« Suas laudes nostra Minerva canet »
La vie posthume de Georges d’Amboise dans son monument funéraire dans la chapelle de la Vierge de la cathédrale Notre-Dame de Rouen
p. 241-258
Texte intégral
1« Quid tumulus ? » demande le voyageur1. Ainsi commence le dialogue entre la personnification de la France et un voyageur ignorant. Gravée sur une épitaphe qui était jadis posée sur le monument funéraire de Georges Ier d’Amboise, « Gallia » résume l’importance de l’archevêque qui fut enterré, le 20 juin 1510, dans son église métropolitaine de Rouen, « devant Notre-Dame, en la grande chapelle2 » : « Suas laudes nostra Minerva canet » (« Notre Minerve entonnera ses louanges3 »). Son discours se termine de cette façon. Néanmoins, la question du voyageur reste sans réponse. Ni la personnification de la France, ni les érudits des siècles suivants ne réussiront à y répondre d’une manière satisfaisante. Quel est donc ce tombeau ? Nous le connaissons grâce aux témoignages d’auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles : J.-F. Pommeraye (1667, 1686), F. Farin (1710) et L. Legendre (1724)4. Au XIXe siècle, A. Deville (1833), L. Fallue (1850), L. de Laborde (1851) et C. de Robillard de Beaurepaire (1868) dépouillent, pour la première fois, les comptes de l’archevêché, éclairant ainsi la genèse du monument5. Deux autres archéologues, M. Allinne (1909) et L.-A. Jouen (1932), reviennent aux sources6, le premier s’intéressant, pour la première fois, aux deux représentations des archevêques. Il fallut pourtant attendre l’étude exhaustive de G. Lanfry, É. Chirol et J. Bailly (1959) pour approfondir les connaissances sur le tombeau des Amboise7. Ceux-ci réexaminent les sources et proposent une première lecture du programme iconographique. Une analyse stylistique approfondie rapproche en effet le tombeau des chantiers de Gaillon et de la cathédrale, du décor lombardo-flamand ainsi que des formes de la Renaissance italienne. L’historien de l’art Y. Bottineau-Fuchs nous a certainement légué les lectures les plus approfondies des trois dernières décennies8. Il a également contribué à répondre à certaines des questions relatives aux attributions. Mais la question demeure : « Quid tumulus ? » On peut surtout se demander quelle était l’idée originale du tombeau du cardinal-ministre, qui se présente, dès les années 1520, comme un double tombeau, et d’où venait l’idée d’une représentation du défunt si novatrice ?
2Les dimensions de ce monument funéraire sont considérables. La hauteur totale du tombeau atteint huit mètres. Sa longueur est de cinq mètres quatre-vingt-deux. Il est situé dans la troisième travée de la chapelle axiale du chœur de la cathédrale de Rouen, dédiée à la Vierge (fig. 56 – cahier couleur). L’édification de ce tombeau mural, de presque un mètre de profondeur, débuta autour de 1516 pour se terminer vers 1525. Mais ce n’est qu’après la mort de Georges II d’Amboise, en août 1550, que le tombeau recevra sa forme actuelle. Le prélat ordonnait en effet dans son testament que des modifications y soient opérées, notamment sur son priant déjà existant.
3Selon le principe d’un autel, le tombeau adopte la structure d’un retable à baldaquin, composé de quatre niveaux : soubassement, partie centrale avec les deux priants de l’oncle et de son neveu, baldaquin et couronnement. Le soubassement, y compris le socle, atteint une hauteur de presque deux mètres et demi. Des pilastres ainsi que des personnifications féminines divisent le soubassement. Comme presque toutes les figures du tombeau, ces personnages sont identifiables grâce à un bandeau gravé dans la partie supérieure de leur niche respective. De gauche à droite, on reconnaît les vertus cardinales et théologales, toutes identifiables grâce à leurs attributs. Sur les pilastres, richement ornés d’arabesques encadrant les six vertus, se détachent sept pleurants, assis ou agenouillés, un livre de prières sur leurs genoux. Leurs têtes sont mises en valeur par les coquilles du chapiteau qui constituent une sorte d’auréole. Au-dessus de l’entablement du soubassement s’étend la tablette, composée de deux morceaux de marbre noir, qui porte, sur son côté longitudinal, une inscription latine. Au-dessus, sur la tablette, les deux cardinaux et archevêques de Rouen prient : Georges II, derrière son oncle Georges Ier ; tous les deux sont agenouillés sur des coussins. Ils sont représentés grandeur nature dans leurs habits de cardinaux, mais sans la barrette. Le fond sur lequel ils se détachent est chargé d’ornements, entre autres d’écussons aux armes d’Amboise et de sculptures. Au-dessus et dans la partie centrale, on voit des statuettes de saints dans des niches, qui sont couronnées de larges coquilles, ainsi qu’un bas-relief central montrant le combat entre saint Georges et le dragon. L’étage principal se termine par un grand baldaquin et un attique. Dans les niches sont assis, deux par deux, les douze apôtres, reconnaissables à leurs attributs et à l’inscription française qui les identifie. Des figures de prophètes et de sibylles occupent les petites niches intermédiaires. Le couronnement consiste en des tourelles et des pinacles qui hébergent des petites figurines représentant des soldats et le Christ. Des figures d’anges tiennent une guirlande suspendue à laquelle sont attachés des cartouches qui portent le nom de Georges d’Amboise.
