Version classiqueVersion mobile

Les idées pédagogiques de Jean-Marie de la Mennais

 | 
Pierre Perrin

Première partie. La congrégation des Frères de l'Instruction chrétienne

Chapitre III. L’école mennaisienne

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

Une éducation à la sainteté, par la douceur

  • 1 Publiée sans nom d’auteur, la brochure Sur l’Éducation religieuse sera éditée une première fois en (...)
  • 2 J.-M. de la Mennais, Sur l’Éducation religieuse, Saint-Brieuc, 1834, 2e édition, p. 2, 7 et 12.
  • 3 Lettre du 3 septembre 1838, de Jean-Marie de la Mennais à Mlle de Lucinière, Symphorien-Auguste, o (...)

1Dans l’introduction de sa brochure, Sur l’Éducation religieuse, après avoir cité la fameuse formule de Leibniz, « j’ai toujours cru qu’on réformerait le genre humain, si on réformait l’éducation de la jeunesse1 », Jean-Marie de la Mennais développe longuement le thème suivant : « Tout sort de l’éducation, l’homme avec ses vertus ou ses vices, la famille avec son caractère et ses habitudes, la société avec ses croyances et ses mœurs. » Pour le supérieur des frères, seule une éducation essentiellement religieuse peut apprendre à l’homme tous ses devoirs, peut jeter dans les cœurs « d’impérissables semences de vertu » et garantir ainsi une instruction morale nécessaire à la stabilité du pays, au maintien de l’ordre et de la propriété. Or, s’interroge l’abbé de la Mennais, « si, par les croyances réprimantes de la religion, on n’a pas fortifié les jeunes cœurs contre les attaques du vice ; si, par de saintes habitudes, on n’a pas préparé l’ancre salutaire pour l’époque des passions orageuses, le naufrage n’est-il pas inévitable et certain ?2 ». Quatre ans plus tard, comme en écho, il confie à son amie Mlle de Lucinière : « Je ramasse autour de moi, comme on ramasse des débris dans un naufrage ou après ; je ramasse, dis-je, quelques jeunes gens jetés presque sans vie sur le rivage par la tempête ». Et comme illustration de la dépravation des mœurs de ces élèves jetés « dans la gueule du diable et sous sa dent », il lui décrit non sans humour la distribution solennelle des prix du collège laïque de Saint-Brieuc : « Le préfet a été sifflé, l’évêque a été sifflé, le maire de la ville a été sifflé ; on n’a pu empêcher les élèves de chanter publiquement une chanson dans laquelle M. le maire était tourné, ou présenté au naturel, en ridicule. Tandis que les élèves chantaient, Monseigneur battait la mesure et applaudissait, sans y entendre malice. Messieurs les élèves lui ont témoigné leur reconnaissance en éclatant de rire, et en lui criant : Pompon ! Pompon ! Enfin, on n’a pu achever la cérémonie qu’avec le secours des gendarmes qu’on a placés dans les rangs de cette aimable jeunesse qui s’en est allée triomphante !3 ». Aussi, Jean-Marie de la Mennais insiste-t-il sur le fait que si l’on peut se passer d’instruction, on ne se passe point de mœurs :

  • 4 J.-M. de la Mennais, Sur l’Éducation…, op. cit., p. 14.

Une éducation qui ne porte point l’empreinte sacrée de la religion est comme une source empoisonnée dont les eaux pestilentielles répandent partout la désolation et la mort. C’est une véritable épidémie morale qui gagne de proche en proche et infecte de son poison des générations entières. Retranchez la religion de l’éducation des enfants, toutes les vertus qui font l’ornement et assurent la stabilité des sociétés humaines sont flétries et desséchées jusques dans leurs germes. Bonne foi, probité, justice, dévouement, fidélité, tous ces gages précieux de confiance et de bonheur dispatraissent ; et la société, privée de ces principes qui font sa force, intérieurement travaillée par les vices qui la corrompent, se traîne faible et languissante, comme ces malades qu’une fièvre continue dirige insensiblement vers la tombe.
Répétons-le donc hautement : sans religion point de morale : par conséquent l’éducation, pour être morale, doit être religieuse ; de même que, pour être religieuse, elle doit être confiée à des hommes religieux4.

  • 5 Id., op. cit., p. 15, 17 et 40.
  • 6 AFIC n° 2963, lettre du avril 1845 au frère Emeric à Fort-Royal.
  • 7 AFIC n° 2771, instructions du 10 avril 1842 pour les frères de Saint-Pierre et Miquelon.
  • 8 AFIC n° 2719, lettre du 1er juin 1841 au frère Irénée-Mie.
  • 9 AFIC n° 3491, lettre du 16 janvier 1852 au frère Nicandre.
  • 10 Recueil à l’usage des Frères, Noviciat de Ploërmel, Prospectus, édition de 1865, p. 239-240.

2Logique imparable, que Jean-Marie de la Mennais développe en précisant qu’« on ne parle avec conviction que de ce qu’on croit, avec amour que de ce qu’on aime, avec chaleur et zèle que de ce qu’on sent bien et qu’on espère ». Ainsi, seuls des religieux, dont le zèle égale le désintéressement, peuvent diriger au mieux les premiers mouvements et l’innocence des jeunes cœurs et l’abbé Jean de conclure sur la véritable portée de l’éducation et de l’instruction : « il n’y a de vraies lumières que celles qui nous apprennent à bien vivre et à bien mourir, de véritable éducation que celle qui mène droit à la vertu, et qu’après tout, il ne sert de rien à l’homme d’avoir su beaucoup, s’il vient à perdre son âme5 ». Dans sa correspondance avec les frères, notamment avec ceux envoyés en mission, Jean-Marie de la Mennais insiste donc sur le caractère fondamentalement apostolique de l’enseignement : « Ce que vous me dites, écrit-il à un frère de Martinique, de l’attachement que vos enfants vous témoignent me fait espérer qu’ils profiteront de vos leçons, dont l’objet principal doit être la religion, et par conséquent, l’étude du catéchisme ; c’est là l’essentiel et le but principal de votre belle et sainte mission6 ». De même, dans les Instructions pour les frères de Saint-Pierre et Miquelon, l’article 9 précise : « Ils s’appliqueront spécialement dans les classes à instruire les enfants de la religion et à leur inspirer une vraie et solide piété : ils veilleront à ce que leurs élèves approchent régulièrement des sacrements, et ils les y préparent avec zèle : les frères considéreront ce dernier devoir comme le premier de tous, et comme le but principal de leur mission7 ». Au-delà de l’acquisition des connaissances, le but premier de l’enseignement est donc d’assurer une formation morale et religieuse à l’enfant et Jean-Marie de la Mennais exhorte ses frères à mener cette mission spirituelle jusqu’à son aboutissement absolu : « N’oubliez jamais, écrit-il à un frère, que vous êtes chargé d’en faire des saints et, pour cela, soyez saint vous-même8 » ou encore, comme variante, « Efforcez-vous d’en faire des saints ; c’est ainsi que vous vous sanctifierez vous-même9 ». Le Prospectus du Recueil à l’usage des Frères précise encore en 1865 : « La fin que se proposent les Frères de l’Instruction chrétienne, est de travailler à leur propre perfection en pratiquant les conseils évangéliques, et de contribuer à la sanctification des âmes en donnant aux enfants une éducation chrétienne10 ». Jean-Marie de la Mennais écrit ainsi en 1847 à un frère du Sénégal :

  • 11 AFIC n° 3171, lettre du 20 novembre 1847 au frère Liguori.

Je vois avec plaisir les progrès de vos enfants dans les sciences humaines ; toutefois, ce que je désire par dessus tout c’est d’apprendre qu’ils en fassent de plus grands encore dans la science des saints. Vous avez à leur donner non seulement l’instruction, mais encore l’éducation chrétienne, que ce soit là l’objet principal de vos soins et de vos travaux. Priez beaucoup pour eux. Dans la retraite que vous venez de faire, vous vous serez sans doute bien pénétré de l’esprit apostolique, c’est-à-dire d’un zèle ardent pour la sanctification de ces pauvres enfants vers lesquels Dieu vous envoie11.

3Le supérieur de la congrégation n’hésite pas également à exalter la fonction d’instituteur. Dans un sermon aux frères, Jean-Marie de la Mennais présente l’enseignement comme un véritable sacerdoce où l’école figure un temple dans lequel le maître incarne Jésus-Christ :

  • 12 J. Cavaleau, Les Idées pédagogiques du vénérable Jean-Marie Robert de la Mennais, Paris, 1929, p. (...)

Ah ! Puissiez-vous ne jamais l’oublier : votre œuvre est grande et belle, parce qu’elle a pour objet, non pas de faire des savants, mais des saints. Votre ministère est sublime, il est divin, parce que vous ne vous proposez pas seulement de donner aux petits enfants qui vous sont confiés des soins relatifs aux intérêts de la terre, mais parce que vous êtes appelés à faire de ces enfants des disciples de Jésus-Christ, des héritiers de son royaume et de sa gloire !
Votre école est donc un temple dans lequel vous exercez l’une des plus augustes fonctions du sacerdoce : celle de l’enseignement. Assis dans votre chaire, vous parlez au nom de Jésus-Christ ; vous tenez sa place, et par conséquent, rien de commun entre vous et ces mercenaires pour qui une école est un atelier de lecture, d’écriture ou de calcul, et qui fabriquent de l’instruction comme un menuisier fait des meubles. Oui, mes enfants, j’insiste sur ce point : appliquez-vous à bien comprendre la haute dignité de votre état. N’oubliez jamais que vous êtes chargés de faire des saints de tous les enfants qui vous sont confiés, et pour cela, soyez saints vous-mêmes12.

  • 13 Recueil à l’usage des Frères de l’Instruction chrétienne, Dinan, 1825, Titre IV, Envers les élèves (...)
  • 14 AFIC n° 9066, lettre du 2 novembre 1851 au frère Henri-Marie.

4Si elle n’évoque pas la sanctification des élèves et des maîtres, la Règle précise toutefois quelle doit être la conduite des frères envers les élèves en dessinant le même but : « Les Frères se rappelleront sans cesse que les enfans dont ils sont chargés, leur sont confiés par Dieu même pour leur apprendre à l’aimer et à le servir ; et en conséquence, leur principal soin sera de les former à la vertu […] Ils se souviendront qu’ils sont comme les anges tutélaires et les gardiens de l’innocence des enfans que la providence leur a confiés, et ils tâcheront de leur inspirer avec prudence un grand amour pour la pureté, et une grande horreur de ce qui peut blesser leur vertu13 ». Cependant, si l’école doit être un temple destiné à enseigner la vertu, elle est parfois aussi un hôpital où tous les enfants sont infirmes14. Pour frapper l’imagination d’élèves manifestement sourds au « tonnerre des vengeances divines », l’abbé de la Mennais développe cette image, avec quelque emphase, dans le sermon d’ouverture d’une retraite de collégiens :

  • 15 Cité par Marcel Doucet, Jean-Marie Robert de la Mennais, Anthologie tirée de ses œuvres, St-Romual (...)

