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Histoire de l'UDF

 | 
Gilles Richard
, 
Jean-François Sirinelli
, 
Sylvie Guillaume

L’UDF et l’économie : le libéralisme revisité

Sylvie Guillaume

Texte intégral

1Analyser les rapports entre l’UDF et l’économie, c’est d’abord se référer à l’affichage « libéral, centriste, européen » de ce parti. L’Union pour la démocratie française (UDF), dont le nom fait référence à l’ouvrage publié par Valéry Giscard d’Estaing en 1976, veut ainsi se différencier du RPR gaulliste de Jacques Chirac. La création de l’UDF en 1978, deux ans après celle du RPR, est une reconnaissance de la bipartition de la majorité souvent niée entre gaullistes et non gaullistes et l’obligation pour Valéry Giscard d’Estaing, un non gaulliste, minoritaire dans son propre camp depuis 1974, de restructurer sans rupture un « parti du président » après l’échec de la « giscardisation » du parti gaulliste. L’UDF s’affiche ainsi comme une formation « centriste » avec l’apport des démocrates-chrétiens, des radicaux et même de certains sociaux-démocrates, « européenne », ce qui la distingue du RPR très critique sur la politique européenne du président comme en témoigne l’appel de Cochin de Jacques Chirac en décembre 1978, et enfin « libérale ». Ce qualificatif relève-t-il du simple affichage ou est-il un véritable marqueur identitaire de l’UDF ? Telle est la question centrale de cette analyse.

  • 1 François Denord, Néo-libéralisme version française. Histoire d’une idéologie politique, Paris, Dem (...)

2Le caractère polysémique du libéralisme explique les ambiguïtés qui entourent la revendication d’une identité libérale. On peut parler tour à tour de libéralisme « culturel » avec le giscardisme en 1974 qui veut rassembler au centre, et de libéralisme économique voire de néolibéralisme avec Démocratie libérale (DL) d’Alain Madelin en 1997 qui ne tarde pas à se retirer de l’UDF. Le premier est un « libéralisme revisité » qui prend en compte les réalités françaises pendant que le second est importé du modèle anglo-saxon. Les libéraux sont majoritaires au Parti républicain qui s’était constitué aux assises de Fréjus en 1977 et dans les Clubs Perspectives et Réalités, deux composantes de l’UDF aux côtés des courants démocrate-chrétien et radical. Le libéralisme peut être à la fois un facteur de cohésion et de division à l’UDF réunissant des sensibilités différentes. Il est aussi progressivement partagé par l’autre grande formation rivale, le RPR. La porosité entre gaullistes et non gaullistes se réclamant les uns et les autres du libéralisme économique est renforcée par les aléas d’une conjoncture politique, économique et sociale qui dictent des politiques pragmatiques éloignées des fidélités idéologiques. Ainsi en 1986 le néolibéralisme du gouvernement de Jacques Chirac chasse le libéralisme giscardien, pour reprendre la phrase de François Denord1. Le facteur temps est donc important pour souligner les évolutions de la référence libérale propre à l’UDF puis très largement partagée en dehors d’elle, ce qui tend à nuancer peu à peu l’originalité de ce parti au sein des droites françaises.

Le libéralisme revisité par le giscardisme ou le libéralisme au pouvoir

3Le rôle de Valéry Giscard d’Estaing dans l’identification de l’UDF au libéralisme est incontestable et il s’exerce avant même la création de ce parti qui en assume tout l’héritage depuis le Centre national des indépendants et paysans (CNIP), grande formation libérale de droite sous la IVe République. Or, la carrière de Valéry Giscard d’Estaing commence dans les rangs du CNIP aux côtés d’Antoine Pinay, d’abord au cabinet d’Edgar Faure en 1955 puis au secrétariat d’État aux Finances en 1959. La référence libérale est partagée par le CNIP et les Républicains indépendants de Valéry Giscard d’Estaing qui se sont transformés en véritable parti en 1966 sous le nom de Fédération nationale des républicains indépendants (FNRI). Les RI puis la FNRI deviennent les alliés du parti gaulliste tout en affichant leur singularité. Leur histoire s’identifie à la carrière de Valéry Giscard d’Estaing qui prononce le « oui mais » en janvier 1967 et qui appelle à voter « non » au référendum d’avril 1969, contribuant au départ du général de Gaulle. La volonté d’autonomisation ne relève pas que de la seule stratégie ; elle repose aussi sur l’affirmation de la pensée libérale de Valéry Giscard d’Estaing qui critique l’interventionnisme étatique du gaullisme, comme le fit déjà Antoine Pinay, ministre des Finances dans le gouvernement de Michel Debré avant son départ forcé en 1960.