4Le monument funéraire, tel qu’on le voit aujourd’hui dans la chapelle de la Vierge, constitue le double tombeau de deux archevêques de Rouen apparentés : Georges Ier d’Amboise et son neveu Georges II. Pourtant, à l’origine, durant les quatre premières années de sa construction, il n’a été conçu que pour Georges Ier. Un changement de conception s’est donc opéré, et ce dès 1521. À ce moment, il n’est plus seulement question de la « sépulture de feu de bonne mémoire monseigneur le legat9 ». Les comptes de cette année enregistrent en effet pour la première foi des sommes « pour la sepulture de feu de bonne memoire monseigneur le legat en son vivant archevesque de Rouen et oncle de Monseigneur ainsi que pour la sepulture encommencée par mondit seigneur10 ». C’est en 1522, que le maçon Pierre des Aubeaux est directement impliqué dans l’exécution des travaux de la « sepulture et effigie » de Georges II11. Ce priant a toujours suscité l’attention des historiens de l’art puisqu’en 1542 le jeune Jean Goujon, alors employé sur différents chantiers à Rouen, est payé « pour faire la teste du priam12 ». Il lui a donc été demandé de transformer le priant existant depuis les années 1520. On ignore les motifs qui amenèrent l’archevêque à entreprendre de tels changements. On pourrait supposer qu’il désirait ajuster la statue à sa « physionomie vieillissante », la rendant ainsi plus reconnaissable13. À la suite du décès du prélat, le priant devient l’objet de nouvelles modifications. Dans son testament, daté du 23 août 1550, Georges II avait en effet ordonné que son priant, « qui est de présent près celle du dict feu seigneur légat n’est qu’en habit d’archevesque », soit remplacé et que « soyt mise une aultre de marbre ou de albastre portant habit de cardinal14 ». De toute évidence, on s’est seulement contenté de garder la tête et de remanier le costume15. Le priant, tel qu’on le voit aujourd’hui, se compose donc d’un assemblage de plusieurs parties exécutées à différents moments. Georges II l’a fait rectifier deux fois afin d’obtenir une représentation fidèle de sa personne et de son statut.
5Les questions liées à l’exécution de la statue du neveu nous amènent inévitablement à nous demander ce qu’il en est du naturalisme de la statue de l’oncle, Georges Ier d’Amboise, dont le visage est extrêmement fin, travaillé et détaillé, et dans lequel on reconnaît le même désir d’être représenté au naturel, d’être reconnaissable (fig. 57). Cette œuvre s’ajoute ainsi à la longue liste des portraits du cardinal-ministre. Le désir d’être représenté de son vivant coïncide avec la manière dont il est représenté défunt : agenouillé et en adoration éternelle. Ce phénomène, qu’E. Panofsky désignait comme l’animation de l’effigie et dans lequel H. Zerner voit le résultat de la théâtralisation de la sculpture, se situe parmi les thèmes les plus répandus dans l’art funéraire français du début du XVIe siècle16. On ignore les raisons d’un tel engouement. Le motif du priant à genoux apparaît en France avec le projet de Jean Fouquet pour le tombeau de Louis XI à Notre-Dame de Cléry, ainsi que dans le tombeau de Charles VIII par Guido Mazzoni à la fin du XVe siècle. En France, avant ces deux cas, on ne connaît qu’un autre exemple de tombeau dans lequel l’effigie est agenouillée : celui du cardinal Nicolas de Fréauville, anciennement dans la chapelle du Rosaire de l’église des Jacobins de Rouen dont François-Roger de Gaignières nous a transmis le dessin17.
