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Les cisterciens en Bretagne

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André Dufief

3e partie. Le temps des compromis (vers 1180-vers 1300)

Chapitre V. Les premiers signes d’évolution (vers 1180-vers 1210)

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

1Les trente années qui s’écoulent entre 1180 et 1210 voient une nouvelle politique domaniale s’esquisser à Buzay, à Melleray, et à La Vieuville. Elle est marquée à la fois par l’extension du temporel de ces abbayes et de profondes transformations : les dotations en revenus commencent à prendre une place prépondérante dans les nouvelles acquisitions et la règle du faire-valoir direct subit de premières entorses.

Les nouvelles conditions

La reconstitution politique et ses conséquences

2De la reconstitution politique et de l’affermissement de l’administration ducale à partir du gouvernement des Plantagenêts, nous ne voulons retenir que les incidences sur le développement du mouvement cistercien en Bretagne.

  • 1 Don d’Olivier de Châteaufromont à Melleray en 1191, ADLA, H 75/7, reçu « dans la main » de Maurice (...)
  • 2 Dons de Guillaume de Bourgneuf entre 1170 et 1177, BN, ms. 22325, f° 529, 583-597 ; de Thomas de P (...)
  • 3 Don de Geoffroy, voyer de Dol (1147-1179), BN, ms. fds. fs. 22325, f° 536.

3À partir de 1180 environ, les conflits qui opposent en effet les moines blancs à leurs voisins ne se terminent plus toujours par la seule intervention des autorités spirituelles. Certes, nous voyons encore certains évêques, tel Maurice de Blason (1187-1198) et Geoffroy (1199-1212), perpétuer les traditions de leurs illustres prédécesseurs nantais, Bernard et Robert, en intervenant auprès des donateurs ou en consignant dans des chartes qu’ils authentifient de leur sceau les donations faites aux religieux de Buzay et de Melleray1. De même, les moines de La Vieuville prennent soin de faire enregistrer les dons qui leur sont faits par le doyen du chapitre de Dol2 ou, qui mieux est, par l’évêque de l’antique métropole de Bretagne3. Ils n’hésitent pas à faire appel à la papauté en cas de conflits avec les parents ou les héritiers d’un donateur, tel celui qui les oppose à la famille Du Guesclin.

  • 4 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 776 et BN, ms. 22325, f° 518.
  • 5 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 679, BN, ms.22325, f° 569, 580-581.
  • 6 Notons que c’est à Saint-Sauveur de Dinan que tenait sa cour, au début du xiiie siècle, le sénécha (...)
  • 7 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 679, et BN, ms. fds. fr. n° 22325, f° 580, 581, 680.
  • 8 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 686.

4Floride de Monstierjean et ses fils Geoffroy, Richard et Guillaume Du Guesclin avaient en effet donné à La Vieuville, vers 1150, une terre située en La Fresnais4. Trente ans plus tard, Geoffroy remet en cause cette donation. Pour arbitrer le désaccord, le Pape mande l’abbé de Saint-Jacut et l’évêque d’Avranches qui ouvrent une enquête. Des témoins viennent jurer que les moines possédaient la terre depuis trente ans et que Geoffroy, à son retour de Jérusalem, avait reconnu ce fait en présence du bouteiller de Dol, son seigneur. On transige donc, Geoffroy obtenant l’équivalent en nature d’une rente de dix sous angevins5. Il promet ensuite sur l’Évangile de respecter l’accord et de laisser les religieux en paix, en l’église des moines de Saint-Sauveur de Dinan6. Enfin, il se rend à La Vieuville et, en présence notamment de l’abbé Moïse et du prieur de l’abbaye, dépose sur l’autel de l’église abbatiale les lettres qui enregistrent l’accord intervenu7. Qu’advient-il ensuite ? On ne le sait ; toujours est-il qu’un an plus tard on voit l’abbé de Saint-Jacut fulminer la sentence de l’excommunication à l’adresse de Geoffroy, coupable d’avoir failli à ses engagements8.

  • 9 ADLA, H 47.
  • 10 Il était sans doute prévôt ducal ; cf. La Borderie, ADIV, 1 F 458, F° 24.
  • 11 Cf. ADLA, H 23/1, si illam glacia evelli contigerit.

5À la fin du xiie siècle, cependant, les conflits ne se terminent plus par la seule intervention des autorités spirituelles notamment des évêques diocésains, comme à Nantes du temps de Bernard et de Robert. Leur tutela est désormais insuffisante et il faut faire appel à des hommes qui entendent des témoins et disent le droit. En 1183, par exemple, le sénéchal de Nantes, Pierre Guy intervient aux côtés de l’évêque Robert, vieillissant, pour régler un litige opposant les religieux de Buzay à Aremburge, veuve Dagar, au sujet de l’écluse de Vair9. Entre 1186 et 1201, c’est un certain Judicaël de Guérande qui s’intitule praetor de Nantes10 qui rend une sentence d’arbitrage entre les mêmes religieux de Buzay et les pêcheurs de Chantenay à propos de l’entretien et des réparations des pêcheries établies près de l’île Botty et de trois écluses en Loire. Judicaël ordonne une expertise des travaux à entreprendre afin d’estimer le montant des réparations à la charge de chacune des deux parties, prévoyant même le cas où des dommages pourraient être causés par des glaces exceptionnellement charriées par la Loire11.

  • 12 Cf. chapitre III, note 196.
  • 13 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 658 ; BN, ms. fds. fr. n° 22325, f° 522 et 22337, f° 93-94.

6Ces hommes de loi dont les interventions se font plus fréquentes à la fin du xiie siècle, de même que les seigneurs qu’ils assistent, ont parfois été mis en place par les Plantagenêts. Le plus ancien acte de procédure que nous connaissions concernant les Cisterciens bretons est en effet un acte d’arbitrage rendu dès 1167 par Jean de Subligny, commis par le roi Henri II à régir « l’honneur de Dol »12. Le différend opposait les moines de La Vieuville à des chevaliers voisins au sujet de la forêt de Bourgoët donnée par Jean II de Dol 13. Les religieux assuraient l’avoir reçue exemptée de toute servitude. Les chevaliers prétendaient de leur côté y avoir gardé leurs droits de forestage. Jean de Subligny fit alors ordonner une enquête auprès des gens du pays, en présence de son frère Adam qui présidait sa cour à sa place ce jour-là, de Geoffroy, doyen du chapitre de Dol, de Luc, abbé de La Vieuville. Il ressortit de l’enquête que Jean II de Dol avait donné douze deniers angevins de rente annuelle à son maître forestier Jean de Langan et à ses fils en échange de leur renonciation au droit de forestage dans la forêt de Bourgoët. L’assiette de cette rente était constituée par le droit de gîte de Jean de Dol à Tavel. Il les avait dispensés également de lui remettre les coupes et les écuelles qu’ils lui donnaient chaque année pour exercer le droit de forestage dans la forêt de Tanouarn. Jean et ses fils donnèrent alors à Hamon et à Even le Chat, à qui ils avaient rétrocédé ce droit les six deniers de rente qu’ils leur versaient annuellement en échange13.