4L’accession à l’Élysée en 1974 de Valéry Giscard d’Estaing est considérée comme une première alternance dans la République gaullienne parce que, pour la première fois, un non gaulliste est élu à la magistrature suprême. Insistant sur la notion de changement, il se dit attaché aux grands thèmes du libéralisme politique, la défense du pluralisme, le sens des responsabilités et l’approfondissement des libertés. Il tente la synthèse entre le libéralisme et le volontarisme étatique, synthèse pas toujours facile à mettre en pratique.

  • 2 Cité par Mathias Bernard, « Le projet giscardien face aux contraintes du pouvoir », dans Serge Ber (...)

5En 1974, le président de la République lance des réformes audacieuses, expression du libéralisme politique et culturel, comme l’abaissement de l’âge électoral, l’élargissement du droit de saisine du Conseil constitutionnel, la suppression de l’ORTF au profit de plusieurs sociétés audiovisuelles, la législation sur le divorce par consentement mutuel et celle sur l’IVG qui fit débat dans la majorité et qui fut votée grâce à l’apport de la gauche. C’est sous sa présidence qu’est créé le ministère des Réformes, occupé très ponctuellement par le leader radical Jean-Jacques Servan-Schreiber, auteur du Défi américain publié en 1967. Le projet réformateur de Valéry Giscard d’Estaing est une prise en compte d’un profond désir de changement après Mai 68, mais sans rupture. Comme l’écrit son collaborateur Yves Cannac, secrétaire général adjoint de l’Élysée, « la stratégie du changement repose sur un postulat optimiste : que le changement est possible et que, loin de précipiter la Révolution, il l’éloigne2 ». Valéry Giscard d’Estaing précise sa pensée dans Démocratie française, publié en 1976, en utilisant la formule « libéralisme avancé » qui prend en compte les attentes sociales et se distingue du « libéralisme sauvage ». Le « libéralisme avancé » est la recherche d’une troisième voie entre le marxisme et « le libéralisme classique qui ne rend pas compte de la réalité sociale contemporaine ». Il parle alors de la nécessité de développer « une société libérale avancée » qui s’inscrit dans une logique politique voulant dépasser le clivage droite-gauche. Quant au libéralisme économique, il doit être plus « équitable », plus « économe » et doit être à la base d’une nouvelle croissance. Il s’agit bien ici d’un « libéralisme à la française », celui de la juste mesure, qui avait déjà été plus ou moins affirmé par Antoine Pinay. Cette modération est également sensible dans le rôle attribué à l’État qui doit être modernisateur et volontariste ; il est un instrument de la régulation sociale. « Il ne doit être ni envahissant, ni arbitraire », écrit encore Valéry Giscard d’Estaing.

  • 3 On renverra ici à mon article « L’action gouvernementale, 1978-1981 », dans Serge Berstein et Jean (...)
  • 4 Raymond Barre, Une politique pour l’avenir, Paris, Plon, 1981, p. 107.

6Le choix de Raymond Barre3, après la démission remarquée de Jacques Chirac en 1976, renforce le libéralisme au pouvoir. Raymond Barre confie au journaliste Jean Boissonnat : « Si je voulais résumer ma pensée, je dirais qu’en politique je suis un libéral et qu’en économie je suis favorable à une gestion qui assure le progrès économique et social par la liberté, la responsabilité, la concurrence et la concertation. Ma philosophie est libérale, ma gestion s’efforce d’être réaliste4. »

