Les idées pédagogiques de Jean-Marie de la Mennais
|Deuxième partie. Former des prêtres, éduquer les filles, catéchiser les esclaves
Chapitre I. Une préoccupation de l’abbé de la Mennais : la formation du clergé
Entrées d'index
Géographique :
FranceTexte intégral
- 1 Ch. Maréchal, La jeunesse de La Mennais, Paris, 1913, p. 209.
- 2 Paragraphes 7 et 23. Le texte du Torrent… est cité par André Dargis, d’après le manuscrit original (...)
1« Tout ce qu’ils rêveront de faire, et tout ce qu’ils feront, aura trouvé son point de départ dans ce projet gigantesque1 » : c’est ainsi que Ch. Maréchal souligne l’importance pour les deux frères Lamennais du Torrent d’idées vagues, manuscrit écrit en novembre 1807 par Jean-Marie. Ébauche de projet gigantesque serait-il plus juste de préciser mais qui contient pourtant quelques idées-forces qui vont nourrir la réflexion et l’action des deux frères. Ainsi, pour Jean-Marie de la Mennais, l’une des premières tâches à accomplir est d’analyser « l’état des études ecclésiastiques avant la révolution et à présent, la tendance à leur donner », puis d’œuvrer au « rétablissement d’un corps théologique savant en France2 » ; deux thèmes qui seront analysés et développés par Félicité et Jean-Marie de la Mennais dans les Réflexions sur l’état de l’Église en France pendant le xviiie siècle et sur sa situation actuelle et verront leur concrétisation avec la création de la Congrégation de Saint-Pierre.
Une formation théologique insuffisante
- 3 Mandement de MM. les Vicaires généraux du diocèse de Saint-Brieuc qui annonce l’établissement d’un (...)
- 4 B. Plongeron, Histoire du christianisme, t. 10, Les défis de la modernité (1750-1840), Paris, 1997 (...)
- 5 C. Langlois, Le diocèse de Vannes au xixe siècle, 1800-1830, Paris, 1974, p. 297 et 302.
- 6 M. Lagrée, Mentalités…, op. cit., p. 184-185.
2En 1816, dans une lettre annonçant la création d’une école ecclésiastique à Tréguier, Jean-Marie de la Mennais constate qu’il existe encore « des cantons entiers où la foi s’éteint et les mœurs se dépravent faute d’instruction » et il ajoute, à l’adresse des fidèles du diocèse de Saint-Brieuc, « combien de fois ne vous avons-nous pas vus venir tout en pleurs, nous représenter votre détresse, et nous demander des pasteurs que nous ne pouvions vous accorder parce qu’ils n’existaient pas ?3 ». Pour faire face à la crise des effectifs ecclésiastiques, à un clergé usé et vieilli (moyenne d’âge de 60 ans), l’Église va donner la priorité au recrutement sacerdotal avec, dans les premières années, un taux lent de reprise des ordinations favorisées par la réouverture des grands séminaires et l’actif réseau des écoles presbytérales, et une progression continue jusqu’aux années 1826-1830, période d’apogée pour nombre de diocèses4. Ainsi, Claude Langlois observe, pour le diocèse de Vannes, qu’en moins de vingt ans, de 1808 à 1825, le clergé en activité s’est accru de 40 % et qu’en 1830, sept prêtres sur huit ont moins de 30 ans5. Cette nouvelle génération d’ecclésiastiques, essentiellement dirigée vers le ministère des paroisses, se distingue de la précédente par son origine rurale : « si le clergé d’Ancien Régime, écrit M. Lagrée, doit être considéré d’origine souvent bourgeoise et urbaine, et doué par là même d’un niveau socio-culturel souvent supérieur à celui de la masse des fidèles des campagnes, celui du xixe siècle, en Bretagne du moins et probablement dans l’ensemble des régions de forte vitalité religieuse, est à forte dominante rurale6 ». Qu’en est-il alors de la formation de ce clergé ?
- 7 J.-M. et F. de la Mennais, Réflexions…, op. cit., p. 106.
- 8 Sur l’enseignement de la théologie au séminaire de Vannes, cf. Cl. Langlois, op. cit., p. 418 sqq.
- 9 F. Ponteil, Les Institutions de la France de 1814 à 1870, Paris, 1966, p. 110.
- 10 B. Plongeron, Histoire du christianisme…, op. cit., p. 646.
- 11 J. Delumeau, Le Catholicisme entre Luther et Voltaire, Paris, 1979, p. 84-85.
3« La disette de ministres pourrait peut-être engager quelquefois à abréger le temps des études et des épreuves ; ce qui aurait des inconvéniens très graves […] car enfin c’est moins encore de prêtres que de prêtres tout ensemble zélés et éclairés qu’on a besoin7 » : dans les Réflexions, Félicité et Jean-Marie de la Mennais mettent ainsi en garde l’épiscopat contre la tentation de sacrifier, au nom de l’urgence, la qualité et la durée de la formation des futurs prêtres dans les séminaires diocésains. De fait, l’évêque de Vannes, par exemple, n’hésite pas en 1805 à ramener à deux ans le cycle des études théologiques, au lieu des trois ou quatre habituellement fixés dans les séminaires8. Plus généralement, pour ce qui relève de l’enseignement dispensé dans les séminaires au début du xixe siècle, Félix Ponteil souligne que celui-ci reste « plein de lacunes ». À base de scolastique et de cartésianisme, il se donne en latin et relègue la science à l’arrière-plan, au profit de discussions sur l’ultramontanisme et le libéralisme. Les facultés de théologie n’étant pas d’un niveau supérieur, le clergé semble donc « intellectuellement médiocre9 ». Si l’enseignement théologique reste sommaire, il faut néanmoins nuancer car l’on a souvent sous-estimé la qualification des élites ecclésiastiques10. Ainsi à Paris, Saint-Sulpice est-il un séminaire connu et reconnu pour la qualité de son enseignement : « il recevait, écrit Jean Delumeau, des futurs prêtres de tous les diocèses de France et leur donnait un style ecclésiastique propre, fait de distinction, de recueillement, d’austérité et d’une haute culture aussi bien théologique que profane11 ». D’ailleurs, Jean-Marie de la Mennais ne laisse pas de souligner l’excellence de cette formation :
- 12 J.-M. et F. de la Mennais, Réflexions…, op. cit., p. 106-107. Les frères Lamennais, lors de leur s (...)
D’où sortaient, et d’où sortent encore les prêtres les plus instruits, les plus pénétrés de l’esprit de Dieu, et les plus propres à le répandre : de Saint-Sulpice. […] Il est bien essentiel aussi qu’on s’occupe de la conservation des sciences ecclésiastiques, dont l’étude ne fut jamais plus négligée et plus nécessaire. Je jette les yeux de tous côtés, et je ne vois en France qu’une seule maison où elles soient cultivées, et c’est encore Saint-Sulpice12.