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6Une étude dédiée à la représentation de Georges Ier sur son tombeau monumental semble donc justifiée, étant donné que cette œuvre constitue le premier exemple de l’utilisation de l’image du défunt vivant et agenouillé dans la cathédrale de Rouen. Les autres tombeaux figuratifs de la chapelle de la Vierge montrent effectivement le défunt en gisant. Même le prédécesseur de Georges Ier sur le trône archiépiscopal de Rouen, Guillaume d’Estouteville, grand mécène lui aussi, avait demandé une représentation en gisant pour son tombeau de cœur, « une elevacion comme celle du Roy », et anciennement située à l’emplacement de la tombe de saint Maurile, près de la croisée de transept de la cathédrale18. Ce genre de tombeau novateur n’établit pas seulement un lien de filiation avec des priants royaux récents ; il annonce aussi ceux de Saint-Denis qui donneront une double représentation du roi défunt. Il constitue également l’un des premiers exemples de cette forme de représentation, dans laquelle on devine un rapport entre le corps du défunt, l’utilisation d’une effigie pendant les funérailles et la conception de la figure représentant le défunt dans son monument funéraire. On peut donc attribuer à ce tombeau rouennais une fonction charnière dans la sculpture funéraire française du XVIe siècle.
7L’effigie animée, pour reprendre l’image de Panofsky, de Georges Ier – et de Georges II – revêtu de l’habit de cardinal est une invention récente et s’explique par l’utilisation exceptionnelle de l’effigie dans le cortège funéraire et pendant les funérailles du cardinal-ministre19. En effet, l’effigie est une image qui se situe chronologiquement entre le corps naturel et le corps représenté sur le tombeau et qui se trouve ainsi à la jonction entre la présence réelle du corps et sa représentation20. Cependant, le motif de priant montre tout d’abord l’état de la dévotion idéale dans lequel se trouve le fidèle : priant et bon chrétien. C’est le moyen le plus simple et le plus répandu d’exprimer sa foi et de montrer sa dévotion envers un saint – dans le cas de Georges Ier, il s’agit de la Sainte Vierge, qui se trouvait jadis sur l’autel de la chapelle axiale – en attente du Jugement dernier et dans l’espoir de salut. Il s’agit là d’un motif qui a été emprunté aux images dévotionnelles du Moyen Âge. Il évoque surtout les portraits de donateurs agenouillés dans un contexte funéraire, sculptés ou peints, comme ceux du duc et de la duchesse de Berry en ronde bosse dans la Sainte-Chapelle de Bourges ou d’Andrea Pellegrini dans la Cappella Pellegrini à Sant’Anastasia de Vérone21. Cet aspect était certainement important dans le choix de la représentation de Georges Ier sur son tombeau puisque sa dévotion personnelle se manifestait déjà de son vivant dans plusieurs commandes. Même sur son sceau, Georges d’Amboise se présentait dans l’attitude du priant (fig. 34)22. Le choix de montrer le défunt en vie et l’importance qui a été attachée à l’exécution des traits du visage de Georges d’Amboise facilitent aussi la reconnaissance du personnage par le fidèle, assurant ainsi à Georges Ier des prières d’intercessions. Le portrait commence à prendre ici la place des armoiries, des insignes et des explications écrites qui pouvaient orner un tombeau, mais qui, dans le cas rouennais, ne sont pas encore redondants et apparaissent sur le monument. Par ailleurs, la représentation au vif du défunt, priant à genoux, est une représentation de la vie après la mort, un état entre la mort et le salut.
8Une relation semblable entre vie, mort et vie éternelle était présente lors des funérailles de Georges Ier d’Amboise23. Le défunt y était représenté par une effigie, une première en dehors des cérémonies royales ou princières24. Durant le long voyage depuis Lyon, le corps du défunt et son effigie ont été l’objet de la vénération publique. Le roi avait exprimé son désir qu’on rendit à son ancien ministre les honneurs réservés d’habitude aux seuls membres de la famille royale, il « feit faire au corps du dessus dict legat tout l’honneur qu’il estoit possible25 ». Les funérailles de Georges d’Amboise furent ainsi placées sur le même plan que les funérailles royales et princières26. Déjà, pour la pompe funèbre à Lyon, l’effigie du cardinal « fait[e ] au vif » était placée sur le cercueil « tout plat couché sur ung grant drap d’or » avec les vêtements et les insignes de sa fonction27. Les relations de la cérémonie de Rouen parlent de la tristesse et de la douleur du peuple rouennais qui assistait aux funérailles. C’était l’effigie du cardinal-ministre, et non son corps déposé dans un cercueil, qui provoquait ces sentiments : il n’y avait personne, confie le narrateur, qui vit « ceste piteuse entree qui ne feist regretz piteux et lamentable et specialement quant ilz veirent ladicte representation28 ». Le naturalisme de la représentation du défunt suscitait l’émotion parmi la population : « l’effigie et representation d’iceluy seigneur pourtraicte sur le vif et de telle sorte que plusieurs estimoyent que ce fust le propre corps29 ». Lors de la cérémonie des funérailles elle-même, l’effigie remplaçait le défunt et encourageait ceux qui l’observaient à se souvenir de lui et à prier pour son salut30. La représentation éphémère du défunt lui montrait « l’espérance de sa vie éternelle31 ».
