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Les cisterciens en Bretagne

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André Dufief

2e partie. Le temps du refus (1130-vers 1180)

Chapitre IV. Une stricte fidélité à l’idéal primitif

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Géographique :

France

Texte intégral

1Dans un premier temps, c’est-à-dire jusqu’en 1180 environ, les Cisterciens bretons sont, dans l’ensemble, restés fidèles à leur idéal. Cela apparaît, avec des nuances, quand on étudie les sites et la situation de leurs monastères, l’édification et la mise en valeur du temporel de ces derniers.

Situation et site des monastères

Site des monastères

  • 1 Cf. « Statuta Capitulorum » édit. Canivez, t. I, p. 13.
  • 2 Cf. Arismatus, « Les emplacements malsains », Revue du Moyen Âge Latin, t. III, n° 4, 1947, p. 372 (...)
  • 3 Cf. Dimier (Dom A.), Dumontier (P.), « Encore les emplacements malsains », RMAL, t. IV, n° 1, 1948 (...)
  • 4 Sancti enim patres majores nostri, valles humidas et declives, monasteriis extruendis indigebant, (...)

2Les caractères mêmes de la Règle interdisaient aux Cisterciens de construire leurs monastères n’importe où. Aux xiie et xiiie siècles, les Institutions de l’Ordre insistent à plusieurs reprises sur l’obligation d’isolement de ces derniers : « Ce n’est ni dans les châteaux, ni dans les cités, ni dans les villages qu’il nous faut édifier nos couvents, mais bien dans des lieux éloignés de la fréquentation des humains »1. Ce goût pour la solitude a fait croire que non seulement les Cisterciens ont systématiquement recherché l’éloignement des lieux habités, mais encore, qu’ils se sont établis dans les endroits les plus déshérités. Au xviie siècle, certains auteurs monastiques n’hésitèrent même pas à les dépeindre, fuyant la mollesse du monde pour s’établir au milieu des brumes malsaines de lieux bas et marécageux. Là, leur santé s’affaiblissait progressivement et ils pouvaient ainsi garder constamment devant leurs yeux l’image salutaire et rédemptrice de la mort2. Les études du Père Dimier ont montré le caractère abusif de ces affirmations3. La prédilection morbide des Cisterciens pour les emplacements insalubres n’est, selon lui, qu’une fable élaborée à partir d’une lettre du bienheureux Fastrède, troisième abbé de Clairvaux, mort en 1169. Désirant réprimander un frère trop enclin au luxe vestimentaire et trop porté sur la bonne chère, ce dernier lui écrivit qu’effectivement l’installation dans des vallées humides évitait aux moines de se laisser aller à une insouciance coupable4. En fait, il faut se fier à saint Bernard pour connaître les vraies raisons de ces installations dans des vallées perdues :

« Les forêts vous apprendront plus que les livres ; les arbres et les forêts vous enseigneront des choses que ne vous enseigneront pas les maîtres de la science »

3et il ajoute :

  • 5 Cf. Migne, Pat. Lat., CLXXXIII, 716 D., De diversis sermo XCIII, n° 2, et CLXXXIII, 578 A.

« C’est dans les humbles vallées qu’il faut se fixer, c’est là en effet que le sol est gras et fertile, là que les plantes profitent, là que les épis sont lourds et que la semence rend au centuple »5.

4Ainsi, s’écartant d’un littoral déjà sans doute assez peuplé et de la haute Bretagne où la concurrence monastique était forte, les Cisterciens se sont de préférence établis au milieu des landes et des forêts de basse Bretagne. Quatre abbayes en effet sont situées sur la ligne nord de ces landes et de ces forêts, depuis l’est du Méné jusqu’à l’ouest des Monts d’Arrée : ce sont Boquen, Bégard, Coëtmaloen, Le Relecq, auxquelles on peut joindre Saint-Aubin-des-Bois ; trois autres abbayes, Bonrepos, Langonnet, Lanvaux, sont établies sur la ligne boisée du sud, des landes de Lanvaux au Ménéz Hom ; une seule se trouve à proximité du littoral, Saint-Maurice-de-Carnoët et trois en haute Bretagne, La Vieuville, Buzay et Melleray.

Les sites privilégiés : des vallées perdues au milieu des landes ou des solitudes boisées

5Les sites où s’élèvent les monastères sont, comme partout, toujours admirablement choisis.

6Notre-Dame-de-Bonrepos

  • 6 Cf. Gautier (M.), La Bretagne centrale, La Roche-sur-Yon, 1947, p. 90.

7En plein cœur de la Bretagne centrale, l’abbaye de Bonrepos dresse ses ruines imposantes au milieu d’un ensemble confus de sommets arrondis et de crêtes « hérissées de formes fantastiques : pitons, épées dressées vers le ciel, ruines qui se penchent comme pour se renverser… dalles basculées et comme suspendues au-dessus des sentiers et des ruisseaux. Paysages déserts, d’une poésie prenante, sous les ciels bas d’hiver, lorsque le vent gémit dans les pins ou hurle sur les landes »6. Le site même, choisi par les Cisterciens, est remarquable : au pied des pinèdes et des futaies qui recouvrent le massif de Quénécan, le long du Blavet, à l’endroit précis où sa vallée, bien que resserrée entre la crête qui s’allonge de Caurel à Gouarec et les hauteurs de Quénécan, reste suffisamment large pour permettre aux prairies de s’étaler sur quelques centaines de mètres. Immédiatement en aval, les flancs de la vallée se rapprochent rapidement pour dessiner un V aigu. Le Blavet s’enfonce en gorges profondes dLa beauté du siteans les schistes et dans les grès dont les parois abruptes dominent ses rives : avant l’édification du barrage de Guerlédan en 1929, il avait fallu construire 18 écluses sur 13 kilomètres pour canaliser son cours.

8Notre-Dame de Boquen

9Il faut chercher longtemps avant de découvrir l’abbaye de Boquen. Perdue au milieu des landes du Méné, l’abbaye est située sur les flancs d’un vallon que draîne un affluent de l’Arguenon. Au sud, le massif de la forêt de Boquen dresse ses croupes arrondies jusqu’à 230 mètres d’altitude. Au nord, l’horizon est limité par deux séries de hauteurs de 150 à 180 mètres, séparées par une étroite coupure, qu’emprunte la rivière et qui permet, seule, d’accéder au monastère.

10Notre-Dame du Relecq

  • 7 Cf. De Warren (Comte H.), La Bretagne Cistercienne, 1946, p. 217.

11« Il y a quelque cinquante ans, les pélerins qui venaient du sud, s’arrêtaient au sommet de l’Arrée ; à un endroit nommé « Roc’h-ar-Zalud » (Le Rocher du Salut), à cinq kilomètres environ de La Feuillée, ils se mettaient à genoux et, les yeux fixés sur le sanctuaire du Relecq, qu’ils venaient de découvrir, ils récitaient dévotement le Pater et l’Ave »7.

  • 8 Cf. Guilcher (A.), Le relief de la Bretagne Méridionale, La Roche-sur-Yon, 1948.

12La beauté du site, outre la dévotion à la Vierge qui draînait vers Le Relecq, les Bretons du Léon, du Trégorrois et de la Cornouaille, explique aisément l’émotion qui saisissait les pieux voyageurs. L’abbaye, en effet, est bâtie dans la haute vallée du Queffleuth, mince rainure, aux versants encaissés, dont les fonds sont tapissés de marais ou de prairies couvertes de joncs et de carex. Les crêtes de l’Arrée, vêtues de maigres landes faisant place çà et là, à de véritables champs de cailloux, la dominent au sud. Constituées d’une bande de quartzites très durs et redressés, elles forment un rempart de chicots élevés (340 à 350 mètres), pointus, difficiles à franchir, au pied duquel s’arrêtent champs et villages8. Au nord-est, par contre, le Queffleuth se glisse entre des collines boisées, moins élevées et plus humanisées.

13Notre-Dame de Lanvaux

  • 9 Cf. Guilcher (A.), ibidem., p. 105.

14Longue barre granitique de trois à quatre kilomètres de largeur moyenne, la crête de Lanvaux s’allonge sur près de quatre-vingt-dix kilomètres depuis le coude du Blavet à Quistinic jusqu’à la cluse de l’Oust entre Glénac et Saint-Perreux. Nous sommes là en présence d’une surface d’érosion déformée, plus basse à ses deux extrémités qu’en son centre, là où, entre le bois de Saint-Bily et celui de Floranges, elle atteint une altitude qui oscille entre 140 et 175 mètres9.