- 13 Sur la valeur morale et intellectuelle de ce clergé, l’analyse de Jean Delumeau, op. cit., apporte (...)
- 14 J.-M. et F. de la Mennais, Réflexions…, op. cit., p. 104.
- 15 Cité par Louis Le Guillou dans Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, Paris-Genève, 198 (...)
- 16 J.-M. et F. de la Mennais, Réflexions…, op. cit., p. 104.
4Si le clergé paroissial n’a pas la formation intellectuelle délivrée par Saint-Sulpice, il possède cependant un niveau de formation généralement acceptable et surtout, il est apprécié de la population pour son zèle et sa bonne volonté13. Les Lamennais souligne notamment l’importance de la tâche des prêtres de campagne qui relève quasiment de la mission civilisatrice : « ce n’est pas trop de trois hommes entièrement dévoués à leurs fonctions pour civiliser deux ou trois mille sauvages, et, je le répète, sans la religion les paysans ne sont que des sauvages, et, qui pis est, des sauvages corrompus14 ». Le terme « sauvage » est également utilisé par Cambry dans son livre Voyage dans le Finistère ou état de ce département en 1794 et 1795 pour désigner les paysans mais, au contraire des Lamennais, c’est pour dénoncer l’influence néfaste que le clergé exerce sur eux : « Le gouvernement théocratique des druides fut remplacé par le gouvernement des prêtres catholiques, et jamais le développement de leurs absurdités ne put s’opérer avec plus de succès que chez ce peuple infortuné […] Jamais la voix de la philosophie ne pénétra dans ces contrées ; et des pardons et des missions éteignirent jusqu’aux moindres étincelles de la lumière et du bon sens. Il faut avoir vu ces sauvages assemblés, pour se faire une idée des balourdises qu’on y débitait, des bouffonneries qu’on y pratiquait15 ». À l’inverse, Jean-Marie et Félicité de la Mennais pensent que c’est en s’appuyant sur la foi des campagnes, préservées de la « corruption » grâce à l’action du clergé paroissial, que l’Église peut se reconstituer et réparer ses pertes ; il faut, concluent-ils, qu’elle retourne aux lieux où elle est née pour y trouver des disciples fidèles16. Enfin, les frères Lamennais assignent à ces prêtres une mission d’enseignement, base du recrutement et du renouvellement du clergé :
- 17 Ibid., p. 105.
Que chacun d’eux, selon ses moyens, s’occupe de l’instruction de quelques élèves ; aucun temps ne saurait être mieux employé : car le Seigneur bénira leur troupeau, s’ils lui en consacrent les prémices. Il s’agit bien moins, dans ces premiers momens, de développer l’esprit des enfans, que de former leur cœur. Lorsqu’on se sera assuré de leurs dispositions et de leur caractère, ils passeront, déjà instruits des élémens de la langue latine, dans les petits séminaires, qu’on ne saurait trop protéger ni trop étendre, puisqu’ils sont et seront longtemps l’unique pépinière du clergé17.
- 18 Ibid., p. 105.
- 19 Ibid., p. 48.
- 20 Avant sa rupture avec Rome et avec un catholicisme jugé trop théocratique et théologique, trop peu (...)
- 21 Cité par Guy Avanzini, Histoire de la pédagogie du 17e siècle à nos jours, Toulouse, 1981, p. 197.
- 22 J.-M. et F. de la Mennais, Réflexions…, op. cit., p.48.
5Les deux frères Lamennais vont ainsi définir dans les Réflexions le cadre dans lequel doit s’exercer une première éducation chrétienne. Il importe de former une ou plusieurs congrégations religieuses spécialement chargées de la conduite des séminaires, creuset où l’on fera naître chez les enfants l’habitude de la soumission et du recueillement, l’esprit de piété et le goût des choses saintes, premier fondement de l’éducation ecclésiastique18. En effet, pour Félicité et Jean-Marie de la Mennais, l’éducation consiste à former l’homme tout entier en s’appuyant à la fois sur une unité d’enseignement (méthode-instruction) et surtout sur une unité d’esprit (religion-morale) donnée par un corps enseignant religieux, éduqué et dirigé par l’Église car, constatent-ils, « il ne peut y avoir d’unité d’aucune espèce que dans un corps dont les membres, obéissant à une seule pensée, concourent à une seule action19 ». Il s’agit d’affirmer que seule l’Église peut assurer la mission d’enseignement et de combattre « l’éducation philosophique » qui prône une morale sociale basée sur une éducation de l’homme hors de l’impératif religieux20. Ainsi, lorsque Condorcet parle de faire d’une Constellation d’individus une communauté nationale21, c’est dans le cadre d’un enseignement visant à faire de chaque homme un citoyen adapté à la vie sociale et économique de son temps, avec l’idée que l’éducation participe à l’harmonie sociale et surtout au progrès de l’humanité mais lorsque les Lamennais déclarent dans les Réflexions que c’est tout l’homme qu’il faut former, et former pour la société22, c’est au sein d’un enseignement délivré par des religieux, en vue de garantir l’unité et la stabilité de la société politique et religieuse de leur temps et d’assurer ainsi la pérennité de l’Église catholique.
- 23 A. Dargis, op. cit., voir volume annexe, p. 4-5, paragraphe 8.
6Déjà, dans le Torrent d’idées vagues, Jean-Marie de la Mennais précisait les premiers éléments d’un programme de formation pour le clergé : « connaissance pour le fond de l’Écriture Sainte, des textes de l’exégétique des protestants et de leur tendance socinienne ; connaissance des langues orientales ; rapport avec les littérateurs de ce genre ; Sacy, Cousin, etc. ; théologie exacte…, entrée de la bibliothèque impériale23 ». Amplifiant les propositions du Torrent d’idées vagues, les Réflexions vont jeter les bases de ce que doit être la formation d’un clergés avant et préciser les contenus à dispenser pour former les « défenseurs de la foi » :
- 24 Ibid., p. 107 et 108. Ce dernier paragraphe reprend les arguments que l’abbé Jean employait, en 18 (...)