En entrant dans cette chapelle et en jetant mes regards sur cette foule de jeunes gens qui y sont réunis, il me semble être au milieu d’un vaste hôpital, où tout est malade, où de quelque côté qu’on tourne ses regards, on ne rencontre que des malheureux couverts de plaies, qui, pour ainsi dire, portent déjà la mort toute vivante dans leurs entrailles. Je surmonte la secrète horreur qu’inspire un si affreux spectacle. Chargé par Jésus-Christ même de travailler à la guérison de ces pauvres infirmes, de ces misérables livrés en proie à tous les maux et d’autant plus à plaindre qu’ils n’en connaissent, pour la plupart, ni l’étendue ni la cause ni les remèdes, je m’approche de chacun d’eux et j’examine attentivement leur état.
Ici, je trouve un jeune homme aveugle et sourd ; les oreilles de son cœur sont fermées ; il n’entend ni les avertissements de ses parents ni les remontrances de ses maîtres ni les conseils de ses amis ; il n’entend rien, pas même le tonnerre des vengeances divines qui gronde sur lui et qui déjà éclate dans les profondeurs de l’éternité ; il ne voit ni l’abîme vers lequel il s’avance d’un pas si rapide, ni le bras de Dieu qui s’étend et qui va le saisir pour le précipiter dans le gouffre de feu sur lequel il penche déjà. […] Plus loin j’en aperçois un autre, encore étendu sur de la fange, sans mouvement et comme sans vie ; sors à l’instant, lui dis-je, de cette boue infecte ! Hélas ! me répond-il, je ne le peux pas. Eh bien, lui dis-je, soulève-toi peu à peu, je vais t’aider. Malheureux ! mes soins lui seraient inutiles ; non, il ne peut plus même se soulever, ses membres gangrenés et pourris tombent comme par morceaux ; son corps exhale je ne sais quelle odeur fétide, comme celle qui sortirait du creux d’un sépulcre entr’ouvert.
Et qui sont tous ces malades dont l’aspect me fait frémir et de pitié et d’effroi ? C’est vous-mêmes, mes enfants ! Oui, c’est votre état que je viens de peindre, ce sont les infirmités de votre âme dont je viens de vous présenter la hideuse mais trop fidèle image15.

  • 16 J.-M. de la Mennais, Sur l’Éducation religieuse, op. cit., p.11-12.
  • 17 Ibid., p. 12.
  • 18 AFIC n° 2447, lettre du 7 janvier 1830 au frère Lucien.

5Pour guérir cette jeunesse infirme, il est donc indispensable d’intégrer à l’éducation une discipline et une morale, mais sans les séparer de la religion car, précise Jean-Marie de la Mennais, « la morale humaine, sèche et froide, peut indiquer la route, mais elle ne donne pas le courage de la parcourir ; en sorte que, pour maintenir dans l’obéissance des élèves qui n’ont pas de frein religieux, la vigilance e la discipline ordinaires sont insuffisantes16 ». Jean-Marie de la Mennais déplore par conséquent le fait qu’une éducation laïque doive faire appel à une discipline sévère et pleine de rigueur, pliant les enfants sous un joug de fer, alors que « la religion aurait, par ses menaces et ses insinuations, adouci les humeurs, corrigé les défauts, réprimé les vices naissants, encouragé la faiblesse, fait régner la décence, la docilité et la paix, et dès lors l’autorité des maîtres aurait pu, sans inconvénient, se montrer plus paternelle17 ». La Règle explicite ce dernier point en montrant que la relation maître-élève doit être basée sur le respect réciproque et l’exemplarité du maître : « 2. […] ils tâcheront de leur inspirer de la confiance, du respect et de l’attachement, sans se familiariser avec eux, ni les tutoyer jamais (“familiarité engendre mépris”, note Jean-Marie de la Mennais18) ;

  • 19 Recueil…, op. cit., Titre IV, p. 12-13.

65. Ils n’auront de préférence pour aucun d’eux, mais ils seront les modèles de tous par leur régularité, leur piété et leur modestie19 ». Jean-Marie de la Mennais insiste d’autre part sur la nécessité d’être doux envers les enfants et de s’en faire aimer, comme le montrent ses recommandations aux frères :

  • 20 AFIC n° 2401, lettre du 4 juin 1826, au frère Laurent ; n° 2543, lettre du 5 février 1835 au frère (...)

Recommandez bien de ma part au f. Rogatien d’être plus doux envers les enfants et de ne point les punir avec tant de rigueur (1826) ; Ladouceur est le meilleur moyen d’obtenir de vos enfants ce que vous désirez d’eux. Si vous les grondez et les punissez trop, ils s’irriteront contre vous et leur caractère s’aigrira (1835) ; Avec les enfants, soyez bon, patient et doux : sans doute il faut être ferme aussi, mais sans être dur, et sans se livrer jamais à l’impatience ; vous corrigerez bien mieux les défauts de ces pauvres enfants en vous en faisant aimer, qu’en vous en faisant craindre(1845) ; Vous avez très fort raison de les traiter avec beaucoup de douceur ; faites-vous aimer d’eux, et vous en ferez ce que vous voudrez (1847)20.

  • 21 AFIC n° 2449, lettre du 13 février 1830 au frère Lucien.
  • 22 AFIC n° 9011, lettre du 16 octobre 1834 au frère Adolphe.
  • 23 AFIC n° 2654, lettre du 17 janvier 1839 au frère Lucien.
  • 24 AFIC n° 2369, lettre du 27 avril 1823 au frère Laurent ; n° 9009, lettre du 22 décembre 1831 au fr (...)

7« Grondez, exhortez, encouragez21 », recommande Jean-Marie de la Mennais à ses frères, persuadé que les châtiments effrayent et éloignent les enfants et que la récompense reste le meilleur moyen pédagogique pour stimuler les élèves. Aussi, conseille-t-il à un frère, pour exciter l’émulation de ses élèves, de récompenser par des bons points, largement, ceux qui étudient et travaillent en dehors du temps de classe22. Bien plus, son souhait semble être de proscrire la pratique des châtiments corporels dans ses écoles : « Quant aux punitions, je voudrais que toutes les punitions corporelles fussent abolies : si elles ont des avantages, elles ont aussi des inconvénients très graves : tâchez donc de n’en jamais user : je dis tâchez, parce que dans certains cas, je sais que cela n’est pas possible : mais ces cas-là sont rares, et il faut agir avec tant de discrétion, de douceur, de prudence qu’il n’y ait lieu à aucune plainte23 ». Pour lui en effet, la correction relève de l’autorité parentale et ne peut être administrée que par les parents. En cas d’échec avec des élèves indisciplinés, il conseille simplement de les renvoyer chez leurs parents : « Si parmi vos enfants il s’en trouve d’incorrigibles, n’hésitez point à les renvoyer sans miséricorde : des exemples sont nécessaires pour maintenir l’ordre » ; « Ne cherchez pas à triompher d’eux par les punitions et par les coups : remettez-les entre les mains de leurs parents. Si ceux-ci jugent convenable d’employer des moyens de rigueur, ils le feront, c’est leur droit et leur devoir » ; ou encore, « Renvoyez à ses parents l’enfant qui met le trouble en classe – ne le battez pas24 ». Ainsi, la correspondance de Jean-Marie de la Mennais est-elle traversée, au cours des années, par l’interdiction faite aux frères d’user de châtiments corporels envers les enfants ; ces quelques extraits de lettres illustrent son opposition profonde à toute forme de violence à l’école :

  • 25 AFIC n° 9003, lettre du 6 novembre 1823 au frère Laurent ; n° 3598, lettre du 14 décembre 1824 au (...)

Je n’aime pas qu’on use de violence pour corriger les écoliers ; cela est sujet à mille abus (1823) ; Vous pouvez rapprocher de votre siège les enfants les plus indociles, et vous servir d’une petite gaule pour les avertir, mais non pour les frapper (1824) ; Recommandez donc bien aux frères de ne pas frapper les enfants avec violence : c’est une faute grave et qui peut avoir des suites funestes (1826) ; Ne frappez donc jamais vos enfants ni avec la main ni avec la gaule : cela est tout à fait contraire à la règle (1826) ; Ne les frappez point ; la rigueur et les coups font plus de mal que de bien (1832) ; Ils ne frapperont point les enfants sous quelque prétexte que ce soit autrement qu’en leur donnant quelques légers coups sur les doigts : éviter cela le plus possible (1837) ; Ne frappez jamais, sous quelque prétexte que ce soit (1847) ; J’ai bien souvent recommandé de ne pas frapper les enfants, et vous voyez par vous-même aujourd’hui combien ce genre de pénitence a d’inconvénients ; ne le faites donc plus jamais à l’avenir (1848)25.

  • 26 Recueil…, op. cit., p. 83.
  • 27 AFIC n° 2401, lettre du 4 juin 1826, au frère Laurent.

8Si Jean-Marie de la Mennais se préoccupe du problème que pose l’usage de la punition corporelle, c’est que sur ce point, il se heurte à la Conduite. Écrite par Jean-Baptiste de La Salle vers 1706 dans le but d’unifier la pratique pédagogique de ses frères, la Conduite des Écoles chrétiennes avait été adoptée par l’abbé de la Mennais, comme manuel d’enseignement et de pédagogie, dès la création de la congrégation des Frères de l’Instruction chrétienne, avec obligation pour ceux-ci de s’y reporter pour la conduite des classes. La première ligne des statuts indique en effet que les frères de l’Instruction chrétienne enseignent « en suivant la même méthode » que les frères des Écoles chrétiennes et la Règle recommande : « Conformez-vous exactement à ce qui est marqué dans la Conduite pour la tenue des classes. Si des circonstances particulières ou des convenances locales semblent exiger qu’on la modifie en quelque point, consultez le Supérieur, et n’agissez que d’après sa permission expresse ». De même, dans le chapitre détaillant les instructions sur le compte de conscience, les frères sont interrogés précisément : « Suivez-vous exactement La Conduite ?26 ». Ainsi, en 1826, Jean-Marie de la Mennais, après avoir défendu à un frère « de mettre les enfants en prison sous l’escalier, sous quelque prétexte que ce soit », rappelle à celui-ci qu’il doit s’en tenir aux punitions marquées dans la Conduite ; cependant, il rajoute : « encore ne faut-il les appliquer qu’avec une grande réserve27 ».

  • 28 AFIC n° 2619, lettre du 2 janvier 1839, au frère Lucien.
  • 29 « La férule est un instrument de deux morceaux de cuir cousus ensemble. Elle sera longue de dix à (...)
  • 30 Conduite des Écoles…, Introduction du supérieur général Gerbaud, p. 4748.

