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Les idées pédagogiques de Jean-Marie de la Mennais

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Pierre Perrin

Introduction

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 F. Guizot, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, Paris, 1860, t. III, p. 82.

1« Chaque fois que je voyais cet honnête et ferme Breton, devenu un pieux ecclésiastique et un ardent instructeur du peuple, et si absolument enfermé dans son état et dans son œuvre, ma pensée se reportait tristement vers son frère, ce grand esprit égaré dans ses passions1… » : dans ses Mémoires, l’ancien ministre de l’Instruction publique Guizot, esquisse ainsi le portrait de Jean Marie de la Mennais avant d’évoquer le parcours intellectuel de Félicité Lamennais. Le destin des deux frères est de fait intimement lié : pendant plus de trente ans, ils vont partager une même communauté d’idées notamment en ce qui concerne l’éducation et la liberté de l’enseignement. Ce n’est qu’après la condamnation des idées mennaisiennes par Rome que les frères Lamennais vont se séparer et poursuivre leur action par des voies différentes : dans l’Église et par l’administration de congrégations enseignantes pour l’un, hors de l’Église et par le combat politique et philosophique pour l’autre.

  • 2 À partir de 1836, Félicité signera Lamennais alors que son frère gardera la particule et la graphi (...)
  • 3 Ancien membre de la Compagnie de Jésus, le Malouin Pierre Joseph Picot de Clorivière (1735-1820) f (...)

2Honnête et ferme Breton, Jean-Marie de la Mennais, fondateur des Frères de l’Instruction chrétienne et des Filles de la Providence de Saint Brieuc, est né en 1780 à Saint Malo, d’une famille de riches armateurs. De deux ans plus âgé que son frère Félicité Lamennais2, il envisage très tôt le sacerdoce. Élevé, après la disparition des amère, par « l’oncle des Saudrais », un esprit indépendant et cultivé, Jean Marie de la Mennais va acquérir une solide formation théologique auprès de deux prêtres, tous deux membres de la Société du Cœur de Jésus3 : les abbés Engerran et Vielle. En 1801, il reçoit les ordres mineurs et le sous diaconat de l’ancien évêque de Saint Malo, Mgr de Pressigny qu’il a rencontré à Paris et trois ans plus tard, il sera ordonné prêtre à Rennes. Le « pieux ecclésiastique » parachèvera sa formation à Saint Sulpice en 1805 où il nouera de solides amitiés parmi les ordinands.

  • 4 Lettre à l’abbé Bruté, avril 1814, Symphorien-Auguste, À travers la correspondance de l’abbé J.-M. (...)

3Jusqu’en 1834, les deux frères Lamennais vont connaître un parcours et une ascension remarquables : Félicité Lamennais, parce qu’il acquiert une reconnaissance et une renommée croissantes comme écrivain, défenseur d’un renouveau religieux ; Jean Marie de la Mennais, parce qu’il assure des charges ecclésiastiques de plus en plus importantes et qu’il s’affirme comme fondateur d’ordres. Les deux frères ont traduit, en 1809, sous le titre de Guide spirituel des âmes religieuses, un manuel de piété du xvie siècle et sur tout publié en 1808 Réflexions sur l’état de l’Église en France pendant le xviiie siècle et sur sa situation actuelle, ouvrage dans lequel ils développent leur programme de réforme du clergé. Commencé en 1808 et publié en 1814, leur deuxième livre Tradition de l’Église sur l’institution des évêques est élaboré dans une période agitée pour l’Église : les états pontificaux, refusant le blocus contre l’Angleterre, seront occupés puis annexés à l’Empire et le pape, arrêté puis transféré à Gênes, refusera l’investiture canonique aux évêques nommés par Napoléon. Dans une lettre adressée à son ami l’abbé Bruté, en avril 1814, Jean Marie de Lamennais souligne la portée ultramontaine de l’ouvrage : « Les droits du Saint Siège y sont établis avec une franchise que quelques uns trouveront peut être excessive. Mais nous avons cru que la vérité était assez vieille pour lui ôter ses langes ; tant pis pour ceux qui voudraient encore la faire marcher avec des lisières et entourer sa tête de bourrelets. Les gallicans crieront, mais on criera plus haut qu’eux4 ».