  • 14 Cf. ADLA, H 59.
  • 15 Cf. Canivez, Statuta…, t. I, p. 198, 1196, 1.

7Ainsi, les efforts conjugués des autorités spirituelles et des agents d’une administration ducale mieux organisée, découragent peu à peu les contestataires et les usurpateurs. À Buzay, par exemple, les seuls conflits de quelque importance opposent l’abbaye à d’autres établissements religieux. En 1190, l’abbé de Buzay, pour conserver l’île de Chalières, cède à celui de Blanche-Couronne dix livres, la moitié d’un quartier de vigne à Prigny, un pré à Cordemais, un pré à Rohart14. En 1196, le Chapitre Général de l’ordre cistercien confie à l’abbé de Clairvaux le soin de régler une querelle entre Buzay et l’abbaye de Tournus, sans doute pour son prieuré de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu15. Ces rivalités, rapidement terminées, sont les conséquences de l’extension du patrimoine et du rayonnement des abbayes.

Le renforcement de l’appui ducal

8Celles-ci reçoivent en effet d’importantes donations qui sont dues tout d’abord au renouveau et au renforcement de l’appui que leur accordent les milieux dirigeants du duché.

La participation des ducs à l’élan de générosité à l’égard des Cisterciens

  • 16 Cf. ADLA, H 56 et Dom Morice, Preuves, t. I, col. 679.
  • 17 Cf. ADLA, H 57.
  • 18 Cf. ADLA, H 19.
  • 19 Original, ADCdA, H (sans cote), Dom Morice, Preuves, I, col. 698.
  • 20 Cf. ADLA, H 75, 19.
  • 21 Cf. Geslin de Bourgogne, op. cit., III, p. 226-227, VIII.
  • 22 Ibid., nos autem adsensum mandatis ipsius largientes, et ipsius votum quod Deo volerat reddere cup (...)
  • 23 Ibid., IX. Il agit de même à l’égard de la Vieuville ; cf. BN, 22325, f° 533.

9Les ducs tout d’abord participent activement à l’élan de générosité à l’égard des Cisterciens. Geoffroy concède à Buzay vingt livres de rentes à prendre sur ses moulins de Vue et du Pilon16. La duchesse Constance surtout, renouvelant la tradition léguée par Ermengarde, semble porter une affection toute particulière aux moines blancs. Elle fonde à Buzay des anniversaires dotés d’une maison près de Nantes17 et d’une île en Loire18, à la mémoire de son père Conan IV et de son premier mari Geoffroy. En 1184- 1186, elle confirme la fondation de Bonrepos qu’elle prend sous sa protection19. Entre 1199 et 1201, avec l’accord de son troisième mari, Guy de Thouars et de son jeune fils Arthur, héritier du duché, elle donne quarante sous de rente à l’abbaye de Melleray20. Sur son lit de mort enfin elle charge Guy de Thouars d’accorder à Boquen cent sous de rente21. Ce dernier, « entièrement d’accord avec les désirs de sa femme et désirant réaliser son vœu » s’acquitte de sa mission en 120522. Peu après il confirme les biens et possessions de l’abbaye en les délimitant scrupuleusement23.

Pressions des ducs sur leur entourage

  • 24 Cf. BN, ms. 22325, f° 513.
  • 25 Cf. ADLA, H 19.
  • 26 Cf. ADLA, H 23.

10Les ducs, d’autre part, incitent les seigneurs de leur entourage à se montrer généreux envers les moines blancs. Entre 1181 et 1186, par exemple, Jean de La Jaille abandonne à La Vieuville ses droits sur la dîme de La Hairière en présence du duc Geoffroy qui authentifie l’acte de donation de son sceau24. Judicaël de Guérande fonde une chapellenie à Buzay en présence de la duchesse Constance25. Even Bourdin lui donne la moitié de l’île Botty et un emplacement au Bourg-Main de Nantes26.

La fondation de l’abbaye de Villeneuve

  • 27 Plusieurs actes énumèrent les transactions qui eurent lieu à l’occasion de la fondation de Villene (...)

11Aucune intervention ducale cependant n’a le retentissement de la fondation de l’abbaye de Villeneuve. Celle-ci est entreprise en l’an 120027, par la duchesse Constance, pour le bonheur de son fils chéri, Arthur de Bretagne. Elle doit être mise en rapport avec un remaniement contemporain du patrimoine de l’abbaye de Buzay : l’échange de la grange de Chèvredent.

  • 28 Cf. ADLA, H 86/1.
  • 29 Cf. La Borderie, Actes des ducs de Bretagne, LXVIII, p. 130-133.
  • 30 Cf. ADLA, H 57.

12D’une part la duchesse cède à des religieux venus de Buzay le lieu-dit Curtis-Maria ; cent livres de monnaie courante dont soixante-dix assignées sur les fiefs de Girard, de La Drulie et de Saint-Léobin et sur les possessions de Constance situées entre la Logne et la Boulogne et trente à prendre sur les revenus de la prévôté de Nantes, à la Saint-Jean, à la Saint-Nicolas et à la Quadragésime. La duchesse y ajoute dix livres sterling sur son comté de Richmond en Angleterre, un quarteron de terres à La Cortinière, un quarteron à Mont-Breuil et une partie de La Laurencerie au cas où cette dernière terre ne serait pas suffisante pour cinq charruées, des droits d’usage et de pâture dans la forêt de Nantes28. Surtout l’ancienne grange de Villeneuve, appartenant à Buzay, est donnée au nouvel établissement qui en prend le nom29, ainsi qu’une chaussée à Château-Thébaud pour y construire un moulin. En retour, l’abbaye de Buzay reçoit, de la duchesse Constance, le Bois-Benoît afin d’y édifier une grange, un tenancier, Guillaume Benaut et sa tenure, l’écluse de Carquefou, cent sous de rente sur les moulins du Pilon, un moulin à drap et des pêcheries près de la chaussée du Pilon30.

  • 31 Ibid. Après bien des tâtonnements et sans doute un transfert du site en 1205 (ADLA, H 86/4) ; le n (...)

13D’autre part, les religieux de Buzay acceptent de restituer au domaine ducal la grange de Chèvredent. On leur promet en échange trois cents sous de rente dont deux cents sur les moulins de l’Erdre et cent sur les revenus de la prévôté de Nantes. Ils conservent en outre à Chèvredent leurs prés, leurs vignes et leurs terres situées hors de la forêt de Nantes et les droits d’usage et de pâturage qu’ils y possédaient auparavant31.

L’appui plus soutenu de la haute aristocratie

14De leur côté, les châtelains et leurs vassaux se montrent à la fin du xiie siècle souvent plus généreux que leurs pères.