9Cette dernière recommandation traduit bien la réticence de Jean-Marie de la Mennais et en 1839, il va même jusqu’à conseiller de ne plus suivre la Conduite sur le chapitre des châtiments corporels : « Ne vous inquiétez pas du règlement dont vous me parlez : suivez celui que j’ai approuvé et la Conduite : cependant, pour ce qui est relatif aux punitions corporelles, on a raison de les défendre en classe28 ». Néanmoins, il faut noter que si l’édition de 1720 de la Conduite insistait avec force détails sur les corrections par la férule29 ou par les verges, elle fixait en contrepartie tant de restrictions et émettait tant de réserves sur leur emploi, qu’elle incitait plutôt à l’abandon du châtiment corporel. De plus, pour être utile, la correction était assortie de dix conditions : elle devait être pure, désintéressée, charitable, faite pour l’amour de Dieu et le salut de l’âme de l’écolier, être juste, modérée, conforme à la faute, donnée et reçue paisiblement et en silence et acceptée et respectée par l’élève. De même, l’édition de 1811 supprime l’emploi des verges et dans son introduction, le supérieur général Gerbaud explique aux frères que désormais, grâce à l’utilisation des récompenses et des pensums, ils seront à même de retrancher toute espèce de punition corporelle en vue de conformer leur éducation « à la douceur des mœurs actuelles30 ». Ainsi, si les Frères de l’Instruction chrétienne avaient respecté l’esprit et la lettre de la Conduite des Écoles chrétiennes, les corrections seraient restées exceptionnelles et Jean-Marie de la Mennais n’aurait pas été dans l’obligation de leur rappeler, à maintes reprises, qu’il ne fallait pas frapper les enfants : il faut donc croire que certains « Petits Frères » avaient parfois la main un peu lourde ! Cette éducation à la sainteté, basée sur une pédagogie de la douceur et de la fermeté sans violence, ne fait cependant pas oublier à l’abbé de la Mennais la seconde partie de sa mission d’enseignement : la transmission des connaissances.

L’organisation des écoles

  • 31 Conduite des Écoles…, Préface, édition de 1852.
  • 32 AFIC 118.05.002, Lettre du 31 août 1825 à l’abbé Mazelier.
  • 33 AFIC 118.03.002, Lettre du 14 avril 1826 à l’abbé Mazelier.
  • 34 H.-C. Rulon, Ph. Friot, op. cit., p. 18.
  • 34bis Ibid

10Pour organiser l’enseignement au sein de ses écoles, Jean-Marie de la Mennais s’appuie, nous l’avons évoqué, sur la Conduite des Frères des Écoles chrétiennes qui, en trois parties, fixe et détaille l’ensemble des règles de conduite d’un établissement : « La première traite de tous les exercices de l’école et de la manière de donner chaque leçon ; la seconde parle des moyens d’établir et de maintenir le bon ordre dans les écoles ; et la troisième contient les devoirs de l’Inspecteur des écoles et du Formateur des nouveaux maîtres31 ». Cependant, dès les premières années, Jean-Marie de la Mennais souhaite la modifier. Ainsi, à l’abbé Mazelier qui lui demande en 1825 si ses frères font toutes les prières qui sont en usage chez les Frères des Écoles chrétiennes, il répond : « Oui, et on continuera jusqu’à ce que je n’aie donné une nouvelle édition de la Conduite ; je m’en occupe, mais c’est un travail plus difficile qu’on ne pense : il ne faut pas se presser quand on veut bien faire32 ». Près d’un an plus tard, il précise n’avoir jamais eu l’intention de réécrire la Conduite et affirme vouloir seulement l’adapter aux écoles de campagne à une classe : « Quand je vous avais dit que j’avais l’intention de réimprimer, avec des changements, la Conduite à l’usage des frères, je n’ai pas entendu refaire cet ouvrage, ni même y rien changer pour les écoles composées de plusieurs classes…: je veux seulement l’abréger et la modifier pour les écoles d’une seule classe, dans lesquelles toutes les sections sont réunis, ce qui me paraît indispensable33 ». Bien qu’il s’en défende auprès de l’abbé Mazelier, il semble cependant que le dessein initial de Jean-Marie de la Mennais ait été de créer sa propre méthode : « J’ai voulu plusieurs fois, écrit-il en 1831, fixer notre méthode d’enseignement et donner aux Frères une conduite uniforme pour leurs classes. Jusqu’ici, je n’ai pu me satisfaire moi-même. Je désire d’être aidé dans un travail si embarrassant, à cause des détails d’application, lesquels variant sans cesse dérangent toutes les théories34 ». La méthode ne fut jamais fixée et la Conduite resta en usage jusqu’en 1868 chez les Frères de l’Instruction chrétienne : ce fut elle, notent les frères Rulon et Friot, qui régla l’organisation matérielle des écoles, la succession des exercices, le système d’émulation et de sanction ; elle qui décida des procédés d’enseignement à utiliser, pour apprendre aux enfants à lire, écrire, calculer, mettre l’orthographe et résoudre les problèmes34bis.

  • 35 AFIC L102F008, Lettre du 15 avril 1833 à Guizot.
  • 36 Conduite des Écoles chrétiennes, 1852, p. 42.
  • 37 La Conduite de 1852 précise en introduction, pour les leçons de lecture : « Il y aura sept ordres (...)
  • 37bis Cité par H.-C. Rulon et Ph. Friot, op. cit., p. 107.

11D’une manière générale, les écoles à plus d’un frère sont divisées, comme l’indique la Conduite, au moins en deux classes, la première pour les débutants et la seconde pour les plus avancés. Dans une lettre adressée en 1833 au ministre de l’Instruction publique Guizot, Jean-Marie de la Mennais précise : « Souvent, dans les écoles même de campagne, deux frères font ensemble une école de moins de cent enfants, soit dans la même pièce, soit dans deux pièces contiguës ; et, ordinairement, c’est un très jeune frère que je charge des enfants les moins avancés… Il ne s’agit point de deux écoles distinctes, mais de deux maîtres dont l’un, entièrement subordonné à l’autre, enseigne les éléments de la lecture et le catéchisme, afin que celui-ci n’ait à instruire que les élèves les plus avancés35 ». Cette dernière précision est importante, car, si aujourd’hui un enfant de cours préparatoire apprend simultanément la lecture, l’écriture et le calcul, la Conduite prescrivait alors l’apprentissage successif de ces trois matières : « Il est essentiel de ne mettre les enfants à l’écriture que lorsqu’ils commencent à lire passablement, sans quoi on les expose à ne le savoir jamais ; car quand ils sont à l’écriture, non seulement ils ont moins de temps pour s’appliquer à la lecture, mais encore la plupart s’en dégoûtent, ainsi que le prouve l’expérience36 ». La première classe, confiée au frère débutant, était donc consacrée uniquement à la lecture et la seconde à l’écriture37 et au calcul ; les prières et le catéchisme étant dispensés dans les deux sections. Lorsque le nombre d’élèves était suffisant, s’adjoignait une troisième classe où étaient enseignées la grammaire, l’orthographe et les notions mathématiques. De plus, dans certains établissements importants, existait une classe spéciale où lecture et écriture étaient étudiées simultanément ; réservée aux élèves riches qui payaient de 3 F à 5 F par mois et qui se destinaient au collège, « la classe des messieurs » permettait d’écourter le passage en primaire. Largement employée durant tout le xixe siècle, sauf dans les écoles mutuelles, cette méthode pédagogique, qui cloisonnait l’apprentissage des matières, fit pourtant l’objet de nombreuses critiques. Le Journal d’Éducation populaire, revue pédagogique de l’enseignement mutuel, dénonce, dans un article de 1845, cette méthode traditionnelle : « Les Frères persistent à croire, et contre l’évidence des faits, que l’enseignement de l’écriture est nuisible à celui de la lecture. Alors, au lieu de varier les exercices de malheureux petits enfants, ils leur imposent toute la journée l’ennui, la gêne et le danger du même travail et de la même attitude37bis ». À ce propos, l’inspecteur du Morbihan écrit en 1836 :

  • 38 AN F17 9370.

Chez les Frères, dans la division des commençants, on apprend à épeler et à réciter des prières. Aucune leçon d’écriture, ni de calcul mental ; aucun récit de petites histoires propres à former le cœur et à développer l’intelligence. Il faut que l’enfant passe un an, et quelquefois 18 mois, avant d’apprendre à écrire et de changer de division. Quel ennui pour de jeunes enfants cloués pendant trois heures sur leurs bancs, les yeux fixés sur des tableaux de lettres qu’ils ne connaissent pas encore et forcés d’étudier une leçon qu’ils ne savent pas lire !… J’ai dû informer M. de La Mennais des inconvénients et des lenteurs de cette manière d’enseigner38.

  • 39 AFIC n° 3699, lettre du 14 novembre 1831 au frère Laurent.
  • 40 AFIC n° 3057, lettre du 4 septembre 1846 au frère Paul.
  • 41 AFIC n° 2959, lettre du 29 mars 1845 au frère Césaire.
  • 42 AFIC n° 9015, lettre du 8 mars 1836, au frère Adolphe.

12Observations pertinentes mais recommandation vaine… puisque Jean-Marie de la Mennais continuera d’appliquer cette méthode dans ses écoles. Ce mode d’organisation est d’ailleurs conforté par le fait que le mobilier scolaire est la plupart du temps insuffisant, notamment les tables pour s’exercer à l’écriture, et que la contribution demandée aux parents est calculée en fonction du nombre de matières étudiées. Ainsi, Jean-Marie approuve-t-il le barème progressif fixé par un frère des Côtes-d’Armor en 1831 : Petite classe : 0,75 F par mois ; Seconde classe : 1,00 F par mois ; Grande classe : 1,50 F par mois39. Outre la séparation des classes par matières enseignées, il existe, dans les plus grands établissements, une autre division en fonction de la contribution versée par les parents : les élèves qui payent sont séparés des élèves acceptés gratuitement. En 1846, par exemple, la répartition de quatre nouveaux frères pour l’école de St-Servan s’établit de la manière suivante : « F. Emerand : g. classe payante ; F. Enoch : g. classe des pauvres ; F. Onésime : p. classe des pauvres ; F. Némésien : classe des messieurs40 ». On peut penser qu’un tel système avait pour but d’encourager les familles les plus riches à payer ; assurées du fait que leurs enfants ne côtoieraient pas, dans la classe, ceux des catégories sociales les plus pauvres. De fait, les rétributions des familles aisées étaient d’autant plus nécessaires qu’elles permettaient, en équilibrant les comptes d’une école, d’accueillir gratuitement plus de pauvres ; c’est ce qu’explique Jean-Marie de la Mennais à un frère en 1845 : « En deux mots, les rétributions doivent être calculées de manière à couvrir la pension du frère ; ce qu’elles rendraient de plus doit être appliqué à l’achat des fournitures classiques pour les enfants pauvres, et je tiens à ce que le nombre de ceux-ci soit d’autant plus grand que les revenus de l’école sont plus considérables : voilà les conditions auxquelles j’abandonne le produit des rétributions : elles sont, comme vous le voyez, dans l’intérêt des pauvres41 ». Il reste qu’il était difficile, dans les écoles de campagne, de faire plusieurs classes pour séparer les élèves payants des élèves admis gratuitement, du fait du nombre d’élèves réduit et de l’exiguïté des locaux. Jean-Marie de la Mennais semble donc être écartelé entre, d’une part, un souci de gestion efficace et équilibrée, et, d’autre part, un devoir de charité pure et désintéressée, lorsqu’il conseille à un frère de Guérande : « Ne séparez pas absolument les enfants payants de ceux qui ne payent point : mais, sans qu’on puisse trop s’en apercevoir et sans en parler, arrangez les choses de manière à ce que les enfants bien habillés ne se trouvent que le moins possible à côté de ceux qui le sont mal42 ».