  • 5 Lettre du 16 janvier 1816, Louis Le Guillou dans Correspondance générale de Félicité de Lamennais, (...)
  • 6 L. Le Guillou, Les Lamennais, deux frères, deux destins, Paris, 1990, p. 22.

4Félicité Lamennais, longtemps hésitant sur le choix d’un état ecclésias tique reçoit la tonsure puis les ordres mineurs en 1809 et va être ordonné prêtre en 1816 : « Tout m’est indifférent au fond pourvu que les desseins de la Providence sur moi s’accomplissent5 », écrit il à son frère à ce sujet. En décembre 1817, Félicité Lamennais fait paraître le premier volume de l’Essai sur l’indifférence en matière de religion dont il sera vendu quarante mille exemplaires et qui va lui assurer une notoriété sans cesse grandissante : « Les catholiques français, écrit Louis Le Guillou, qui n’avaient pas eu de grand champion face à Voltaire ou aux encyclopédistes du xviiie siècle, venaient de trouver un héros qui ne répugnait pas au corps à corps et qui prétendait prouver que le philosophe individualiste était un être anormal, une sorte d’hérétique au genre humain, puisque hors du sens commun, seul véritable critère de la vérité6 ». Avec la fondation du journal l’Avenir en 1830, Félicité Lamennais réaffirmera les principes de liberté revendiqués sous la Restauration : liberté d’opinion, liberté d’enseignement, de presse et d’association. Ce mouvement d’idées, jugé trop libéral, sera désapprouvé par l’Église mais c’est l’encyclique Singulari nos en 1834, condamnant la publication des Paroles d’un croyant, qui marquera la rupture entre les deux frères : l’abbé Jean déclarera se soumettre entièrement aux jugements du pape Grégoire XVI alors que Félicité choisira de rompre avec l’Église pour garder sa liberté de conscience.

5Professeur à l’école ecclésiastique de Saint Malo jusqu’en 1812 avec les abbés Vielle et Engerran, Jean Marie de La Mennais mène son premier combat contre l’administration en défendant l’indépendance du collège. Il devient, en 1814, secrétaire de l’évêque de Saint Brieuc puis vicaire capitulaire à la mort de celui ci en 1815. Là encore, il prendra position contre le ministre de l’Intérieur qui veut faire enseigner les dogmes gallicans dans les séminaires. Vicaire général du nouvel évêque de Saint Brieuc, Mgr de la Romagère, il connaît des dissensions croissantes avec son supérieur et, en 1822, va être appelé auprès du Grand Aumônier de France, Mgr le prince de Croÿ, comme vicaire général. En août 1824, une ordonnance royale sup primera le poste et les fonctions du Grand Aumônier de France, en parti culier la feuille de bénéfice (nomination des évêques), tâche dont était chargée Jean Marie de la Mennais : celui ci retournera alors à Ploërmel et se consacrera désormais à l’administration de ses congrégations.

  • 7 J.-M. de la Mennais, De l’Enseignement mutuel, Saint Brieuc, 1819, p. 5.

6Le problème de l’instruction reste en effet la grande préoccupation de l’abbé de la Mennais. Dès 1808, alors que s’organise l’Université impériale, il s’élève contre la mainmise de l’État sur l’éducation. Pour lui, en effet, seul l’enseignement ecclésiastique peut éduquer l’homme tout entier et lui transmettre les notions d’ordre et de morale qui fondent la société et en garantissent la stabilité. Sous la Restauration, l’Église participe néanmoins large ment à la gestion de l’Université quand les circonstances politiques sont favorables et le combat de l’abbé de la Mennais contre l’enseignement mutuel, « dont le vice essentiel, écrit il, est d’inspirer à la jeunesse l’orgueil de la domination et le goût de l’indépendance7 », s’inscrit alors dans la défense d’une éducation chrétienne indépendante du pouvoir et seul rem part contre un monopole universitaire qui vise à balayer la religion.

