Avant-propos
p. 11-14
Texte intégral
1Depuis une quinzaine d’années, la télévision, le cinéma, la littérature, les bandes dessinées ou les jeux vidéo donnent corps à une nouvelle représentation féminine, celle d’une créature androgyne dotée de pouvoirs et de facultés physiques redoutables. Inspirée par la culture des mangas japonais, personnage de jeu vidéo comme celui de Tomb Raider, ou héroïne de films d’action ou de science-fiction comme Nikita ou Le Cinquième Élément de Luc Besson, la femme d’action apparaît comme une redoutable combattante. Récemment encore, dans une publicité pour une marque d’automobile tout terrain, on pouvait voir une femme reprenant les codes vestimentaires du héros d’Indiana Jones. L’héroïne, vêtue d’un blouson de cuir court, d’une chemise d’homme et d’un pantalon, traversait la jungle urbaine en se suspendant aux panneaux de signalisation, effectuait des rétablissements, franchissait des obstacles pour sauter dans son véhicule 4x4, les embouteillages vaincus, pour se recoiffer. La publicité affichait sobrement en guise de slogan : « Tout simplement hors norme !!! »
2Aujourd’hui, selon Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut1, chacun, par une expérience individuelle, peut avoir rendez-vous avec l’Histoire. La nature même de l’aventure s’en trouve ainsi modifiée car elle cesse d’être une simple affaire de spécialistes et d’élus.
« L’énergie consacrée autrefois à la guerre, à la conquête ou en changement révolutionnaire se transforme à notre époque en d’innombrables passions de la vie privée2. »
3Il existe désormais une profusion des tentatives d’exploits, et notamment d’exploits féminins. Pour autant, l’insertion des femmes dans des combats, se déroulant généralement dans un milieu urbain, n’est pas simplement virtuelle, elle trouve une résonance particulière, avec la participation bien réelle et fortement médiatisée des femmes dans des actes de guérilla ou des actions terroristes que ce soit en Tchétchénie ou en Israël. Ainsi, si l’aventure remplace au niveau des individus ce que représente la guerre ou la conquête coloniale pour une collectivité3, alors plusieurs indicateurs nous montrent une résurgence du questionnement autour de la femme en aventure.
4Nous pouvons dégager quatre grandes tendances qui témoignent de ce retour. Elles sont d’ordre médiatique et commercial, terminologique, généalogique et idéologique.
5Le premier aspect, que l’on peut qualifier de médiatique et de commercial, annonce un véritable renversement de tendance. Il semble, en effet, aujourd’hui que l’on assiste à une « sur médiatisation » de l’exploit féminin (Ellen MacArthur a eu davantage de retombées que le réel vainqueur du Vendée Globe Challenge Michel Dejoyaux). Cette « sur médiatisation » a deux effets. D’une part, la multiplication des tentatives féminines, nous l’avons dit. C’est ainsi que Maud Fontenoy a traversé le Pacifique à la rame, Raphaëla le Gouvello4, le Pacifique en planche à voile, tandis que Laurence de la Ferrière parcourait le pôle sud à skis tractés par une voile. D’autre part, il semble qu’aujourd’hui, il est plus facile pour les femmes que pour les hommes d’obtenir des sponsors pour l’organisation de leurs projets. Cette critique fut adressée par les observateurs du monde de la voile après les victoires de Karine Fauconnier ou d’Ellen MacArthur dans des compétitions mixtes.
6Le deuxième aspect, qualifié de terminologique est lié à la féminisation de l’exploit évoqué précédemment. Il correspond à un affaiblissement terminologique du terme d’aventure auquel on associe aujourd’hui le terme d’extrême. Les expressions « d’aventure extrême » ou « d’aventurier(ère) de l’extrême » indiquent peut-être une tentative de réinvestissement viril d’une pratique de loisir qui en se féminisant « s’attiédirait ». Je pourrais à ce titre reprendre les propos de Titan Lamasou : « Le Vendée Globe est devenu, un sport de gonzesse ! ! » qui se plaignait de l’utilisation de routeur professionnel et de la présence à bord d’un équipement électronique qui facilite la navigation.
7La troisième tendance générale est d’ordre généalogique. Elle indique une volonté très actuelle de reconstruire une filiation par la « mère ». Redonner une mémoire à ces nouvelles aventurières, retrouver le fil qui lie Ellen MacArthur à Ella Maillart, ou Alexandra David-Néel à Chantal Mauduit. Cette prégnance d’une recherche généalogique est attestée par la parution de livres comme celui d’Amandine Roche Nomade sur la Voie d’Ella Maillart5, mais aussi par exemple par le récent article de Nina Astruc Prudhon6, dans le numéro d’avril 2005 de Trek magazine qui s’intitule : « Retour d’une Parisienne à Lhassa ». Cet article relate le périple à pied de 5 000 km entrepris par Priscilla Témon, d’Hanoï à Calcutta, en passant par le Tibet. Les titres, les mises en scène des « héroïnes », l’aspiration et l’inspiration réactualisent la question de l’impact, de la portée des premiers « exploits féminins » sur plusieurs générations d’hommes et de femmes. Quels témoignages ont-elles laissé ? Ont-elles ouvert la trace à une nouvelle génération de sportives de l’extrême ? Le numéro spécial sur l’écriture des femmes7 établit un lien entre ces nouvelles aventurières et les premières grandes voyageuses. Leur modernité a-t-elle favorisé la montée des individualismes par la revendication assumée d’un droit pour chaque individu à l’accomplissement personnel, dans le sport par exemple ou dans l’aventure ? Les questions posées autour de cette recherche généalogique tournent toutes, finalement, autour des représentations et des discours qui ont accompagné ou qui ont été associés à l’aventure au féminin.