13Si la Conduite des Écoles chrétiennes impose un cadre stricte à l’enseignement, en revanche sa mise en œuvre relève de la responsabilité de l’abbé de la Mennais. Et l’organisation mennaisienne est souple, pragmatique et permet de s’adapter à toutes les situations : « Nous n’avons point de méthode rigoureuse, reconnaît Jean-Marie de la Mennais, ou plutôt nous modifions notre méthode suivant les localités et le nombre d’enfants que chaque maître est chargé d’instruire ». Dans la suite de sa Note sur les méthodes d’enseignement, écrite en 1832, Jean-Marie de la Mennais expose, en fonction de ces deux paramètres, la spécificité et les avantages de sa méthode :

  • 43 AFIC 100.06.031, Note sur les Méthodes d’enseignement, II. Méthode d’enseignement des Frères, 1832 (...)

Dans les écoles de 40 à 50 élèves, le Maître ayant un temps suffisant à donner à chaque division, ne se fait aider par les enfans que pour la lecture des commençans pendant qu’il est occupé avec les plus avancés…
Dans les écoles de 50 à 100 et 120, nous nous rapprochons davantage de l’enseignement mutuel : on fait lire quelquefois deux sections ensemble, mais jamais plus, de peur de troubler la classe, et afin que les enfans entendent distinctement celui qui est désigné pour les reprendre eux-mêmes. Les enfans d’une même section se passent les uns aux autres leurs cahiers de calcul ou d’orthographe, pour les corriger. Le Maître ne fait réciter qu’une partie des leçons apprises par cœur ; il partage ce soin avec quelques-uns de ses écoliers etc.
Dans les écoles de ville, nous multiplions les classes et les Maîtres, autant que le local nous le permet… Nous parvenons à ne composer chaque classe que d’élèves d’une même force, et alors nous n’avons presque plus besoin du secours des enfans pour rendre le travail continuel. C’est ce qu’il y a de plus parfait : les progrès sont d’une rapidité étonnante…
Dans toutes nos écoles, les enfants sont toujours assis, et le Maître se sert toujours de signes pour leur parler, excepté lorsqu’il s’agit d’expliquer ce qu’ils ne comprennent pas. Notre méthode s’applique donc également bien aux écoles petites, moyennes et grandes43.

14La méthode pédagogique mennaisienne peut également s’adapter à chaque cas particulier ; elle varie, avançant ou retardant les progrès de l’élève, en fonction de son âge, de ses besoins et de la demande de ses parents :

  • 44 Note sur les Méthodes d’enseignement…, p. 5.

« Nous avons pour principe d’adopter tout ce qui nous semble une amélioration relative. Je dis relative et voici pourquoi : Je suppose qu’un jeune homme de quinze ans vienne à l’école sans rien savoir, si on voulait l’instruire comme un enfant de neuf ans, le faire longtemps écrire en gros avant de le faire écrire en fin, le faire passer lentement et régulièrement par tous les degrés ordinaires, il arriverait que s’il quittait l’école au bout de l’année, il aurait appris peu de chose et qu’il aurait à peu près perdu son temps. De même, si on veut trop hâter les progrès d’un enfant très jeune, il se trouve savoir tout ce qu’on peut lui montrer, avant l’âge où il sera physiquement capable de prendre un état. Nous avons donc égard à l’âge et aux besoins de chacun des élèves ; on les retarde ou on les avance plus ou moins suivant les circonstances et les désirs de leurs parents44 ».

  • 45 Ibid., p. 6.

15Dans la conclusion de son mémoire, Note sur les Méthodes d’enseignement, Jean-Marie de la Mennais observe ainsi que sa méthode permet de répondre à toutes les demandes : « Enfin notre système d’enseignement a le mérite de n’être pas absolu en ce sens que nous pouvons donner tous les genres de leçons et sous toutes les formes, individuelle, simultanée et mutuelle suivant les besoins des localités45 ». De plus, comme l’évoque Jean-Marie de la Mennais dans un autre mémoire, De l’Enseignement primaire en Bretagne, l’organisation du temps scolaire est adaptée à chaque type d’école et répond le plus exactement possible aux besoins des parents et des enfants. Ainsi, en ville, les élèves peuvent rester toute la journée à l’école, de 7 heures à 19 heures, jeudi et dimanche compris, et dans les campagnes, les enfants ont de plus la possibilité de manger à l’école et, pour ceux qui habitent le plus loin, de dormir sur place :

  • 46 AFIC 102.04.007, De l’Enseignement primaire en Bretagne, chapitre VI, De l’Organisation des écoles

L’organisation des écoles de villes doit être différente de celles des campagnes. Dans les villes nous prenons des enfants à la retenue, c’est-à-dire que les enfants se rendent à l’école dès 7 h. du matin, et qu’ils y restent (excepté le temps du dîner) jusqu’à 7 h. du soir : les parents en sont donc entièrement déchargés, même le jeudi et le dimanche, aussi bien que s’ils les mettaient en pension, et ces enfants sont préservés des périls du vagabondage dans l’intervalle des classes.
Dans les paroisses d’une vaste étendue, pour épargner aux enfants la fatigue et l’embarras de retourner chez eux pour y prendre leurs repas, et pour qu’ils n’aillent pas au cabaret, on leur donne le trempage pour fort peu de chose et ils apportent leur pain. D’autres couchent dans la maison d’école et ils ne paient ordinairement que 5 fr. par mois pour l’instruction, la surveillance à l’étude et le trempage : les frères ne les quittent pas un instant, même pendant les récréations46.

16D’une manière plus précise, le règlement de l’école de Saint-Divy (Finistère), écrit en 1843 (ou 1845), nous montre comment se déroulait la journée d’un élève : levé à six heures et couché à vingt heures quinze, un interne commençait la classe à huit heures pour suivre trois heures de cours le matin et trois heures l’après-midi (sauf en hiver où il travaillait un quart d’heure de moins). Malgré ces deux longues plages de cours, la journée s’équilibrait grâce aux récréations (trois heures en moyenne) et aux temps d’études (plus de deux heures et demie) ; la semaine étant interrompue par le jeudi, jour de détente et de promenade, soumis aux impératifs du temps…:

  • 47 AFIC n° 3947, règlement de l’école de Saint-Divy.

À 6 heures, lever des internes, suivi de la prière et de l’étude dans la classe du frère Maxime jusqu’à 7 heures.
À 7 heures, déjeuner suivi de la récréation jusqu’à 8 heures.
À 8 heures, classe jusqu’à 11 h.
À 11 heures, récréation jusqu’à 11 h 1/2.
À 11 h 1/2, étude jusqu’à midi.
À midi, dîner. Un enfant lira pendant le dîner et on exigera le silence. Les enfants qui apporteront leur pain le mangeront dans la salle de récréation, et l’un d’eux sera chargé de surveiller les autres. Après le dîner, récréation sous la surveillance d’un frère jusqu’à 1 h 1/4 en hiver et jusqu’à 1 h 1/2 depuis le 1er mars au 1er novembre.
Du 1er novembre au 1er mars, la classe finira à 4 h.
Du 1er mars au 1er novembre, elle finira à 4 h 1/2.
Collation en hiver à 4 h, et à 4 h 1/2 depuis le 1er mars jusqu’au 1er novembre.
En toute saison, la récréation finira à 5 heures.
De 5 heures à 7, étude.
À 7 heures, souper ; après le souper, les internes se réuniront dans la salle de récréation jusqu’à 8 heures moins le quart, en hiver. Quand les jours seront longs, ils s’amuseront dans la cour ou dans le lieu désigné pour les grandes récréations, jusqu’à 8 heures et quart.
À 8 heures et quart, la prière suivie du coucher.
Pendant que les pensionnaires se lèvent et se couchent, ils répondent le chapelet ou partie du chapelet.
Le jeudi, on ira à la messe, après le déjeuner. Le lever et l’étude auront lieu avant le déjeuner, comme à l’ordinaire.
Après la messe, récréation jusqu’à 9 heures.
De 9 à 10 heures, étude.
Récréation de 10 h 1/2 à midi.
L’après-midi, promenade. Quand le temps ne permettra pas de sortir, on les réunira dans une classe pour étudier pendant un temps plus ou moins long suivant les circonstances.
On doit être rentré de la promenade à 4 h en hiver. La promenade pourra se prolonger dans les longs jours jusqu’au souper.
Tous les enfants qui prennent leur repas dans l’établissement doivent se trouver ensemble aux récréations dans le lieu désigné, sauf la récréation de 11 h 1/2 à midi, pendant laquelle les enfants qui ne sont pas à l’étude s’amuseront sous la surveillance du frère Maxime dans l’endroit qu’il désignera.
Le dimanche, lever, étude et déjeuner comme à l’ordinaire. Une heure avant la grande messe, on réunira les enfants dans l’étude pour le catéchisme, lequel durera jusqu’au moment du départ pour la grande messe.
À midi, dîner, récréation jusqu’au moment où les enfants partent pour aller à l’église. Après les offices, récréation ou promenade jusqu’au souper en été, et en hiver jusqu’à la nuit. Le reste, comme le jeudi47.

  • 48 AFIC n° 2696, lettre du 19 septembre 1840 au frère Ferdinand.

17Si dans le mode d’organisation de ses écoles Jean-Marie de la Mennais fait montre de souplesse, il existe cependant un point sur lequel il reste inflexible : le nombre d’élèves par classe. En effet, alors que dans certaines écoles de ville les frères ont la possibilité de former plusieurs classes, de niveau homogène, n’excédant pas cinquante élèves, et où « les progrès sont d’une rapidité étonnante », dans la plupart des écoles, notamment celles des campagnes, les frères n’ont pas cette liberté car ils se trouvent confrontés d’abord à la pauvreté des communes et des paroisses qui ne peuvent payer plus d’un instituteur, ensuite à la concurrence des écoles mutuelles qui se targuent d’accueillir, sous la direction d’un seul maître, plus d’une centaine d’écoliers. Malgré cette pression d’enjeu, le supérieur, conscient de la pénibilité du travail d’enseignant, recommande aux frères de ne jamais dépasser, en moyenne, quatre-vingts élèves par classe pour assurer un enseignement de qualité : « Il m’est absolument impossible de consentir à ce que vous receviez plus de 80 enfants dans votre classe ; c’est la règle, et cette règle est fondée sur l’intérêt des enfants mêmes, car il est évident que s’ils sont trop nombreux, il vous sera impossible de les bien instruire. D’un autre côté, soigner, surveiller, enseigner quatre-vingts enfants est déjà un travail excessif pour un seul homme qui doit passer six heures par jour au milieu d’eux : demander plus, c’est demander trop48 ».

  • 49 AFIC n° 3009, lettre du 11 janvier 1846 au frère Mathias.
  • 50 AFIC, mémoire De l’Enseignement primaire en Bretagne.

18L’autre argument avancé par Jean-Marie de la Mennais pour imposer ce quota relève plus d’une vision gestionnaire que pédagogique : accepter toujours plus d’élèves, c’est compromettre le recrutement d’un autre frère et par là même le développement de l’école, mais c’est également donner prétexte à la municipalité pour ne pas bâtir ou aménager de nouveaux locaux. Aussi rappelle-t-il à un frère de Goudelin, dans les Côtes-d’Armor : « Il n’est pas raisonnable de vous charger d’un si grand nombre d’enfants ; ce n’est pas le moyen d’obtenir un second frère : on n’en paiera pas deux, quand un seul fera toute la besogne : vous savez ce que je vous avais dit à ce sujet : votre classe n’en peut contenir plus de 60 ou 70, en les pressant beaucoup : n’en recevez donc pas plus49 ». Si le frère Mathias est obligé de presser ses élèves dans sa salle de classe, c’est que souvent les locaux scolaires mis à la disposition des frères étaient pour le moins sommaires : « L’unique embarras, écrit Jean-Marie de la Mennais en 1839, était de trouver un local convenable pour la classe ; mais le curé y pourvoyait de son mieux, et souvent il cédait pour cela une partie de son presbytère50 ». Le témoignage d’un frère, évoquant son installation dans une commune des Côtes-d’Armor en 1829, semble parfaitement illustrer cette situation :

  • 51 Mémoires d’un Ancien, dans Chronique de l’Institut…, op. cit., t. I, p. 55.

