui : ils sont même riches, et l’un de ses petits-enfants, fils de Pierre Le Moan, est également prêtre. Ne croyez-vous pas que c’est en souvenir de leurs grands-mères que le Seigneur accorde à ces gens sa bénédiction et sa miséricorde... »72.

51S’exprimant dans Feiz ha Breiz, Lañ an Dall abondait dans le même sens en juillet 1867.

  • 73 Cité par Calvez (Ronan), op. cit., P. 78-79.

« S’il y a encore des gens heureux, notait-il, des gens qui ont les moyens à la campagne, ces gens-là, le plus souvent, sont ceux qui ont le plus de respect de Dieu, qui laissent à Dieu le premier rang dans leur cœur, dans leur maison, en tous lieux et en toutes choses »73

  • 74 Par « grand curé », on désigne un prêtre qui exerce une grande influence. Les grands curés, écrit (...)

52Richesses et vocations sacerdotales sont en Léon les principaux signes de l’élection divine. Il n’est point étonnant dans ces conditions que les Juloded se considèrent comme les élus de Dieu : ils sont relativement riches et suscitent de nombreux prêtres et religieuses, comme on l’a vu. En outre, on semble croire fermement, comme Lañ Inisan, qu’une situation présente favorable s’explique par le « crédit » dont jouit un ancêtre auprès de Dieu. Rapportant les paroles de Jean Favé (1828-1905), « grand curé »74 de Plouguerneau, le chanoine Guillaume Fily (1868-1960) écrit vers 1942 :

  • 75 Fily (Guillaume), Notes sur la famille Fily (inédit), p. 54.

« Les vocations sacerdotales et religieuses dans une famille sont dues à la prière d’un ancêtre qui, s’étant sanctifié plus que les autres a, au Ciel, plus de crédit auprès de Dieu. Ce crédit ne s’exerce pas toujours en faveur des générations les plus rapprochées ; très souvent même, ce n’est qu’à partir de la quatrième ou cinquième génération que l’on constate les premiers effets de cette prière »75.

  • 76 Ibid., p. 50-54.
  • 77 Ibid., p. 54. Le chanoine Fily précise encore qu’il fit part de cette croyance à Louis Salou, alor (...)
  • 78 Au début des années 1960, certains prêtres léonards expliquaient encore ainsi certains malheurs fa (...)

53Après avoir dénombré 31 prêtres et 23 religieuses dans sa famille élargie76, le chanoine Fily constate que l’une de ses branches, la branche Abhervé, compte 16 prêtres. « Je suis donc persuadé, note-t-il, que, dans cette branche, nous avons un ancêtre à qui tous nous devons notre vocation sacerdotale et religieuse »77. À l’inverse, on croit également que de mauvaises conduites peuvent entraîner le châtiment de Dieu, une ou deux générations plus tard78. Voici, selon Lañ Inisan, ce qui advient aux acquéreurs de biens nationaux :

  • 79 La bataille de Kerguidu, op. cit., p. 318.

« La plupart de ceux qui avaient volé, pendant la Révolution, les biens de l’Église et ceux de la noblesse reperdirent tout, et j’ai moi-même fait l’aumône à certains de leurs enfants. D’autres, peut-être, ont conservé jusqu’à présent leur fortune, mais ne voyez-vous pas leurs enfants, ou leurs petits-enfants venir au monde muets ou idiots ? Et s’ils naissent sans infirmité, ils meurent à la fleur de l’âge, sans aucun descendant pour perpétuer leur nom. Voilà ce qu’il advient de ceux qui pillent les biens de l’Église et des saints »79.

  • 80 Né de Louis Martin et d’Anne Le Guen, de Kerarfanc en Ploudaniel, Nicolas Martin épouse, en janvie (...)
  • 81 Agés de 4 ans, 6 ans, 8 mois, 12 ans et 11 ans, ces enfants meurent les 3, 4, 9, 17 et 30 octobre. (...)
  • 82 Un enfant Soubigou de la maison voisine, Théodore, est également emporté par cette même épidémie l (...)
  • 83 Généalogie... op. cit., p. 53. Auguste Soubigou est né en 1852 de François-Louis et de Françoise A (...)