9Ce sont exactement ces mêmes fonctions qui sont attribuées à la représentation du cardinal-ministre sur son monument funéraire, bien que ces deux représentations, effigie éphémère et effigie éternelle du tombeau, fussent employées dans des contextes différents. D’habitude, dans la sculpture funéraire française, le gisant assume la fonction du cadavre embaumé et exposé sur un lit de parade, la figure du priant redonnant la vie au défunt32. C’est ainsi qu’est expliquée toute l’attention qui a été accordée à l’exécution du priant de Georges Ier et au souci de ressemblance quasi mimétique avec son modèle. La question de savoir si, pour l’exécution du gisant, l’effigie, qui est souvent exécutée d’après le masque mortuaire, a été utilisée reste sans réponse33. En tous cas, on avait apporté des portraits du cardinal venant de Gaillon pour tailler la tête du priant34.
10Alors que le roi avait orchestré les funérailles de Georges Ier et donc ordonné que soit utilisée une effigie, les travaux auprès de son tombeau furent supervisés par la famille d’Amboise, et surtout par Georges II au moins pendant les premières années des travaux. Malgré son engagement artistique, Georges d’Amboise, selon toute vraisemblance, n’a pas pris de mesures pour la construction de son tombeau. Ce n’est que dans son testament du 31 octobre 1509 qu’il prévoit 2 000 écus à cet effet et précise qu’il désire être inhumé dans la chapelle de la Vierge dans un tombeau de marbre35. Son monument funéraire, tel qu’on le voit aujourd’hui, présente un compromis consensuel entre les intérêts de groupes différents. Georges Ier meurt en 1510. Avant 1516, aucune activité de construction n’est remarquée dans la chapelle de la Vierge. C’est à partir de cette date-là que débutent les premiers travaux. Selon certains auteurs, en 1511, l’un des exécuteurs du testament, Antoine Bohier, demande à la famille d’Amboise de faire connaître ses souhaits en ce qui concerne la sépulture36. Entretemps, la tombe est provisoirement décorée par un bénitier et, d’après le chanoine Jouen, par un poêle funéraire37. En 1513, dans les délibérations capitulaires, on trouve la première mention du tombeau. Les habitants de Rouen ne sont pas contents de cette construction provisoire qui, à leurs yeux, n’a rien d’un tombeau. Ils murmurent que les exécuteurs testamentaires n’ont encore construit ni chapelle, ni tombeau et que c’est une honte38. De même, les chanoines se plaignent « qu’un mausolée n’eût pas encore été élevé sur les restes de leur ancien archevêque39 ». Par la suite, le chapitre propose une construction provisoire : un monument recouvert de tentures de soie placé dans la chapelle jusqu’à ce que le monument définitif soit érigé40.
11Nous l’avons dit, les travaux débutent en 1516. Dans des cahiers conservés aux ADSM à Rouen, on enregistre les mises faites pour la construction. Cependant, le plan d’origine prévoyait, contrairement aux souhaits testamentaires de Georges Ier, la construction d’une chapelle autonome. Dans le premier de ces cahiers, tenu par le trésorier Gilles de Tilques et dans lequel sont enregistrées les recettes et mises de 1516-1517, on parle d’une « chapelle propre du coste vers le manoir archiepiscopal dont l’entrer eust esté en la chapelle Notre Dame viz a viz du lieu ou est inhumé le corps de mondit sieur le legat41 ». L’argent est fourni par les héritiers de Georges Ier42. La première recette date du 15 février 1516. Toutes les activités mentionnées dans ce premier cahier sont liées à un projet qui n’a finalement jamais été réalisé43. On chercha d’abord un maître d’œuvre et on fit appel à Pierre Vallence, alors engagé dans l’établissement des fontaines à Tours, et à un ancien collaborateur actif sur les chantiers de Gaillon et au palais archiépiscopal de Rouen, « pour avoir son oppinion sur le faict de ladite sepulture et pour scavoir s’il vouldroit entreprendre l’ouvrage d’icelle avec ses compaignons44 ». Mais ils refusèrent : en mars 1517, Roland Le Roux est chargé de faire les « pourtraictz » et a « le regard et charge de l’ouvrage de ladite sepulture45 ». Les matériaux sont achetés, les outils fabriqués et la loge des maçons, dans laquelle les éléments vont être construits, élargie46. Deux « tombes de marbre noir » sont payées en 1519-152047. Les travaux sont documentés jusqu’au 30 juin 1520, au moment où la première pierre fut posée dans la chapelle de la Vierge48. En somme, le projet originel visant à construire une chapelle funéraire indépendante a été rejeté pendant les quatre premières années de construction, entre 1516 et 1520.