Le Recteur, M. G…, rempli de zèle pour ses paroissiens, entreprit d’établir une école dirigée par un Frère […] N’ayant point de maison pour faire la classe, il se décida à l’établir dans l’unique salle de son pauvre presbytère. Un peu plus tard, un propriétaire, touché des efforts de M. le Recteur, vint lui offrir un grenier dans une de ses maisons du bourg. La proposition, comme vous le pensez bien, fut aussitôt acceptée. Ce fut dans ce grenier, mon cher Bénoni, que mes élèves et moi, nous passâmes le rude hiver de 1829, absolument sans feu. Quand au cabinet qui me servait de chambre, il était en parfait rapport avec ma classe. C’était un poulailler dans la grange du presbytère. Les poules et les coqs juchaient au-dessus de mon réduit, et les canards gîtaient à l’entrée51.

  • 52 AFIC n° 2715, lettre du 14 avril 1841 au frère Polycarpe.
  • 53 Cité par Laveille, op. cit., t. I, p. 348.
  • 54 AFIC n° 3029, lettre du 19 avril 1846.

19Plus loin dans son récit, ce frère se défend d’exagérer et affirme dire la simple vérité ; ce que l’on peut croire puisqu’en 1841, Jean-Marie de la Mennais écrit à un frère : « Je suis bien aise qu’on ait eu la charité de placer un poële dans votre classe pendant l’hiver : les enfants ne peuvent travailler quand ils ont leurs pauvres petites mains gelées52 ». Pour voir s’améliorer les conditions d’installation de ses écoles, Jean-Marie de la Mennais compte avant tout sur la pression des parents d’élèves ; il décrit, dans un rapport de 1830, la manière dont s’érige une nouvelle école : « On commence par s’établir où l’on peut, dans une chambre, dans un hangar. Si le local ne convient pas, les enfants en souffrent, les parents s’en plaignent et le curé profite de cela pour exciter leur zèle. Bientôt les uns offrent du bois, les autres des pierres. Celui-ci prend les charrois à son compte, celui-là la main-d’œuvre, et voilà une belle maison bâtie. Afin d’intéresser plus de monde à l’œuvre et de déterminer l’administration locale à y contribuer, on convient quelquefois que le rez-de-chaussée servira de classe. La mairie s’établit au premier étage, et la fabrique se réserve le grenier pour y déposer ses grains53 ». Le mécontentement des parents peut également venir du fait que l’on refuse les inscriptions, faute de place et l’on comprend dès lors l’impatience de l’abbé de la Mennais lorsqu’un frère accepte tous les élèves qui se présentent, sans tenir compte de l’exiguïté des locaux. Ainsi par exemple, de 1843 à 1847, interpellera-t-il le frère Mathias, de Goudelin, à plusieurs reprises à ce sujet : « il faut pour hâter la construction d’un nouveau local que tout le monde sente l’insuffisance du local actuel, et que les familles se plaignent, ce qui n’arrivera qu’autant qu’elles verront l’entrée de l’école refusée à leurs enfants, faute de place54 ».

20L’adaptation aux circonstances, l’adéquation entre la demande exprimée et le mode d’enseignement proposé, semblent donc être le trait caractéristique de l’organisation des écoles mennaisiennes. En 1832, dans un rapport au ministre de l’Instruction publique, Jean-Marie de la Mennais exprime cette volonté de toujours mieux s’adapter aux besoins des familles :

  • 55 H.-C. Rulon, Recherches historiques sur le Vénérable de La Mennais et ses œuvres, dans Chronique d (...)

Qu’on me permette de faire remarquer ici, combien l’organisation de nos écoles, lorsqu’elle est complète, est précieuse pour les familles. Les parents veulent-ils que leurs enfants soient instruits gratuitement ? Soit. Veulent-ils qu’ils entrent dans une classe payante ? Soit. Veulent-ils qu’ils soient retenus du matin au soir et que cependant, ils prennent leur repas à la maison paternelle ? Soit. Veulent-ils qu’ils ne prennent quel es leçons particulières de dessin, de chiffre ou d’orthographe ? Soit. Veulent-ils qu’ils travaillent toute la journée et qu’ils n’aillent à l’école que le soir ? Soit. Quelque demande qu’on nous fasse, nous répondons toujours : Hé bien, soit !55

L’adaptation de la formation aux évolutions de la société

  • 56 Discours d’Alain Raison du Cleuziou dans le Rapport général du congrès provincial de Saint-Brieuc (...)
  • 57 J. Cavaleau, op. cit., p. 107-108.
  • 58 F. Lamennais, Des Progrès de la Révolution…, op. cit., p. 113.

21En ce qui concerne le niveau de formation à donner aux élèves, Jean-Marie de la Mennais est d’avis qu’il faut l’adapter à l’état et au devenir socioprofessionnel de chaque enfant ; on lui prête les propos suivants : « Pourquoi vouloir élever et instruire le petit pâtre de Squiffiec comme le fils d’un commerçant, d’un industriel de Rennes ! De même que le fils de l’ouvrier doit apprendre les notions qui lui sont indispensables, plus tard, pendant son apprentissage, de même le fils de l’agriculteur doit être initié de bonne heure à ce qui regarde la nature du sol56 ». J. Cavaleau fait justement remarquer à ce sujet : « M. de la Mennais était opposé à un programme d’enseignement primaire uniforme pour tout un grand pays, et ne tenant pas compte ni du milieu social, ni de la carrière probable que devront suivre les enfants […] Il cherchait par l’instruction à améliorer le sort des populations, mais sans les arracher à leur milieu ou à leurs occupations…57 ». Cette conception d’un enseignement visant à garantir un certain ordre social, qui interroge le pédagogue du xxe siècle, formé à la notion d’égalité d’accès à l’instruction pour tous les enfants, n’est cependant pas propre à Jean-Marie de la Mennais. Ainsi Félicité Lamennais peut également affirmer en 1829, dans Des Progrès de la Révolution et de la guerre contre l’Église, que les connaissances « appartiennent à tous », « sont le domaine commun de la société, des familles, des individus » et qu’il n’est personne « qui n’y ait un droit naturel et inaliénable », et conclure à la nécessité de maintenir un certain ordre temporel en hiérarchisant « naturellement » l’accès aux connaissances, en fonction des possibilités intellectuelles, des désirs et des besoins supposés des différentes classes sociales58.

  • 59 AFIC 102.04.007, De l’Enseignement primaire en Bretagne, mémoire de 1839.
  • 60 AFIC 104.02.017, Rapport sur l’institut des Frères de l’Instruction chrétienne, adressé à Salvandy (...)

22Sur le terrain, dans les écoles de villages, les frères doivent donc répondre à une demande d’instruction élémentaire, donnant les bases pour permettre de lire, d’écrire et de compter : « Le plus riche paysan, constate Jean-Marie de la Mennais, désire tout au plus que son fils sache lire dans un livre d’heures et dans les papiers écrits à la main, et assez bien écrire pour mettre son nom au pied d’une quittance et d’un contrat59 ». Fort conscient des limites de l’enseignement dispensé dans les écoles rurales, il décrit ainsi, dans un rapport adressé en 1837 au ministre de l’Instruction publique Salvandy, le programme de formation d’un instituteur d’une humble classe de village : « il n’aura jamais à enseigner que les premiers éléments, et encore d’une manière nécessairement très imparfaite ; car les enfants ne restent pas assez longtemps à l’école pour que qui que ce soit (fût-il des quarante de l’Académie) puisse leur apprendre autre chose qu’à lire, à écrire médiocrement, et à résoudre les problèmes les plus simples de l’arithmétique60 ». Cependant, dès le départ, la qualité professionnelle des établissements mennaisiens est reconnue, ainsi que leur parfaite adaptation au milieu ; dans son rapport, un inspecteur constate en 1822 à propos de l’école de Lamballe

  • 61 Archives départementales de Rennes, registre des délibérations du Conseil académique de Rennes, sé (...)

23(Côtes-d’Armor) : « Cette école que j’ai visitée se compose de 180 enfants, distribués en deux classes tenues chacune par un Frère. La lecture y est très satisfaisante, l’écriture des enfants est propre et bien rangée, les modèles faits par les Frères sont très bons ; la pratique du chiffre est ce qui convient aux élèves qui fréquentent l’école ; l’enseignement religieux est parfait et la tenue excellente61 ».

  • 62 AFIC 118.03.006, Lettre du 8 février 1833 à l’abbé Mazelier.
  • 63 Article1 : L’instruction primaire élémentaire comprend nécessairement l’instruction morale et reli (...)

24À partir des années 1830, Jean-Marie de la Mennais a néanmoins conscience qu’il lui faut relever le niveau de formation de ses écoles pour s’adapter à la demande croissante d’éducation et il écrit à l’abbé Mazelier, quelques mois avant la promulgation de la loi de 1833 : « Il est fort important, dans les circonstances actuelles, de fortifier et d’élever notre enseignement : déjà, partout où il y a libre concurrence, nous l’avons emporté, et c’est un avantage qu’il ne faut pas perdre, car sans cela, nous ne ferions pas le bien longtemps […] Il est essentiel que nous attirions dans nos écoles les enfants de la classe moyenne, et, par conséquent, qu’ils y trouvent une instruction supérieure à celle que l’on donne partout ailleurs62 ». La loi Guizot, du 28 juin 1833, divise en effet l’enseignement primaire en deux degrés, l’instruction primaire élémentaire et l’instruction primaire supérieure et surtout, elle impose aux communes chefs-lieux de département et à celles dont la population excède six mille âmes d’établir une école primaire supérieure. À ces deux degrés d’enseignement correspondent donc deux niveaux de programmes63 : dans son exposé aux députés, Guizot justifie la création d’une enseignement primaire supérieur par le fait qu’il n’existe pas de passerelle entre l’enseignement primaire élémentaire et l’enseignement secondaire ; de là résulte, déclare-t-il, « qu’une partie très nombreuse de la nation qui, sans jouir des avantages de la fortune, n’est pas non plus réduite à une gêne trop sévère, manque entièrement des connaissances et de la culture intellectuelle et morale appropriées à sa position ». De fait, si Guizot considère l’instruction primaire élémentaire comme « la limite au-dessous de laquelle elle (l’instruction) ne doit pas descendre, la dette étroite du pays envers tous ses enfants », ce n’est pour autant qu’il envisage que la classe moyenne puisse « s’élancer jusqu’à l’instruction secondaire ». Bien au contraire, à l’instar de Jean-Marie ou de Félicité Lamennais, le ministre Guizot reste persuadé qu’un homme du peuple trop instruit, sorti de sa « sphère naturelle », se perd et est perdu pour la société :

  • 63bis Exposé des motifs du projet de loi présenté à la Chambre des députés par M. Guizot, Ministre Secré (...)