7Raymond Barre qui, en 1976, n’est inscrit à aucun parti, est un universitaire qui a déjà mis ses compétences économiques au service de l’État en étant le directeur de cabinet du gaulliste Jean-Marcel Jeanneney, ministre de l’Industrie en 1959, puis vice-président de la commission européenne nommé par le général de Gaulle en 1967 et ministre du Commerce extérieur dans le gouvernement de Jacques Chirac en 1976. Libéral, Raymond Barre l’est incontestablement dans la pensée. Agrégé d’économie politique, il signe des comptes rendus d’ouvrages dans la revue Critique et traduit Friedrich Hayek en 1953. Il est très admiratif du modèle allemand, celui de « l’économie sociale de marché », expression inventée par le libéral Alfred Müller-Armack et dont les grandes lignes furent élaborées par l’école de l’ordo-libéralisme de l’université de Friburg-en-Brisgau (Walter Eupken, Wilhelm Röpke) et mises en pratique par Ludwig Erhard, ministre de l’Économie de Konrad Adenauer puis Chancelier en 1965. « L’économie sociale de marché » accepte des formes d’intervention de l’État en faveur du social à condition que celles-ci soient compatibles avec la doctrine du marché. Raymond Barre adhère ainsi à ce que François Denord qualifie de néolibéralisme auquel nous préférons les termes de « libéralisme revisité » ou « libéralisme à la française » pour définir le libéralisme des années 1970 qui avait aux yeux de l’opinion une connotation moins négative que celle attachée au néolibéralisme ou à l’ultra-libéralisme aujourd’hui.

8Raymond Barre est libéral dans la pratique, partisan du freinage de l’inflation, de la limitation des dépenses, du rétablissement de l’équilibre des paiements à l’extérieur. Il est l’homme de la libération des prix en 1978, mesure réclamée par le patronat français depuis la guerre et qu’il avait envisagé de prendre dès 1976 mais qui fut reportée de deux ans à cause des échéances électorales de 1978. La méthode est, comme le définit Raymond Barre lui-même, « gradualiste » et, pourrait-on ajouter, pragmatique, conscient des contraintes consécutives aux chocs pétroliers de 1973 et de 1979 qui sont accompagnés d’une forte montée du chômage, ce qui l’amène à prendre des mesures plus interventionnistes comme le « Pacte national pour l’emploi des jeunes » et le contrat à durée déterminée en 1977, avec l’aide de Christian Beullac, ministre du Travail, et de son conseiller aux questions sociales, Raymond Soubie.

9L’UDF, dont la création intervient deux ans après celle du RPR, reprend à son compte le libéralisme présidentiel, ce qui lui permet aussi d’affirmer son originalité par rapport au parti de Jacques Chirac. Mais Michel Poniatowski avait, dès 1972, justifié la nécessité de l’existence d’une formation d’inspiration libérale distincte du gaullisme en ces termes : « Réunir organiquement l’UDR et l’ensemble des libéraux serait vraiment assez hétéroclite. On peut envisager à côté de l’UDR un grand ensemble libéral et c’est une situation que je souhaite. Mais fondre les deux tendances, c’est dans l’état actuel des choses marier la carpe et le lapin, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne puissent pas cohabiter ensemble. »

10Le libéralisme est donc bien un identifiant de l’UDF par rapport au RPR, dont les critiques, notamment sur la politique économique et la gestion de la crise par le gouvernement de Raymond Barre, se font de plus en plus dures : « ce n’est pas je ne sais quel libéralisme, je ne sais quel laissez aller au nom de je ne sais quels principes qui avaient cours au XIXe siècle qui nous permettront de surmonter nos difficultés », proclame Jacques Chirac en 1978, qui souligne implicitement l’attachement du giscardisme à un libéralisme archaïque et caricatural.

11Le discours de l’UDF reprend à son compte les thèmes de Valéry Giscard d’Estaing sur le « libéralisme avancé », confortés par les réflexions des Clubs Perspectives et Réalités créés en 1965. Ces clubs avaient pour mission de rassembler « la famille intellectuelle » de Valéry Giscard d’Estaing plus que sa « famille politique » et de nourrir une réflexion économique et sociale dont bénéficiait déjà la FNRI. Libéraux, les membres des Clubs Perspectives et Réalités qui réunissent en majorité des membres des professions libérales ne sont pas hostiles à « un effort inlassable en faveur de la justice sociale » tout en demeurant fidèles à l’orthodoxie budgétaire ; ils défendent le pluralisme de la majorité, les droits du Parlement, la décentralisation et veulent favoriser « un regroupement des modérés largement ouvert », d’où leur affichage de « centristes ». Contrairement à ce que proclamait Jacques Chirac, la mouvance libérale qui gravite autour de Valéry Giscard d’Estaing exclut tout dogme traditionnel du « laisser faire, laisser passer ». En 1977, les Clubs Perspectives et Réalités restent en dehors du Parti républicain (PR) dont le secrétaire général est Jean-Pierre Soisson, député-maire d’Auxerre.