12Ce n’est donc pas le projet initial de la famille d’Amboise qui a été réalisé à partir de 1520. Le chapitre cathédral a rejeté le plan d’une chapelle indépendante et, selon toute vraisemblance, d’un tombeau isolé. D’ailleurs, à plusieurs endroits du tombeau actuel, on observe que la version réalisée est le fruit d’un compromis faisant de celui-ci « le résultat d’un ensemble de transformations imposées par les chanoines49 ». Ainsi, les deux personnifications féminines sont quasiment coupées en deux par la tablette en marbre noir. Mais ce compromis est surtout visible dans la conception du priant de Georges d’Amboise. Le priant de son neveu Georges II, conçu à l’occasion de ce deuxième projet, penche la tête et se tourne directement vers l’autel. En revanche, le priant de Georges Ier dirige son regard en face de lui, bien que sa tête esquisse un léger mouvement vers la gauche. Cette différence de pose et de direction du regard est encore plus visible dans le dessin de la collection Gaignières. Cette disposition met en fait aujourd’hui nez à nez le priant de Georges Ier avec la figure d’un saint (fig. 58 – cahier couleur). Cette maladresse dans la conception ne s’explique pas par le déplacement du priant en 1542 du milieu de la tablette à sa place actuelle. Il est peu probable que les deux priants s’intègrent dans le même projet. Le priant de Georges Ier mesure presque deux mètres soixante dans sa longueur et dépasse le priant de Georges II donc d’approximativement 40 centimètres. En conséquence, sa position jusqu’en 1542, au milieu de la tablette sous l’encadrement de ce tombeau mural, était tout aussi maladroite. Le regard du priant demande une orientation droite. Il est donc vraisemblable que le priant de Georges Ier a été conçu et exécuté à un moment où le plan d’origine du priant agenouillé au milieu d’une chapelle indépendante devant un autel n’a pas encore été changé et que le priant n’a donc pas été conçu pour un tombeau mural50. Le priant semble avoir été construit pour un ensemble comparable à celui de la chapelle Carafa dans la cathédrale de Naples, un ensemble, qui a été réalisé quelques années auparavant et qui consiste en une figure agenouillée du cardinal Oliviero Carafa et une chapelle entièrement couverte de marbre blanc (fig. 59). Cet ensemble composé d’une chapelle indépendante qui accueille des monuments funéraires anticipe également la chapelle des Valois à Saint-Denis51. Le plan d’origine exceptionnel de la famille d’Amboise prévoyait donc un monument isolé dans une chapelle indépendante, à côté de la chapelle de la Vierge, avec le priant de Georges Ier au milieu de l’ensemble, en adoration éternelle devant l’autel. Le priant, quant à lui, devrait être posé sur la tablette qui porte encore aujourd’hui l’inscription qui ne désigne que Georges Ier. De plus, le priant était à l’origine accompagné de deux anges pleurants52. Ces derniers portaient fort probablement une épitaphe, sur laquelle était inscrit un texte dont nous avons conservé la trace par l’intermédiaire de plusieurs érudits des siècles précédents53. En forme de dialogue, la personnification de la France explique à un voyageur ignorant l’importance de ce personnage, surtout pour la ville de Rouen. De nouveau, l’épitaphe célébrait uniquement Georges Ier.
