1De 1988 à 1996, alors qu’elle est présidée par Valéry Giscard d’Estaing, l’UDF connaît une période difficile. Elle est parcourue par des divisions multiples, qui tiennent autant à des divergences de sensibilité et de culture qu’à des affrontements personnels, fondés parfois sur des clivages générationnels. L’absence de candidat issu de ses rangs lors des présidentielles de 1995 marque bien l’échec de l’action de Valéry Giscard d’Estaing, qui le reconnaît d’ailleurs dans la lettre assez amère qu’il adresse aux conseillers nationaux du parti, alors qu’il s’apprête à quitter la présidence en mars 1996 : « Mon objectif était d’aller plus loin dans la voie de l’unité de l’UDF, pour en faire une formation capable de jouer à forces égales avec les deux grandes structures du RPR et du PS, de manière à pouvoir gouverner avec l’une sur la base d’un partenariat égal, et à combattre l’autre avec des moyens puissants », écrit-il avant de constater que « la réussite n’a été que partielle ». « Le vrai pouvoir est resté entre les partis composant l’UDF, au-dessus desquels flottait la faible structure de l’UDF, constamment harcelée et dénigrée, et ramenée à son rôle réduit de confédération électorale1. » La présente contribution cherchera à expliquer cet échec, en faisant la part entre les contraintes extérieures et les stratégies souvent contradictoires des principaux acteurs de ce parti et de ses composantes.

Une UDF au bord de l’implosion

2L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de l’UDF, le 30 juin 1988, s’inscrit d’abord dans une logique personnelle. L’ancien président de la République voit dans cette fonction un levier pour effectuer son retour aux premiers postes de la vie politique nationale et se poser en éventuel successeur de François Mitterrand, dans un contexte où ses deux anciens Premiers ministres, Jacques Chirac et Raymond Barre, sont affectés par l’échec de la droite aux présidentielles de 1988. Certes, il assure à qui veut l’entendre que la présidence de l’UDF n’est en rien une promotion pour lui et qu’il souhaite simplement rendre service. « Je n’ai pas fait ça par plaisir », affirme-t-il en décembre 19882, ajoutant même : « Ça n’ajoute rien à ma réputation […]. Si, un jour, il y a une biographie, on ne dira pas que le grand moment de la vie de Valéry Giscard d’Estaing, c’était quand il était président de l’UDF3. » Valéry Giscard d’Estaing entend apparaître alors comme le véritable chef de l’opposition. C’est d’ailleurs lui qui, au lendemain des élections législatives de 1988, est invité dans la principale émission politique de la télévision française, L’Heure de Vérité le 20 juin 1988 – ce qui lui vaut deux jours plus tard une pleine page dans Le Monde. Tirant les leçons d’un scrutin où le PS n’a obtenu qu’une majorité relative, il invoque la nécessité d’un gouvernement d’union nationale, adressant ainsi un signal aux barristes tentés par « l’ouverture » mitterrandienne. En exprimant alors sa volonté de concilier la volonté d’apaisement des centristes et l’aspiration à la contre-offensive des libéraux regroupés dans la « bande à Léo », il cherche à rassembler les différentes sensibilités d’une UDF fragilisée par la campagne présidentielle de 1988. Pour que l’UDF puisse efficacement servir les intérêts de Valéry Giscard d’Estaing, il faut qu’elle dépasse ses divisions internes et ses faiblesses structurelles pour devenir le véritable pivot de l’opposition.

3En effet, la candidature de Raymond Barre a exacerbé les tensions internes de la confédération. Elle a d’ailleurs été inégalement soutenue par les différentes sensibilités de l’UDF : tandis que les centristes et les adhérents directs se sont fortement impliqués dans la campagne, les libéraux, autour de François Léotard, et les giscardiens ont, en raison de leur distance, été rendus responsables de l’échec au premier tour de celui qui a, de son côté, refusé d’apparaître comme le « candidat de l’UDF4 ». Les lendemains de la présidentielle laissent apparaître ces divergences stratégiques. Certains barristes semblent tentés par « l’ouverture » invoquée par le nouveau Premier ministre Michel Rocard, qui recrute une dizaine de ministres et secrétaires d’État dans les rangs barristes, dont Jean-Pierre Soisson, l’un des fondateurs de l’UDF en 1978, et Bruno Durieux qui, au lendemain des législatives de 1988, établit le constat suivant : « L’UDF comme cartel électoral a fait ses preuves ; il faut la préserver. Mais l’UDF, comme force politique, ne parvient pas à s’imposer5. » En revanche, les principaux dirigeants de l’UDF – y compris Jean Lecanuet et, bien entendu, Valéry Giscard d’Estaing – restent attachés à l’alliance privilégiée avec le RPR et à une logique bipolaire. Les députés élus sous la bannière UDF se divisent à l’Assemblée nationale : alors qu’ils pouvaient, pour la première fois, constituer un groupe plus nombreux que celui du RPR, ils se répartissent en un groupe UDF (composé de 90 députés, dont 9 apparentés) et un groupe Union du Centre (composé 41 membres, dont 7 apparentés)6.