Tandis que nos ennemis, s’enfonçant dans les langues orientales, en font comme un champ de bataille où ils nous défient, il ne se trouvera bientôt plus parmi nous personne en état de les y poursuivre et de les y combattre. Qu’on travaille à former des bibliothèques dans les séminaires, qu’on y établisse des dépôts littéraires semblables à ceux qui existaient autrefois dans un grand nombre de communautés ; c’est le plus sûr moyen de répandre l’instruction : car, avant tout, il faut des livres pour étudier. Et qu’on se garde bien de rejeter les anciens théologiens, et les scolastiques aujourd’hui si décriés ; il n’y a que l’ignorance qui méprise, et la véritable science tire parti de tout. Ces écrivains qu’on nomme barbares, parce que leur style est se cet rebutant, sont quelquefois pleins de sens ; et comment, d’ailleurs, formera-t-on la chaîne de la tradition, si l’on en retranche les scolastiques, qui remplissent seuls plusieurs siècles ?
Je terminerai ce j’avais à dire des séminaires, en témoignant le désir qu’on ajoute aux études anciennement usitées, celle de l’art oratoire. Sans doute il n’est pas question de faire de chacun des élèves un Bourdaloue ou un Massillon ; mais il convient de leur apprendre à annoncer avec décence la parole de Dieu, afin que cette parole sacrée ne soit pas dans leur bouche un sujet de dérision24.
7Maîtrise des langues orientales, lectures savantes, connaissance des théologiens, capacité à communiquer, toutes ces pistes de réflexion éducative seront concrétisées, mises en œuvre par les frères Lamennais avec la constitution de la Congrégation de Saint-Pierre pour former un clergé instruit, capable d’enseigner dans les écoles ou les séminaires, capable d’évangéliser avec des références théologiques.
La Congrégation de Saint-Pierre : pour un enseignement novateur
8L’année 1825 marque le début du processus d’organisation de la Congrégation de Saint-Pierre qui se fera par le rapprochement successif de diverses communautés. Ainsi, en juillet 1825, l’évêque de Rennes, Mgr de Lesquen, approuve les statuts et les règles de la congrégation des prêtres de Saint-Méen, première pierre de l’édifice ; viendront ensuite se joindre aux premiers prêtres, des professeurs du petit séminaire de Saint-Méen et des missionnaires diocésains qui ressentaient le besoin d’une structure d’accueil communautaire et religieuse. Si Jean-Marie de La Mennais est nommé supérieur général de la congrégation par l’évêque, il semble qu’au départ, l’abbé Jean n’ait pas souhaité s’investir dans une telle œuvre. En effet, lors d’un sermon en 1826, à l’occasion de la deuxième retraite des prêtres de la congrégation, il déclare :
- 25 Symphorien-Auguste, op. cit., t. II, p. 5.
J’avais toujours eu le dessein de contribuer à établir une congrégation semblable à celle-ci ; j’avais depuis plus de six ans réfléchi sur ce qu’elle devait être et sur les règles qu’il fallait lui donner pour qu’elle s’affermît et qu’elle fût éminemment utile à l’Église ; mais, je ne songeais pas à en faire partie ; fatigué d’administration et d’affaires, j’aspirais, non à un repos entier (un prêtre ne doit en jouir que dans l’éternité), mais enfin, j’aurais voulu me borner aux soins des établissements que j’avais déjà fondés, sans en entreprendre d’une autre espèce : je croyais en avoir assez25.
- 26 Les statuts sont cités intégralement par André Dargis, op. cit., volume annexe, p. 8 à 12.
9L’article premier des statuts définit ainsi la mission de la congrégation : « Le but principal de la Congrégation des prêtres de Saint-Méen, est de se consacrer à l’éducation de la jeunesse dans les petits séminaires : les autres œuvres de zèle et de charité qu’elle pourra entreprendre ne seront que secondaires et subordonnées à celle-ci26 ». L’article 8 des Règles particulières précise également que les membres de la Congrégation feront entre eux, de temps en temps, des conférences dont le supérieur indiquera le sujet. Cette manière d’enseigner par des recherches, des débats, des conférences sera reprise plus tard dans la Congrégation de Saint-Pierre. Dans le sermon d’ouverture de la première retraite de la congrégation, Jean-Marie de La Mennais rappelle les orientations et les buts de la communauté et on reconnaît là les thèmes et les accents du Torrent d’idées vagues et des Réflexions :
- 27 27. Cité par A. Dargis, op. cit. volume annexe, p. 14 et 15.
Profondément touchés des maux de l’Église, nous voudrions sinon les guérir tous, du moins les diminuer, suivant la mesure de nos forces[…] Mais, que sommes-nous pour être chargés d’une œuvre si importante, si difficile, d’une œuvre qui, je puis le dire, renferme toutes les autres œuvres, l’éducation de la première enfance, les missions, la direction des séminaires, les recherches de cette antiquité si peu connue aujourd’hui, et qui mérite tant de l’être, l’étude des plus hautes sciences, auxquelles on a donné une direction si fausse, et qui sont devenues hostiles contre la religion, depuis que ce n’est plus la religion même qui les cultive et qui est placé à leur tête !27.
- 28 En 1829, il dressera un tableau sans complaisance de cette situation dans son ouvrage Des Progrès (...)
10De son côté, Félicité Lamennais est fort conscient des reproches qui sont adressés au clergé quant à son manque de formation intellectuelle28 et poursuit l’idée de créer une société savante, de réflexions et d’études. Néanmoins, si dans les années 1824-1825, Félicité Lamennais est persuadé qu’il lui faut réunir une communauté d’hommes d’études, il n’est pas vraiment fixé quant à la forme, à la structure qu’elle peut prendre ; en revanche, il veut l’asseoir sur un recrutement international, lui assurer un rayonnement européen et ancrer son programme de formation dans un esprit nettement ultramontain comme le montre la lettre qu’il adresse en juin 1828 à la comtesse Riccini dont nous donnons un large extrait :
Je ne veux pourtant pas quitter l’Italie sans vous entretenir d’un projet qui m’absorbe entièrement et qui a même reçu depuis deux ans un commencement d’exécution. Il s’agit de l’établissement d’un ordre religieux dont le but est,
- Opposer, aux erreurs qui bouleversent le monde, un corps de doctrines saines en théologie, en philosophie, en politique ; doctrines fondées sur l’immuable enseignement du Saint-Siège, auquel tous les membres de l’ordre promettent une obéissance absolue.
- Établir ces doctrines par des écrits, les répandre aussi dans le peuple par des missions, parmi la jeunesse par l’éducation élémentaire et scientifique, parmi le clergé par des retraites ecclésiastiques et l’enseignement dans les séminaires.
- Cultiver dans un esprit vraiment catholique les diverses branches des connaissances humaines, afin d’arrêter les ravages de la science impie et de restituer à l’Église un genre d’influence et de splendeur qui fit, dans le passé, une partie de sa force et dont elle est malheureusement presque entièrement privée de nos jours.
- Défendre sans cesse, suivant les besoins du moment, l’Église attaquée dans ses dogmes, dans sa discipline, dans sa juridiction, par la secte révolutionnaire qui travaille partout pour créer un schisme semblable à celui du xvie siècle.