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13Dans les années 1540, Georges II essaie de reprendre l’idée d’origine d’une chapelle d’Amboise en s’appropriant, dans une certaine mesure, la chapelle de la Vierge. D’abord, il réarrange le tombeau mural pour faire accueillir son priant – en raison de son nom, qu’il partage avec son oncle, il peut intégrer son priant dans le tombeau existant sans changer le programme iconographique. Puis, il tente de transformer la chapelle de la Vierge en un lieu de mémoire pour lui et son oncle, en commandant des changements dans la structure architecturale de la chapelle, ce qui lui permet de profiter de l’aura de son influent aïeul (fig. 60). En 1539, à la demande de Georges II, le chœur reçoit une toiture de plomb54. À la pointe de l’abside, on installe des images de saint Georges et d’autres saints, toutes dorées55. En 1541, Georges II désire faire hausser les murs de la chapelle de la Vierge56. Il demande au chapitre la réfection et l’enlèvement des parties supérieures des contreforts, leur élévation étant gênante pour l’accomplissement de ses plans. Mais le chapitre ne donne pas son accord. Celui-ci propose toutefois de surélever de dix pieds le faîte de la chapelle. Comme ornements, on met à l’extrémité ouest du toit une gerbe de fleurs s’échappant d’un vase et, à l’extrémité est, fut placée une Vierge Marie de plomb dorée, qui se trouve encore aujourd’hui sur le toit de la chapelle57. On place également un deuxième vase à l’antique, tandis que les statues, les armoiries et les lucarnes sont dorées58. Sur le socle de la statue de la Vierge, on voit les armes d’Amboise et de grandes initiales G. et D., pour « Georges d’Amboise59 ». En commandant des transformations de la structure architecturale de la chapelle de la Vierge, en ajoutant ses saints patrons, ses armoiries et ses initiales, Georges II a donc réinterprété le monument à ses propres fins.
14En ce qui concerne le tombeau lui-même, le plan d’origine de la famille d’Amboise ne fut donc pas réalisé. On se contenta de construire un tombeau mural dans la chapelle de la Vierge en s’orientant d’un point de vue formel par rapport aux tombeaux déjà existants dans la cathédrale et dans la chapelle de la Vierge. Le chapitre de la cathédrale agit donc d’une façon plus « traditionaliste60 » et refuse la version novatrice des Amboise qui aurait donné trop d’importance à cette famille. Au lieu de cela, on dispose le tombeau de Georges Ier dans l’ensemble existant des tombeaux d’archevêques de Rouen, l’intégrant ainsi dans le cercle de ses prédécesseurs, comme Georges Ier l’avait souhaité dans son testament. En somme, le clergé place Georges Ier dans le programme iconographique de la chapelle qui, depuis le XIVe siècle, met en scène les archevêques de Rouen61.
15La chapelle de la Vierge avait été érigée avec le reste du chevet au début du XIIIe siècle. Comme les deux autres chapelles du déambulatoire, elle était de plan approximativement semi-circulaire. La nouvelle construction, composée de trois travées droites et d’un chevet polygonal à cinq pans, fut commandée au début du XIVe siècle par l’archevêque Guillaume de Flavacourt, selon les modèles des Saintes-Chapelles de Paris et de Saint-Germain-en-Laye62. Depuis, elle servait de nécropole aux archevêques de Rouen. Flavacourt y fit construire comme premier monument funéraire son propre tombeau. Son prédécesseur immédiat, Eudes Rigaud, reposait lui aussi dans un monument comparable, un monument rétrospectif, conçu après le transfert du tombeau d’Eudes dans la chapelle de la Vierge et probablement commandé par Flavacourt63. L’élargissement de la chapelle de la Vierge et l’exécution des deux tombeaux archiépiscopaux – les deux étant « conçus pour former un couple64 » – indiquent qu’au début du XIVe siècle le clergé cathédral nourrissait manifestement le dessein de créer de toutes pièces une nécropole archiépiscopale. Il faut aussi rappeler que l’on représentait sur les vitraux les saints évêques et archevêques de Rouen, depuis les premiers temps du diocèse jusqu’au XIIe siècle. Grâce à ceux-ci, le clergé essayait de « promouvoir la fonction du plus haut représentant spirituel de la Normandie65 » en s’intégrant dans ce cortège des saints prédécesseurs. Ce raccord formel entre les vitraux et les tombeaux des archevêques récemment décédés est souligné par l’architecture qui entoure les monuments de Flavacourt et de Rigaud, ainsi que les saints représentés dans les vitraux. Ils y sont montrés comme sur des dalles funéraires. La sépulture de ces anciens archevêques est donc évoquée dans les vitraux destinés à former un ensemble avec les tombes des prélats des temps à venir : les archevêques sont ensevelis en dessous dans la chapelle depuis le XVe siècle jusqu’à nos jours66. La chapelle de la Vierge était donc destinée à devenir la nécropole des archevêques de Rouen.