54Par ailleurs, vers 1905, Auguste Soubigou s’interroge sur les malheurs qui se sont abattus, en octobre 1826, sur la maison des époux Nicolas Martin80 et Marie-Françoise Soubigou, de Kergréguen en Plounéventer : au cours de ce seul mois, ces parents perdent cinq enfants81, qui sont emportés par une épidémie de typhus82. Après réflexion, cet ancien élève du collège de Lesneven et du petit séminaire de Pont-Croix conclut que « les desseins de Dieu sont impénétrables »83

55Du fait de leurs activités artisanales et commerciales, les Juloded forment, sans conteste, un groupe social à part dans les campagnes. Les composantes économiques, sociales, familiales et religieuses de leurs alliances matrimoniales renforcent leur originalité. Il n’est pas surprenant, dans ces conditions, que cette aristocratie paysanne se soit érigée en véritable caste.

  • 84 Hervelina Geraouell, op. cit., p. 47.

56Le déclin plus rapide de l’artisanat textile à partir des années 1830 et sa quasi-disparition vers 1860 entraînent la lente dissociation de la caste des Juloded. Le tableau généalogique de la famille Quéinnec, établi en 1924, est révélateur à cet égard. Sur les 13 mariages indiqués dans la génération des membres de la caste nés entre 1807 et 1847, tous unissent des Juloded. À la génération suivante (1845-1880), sur 31 mariages, 25, soit 80,6 %, sont conclus dans la caste. Sur les 53 mariages de la génération postérieure (1867-1900), 37, soit 70 % unissent des descendants de marchands de toile et des tanneurs. Voilà qui confirme Fañch Eliès qui relève que « les vieilles familles de Juloded ne se mari(ai)ent pas, pour ainsi dire, hors de la tribu »84. Cette impression est d’autant plus forte que les mariages exogames concernent généralement des jeunes qui ne demeurent pas dans le monde julod. Il apparaît que ce sont surtout des femmes qui font des mariages hors-caste. Autant qu’on peut le voir, elles épousent des notaires, des commerçants, des médecins, des pharmaciens, c’est-à-dire des conjoints qui exercent les professions souvent adoptées par leurs frères et cousins.

  • 85 Assez récemment, un descendant de marchands de toile me signalait qu’il venait de régler avec deux (...)

57De nombreux descendants de marchands de toile et de tanneurs continueront de se marier dans la caste jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, voire au-delà. Trois explications, au moins, peuvent être données à ce fait. D’une part, il est évident que l’esprit de caste s’est maintenu plusieurs décennies après la disparition des activités textiles ; a-t-il, du reste, complètement disparu aujourd’hui ? Le fait, d’autre part, que les fermes julodes soient les plus importantes du terroir, ne peut que rapprocher de futurs conjoints. Il apparaît enfin qu’un certain nombre de Juloded demeureront relativement riches longtemps après la disparition des activités artisanales et commerciales traditionnelles, ne serait-ce qu’en raison des biens accumulés85. L’extraordinaire révolution agricole qui a débuté en Léon à la fin des années 1950, l’amenuisement progressif des fortunes et la promotion sociale favorisée, entre autres, par le développement de la scolarisation achèveront la dissociation du monde des Juloded entamée depuis trois ou quatre décennies.

Notes

1 Pol De Courcy, op. cit., p. 83.

2 La profession de ces conjoints nous est connue grâce aux inventaires après décès, aux rôles de capitation, aux listes de patentés, aux indications trouvées dans les registres d’état civil.

3 Ségalen (Martine), Sociologie de la famille, Paris, 1981, p. 113.

4 Ancêtres et terroirs, op. cit., p. 178.

5 Thierry Cleac’h, op. cit., p. 182.

6 Le Febvre (Yves), La terre des prêtres, Amiens, 1924.

7 Les grands-parents de Guy Le Guen de Kerangall et les arrière-grands-parents de Marie-Françoise Kermarrec sont les mêmes comme l’indique le tableau suivant :

:Image

8 Généalogie Inisan, op. cit., p. 53.

9 Leprohon (Roger), Vie et mort des Bretons sous Louis XIV, Brasparts, 1984, p. 219.

10 Ibid., p. 219-220.

11 D’après les archives privées de Mescoat.

12 Jean Jaouen et Marie-Françoise André se sont épousés en la chapelle de Sainte-Pétronille, en Ploudaniel, le 22 janvier 1771. Jean est né de Christophe et de Marie Cadour – fille de Tanguy (Ancêtres et terroirs, op. cit., p. 23) – cependant que sa femme est née de Christophe André et de Jeanne Guivarc’h. Plusieurs marchands de toile, dont des Inisan et des Bidanel, assistent au mariage.