  • 5 Alexis Massart, « Y a-t-il un parti libéral en France ? », dans Paul Delwit (dir.), Libéralisme et (...)

12Après des débuts difficiles, le PR s’intègre dans la confédération élargie de l’UDF présidée par Jean Lecanuet, démocrate-chrétien, entouré par trois vice-présidents, Jean-Pierre Soisson pour le PR, Françoise Giroud pour le Parti radical et Jean-Pierre Fourcade pour les Clubs Perspectives et Réalités. Les trois courants de pensée sont donc représentés à l’UDF et ils se rassemblent dans un premier temps autour du libéralisme présidentiel malgré quelques discordances. Certes les délégués de l’UDF issus des rangs du Parti républicain et des Clubs Perspectives et Réalités sont plus favorables à des mesures économiques d’inspiration libérale5 que les cadres issus du CDS, d’inspiration chrétienne-démocrate. Mais le « libéralisme avancé » est bien un marqueur identitaire commun aux trois courants de l’UDF au moins jusqu’en 1981.

  • 6 Terme emprunté à François Denord, « Les droites parlementaires et le libéralisme économique au déb (...)

13Le dissensus se manifeste avec l’orientation de l’ensemble des droites vers un néolibéralisme, largement importé des modèles anglo-saxons. Cette évolution correspond à une droitisation de l’UDF. On est ainsi passé d’un libéralisme à la française qui tente de faire la synthèse entre un désir de changement de la société française et la prise en compte d’une tradition colbertiste, à un libéralisme importé symbolisé par la publication en 1970 de l’ouvrage Demain le capitalisme d’Henri Lepage, formé à Sciences Po, à la London School of Economics puis à l’université du Colorado. Ceux qui, comme Henri Lepage, furent appelés « les nouveaux économistes » vont influencer les responsables politiques de droite, entrés dans l’opposition en 1981 après l’élection de François Mitterrand. UDF et RPR affichent alors un libéralisme « réactionnel6 », c’est-à-dire en réaction aux politiques de gauche.

Le néolibéralisme partagé des années 1980 et ses limites

14La référence au néolibéralisme est d’abord un facteur d’union entre l’UDF et le RPR en réaction aux politiques de la gauche à partir de 1981. Ce néolibéralisme partagé est même antérieur à l’arrivée de la gauche au pouvoir. Déjà sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, le « libéralisme avancé » réformateur de la société de l’année 1974 cède le pas à la gestion de la crise économique. Les mesures libérales s’appliquent au seul champ économique avec la libération des prix et le lancement des SICAV en 1978 pour assurer la mutation du marché financier et accroître la concurrence dans l’économie. Cette politique est bénéfique jusqu’à ce que le second choc pétrolier de 1979 vienne réactiver les déséquilibres et amplifier la montée du chômage.

  • 7 Bernard Lachaise, « Le RPR et l’économie », dans Olivier Dard et Gilles Richard (dir.), Les droite (...)

15Le tournant néolibéral du RPR est également antérieur à 1981. Il est progressif et il s’est paradoxalement manifesté contre les politiques giscardienne et barriste jugées inefficaces. Sous l’influence de Jean Méo, « conseiller économique et social du RPR », Jacques Chirac fait de son attachement au libéralisme l’un des thèmes majeurs de sa campagne de 19817.

16Le néolibéralisme est au cœur de l’identité des partis de droite qui entrent dans l’opposition en 1981 et qui reviennent au pouvoir en 1986 et en 1993 mais dans le cadre de gouvernements de cohabitation sous la conduite de deux dirigeants du RPR, Jacques Chirac d’abord, Édouard Balladur ensuite, alors que François Mitterrand est à l’Élysée. Les centristes du CDS comme Pierre Méhaignerie participent à l’expérience néolibérale du gouvernement Chirac, projet très éloigné de leurs racines idéologiques. Édouard Balladur, conseiller de Jacques Chirac depuis 1979, entre dans son gouvernement de 1986 comme ministre d’État, ministre de l’Économie et des Finances et, titre hautement symbolique, des Privatisations. 65 entreprises vont être ainsi privatisées. L’influence d’Édouard Balladur s’accroît en 1993 lorsqu’il est lui-même nommé à Matignon dans le deuxième gouvernement de cohabitation. Il lance une nouvelle vague de privatisations. L’attachement au libéralisme économique s’inscrit dans une stratégie d’union contre les politiques de la gauche au pouvoir.