15L’abbaye de Lanvaux, dédiée elle aussi à Notre-Dame, est située précisément dans cette zone centrale, là où la crête arrive jusqu’au bord de la vallée marécageuse, creusée dans les schistes que draîne le Loc’h. Le passage à la dépression s’y fait avec une étonnante rapidité : en quatre ou cinq cents mètres, on descend en effet de quatre-vingts mètres et c’est un abrupt, très raide, couvert de bois qui domine l’abbaye. Celle-ci surplombe elle-même légèrement la vallée du Loc’h.

16Notre-Dame de Langonnet

  • 10 Ibid., p. 58-77.
  • 11 Ibid.

17Le choix du site de l’abbaye de Langonnet semble avoir fait, lui aussi, l’objet d’une attention méticuleuse. Les Cisterciens, en effet, ont négligé la rigide platitude de la cuvette de Plouray où l’Ellé, le ruisseau du Rozo, celui de Langonnet « se traînent péniblement, se ramifient, s’étendent en marécages dans la haute plaine, vers 175 mètres d’altitude »10. Leur choix s’est porté sur la vallée de l’Ellé, à l’endroit précis où celui-ci s’encaisse dans des plateaux compris entre 200 et 220 mètres, que dominent les buttes cristallines du horst de Mellionnec. Sa pente, très faible (1,36 pour 1000) jusqu’au moulin de Seigle à un kilomètre au nord de l’abbaye, s’accentue ensuite rapidement (1,7 à 2,2 pour 1000) au voisinage de celle-ci avant de devenir extrêmement raide (19 pour 1000) à partir du pont de Langonnet, situé environ à un kilomètre cinq cents au sud11.

18Saint-Maurice de Carnoët

  • 12 Cf. Plaine (Dom Béda), « Duplex vita inedita Sancti Mauricii, abbati Carnoetensis », in Studien un (...)

19Gauguin et ses disciples ont immortalisé les bords de la Laïta qui insinue ses eaux bleues au milieu des horizons calmes et doux de la campagne de Clohars-Carnoët. Pommiers en fleurs du printemps, blés jaunis de l’été, arbres toujours verdoyants, donnent un charme incomparable aux bords de la ria. C’est ce havre paisible que choisit saint Maurice pour édifier une abbaye, là où la Laïta, gonflée par la marée, s’épanouit entre des collines boisées dont les grands arbres accueillaient des milliers d’oiseaux : leur symphonie exécutée pour saluer le point du jour empêchait les moines de s’entendre chanter matines !12

20Coëtmaloen, La Vieuville

21Moins pittoresques que les précédents, les sites des abbayes de Coëtmaloen et de La Vieuville ne manquent pas cependant d’intérêt. La première est perdue au milieu des crêtes arrondies et boisées du massif de Quintin-Duault. La seconde est bâtie à proximité du Guyoul, petit fleuve qui serpente dans une dépression marécageuse, creusée dans des schistes, entre l’ellipse granitique de Saint-Broladre et les hauteurs du massif de Bonnemain.

Les autres sites

22Si les vallées ont constitué des sites privilégiés pour l’établissement des monastères cisterciens, elles n’ont pas cependant été les seuls lieux qui les aient attirés.

23Bégard

24L’abbaye de Bégard par exemple est située sur les flancs d’un coteau descendant en pente douce vers les rives d’un affluent du Jaudy.

25Buzay

26Buzay est perchée sur un ilôt calcaire dominant les bas fonds inondables et marécageux des bords de la Loire.

27Saint-Aubin-des-Bois, Melleray

28À Saint-Aubin-des-Bois et à Melleray, enfin, l’isolement voulu par les Cisterciens ne provient pas du relief du terrain, très peu accidenté, mais de la présence de vastes massifs forestiers qui enserrent de toute part les deux abbayes : forêts de La Hunaudaye et de Saint-Aubin autour de la première, forêts de Vioreau et d’Ancenis autour de la seconde.

Situation des monastères

29C’est en tenant compte des impératifs de la règle cistercienne que nous avons tenté de cartographier la situation des monastères. En nous basant sur des données archéologiques, toponymiques et archivistiques, nous avons essayé de replacer chacun d’entre eux dans son cadre politique et religieux, de le situer par rapport aux vestiges d’habitat ancien, pour voir, notamment, si certains monastères n’ont pas pris la suite de grands domaines gallo-romains, de le situer également par rapport aux voies de communication, aux « villes », châteaux et mottes de l’époque féodale, sans oublier les monastères ou prieurés bénédictins, les établissements connus des Augustins, des Hospitaliers ou des Templiers. Aussi, nous nous contenterons ici de souligner les principales observations qui découlent de cet essai cartographique.

Éloignement des « villes » et des agglomérations

  • 13 Cf. supra, chap. I, p. 22.

30Il apparaît, tout d’abord, que les abbayes cisterciennes bretonnes du xiie siècle se trouvent toutes éloignées des rares agglomérations qui méritaient alors le nom de « villes » et que nous avons énumérées dans notre premier chapitre13. Seule l’abbaye de La Vieuville, qui, à l’origine, n’était pas cistercienne, se trouve relativement proche (6 kilomètres) de l’antique métropole religieuse de Dol. Elles sont éloignées également des villes nouvelles dont la fin du xie siècle voit le développement sinon l’éclosion en Bretagne. Les plus proches de celles-ci, Saint-Aubin-des-Bois, Boquen, Carnoët, Coëtmaloen sont respectivement situées, la première à dix kilomètres de Lamballe et de Jugon ; la deuxième à vingt kilomètres de Jugon ; la troisième à dix kilomètres de Quimperlé ; la quatrième à dix kilomètres de Corlay.

L’éloignement des châteaux

  • 14 Cf. Dom Morice, Preuves, t. I, 683, sentence ratifiée par le pape Adrien IV le 20-XI-1155 ; Jaffe, (...)
  • 15 Cf. Guillotin de Corson (Abbé), Les grandes seigneuries de Haute Bretagne, t. I, Rennes, 1897, p. (...)
  • 16 Cf. Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Morbihan, Le Faouë (...)

31L’éloignement des châteaux semble par contre beaucoup plus problématique. Remarquons, tout d’abord, que l’étude archéologique des sites de l’habitat seigneurial en Bretagne à l’époque féodale reste à faire. Il semble, toutefois, que le morcellement des pouvoirs aux xie et xiie siècles y ait entraîné, comme partout, la création de nombreux châteaux, d’abord de bois, comme ceux de Dol et de Dinan représentés sur la tapisserie de Bayeux, puis de pierre. Jean II de Dol-Combourg, par exemple, s’attire les foudres de l’archevêque de Dol, Hugues Le Roux († 1101), pour avoir construit une « tour » en plein domaine épiscopal14 ; le château de Landal, celui de La Claye existaient aux xiie et xiiie siècles et l’abbaye de La Vieuville était ainsi entourée de places fortes distantes d’environ sept kilomètres15. Il en allait de même pour l’abbaye de Langonnet : des « mottes » ont été retrouvées à Kermain (1,500 kilomètre de l’abbaye), La Garenne (3 kilomètres), Ty-Lan (4 kilomètres), Botven (7 kilomètres) et sans doute à Barregan (7 kilomètres) où fut ensuite édifié un donjon de pierres16. L’absence d’inventaire minutieux nous empêche, hélas, d’apporter les mêmes précisions pour l’ensemble des abbayes.

L’éloignement des autres lieux conventuels

32Le désir d’isolement des Cisterciens se manifeste également à l’égard des autres lieux conventuels et tout d’abord à l’égard des vieilles abbayes bénédictines. Neuf des douze abbayes fondées au xiie siècle sont établies à l’ouest d’une ligne joignant Erquy à Redon en suivant approximativement les cours de l’Arguenon, la haute vallée de la Rance, le cours du Lié et celui de l’Oust. Au-delà, en haute Bretagne, où la densité monastique atteignait un fort pourcentage en raison de l’expansion des abbayes bénédictines du Val de Loire, les moines blancs se contentent de fonder deux établissements, Buzay et Melleray, auxquels vient s’ajouter celui de La Vieuville en 1147.

33Les règlements de l’ordre prévoyaient d’autre part que les abbayes cisterciennes devaient elles-mêmes être séparées les unes des autres par une distance de dix lieues de Bourgogne, c’est-à-dire d’environ cinquante kilomètres. Ces prescriptions ont été dans l’ensemble respectées en Bretagne, mises à part de rares exceptions : Coëtmaloen se trouve à une trentaine de kilomètres de Bégard et de Bonrepos, Boquen est située à peu près à la même distance de Saint-Aubin-des-Bois.