  • 32 En 1207 ; cf. Blanchard (R.), Cartulaire des sires de Retz, t. I, p. LXXII.
  • 33 Cf. ADLA, H 44 ; H 72, p. 62.
  • 34 Cf. ADLA, H 24.
  • 35 Raoul De Chéméré, ADLA, H 44 ; P. Palastre (1199), H 26 ; J. Hodierne (1199-1203), H 24.
  • 36 Cf. ADLA, H 61 (1192-1198).
  • 37 Notamment les sires de La Garnache (ADLA, H 26, 1199, et H 24) et les sires de Montaigu (ADLA, H 7 (...)

15Harscouët, sire de Retz depuis 1172, ne cesse, par exemple, de s’intéresser à Buzay jusqu’à sa mort32 ; il lui assigne des rentes33, lui fait d’importantes concessions, dont des marais à Bouin34 et invite ses vassaux à suivre son exemple35. Eudes, seigneur de Pontchâteau, lui concède soixante sous de rente sur le marché de sa ville pour la fondation d’une chapellenie36. Buzay, enfin, entre en contact avec les seigneurs poitevins de la frontière bretonne37.

  • 38 ADLA, H 75.
  • 39 Ibid.
  • 40 Dom Morice, Preuves, I, 696 ; ADLA, H 75.
  • 41 Ibid.
  • 42 ADLA, H 75.
  • 43 Ibid et H 61.
  • 44 Ibid.

16Les religieux de Melleray, de leur côté continuent de profiter de la bienveillance des seigneurs d’Ancenis. Dès 1177, Guihénoc, fils de Geoffroy, leur fait don d’une terre située en bordure de la Loire à Ancenis38. Marquise, femme de Geoffroy V, qui avait adopté un clerc nommé Hervé et lui avait concédé, à titre viager, la dîme de Varades, fait des religieux ses légataires39. Bonabes de Rougé, petit-fils du fondateur de l’abbaye, venu assister à la dédicace de l’église abbatiale le 7 août 1183, donne en ce jour solennel toutes les dîmes qu’ils possédaient dans la paroisse de Saint-Aubin- des-Châteaux40. Quelques jours plus tard, son fils, Olivier II, confirme cette fondation41. Geoffroy II, baron de Châteaubriant, voulut, de son côté, fonder une chapellenie dans la nouvelle église et, en présence de Maurice de Blason, évêque de Nantes, il donna à l’abbé Haimon et aux religieux une rente perpétuelle de cent sous angevins à percevoir sur une rente de cent livres qui lui étaient dus à Nantes42. Un autre châtelain, Eudes de Pontchâteau, fonda lui aussi deux chapellenies, l’une en l’abbaye de Buzay, l’autre en l’abbaye de Melleray, pour la dotation desquelles il donna ses droits de coutume et de justice sur le marché de Pontchâteau à l’exception des cas de viol, de pendaison de voleur et de meurtre43. Ce fut encore une chapellenie que fonda Olivier de Châteaufromont ; pour s’acquitter des honoraires des messes il donna aux religieux de Melleray la moitié de ses dîmes de Saint-Herblon, de La Roussière et de Châteaufromont44.

  • 45 Cf. Delisle (L.), Recueil des actes de Henri II, roi d’Angleterre et duc de Normandie concernant l (...)
  • 46 Ibid., p. 258-259, CXLVIII : Ex dono Hasculfi de Soligneio qui praefatam ecclesiam fundavit.
  • 47 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 691. BN, ms. 22337, f° 105.
  • 48 20 acres de terre en 1183, cf. Dom Morice, Preuves, I, 691 ; BN, ms. 22325, f° 517 et 22337, f° 89 (...)
  • 49 Accords avec Jean de Langan, BN, ms. fr. 22325, f° 525, et avec Hamon le Chat, BN, ms. 22325, f° 5 (...)
  • 50 Cf. BN, ms. 22325, f° 593.
  • 51 Dons de Herbert, BN, 22325, f° 592, de Galain « homme d’Hasculphe de Subligny » à Paluel, BN, ms. (...)
  • 52 Cf. BN, ms. 22325, f° 536 et 592 (1177-1179).
  • 53 BN, 22325, f° 581-583 (1170-1177) ; 22325, f° 518 (1180) ; 22325, f° 519.
  • 54 BN, ms. 22325, f° 597, Dom Morice, Preuves, I, 660 (1170-1177).
  • 55 Geoffroy de L’Espine épouse en effet Alice, fille d’Alain Gordan, sénéchal de Dol. Cf. BN, 22325, (...)
  • 56 Guillaume d’Aubigné donne à l’abbaye 4,5 mines de froment à Paluel, BN, 22325, f° 517, donation co (...)
  • 57 Guignon de Chobar (1196), BN, ms. 22325, f° 520, 559, 540, Raoul d’Aubigné (1196), BN, ms. 22325, (...)
  • 58 Hervé Le Mercier vers 1190-1198, cf. Dom Morice, Preuves, I, 692. Gougon Hoël, BN, ms. 22325, f° 5 (...)
  • 59 Guillaume, fils du bouteiller de Dol, 22325, f° 519, Even fils de Solicie, 22325, f° 541-542. Guil (...)

17L’avènement des Plantagenêts et surtout la prise de possession de la baronnie de Combourg, vers 1160-1173, par Hasculphe de Subligny, marquent un tournant dans l’histoire de l’abbaye de La Vieuville. Le nouveau maître du Pays de Dol était en effet largement ouvert aux courants monastiques nouveaux qui traversaient alors la chrétienté occidentale. Vers 1156-1158, il avait témoigné pour la sauvegarde des biens et des droits de l’abbaye de Savigny45. De même, entre 1156 et 1201, il avait confirmé toutes les donations faites à l’abbaye avranchinoise de La Lucerne, abbaye de Prémontrés qu’il avait lui-même fondée avec son frère Richard en 114346. Jusqu’à sa mort, survenue en 1197, il ne va cesser de protéger les moines blancs de La Vieuville. Il confirme les donations de son beau-père Jean II de Dol47, et en ajoute d’autres48. Il arbitre les différends qui opposent les religieux aux petits seigneurs du voisinage, notamment aux forestiers de Bourgoët, décidément tenaces49, ou à Guillaume de La Massue au sujet des droits de justice dans la paroisse de Meillac50. Il suscite enfin la générosité de ses vassaux, assiste à leurs donations et les garantit51. C’est non seulement toute l’aristocratie locale, entraînée par l’exemple venu d’en haut, qui participe ainsi à l’essor de l’abbaye : voyer52, bouteiller53, sénéchal de Dol54, surtout lorsque cette dernière fonction échoit vers la fin du xiie siècle à la famille de L’Espine55, mais aussi de grands seigneurs voisins tels les d’Aubigné56. La Vieuville connaît ainsi à la fin du xiie siècle un rayonnement indiscutable : les chevaliers partant en croisade la comblent de faveur57 ; d’autres, craignant l’approche de la mort, viennent y revêtir l’habit monacal58 ; d’autres, enfin, s’y font inhumer59.