[…] il faut mettre une partie si considérable de nos compatriotes en état d’arriver à un certain développement intellectuel, sans leur imposer la nécessité de recourir à l’instruction secondaire, si chère, et, je ne crains pas de le dire, car je parle devant des hommes d’État qui comprendront ma pensée, si chère à la fois et si périlleuse. En effet, pour quelques talents heureux que l’instruction scientifique et classique développe et arrache utilement à leur condition première, combien de médiocrités y contractent des goûts et des habitudes incompatibles avec la condition modeste où il leur faudrait retomber ; et, sorties une fois de leur sphère naturelle, ne sachant plus quelle route se frayer dans la vie, ne produisent guère que des êtres ingrats, malheureux, mécontents, à charge aux autres et à eux-mêmes !63bis

  • 64 AFIC 019.03.034, Lettre du 4 septembre 1835 à Querret.
  • 65 H.-C. Rulon et Ph. Friot, op. cit., p. 172.
  • 66 M. Gontard, Les Écoles primaires de la France bourgeoise (1833-1875), Toulouse, 1976, p. 24.

25Attentif à ces nouvelles demandes d’éducation et persuadé de l’utilité et de la nécessité d’une instruction supérieure, accessible à plus d’enfants, Jean-Marie de la Mennais décide de fonder, en 1835, une école primaire supérieure à Dinan. Il demande à son ami Querret de préparer quelques jeunes ecclésiastiques au brevet du premier degré, exigé pour enseigner en primaire supérieur, et lui écrit, en septembre 1835, une lettre de remerciements enthousiaste : « Cher ami, que Dieu soit béni, et vous après ! M. Mermet, M. Houet, brevetés du premier degré ! Cinq frères brevetés du second degré, M. Macé, item !… Dieu s’est servi de vous pour opérer cette espèce de prodige : il a récompensé votre dévouement si généreux à une œuvre qui est si éminemment la sienne. Mais il faut que vous m’aidiez à tirer parti du succès que nous venons d’obtenir ; c’est-à-dire qu’il faut que vous me fassiez un projet de prospectus d’une école du premier degré, à Dinan. Occupez-vous en tout de suite, je vous en prie, car cela presse, et envoyez-moi votre travail dans le plus bref délai, car je veux le faire imprimer au plus tôt. Quelques jours perdus, ce serait perdre beaucoup64 ». Un mois plus tard, Jean-Marie de la Mennais ouvrait l’école primaire supérieure de Dinan mais malgré des débuts prometteurs, le nouvel établissement ne durera pas : la mentalité populaire, notent Rulon et Friot, n’était pas acquise encore à ce besoin d’études techniques, car il faut au moins une génération pour qu’une idée nouvelle entre dans les mœurs. La classe moyenne, dont M. de la Mennais voulait former les enfants […] bouda les écoles primaires supérieures et n’y envoya pas ses fils. Cet enseignement fut repris, sous une forme beaucoup plus modeste, par les cours supérieurs qui se créèrent plus tard dans les grands établissements65. D’une manière plus générale, M. Gontard constate à propos de l’évolution des écoles primaires supérieures en 1848 que « les unes étaient restées primaires mais n’avaient rien de supérieur tant était médiocre leur niveau […] ; les autres étaient devenues supérieures mais n’avaient plus rien de primaire, ni dans les études, ni dans le personnel, ni dans la clientèle » et il conclut : « le problème de l’enseignement moyen et des cadres subalternes de l’industrie et du commerce que l’on avait cru résoudre en 1833 par la création des écoles primaires supérieures demeurait entier66 ». Il semble d’ailleurs que, dès 1836, Jean-Marie de la Mennais avait une vision objective de la situation, sans illusion quant au devenir à court terme de ce type d’enseignement ; lors d’une distribution des prix, il déclare en effet :

  • 67 S. Ropartz, op. cit., p. 401-402.

Nous avons eu le regret de voir beaucoup de parents retirer leurs enfants de l’école avant qu’ils aient pu s’y appliquer suffisamment. Dès que les enfants ont atteint l’âge de 12 à 13 ans et qu’ils ont appris à lire, à écrire, à calculer, on s’imagine que leur éducation primaire est finie, quoiqu’elle ne soit réellement qu’à peine commencée. On se hâte de les mettre à l’ouvrage dans un atelier, où jamais ils ne deviendront que des ouvriers médiocres, tandis qu’avec le secours des mathématiques ils seraient devenus bientôt des ouvriers d’un mérite supérieur. La pratique est peu de chose, et on l’acquiert facilement quand d’avance on possède la théorie de l’art que l’on veut exercer. Quels progrès ne ferait pas dans le sien un jeune homme qui, avant de manier la scie et le marteau, serait capable de se rendre compte de toutes les opérations qu’il doit exécuter, de tracer avec exactitude l’épure d’une voûte, d’un escalier, d’un édifice entier et d’en décomposer les parties avec intelligence ? Hé bien, il ne faudrait pour cela que le laisser quelque temps encore à l’école…67.

26Constat d’autant plus pertinent que la formation des apprentis n’est ni organisée, ni protégée ; le premier essai de réglementation commence de fait avec la loi du 22 mars 1841. Celle-ci fixe à huit ans l’âge auquel les enfants peuvent être admis dans les ateliers, limite la durée de travail en fonction de l’âge des apprentis, interdit le travail de nuit et celui des jours fériés. La loi protège également l’enfant contre l’ignorance : lorsqu’il a moins de douze ans, l’apprenti doit justifier qu’il fréquente l’école ou présenter un certificat d’études primaires ; lorsqu’un apprenti de plus de seize ans ne sait pas lire, écrire et compter, son maître d’apprentissage à l’obligation de lui laisser un temps, pris sur sa journée de travail, pour compléter sa formation. En réalité, la loi est rarement appliquée et de plus, elle ne concerne que les ateliers réunissant plus de 20 ouvriers. Conscient de cette situation, Jean-Marie de la Mennais, dans un rapport au ministre daté de 1831, évoque le projet de créer une école professionnelle élémentaire et de donner aux maîtres des notions d’enseignement technique :

  • 68 H.-C. Rulon, Recherches historiques…, dans Chronique des Frères, n° 219 de juillet 1959, p. 239.

Depuis longtemps, j’ai le désir et le projet d’établir une école d’arts et métiers à Ploërmel. Je demandai à l’ancien Gouvernement des secours pour cela : je ne reçus qu’un refus. Cependant il me semble que, si dans le lieu où l’on élève un si grand nombre de maîtres d’écoles, on pouvait leur donner quelques notions pratiques des arts, ils les répandraient ensuite dans les campagnes et les petites villes : ce qui contribuerait beaucoup au développement de l’industrie dans un pays où il y en a si peu. Si le Gouvernement voulait m’aider, j’ai l’intime conviction que nous réussirions en peu d’années, à perfectionner beaucoup sous ce rapport l’instruction des maîtres et par conséquent, celle des enfants68.

  • 69 Lettre du 5 avril 1839. Symphorien-Auguste, op. cit., t. II, p. 250-251.
  • 70 AN F17 12474, rapport des inspecteurs généraux Péchet et Matter de juillet 1839.

27Sans attendre l’aide du gouvernement, Jean-Marie de la Mennais va organiser à Ploërmel un véritable enseignement primaire professionnel en accueillant de jeunes apprentis dans les ateliers de la congrégation. En effet, parallèlement aux services d’intendance (boulangerie, cidrerie, porcherie, potager, pharmacie…), l’abbé de la Mennais avait développé, dès 1826, différents corps de métiers : couture, reliure, menuiserie, forge et ateliers de carrosserie et de fonderie qui fabriquaient et vendaient voitures et cloches. Ainsi, peut-il répondre en 1839 à son amie Mlle de Lucinière qui lui propose l’achat d’un coupé d’occasion : « Vous ne savez donc pas que je suis fabricant de voitures : mes frères m’en ont fait une que chacun admire ; elle est vraiment merveilleusement bonne, et trop belle pour un ignorantin. Nous en construisons deux autres qui nous ont été demandées, tant est grande notre réputation, et je compte bien que nous n’en resterons pas là. Nous avons ici toutes sortes d’ateliers, et, dans le pays, il n’y a pas d’ouvriers capables de lutter avec nous ; aussi prenons-nous des enfants en apprentissage, qui deviennent à leur tour, des maîtres ou, du moins, qui ont un état et peuvent gagner leur vie en sortant de chez nous69 ». Dans un rapport de juillet 1839, deux inspecteurs généraux n’hésitent pas à qualifier cet enseignement professionnel par apprentissage d’école d’arts et métiers : « La maison de Ploërmel renferme une école d’arts et métiers sur une petite échelle, mais qui prendra plus d’extension après l’achèvement de plusieurs bâtiments en construction. On y trouve déjà des ateliers de charrons, de charpentiers, de menuisiers, de serruriers, de peintres, de vitrier, etc.70 ». À la même date, dans son mémoire, De l’Enseignement primaire en Bretagne, adressé à Rendu, Jean-Marie de la Mennais évoque, dans des termes semblables, cet aspect de son enseignement ; s’il vante les mérites de sa méthode, former des apprentis plus instruits et mieux éduqués, il déplore, dans le même temps, le manque total d’aides financières pour étendre son projet :

  • 71 AFIC 102.04.007, De l’Enseignement primaire en Bretagne.

« Nous avons des ateliers de serrurerie, de charronnage, de menuiserie, de cordonnerie, etc. Nos ouvriers sont habiles et très capables d’en former d’autres. Nous recevons donc en pension quelques jeunes gens à qui nous donnons un état, et qui, en sortant de cette espèce d’école d’arts, gagnent plus que ceux qui font ailleurs leur apprentissage, parce qu’ils sont plus instruits ; leur conduite est aussi plus régulière, car nous les mettons à l’abri de bien des dangers. Je voudrais qu’il me fût possible de développer en grand une œuvre si utile ; mais je manque de ressources pour cela, et, jusqu’ici, personne ne m’a aidé, quoique tout le monde reconnaisse que rien ne serait plus avantageux au pays71 ».

  • 72 AFIC 115.7.001, Lettre sans date (novembre 1832 ?). La réponse du ministre est du 5 décembre 1832.
  • 73 C’est son ami, le poète et philanthrope briochin Achille du Clésieux, qui passe à la réalisation… (...)
  • 74 Ainsi, Herpin considère-t-il Jean-Marie de la Mennais comme le « véritable initiateur de l’enseign (...)
  • 75 G. Nicolas, op. cit., p. 69. Cet enseignement durera de 1832 à 1851.
  • 76 M. Lagrée, Mentalités, religion et histoire en Haute-Bretagne au xixe siècle, le diocèse de Rennes (...)