Situation des abbayes par rapport aux voies de circulation

34Il est très difficile d’apporter des renseignements précis sur la situation des abbayes par rapport aux voies de circulation. Il faudrait pour cela connaître le réseau routier de la Bretagne aux xiie et xiiie siècles et nous en ignorons à peu près tout. Un fait apparaît cependant avec évidence : toutes les abbayes, à l’exception de Lanvaux et peut-être de Coëtmaloen, sont situées sur des voies romaines ou dans leur voisinage immédiat.

  • 17 Cf. Gaultier du Mottay (J.), Recherches sur les voies romaines du département des Côtes-du-Nord, S (...)
  • 18 Cf. Gaultier du Mottay (J.), Répertoire archéologique du département des Côtes-du-Nord, 1884, p. 1 (...)

35L’abbaye de Bégard par exemple se trouve à deux kilomètres cinq cents de la grande voie joignant Carhaix à Tréguier par Carnoët, Plougonver, Gurunhuel, Tréglamus, Louargat, Pluzunet, Berhet, Pommerit-Jaudy, Mantallot, Cavan, Langoat17. Connue sous le nom de « Hent-Praz-Coz », cette voie limite la commune de Bégard de celle de Pluzunet sur un parcours de quatre kilomètres. Des vestiges de dallage ainsi qu’un certain nombre de monnaies romaines ont d’ailleurs été découvertes, en 1846, près de l’ancien château de Coatnézan18.

  • 19 Cf. Gaultier du Mottay (J.), Recherches…, p. 111-122.
  • 20 Cf. Marsille (L.), « Les voies romaines du départements du Morbihan », dans BMSPM, 1929, p. 3-58.

36Boquen est située à deux kilomètres d’un autre grand itinéraire antique qui reliait Corseul à Vannes par Saint-Michel, Saint-Maudez, Saint-Méloir, Plélan, Lescouët, Jugon, Dolo, Plénée-Jugon, Le Gouray, Saint-Jacut- du-Méné, La Hutte-à-l’Anguille, Laurenan, Plumieux. Cette voie, le long de laquelle a été trouvée une borne milliaire en Saint-Méloir, est connue entre Corseul et Laurenan, sous le nom de « Chemin de L’Etrat »19. Elle reste visible dans le département du Morbihan où, sous l’appellation de « Vieux grand chemin de Saint-Jean », elle unit Lanouée, Lantillac, Buléon, Saint-Jean-Brévelay, Meucon et Vannes20.

  • 21 Cf. Maitre (L.), « La conquête de la basse Loire, par les réseaux des voies romaines », dans BSAN, (...)

37Buzay ne se trouve qu’à deux kilomètres environ de la voie Nantes, Cheix-en-Retz, Vue, Saint-Père-en-Retz, Pornic ; la même distance sépare l’abbaye de Melleray de la voie Nantes-Châteaubriant21.

  • 22 Cf. Pape (L.), La Civitas des Osismes à l’époque gallo-romaine, Rennes, 1978.

38L’abbaye du Relecq, apparemment perdue au pied des Monts d’Arrée, n’est située qu’à un kilomètre et demi de la voie unissant Carhaix à l’Aber-Vrach par Kérilien, Lampaul-Guimiliau Loc-Eguiner, Plounéour- Menez et qui traversait la « Montagne » au sud de l’abbaye par Pen-ar-Prajou, Trédudon-le-Moine, Kermaria-Berrien22.

  • 23 Cf. Plans cadastraux de Baguer-Morvan et de Baguer-Pican.
  • 24 Cf. Baneat (P.), Étude sur les voies romaines du département d’Ille-et-Vilaine, Rennes, 1928, p. 4 (...)

39La Vieuville n’est distante, elle aussi, que d’un kilomètre et demi de l’itinéraire antique qui reliait Corseul à Avranches. De grands tronçons en subsistent encore de nos jours et on peut aisément les suivre sur le terrain notamment dans les communes de Baguer-Morvan et de Baguer-Pican où ils portent le nom de « Chemin des Romains » et de « Chemin de Corseul »23. Une autre voie, joignant Jublains ou Rennes à Alet24, croisait la précédente à proximité de la ferme des Haies, au sud de Dol, et à quatre kilomètres et demi de l’abbaye.

  • 25 Cf. Gaultier du Mottay (J.), Recherches…, p. 124-125.
  • 26 Cf. Marsille (L.), op. cit., p. 3-58.

40Saint-Aubin des Bois et Saint-Maurice de Carnoët sont situées au voisinage immédiat (200 à 300 mètres) de voies secondaires. La première dite la « Sente-Pavée » joignait Lamballe à Corseul ; on peut encore la suivre depuis la ferme de La Marre, près de La Poterie, jusqu’au hameau de Manjugien en Plédéliac25. La seconde reliait Lesbins en Pont-Scorff, Clohars-Carnoët, Moëlan, Riec-sur-Belon, où elle rejoignait au lieu-dit La Porte-Neuve, situé sur la rive droite du Belon, la voie Carhaix-Roudouallec, Scaër, Bannalec, Riec-sur-Belon26.

  • 27 Cf. Leroux (A.), « Recherches archéologiques dans le Haut-Ellé », dans BSAN, 1911, p. 245-353.
  • 28 Cf. Eveillard (J. Y.), La voie romaine de Rennes à Carhaix, Brest, 1975.

41Les exemples fournis par les abbayes de Langonnet et de Bonrepos sont encore plus probants. Langonnet, en effet, se trouve le long de la voie Carhaix-Locmariaquer. Le tracé de cette dernière a été bien identifié jusqu’à l’abbaye où elle franchissait l’Ellé près de la villa gallo-romaine de Stang-Nian27. Elle rejoignait ensuite la voie Vannes-Quimper, vraisemblablement par Priziac, Berné et Plouray. Bonrepos est située à un carrefour de voies. L’une, partant du nord de Corseul, relie aujourd’hui les localités de Lamballe, Moncontour, Uzel, Saint-Gilles-Vieux-Marché ; elle coupe la voie Rennes-Carhaix au lieu-dit Le Zélo à trois kilomètres au nord-est de Bonrepos qu’elle atteint ensuite pour franchir le Blavet sur un pont dont les substructions ont été dégagées en 193428. L’autre, moins bien reconnue, aurait relié Guémené-sur-Scorff à Quintin, par Bonrepos, Laniscat et Corlay.

  • 29 Cf. photographie aérienne, I.G.N., Mission Ouessant-Guingamp, 1952, 11-12 et carte d’État- Major a (...)

42Ainsi, seules les abbayes de Lanvaux et de Coëtmaloen se trouvent franchement à l’écart de grands itinéraires antiques. Il est possible, toutefois, que cette dernière se soit établie à cinq cents mètres d’une voie secondaire reliant Guingamp à la grande voie Carhaix-Quintin-Corseul-Alet par Saint-Adrien, Plésidy, L’Étang-Neuf, Sainte-Marie, Kerhoué, La Clarté, Kergroaz, Crec’h, Macouz, Canac’h-Bernard, Le Petit-Paris : un tracé rectiligne unit entre eux tous ces bourgs ou hameaux, négligeant les changements de direction de la route départementale n° 63, et de la route nationale n° 167 avec lesquelles il se confond sur la plus grande partie de son parcours29.

  • 30 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 575.
  • 31 Dol, Épiniac.
  • 32 Cf. Martène, Thes. anecd., III, 973.
  • 33 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 684 : Et adjecit quod audivit ex communi relatione antiquorum quod tot (...)
  • 34 Cf. BN, ms. fs. fr. n° 22325, f° 563.
  • 35 Cf. Plan cadastral de Baguer-Pican.
  • 36 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 960 : qui campus situs est inter domum et herbergamentum in quo Brunet (...)