- 29 A priori, les membres de la communauté de Saint-Méen puisqu’il n’y avait encore personne à la Chên (...)
- 30 Cité intégralement par André Dargis, op. cit., p. 193 et 194.
Nous comptons déjà parmi nous une quarantaine de sujets29 animés d’un grand zèle et notre projet serait de nous agréer des jeunes d’autres nations qui, plus tard, pourraient servir à étendre l’institut hors de France, de manière à envelopper l’Europe entière comme dans un filet de vérité et à unir les bons pour le bien, comme les méchants s’unissent pour le mal. Mais pour cela, il faut trouver des secours suffisants dans la charité des catholiques. Il s’agit ici d’une œuvre générale et qui intéresse également tout le monde. L’essentiel est que nous puissions nous établir à Paris, point central, aussi bien pour l’action quotidienne qu’il est important d’exercer sur les esprits, que pour la culture des sciences proprement dites qui ne peuvent s’étudier que très imparfaitement en province30.
- 31 Symphorien-Auguste, op. cit., t. II p. 24.
- 32 Ainsi, après la condamnation des thèses mennaisiennes par le pape Grégoire XVI en août 1832, on pe (...)
11Ainsi, sont jetées les bases de ce qui va devenir la Congrégation de Saint-Pierre. En effet, Jean-Marie de La Mennais va persuader son frère de donner une structure formelle, ecclésiastique, à son projet : pourquoi n’utiliserait-on pas, écrit Symphorien-Auguste, la congrégation de Saint-Méen déjà fondée et florissante ? On était sûr de l’adhésion de la plupart de ses membres ; il suffirait de rédiger de nouveaux statuts31. Statuts qui seront présentés en septembre 1828 lors la retraite qui verra la naissance de la Congrégation de Saint-Pierre et l’élection de Félicité Lamennais, à l’unanimité des voix, comme supérieur général. Nous connaissons deux rédactions des statuts de la Congrégation de Saint-Pierre : l’une, plus concise, de la main de Jean-Marie et l’autre, sans date également, de la main de Félicité. Cependant, A. Dargis émet l’hypothèse qu’il y a eu en fait trois rédactions des statuts : une première, disparue, écrite par Jean-Marie et présentée à la retraite de septembre 1828 ; une deuxième écrite par Féli qui s’inspire, en la développant, de la rédaction de son frère et enfin une troisième, écrite par Jean-Marie en 1833 alors qu’il vient d’être élu supérieur général à la place de son frère, qui reprend les éléments de la première version en les adaptant aux changements survenus32. Après les prolégomènes du chapitre 1 qui ouvrent la constitution et qui retracent les causes – déjà développées dans les Réflexions – ayant contribué à affaiblir l’Église, le chapitre 2 définit les trois missions de l’ordre. On retrouve là les objectifs que se sont fixés les frères Lamennais en ce qui concerne la formation et le rôle du clergé : formation scientifique, théologique et littéraire pour défendre l’Église, avec l’élaboration d’ouvrages destinés à la propagation des doctrines catholiques ; éducation et enseignement aussi bien laïques que cléricaux et enfin, missions et conduite de communautés religieuses.
- 33 « L’étude comparée des langues et celle des origines des peuples, écrit Félicité Lamennais, ramène (...)
- 34 A. Dargis, op. cit., volume annexe, p. 57-58.
2. La première comprend les travaux qui ont pour objet direct et spécial la défense de l’Église et du christianisme, et la propagation des vraies doctrines par des écrits de tout genre : car il ne suffit pas aujourd’hui de s’adresser aux esprits sérieux dans des ouvrages qui demandent une attention forte et soutenue, il faut encore parler à ceux qui puisent toute leur instruction dans les pamphlets et les journaux ; et le nombre en est immense. […]
4. La science tout entière ayant été corrompue par l’impiété, elle doit être purifiée tout entière. Ainsi il est dans l’esprit de l’Ordre de cultiver non seulement les sciences théologiques, philosophiques et historiques, ainsi que les langues si nécessaires pour remonter aux origines des peuples et des traditions, mais encore les sciences mathématiques et physiques avec celles qui en dépendent33.
5. Outre les grands ouvrages destinés à donner à la science une direction nouvelle, et surtout à changer le caractère qu’elle a pris entre les mains de ceux auxquels on l’a presque exclusivement abandonnée, il importe beaucoup de substituer de nouveaux livres élémentaires à ceux dont l’influence a été si funeste à la jeunesse et aux gens du monde. […]
7. Ce serait peu que d’établir les saines doctrines dans des livres, si l’on ne s’occupait encore de les faire pénétrer dans les intelligences par d’autres voies. La principale est l’éducation, soit laïque soit cléricale, et c’est la seconde classe des œuvres auxquelles se consacrent les religieux de Saint-Pierre. Ils s’appliquent à former l’enfance dans les collèges et les écoles ecclésiastiques, et la jeunesse dans les Séminaires, s’efforçant de perfectionner les méthodes d’enseignement et d’inculquer à leurs élèves avec les sentiments d’une piété solide et pure, les doctrines qui seules peuvent les affermir inébranlablement dans la foi.
8. La troisième classe d’œuvres comprend les missions, les retraites, la direction des âmes, la conduite des congrégations et des académies de jeunes gens, qu’on a vu produire de si heureux fruits dans ces dernières années, et enfin tout ce que le zèle peut suggérer de bon et d’utile selon Dieu, suivant les temps, les lieux et les circonstances34.
- 35 Les statuts et règles de la Congrégation de Saint-Pierre, qui embrassent un vaste programme de déf (...)
- 36 Lamennais, Réflexions…, op. cit., p. 106.
- 37 « Ici je n’ai que des jeunes gens dont la vocation est incertaine. Tout marche bien ; l’esprit est (...)
- 38 Ainsi, en août 1833, Félicité Lamennais informe-t-il son ami Montalembert des attaques multiples q (...)
- 39 Autour de la crise mennaisienne et de ses conséquences sur le diocèse de Rennes, on lira l’analyse (...)