Les transformations

L’extension du patrimoine des abbayes

18L’appui ducal, l’immense succès obtenu par le mouvement cistercien au sein des élites locales ont pour première conséquence d’augmenter le temporel des abbayes et de le faire déborder de son cadre primitif.

  • 60 Donation de Geoffroy Grafion et de son fils Rouaud ; ADLA, H 56 ; ADIV, 1 F 458. (Copie de La Bord (...)
  • 61 ADLA, H 71, don d’Agnès de Bréhen (1185-1198) ; H 46, don de Guillaume de Léon (1201).
  • 62 Le contexte précise qu'il s'agit de la grange de Chéreau.
  • 63 Cf. ADLA, H 61 et supra, n. 37.
  • 64 Cf. ADLA, H 32.
  • 65 Cf. ADLA, H 44 ; donation confirmée par Harscouët de Retz, ibid.
  • 66 Cf. ADLA, H 44.
  • 67 Ibid.
  • 68 Ibid.
  • 69 Cf. ADLA, H 26.
  • 70 Cf. ADLA, H 24.
  • 71 Ibid.
  • 72 Cf. ADLA, inventaire, H 72, p. 62.
  • 73 ADLA, H 24.
  • 74 Ibid.
  • 75 Ibid.

19Les religieux de Buzay peuvent ainsi consolider leur patrimoine dans les environs immédiats de leur monastère. Ils obtiennent des biens dans l’île de Vue60 ; ils regroupent entre leurs mains la totalité de l’Angle-Orucette61 afin d’y édifier une nouvelle grange62 ; ils abandonnent, comme on l’a vu, les granges de Villeneuve et de Chèvredent pour les remplacer par celle du Bois-Benoît plus proche de Buzay. Le fait capital de la fin du xiie siècle reste cependant l’extension de leur influence dans tout le comté nantais. Au nord, Eudes leur concède des rentes sur son marché de Pontchâteau63. Au sud-est, Gaudin, châtelain de Clisson, leur permet, en échange d’une forte compensation, d’obtenir une vigne et une maison dans la ville64. C’est vers le sud et le sud-ouest toutefois que les progrès des religieux sont les plus nets. En 1187, Raoul de Chéméré leur abandonne tout ce qu’il possédait avec ses neveux dans la paroisse de Sainte-Marie de Pornic : des vignes, des terres, des fontaines, ses vassaux, un pressoir, des tonneaux et des ustensiles de vendange65. Peu de temps après, c’est Simon de La Guerche avec son oncle Hates qui concède, après une querelle avec les religieux au sujet de la donation précédente, onze quartiers de vignes, des prés, le cours de la rivière qui va du Bois Quentin au port Saludien et le droit de pêche sur sa rive, la moitié d’une fontaine, un « bourgeois » et… un pressoir. Il se réserve seulement le droit de bris sur les navires et un quart du droit de propriété sur les prés appartenant à Hates66 ; ce dernier l’abandonne d’ailleurs peu après pour cinquante sous67. Harscouët de Retz ajoute à ces possessions dix sous de rente sur les moulins que lui et son épouse, Étiennette, ont fait construire sur la chaussée de Pornic68. Il soutient surtout la tentative d’implantation des religieux le long du rivage de la baie de Bourgneuf où ils commencent ainsi à constituer, autour de Bouin, une annexe de leur temporel qui deviendra considérable. En 1199, il autorise un accord avec P. Palastre au sujet de la saline Foucher69 ; entre 1199 et 1203, il libère quarante-quatre aires de salines données par J. Hodierne70. En 1207, enfin, il donne une saline dans son marais de Bouin71. À ces libéralités, il ajoute des rentes, notamment les dîmes des agneaux et des laines dans le marais de Bouin72. Ses vassaux et ses tenanciers imitent son exemple. En 1205, A. Maréchal donne son fief de quarante aires de salines exploitées par les frères de l’île Chauvet73 ; En 1206, J. de Souché accorde la taille de Bouin74 ; en 1210, Pastiz et Orguen offrent des salines à La Josselinière, à La Robardière et un clos à Coupelasse75.

  • 76 Cf. BN, ms. fr. 22325, f° 519.
  • 77 Don de Jean, voyer de Dol, Dom Morice, I, 692 ; BN, ms. fr. 22325, f° 515.
  • 78 Don de Thomas de Pont-Gérouard, cf. Dom Morice, Preuves, I, 666.
  • 79 Cf. BN, ms. 22325, f° 519.
  • 80 Cf. supra, chapitre IV.
  • 81 Cf. supra, chapitre V, par. 1.
  • 82 Cf. BN, ms. 22325, f° 587.
  • 83 Confirmation du don en 1180 par son frère Zacharie, BN, ms. 22325, f° 542.
  • 84 Cf. BN, ms. 22325, f° 587.
  • 85 Ibid.
  • 86 Ibid., f° 520, 559, 587.

20La même évolution, consolidation des biens acquis, poussée vers la mer, en l’occurence le rivage de la baie du Mont-Saint-Michel, se dessine à La Vieuville dans le dernier tiers du xiie siècle. Le domaine proche de l’abbaye s’enrichit de quatre acres de terre cédées par le Bouteiller de Dol76, de quelques vignes situées dans la région de Dol77, d’une maison78 et d’une platée pour en édifier une autre « à l’intérieur des murs de Dol »79. Par ailleurs, les religieux défendent avec vigueur leurs droits dans la forêt de Bourgoët80. Dans la paroisse de Meillac, enfin, ils constituent peu à peu un important domaine à partir du don initial de La Chapelle-Lazary, effectué par la famille Troussier en 114781 et confirmé par les descendants en 119282. Hamon de Montsorel, avant 118083, Even, fils de Manasser de Meillac, entre 1173 et 119284, Jean Corbon, entre 1173 et 119685, leur cèdent des terres en Pirieuc au milieu desquelles ils peuvent édifier une grange : en 1196 Guigon de Chobar, partant en croisade, leur attribue en effet le tiers de son plessis situé en Pirieuc, « près de la grange des moines »86.

  • 87 Le terme latin viridaria ne désigne pas ici des vergers, mais des « verdières » ou « verdures ». U (...)
  • 88 La paroisse de Paluel, attestée aux xiie et xiiie siècles disparaît à partir du xviiie siècle. Le (...)
  • 89 Ibid.
  • 90 Cf. BN, ms. 22325, f° 520 et 558 (1196).
  • 91 BN, ms. 22325, f° 591 (1173-1198).
  • 92 Sans doute pour les protéger des flots.
  • 93 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 692 ; BN, ms. fds. fr., 22325, f° 526.
  • 94 Cf. BN, ms. 22325, f° 541-574.
  • 95 Ibid., f° 517 (1190-1196).
  • 96 Cf. Dom Morice, I, 726 ; BN, ms. 22325, f° 517, ms. lat. 5476.
  • 97 Don de Thomas de Cherrueix ; BN, ms. 22325, f° 591.
  • 98 Don de Robert de Pomelin (1190-1198) ; BN, ms. 22325, f° 520, 558. La paroisse de Toumen existait (...)
  • 99 Cf. supra.
  • 100 Don de Gougon Hoël (fin du XIIe siècle) ; BN, ms. 22325, f° 585.
  • 101 Confirmation par Rolland III en 1183 ; BN, ms. 22325, f° 531.