16Le programme iconographique du tombeau d’Amboise reprend l’idée d’un lignage spirituel rouennais67. Ici, Georges d’Amboise figure parmi ses prédécesseurs archiépiscopaux canonisés, « considéré comme un nouveau saint68 ». Les douze apôtres surmontent les deux saints évêques, saint Romain et saint Ouen, deux saints d’une importance considérable pour la cathédrale de Rouen69. Par ailleurs, la présence de la Vierge, en plus des sept vertus théologales et cardinales, présentes sur le soubassement, s’inscrit dans le « culte typiquement normand de l’Immaculée Conception auquel le chapitre faisait habituellement référence dans ses commandes iconographiques70 ». Certains éléments iconographiques du tombeau semblent donc avoir été choisis par le chapitre pour promouvoir la fonction du plus haut représentant spirituel de Normandie. Une telle lecture du programme architecturale peut être comprise par la figuration de la filiation chrétienne entre les archevêques et les apôtres. En particulier, les rapports établis entre certains saints et notre archevêque est frappante : la présence de saint Romain, qui figure d’ailleurs dans le vitrail au-dessus du tombeau, se justifie par rapport au saint patron éponyme de Georges d’Amboise : saint Georges combattant est représenté au centre du monument funéraire (fig. 61 – cahier couleur). Il est ainsi comme le patron protecteur de Rouen, un saint sauroctone, tueur de dragons. Le saint patron Georges constitue une synthèse de plusieurs aspects de la carrière ecclésiastique et politique de Georges d’Amboise : il représente le défenseur de l’Église, d’une part, et, en tant que militaire, il évoque le rôle politique du cardinal comme « Premier ministre » officieux de Louis XII, tout particulièrement pour son rôle lors des Guerres d’Italie, d’autre part71. L’inscription qui est gravée autour de la tombe de marbre noir se lit comme un résumé de ces différentes interprétations : « Pastor Eram Cleri Populi Pater Aurea Sese Lilia Subdevant Quercus Et Ipsa Michi Mortuus En Jac Eo Morte Extinguntur Honores At Virtus Mortis Nescia Morte Viret72. » Georges d’Amboise est ainsi présenté en tant que religieux et homme politique, quelqu’un qui maîtrisa le lys – Louis XII – et le chêne – allusion au pape Jules II della Rovere dont les armes représentaient un chêne rouvre.
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17« Suas laudes nostra Minerva canet. » Minerve chante effectivement depuis des siècles la louange de Georges Ier d’Amboise et de son mécénat, et elle le doit en effet ne serait-ce qu’à cause de son tombeau. La conception de ce monument en tant qu’élément isolé, dans une chapelle indépendante à côté de la chapelle de la Vierge, ne fut malheureusement pas réalisée. Le projet visant à représenter la puissante famille d’Amboise était trop écrasant aux yeux du clergé cathédral. Celui-ci préférait, du point de vue iconographique, intégrer l’ensemble dans sa nécropole qui se devait de rappeler l’ancienneté de l’Église de Rouen. Le monument tel qu’il se présente aujourd’hui est certainement un mélange de projets différents. Il demeure pourtant, pour reprendre les paroles de l’érudit du XIXe siècle A. Deville, l’« un des plus remarquables de ceux que nous ait légués cette époque du XVIe siècle73 ».
Notes de bas de page
1 François Pommeraye, Histoire de l’église cathédrale de Rouen, Rouen, Les imprimeurs ordinaires de’archevesché, 1686, p. 53 ; François Farin, Histoire de la ville de Rouen contenant l’histoire de son église cathédrale, t. 2, Rouen, J. Amiot, 1710, p. 35-36 ; Louis Legendre, Vie du cardinal d’Amboise, Rouen, Machuel, 1724, p. 476-477 ; Deville A., Tombeaux de la cathédrale de Rouen, Rouen, 1833, p. 80-82.
2 Le testament de Georges d’Amboise (Rouen, ADSM, G 3417) a été publié à maintes reprises, Pommeraye étant le premier (François Pommeraye, Histoire de l’église cathédrale de Rouen, op. cit., p. 54-55).
3 Ibid., p. 54 ; François Farin, Histoire de la ville de Rouen, op. cit., p. 35-36 ; Louis Legendre, Vie du cardinal d’Amboise, op. cit., p. 476-477 ; Deville A., Tombeaux de la cathédrale de Rouen, op. cit., p. 80-82.