13 ADQ 3M 16.

14 ADQ 1Q 1212.

15 ADQ 3M 15.

16 L’hostis (F.), op. cit., p. 98.

17 Ibid., p. 390.

18 Ibid., p. 178 et 418.

19 Deux de ses descendants, l’un et l’autre prénommés Vincent, se distinguèrent à Kernouès. Le premier, né le 22 juillet 1788 fut maire de Kernouès de 1831 à 1872, année de son décès, soit pendant 41 ans. En 1846, il acquittait 359,52 F d’impôts directs, dont 314 F de taxes foncières. Le second, né le 18 avril 1869, est maire de sa commune de 1900 à 1942. Il est, surtout, député de 1919 à 1942. Il meurt dans sa commune natale en décembre 1951 (Les députés bretons de 1789 à 1983, Jean Pascal, Paris, 1983, p. 448).

20 Les familles Perrot, Inizan et Abjean s’allient par des mariages.

21 L’hostis (F.), op. cit., p. 97.

22 ADQ 3M 24.

23 Cloître-Quéré (Marie-Thérèse), Brest et la mer (1848-1874), Saint-Thonan, 1992, p. 202.

24 ADQ 3C 36.

25 ADQ 3M 24.

26 ADQ 3M 16 On peut y ajouter Pierre Tanguy de Plouider : 260 F en 1840 (3M 22) ; Guillaume Le Roux, de Guipavas : 242 F en 1846 ; Jean Berthou, de Guissény : 244 F ; Jacques Nicolas, de Plouvien, 227 F (3M 22) ; Guillaume Le Roux, de Plounevez-Lochrist : 266 F en 1846 ; Jacques Kermaïdic, de Plouarzel, 635 F en 1829 (ADQ 3M 16)...

27 Jusqu’à la Révolution, Lampaul est une trève de Guimiliau.

28 D’après les archives privées E. Pouliquen.

29 Né le 21 mars 1784, à Coat-Saliou en Loc-Brévalaire, des marchands de toile Jacques Tanné et Marie Le Duff, François Tanné épouse Jeanne Mazé le 9 novembre 1809 et s’établit chez sa femme à Rufily. Guillaume Mazé – le père de Jeanne – originaire de Plounevez-Lochrist vint s’établir à Rufily, en 1771, après son mariage avec Jeanne Galliou (Saint-Méen... op. cit., p. 203).