21C’est en bordure de la baie du Mont-Saint-Michel, toutefois, que les moines font des progrès décisifs sur des terres nouvellement arrachées à la mer. En 1183, Hasculphe de Subligny, avec l’accord de sa femme Yseult, fille de Jean de Dol, leur cède vingt-six acres de terre dans de « nouvelles verdières »87, situées vraisemblablement dans la paroisse de Saint-Étienne de Paluel, afin d’y édifier une grange88. Celle-ci se constitue dès lors peu à peu : Galan, « homme d’H. de Subligny » donne aux religieux une acre de terre « près de leur maison de Belle-Isle »89 ; Adam Bottier sa dîme90 ; H. Taon, une « verdière »91 et les « terres qu’il avait entourées à Belle-Isle »92 ; Hervé le Mercier de Pontorson, une terre constituée « dans sa nouvelle et grande verdière »93 et une rente de trois mines de froment94 ; Guillaume d’Aubigné une rente de quatre mines et demi de froment95 ; en 1197 enfin G. Farsi leur concède deux acres de terre et une vergée situés « dans l’ancienne verdière qui se trouve près de la maison des moines de Belle-Isle en Paluel »96 ; la nouvelle grange est alors définitivement établie. À côté d’elle les moines possèdent quelques biens ou droits dispersés le long du littoral entre Hirel et Pontorson : des terres en Cherrueix97, une dîme en La Fresnais, intra Toumen988 qui s’ajoute au fonds de terre donné par les Du Guesclin et difficilement conservé99, une terre « située entre le bois de Hirel et la Ville-Dieu, le long du littoral »100, des droits de pêche en Hirel donnés par les évêques de Dol101.

  • 102 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 696.
  • 103 Cf. BN, ms. 22325, f° 541-542.

22À la fin du xiie siècle, les temps difficiles semblent révolus pour les Cisterciens bretons. L’afflux des donations leur permet ainsi d’édifier les bâtiments réguliers indispensables : la dédicace de l’église abbatiale de Melleray a lieu le 7 août 1183 en présence de Robert, évêque de Nantes, de Guihénoc, évêque de Vannes, et de plusieurs seigneurs des alentours102, celle de La Vieuville se fait avant l’épiscopat de Jean de La Mouche à Dol (1194-1198) puisque nous voyons ce prélat confirmer le don fait par Yseult de Combourg « le jour où les moines prirent possession d’une nouvelle abbaye lors de la consécration du grand autel »103.

Les transformations du temporel

  • 104 Cf. tableau n° 6.
  • 105 Cf. tableau n° 7.

23Cet enrichissement ne va pas cependant sans entraîner des modifications dans la physionomie du temporel des abbayes, qui perd peu à peu son aspect d’unité pour la seule production des moyens de subsistance des religieux. Les acquisitions de ces derniers sont, en effet, beaucoup plus variées à la fin du xiie siècle qu’à l’époque précédente : si les biens-fonds gardent la majorité, les rentes et les dîmes occupent désormais une place non négligeable104. Il faut d’ailleurs ajouter que parmi les biens-fonds acquis, les terres à cultiver, les prés, les bas-fonds palustres, les landes ou les bois se font de plus en plus rares au profit des vignes, des salines ou des maisons105. Cette évolution toutefois est variable suivant les trois abbayes dont nous pouvons suivre l’histoire, Melleray, Buzay et La Vieuville.

Tableau n° 6. ÉVOLUTION DU TEMPOREL DES ABBAYES (VERS 1184-VERS 1210)

Tableau n° 6. ÉVOLUTION DU TEMPOREL DES  ABBAYES (VERS 1184-VERS 1210)

Tableau n° 7. NATURE DES ACQUISITIONS DE BIEN-FONDS

Tableau n° 7. NATURE DES ACQUISITIONS DE BIEN-FONDS

Les Cisterciens de Melleray, rentiers du sol

  • 106 Guitern est encore abbé en 1147 (cf. ADLA, H 75/1, Bulle du pape Eugène III) ; cependant Geoffroy (...)
  • 107 Abbatiats de Geoffroy et d’Haimon. Cf. Gallia Christiana, XIV, 868.
  • 108 Don de Guillaume Rubens qui, étant adoubé, donne à Melleray la moitié de sa terre située entre le (...)
  • 109 Ce privilège avait été accordé à l’Ordre par les papes Innocent II et Alexandre III ; (cf. MAHN (J (...)
  • 110 Cf. ADLA, H 75/10 (1206).
  • 111 ADLA, H 75/11 (1199-1212).
  • 112 Ibid.
  • 113 ADLA, H 75/22 (1199-1212).
  • 114 Cf. supra, et ADLA, H 75/17 – 18.
  • 115 Bladi.
  • 116 ADLA, H 75/59 (1198-1206).

24À Melleray, dès le gouvernement du second abbé, Richard (1147-1177)106, les religieux n’acquièrent pratiquement plus que des donations en revenus. Entre 1177 et 1212107, ce phénomène ne fait que s’accentuer. Une seule donation en terre à cultiver leur est faite durant cette période108. En revanche, ils reçoivent six rentes en espèces et surtout huit dîmes. Certes, parmi celles-ci, certaines concernent des terres possédées par les religieux et donc exemptées109. En 1206, par exemple, Geoffroy, évêque de Nantes, leur restitue les dîmes qu’il prélevait sur leurs salines110. Il confirme par ailleurs des dons faits par Olivier de Rougé111, Olivier de Châteaufromont112, G. Guervin113, qui sont également, du moins peut-on légitimement le supposer, des restitutions. En revanche, l’accord passé entre l’abbé Haimon et Marquise d’Ancenis114 est plus douteux. Enfin, les moines n’hésitent pas à se muer eux-mêmes en décimateurs en percevant des dîmes sur les terres d’autrui : entre 1198 et 1206, Guillaume de La Bouëxière leur engage pour mille sous et pendant quinze ans toutes les dîmes qu’il percevait sur les céréales115, le vin, les légumes, le lin, le chanvre, les agneaux et les porcelets116.