17La référence néolibérale est contemporaine d’une homogénéisation sociale de la droite parlementaire, proche des intérêts des classes moyennes indépendantes et du secteur privé ainsi que d’un renouvellement des cadres. À l’UDF, François Léotard, alors président du PR, s’emploie avec Alain Madelin et Gérard Longuet à reconstruire une droite qui s’appuie sur un programme libéral éloigné du « libéralisme avancé » de Valéry Giscard d’Estaing et qui s’inspire davantage de la pensée de Friedrich Hayek ou des thèses monétaristes de Milton Friedman. Au RPR, on constate un rajeunissement des cadres comparable à celui qui touche l’UDF sous l’influence des conseillers de Jacques Chirac à la mairie de Paris comme Alain Juppé, normalien et énarque qui a suivi la campagne de Ronald Reagan aux États-Unis, et plus encore Yvan Blot, également énarque, chef de cabinet de Bernard Pons, secrétaire général du RPR, qui préside depuis 1974 le Club de l’Horloge dont l’ambition est alors de renforcer les liens entre l’UDF et le RPR en y associant ensuite le Front national pour construire une droite nationale et libérale en rupture avec un modèle social plus égalitaire. Les Clubs Perspectives et Réalités ont leur homologue au RPR avec le Club 89, fondé par des proches de Jacques Chirac en 1981. Citons aussi le Groupe de recherche, d’action et de liaison des libéraux (GRALL), créé par les « nouveaux économistes » comme Henri Lepage qui travaille en collaboration avec des responsables politiques de l’UDF comme François Léotard, Gérard Longuet et Alain Madelin. C’est également à la fin des années 1970 que se structure autour de Raymond Aron la revue libérale Commentaire.

  • 8 Sylvie Guillaume, Le petit et moyen patronat dans la nation française de Pinay à Raffarin, 1944-20 (...)

18Le travail commun aux partis et aux clubs mené par les jeunes générations favorise l’élection en 1986 d’une majorité UDF-RPR sur la base d’un programme libéral comme en témoigne la « plate forme pour gouverner ensemble », publiée en janvier 1986. On y préconise de « libérer l’économie pour renouer avec la croissance », de s’engager dans la voie des dénationalisations et des déréglementations. Ce programme rejoint très largement les propositions du patronat français représenté par le Conseil national du patronat français (CNPF), dirigé alors par Yvon Gattaz, et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), dirigée par René Bernasconi, tous deux hostiles aux mesures prises par la gauche, notamment de 1981 à 19838.

19Mais la référence au néolibéralisme est aussi un facteur de divisions à l’UDF entre libéraux et centristes.

20Après l’échec de la candidature de Raymond Barre aux présidentielles de 1988 qu’ils avaient soutenue, les centristes du CDS veulent affirmer leur originalité démocrate-chrétienne, ouverte aux problèmes de société et éloignée des thèses du Parti républicain. Les deux principales formations de l’UDF, PR et CDS, s’affrontent également sur l’Europe comme le montre la constitution d’une liste centriste dirigée par Simone Veil aux européennes de 1989, distincte de la liste UDF-RPR. Dès 1990, la « bande à Léo », plus proche du RPR, est marginalisée à l’UDF. En 1996, l’affrontement entre François Léotard et Alain Madelin pour succéder à Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de l’UDF et la victoire du premier, allié au centriste François Bayrou, a eu pour conséquence la création de Démocratie libérale (DL) par Alain Madelin qui fait sécession.

21C’est dans les années 1990 qu’intervient l’entreprise de François Bayrou, élu président du CDS en 1994. Ministre de l’Éducation nationale dans le gouvernement d’Alain Juppé en 1995, il remplace le CDS par Force démocrate, nouvelle formation dont le but est de reconquérir l’espace politique du centre. Il est élu président de l’UDF en 1998 et se porte candidat à la présidentielle de 2002 contre Jacques Chirac. Son programme est très éloigné du néolibéralisme qu’il combat vigoureusement et il renoue ainsi avec la tradition sociale démocrate-chrétienne. Son échec en 2002 précipite l’implosion de l’UDF.