4C’est dans ce contexte difficile que Valéry Giscard d’Estaing accède à la présidence de l’UDF, en affichant d’abord sa volonté de « calmer le jeu ». Son premier objectif est bien d’empêcher que la stratégie d’autonomie du centre, mise en œuvre par Pierre Méhaignerie (président du groupe UDC) et Raymond Barre, ne porte ses fruits. Il ne veut pas se déporter trop sur la droite et entend conserver le contact avec le centre, qui doit rester à l’intérieur de la confédération même s’il prend son autonomie à l’Assemblée nationale. De fait, il se garde ainsi de toute attaque publique à l’encontre de Raymond Barre qui, pourtant, ne ménage pas ses critiques à son égard7.

5Cette recherche de consensus n’est pas seulement motivée par le souci d’apaiser les réticences de certains dirigeants centristes qui, à l’instar de Pierre Méhaignerie, regrettent que Jean Lecanuet doive céder la place à l’ancien Président, dont l’ancrage semble plus à droite. Elle s’inscrit aussi dans une stratégie de reconquête de l’opinion qui suppose une réorganisation, voire une reprise en main de la confédération. C’est ce projet qu’expose Valéry Giscard d’Estaing au Conseil national du parti, en énumérant sept grands objectifs8 : maintenir la diversité de l’UDF en respectant son unité ; représenter la véritable alternative au PS ; se doter de « structures authentiquement représentatives des forces politiques » ; adopter un « positionnement central » dans le paysage politique ; maintenir l’Union des républicains du centre (URC) comme structure fédérative de l’ensemble de l’opposition – décision qui avait d’ailleurs été validée par l’ensemble des dirigeants de l’opposition le 15 juin ; faire de l’UDF « le pivot de la prochaine alternance moderne et tranquille » ; conduire l’opposition vers l’alternance.

6Pour faire de l’UDF un véritable parti représentant l’alternance à la majorité socialiste et non une force d’appoint pour celle-ci, Valéry Giscard d’Estaing met l’accent sur les aspects organisationnels. Une fois élu, il installe l’UDF dans de nouveaux locaux, rue François I^er, dans le 8^e arrondissement de Paris. Selon ses propres termes, il est « naturel » qu’une « grande formation politique française comme l’UDF » soit implantée au cœur de Paris9. En vue de préparer l’alternance et le renouvellement, il cherche à promouvoir une nouvelle génération de cadres dirigeants, dont notamment Bernard Bosson et Alain Madelin, qu’il invite en décembre 1988 à l’émission télévisée Questions à domicile. En juin 1991, il parvient à faire accepter son projet de réforme des structures de la confédération, lesquelles doivent être plus représentatives de l’implantation de l’UDF. Le Conseil national, qui était jusqu’alors un cénacle de 56 personnes, est désormais composé de 1 644 membres, élus pour trois ans par trois collèges : 444 membres de droit (parlementaires européens et nationaux, présidents de conseils généraux et régionaux, maires des villes de plus de 20 000 habitants, présidents et délégués départementaux), 600 élus par les fédérations départementales, 600 membres à raison de 100 par composante, ce qui avantage de fait les plus petites d’entre elles. En novembre 1991, il est reconduit à la présidence de la confédération par 86 % des voix sur une base électorale élargie – ce qui accroît incontestablement sa légitimité10. Une réforme de 1994 renforce encore la représentativité de ce conseil : le troisième collège est réduit à 300 membres (50 par composante), tandis que le deuxième est porté à 900. De fait, le poids des deux principales composantes – le PR et le CDS – est renforcé, ce qui tend à exacerber des tensions internes qui n’ont en fait jamais cessé.