28Jean-Marie de la Mennais va aborder également un autre domaine de l’enseignement professionnel primaire : l’enseignement agricole. Ayant pour projet d’acquérir les bâtiments d’une ancien ne abbaye, « située sur les bords du Blavet », pour y fonder un établissement agricole destiné à accueillir des enfants vagabonds, abandonnés par leurs parents, et de jeunes repris de justice, il écrit en 1832 au ministre du Commerce et des Travaux publics : « Je voudrais non seulement offrir à ces malheureux enfants un asile où ils seraient élevés chrétiennement et à l’abri des tentations de la misère, mais encore profiter de cette circonstance pour répandre en Bretagne la connaissance des meilleures méthodes d’agriculture et d’arts72 ». Le projet n’eut pas de suite, faute de subventions73 ; ce qui n’empêche pas certains biographes, relevant le souhait exprimé par l’abbé de la Mennais de propager ce nouveau type de formation, de présenter le supérieur comme l’un des précurseurs de l’enseignement agricole primaire74 : appréciation que l’on peut nuancer, car la nécessité de fonder un enseignement agricole, en vue de perfectionner les techniques de culture et d’élevage, est une des préoccupations de l’époque. Ainsi, dès 1832, le recteur de l’académie de Rennes, Pierre Le Grand ouvre une exploitation annexée à l’école normale pour adapter l’instruction des futurs maîtres aux besoins économiques des campagnes. L’idée maîtresse, souligne G. Nicolas, est de former des instituteurs « capables de convaincre la population agricole qu’en améliorant certains éléments de son mode d’exploitation, elle pourra mieux vivre de sa terre, et donc rester à la campagne au lieu de céder au mirage de la ville75 ». Il s’agit en outre d’apporter une compétence supplémentaire par rapport à l’instruction donnée par les frères ; l’enseignement agricole est donc également conçu comme « une arme contre les congréganistes ». En effet, dans un climat de concurrence scolaire, « le clergé paroissial use de tout son pouvoir pour les faire choisir76 » note M. Lagrée et le jeune instituteur, formé à l’école normale, est souvent considéré comme un intrus et un rival. Au niveau national, en 1838, le ministre de l’Instruction publique Salvandy demande aux préfets de mener une enquête auprès des Conseils généraux pour étudier les conditions de mise en place de cours d’agriculture dans les écoles normales ; sur l’opportunité d’un tel projet, il écrit en introduction :

  • 77 Circulaire du Ministre de l’Instruction publique, prescrivant une enquête relativement à l’enseign (...)

Des demandes m’ont été adressées de divers points de la France à l’effet d’obtenir que des cours d’agriculture soient organisés dans les Écoles normales primaires. Je suis disposé à seconder autant que possible les vues qui ont inspiré ces demandes. L’agriculture devient chaque jour parmi nous l’objet d’un intérêt plus vif et d’une attention plus générale ; il y aurait des avantages réels à ce que les instituteurs des communes rurales fussent en état non seulement d’enseigner ce premier de tous les arts, en signalant les perfectionnements nouveaux et les bons résultats qu’ils produisent, mais encore de le faire aimer, d’en inspirer le goût aux enfants qui leur sont confiés : ils rempliraient ainsi la double et belle mission de concourir au bien-être matériel de la population par la fécondation du sol, tout en développant son intelligence et en améliorant ses mœurs par l’instruction77.

  • 78 Arrêté fixant les programmes d’enseignement pour les Écoles normales primaires, du 31 juillet 1851

29Un an plus tard, le 2 août 1839, une décision du Conseil royal de l’Instruction publique autorise les cours d’agriculture dans les écoles normales à condition qu’ils soient donnés par un professeur spécialisé et que les élèves-maîtres puissent apprendre la pratique sur une exploitation annexée. Il faudra cependant attendre le décret du 3 octobre 1848 pour que soit organisé l’enseignement agricole et surtout la loi Falloux de 1850 pour que soient évoquées dans le programme de l’enseignement primaire, à l’article 23, « des instructions élémentaires sur l’agriculture ». Un an plus tard, figure dans le programme des écoles normales primaires un chapitre sur les notions d’agriculture, divisé en deux sections : de la culture en générale et de l’horticulture78. Le 16 février 1856, dans un rapport à l’empereur Napoléon III, le ministre de l’Instruction publique Fortoul prend position pour que se mette en place « un système régulier d’enseignement pratique de l’agriculture » dans les écoles normales et en précise le double avantage : « Un tel enseignement sera favorable au développement des intérêts agricoles, en facilitant la propagation des procédés utiles là où les innovations de la science moderne ne pénètrent que difficilement ; surtout, le Gouvernement est assuré d’en recueillir ce précieux avantage, de conserver parmi les instituteurs des goûts simples et modestes, et de les attacher par des intérêts positifs au sol des communes qui les auront investis de leur confiance ».

30C’est donc dans un contexte favorable à la diffusion de connaissances agricoles dans l’enseignement primaire que les Frères de l’Instruction chrétienne vont, dans quelques établissements, expérimenter et mettre en place ce nouvel enseignement. Ainsi, en 1850, le directeur de l’école de Pleurtuit

  • 79 E. Herpin, op. cit., p. 116.
  • 80 Trois éditions de deux mille exemplaires s’écoulèrent en an et une édition illustrée parut en 1894 (...)
  • 81 H.-C. Rulon, Recherches historiques…, dans Chronique des Frères, n° 221, janvier 1960, p. 393.

31(Ille-et-Vilaine), avec l’approbation de Jean-Marie de la Mennais, achète un champ pour que les élèves s’initient aux techniques agricoles et puissent étudier différents types de cultures : étude du blé, du colza, du tabac, et autres cultures principales de la région. De même, à quelques kilomètres, le directeur de Saint-Méloir-des-Ondes est, en 1853, « autorisé verbalement, par le recteur d’Académie de Rennes, à comprendre l’enseignement agricole dans le programme des matières apprises à l’école79 ». À partir de 1860, ce cours d’agriculture et d’horticulture comptera plus de soixante élèves. Cours théoriques, travaux pratiques sur le terrain, visites d’exploitations, études de revues techniques, l’enseignement agricole donné par les frères relevait déjà d’une pédagogie active, moderne, telle qu’on peut l’appliquer aujourd’hui. Ces essais furent néanmoins assez rares et discontinus car liés aux initiatives individuelles des frères ; ce n’est qu’à partir de 1892, plus de vingt ans après la mort de l’abbé de la Mennais, que va se mettre en place un véritable enseignement agricole. À cette date, le frère Abel, assistant général, présente à la Société des Agriculteurs de France un programme d’enseignement agricole pour les écoles primaires rurales ; programme qui sera adopté avec la création d’un examen : le Certificat agricole primaire. Bien plus, en 1893, les Frères de l’Instruction chrétienne font paraître un manuel scolaire, L’Agriculture à l’école primaire, qui va connaître un succès grandissant80 et le 20 février 1895, la Société des Agriculteurs de France décerne à l’Institut de Ploërmel un diplôme d’honneur pour avoir « ouvert la voie, en créant de toutes pièces pour ses nombreuses écoles un système pratique pouvant devenir le point de départ d’un immense progrès81 ».

32Enseignement primaire supérieur, enseignement professionnel élémentaire, enseignement primaire agricole : Jean-Marie de la Mennais a donc parfois pris le risque d’expérimenter de nouveaux types de formation pour mieux adapter ses écoles aux évolutions de la société. Ainsi, la spécificité des écoles mennaisiennes semble avoir été de pouvoir répondre, rapidement et exactement, aux différents besoins de formation exprimés par les familles ou les politiques ; aussi bien, nous l’avons vu, grâce à une organisation interne très souple, que par la volonté de Jean-Marie de la Mennais de ne pas restreindre sa congrégation à un seul type d’enseignement et de public. L’efficacité pédagogique et éducative des Frères de l’Instruction chrétienne était d’ailleurs reconnue et appréciée par la population comme peuvent l’illustrer les délibérations des conseils municipaux de Fougères (Ille-et-Vilaine) en 1826 ou d’Étables-sur-mer (Côtes-d’Armor) en 1836 :

(La commission) n’a pu se dissimuler que tout le bien que messieurs les Curés disent de cet établissement est de la plus exacte vérité ; elle n’a pu voir d’un œil indifférent que naguère plus de 200 enfants, dont les parents trouvent à peine de quoi se procurer le nécessaire, étaient livrés sans frein aux vices compagnons inséparables de l’oisiveté et d’une profonde ignorance qui perpétue l’abrutissement ; elle n’a pu s’empêcher de reconnaître que la première économie politique d’une administration sage, l’objet peut-être le plus important pour les habitants de cette cité, c’était de faire germer dans ces jeunes cœurs une Instruction Chrétienne qui les fortifiât dans la vertu, et en fît un jour des habitants paisibles et des citoyens utiles ; d’aussi puissantes considérations ne permettaient donc pas de mettre un seul instant en question […] que l’établissement des Frères de l’Instruction à Fougères y était d’une utilité généralement sentie, et que la conservation de cet établissement devait être considérée comme un des premiers besoins de la ville. (Fougères)

  • 82 Archives municipales de Fougères, délibération du 19 juillet 1826 portant examen du projet de budg (...)

Cette commune toute maritime, sur une population de 3 000 habitants compte 500 marins classés […] et cette année même elle a fourni à la marine militaire un nombre considérable de jeunes matelots […]. La plupart de ces jeunes marins savent lire et écrire et ont quelques notions de calcul et de grammaire française, ayant fréquenté l’école communale établie depuis douze ans. Avec une instruction dont leurs pères furent privés, ils seront aptes à remplir les fonctions d’officiers mariniers et de maîtres dans les diverses classes du service des vaisseaux et pourront ainsi être fort utiles à la marine de l’état. L’école est annuellement suivie par cent vingt élèves, réunion qui exige un local spacieux et bien aéré. (Étables)82.

Notes

1 Publiée sans nom d’auteur, la brochure Sur l’Éducation religieuse sera éditée une première fois en 1833 (16 pages), puis une nouvelle fois, en 1834, dans une version plus longue (40 pages). Dans la première note de l’édition de 1834, Jean-Marie de la Mennais précise : « Dans le cours de cette dissertation, nous nous servirons souvent de ce que divers auteurs célèbres ont écrit, à notre jugement, de plus solide et de meilleur sur la matière qui nous occupe ; mais sans indiquer chaque fois les sources où nous puisons ». On peut néanmoins reconnaître plusieurs emprunts aux articles De l’Éducation du peuple et Du Droit du gouvernement sur l’éducation de son frère Féli.

2 J.-M. de la Mennais, Sur l’Éducation religieuse, Saint-Brieuc, 1834, 2e édition, p. 2, 7 et 12.

3 Lettre du 3 septembre 1838, de Jean-Marie de la Mennais à Mlle de Lucinière, Symphorien-Auguste, op. cit., t. II, p. 241-242.

4 J.-M. de la Mennais, Sur l’Éducation…, op. cit., p. 14.

5 Id., op. cit., p. 15, 17 et 40.

6 AFIC n° 2963, lettre du avril 1845 au frère Emeric à Fort-Royal.

7 AFIC n° 2771, instructions du 10 avril 1842 pour les frères de Saint-Pierre et Miquelon.

8 AFIC n° 2719, lettre du 1er juin 1841 au frère Irénée-Mie.

9 AFIC n° 3491, lettre du 16 janvier 1852 au frère Nicandre.

10 Recueil à l’usage des Frères, Noviciat de Ploërmel, Prospectus, édition de 1865, p. 239-240.

11 AFIC n° 3171, lettre du 20 novembre 1847 au frère Liguori.

12 J. Cavaleau, Les Idées pédagogiques du vénérable Jean-Marie Robert de la Mennais, Paris, 1929, p. 65.

13 Recueil à l’usage des Frères de l’Instruction chrétienne, Dinan, 1825, Titre IV, Envers les élèves, p. 12-13.

14 AFIC n° 9066, lettre du 2 novembre 1851 au frère Henri-Marie.

15 Cité par Marcel Doucet, Jean-Marie Robert de la Mennais, Anthologie tirée de ses œuvres, St-Romuald, 1980, p. 336.

16 J.-M. de la Mennais, Sur l’Éducation religieuse, op. cit., p.11-12.

17 Ibid., p. 12.

18 AFIC n° 2447, lettre du 7 janvier 1830 au frère Lucien.

19 Recueil…, op. cit., Titre IV, p. 12-13.

20 AFIC n° 2401, lettre du 4 juin 1826, au frère Laurent ; n° 2543, lettre du 5 février 1835 au frère Lucien ; n° 3005, lettre du 8 décembre 1845 au frère Liguori-Marie (Sénégal) ; n° 3137, lettre du 27 mai 1847, au frère Emeric (Martinique).