Les Cisterciens de Buzay : difficile pauvreté

  • 117 Ibid.
  • 118 Cf. ADLA, H 72, p. 62 ; et supra, par. I.
  • 119 Dont 35 sous sur les tailles de Frossay et cinq sur celles de Bouin, cf. ADLA, H 24, don de Jean d (...)
  • 120 Cf. tableau n° 7.
  • 121 Cf. notes 65, 66, 67 du présent chapitre.
  • 122 ADLA, H 32.
  • 123 ADLA, H 24.
  • 124 Ibid.
  • 125 Ibid. (1207).
  • 126 Ibid. (1210).

25Une évolution identique mais moins poussée se dessine à Buzay à partir de l’abbatiat de Main (1183/1186-1199), ancien cellerier de l’abbaye (1175-1183/1186)117. Certes, les religieux se montrent réservés à l’égard des dîmes et n’en reçoivent qu’une seule, vers 1200, du sire de Retz118 ; elle porte d’ailleurs sur la laine des agneaux paissant dans les marais de Bouin et appartenant peut-être aux moines qui s’implantent alors solidement dans la région. Cependant ils acceptent d’importantes rentes en espèces119 et surtout des biens-fonds dont les deux tiers120 n’ont plus rien à voir avec les solitudes boisées ou marécageuses acquises précédemment : vignes, terres, prés, pressoir, tonneaux de Raoul de Chéméré et de Simon de La Guerche dans la paroisse de Sainte-Marie de Pornic121 ; maison et vigne de Jean Constantin à Clisson122 ; maisons, jardin, vignes du prêtre Aimery Caillée123 ; salines de J. Hodierne124, d’Harscouët de Retz125, de Pastiz126. Toutes ces acquisitions témoignent du désir des religieux d’obtenir des biens susceptibles d’un rendement immédiat et bien supérieur aux besoins de leur propre subsistance.

Les Cisterciens de La Vieuville : une fidélité plus grande aux exigences de la règle

  • 127 Cf. tableau n° 7.
  • 128 Notons cependant une évolution : les terres qui leur sont données dans la baie du Mont-Saint- Mich (...)

26On pourrait en dire autant des Cisterciens de La Vieuville. Ceux-ci malgré tout semblent montrer plus de fidélité aux exigences de leur règle. Ils acquièrent des rentes certes, mais la plupart sont en nature127 et portent sur les revenus des terres voisines de l’abbaye ou de ses deux granges de Paluel et de Pirieuc. Ils reçoivent des dîmes, mais six sur huit concernent des biens nouvellement acquis. Leur préférence, en fait, continue à se porter vers la possession de biens-fonds et notamment sur des terres à cultiver128.

Les débuts d’une nouvelle politique économique : l’exemple de Buzay

27Le dernier signe de mutation apparaît enfin dans le recul de l’exploitation directe du sol, strictement cistercienne, recul motivé par la recherche de revenus plus réguliers et des problèmes de main-d’oeuvre. La politique suivie par les religieux de Buzay est, à cet égard, exemplaire.

L’abandon de la grange de Chèvredent

  • 129 Cf. note 52 du présent chapitre.

28Nous ne reviendrons pas sur leurs acquisitions de rentes sinon pour rappeler les modalités de l’abandon de leur grange de Chèvredent au domaine ducal : ils reçoivent en retour trois cents sous de rentes dont l’assiette est constituée par les moulins ducaux de l’Erdre et les revenus de la prévôté de Nantes129.

Premiers baux « à part de fruits »

  • 130 ADLA, H 26.

29Le fait principal est, qu’en effet, l’exploitation des salines et des vignes, si elle leur procure des revenus substantiels, semble leur poser de sérieux problèmes de main-d’œuvre. Ainsi commencent-ils à établir des tenanciers sur leurs marais salants. Entre 1183 et 1199, ils cèdent à P. Palastre une partie de la saline Foucher à la condition qu’il prête serment de leur servir sans fraude et sans frais la moitié de la récolte qui en reviendra130.

Premiers arrentements

  • 131 Ibid. : Ego G., Buzeii abbas, cum assensu et voluntate seniorum nostrorum… ; ADLA, H 32. Jean Cons (...)

30En 1204, ils arrentent pour soixante sous à Étienne de Villedieu et à Pétronille sa femme, la maison et les vignes données par Jean Constantin à Clisson. L’abbé Gautier semble d’ailleurs hésiter longuement avant de prendre cette résolution peu conforme à l’esprit de la règle cistercienne, et on le voit prendre l’avis des religieux les plus âgés de l’abbaye131.

Premières tenures en précaire

  • 132 ADLA, H 24/19, don d’Harscouët de Retz (1201).
  • 133 ADLA, H 24.

31Celle-ci accepte enfin de recevoir des hommes. Certains sont donnés avec leur famille par leur seigneur qui les libère de toutes redevances à son égard132. D’autres se donnent eux-mêmes. Ils cèdent parfois tous leurs biens aux religieux qui leur en laissent la jouissance toute leur vie durant en échange d’un cens. Ainsi, en 1210, Pastiz homo monachorum Buzeii et sa femme Orguen abandonnent cent soixante-seize aires de salines contre un cens annuel de vingt sous133.

32Acquisitions de rentes et de dîmes, recul du faire-valoir direct : tous ces faits marquent, on le voit, les débuts d’une importante mutation dans la politique domaniale des Cisterciens bretons en même temps qu’ils témoignent d’un relâchement certain par rapport à leur idéal originel de pauvreté. Le temps des compromis commençait, il allait se poursuivre pendant tout le xiiie siècle.

Notes

1 Don d’Olivier de Châteaufromont à Melleray en 1191, ADLA, H 75/7, reçu « dans la main » de Maurice de Blason et authentifié de son sceau et autem hoc donatio firma et illibata permaneat, sigilli nostri appositione fecimus muniri et roborari.
Autres dons du même Olivier de Châteaufromont et d’Olivier de Rougé, reçus pareillement par Geoffroy (1199-1212), ADLA, H 75.

2 Dons de Guillaume de Bourgneuf entre 1170 et 1177, BN, ms. 22325, f° 529, 583-597 ; de Thomas de Pont-Gerouard (1170-1177), BN, ms. 22325, f° 597 et Dom Morice, Preuves, I, 666, de Geoffroy, voyer de Dol, 22325, f° 592, de Geoffroy Pincerne, BN, 22325, f° 581-583 ; de Zacharie de Montsorel (1180), BN, ms. fds. fs. 22325, f° 541.

3 Don de Geoffroy, voyer de Dol (1147-1179), BN, ms. fds. fs. 22325, f° 536.

4 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 776 et BN, ms. 22325, f° 518.

5 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 679, BN, ms.22325, f° 569, 580-581.

6 Notons que c’est à Saint-Sauveur de Dinan que tenait sa cour, au début du xiiie siècle, le sénéchal de Bretagne, Juhel de Mayenne ; cf. Geslin de Bourgogne et De Barthélemy, Anciens évêchés de Bretagne, t. III, chap. II.

7 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 679, et BN, ms. fds. fr. n° 22325, f° 580, 581, 680.

8 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 686.