Les limites de la restructuration giscardienne

7En effet, Valéry Giscard d’Estaing éprouve des difficultés à mettre en œuvre ce programme, pour des raisons qui tiennent d’abord à sa personne. La génération qui a émergé au sein de l’UDF à l’occasion du combat mené dans les années 1980 contre les gouvernements socialistes et la présidence de François Mitterrand ne se reconnaît pas dans l’ancien président de la République, qui appartient à un passé dont elle souhaite se dégager. La fonction de « leader moral » de l’opposition, que Valéry Giscard d’Estaing avait réussi à exercer au lendemain des défaites de 1988, est très vite battue en brèche, comme le suggère la fronde des « rénovateurs », lancée le 6 avril 1989 par une douzaine de quadragénaires de l’UDF et du RPR qui demandent sans ménagement à Valéry Giscard d’Estaing d’abandonner la direction de la liste unique de RPR-UDF aux élections européennes de 1989 : en témoigne l’intervention de Dominique Baudis, s’adressant en avril 1989 « les yeux dans les yeux » à l’ancien président au cours d’un journal télévisé de 20 heures et posant très clairement le problème en termes générationnels11. Le président de l’UDF refuse d’abandonner la partie, mais son résultat est amoindri par la concurrence d’une liste centriste conduite par Simone Veil qui cherche à capter – sans grand succès – cette aspiration au renouvellement12. Loin de renforcer sa position sur l’ensemble de l’opposition, cette candidature la fragilise, dans la mesure où elle fait émerger de fortes dissensions. Après avoir lancé dès juillet 1988 la candidature à ce scrutin d’un homme qui a « une dimension et une image européenne13 », François Léotard bascule ainsi rapidement dans une opposition interne au président de la confédération. Dans une interview donnée au Point peu après les européennes de juin 1989, il demande implicitement le départ de Valéry Giscard d’Estaing de la présidence de la confédération. Celui-ci le sanctionne à l’occasion du remplacement de Jean-Claude Gaudin à la présidence du groupe UDF de l’Assemblée nationale, en septembre 1989 : après avoir soutenu la candidature de Philippe Mestre contre celle de François Léotard, il se rallie au second tour à Charles Millon, qui l’emporte par 45 voix contre 41 pour le président du PR14. En dépit de cette revanche interne, l’image médiatique de Valéry Giscard d’Estaing sort affectée de l’épopée des « rénovateurs », comme en témoigne la représentation de l’ancien président en vieillard gâteux et sourd, dans l’émission satirique à succès Les Guignols de l’info.

8Valéry Giscard d’Estaing ne rencontre pas plus de succès dans la mise en œuvre de l’union de l’opposition, qui était au cœur de son projet de juin 1988 et dont le processus devait être accéléré par les élections européennes. En octobre 1989, il propose la création d’un parti unique de l’opposition – sans rencontrer un véritable écho. Les rivalités personnelles, les divergences stratégiques et les oppositions idéologiques, qui s’expriment notamment lors de la campagne relative au référendum sur le traité de Maastricht, gênent ce travail de reconstruction, enclenché autour de différentes « conventions » thématiques. La préparation des élections législatives de 1993 permet toutefois de regrouper les différentes tendances de l’opposition autour d’une Union pour la France (UPF). Mais il s’agit d’une structure collégiale, au sein de laquelle Valéry Giscard d’Estaing ne joue pas un rôle prépondérant15. Surtout, lors de la campagne électorale de 1995, l’UPF ne résiste pas au conflit entre les partisans des deux principaux candidats de la droite, Édouard Balladur et Jacques Chirac.