21 AFIC n° 2449, lettre du 13 février 1830 au frère Lucien.

22 AFIC n° 9011, lettre du 16 octobre 1834 au frère Adolphe.

23 AFIC n° 2654, lettre du 17 janvier 1839 au frère Lucien.

24 AFIC n° 2369, lettre du 27 avril 1823 au frère Laurent ; n° 9009, lettre du 22 décembre 1831 au frère Adolphe ; n° 2863 ; lettre du 27 novembre 1843 au frère Abel.

25 AFIC n° 9003, lettre du 6 novembre 1823 au frère Laurent ; n° 3598, lettre du 14 décembre 1824 au frère Ambroise ; n° 2399, lettre du 23 janvier 1826, au frère Laurent ; n° 2405, lettre du 31 décembre 1826 au frère Jean-Marie ; n° 2481, lettre du 18 novembre 1832 au frère Lucien ; n° 2614, Instructions pour les Frères de la Guadeloupe du 26 novembre 1837 ; n° 3101, lettre du 25 février 1847 au frère Lucien ; n° 3204, lettre du 20 mai 1848 au frère Elizée.

26 Recueil…, op. cit., p. 83.

27 AFIC n° 2401, lettre du 4 juin 1826, au frère Laurent.

28 AFIC n° 2619, lettre du 2 janvier 1839, au frère Lucien.

29 « La férule est un instrument de deux morceaux de cuir cousus ensemble. Elle sera longue de dix à douze pouces y compris le manche pour la tenir et une paume qui sera en ovale et aura deux pouces de diamètre avec laquelle on frappera dans la main ; le dedans de la paume sera garni, par dedans, afin qu’elle ne soit pas tout à fait plate, mais en bosse par dehors… On peut se servir de la férule pour plusieurs raisons : 1. pour n’avoir pas suivi dans la leçon, 2. pour avoir badiné, 3. pour être venu tard, 4. pour n’avoir pas obéi au premier signe, et pour plusieurs raisons semblables, c’est-à-dire pour des fautes qui ne sont pas considérables. On ne doit donner qu’un coup de férule à la fois dans la main d’un écolier… », Conduite des Écoles chrétienne par Saint-Baptiste de La Salle, Introduction et notes de F. Anselme, Paris, 1951, p. 150-151.

30 Conduite des Écoles…, Introduction du supérieur général Gerbaud, p. 4748.

31 Conduite des Écoles…, Préface, édition de 1852.

32 AFIC 118.05.002, Lettre du 31 août 1825 à l’abbé Mazelier.

33 AFIC 118.03.002, Lettre du 14 avril 1826 à l’abbé Mazelier.

34 H.-C. Rulon, Ph. Friot, op. cit., p. 18.

34bis Ibid

35 AFIC L102F008, Lettre du 15 avril 1833 à Guizot.

36 Conduite des Écoles chrétiennes, 1852, p. 42.

37 La Conduite de 1852 précise en introduction, pour les leçons de lecture : « Il y aura sept ordres de lectures dans les Écoles chrétiennes : 1. le Tableau d’Alphabet ; 2. celui des Syllabes ; 3. le Syllabaire ; le second livre pour apprendre à lire par Syllabe ; 5. le troisième livre pour apprendre à lire couramment ; 6. le Latin ; 7. les Manuscrits » (p. 32). De même, pour l’écriture : « On distingue quatre principaux genres d’écritures : la bâtarde, la cursive, la ronde et la coulée. On enseignera aux écoliers le genre le plus usité dans le pays. Afin de multiplier les changements qui sont une source d’émulation, on divisera l’Écriture en neuf ordres… » (p. 4546). Suit une progression précise pour écrire l’alphabet puis les chiffres en détaché ou en lié, en majuscule ou en minuscule, en écriture fine, demi-grosse ou grosse.

37bis Cité par H.-C. Rulon et Ph. Friot, op. cit., p. 107.

38 AN F17 9370.

39 AFIC n° 3699, lettre du 14 novembre 1831 au frère Laurent.

40 AFIC n° 3057, lettre du 4 septembre 1846 au frère Paul.

41 AFIC n° 2959, lettre du 29 mars 1845 au frère Césaire.

42 AFIC n° 9015, lettre du 8 mars 1836, au frère Adolphe.

43 AFIC 100.06.031, Note sur les Méthodes d’enseignement, II. Méthode d’enseignement des Frères, 1832. Document de 6 pages dont la copie est annotée par Jean-Marie de la Mennais.

44 Note sur les Méthodes d’enseignement…, p. 5.

45 Ibid., p. 6.

46 AFIC 102.04.007, De l’Enseignement primaire en Bretagne, chapitre VI, De l’Organisation des écoles.

47 AFIC n° 3947, règlement de l’école de Saint-Divy.

48 AFIC n° 2696, lettre du 19 septembre 1840 au frère Ferdinand.

49 AFIC n° 3009, lettre du 11 janvier 1846 au frère Mathias.

50 AFIC, mémoire De l’Enseignement primaire en Bretagne.

51 Mémoires d’un Ancien, dans Chronique de l’Institut…, op. cit., t. I, p. 55.

52 AFIC n° 2715, lettre du 14 avril 1841 au frère Polycarpe.

53 Cité par Laveille, op. cit., t. I, p. 348.

54 AFIC n° 3029, lettre du 19 avril 1846.

55 H.-C. Rulon, Recherches historiques sur le Vénérable de La Mennais et ses œuvres, dans Chronique des Frères, n° 219 de juillet 1959, p. 233. F. Rulon ne précise pas de quel ministre il s’agit ; en effet, le 11 octobre 1832 Guizot avait succédé au ministre Montalivet.

56 Discours d’Alain Raison du Cleuziou dans le Rapport général du congrès provincial de Saint-Brieuc de 1896, p. 89. Bien qu’elles aient été reprises par de nombreux auteurs (Herpin, p. 115, laveille, p. 84, Cavaleau, p. 107, Rulon et Friot, p. 195), on peut se demander néanmoins si ces paroles ont été réellement prononcées par Jean-Marie de la Mennais.

57 J. Cavaleau, op. cit., p. 107-108.

58 F. Lamennais, Des Progrès de la Révolution…, op. cit., p. 113.

59 AFIC 102.04.007, De l’Enseignement primaire en Bretagne, mémoire de 1839.

60 AFIC 104.02.017, Rapport sur l’institut des Frères de l’Instruction chrétienne, adressé à Salvandy le 7 novembre 1837.

61 Archives départementales de Rennes, registre des délibérations du Conseil académique de Rennes, séancedu19décembre1822. Cité par Philippe Friot dans Études mennaisiennes, n°14 de juillet 1995, p.105.

62 AFIC 118.03.006, Lettre du 8 février 1833 à l’abbé Mazelier.

63 Article1 : L’instruction primaire élémentaire comprend nécessairement l’instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, les éléments de la langue française et du calcul, le système légal des Poids et mesures. L’instruction primaire supérieure comprend nécessairement, en outre, les éléments de la géométrie et ses applications usuelles, spécialement le dessin linéaire et l’arpentage, des Notions des sciences physiques et l’histoire naturelle applicable aux usages de la vie ; le chant, les Éléments de l’histoire et de la géographie de la France.

63bis Exposé des motifs du projet de loi présenté à la Chambre des députés par M. Guizot, Ministre Secrétaire d’État de l’Instruction publique, séance du 2 janvier 1833.

64 AFIC 019.03.034, Lettre du 4 septembre 1835 à Querret.

65 H.-C. Rulon et Ph. Friot, op. cit., p. 172.

66 M. Gontard, Les Écoles primaires de la France bourgeoise (1833-1875), Toulouse, 1976, p. 24.

67 S. Ropartz, op. cit., p. 401-402.

68 H.-C. Rulon, Recherches historiques…, dans Chronique des Frères, n° 219 de juillet 1959, p. 239.

69 Lettre du 5 avril 1839. Symphorien-Auguste, op. cit., t. II, p. 250-251.

70 AN F17 12474, rapport des inspecteurs généraux Péchet et Matter de juillet 1839.

71 AFIC 102.04.007, De l’Enseignement primaire en Bretagne.

72 AFIC 115.7.001, Lettre sans date (novembre 1832 ?). La réponse du ministre est du 5 décembre 1832.

73 C’est son ami, le poète et philanthrope briochin Achille du Clésieux, qui passe à la réalisation… En 1843, il ouvre dans son manoir de Saint-Ilan, près de Saint-Brieuc, une première colonie agricole, qui se développe rapidement, et bénéficie de la reconnaissance du conseil général. M. Lagrée, Religion…, op. cit., p. 457.

74 Ainsi, Herpin considère-t-il Jean-Marie de la Mennais comme le « véritable initiateur de l’enseignement de l’agriculture à l’école primaire ». E. Herpin, op. cit., p. 113. Gabriel Deshayes de son côté va fonder en 1840 une congrégation destinée à former aux techniques agricoles les orphelins et les enfants pauvres : les Frères agriculteurs de Saint-François d’Assise. Sur l’histoire de cette congrégation de Frères agriculteurs, lire A. Crosnier, op. cit., t. II, p. 282 à 308.

75 G. Nicolas, op. cit., p. 69. Cet enseignement durera de 1832 à 1851.

76 M. Lagrée, Mentalités, religion et histoire en Haute-Bretagne au xixe siècle, le diocèse de Rennes 1815-1848, Paris, 1977, p. 388.

77 Circulaire du Ministre de l’Instruction publique, prescrivant une enquête relativement à l’enseignement de l’agriculture dans les Écoles normales primaires, du 18 août 1838.

78 Arrêté fixant les programmes d’enseignement pour les Écoles normales primaires, du 31 juillet 1851.

79 E. Herpin, op. cit., p. 116.

80 Trois éditions de deux mille exemplaires s’écoulèrent en an et une édition illustrée parut en 1894. En 1896, il était traduit en trois langues et atteignait trente-cinq mille exemplaires. Chiffres cités par H.-C. Rulon et Ph. Friot, Un siècle de pédagogie…, op. cit., p. 197.

81 H.-C. Rulon, Recherches historiques…, dans Chronique des Frères, n° 221, janvier 1960, p. 393.

82 Archives municipales de Fougères, délibération du 19 juillet 1826 portant examen du projet de budget pour 1827 ; Archives municipales d’Étables, séance du 2 octobre 1836 sur les moyens de construire une maison pour la tenue de l’école primaire.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search