30 La section dont Rufily faisait partie fut rattachée à Saint-Méen par décret du 3 juillet 1846.

31 François-Marie Lichou est né à Landivisiau le 5 mai 1790 de Pierre († 19/6/1791) et de Marie Tanguy (7/5/1790). Il perd sa mère deux jours après sa naissance et son père l’année suivante. Les archives consultées ne permettent pas de savoir par qui il fut élevé. Ses grands-parents paternels Pierre Lichou et Marie Morvan sont décédés au moment de sa naissance. Il est possible qu’il ait été pris en charge par sa grand-mère maternelle, Marie Abgrall, veuve de Guillaume Tanguy († 1787), qui meurt, à Plougourvest, en mai 1799. Ce qui est certain, c’est qu’au moment de son mariage, il réside chez son oncle, Tanguy Lichou, qui exploite le moulin de Tronjoly en Plougar. Cet homme est dit patriote, c’est-à-dire partisan de la Révolution. Avec Jean Bodériou et Laurent Liorzou il fait partie du groupe des trois électeurs du canton de Plounéventer en septembre 1792 (ADQ 70L 75). C’est en septembre 1813 que François-Marie Lichou, âgé de 23 ans, épouse Marie Le Roux qui en compte 30. Celle-ci est née au bourg de Plougar du maréchal-ferrant Jean Le Roux et d’Anne Conseil. Les deux époux exploitent quelques années le moulin de Kerguidu en Tréflaouénan puis s’installent au Coz-Castel en Saint-Méen vers 1825. François-Marie meurt accidentellement à Lesneven le 1er décembre 1856. Il est intéressant de comparer les informations tirées des archives avec les traditions rapportées par la mémoire familiale et consignées par Auguste Lichou (1892-1981) vers 1975. « Mon bisaïeul Lichou, écrit ce dernier, serait né pendant ou vers la fin de la Révolution au manoir de Kerguidu... Dès l’âge de deux ans il devint orphelin... Il fut donc élevé par son oncle célibatai-re... qu’on appelait : Lichou bihan... « Mon bisaïeul... se fit meunier dans un petit moulin de Trézilidé (cette commune touche Tréflaouénan)... Il s’est marié à une fille Le Roux de Plougar peut-être à Trézilidé... Il acheta la ferme et le moulin de Coz-Castel en Saint-Méen... Il fut mortellement blessé entre, je crois, la chapelle Jésus et Croas-ar-rod (ces lieux sont sur les territoires de Trégarantec et de Ploudaniel) ayant pro-bablement dépassé la soixantaine... Son cheval s’étant emballé, il était sans doute sur le limon... » Des informations portent, par ailleurs, sur la prodigalité de Tanguy Lichou, sur l’efficacité de ses chiens dont on a retenu les noms, sur les vols... À propos de François Lichou, on a surtout retenu « sa force herculéenne ». « Il portait, disait-on, une balle de farine de 100 kg sous chaque bras... »

32 Louis Lichou, président honoraire du CMB (Crédit Mutuel de Bretagne), est l’un de ses descendants.

33 Le Gallo (Yves), Clergé, religion et société... op. cit., p. 912.

34 Soubigou (Auguste), op. cit., p. 34.

35 ADQ 3C 96.

36 Jean-Marie et Marie-Gabrielle Pouliquen sont nés de Jacques et de Marie Kermarrec, de Mescoat en Ploudiry.

37 Leprohon (R.), op. cit., p. 219. À Guiclan, 21 % des conjoints sont étrangers à la paroisse ; à Pleyber-Christ, 21 % ; à Plouvorn : 23 %. R. Leprohon fait remarquer, au surplus, qu’un mariage entre deux originaires de paroisses différentes, mais de villages voisins, peut témoigner de davantage de sédentarité qu’un mariage entre habitants demeurant aux deux extrémités d’une même paroisse (Ibid.., p. 219).

38 À notre connaissance, il apparaît pour la première fois dans l’article d’Yves Le Gallo : Une caste paysanne de Haut-Léon... art. cit., p. 64. Comme la culture du trèfle ne s’impose qu’après 1850 et que l’habitude de pratiquer deux coupes de foin est postérieure à cette date, il y a lieu de penser que l’utilisation du terme est relativement récente.

39 Le montant des inventaires est généralement tiré du mémoire de maîtrise de P. Moal et de M.-L. Carrer, op. cit..

40 ADQ 3Q 7013.

41 Ses parents Charles Caroff et Marie Rannou acquittent 210,30 F d’impôts directs en 1846 (ADQ 3M 24).

42 Il emploie sept domestiques en 1851 (ADQ 6M 369).

43 Elle est née de Laurent Pouliquen et de Jacquette Abgrall qui acquittent 535 F d’impôts directs en 1846 (ADQ 3M 24).

44 Autant que l’on peut en juger, vers 1845, les taxes foncières représentent environ 6,5 % des revenus immobiliers. En 1846, Jean-Marie Le Bras, de Guerjean en Guiclan, verse 554 F en guise de taxes foncières pour 8 356 F de revenus immobiliers.

45 Né en septembre 1795, d’Yves et de Marie Salou, Joseph Galliou épouse en premières noces Marie-Jeanne Kermarrec, fille du paysan-marchand de toile Paul Kermarrec de Keraïber en Ploudaniel (ADQ 13L 108). Cette jeune femme meurt le 7 octobre 1816. Moins de quatre mois plus tard, âgé de 21 ans et demi, Joseph Galliou convole avec Jeanne Quéré, 29 ans, née des paysans-marchands de toile (ADQ 13L 108) Jean et Marie-Renée Galliou, domiciliés à Boucheozen en Ploudaniel. Marie-Renée Galliou, née de François et de Jeanne Le Roy, est la sœur de Jeanne, évoquée dans la note 29.