9Valéry Giscard d’Estaing n’a pas davantage réussi à renforcer le pouvoir de la confédération face aux rivalités qui opposent certains cadres de la formation ou certaines de ses composantes. À l’occasion des élections européennes de 1994, l’UDF exclut Philippe de Villiers, qui conduit une liste concurrente ; il avait déjà mené une campagne indépendante de l’UDF contre le traité de Maastricht. Le député de Vendée fonde alors le Mouvement pour la France trois ans après avoir créé l’organisation Combat pour les valeurs. De leur côté, les centristes, qui ont finalement échoué à développer une stratégie autonome et rejoignent en 1993 le groupe de l’UDF, affichent désormais leur ambition. Ils modernisent leurs structures et renouvellent leurs dirigeants. En décembre 1994, François Bayrou succède à Pierre Méhaignerie comme président du CDS, qui entend se transformer un an plus tard en un véritable parti de militants, « laïcisé » et doté d’un nouveau nom : Force démocrate. Censé rassembler « de Delors à Balladur16 », Force démocrate ne parviendra qu’à intégrer le petit Parti social démocrate, animé alors par André Santini17. L’autre grande composante de l’UDF, le PR, est davantage traversée par des oppositions de personnes et de sensibilités. Alors que François Léotard, président jusqu’en 1990 et à partir de 1995, cherche une synthèse entre libéralisme et centrisme social, le vice-président Alain Madelin radicalise ses positions libérales et s’engage dans des initiatives plus personnelles, comme l’illustre le lancement des clubs Idées-Action, en mars 1994. Au-delà de ces divergences internes, le PR ne peut plus être considéré comme le relais du giscardisme : à partir du printemps 1994, il conteste même ouvertement la stratégie du président de l’UDF, ralliant dans cette stratégie le Parti radical et, in fine, les centristes du CDS. Quant aux giscardiens fidèles, ils s’éloignent progressivement du PR – jusqu’à s’en séparer, en juillet 1995. Les Clubs Perspectives et Réalités, dans lesquels ils se recrutent, se transforment alors en Parti populaire pour la démocratie française (PPDF), animé notamment par Hervé de Charette (président du PPDF), Jean-Pierre Raffarin, Dominique Bussereau et Jean-Pierre Fourcade.

10Le jeu contradictoire entre les composantes affaiblit considérablement l’UDF, face au RPR notamment. Au lendemain des législatives de 1993, elle ne parvient pas à s’imposer son candidat à la présidence de l’Assemblée nationale, Dominique Baudis ne recueillant d’ailleurs même pas l’ensemble des voix du groupe de l’Union pour la démocratie française et du centre18. Et, lors des élections présidentielles de 1995, l’UDF ne présente ni ne soutient de candidat. Elle aborde en ordre dispersé le scrutin majeur de la vie politique française – ce qui marque bien l’échec du projet initial de Valéry Giscard d’Estaing.

L’effet déstabilisateur de l’élection de 1995

11Les élections de 1995, plus encore que celles de 1988, exacerbent les divisions de l’UDF. La majorité des cadres du PR s’est ralliée très tôt à la candidature d’Édouard Balladur, suivant ainsi l’appel lancé dès décembre 1993 par François Léotard19. Celui-ci est d’ailleurs l’un des principaux artisans de la campagne du Premier ministre. Les centristes font un choix comparable, même si leur nouveau chef, François Bayrou, garde le contact avec Jacques Chirac. Privé du soutien des deux principales sensibilités de la confédération, Valéry Giscard d’Estaing ne peut avancer sa propre candidature. Il contribue d’ailleurs à diviser sa propre organisation en faisant en sorte qu’Édouard Balladur n’apparaisse pas comme le candidat de l’UDF. Au cours de l’hiver 1994-1995, il laisse se développer la candidature de Charles Millon, qui se rallie finalement à Jacques Chirac en février 1995. Il soutient l’engagement d’Alain Madelin et de ceux qui, derrière Hervé de Charette, se réclament encore du giscardisme, en faveur du maire de Paris. Lui-même participe au meeting de Jacques Chirac à Clermont-Ferrand, le 16 mars 1995. Cette prise de position, en porte-à-faux avec la majorité de ses troupes, interroge les observateurs, comme en témoigne cette analyse de Michèle Cotta : « Peut-être, sur le plan des idées, serait-il en effet plus proche de Balladur. Mais ce dernier risque de lui voler son électorat, de s’installer comme un coucou dans le mouvement que lui, Giscard, a mis du temps à construire et qu’il a su conserver. L’ancien président de la République ne pardonne pas à Balladur d’avoir tenté une OPA sur l’UDF20. »

12La victoire de Jacques Chirac rompt les équilibres internes de la confédération, puisque ce sont des francs-tireurs giscardiens et centristes qui accèdent aux principales responsabilités ministérielles. Valéry Giscard d’Estaing lui-même apporte son soutien au gouvernement et au Premier ministre, notamment au lendemain du mouvement social de 1995. Le PR, en revanche, est marginalisé – ce qui pousse son président à afficher un soutien critique au gouvernement d’Alain Juppé en attendant d’être appelé à Matignon, espère-t-il, après les législatives prévues alors en 199821. L’UDF reste un spectateur plus qu’un acteur de la vie politique, tant elle semble incapable de peser sur les décisions du pouvoir.