43Il semble donc naturel de penser que, lorsque les Cisterciens ont fondé leurs abbayes, la proximité de voies romaines soit entrée pour beaucoup dans le choix du lieu sur lequel les bâtiments conventuels ont été édifiés. Il reste cependant à démontrer que ces voies étaient toujours connues et utilisées aux xiie et xiiie siècles. À ce sujet, les textes nous apportent parfois quelques précisions. La charte de fondation de l’abbaye de La Vieuville nous apprend ainsi que les moines reçurent la lande de Chadeville, limitée d’un côté par la route de Dol à Épiniac et de l’autre par le ruisseau de La Bigotière « jusqu’à une très ancienne voie allant vers la chapelle »30. Or il existe, partant de Dol, un très vieil itinéraire connu sous le nom de « Chemin de l’Archevêque » et dont on peut suivre le tracé sur les plans cadastraux31 comme sur le terrain sur plus de cinq kilomètres. Il part du croisement de la route nationale Dol-Combourg et du chemin vicinal menant à Carfantin, laisse le menhir du Champ-Dolent et le château d’Assy à trois cents mètres à l’est, rejoint la Chapelle-Cobat dont il est question dans la charte pré-citée, le bourg de Saint-Léonard, et arrive au château des Ormes, résidence d’été des évêques de Dol depuis au moins le début du xive siècle : le 13 janvier 1312, en effet, Thibaud de Moréac rend le dernier soupir in suo manerio de Ulmis32. Cet itinéraire correspond sans nul doute à la voie joignant Rennes ou Jublains à Alet et dont on trouve des vestiges près du château d’Assy. Le souvenir de la voie Corseul-Avranches n’avait pas, lui non plus, disparu au Moyen Âge. Il en est question dans l’enquête ordonnée en 1181 par Henri II, roi d’Angleterre, pour le recouvrement des biens de l’Église de Dol33. À la fin du xiie siècle encore, Jean de Lanvallay dispute aux moines de La Vieuville la terre de La Hairière limitée par la « voie de Dol » et le cours du Guyoul34. Or, le lieu-dit La Hairière se trouve précisément en bordure de la voie qui porte en cet endroit le nom de « Chemin de Corseul »35. En 1255 enfin, Geoffroi Le Bouteiller abandonne aux moines du prieuré de Saint-Florent-sous-Dol tous ses droits sur un champ situé près de la voie « conduisant les gens à Dinan »36.

  • 37 Cf. Eveillard (J. Y.), La voie romaine de Rennes à Carhaix, Brest, 1975.

44Le grand axe Rennes-Carhaix a, lui aussi, été fréquenté sur toute sa longueur jusqu’à la fin du xive siècle. Les rois bretons de l’époque carolingienne s’étaient efforcés d’en contrôler le trafic en édifiant des retranchements au Haut Breil (Pacé), au Châtellier (Talensac) où Erispoë résidait, à Cajean (Loudéac), au Castel-Gestin (Mûr). Outre Bonrepos, deux autres abbayes s’établissaient près d’elle aux xie-xiie siècles : Saint-Jacques de Montfort à sept cents mètres au nord, Lantenac à trois kilomètres huit cents au sud. À la même époque, la voie était utilisée pour se rendre en pélerinage vers des sanctuaires renommés37.

  • 38 Cf. Trevedy (J.), « Les Sept Saints de Bretagne et leur pélerinage », dans Bulletins et Mémoires d (...)

45Les voies romaines enfin servaient probablement aux pélerins du « Tro-Breiz » qui, au xiiie siècle, visitaient Dol, Saint-Brieuc, Tréguier, Saint-Pol-de-Léon, Quimper, Vannes, Saint-Malo, pour aller se recueillir dans les lieux où avaient vécu les « Sept Saints de Bretagne ». J. Trévédy a pu ainsi recenser dix chapelles, fontaines ou villages dits les « Sept Saints » : tous sont situés à proximité de voies romaines38.

46Les Cisterciens bretons ont donc veillé à ne pas trop s’écarter des grands axes routiers des xiie et xiiie siècles. Dans l’ensemble cependant, situation générale et site de leurs monastères laissent nettement transparaître leur volonté de respecter les impératifs de leur règle et de se couper du monde. La manière dont ils ont édifié le temporel de leurs abbayes est tout aussi révélatrice de leur volonté d'en remontrer aux traditions alors en usage dans la chrétienté et dans les ordres monastiques issus du vieux tronc bénédictin.

L’édification et la mise en valeur du temporel des abbayes (1130-vers 1180)

47Dans ce domaine là encore l’esprit et les statuts de l’ordre imposaient aux religieux des règles strictes : interdiction de posséder des églises ou des autels, de prélever des dîmes, obligation du travail manuel pour les moines et interdiction de tirer profit du labeur d’autrui en acquérant des rentes, en percevant des cens ou des droits sur les fours et les moulins ou encore en utilisant comme main-d’œuvre des colons ou des serfs. Il convient tout d’abord de préciser les conditions véritables de la fondation de chaque abbaye : se sont-elles établies sur des terres réellement vides d’habitants et offertes aux défrichements ou se sont-elles implantées sur des terres mises en culture bien avant leur arrivée, notamment un hameau formé à l’intérieur d’un domaine ?

L’édification du temporel

Le « locus monasterii » originel

48Les documents, en particulier les chartes de fondation, font trop souvent défaut pour que l’on puisse répondre avec précision à ces questions. L’archéologie aérienne, l’étude de la toponymie fournissent cependant quelques données non dépourvues d’intérêt.

49Les moines blancs semblent ainsi avoir édifié leurs bâtiments conventuels dans des sites inoccupés avant eux. C’est le cas pour Bégard, Buzay, Carnoët, Coëtmaloen, Lanvaux, Melleray, Le Relecq et Saint-Aubin-des-Bois. Les sites de Bonrepos, de Boquen, de La Vieuville et de Langonnet posent cependant quelques problèmes.

  • 39 Cf. Gaultier du Mottay (J.), Répertoire archéologique du département des Côtes-du-Nord, p. 510.
  • 40 Cf. Gaultier du Mottay (J.), op. cit., p. 501-511.

50À Bonrepos, en effet, on a découvert en 1834, dans les substructions d’un pont qui franchit le Blavet, une grande quantité de pièces à l’effigie de Néron et de ses successeurs39. Cependant, aucun vestige d’habitat gallo-romain ne se trouve à proximité immédiate de l’abbaye, les plus proches étant situés aux Salles, en Perret (un kilomètre deux cents au sud-est de l’abbaye), à Coat-Liscuis en Laniscat (huit cents mètres au nord) et à la chapelle Saint-Gilles en Gouarec (trois kilomètres au nord-ouest)40.

  • 41 Vol effectué en juillet 1976 alors que la sécheresse mettait particulièrement en évidence les trac (...)

51Les environs de Boquen, abondent en structures rectangulaires et circulaires, bien visibles d’avion, notamment à proximité de la voie romaine reliant Vannes à Corseul ; mais, là encore, les plus proches se trouvent au lieu-dit Ville-Doual, à un kilomètre au nord de l’abbaye41.

  • 42 Cf. Langouet (L.) et Souillet (G.), « Reginca et la baie de Saint-Malo dans l’Antiquité », dans AB(...)

52Il en va de même pour La Vieuville. Une prospection réalisée par le Centre Régional Archéologique d’Alet a également permis de retrouver un site gallo-romain, entre le Petit-Pont-Gérouard et La Mancelière, au nord du lieu-dit La Hairière, à un kilomètre cinq cents environ du site de l’abbaye. Sur un gisement qui s’étend de part et d’autre de la voie Corseul-Avranches et qui, d’avion, présente des structures rectangulaires et circulaires, de nombreuses tegulae et imbrices, des tessons de poterie sigillée ont été recueillis. L. Langouet croit avoir retrouvé là l’emplacement du Fanum Martis signalé dans l’Itinéraire d’Antonin et sur la table de Peutinger42.

  • 43 Cf. Leroux (A.), « Recherches archéologiques dans le Haut-Ellé », dans BSAN, 1911, p. 247-353.

53L’abbaye de Langonnet, enfin, est, elle aussi, située à proximité d’un établissement gallo-romain, celui de la villa de Stang-Nian, dont les substructions en petit appareil de 29,60 mètres sur 9,20 mètres avec corridor de 15,60 mètres sur 1,80 mètres, ont été dégagées au début du siècle43.

54Dans ces quatre derniers cas, il semble donc que le choix des Cisterciens bretons ait été guidé par le souvenir de sites antiques. Aucun bâtiment conventuel cependant ne s’élève sur l’emplacement exact d’une ancienne villa gallo-romaine qui aurait pu constituer, lors des premiers siècles du Moyen Âge, le centre d’exploitation d’un grand domaine.

Les dotations primitives

55En fait, à chaque fois que les documents nous permettent de retracer les origines du temporel des abbayes, il semble bien que les moines blancs aient hérité tout d’abord de terrains incultes : landes, bois, bas-fonds marécageux. C’est le cas, notamment, pour les religieux de Buzay, Melleray et de La Vieuville qui font figure de tard-venus dans une contrée déjà largement occupée où la plupart des seigneurs ont comblé de bienfaits les prieurés bénédictins tandis que les partages successoraux affaiblissaient les patrimoines chevaleresques. C’est le cas également pour ceux de Bégard, Carnoët et Coëtmaloen qui s’installent en basse Bretagne, zone où ils ont alors les coudées relativement franches.

  • 44 Cf. ADIV, 1 F 10003, f° 159.
  • 45 Simul et de foresta mea quantum extenditur a Spauldo versus Portum Sancti-Petri dedi.
  • 46 Cf. ADLA, H 19.