22Si le néolibéralisme économique est commun aux deux composantes de la droite à partir de la fin des années 1970 jusqu’au début des années 1990, il est largement de circonstance dans une stratégie d’union contre la gauche. Mais il est loin d’être strictement appliqué dans les politiques économiques conduites par les partis qui y sont attachés. Jacques Chirac lui-même a fait campagne en 1995 sur le thème de « la fracture sociale ». Les témoignages oraux et écrits des membres de l’entourage de Valéry Giscard d’Estaing, comme Jean Serisé ou Yves Cannac, ou de Raymond Barre, comme Francis Gavois, insistent sur le caractère pragmatique des politiques économiques et minorent une quelconque fidélité doctrinale. Le pragmatisme régule aussi les conflits qui peuvent exister entre le ministère de l’Industrie plus volontiers interventionniste et celui des Finances plus soucieux d’équilibre budgétaire. La politique industrielle qui a pu opposer deux objectifs, celui qui consiste à privilégier les industries les plus performantes dans une logique libérale et celui qui aide celles en difficulté pour soutenir l’emploi, ne relève pas non plus d’une application stricte d’une idéologie.

  • 9 Cité par Bernard Lachaise, dans Olivier Dard et Gilles Richard (dir.), Les droites et l’économie…, (...)

23Il est donc difficile de tirer des conclusions définitives sur l’identification de l’UDF au libéralisme sans revenir à la polysémie du terme – il existe bien des différences entre « la société libérale avancée » de 1974 et le néolibéralisme des années 1980. À l’UDF, qui rappelons-le est une confédération, le néolibéralisme du Parti républicain est contesté par les composantes démocrate-chrétienne et radicale. Mais le RPR qui offrait une image plus homogène n’en était pas moins traversé par des courants contraires entre des personnalités comme Jean Méo et son projet Atout France, qui inspira le tournant néolibéral du parti gaulliste, et Philippe Séguin qui voit une impasse « dans la monomanie libérale9 ».

24C’est donc sur la complexité de l’identité libérale de l’UDF que nous conclurons, complexité qui évolue avec la conjoncture économique et politique. Le marqueur identitaire du libéralisme présidentiel initial de l’UDF perd de sa pertinence lorsqu’il est partagé avec le RPR. On assiste alors à une évolution vers le néolibéralisme économique qui unit les deux droites dans une même opposition à la gauche au pouvoir à partir de 1981. Mais le néolibéralisme devient aussi un facteur de désunion au sein de l’UDF, partagée entre les libéraux et les centristes démocrates-chrétiens qui hésitent en 2002 entre le ralliement à l’UMP et la stratégie d’autonomie conduite par François Bayrou.

Notes

1 François Denord, Néo-libéralisme version française. Histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007.

2 Cité par Mathias Bernard, « Le projet giscardien face aux contraintes du pouvoir », dans Serge Berstein et Jean-François Sirinelli (dir.), Les années Giscard. Les réformes de société, 1974-1981, Paris, Armand Colin, 2007, p. 19.

3 On renverra ici à mon article « L’action gouvernementale, 1978-1981 », dans Serge Berstein et Jean-François Sirinelli (dir.), Les années Giscard. 1978-1981 : les institutions à l’épreuve ?, Paris, Armand Colin, 2010, p. 57-73, et « Le chef de gouvernement » dans Raymond Barre, un homme singulier dans la politique française, Paris, Éditions de Fallois, 2010.

4 Raymond Barre, Une politique pour l’avenir, Paris, Plon, 1981, p. 107.

5 Alexis Massart, « Y a-t-il un parti libéral en France ? », dans Paul Delwit (dir.), Libéralisme et partis libéraux en Europe, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2002, p. 86.

6 Terme emprunté à François Denord, « Les droites parlementaires et le libéralisme économique au début des années 1980 », dans Olivier Dard et Gilles Richard (dir.), Les droites et l’économie en France au XXe siècle, Paris, Riveneuve éditions, 2011, p. 21.

7 Bernard Lachaise, « Le RPR et l’économie », dans Olivier Dard et Gilles Richard (dir.), Les droites et l’économie…, op. cit., p. 219.

8 Sylvie Guillaume, Le petit et moyen patronat dans la nation française de Pinay à Raffarin, 1944-2004, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2004, p. 106.

9 Cité par Bernard Lachaise, dans Olivier Dard et Gilles Richard (dir.), Les droites et l’économie…, op. cit., p. 223.

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