46 Gabriel Kernéis naquit à Kerdalaün en Saint-Divy en 1786 de Louis er de Marie Morvan. Les Kernéis y étaient implantés depuis, au moins, 1680. Gabriel pratiquait le commerce des toiles et des étalons. Il contribua à défricher une partie importante des terres de Kerdalaün. Une tradition rapporte qu’il employait douze domestiques : huit hommes et quatre femmes. Il fut maire de sa commune durant plusieurs années. Son fils, François, devint prêtre ; Alain, qui assura la succession, fut le seul à se marier (Généalogie Lichou... op. cit.)

47 Marguerite Abhervé-Guéguen naquit en 1788 de Jean et de Marie-Jeanne Soubigou. Ses frères Yves et François épousèrent des filles Le Bras, de Guerjean en Guiclan (cf tableau IV), cependant qu’Allain convolait avec Marie-Anne Urien, de Plouvorn. Sa sœur Marie-Catherine épouse Jean-Marie Bodénès, marchand, de Plouescat. Son frère, Jean-Marie (1786-1828) devint prêtre, alors qu’un autre, Joseph Hyacinthe, entra au monastère trappiste de Belle-Fontaine où il mourut en 1823 (Généalogie Soubigou, op. cit.)

48 On trouve des informations précises sur ces familles dans le chapitre III, notamment dans la note 135.

49 Les taxes foncières acquittées, dans ce cas, ne s’appliquent qu’aux biens immobiliers possédés dans la commune.

50 ADQ 3M 16.

51 Maurice Abgrall meurt, en 1840, à Plounéour-Ménez, où il s’est établi. En 1846, son frère Jacques est imposé à 910,90 F.

52 ADQ 3M 24.

53 Flandrin (J.-L.), Les amours paysannes, Paris, 1975.

54 Eliès (Fañch), Hervelina Geraouell, Abeozen, Brest, 1943.

55 Récemment, une adolescente du pays julod exprimait cette situation, on ne peut plus clairement : « C’est mon père le chef mais c’est ma mère qui commande ».

56 Généalogie Lichou, op. cit.

57 Joseph Goujon à un frère, Victor, qui, en 1857, est « instituteur public » à Landerneau.

58 Au sujet de cet instituteur haut en couleur, on pourra se reporter à Ancêtres et terroirs, op. cit., p. 280-290.

59 Ségalen (Martine), Sociologie de la famille, Paris, 1981, p. 110.
« On a coutume, écrit encore Martine Ségalen, d’opposer le mariage contemporain à celui d’autrefois comme le jour et la nuit. Hommes et femmes libres, en quête de notre bonheur personnel, nous, nous choisirions uniquement sur la base de nos affinités spirituelles, morales, physiques, alors que nos ancêtres, eux, se voyaient imposer par leurs parents une union réglée par les « gros sous ». Pourtant notre expérience personnelle suffit à nous montrer que la liberté contemporaine est limitée par les règles du choix du conjoint : les petits épousent les petites, les milieux sociaux, les professions, les religions identiques s’attirent » (Amours et mariages dans l’ancienne France, M. SÉGALEN, Paris, 1981, p. 11).

60 Cet auteur commença ses études à l’École de Médecine de Brest en 1823. Il fut chirurgien de marine en cette ville jusqu’en 1832, « année où, gagné par la grâce saint-simonienne, il entendit l’appel du Père, démissionna et rejoignit le cloître de Ménilmontant » (Brest et sa bourgeoisie.... Yves LE GALLO, op. cit., t. 2 p. 403).

61 Souvenirs anecdotiques – Médecine navale – saint-simonisme, Chouannerie, Paris, 1868, p. 18.

62 Cité par Martine Ségalen in Sociologie de la famille, op. cit., p. 114. le texte est tiré de Célibat et condition paysanne.