56Les moines de Buzay ne semblent pas devoir compter parmi les mieux lotis. Lors de la première fondation de leur abbaye en 1135, le duc Conan III ne leur concède en effet qu’une butte calcaire, isolée au milieu des marais qui longent la basse Loire, concession agrémentée d’une promesse de cinq cents sous de revenus sur les foires de Nantes afin de permettre l’édification des bâtiments conventuels44. En 1144-1147 il ajoute à cette île et aux cinq cents sous jamais versés, les trois îles de Botty, de Caberon et de l’Agnelière, les deux écluses de Vair et de Redefou, la presqu’île de Dun, située sur les bords du lac de Grand-Lieu, avec des droits de pêche à la senne dans ce même lac ; il consent enfin des droits d’usage dans certaines forêts comtales : la forêt du Gâvre qui, au xiie siècle, couvre presque tout le nord-ouest du comté de Nantes, et celle qui s’étend depuis le village du Pêle45 jusqu’à Port-Saint-Père, en bordure de l’Achenau46. Si ces dernières concessions offrent aux religieux des possibilités d’expansion très importantes, les premières en revanche, notamment les îles de la Loire, ne présentent qu’un intérêt limité.

  • 47 Cf. ADLA, B 1910.

57Le « Vieux-Melleray », primitivement donné aux moines partis de Pontrond pour venir fonder un monastère en Bretagne, ne compte qu’une étendue modeste de bois et de friches. Une déclaration de biens de 1678 nous apprend, en effet, qu’il se compose alors de « prés, avec fuye et colombiers, de deux garennes joignant la dite abbaye, soit dix journaux de terre environ »47.

  • 48 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 575-576.
  • 49 Cf. Plan cadastral, Épiniac, section B, 1822.

58Les religieux de La Vieuville ne semblent guère avoir été plus favorisés. En 1137, Gilduin de Montsorel met à leur disposition des bas-fonds marécageux situés entre le Landal, le Travidal et le Guyoul48, toujours inondables de nos jours une grande partie de l’année, malgré les travaux d’assèchement entrepris par les moines et portant des noms caractéristiques : « Grand pré pourri », « Marais de la rivière », « Pré du marais », « Le grand marais », etc.49. S’y ajoutent la lande de Chadeville et la terre de La Bigotière – la seule de ces possessions sans doute mise en valeur avant l’arrivée des moines – toutes les deux situées à deux kilomètres cinq cents et trois kilomètres environ du monastère, et des droits de pêche dans les étangs de Landal.

  • 50 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 710.
  • 51 Ibid., I, 641.

59Les abbayes de basse Bretagne ne reçoivent, elles aussi, que des domaines marginaux. Les religieux de Bégard s’établissent au milieu de vastes solitudes boisées qui ont d’ailleurs laissé des traces dans la toponymie, comme en témoignent les lieux-dits « Pen-Pluscoat », « Pluscoat », « Coat-Yen », « Keranforest », « Coat-Beat » situés aux environs immédiats du coteau qui porte les vestiges tardifs de l’abbaye. Les premières possessions de Carnoët et de Coëtmaloen sont plus difficiles à reconstituer, étant donné l’imprécision des chartes de fondation. Le duc Conan IV dote la première d’une terre située aux confins de la forêt de Clohars-Carnoët, importante réserve de chasse, créée vers 1030 par Alain Canhiart. Il y ajoute, étant donnée la modicité de ce don initial, des droits d’usage dans cette même forêt50. La seconde hérite de terres, de prés et de bois situés dans la paroisse de Saint-Gilles-Pligeaux, entre le Trieux et son affluent le Dordu51.

  • 52 Cf. ADCdA, H sans cote et Dom Morice, Preuves, I, 696-697.

60Les mieux lotis, finalement, semblent avoir été les derniers installés, c’est-à-dire les moines de Bonrepos. Le vicomte de Rohan, Alain, leur concède en effet plusieurs domaines déjà mis en culture avant leur arrivée et dont certains semblent alors abandonnés par leurs tenanciers : la butte de Corlay, des droits d’usage dans la forêt de Quénécan, une partie du cours du Blavet entre Gouarec et Trégnanton pour y édifier des moulins et des écluses et y constituer des viviers, l’église de Foleborne située en Angleterre dans le diocèse d’Ely, des dîmes en Plussulien, Merléac, Saint-Igeaux, des rentes en nature enfin sur ses moulins de Pontivy52. Moins de cinquante années après leur installation, les Cisterciens prenaient, on le voit, une certaine distance vis-à-vis des impératifs de leur règle.

Les acquisitions ultérieures

61Cette évolution cependant reste assez peu sensible durant la période qui s’écoule entre 1130 et 1180. Les moines blancs, en effet, semblent avoir à cœur de respecter les statuts de leur ordre, tant dans les méthodes utilisées pour constituer leur temporel que dans la nature des acquisitions réalisées.

  • Les modes d’acquisition
  • 53 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 672.
  • 54 Cf. ADLA, H 20/6.
  • 55 Cf. ADLA, H 20 et H 71.
  • 56 Cf. ADLA, H 20/2.

62Toutes leurs acquisitions tout d’abord proviennent de dons : pas d’achats déguisés, pas d’échanges, pas de ventes. La seule exception concerne l’abbaye de Melleray. Entre 1168 et 1178, l’abbé Richard qui avait reçu, près de Rennes, en la paroisse de Chanteloup, les terres de Caran et du Vieux-Martigné et qui les jugeait sans doute trop éloignées, les vend à l’évêque de Rennes, Étienne de Fougères53. Il arrive, d’autre part, que des cens soient réclamés par des donateurs, deux sous à Pâques par Simon de Messan pour les dons de Briant de Montluc à Buzon54, cinq sous de rente par le chanoine Porcher en faveur de son neveu Astrolabe pour une vigne située près du Moulin Corestant55, quatre sous par Agnès femme de Payen Gabart, pour une partie de la vallée de la Villate et un champ56. Tous ces cens cependant sont toujours réclamés à titre viager, les Cisterciens s’efforçant d’obtenir la propriété complète des terres concédées.

  • Nature des acquisitions

63Après la forme des acquisitions, leur nature : une autre preuve du respect des statuts de l’ordre par les Cisterciens bretons est fournie en effet par le fait que jusqu’en 1180 ils acquièrent essentiellement des biens-fonds, peu de rentes en argent, de droits « banaux » ou de dîmes.

  • 57 Cf. tableau n° 3.
  • 58 Cf. ADLA, H 19.
  • 59 Cf. ADLA, H 72 et Dom Morice, Preuves, I, 637.
  • 60 Cf. ADLA, H 20 et ADIV, 1 F 458, F° 18.

64Les religieux de Buzay reçoivent ainsi vingt-quatre biens-fonds, deux rentes en argent de cinq cents et onze sous, une rente en nature d’une charge de sel sur la saline de J. Coche à Prigny, une dîme à Saint-Cyr-en-Retz et un four à La Roche-Balue en Bouguenais57. En ce qui concerne les rentes en argent, la première, concédée par Conan III, ne sert qu’à la construction des édifices conventuels58 ; quant à la seconde, promise par R. Sauvaing, elle ne vise qu’à réparer le dommage causé à l’abbaye par ce dernier à la suite de la saisie d’une vigne59. Les moines de Buzay se sont-ils faits décimateurs ? Nous ne disposons que d’un seul acte pour répondre à cette question : entre 1157 et 1169, Aimery Flandrin leur concède, outre 40 aires de salines et 3 setiers de sel, sa dîme de Saint-Cyr-en-Retz60. S’agit-il de la dîme de ces aires ou d’une dîme plus large ? Nous ne le savons pas. En ce dernier cas, toutefois, le don prendrait la forme d’une restitution dans le cadre de la Réforme Grégorienne.

  • 61 Cf. tableau n° 4.
  • 62 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 575-576.
  • 63 Cf. BN, ms. fds. f. 22325, f° 540 et Dom Morice, Preuves, I, 601.
  • 64 Cf. BN, ms. fs. fr. n° 22325, F° 524, 526, 592.

65Entre 1137 et 1173, les moines de La Vieuville acquièrent, eux aussi, essentiellement des biens-fonds, dix-sept au total61, des droits sur la pêche en Hirel et quatre dîmes. Les deux premières sont concédées par le fondateur de l’abbaye, Gilduin de Montsorel dès 113762 ; la troisième concerne le domaine de La Chapelle-Lazary acquis par les religieux en 114763 ; la quatrième est le fait d’Hamon de Choibrac64. Toutes font figure de restitution.