12Si les statuts et les règles sont clairs et bien définis35, l’organisation de la congrégation, quant à elle, est plus confuse. « Il ne faut pas, écrivent les Lamennais dans les Réflexions, que l’ordre d’un séminaire dépende uniquement de la volonté ou des caprices, des idées ou des préjugés d’un seul homme ; il ne faut pas que ce qui a été aujourd’hui établi par un chef, demain soit renversé par un autre qui aura des vues différentes ; il ne faut pas enfin que les règles et l’esprit de l’établissement soient sans cesse variables comme les opinions des directeurs, et que ceux-ci aient à craindre de ne pas trouver leurs subalternes disposés à les seconder en tout et à marcher vers le même but avec un concert parfait36 ». Mises en garde prémonitoires serait-on tenté d’écrire. En effet, la congrégation est formée d’un conglomérat de quatre communautés qui ont des règles et qui poursuivent des buts différents : l’école de la Chênaie d’abord, formée au départ de plusieurs jeunes disciples, attirés par l’aura qui entoure l’un des intellectuels les plus marquants de l’époque mais souvent peu décidés quant à leur avenir37, auxquels s’ajoutent souvent les visiteurs et les hôtes de passage ; la communauté de Malestroit, à la fois maison d’études et séminaire, dirigée par l’abbé Blanc et l’abbé Rohrbacher, qui fournira également des enseignants pour le petit séminaire de Saint-Méen ; la communauté de Saint-Méen, essentiellement composée de prêtres qui enseignent au petit séminaire de Saint-Méen et enfin la communauté des missionnaires de Rennes, dirigée par l’abbé Coëdro, qui n’aura que peu de rapports avec la Chênaie. De plus, comme pour compliquer encore les rapports de cette organisation complexe, s’ajouteront la divergence des points de vue des membres des différentes communautés quant aux prises de positions de Félicité Lamennais comme « pèlerin de la liberté » et pour finir la pression de l’évêque de Rennes et de l’opinion publique sur les frères Lamennais après la condamnation des idées mennaisiennes par l’enclyclique Mirari vos38. Tous ces éléments ajoutés amèneront d’abord à la démission de Féli en 1833, puis à la dissolution de la congrégation en 183439.
- 40 A. Dargis, op. cit., p. 283.
13Dès lors, on peut se demander si l’approche pédagogique des études est très différente suivant les communautés, notamment entre la Chênaie et Malestroit. On étudiait beaucoup à la Chênaie, observe A. Dargis, la défense de la vérité l’exigeait. Nous savons déjà qu’à lui seul, Félicité de la Mennais donnait des cours de théologie, de philosophie et enseignait plusieurs langues étrangères. L’abbé Gerbet faisait lui aussi des conférences aux jeunes disciples mennaisiens40. Ce qui est intéressant, c’est que ce goût de l’étude n’est lié à aucune contrainte et que les étudiants découvrent et choisissent l’objet de leurs études en fonction de leur préférence et en prenant le temps qu’il faut pour cela. L’étudiant Eloi Jourdain décrit ainsi la vie à la Chênaie :
- 41 Ch. Sainte-Foi, Souvenirs de jeunesse, 1828-1835, Paris, 1911, p. 42.
Aucun règlement n’enchaînait notre liberté et n’encadrait les heures de notre journée d’un cercle déterminé d’avance. À part les repas et les conférences que nous faisaient chaque jour MM. de Lamennais et Gerbet, il n’y avait pas d’exercice public. Chacun travaillait comme il le jugeait convenable, se levait, se couchait quand il le voulait, suivait en toutes choses ses goûts et la pente de son esprit. Cette méthode, si elle avait de grands inconvénients, avait aussi de nombreux avantages. Elle laissait aux diverses aptitudes la liberté de se produire et de se développer dans leurs voies naturelles. Aussi le classement ne tarda-t-il pas à se faire, et plusieurs d’entre nous durent à cette liberté le bonheur de choisir le genre d’études qui leur convenait le mieux et de s’y distinguer41
14À l’inverse, Malestroit est doté d’un vrai règlement intérieur qui rappelle d’ailleurs la règle d’un séminaire dans l’ordre des exercices :
- 42 Deux autres règlements suivront celui-là. Composés par l’abbé Blanc, ils sont beaucoup plus détail (...)
À 5h le lever. On doit se lever de suite, en offrant son cœur à Dieu. Chaque novice fera lui-même son lit, en cherchant à conserver le recueillement, pour se préparer à l’oraison.
À 5h et 1/2 prière à la chapelle, et ensuite l’oraison et la sainte messe. Depuis la sortie de la chapelle, temps de travail jusqu’au déjeuner, qui aura lieu à 7h1/2.
À 7h3/4 travail jusqu’à 11h3/4. Ensuite l’examen particulier jusqu’à midi. Dîner et récréation jusqu’à 2h. Travail jusqu’à 7h1/4, excepté le temps de la visite du St. Sacrement…
À 7h3/4 lecture de piété en commun, pendant un quart d’heure. Souper, récréation jusqu’à 9h et demie. Prière, sujet d’oraison. Coucher42.
- 43 Ch. Sainte-Foi, op. cit., p. 103.
- 44 AFIC 118.03.004, lettre du 20 avril 1830 à l’abbé Fière, vicaire général de Valence.
- 45 Ch. Sainte-Foi, op. cit., p. 101.
- 46 AFIC 118.03.004, lettre du 20 avril 1830 à l’abbé Fière.
- 47 Ibid.
15Cette vie, plus réglée qu’à la Chênaie, n’empêche pas que règne la même harmonie parmi les étudiants et leurs professeurs : « Nous ne faisions pas grâce d’une minute de temps à la règle, écrit Charles Sainte-Foi, et le point qui nous paraissait le plus sévère et le plus difficile était celui qui nous obligeait à quitter nos livres si aimés et si précieux. […] l’union la plus intime, la charité la plus vraie et la plus grande confiance régnaient entre nous tous ; de tous ceux que j’ai connus dans ce pieux asile, il n’en est pas un seul dont le nom ne me rappelle un doux souvenir43 ». Surtout, Malestroit poursuit les mêmes buts que la Chênaie. Ainsi, Jean-Marie de La Mennais, écrivant à un confrère en 1830, rappelle les objectifs de formation des étudiants du noviciat : « Ils y étudient la théologie, la philosophie, le grec, l’hébreu, l’arabe, et la plupart des langues vivantes44 ». À ce propos, Eloi Jourdain écrit : « Chacun choisissait les langues pour lesquelles il avait le plus de goût. Il n’y avait d’obligatoire que l’hébreu, comme langue de Dieu et le grec et le latin comme langues de tradition. Le sanscrit, l’arabe, le persan, le chaldéen, le chinois, et, parmi les langues européennes, l’allemand, l’anglais et l’italien se partageaient notre application et notre temps. Plusieurs d’entre nous étudiaient en même temps cinq ou six langues45 ». Reprenant la proposition des Réflexions d’étudier l’art oratoire, Jean-Marie de la Mennais résume le but de cet enseignement : « On s’applique à les former à parler, à écrire, etc., de manière à ce que, leur cours achevé, ils soient propres à tout, autant que cela peut être46 ». Philosophie, théologie, hébreu, grec et latin semblent donc être les seules matières obligatoires à Malestroit et l’abbé Jean reconnaît, non sans humour, que « chacun n’essaie pas d’apprendre tout cela à la fois, car ce serait le moyen de ne rien savoir47 ». Là encore, la méthode et le contenu pédagogiques sont intéressants et reprennent, concrétisent les intuitions des deux frères Lamennais. Ainsi, lorsqu’ Eloi Jourdain expose quelle était la démarche d’apprentissage de la théologie, on retrouve ce que Félicité et Jean-Marie de la Mennais avaient pressenti et préconisé dans Les Réflexions :
- 48 Ch. Sainte-Foi, op. cit., p. 97-98.