63 Hervelina Geraouell, op. cit., p. 158.

64 Généalogie... op. cit., p. 46.

65 Ibid., p. 5.

66 Envier les richesses d’autrui, et même avoir envie de s’enrichir, c’est en quelque sorte céder à l’un des sept péchés capitaux qui sont l’orgueil, l’avarice, l’impureté, l’envie, la gourmandise, la colère et la paresse.

67 Nos Souvenirs d’une Mère Bien-Aimée, op. cit.

68 Bien qu’on nous l’ait maintes fois prétendu (Saint-Méen, op. cit., p. 214), il est difficile d’admettre que cette autre autre prière au tour très inégalitaire ait été récitée : Lavaromp breman ur Bater hag un Ave evid d’ar pinvidik da binvidikaat ha d’ar paour da chom en e stad. « Récitons maintenant un Pater et un Ave pour que le riche s’enrichisse et que le pauvre demeure dans son état ».

69 Cité par Calvez (Ronan), op. cit., p. 230.

70 Cité dans Ancêtres et terroirs, op. cit., p. 319.

71 Kannadig = petit messager. C’est le titre du bulletin paroissial.

72 Inisan (Lañ), La bataille de Kerguidu, Paris, 1977 ( traduction par Yves Le Berre), p. 219.

73 Cité par Calvez (Ronan), op. cit., P. 78-79.

74 Par « grand curé », on désigne un prêtre qui exerce une grande influence. Les grands curés, écrit Yves Le Gallo, furent « plus importants que l’évêque et le préfet ». Un Recteur sous la Troisième République, BSAF 1972/2 p. 804.

75 Fily (Guillaume), Notes sur la famille Fily (inédit), p. 54.

76 Ibid., p. 50-54.

77 Ibid., p. 54. Le chanoine Fily précise encore qu’il fit part de cette croyance à Louis Salou, alors vicaire à la paroisse Saint-Martin de Brest et qui sera « l’un des Missionnaires les plus grands et les mieux écoutés » du diocèse. Son interlocuteur lui répondit qu’il le croyait également et ajouta : « J’ai été parfois étonné en voyant ici, à Brest, des vocations naître dans certains milieux, dans certaines familles... J’ai eu tort de m’étonner. Ceux-ci ont au Ciel un grand-parent qui prie pour eux » (Ibid. p. 55).

78 Au début des années 1960, certains prêtres léonards expliquaient encore ainsi certains malheurs familiaux.

79 La bataille de Kerguidu, op. cit., p. 318.

80 Né de Louis Martin et d’Anne Le Guen, de Kerarfanc en Ploudaniel, Nicolas Martin épouse, en janvier 1811, Marie-Françoise Soubigou, elle-même née à Kergréguen de Nicolas et de Marie-Renée Abhervé-Guéguen. En novembre 1809, sa sœur Marie-Yvonne Martin avait épousé Jean-Marie Soubigou, frère de Marie-Françoise.

81 Agés de 4 ans, 6 ans, 8 mois, 12 ans et 11 ans, ces enfants meurent les 3, 4, 9, 17 et 30 octobre. Leur mère meurt à son tour le 29 juillet 1827. Leur père se remarie en janvier 1830. De son union avec Annette Morry naissent 10 enfants.

82 Un enfant Soubigou de la maison voisine, Théodore, est également emporté par cette même épidémie le 7 octobre 1826.

83 Généalogie... op. cit., p. 53. Auguste Soubigou est né en 1852 de François-Louis et de Françoise Allançon.

84 Hervelina Geraouell, op. cit., p. 47.

85 Assez récemment, un descendant de marchands de toile me signalait qu’il venait de régler avec deux autres membres de sa famille le partage de près de 300 ha et de plusieurs fermes. Un certain nombre de ces biens ont été acquis au xviiie siècle et peut-être avant.

Table des illustrations

Titre Tableau I
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Titre Tableau II
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Titre Tableau III
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Titre Tableau IV
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Titre Alliances matrimoniales entre des Juloded de la Kentañ trouc'h entre 1725 et 1785
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Titre Alliances matrimoniales conclues au sein de l'eil trouc'h entre 1844 et 1876
Légende Légende :
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© Presses universitaires de Rennes, 1996

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