  • 65 Cf. tableau n° 5.
  • 66 Cf. ADLA, H 75/60.
  • 67 Cf. ADLA, H 75.
  • 68 Ibid.
  • 69 Cf. ADLA, H 75.
  • 70 Ibid., H 75/4.
  • 71 Ibid., H 75.
  • 72 Ibid.

66Il est difficile de tirer des conclusions aussi nettes de l’évolution du temporel de l’abbaye de Melleray. Sous la crosse de leur premier abbé, Guitern, les moines reçoivent essentiellement des biens-fonds (huit)65 auxquels vient s’ajouter une rente de vingt-quatre lamproies à prendre sur les écluses et les pêcheries de la seigneurie d’Ancenis, concédée par Geoffroy Ier sur son lit de mort66. Avec le second abbé, Richard, (1147-vers 1177) une évolution sensible se produit. Les donations en biens-fonds se font plus rares (trois) tandis que l’abbaye acquiert huit livres de rente sur le péage de Pierre de Chemillé sur le Layon67, vingt sous sur les revenus de la métairie de Guillaume de Oudon68, deux sous sur les revenus de Geoffroy Tresveche à Issé69 et trois rentes en nature : un boisseau de sel sur les salines de l’évêque de Nantes, Bernard, à Guérande70, deux setiers de froment sur les terres de Maurice de Craon à Champtocé71, une quantité de vin indéterminée sur les vignes de Geoffroy de Trans72.

  • Physionomie du temporel des abbayes vers 1180
  • 73 Cf. ADLA, H 19.

67Les documents ne nous permettent pas toujours d’avoir une idée exacte du temporel des abbayes vers 1180. Seul le privilège du pape Alexandre III qui énumère à grands traits les principales possessions de l’abbaye de Buzay en 1179, nous donne un aperçu relativement précis de la physionomie de son patrimoine73.

68Ce dernier s’organise approximativement autour de deux axes principaux qui correspondent d’ailleurs à des dépressions marécageuses : l’axe de la Loire et l’axe de l’Achenau. L’axe de la Loire comprend quatre îles situées le long du fleuve ou sur lui, Caberon, Buzay, Quiriole, L’Agnelière et une grange, Chèvredent, située dans des bas-fonds palustres à l’ouest de Saint-Pierre de Bouguenais. L’axe de l’Acheneau est constitué par la grange de Buzon avec ses terres, ses bois et ses prés, La Haye-Durand près de Port-Saint-Père, La Châtaigneraie, au sud-est du Pilon, de la presqu’île de Dun, sur les bords du lac de Grandlieu ; s’y ajoute la grange de Villeneuve, au milieu de la forêt de Touffou. À ces bas-fonds marécageux, à ces landes et à ces bois, il faut joindre les droits d’usage dans l’immense forêt du Gâvre et dans les bois s’étendant du Pêle à Port-Saint-Père, quelques complants de vigne autour de Nantes, les salines des marais de Bouin, Saint-Cyr-en-Retz et Prigny.

  • 74 Cf. Guillotin de Corson (Abbé), Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, t. II, 1880, p. 767- (...)
  • 75 Cf. infra.
  • 76 Cf. BN, ms. fds. f. 22325, f° 540.

69Trois grands ensembles forment le temporel de La Vieuville vers 1173. Le domaine proche comprend les bas-fonds marécageux qui longent le Guyoul et enserrent l’abbaye, bornés à l’ouest par le ruisseau du Travidal, à l’est par celui de Landal, au sud par les terrains communaux d’Épiniac qui coïncident probablement avec les actuelles landes de La Vieuville. Lors des déclarations faites en 1692 et en 1790 par les abbés Vincent Bidel d’Asfeld et Jean de La Bintinaye, il s’étendait sur deux cents journaux74. On peut lui joindre les deux domaines de La Bigotière en Épiniac et de La Ville-Allan en La Boussac, les landes de Chadeville en Carfantin, quelques vignes situées dans les faubourgs de Dol et une maison à Combourg. Le deuxième ensemble est constitué par la forêt de Bourgoët en Dingé, à dix-huit kilomètres au sud de l’abbaye, forêt cédée par Jean II de Dol, où les moines éprouvent bien des difficultés à faire prévaloir leurs droits face aux forestiers des seigneurs de Dol-Combourg75. Le troisième ensemble, enfin, se constitue à partir du don de la famille Troussier de Meillac en 1147 à La Chapelle-Lazary. Il comprend des terres sans doute en partie incultes et de toute manière fort pauvres – la roche affleure dans cette région où les carrières de granite et les landes restent encore nombreuses – des prés situés entre le ruisseau de Bouttier et deux de ses affluents, un moulin et des étangs76.

  • 77 Cf. tableau n° 5.
  • 78 Ibid.

70Le patrimoine de Melleray est à la fois plus hétérogène et plus dispersé. Outre le Vieux-Melleray et quelques terres situées en Riaillé (La Meilleraie) et Joué-sur-Erdre (Le Breil-Gauthier), une vigne (La Clochère) en Montreuil77, il comprend de nombreuses rentes en nature et en espèces que nous avons énumérées précédemment78.

La mise en valeur

71Avant de clore cette étude sur les débuts du mouvement cistercien en Bretagne, il reste à vérifier une opinion largement répandue selon laquelle les moines blancs auraient joué un rôle considérable dans les défrichements et l’exploitation du sol par le système des granges.

Le problème des défrichements

  • 79 Cf. Lebigre (A.), « Les débuts de l’abbaye cistercienne de Buzay », dans Revue historique de droit (...)
  • 80 Talureau (R.), « Marais de l’Ouest », extrait des n° 4, 5, 7, de Les grands aménagements régionaux(...)
  • 81 Ibid.
  • 82 Cf. Lebigre (A.), article cité.

72Dans un article récent, A. Lebigre n’hésite pas, par exemple, à déclarer que les religieux de Buzay « ont posé les bases de l’aménagement naturel du sol » dans la région de la basse Loire79. Et, citant R. Talureau80, elle ajoute : « Tout un réseau de canaux, d’étiers, de chaussées, se développe dans les marais. Le problème consiste à lutter contre un double danger : celui de l’excès et celui du déficit de l’eau, excès lorsque l’eau tend à s’accumuler dans les basses terres, surtout lors des crues de printemps qui « compromettent toujours les récoltes et les anéantissent parfois », déficit en période de sécheresse « en raison de l’abaissement des nappes phréatiques et de l’absence totale de réserve »81. Le cours de l’Acheneau est alors aménagé, pour en faire le déversoir du lac de Grand-Lieu et régulariser le débit de ses eaux ; entre Messan et la Loire, il prend le nom de « canal de Buzay » qu’il porte encore aujourd’hui. « Les Cisterciens ont été dans les marais de Buzay les ingénieurs du génie rural de la seconde moitié du xiie siècle »82.

  • 83 Cf. ADLA, H 19, 20.
  • 84 Cf. Maitre (L.), Le Lac de Grandlieu, chap. IX, Les premiers dessècheurs de marais, excavation de (...)
  • 85 Ibid. et Sarrazin (J. L.).
  • 86 Cf. plan cadastral d’Épiniac.

73C’est, hélas, sur ce dernier point que le bât blesse. Certes, dès le xiie siècle, nous voyons les moines acquérir des écluses dont certaines revêtent actuellement une importance capitale pour la régulation des eaux, telles celle de Vair dans les marais de Saint-Étienne-de-Montluc et celle de Redefou dans les marais de Buzay83. Cela prouve néanmoins que tout n’était pas à faire à leur arrivée. En outre, à la fin du xviie siècle, les marais de Buzay restaient couverts d’eau la plus grande partie de l’année84. On peut évidemment supposer que cet état de chose relevait de l’inaction et de l’incurie de certains abbés commendataires. Quoi qu’il en soit, ce fut l’abbé Lefèvre de Caumartin qui entreprit alors d’y remédier et confia à un entrepreneur nommé Macquart le soin de relever les ponts et les vieilles digues, de creuser de nouveaux fossés de ceinture des prés et d’édifier des levées neuves. Quant au canal de Buzay, il ne fut creusé et ouvert à la navigation que dans la première moitié du xviiie siècle85. Il en va de même à La Vieuville où les grands travaux d’assèchements réalisés à la suite notamment du détournement du cours du Guyoul86, datent des xviie et xviiie siècles. L’ampleur et l’efficacité des travaux réalisés par les Cisterciens aux xiie et xiiie siècles semblent ainsi fort problématiques.

  • 87 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 586.
  • 88 Cf. ADLA, H 20/6.