Ordinairement nous consacrions un mois ou six semaines à l’étude d’un dogme particulier ou d’un traité de philosophie, comme celui de l’Incarnation, de l’Église, etc. Chacun rédigeait à part son travail, qui était plus ou moins considérable selon le temps ou l’ardeur qu’il y mettait, et qui était fait avec plus ou moins de goût, selon le degré de facilité ou d’application qui lui était possible. Ces rédactions, écrites en français après la lecture et l’analyse d’un Père de l’Église, d’un docteur ou d’un théologien célèbre, formaient à la fois le jugement et le goût, et nous initiaient à ces belles et grandes sources de la tradition catholique, dont les écrits des Pères sont comme l’immense réservoir. L’étude de la théologie, si aride et si fastidieuse lorsqu’elle est renfermée dans les bornes étroites d’un abrégé, où la pensée des Pères, toujours si animée, perd sa couleur et sa vie et est présentée à l’esprit sous la forme d’un squelette décharné, l’étude de la théologie est de toutes la plus intéressante, celle qui satisfait le mieux à tous les besoins de l’intelligence, du cœur et de l’imagination quand elle est présentée sous une forme convenable qui réponde à la hauteur des projets dont elle s’occupe et du but où elle tend48.
- 49 AFIC 031.04.002, extrait d’un manuscrit de l’abbé Blanc dans lequel est copié le règlement des nov (...)
16Ainsi, ce qui frappe, au-delà des différences de règles de vie entre les communautés de Malestroit et de la Chênaie, c’est la volonté affirmée d’enseigner différemment, de perfectionner les méthodes d’enseignement comme cela est précisé dans les statuts, de donner le goût de l’étude et de la recherche en s’appuyant sur l’actualité et ses problèmes. Même si cette lecture des événements est quelque peu orientée, parce que ceux-ci ne sont vus qu’à travers le prisme de la religion, l’analyse du monde contemporain est cependant bien présente comme outil d’enseignement : « Dégagés de ces passions qui agitent les partis, écrit l’abbé Blanc, ils verront surtout et avant tout, dans les révolutions et autres événements politiques, la suite et le développement des plans de la Providence et des desseins de Dieu sur son Église. Ils éviteront les discussions et tout ce qui ne serait qu’une vaine pâture donnée à la curiosité et à l’amour propre. Le récit des nouvelles ne sera pour eux que le récit des faits contemporains dont ils devront tenir compte dans leurs études et leurs rapports avec la société49 ». C’est cet aspect de l’enseignement que décrit Charles Sainte-Foi, en précisant que si cette lecture de l’actualité n’avait pas été imposée aux étudiants, beaucoup l’auraient omise « regardant comme perdu le temps qu’ils ôtaient à l’étude des Pères ou de la philosophie » :
- 50 Ch. Sainte-Foi, op. cit., p. 125-126. À l’inverse, pour un public moins instruit comme les Frères (...)
Non seulement on ne nous interdisait pas la lecture des journaux, mais chacun de nous devait y consacrer trois quarts d’heure par jour, et prendre comme pour toutes les autres lectures, des notes ou faire des analyses. […] Nous recevions à Malestroit, outre un journal quotidien, quatre journaux périodiques : le Mémorial catholique, le Correspondant, l’Ami de la religion et le Globe. Le premier avait pour principaux rédacteurs MM. de Lamennais, Gerbet, de Salinis et O’Mahoni. C’était en quelque sorte notre journal officiel. […] Le second avait été fondé pendant mon séjour à Malestroit, par des jeunes gens pleins de talent et de dévouement, et qui partageaient nos idées en beaucoup de choses mais qui mettaient à les défendre plus de mesure et de prudence. Tous, quoique jeunes, avaient vécu et vivaient encore au milieu du monde, ce qui leur donnait une connaissance plus exacte des hommes et des choses et un esprit plus pratique50.
- 51 F. Lamennais, Des Progrès de la Révolution…, op. cit., t. V, chap. IX, p. 193.
17Instrument de défense et de propagation des doctrines de l’église catholique, la Congrégation de Saint-Pierre, avec seulement six années d’existence, aura donc permis de mettre en pratique une pédagogie mennaisienne réellement novatrice, basée à la fois sur l’ouverture au monde et à l’actualité, la diversité et le libre choix des matières à étudier, le respect du rythme de travail et de recherche de l’étudiant, l’acquisition d’un esprit d’analyse et de synthèse par des conférences, des débats, des travaux de recherche. Aujourd’hui encore, tout éducateur peut se retrouver dans les propos de Félicité Lamennais lorsqu’il écrit, pour donner des « armes » au clergé, dans Des Progrès de la Révolution : « Tout a changé autour de vous ; les idées ont pris et continuent de prendre incessamment des directions nouvelles : institutions, lois, mœurs, opinions, rien ne ressemble à ce que virent nos pères. À quoi servirait le zèle le plus vif, sans la connaissance de la société au milieu de laquelle il doit s’exercer ? Il est nécessaire d’apprendre autrement, et d’apprendre davantage : autrement, pour mieux entendre ; davantage, pour ne pas rester en arrière de ceux qu’on est chargé de guider51 ».
Notes
1 Ch. Maréchal, La jeunesse de La Mennais, Paris, 1913, p. 209.
2 Paragraphes 7 et 23. Le texte du Torrent… est cité par André Dargis, d’après le manuscrit original, dans La Congrégation de Saint Pierre, thèse de théologie à Louvain, 1971, volume annexe, p. 4 à 7.
3 Mandement de MM. les Vicaires généraux du diocèse de Saint-Brieuc qui annonce l’établissement d’une école ecclésiastique à Tréguier, cité par Symphorien-Auguste, op. cit., t. I, p. 331-332.