8C’est là la quatrième et dernière tendance, celle que je qualifie d’idéologique. Elle concerne les valeurs supposées véhiculées dans l’exploit féminin. Plusieurs faits de l’actualité récente illustrent cet investissement du politique dans le monde de l’aventure.
9À la Réunion, durant l’année 2006-2007, deux exploits féminins ont donné lieu à la production de discours politiques. C’est d’abord Raphaëla le Gouvello qui, après avoir traversé l’océan Indien en planche à voile, est accueillie par la ville du Port avec les drapeaux noirs de l’association des Femmes réunionnaises présidée par Huguette Bellot, députée communiste. La seconde, Maud Fontenoy, qui entreprend de faire le tour du monde à contre-courant, seule sur un voilier, est l’objet d’une exploitation médiatico-politique de la part d’une candidate à la présidence de la République, Ségolène Royal. Cette dernière inscrit son parcours politique dans la métaphore de la tentative de la navigatrice. Elle modifie ainsi son programme de campagne pour se faire filmer à bord du l’Oréal, puis invite Maud Fontenoy à l’accompagner lors d’une émission sur Canal+.
10Un autre exemple du discours porté sur l’exploit féminin nous est fourni par la Une d’un nouveau magazine d’actualité qui pose une question, semble-t-il, capitale : « Les femmes vivent-elles le même monde que les hommes ? » et l’illustre d’une photo, pleine page, d’Ellen MacArthur8.
11Par-delà la vision surannée d’un éternel féminin mis en lumière dans les concours de beauté, l’article fait émerger deux figures mythiques de femmes : la sœur au service des déshérités d’Orient et l’aventurière des mers. Deux figures phares du « courage » viril des femmes à l’étranger, deux figures récurrentes associées dans l’imaginaire de la société française puisqu’on les trouve déjà à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Il semble qu’au cœur des questions posées par la société par ces femmes de « l’extrême » on retrouve ce besoin de justification, d’utilité. Ainsi le journal Marie Claire d’août 2005 titre : « Mais que sont-elles allées faire dans cette galère9 ? » La journaliste se proposait d’interroger la motivation de ces aventurières :
« Comment peut-on tout plaquer pendant des mois pour vivre dans des conditions extrêmes au péril de sa vie ? Même si l’on s’incline face à ces nouvelles aventurières, leurs motivations et, surtout, le plaisir qu’elles y trouvent laisse perplexe10. »
12Sujet d’actualité, la thématique de ces femmes de l’extrême devient un sujet à la mode, si l’on en juge par le nombre de publications et de colloques.
13Les quatre indicateurs choisis, médiatique, terminologique, généalogique et idéologique, constituent finalement des filtres d’analyses intéressants pour cet ouvrage qui prétend proposer une histoire sensible des femmes en aventure. Car, comme l’écrit Raphaëla le Gouvello, derrière chaque aventure il y a cette reconquête de l’essence et des sens, cette quête gourmande du goût puissant de la vie.
14Ce livre est le résultat du tamisage d’une thèse de doctorat menée à l’université de la Réunion sous la direction d’Évelyne Combeau-Mari, intitulée : L’émergence de l’aventure au féminin en France de 1850 à 1936. De la voyageuse à la sportive et soutenue en octobre 2009. Le texte est ainsi allégé d’exemples et d’une partie de son ossature méthodologique et épistémologique, que le lecteur pourra retrouver dans la thèse originale.
Notes de bas de page
1 P. Bruckner et A. Finkielkraut, Au coin de la rue l’aventure, Le Seuil, 1979.
2 Ibid., p. 22.
3 Ibid., p. 21.
4 R. le Gouvello, L’odyssée du vent. Au cœur du Pacifique, Glénat, 2004.
5 A. Roche, Nomade sur la voie d’Ella Maillart, Arthaud, 2003.
6 N. Astruc Prudhon, « Retour d’une Parisienne à Lhassa », revue Trek magazine, avril 2005, p. 16.
7 Lire-Spécial filles, no 345, mai 2006, p. 41.
8 S. Chaine, « Les femmes vivent-elles le même monde que les hommes ? », Non-Stop dans le monde, no 3, mars 2005, p. 46-61.
9 A. Perreau, Marie Claire, août 2005, p. 72.
10 Ibid.
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