74De même, les textes sont muets sur la lutte éventuelle des moines contre les landes, la forêt. Certes, nous voyons les premiers arrivants de Melleray abattre les arbres, niveler les aspérités du sol, étendre leurs possessions initiales87. Mais il ne s’agit là que des travaux habituels nécessaires à l’édification des bâtiments conventuels. Une seule charte fait explicitement allusion à l’activité de défrichement des moines : vers 1180, la femme de Roland de Montbert cède une partie de la terre de Villeneuve quia diu inculta extiterat illa neque spes erat aliqua quod per eos coli posset, dedit partam illam quam habebat in prefata terra qua dicitur Villa-Nova88.

Les activités

  • 89 Cf. ADLA, H 20/4 et H 59.
  • 90 Ibid., H 20/2.
  • 91 Ibid., H 59.
  • 92 Ibid., H 78.
  • 93 Cf. ADCdA, Cartulaire de Saint-Aubin, série H (sans cote), f° 36 ; D. Morice, Preuves, I, 1014.
  • 94 Cf. BN, ms. fds. fr., n° 22337, f° 105 et Dom Morice, Preuves, I, 691.
  • 95 Cf. charte de fondation de l’abbaye de Bonrepos, ADCdA, H sans cote.

75En fait, il semble bien que les Cisterciens aient utilisé landes, bois et bas-fonds palustres pour servir de terrains de parcours pour le bétail. L’île de L’Agnelière, propriété des religieux de Buzay, porte aujourd’hui le nom d’« Île aux moutons » et cet élevage était peut-être pratiqué par les moines dans leurs îles de la Loire. Il est certain, par ailleurs, qu’ils élevaient des chevaux comme en témoignent leurs démêlés avec les seigneurs de Bouguenais. Entre 1157 et 1165, pour faire cesser les contestations de Silvestre de Bouguenais sur l’île de Quiriole et l’écluse de La Tégneuse, l’abbaye lui promet deux chevaux par an89. En 1166, pour éviter de nouveaux ennuis, elle y ajoute un autre cheval90. En 1175, enfin, un dernier accord est passé : Olivier de Bouguenais qui réclamait à son tour l’île de Quiriole obtient de se faire annuellement réserver, sa vie durant, quatre poulains des juments de l’abbaye et d’en choisir un cinquième tous les deux ans91. Des porcs parcourent sans doute la forêt de Touffou qui entoure la grange de Villeneuve. Lorsque celle-ci est remplacée en 1200 par l’abbaye du même nom, la duchesse Constance dédommage Buzay en la dotant du Bois-Benoît pour y édifier une grange et y faire paître des porcs ainsi que d’autres animaux92. L’abbaye de Saint-Aubin-des-Bois semble elle aussi, s’être très tôt orientée vers les activités pastorales : lorsqu’il confirme les donations de ses ancêtres dans la forêt de Lamballe en 1177, le comte Geoffroy de Penthièvre précise : dedi et concessi monachis Sancti-Albini omnia quae Gaufridus comes Boterel, avus meus, et comes Rivallonus pater meus, dederunt ; scilicet quod eis necessarium esset in omni nemore de Lanmor ad lucrandum cum carrucis et ad pascua animalium, equorum, porcorum et aliorum nutrimentorum93. Les moines de La Vieuville94, ceux de Bonrepos, élèvent des porcs dans les forêts de Bourgoët, Tanouarn et Quénécan95.

  • 96 Cf. supra, note 93.
  • 97 ADLA, H 59.
  • 98 Ibid., H 20/1.
  • 99 Ibid., H 20.
  • 100 Cf. ADLA, H 20/6.

76Les Cisterciens ont aussi hérité de quelques terres labourables sur lesquelles ils se livrent à des travaux de culture. Les textes reviennent souvent sur cette activité : ad lucrandum cum carrucis96, plantare vel rigare97, landam contiguam terrae quam excolent fratres de Buzeio98, quascumque terras… ipsi fratres excolere noscuntur99. Ils sont muets malheureusement sur la nature des cultures pratiquées. De même nous ignorons, à de rares exceptions près100, si les terres concédées étaient mises en valeur avant leur arrivée ou laissées à l’abandon.

Les granges et le faire-valoir direct

  • 101 Cf. ADLA, H 75.
  • 102 Cf. ADLA, H 20.
  • 103 Cf. charte de fondation de Bonrepos, cf. n. 95.
  • 104 Lorsque l’abbé Richard vend ces terres éloignées à Etienne, évêque de Rennes, ce dernier précise e (...)

77Pour certaines toutefois, le doute n’est pas permis : c’est le cas, par exemple, pour la terre arrachée aux bois de La Cognée par la femme de Geoffroy d’Ancenis et cédée aux religieux de Melleray en 1147101. C’est le cas surtout quand des paysans quittent leurs tenures lorsque les moines en ont la propriété seigneuriale. Ainsi Agnès, femme de Payen Gabart cède tout ce qu’elle avait aux Vilettes : tam in valea quam foris in agrorum cultura102. Les moines de Bonrepos héritent de domaines dont trois au moins semblent alors abandonnés par leurs tenanciers103. À Charan, au Vieux- Martigné, ceux-ci sont purement et simplement expulsés par les Cisterciens de Melleray104.

  • 105 Cf. ADLA, H 20 et H 46.
  • 106 Cf. BMN, 1069, 23.
  • 107 Cf. ADLA, H 20.

78C’est que la règle cistercienne préconisait le travail manuel des moines et cela explique leur acharnement à obtenir la jouissance et la propriété complète des terres qui leur sont concédées. À la donation, ils se font exempter de coutumes et d’exactions par le seigneur foncier et l’expression ab omni costuma et exactione revient comme une litanie dans les textes. Plus tard, ils interviennent près des châtelains pour faire affranchir de toute taxe les biens des abbayes situées dans leur zone d’influence. Dès 1152, le sire de Retz renonce à percevoir des « exactions » sur la grange de Buzon et sur les autres terres que les religieux de Buzay cultivent dans son « honneur »105. Daniel, châtelain de Pontchâteau, abandonne ses droits sur Bollohet106. Josselin, sire de La Roche-Bernard en fait autant pour le domaine du Bran107.

  • 108 Ibid., H 46.
  • 109 Cf. supra.
  • 110 Cf. BN, ms. fs. fr., n° 22337, f° 140.

79Sur ces terres « libérées », les religieux cultivent, en faire-valoir direct, leurs champs. Les chartes nous parlent des granges que les frères de Buzay « ont appris à exploiter eux-mêmes »108. Vers 1180, celles-ci, nous l’avons vu109, sont au nombre de quatre. Celles de Melleray, celles de La Vieuville, n’apparaissent pas encore dans les documents. En revanche, l’abbaye de Bégard, s’il faut en croire la confirmation de ses biens par Conan IV en 1170, en possède alors sept110 : on ne peut que déplorer les lacunes d’une documentation qui nous empêche de suivre pas à pas les débuts de celle qui fut, sans doute, la plus importante des abbayes cisterciennes de Bretagne.

Tableau n° 3. FORMATION DU TEMPOREL DE L’ABBAYE DE BUZAY (1144-1180)

I – Acquisitions de biens-fonds

I – Acquisitions de biens-fonds

II – Acquisitions de rentes

II – Acquisitions de rentes

III – Acquisitions de dîmes

III – Acquisitions de dîmes

IV – Acquisitions de droits « divers »

IV – Acquisitions de droits « divers »

Tableau n° 4. FORMATION DU TEMPOREL DE L’ABBAYE DE LA VIEUVILLE (1132-1173)

80I – Acquisitions de biens-fonds

II – Acquisitions de dîmes

II – Acquisitions de dîmes

III – Acquisitions de droits « divers »

III – Acquisitions de droits « divers »

Tableau n° 5 FORMATION DU TEMPOREL DE L’ABBAYE DE MELLERAY (1145-VERS 1150)

I – Acquisitions de biens-fonds

I – Acquisitions de biens-fonds

II – Acquisitions de rentes

II – Acquisitions de rentes

Notes

1 Cf. « Statuta Capitulorum » édit. Canivez, t. I, p. 13.

2 Cf. Arismatus, « Les emplacements malsains », Revue du Moyen Âge Latin, t. III, n° 4, 1947, p. 372-376.

3 Cf. Dimier (Dom A.), Dumontier (P.), « Encore les emplacements malsains », RMAL, t. IV, n° 1, 1948, p. 60-65.

4 Sancti enim patres majores nostri, valles humidas et declives, monasteriis extruendis indigebant, ut saepe infirmi monachi et mortem ante oculos habentes securi non viventes.