4 B. Plongeron, Histoire du christianisme, t. 10, Les défis de la modernité (1750-1840), Paris, 1997, p. 643.
5 C. Langlois, Le diocèse de Vannes au xixe siècle, 1800-1830, Paris, 1974, p. 297 et 302.
6 M. Lagrée, Mentalités…, op. cit., p. 184-185.
7 J.-M. et F. de la Mennais, Réflexions…, op. cit., p. 106.
8 Sur l’enseignement de la théologie au séminaire de Vannes, cf. Cl. Langlois, op. cit., p. 418 sqq.
9 F. Ponteil, Les Institutions de la France de 1814 à 1870, Paris, 1966, p. 110.
10 B. Plongeron, Histoire du christianisme…, op. cit., p. 646.
11 J. Delumeau, Le Catholicisme entre Luther et Voltaire, Paris, 1979, p. 84-85.
12 J.-M. et F. de la Mennais, Réflexions…, op. cit., p. 106-107. Les frères Lamennais, lors de leur séjour à Paris en 1806, fréquentèrent le séminaire de Saint-Sulpice – lire à ce propos Christian Maréchal, op. cit., L’Influence de Saint-Sulpice, p. 128 sqq. Ainsi, avant de publier les Réflexions, les frères Lamennais chercheront-ils à connaître l’avis de Saint-Sulpice et notamment de son supérieur. En février 1809, Jean-Marie de la Mennais demande à son ami sulpicien, l’abbé Bruté : « De propos en propos, j’en viens vite à vous proposer de lire les feuilles que je vous envoie, et de les faire passer ensuite à M. Emery sans faire connaître de qui vous les tenez. Nous serions bien contents s’il avait la bonté de parcourir ce petit ouvrage, et de nous dire s’il convient qu’il soit imprimé. Il en jugera mieux que personne, et ses conseils seront notre règle ». Un mois après la parution des Réflexions, en juillet 1809, l’abbé de Lamennais sollicite à nouveau son ami Bruté : « Nous n’aimons point les jugements généraux qui ne servent à rien ; tâchez de nous avoir de Saint-Sulpice, sur ces tristes réflexions, quelques bonnes observations de détail, qui nous instruisent et nous réforment où nous avons failli, ce qui doit être notre cas très souvent ». Lettre du 4 juillet 1809 à l’abbé Bruté, Id., op. cit., p. 244. Lettre du 18 février 1809 à l’abbé Bruté, Symphorien-Auguste, op. cit., t. I, p. 227.
13 Sur la valeur morale et intellectuelle de ce clergé, l’analyse de Jean Delumeau, op. cit., apporte de nombreuses précisions, notamment par l’étude de procès-verbaux de visites pastorales, p. 280 à 283 et 315 à 318.
14 J.-M. et F. de la Mennais, Réflexions…, op. cit., p. 104.
15 Cité par Louis Le Guillou dans Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, Paris-Genève, 1987, sous la direction de J. Balcou et Y. Le Gallo, t. I, p. 11.
16 J.-M. et F. de la Mennais, Réflexions…, op. cit., p. 104.
17 Ibid., p. 105.
18 Ibid., p. 105.
19 Ibid., p. 48.
20 Avant sa rupture avec Rome et avec un catholicisme jugé trop théocratique et théologique, trop peu social et évangélique, Félicité Lamennais conçoit le pouvoir religieux et le pouvoir politique comme participant d’un même principe. Il écrit dans l’Essai sur l’Indifférence en matière de Religion : « Toute véritable législation émane de DIEU, principe éternel de l’ordre et pouvoir général de la société des êtres intelligents. Sortez de là je ne vois que des volontés arbitraires, et l’empire dégradant de la force, je ne vois que des hommes qui maîtrisent insolemment d’autres hommes ; je ne vois que des esclaves et des tyrans ». F. Lamennais, Essai sur l’Indifférence en matière de religion, Paris, 1820, (1re édition 1817), t. I, p.39. On lira sur ce thème l’analyse de Louis Le Guillou, L’Évolution de la pensée…, op. cit., dans le chapitre I : autour de l’Essai sur l’Indifférence, notamment les pages 57 à 71 qui analysent la conception de Lamennais sur les rapports du religieux et du politique, de la raison individuelle et du sens commun.
21 Cité par Guy Avanzini, Histoire de la pédagogie du 17e siècle à nos jours, Toulouse, 1981, p. 197.
22 J.-M. et F. de la Mennais, Réflexions…, op. cit., p.48.
23 A. Dargis, op. cit., voir volume annexe, p. 4-5, paragraphe 8.
24 Ibid., p. 107 et 108. Ce dernier paragraphe reprend les arguments que l’abbé Jean employait, en 1807, dans une lettre à son ami l’abbé Hay pour lui conseiller de travailler son style oratoire : « La seule chose que je vous recommande, c’est de bien soigner votre style, de dire toujours ce que vous voulez dire avec le moins de mots possible, et de ne jamais en employer un qui ne soit le mot propre, qui ne soit nécessaire, et qu’on ne puisse retrancher sans couper dans le vif. Lisez, relisez sans cesse nos bons modèles : Bossuet, Massillon, Bourdaloue. […] Voilà nos maîtres, ne nous lassons point d’étudier leurs ouvrages, et si nous ne pouvons pas nous élever à la hauteur où ils sont parvenus, tâchons au moins de les suivre de loin, et ne négligeons rien pour réparer les torts de cette foule d’orateurs médiocres qui, par faute de travail et de moyens, laissent avilir dans leur bouche la majesté des oracles sacrés ». Lettre du 30 mars 1807 à l’abbé Hay, Symphorien-Auguste, op. cit., t. I, p. 9-10.
25 Symphorien-Auguste, op. cit., t. II, p. 5.
26 Les statuts sont cités intégralement par André Dargis, op. cit., volume annexe, p. 8 à 12.
27 27. Cité par A. Dargis, op. cit. volume annexe, p. 14 et 15.
28 En 1829, il dressera un tableau sans complaisance de cette situation dans son ouvrage Des Progrès de la Révolution et de la guerre contre l’Église : « On nous reproche amèrement, à nous venus après la tempête, de manquer d’instruction, et l’impiété triomphe de ce qu’elle appelle notre ignorance. Il y a dans ce reproche qu’elle nous adresse, une grande exagération et quelques fonds de vérité… car il est vrai que, sous ce rapport, nous manquons d’une partie de ce qu’exige de nous l’état présent de la société, et l’on peut en assigner plusieurs causes : les terribles événemens qui, après avoir interrompu les études, ont ensuite forcé de les abréger ; les mauvaises méthodes d’enseignement, le cadre trop étroit où il se renferme ; l’abus que la philosophie moderne a fait des sciences, et les préventions peu réfléchies qui en ont été la suite ». F. Lamennais, Des Progrès de la Révolution…, op. cit., chapitre IX, p. 192.
29 A priori, les membres de la communauté de Saint-Méen puisqu’il n’y avait encore personne à la Chênaie, comme le fait remarquer A. Dargis, op. cit., p. 196. Cela peut également expliquer que Lamennais parle d’un projet qui a reçu « un commencement d’exécution » dans le premier paragraphe.
