Postface
p. 475-477
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Index géographique : France
Texte intégral
1Michel Mazéas
2Maire honoraire de Douarnenez
3À l’inverse de certaines formules mathématiques immuables dites « identités remarquables », les composantes d’une « identité remarquable » humaine ou sociale sont toujours très diverses. En se penchant sur l’histoire de Douarnenez et de son port, on n’échappe pas à l’écheveau complexe que le temps a emmêlé pour construire, de bric et de broc, ce qu’aucune formule ne réduira jamais: une ville et sa trace à travers les âges écoulés.
4Du « garum » millénaire des Plomarc’h aux conserves des « fritures » où s’affairaient les « Penn Sardin », on trouvera bien une filiation artisano-industrielle.
5De la Ville d’Ys submergée par l’océan furieux, au départ des bateaux de pêche vers l’Angleterre, le 18 juin 1940, il y a bien quelque rapprochement à faire. Il s’agissait aussi, il y a soixante ans, d’échapper à une autre submersion, une marée brune, cette fois.
6D’autres pérennités subsistent encore, comme un fil rouge perdu dans la tresse informe des jours: une lettre de 1520, étudiée par Jean Kerhervé, les cahiers de doléances des bourgeois de Douarnenez en 1789, les coupures de presse depuis le traité de Rome de 1957, désignent et dénoncent un même ennemi, l’Espagnol exportateur de poisson à bas prix. Mais voilà que le Loup des Mers, patron François Boëzennec, sauve, par une nuit de tempête, tout l’équipage d’un chalutier en détresse et le ramène au port. C’était un Espagnol… Autre pérennité que l’on découvre, celle de la solidarité des gens de mer, leur courage, leur sens inné du sauvetage au mépris du danger.
7Tristan, Yseult, La Fontenelle… Leurs noms hantent encore ce lieu de légende, toujours actuel, qu’on appelle l’île Tristan, et dont la ville tire son nom.
8Ces exemples, dans leur diversité, sont autant d’aspects que le vent du passé porte vers nous dans un foisonnement d’autres traces, d’autres souvenirs, d’autres événements, d’autres personnages.
9Michel Le Nobletz, en des temps plus reculés, n’est-il pas l’inventeur des techniques de l’audiovisuel, avec ses fameux Taolennou, qu’il déplaçait à volonté? N’est-il pas, d’une certaine manière, l’inspirateur du festival du Cinéma qui s’affirme aujourd’hui signe identificateur majeur de la culture douarneniste au-delà de toutes les frontières?
10Voilà encore une des pérennités qui traversent les siècles et nous conduit à héberger les Indiens d’Amérique du Nord, le ministre de la Culture hindou, le représentant du Dalaï Lama, des dissidents soviétiques, des Basques engagés, des Algériens, des Israëlites rescapés de la Shoah, et Rigoberta Menchu, avec laquelle nous avons partagé les crêpes et le cidre…
11Rigoberta Menchu! Arrêtons-nous un instant sur la polémique entraînée par la parution de son « autobiographie », signée Élisabeth Burgos: Moi, Rigoberta Menchu. Une vie et une voix, la Révolution au Guatemala. Magnifique exemple de ce que l’on pourrait appeler « la querelle identitaire ».
12L’ouvrage d’Élisabeth Burgos se présente comme une autobiographie de cette forte personnalité féminine, sud-américaine, qui reçoit le Prix Nobel de la paix en 1992, année de commémoration de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, le Génois, au service du roi d’Espagne. Le livre a pour but de faire découvrir l’affirmation d’une identité bafouée, à travers le destin exceptionnel d’un petit bout de femme qui porte au cœur le sort des Amérindiens, traumatisés encore par les conséquences d’un certain 12 octobre 1492, quand trois caravelles abordaient l’île de Guanahani.
13Mais voilà qu’en 1998, en réponse à Élisabeth Burgos, un universitaire nord-américain, David Stoll, publie une étude, « Rigoberta Menchu and the story of all poors Guatamalans », ouvrage polémique, imaginé pour déconstruire une figure emblématique en mettant en cause les éléments qui constituent son identité de femme, d’Amérindienne, d’» icône des droits de l’homme », comme l’auteur la définit lui-même. Rigoberta Menchu n’aurait pas vécu, personnellement, en effet, tous les faits qu’elle s’attribue…
14La pratique est habile et il faut se reporter à l’étude de Yvon Le Bot et de Cécile Rousseau, du CNRS, pour en démêler l’écheveau.
15Nous retiendrons, pour notre part, le simple fait que l’identité de Rigoberta Menchu tient non seulement à sa vie personnelle, ses expériences d’enfant, d’adolescente ou d’adulte, mais aussi au vécu de ses semblables, dont les parcours multiples complètent et illustrent le sien. Et lorsque David Stoll affirme que Rigoberta ment, il se trompe. Elle associe à sa vie propre les images qu’elle a retenues, de ses parents assassinés, des enfants abandonnés, de l’insécurité dans laquelle elle a vécu ainsi que tous ses compagnons de lutte, du sort de son peuple.
16On ne peut séparer ces éléments constitutifs: ils sont réellement, même non directement vécus, les composants d’une identité forte et affirmée qui postule un choix: celui de sa communauté d’appartenance dans laquelle se fond la personnalité individuelle.
17Mais deux écoles s’affrontent sur ces données. David Stoll ne s’en cache pas: il considère que l’autobiographie de Rigoberta, devenu « livre culte », y compris aux États-Unis, est une régression de l’esprit, comme tout attrait identitaire qui ne serait qu’une exacerbation de l’individualisme dans un monde qui a besoin d’expériences communautaires et non de repli sur soi.
18À l’inverse de cette vision on peut apporter cette réalité que, lorsque Rigoberta Menchu vint en France pour la première fois, en 1982, elle apportait une richesse humaine dont elle savait donner la dimension, une capacité d’échange, un rayonnement dont tous ceux qui l’ont approché ont bénéficié. Sa sincérité était indiscutable et son identité clairement affirmée, dans toutes ses composantes. Un Prix Nobel de la Paix devait le confirmer.
19On voit bien que le combat pour l’identité et le combat contre cette différence qu’elle implique, sont les aspects, finalement, d’un affrontement idéologique où chacun met en avant sa propre identité. Ce qui n’est pas la moindre des contradictions, qui est aussi celle des sociétés modernes dans lesquelles nous vivons et qui déterminent nos comportements.
20Mais, au-delà, il restera toujours cette question qu’il nous faudra, sans doute, longtemps méditer: « Faut-il être Humain avant d’être Kosovar ou Tutsi? »
21De la réponse dépendra toujours la vie ou la mort de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants…
22Et notre avenir.
23Ce livre de Jean-Michel Le Boulanger pose, aussi, implicitement, ces questions-là.
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