5 Cf. Migne, Pat. Lat., CLXXXIII, 716 D., De diversis sermo XCIII, n° 2, et CLXXXIII, 578 A.

6 Cf. Gautier (M.), La Bretagne centrale, La Roche-sur-Yon, 1947, p. 90.

7 Cf. De Warren (Comte H.), La Bretagne Cistercienne, 1946, p. 217.

8 Cf. Guilcher (A.), Le relief de la Bretagne Méridionale, La Roche-sur-Yon, 1948.

9 Cf. Guilcher (A.), ibidem., p. 105.

10 Ibid., p. 58-77.

11 Ibid.

12 Cf. Plaine (Dom Béda), « Duplex vita inedita Sancti Mauricii, abbati Carnoetensis », in Studien und Mitteilungen aus dem Bened. und. Cist. ord., VII, 1886, 1°, p. 375-393.

13 Cf. supra, chap. I, p. 22.

14 Cf. Dom Morice, Preuves, t. I, 683, sentence ratifiée par le pape Adrien IV le 20-XI-1155 ; Jaffe, 10-103, Migne, Pat. Lat., 188, col. 1439.

15 Cf. Guillotin de Corson (Abbé), Les grandes seigneuries de Haute Bretagne, t. I, Rennes, 1897, p. 153-177.

16 Cf. Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Morbihan, Le Faouët et Gourin, Paris 1975, p. 112-130.

17 Cf. Gaultier du Mottay (J.), Recherches sur les voies romaines du département des Côtes-du-Nord, Saint-Brieuc, 1869, p. 21 à 30.

18 Cf. Gaultier du Mottay (J.), Répertoire archéologique du département des Côtes-du-Nord, 1884, p. 17.

19 Cf. Gaultier du Mottay (J.), Recherches…, p. 111-122.

20 Cf. Marsille (L.), « Les voies romaines du départements du Morbihan », dans BMSPM, 1929, p. 3-58.

21 Cf. Maitre (L.), « La conquête de la basse Loire, par les réseaux des voies romaines », dans BSAN, t. XLIX, p. 69-98, 1908.

22 Cf. Pape (L.), La Civitas des Osismes à l’époque gallo-romaine, Rennes, 1978.

23 Cf. Plans cadastraux de Baguer-Morvan et de Baguer-Pican.

24 Cf. Baneat (P.), Étude sur les voies romaines du département d’Ille-et-Vilaine, Rennes, 1928, p. 45- 47 ; Duine (F.), Histoire civile et politique de Dol, dernière édit. 1975, p. 223 ; Langouet (L.) et Souillet (G.), « Reginca et la baie de Saint-Malo dans l’Antiquité », dans AB, t. 83, 1974, n° 4, p. 653-679.

25 Cf. Gaultier du Mottay (J.), Recherches…, p. 124-125.

26 Cf. Marsille (L.), op. cit., p. 3-58.

27 Cf. Leroux (A.), « Recherches archéologiques dans le Haut-Ellé », dans BSAN, 1911, p. 245-353.

28 Cf. Eveillard (J. Y.), La voie romaine de Rennes à Carhaix, Brest, 1975.

29 Cf. photographie aérienne, I.G.N., Mission Ouessant-Guingamp, 1952, 11-12 et carte d’État- Major au 1/25 000e, Quintin, n° 5-6.

30 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 575.

31 Dol, Épiniac.

32 Cf. Martène, Thes. anecd., III, 973.

33 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 684 : Et adjecit quod audivit ex communi relatione antiquorum quod tota terra quae est a veteri via dinanni inferius versus mariscum, et a Dolo usque ad Bidon, est de Dominico Archiepiscopi.

34 Cf. BN, ms. fs. fr. n° 22325, f° 563.

35 Cf. Plan cadastral de Baguer-Pican.

36 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 960 : qui campus situs est inter domum et herbergamentum in quo Bruneta quondam leprosa Abbatie Dolis manere solebat juxta viam quae ducit gentes apud dinannum.

37 Cf. Eveillard (J. Y.), La voie romaine de Rennes à Carhaix, Brest, 1975.

38 Cf. Trevedy (J.), « Les Sept Saints de Bretagne et leur pélerinage », dans Bulletins et Mémoires de l'Association Bretonne, t. XVI, 1898.

39 Cf. Gaultier du Mottay (J.), Répertoire archéologique du département des Côtes-du-Nord, p. 510.

40 Cf. Gaultier du Mottay (J.), op. cit., p. 501-511.

41 Vol effectué en juillet 1976 alors que la sécheresse mettait particulièrement en évidence les traces d’habitat ancien.

42 Cf. Langouet (L.) et Souillet (G.), « Reginca et la baie de Saint-Malo dans l’Antiquité », dans AB, t. 83, 1974, n° 4, p. 653-679.

43 Cf. Leroux (A.), « Recherches archéologiques dans le Haut-Ellé », dans BSAN, 1911, p. 247-353.

44 Cf. ADIV, 1 F 10003, f° 159.

45 Simul et de foresta mea quantum extenditur a Spauldo versus Portum Sancti-Petri dedi.

46 Cf. ADLA, H 19.

47 Cf. ADLA, B 1910.

48 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 575-576.

49 Cf. Plan cadastral, Épiniac, section B, 1822.

50 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 710.

51 Ibid., I, 641.

52 Cf. ADCdA, H sans cote et Dom Morice, Preuves, I, 696-697.

53 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 672.

54 Cf. ADLA, H 20/6.

55 Cf. ADLA, H 20 et H 71.

56 Cf. ADLA, H 20/2.

57 Cf. tableau n° 3.

58 Cf. ADLA, H 19.

59 Cf. ADLA, H 72 et Dom Morice, Preuves, I, 637.

60 Cf. ADLA, H 20 et ADIV, 1 F 458, F° 18.

61 Cf. tableau n° 4.

62 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 575-576.

63 Cf. BN, ms. fds. f. 22325, f° 540 et Dom Morice, Preuves, I, 601.

64 Cf. BN, ms. fs. fr. n° 22325, F° 524, 526, 592.

65 Cf. tableau n° 5.

66 Cf. ADLA, H 75/60.

67 Cf. ADLA, H 75.

68 Ibid.

69 Cf. ADLA, H 75.

70 Ibid., H 75/4.

71 Ibid., H 75.

72 Ibid.

73 Cf. ADLA, H 19.

74 Cf. Guillotin de Corson (Abbé), Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, t. II, 1880, p. 767-770.

75 Cf. infra.

76 Cf. BN, ms. fds. f. 22325, f° 540.

77 Cf. tableau n° 5.

78 Ibid.

79 Cf. Lebigre (A.), « Les débuts de l’abbaye cistercienne de Buzay », dans Revue historique de droit français et étranger, 11e série, 45e année, 1967, p. 451-482.

80 Talureau (R.), « Marais de l’Ouest », extrait des n° 4, 5, 7, de Les grands aménagements régionaux, revue publiée par la direction générale du Génie Rural et de l’Hydraulique agricole au Ministère de l’Agriculture.

81 Ibid.

82 Cf. Lebigre (A.), article cité.

83 Cf. ADLA, H 19, 20.

84 Cf. Maitre (L.), Le Lac de Grandlieu, chap. IX, Les premiers dessècheurs de marais, excavation de haut-fonds, ouverture du canal de Buzay, création d’écluses (1090-1789), Nantes, 1912, p. 153-162.

85 Ibid. et Sarrazin (J. L.).

86 Cf. plan cadastral d’Épiniac.

87 Cf. Dom Morice, Preuves, I, 586.

88 Cf. ADLA, H 20/6.

89 Cf. ADLA, H 20/4 et H 59.

90 Ibid., H 20/2.

91 Ibid., H 59.

92 Ibid., H 78.

93 Cf. ADCdA, Cartulaire de Saint-Aubin, série H (sans cote), f° 36 ; D. Morice, Preuves, I, 1014.

94 Cf. BN, ms. fds. fr., n° 22337, f° 105 et Dom Morice, Preuves, I, 691.

95 Cf. charte de fondation de l’abbaye de Bonrepos, ADCdA, H sans cote.

96 Cf. supra, note 93.

97 ADLA, H 59.

98 Ibid., H 20/1.

99 Ibid., H 20.

100 Cf. ADLA, H 20/6.

101 Cf. ADLA, H 75.

102 Cf. ADLA, H 20.

103 Cf. charte de fondation de Bonrepos, cf. n. 95.

104 Lorsque l’abbé Richard vend ces terres éloignées à Etienne, évêque de Rennes, ce dernier précise en effet : Nos vero reddidimus eamdem terram agricolis colendam, qui ejecti fuerant ab ea tempore monachorum. Cf. Dom Morice, Preuves, I, 673.

105 Cf. ADLA, H 20 et H 46.

106 Cf. BMN, 1069, 23.

107 Cf. ADLA, H 20.

108 Ibid., H 46.

109 Cf. supra.

110 Cf. BN, ms. fs. fr., n° 22337, f° 140.

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