30 Cité intégralement par André Dargis, op. cit., p. 193 et 194.
31 Symphorien-Auguste, op. cit., t. II p. 24.
32 Ainsi, après la condamnation des thèses mennaisiennes par le pape Grégoire XVI en août 1832, on peut noter au paragraphe 2 du chapitre premier des Constitutions et Règles des religieux de Saint-Pierre, récrites par l’abbé Jean, le rappel insistant à la soumission au Saint-Siège : « Les doctrines du Saint-Siège sont la règle invariable de la Société : le premier devoir des religieux de St-Pierre est de ne jamais s’en écarter ».
33 « L’étude comparée des langues et celle des origines des peuples, écrit Félicité Lamennais, ramènent de tous côtés aux faits primitifs racontés dans les livres saints. Les sciences physiques mêmes, par leurs progrès, et en particulier la géologie et la physiologie, ne cessent de mettre de nouvelles armes entre les mains des défenseurs de la religion, pour combattre les hypothèses antimosaïques et le matérialisme. » F. Lamennais, Des Progrès…, op. cit., p. 195.
34 A. Dargis, op. cit., volume annexe, p. 57-58.
35 Les statuts et règles de la Congrégation de Saint-Pierre, qui embrassent un vaste programme de défense de l’Église, ne seront pourtant jamais reconnus officiellement par Rome. Dans son livre, Lamennais et le Saint-Siège, Paul Dudon précise : « Nous savons seulement que Ventura eut commission de Lamennais – en 1828 ou 1829 – pour remettre au souverain Pontife les constitutions de la congrégation de Saint-Pierre et que Léon XII en les acceptant, daigna en faire les plus grandes éloges ». P. Dudon, Lamennais et le Saint-Siège (1820-1834), Paris, 1911, p. 70 et 71.
36 Lamennais, Réflexions…, op. cit., p. 106.
37 « Ici je n’ai que des jeunes gens dont la vocation est incertaine. Tout marche bien ; l’esprit est bon : de la piété, du zèle, de l’ardeur au travail », écrit Félicité Lamennais à son ami Denis Benoît d’Azy, le 19 avril 1830, Correspondance générale, t. IV, p. 275.
38 Ainsi, en août 1833, Félicité Lamennais informe-t-il son ami Montalembert des attaques multiples que doivent subir les écoles de son frère : « La persécution contre mon frère et ses œuvres continue dans le diocèse. Je ne sais pas ce que cela deviendra. Pour te donner une idée de la fureur qu’on y met, tu sauras qu’un certain nombre d’ecclésiastiques de Rennes détournent les parens, ou plutôt leur défendent absolument d’envoyer leurs enfans à l’école de frères qui doit s’ouvrir dans cette ville » (Lettre du 26 août 1833, Correspondance générale, t. V, p. 456). De même, trois mois plus tard, Féli lui annonce, révolté, qu’un article de L’Invariable de Fribourg, reproduit dans L’Ami de la religion, s’en prend violemment aux Frères de l’Instruction chrétienne et il conclut : « Quelle rage infernale que de vouloir enlever à trente mille enfans les seuls moyens qu’ils aient de recevoir une éducation chrétienne, et cela par haine pour un seul homme » (Lettre du 5 novembre, Correspondance générale, t. V, p. 510). De fait, L’Invariable de Fribourg, après avoir présenté le séminaire de Saint-Méen et le noviciat de Malestroit comme des foyers de sédition où l’on s’adonnait à la lecture « des livres des hérétiques et des philosophes impies ainsi que des journaux révolutionnaires » et dénigré le travail des missionnaires de Saint-Méen, attaquait les Frères de l’Instruction chrétienne : « Enfin pour compléter l’œuvre et lui donner toute la force d’action d’un véritable gouvernement, on y a joint une police spécialement chargée d’étudier l’esprit, le caractère et la conduite du clergé et de rendre compte à la congrégation des dispositions soit hostiles, soit favorables qu’on témoigne à son égard. Cette police est confiée à des Frères déjà depuis longtemps chargés de l’éducation des pauvres, et qui, disséminés dans la province et placés en pension dans les presbytères, se trouvent dans la position la plus favorable pour s’acquitter de leur nouvel emploi ». Cf. Correspondance générale, t. V, p. 510-511.
39 Autour de la crise mennaisienne et de ses conséquences sur le diocèse de Rennes, on lira l’analyse très complète de M. Lagrée dans Mentalités…, op. cit., chap. XVI, p. 348 sqq. Sur la dissolution de la congrégation de Saint-Pierre, on lira les chapitres VI et VII du tome II de l’ouvrage de Symphorien-Auguste, op. cit., p. 107 sqq. ; notamment les démêlés de l’abbé Jean avec le Père Coëdro et l’évêque de Rennes sur le règlement de la situation financière de la congrégation.
40 A. Dargis, op. cit., p. 283.
41 Ch. Sainte-Foi, Souvenirs de jeunesse, 1828-1835, Paris, 1911, p. 42.
42 Deux autres règlements suivront celui-là. Composés par l’abbé Blanc, ils sont beaucoup plus détaillés mais suivent, avec des aménagements, la trame du premier.
43 Ch. Sainte-Foi, op. cit., p. 103.
44 AFIC 118.03.004, lettre du 20 avril 1830 à l’abbé Fière, vicaire général de Valence.
45 Ch. Sainte-Foi, op. cit., p. 101.
46 AFIC 118.03.004, lettre du 20 avril 1830 à l’abbé Fière.
47 Ibid.
48 Ch. Sainte-Foi, op. cit., p. 97-98.
49 AFIC 031.04.002, extrait d’un manuscrit de l’abbé Blanc dans lequel est copié le règlement des novices de la Congrégation de Saint-Méen.
50 Ch. Sainte-Foi, op. cit., p. 125-126. À l’inverse, pour un public moins instruit comme les Frères de l’Instruction Chrétienne, nous avons vu que Jean-Marie de La Mennais interdisait formellement la lecture des journaux.
51 F. Lamennais, Des Progrès de la Révolution…, op. cit., t. V, chap. IX, p. 193.
Table des illustrations
![]() | |
---|---|
Légende | Félicité de la Mennais (1782-1854) (portrait par Paulin Guérin, 1826). |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/11325/img-1.png |
Fichier | image/png, 765k |
![]() | |
Légende | La Chênaie, d’après une lithographie de 1830 (Lithographie de Thierry frères -Photo : F. Gilles) |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/11325/img-2.png |
Fichier | image/png, 701k |
© Presses universitaires de Rennes, 2000