9 ADLA, H 47.

10 Il était sans doute prévôt ducal ; cf. La Borderie, ADIV, 1 F 458, F° 24.

11 Cf. ADLA, H 23/1, si illam glacia evelli contigerit.

12 Cf. chapitre III, note 196.

13 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 658 ; BN, ms. fds. fr. n° 22325, f° 522 et 22337, f° 93-94.

14 Cf. ADLA, H 59.

15 Cf. Canivez, Statuta…, t. I, p. 198, 1196, 1.

16 Cf. ADLA, H 56 et Dom Morice, Preuves, t. I, col. 679.

17 Cf. ADLA, H 57.

18 Cf. ADLA, H 19.

19 Original, ADCdA, H (sans cote), Dom Morice, Preuves, I, col. 698.

20 Cf. ADLA, H 75, 19.

21 Cf. Geslin de Bourgogne, op. cit., III, p. 226-227, VIII.

22 Ibid., nos autem adsensum mandatis ipsius largientes, et ipsius votum quod Deo volerat reddere cupientes…

23 Ibid., IX. Il agit de même à l’égard de la Vieuville ; cf. BN, 22325, f° 533.

24 Cf. BN, ms. 22325, f° 513.

25 Cf. ADLA, H 19.

26 Cf. ADLA, H 23.

27 Plusieurs actes énumèrent les transactions qui eurent lieu à l’occasion de la fondation de Villeneuve, cf. ADLA, H 57 ; H 86/1 (copie de la fin du xixe siècle due probablement à La Borderie) ; La Borderie, Actes des ducs de Bretagne, LXVII, p. 130-133.

28 Cf. ADLA, H 86/1.

29 Cf. La Borderie, Actes des ducs de Bretagne, LXVIII, p. 130-133.

30 Cf. ADLA, H 57.

31 Ibid. Après bien des tâtonnements et sans doute un transfert du site en 1205 (ADLA, H 86/4) ; le nouvel établissement finira par se fixer près de l’ancienne grange de Buzay.

32 En 1207 ; cf. Blanchard (R.), Cartulaire des sires de Retz, t. I, p. LXXII.

33 Cf. ADLA, H 44 ; H 72, p. 62.

34 Cf. ADLA, H 24.

35 Raoul De Chéméré, ADLA, H 44 ; P. Palastre (1199), H 26 ; J. Hodierne (1199-1203), H 24.

36 Cf. ADLA, H 61 (1192-1198).

37 Notamment les sires de La Garnache (ADLA, H 26, 1199, et H 24) et les sires de Montaigu (ADLA, H 72).

38 ADLA, H 75.

39 Ibid.

40 Dom Morice, Preuves, I, 696 ; ADLA, H 75.

41 Ibid.

42 ADLA, H 75.

43 Ibid et H 61.

44 Ibid.

45 Cf. Delisle (L.), Recueil des actes de Henri II, roi d’Angleterre et duc de Normandie concernant les provinces françaises et les affaires de France, Paris, t. I, 1927, p. 182-186, LXXIX et LXXX.

46 Ibid., p. 258-259, CXLVIII : Ex dono Hasculfi de Soligneio qui praefatam ecclesiam fundavit.

47 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 691. BN, ms. 22337, f° 105.

48 20 acres de terre en 1183, cf. Dom Morice, Preuves, I, 691 ; BN, ms. 22325, f° 517 et 22337, f° 89 ; 4 acres entre 1173 et 1197, Dom Morice, I, 692.

49 Accords avec Jean de Langan, BN, ms. fr. 22325, f° 525, et avec Hamon le Chat, BN, ms. 22325, f° 591.

50 Cf. BN, ms. 22325, f° 593.

51 Dons de Herbert, BN, 22325, f° 592, de Galain « homme d’Hasculphe de Subligny » à Paluel, BN, ms. 22325, f°540 ; de Thomas de Cherrueix, BN, 22325, f° 591 ; de Gervais Baderon, 22325, f° 515 ; des descendants de Manesser de Meillac, 22325, f° 582 ; de Jean Corbon, 22325, f° 587 ; de Robert Taon, Dom Morice, Preuves, I, 692 ; d’Adam Botier, BN, ms. 22325, f° 520-558 ; de Guigon de Chobar, 22325, f° 520 et 558 ; de Robert de Pomelin, BN, 22325, f° 569 ; d’Hervé Le Mercier, Dom Morice, Preuves, I, 692 ; de Guillaume L’Espine, 22325, f° 51 ; de Jean, voyer de Dol, Dom Morice, Preuves, I, 692.

52 Cf. BN, ms. 22325, f° 536 et 592 (1177-1179).

53 BN, 22325, f° 581-583 (1170-1177) ; 22325, f° 518 (1180) ; 22325, f° 519.

54 BN, ms. 22325, f° 597, Dom Morice, Preuves, I, 660 (1170-1177).

55 Geoffroy de L’Espine épouse en effet Alice, fille d’Alain Gordan, sénéchal de Dol. Cf. BN, 22325, f° 516, 533-534. Il devient sénéchal de Dol à la fin du xiie siècle ; cf. BN, ms. 22325, f° 519.

56 Guillaume d’Aubigné donne à l’abbaye 4,5 mines de froment à Paluel, BN, 22325, f° 517, donation confirmée par son fils Raoul, BN, 22325, f° 529.

57 Guignon de Chobar (1196), BN, ms. 22325, f° 520, 559, 540, Raoul d’Aubigné (1196), BN, ms. 22325, f° 529, 22337, f° 90-91.

58 Hervé Le Mercier vers 1190-1198, cf. Dom Morice, Preuves, I, 692. Gougon Hoël, BN, ms. 22325, f° 585.

59 Guillaume, fils du bouteiller de Dol, 22325, f° 519, Even fils de Solicie, 22325, f° 541-542. Guillaume de L’Espine (après 1198), 22325, f° 533-534, 634.