13Dès le lendemain des élections présidentielles, Valéry Giscard d’Estaing annonce que la « phase active » de son action politique est « terminée22 », même s’il reconnaît implicitement n’avoir pas mené jusqu’à son terme le projet qu’il avait défini lorsqu’il a pris la présidence de l’UDF. Le 4 janvier 1996, sur France 2, il espère encore réaliser « l’unité » de son parti avant de quitter la présidence, tant il est convaincu qu’entre le RPR et le PS, il n’y a pas d’espace politique pour « cinq partis du centre23 ». Cette question est au cœur de la campagne pour sa succession qui, au cours des trois premiers mois de l’année 1996, s’avère particulièrement tendue. Deux mois avant le vote des 1 725 conseillers nationaux, qui a lieu le 31 mars 1996, Alain Madelin, également secrétaire général de l’UDF, annonce sa candidature, soutenue principalement par les giscardiens du PPDF, autour de la ligne explicitement libérale dont il est l’incarnation privilégiée depuis qu’il a fondé les clubs Idées-Action24. François Léotard, lui, s’appuie sur les deux principales composantes, le PR et Force démocrate, en vertu de l’alliance qu’il a contractée avec François Bayrou ; il centre son discours sur un humanisme fraternel d’inspiration démocrate-chrétienne, propre à flatter la sensibilité centriste. Le Parti radical présente son président, André Rossinot. Quant aux adhérents directs, ils se prononcent pour la candidature François Léotard, mais à une très courte majorité et dans des conditions contestées aussi bien par Alain Madelin que par Valéry Giscard d’Estaing25. Le déroulement de la campagne fait apparaître l’atomisation de l’UDF et, par ricochet, le bilan négatif de son président. Dans une note rédigée à la veille de scrutin, Michèle Cotta dresse un constat accablant de ce « mouvement en lambeaux » : « Le PR était divisé, il le reste. Les centristes restent unis autour de Bayrou parce qu’ils espèrent qu’il sera président de l’UDF. Hervé de Charette garde le petit parti qu’il a constitué, le PPDF, et Raffarin celui qu’il est en train de créer26. »

14Valéry Giscard d’Estaing intervient de façon paradoxale dans la campagne. Le 5 mars, il propose que soit organisé un référendum interne sur la question suivante : « Souhaitez-vous que l’UDF devienne un mouvement politique unifié ? » Il reprend ainsi une proposition d’Alain Madelin et se démarque de François Léotard, qui entend respecter l’autonomie des composantes et ne manque pas de souligner l’incongruité de la démarche du président sortant27. Lors de la séance publique du conseil national de l’UDF qui précède le scrutin, Valéry Giscard d’Estaing distingue en lui « le président de l’UDF », qui ne peut que recommander à chacun de « voter librement », et « le conseiller national du Puy-de-Dôme », qui soutient Alain Madelin. C’est sous les sifflets des partisans de François Léotard et François Bayrou qu’il regagne son siège. Il sort blessé de cette épreuve28. Et il quitte ce conseil avant le moment où les résultats, prévisibles, sont proclamés. Selon le témoignage de Bernard Stasi, « il a loupé sa sortie de l’UDF29 ».

15En effet, ces résultats sont un dernier échec pour Valéry Giscard d’Estaing. François Léotard est élu dès le premier tour, à une large majorité (57 % des 1 677 suffrages exprimés) – tandis qu’Alain Madelin ne dépasse pas 30 % des exprimés et qu’André Rossinot en rassemble 12 %. Cet antagonisme, qui perpétue le clivage entre balladuriens et chiraquiens, n’est pas résorbé par le nouveau président de l’UDF, en dépit des déclarations apaisantes qu’il a multipliées au cours de sa campagne interne30. Il est même exacerbé au printemps 1998, lors de la crise politique provoquée par l’élection de cinq présidents de conseils régionaux (tous membres de l’UDF) avec l’appoint des voix du Front national31. C’est cette crise politique qui provoque l’explosion de l’UDF, puis sa marginalisation.

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16De toute évidence, Valéry Giscard d’Estaing n’a pas réussi, entre 1988 et 1996, à dépasser les antagonismes culturels, stratégiques et personnels qui traversent l’UDF. Aux clivages historiques se sont même ajoutés de nouveaux affrontements, au fur et à mesure que se sont affirmées de nouvelles ambitions et que le contexte politique extérieur a imposé aux membres de l’UDF de faire des choix. Si la structure même de la confédération a rendu cette mission plus difficile à réaliser, la responsabilité de cet échec incombe bien à un président qui n’a pas su se poser en leader indiscuté, capable d’imposer ses vues et de transformer en profondeur son parti.