  • 8 Chiffres archives des Frères de l’Instruction chrétiennes (AFIC).

7Parallèlement à cette réflexion sur la liberté de l’enseignement, Jean Marie et Félicité Lamennais vont s’interroger sur la formation à apporter au clergé. La fondation en 1828 de la Congrégation de Saint Pierre répondra au souci de former un clergé instruit, capable d’enseigner et d’évangéliser en s’appuyant sur des connaissances théologiques et linguistiques solides. « Ardent instructeur du peuple », pour porter l’éducation dans les campagnes bretonnes, l’abbé de la Mennais va également choisir d’organiser un réseau de petites écoles tenues par un seul religieux autour d’un centre de noviciat : ce sera la création, en 1819, avec l’abbé Deshayes, de l’institut des Frères de l’Instruction chrétienne. Disséminés dans les villages, logés dans les presbytères, les frères peuvent par conséquent s’installer par tout où il y a une demande d’instruction et cela à moindre coût pour les communes. Dans le même temps, pour éduquer les filles, il va fonder à Saint Brieuc la congrégation des Filles de la Providence. À la mort du fon dateur en 1860, la congrégation des Frères de l’Instruction chrétienne compte ainsi 349 écoles, 852 frères et 59 novices et scolarise 31 694 élèves. En France, 573 frères enseignent à 25 894 élèves dans 297 écoles et 125 frères vivent à Ploërmel, à la Maison Mère. Dans les missions (Guadeloupe, Martinique, Sénégal, Saint Pierre et Miquelon, Guyane, Tahiti), 154 frères scolarisent 5 800 élèves dans 51 écoles (dont 44 pour les Antilles)8.

8De la formation des institutrices à l’éducation des esclaves, de l’étude de la musique à l’enseignement professionnel, des problèmes pédagogiques rencontrés par un frère à la négociation financière avec un ministre de l’Instruction publique, de l’inspection d’une petite école de campagne à la critique d’une loi sur l’enseignement… toutes les questions scolaires vont intéresser et faire réagir l’homme de réflexion et d’action, l’Ignorantin breton comme Jean Marie de la Mennais aimait lui même à se nommer.

Notes

1 F. Guizot, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, Paris, 1860, t. III, p. 82.

2 À partir de 1836, Félicité signera Lamennais alors que son frère gardera la particule et la graphie en deux mots : de la Mennais. Suivant l’usage répandu dans la haute bourgeoisie, le père de Jean Marie et Féli avait en effet ajouté à son patronyme, Robert, le nom d’une de leurs propriétés – La Mennais –située près du bourg de Trigavou. Son frère se faisait appeler Robert des Saudrais. Sur l’histoire de la famille Lamennais, on peut se reporter à l’ouvrage de Christian Maréchal, La Famille de La Mennais sous l’Ancien Régime et la Révolution, Paris, 1913.

3 Ancien membre de la Compagnie de Jésus, le Malouin Pierre Joseph Picot de Clorivière (1735-1820) fonde, en juillet 1790, la Société du Cœur de Jésus, ouverte aux prêtres et aux laïcs et celle des Filles du Cœur de Marie. En 1797, Jean Marie de la Mennais, alors âgé de dix sept ans, songe à entrer dans la Société et reçoit les encouragements du P. de Clorivière.

4 Lettre à l’abbé Bruté, avril 1814, Symphorien-Auguste, À travers la correspondance de l’abbé J.-M. de la Mennais, 7 vol., t. I à III, Vannes 1937 1939, t. IV à VII, La Prairie 1953 1960, t. I, p. 246.

5 Lettre du 16 janvier 1816, Louis Le Guillou dans Correspondance générale de Félicité de Lamennais, 9 vol., Paris, 1971 1981, t. I, p. 291 292. Nous renverrons seulement à Correspondance générale.

6 L. Le Guillou, Les Lamennais, deux frères, deux destins, Paris, 1990, p. 22.

7 J.-M. de la Mennais, De l’Enseignement mutuel, Saint Brieuc, 1819, p. 5.

8 Chiffres archives des Frères de l’Instruction chrétiennes (AFIC).

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