60 Donation de Geoffroy Grafion et de son fils Rouaud ; ADLA, H 56 ; ADIV, 1 F 458. (Copie de La Borderie).

61 ADLA, H 71, don d’Agnès de Bréhen (1185-1198) ; H 46, don de Guillaume de Léon (1201).

62 Le contexte précise qu'il s'agit de la grange de Chéreau.

63 Cf. ADLA, H 61 et supra, n. 37.

64 Cf. ADLA, H 32.

65 Cf. ADLA, H 44 ; donation confirmée par Harscouët de Retz, ibid.

66 Cf. ADLA, H 44.

67 Ibid.

68 Ibid.

69 Cf. ADLA, H 26.

70 Cf. ADLA, H 24.

71 Ibid.

72 Cf. ADLA, inventaire, H 72, p. 62.

73 ADLA, H 24.

74 Ibid.

75 Ibid.

76 Cf. BN, ms. fr. 22325, f° 519.

77 Don de Jean, voyer de Dol, Dom Morice, I, 692 ; BN, ms. fr. 22325, f° 515.

78 Don de Thomas de Pont-Gérouard, cf. Dom Morice, Preuves, I, 666.

79 Cf. BN, ms. 22325, f° 519.

80 Cf. supra, chapitre IV.

81 Cf. supra, chapitre V, par. 1.

82 Cf. BN, ms. 22325, f° 587.

83 Confirmation du don en 1180 par son frère Zacharie, BN, ms. 22325, f° 542.

84 Cf. BN, ms. 22325, f° 587.

85 Ibid.

86 Ibid., f° 520, 559, 587.

87 Le terme latin viridaria ne désigne pas ici des vergers, mais des « verdières » ou « verdures ». Une « verdière » est selon Du Cange « une terre basse qui se trouve sur le bord de la mer et qui est fertile en herbes vertes ». Atteinte par les flots seulement au moment des plus hautes marées, elle est formée par un gazon très fin, très court, qui constitue le « pré salé » rendu célèbre dans la baie du Mont-Saint-Michel par les moutons qu’on y élève. Au xixe siècle, de nombreuses « verdières » ont été mises en culture et transformées en de magnifiques polders à l’abri de nouvelles digues… devant lesquelles l’herbe ne cesse de se reconstituer. L’effort de l’homme contre les forces naturelles commença cependant, comme on peut le voir, dès le xiie siècle.

88 La paroisse de Paluel, attestée aux xiie et xiiie siècles disparaît à partir du xviiie siècle. Le nom s’est conservé dans un hameau situé en Roz-sur-Couesnon près de la digue édifiée au xiie siècle. Les moines y possédaient une grange en Belle-Isle. Cf. BN, ms. 22337, f° 89-90.

89 Ibid.

90 Cf. BN, ms. 22325, f° 520 et 558 (1196).

91 BN, ms. 22325, f° 591 (1173-1198).

92 Sans doute pour les protéger des flots.

93 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 692 ; BN, ms. fds. fr., 22325, f° 526.

94 Cf. BN, ms. 22325, f° 541-574.

95 Ibid., f° 517 (1190-1196).

96 Cf. Dom Morice, I, 726 ; BN, ms. 22325, f° 517, ms. lat. 5476.

97 Don de Thomas de Cherrueix ; BN, ms. 22325, f° 591.

98 Don de Robert de Pomelin (1190-1198) ; BN, ms. 22325, f° 520, 558. La paroisse de Toumen existait encore au xive siècle ; elle n’existait plus au xve siècle. Comme le texte semble l’indiquer, elle devait se trouver en bordure de la baie du Mont-Saint-Michel. Guillotin de Corson (Pouillé historique…, t. IV, p. 278) en fait une enclave doloise voisine de Saint-Coulomb ; le nom est conservé pour désigner un rocher allongé situé près de la pointe du Grouin, en Cancale. L’existence de la paroisse au XIIe siècle ne fait en tout cas aucun doute : rappelons que les moines de La Vieuville reçoivent en 1137 deux parts de ses dîmes. Duas etiam partes decimae dimidiae parrochiae de Toumen omnino liberas et quietas (Dom Morice, Preuves, I, 575).

99 Cf. supra.

100 Don de Gougon Hoël (fin du XIIe siècle) ; BN, ms. 22325, f° 585.

101 Confirmation par Rolland III en 1183 ; BN, ms. 22325, f° 531.

102 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 696.

103 Cf. BN, ms. 22325, f° 541-542.

104 Cf. tableau n° 6.

105 Cf. tableau n° 7.

106 Guitern est encore abbé en 1147 (cf. ADLA, H 75/1, Bulle du pape Eugène III) ; cependant Geoffroy seigneur d’Ancenis, mort en 1147, cède sur son lit de mort 24 lamproies « dans la main de l’abbé Richard » (cf. ADLA, H 75/60). Ce dernier n’était plus abbé en 1177 (ADLA, H 75, don de Guihénoc d’Ancenis à l’abbé Geoffroy).

107 Abbatiats de Geoffroy et d’Haimon. Cf. Gallia Christiana, XIV, 868.

108 Don de Guillaume Rubens qui, étant adoubé, donne à Melleray la moitié de sa terre située entre le chemin Bernard et la fontaine de Felgestin ; ADLA, H 75/73.

109 Ce privilège avait été accordé à l’Ordre par les papes Innocent II et Alexandre III ; (cf. MAHN (J. B.), L’ordre cistercien et son gouvernement, des origines au milieu du xiiie siècle, Paris 1945, p. 102-120) ; par ailleurs Eugène III avait exempté les religieux de Melleray des dîmes sur les revenus « qui étaient le fruit du travail de leurs moines » (cf. ADLA, H 75/1).

110 Cf. ADLA, H 75/10 (1206).

111 ADLA, H 75/11 (1199-1212).

112 Ibid.

113 ADLA, H 75/22 (1199-1212).

114 Cf. supra, et ADLA, H 75/17 – 18.

115 Bladi.

116 ADLA, H 75/59 (1198-1206).

117 Ibid.

118 Cf. ADLA, H 72, p. 62 ; et supra, par. I.

119 Dont 35 sous sur les tailles de Frossay et cinq sur celles de Bouin, cf. ADLA, H 24, don de Jean de Coche (1206) ; cf. aussi, notes 63, 67, 74 du présent chapitre.

120 Cf. tableau n° 7.

121 Cf. notes 65, 66, 67 du présent chapitre.

122 ADLA, H 32.

123 ADLA, H 24.

124 Ibid.

125 Ibid. (1207).

126 Ibid. (1210).

127 Cf. tableau n° 7.

128 Notons cependant une évolution : les terres qui leur sont données dans la baie du Mont-Saint- Michel, notamment autour de la grange de Paluel n’ont pas été gagnées sur la mer par les moines et ceux-ci semblent bénéficier là des efforts accomplis par d’autres. Il en va de même pour les biens acquis en Meillac au voisinage de la grange de Pirieuc, à l’exception peut-être des « Gats » vendus vers 1190 par Robert dit le « Pugnor » ou le « Fotor » (cf. BN, ms. 22325, f° 587-589 ; Dom Morice, Preuves, I, 721).

129 Cf. note 52 du présent chapitre.

130 ADLA, H 26.

131 Ibid. : Ego G., Buzeii abbas, cum assensu et voluntate seniorum nostrorum… ; ADLA, H 32. Jean Constantin s’était lui-même « donné » à l’abbaye. Il est plausible de supposer qu’à sa mort le problème de main-d’oeuvre s’est posé, d’où l’arrentement envisagé.

132 ADLA, H 24/19, don d’Harscouët de Retz (1201).

133 ADLA, H 24.

Table des illustrations

Titre Tableau n° 6. ÉVOLUTION DU TEMPOREL DES ABBAYES (VERS 1184-VERS 1210)
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Titre Tableau n° 7. NATURE DES ACQUISITIONS DE BIEN-FONDS
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