4 François Pommeraye, Histoire des archevesques de Rouen, Rouen, L. Maurry, 1667 ; id., Histoire de l’église cathédrale de Rouen, op. cit. ; François Farin, Histoire de la ville de Rouen, op. cit. ; Louis Legendre, Vie du cardinal d’Amboise, op. cit.
5 Deville A., Tombeaux de la cathédrale de Rouen, op. cit. ; Fallue L., Histoire politique et religieuse de l’église métropolitaine et du diocèse de Rouen, t. 3, Rouen, 1850 ; Laborde L. de, « La Renaissance des arts en Normandie », L’Art en province. Littérature, Histoire, Voyage, Archéologie, t. 12, 1851, p. 2-11, 33-38 ; Robillard de Beaurepaire C. de, Inventaire-Sommaire des Archives départementales antérieurs à 1790, Paris, 1868.
6 Allinne M., « Les priants du tombeau des cardinaux d’Amboise à la cathédrale de Rouen », Bulletin des Amis des Monuments Rouennais, 1909, p. 79-94 ; Jouen L.-A., La cathédrale de Rouen, Paris-Rouen, 1932.
7 Lanfry G., Chirol É., Bailly J., Le tombeau des cardinaux d’Amboise, Rouen, 1959.
8 Bottineau-Fuchs Y., « La décoration des tombeaux des cardinaux d’Amboise à la cathédrale de Rouen : Arnoult de Nimègue ou Nicolas de Castille », G.B.-A., juillet-décembre 1982, p. 191-200 ; id., « À propos de la virginité du tombeau des cardinaux d’Amboise », G.B.-A., septembre 1985, p. 52-58 ; id., « Maître d’œuvre, maître d’ouvrage : les Le Roux et le chapitre cathédral de Rouen », Barral X., Altet I. (dir.), Artistes, artisans et production artistique au Moyen Âge, t. 1, Les hommes, Paris, 1986, p. 183-195 ; id., « Les tombeaux, miroirs de gloire », Descubes J.-C., Sentilhes A. (dir.), Rouen. La grâce d’une cathédrale, Strasbourg, 2012, p. 262-271 ; id., « Le syncrétisme du tombeau des cardinaux d’Amboise », Chaline J.-P. (dir.), Au seuil de la Renaissance. Le cardinal Georges d’Amboise (1460-1510). Actes du colloque Georges d’Amboise, l’homme et son œuvre (Rouen, 8-9 octobre 2010), Rouen, 2012, p. 171-215.
9 Rouen, ADSM, G 100.
10 Ibid., G 105. Les mises faites pour le tombeau et établies par les deux trésoriers de Georges II d’Amboise, Pierre Roussel et François Le Conte sont jointes aux comptes de la cathédrale de 1521-1522. Ils ont été publiés en partie par Allinne M., « Les priants du tombeau des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 84 ; Lanfry G., Chirol É., Bailly J., Le tombeau des cardinaux d’Amboise, op. cit., p. 19.
11 Rouen, ADSM, G 108. Texte publié par Allinne M., « Les priants du tombeau des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 85 ; Lanfry G., Chirol É., Bailly J., Le tombeau des cardinaux d’Amboise, op. cit., p. 20.
12 Rouen, ADSM, G 130. Le texte, auquel se réfèrent tous les auteurs, a été publié pour la première fois par Deville A., Tombeaux de la cathédrale de Rouen, op. cit., p. 97 ; Laborde L. de, « La Renaissance des arts en Normandie », art. cit., p. 2-11, 33-38. Y. Bottineau-Fuchs a récemment avancé la thèse selon laquelle il s’agirait là d’un « simple homonyme du sculpteur célèbre » (Bottineau-Fuchs Y., « Les tombeaux, miroirs de gloire », art. cit., p. 265).
13 Lanfry G., Chirol É., Bailly J., Le tombeau des cardinaux d’Amboise, op. cit., p. 20.
14 Rouen, ADSM, G 3418. Y sont gardées des lettres de Loys de Mollan contenant le testament de Georges II, en partie publié par Deville A., Tombeaux de la cathédrale de Rouen, op. cit., p. 98 ; Robillard de Beaurepaire C. de, Inventaire-Sommaire, op. cit. Le testament en entier est reproduit dans Allinne M., « Les priants du tombeau des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 87-88.
15 Ibid., p. 94.
16 Panofsky E., Tomb Sculpture. Four Lectures on its Changing Aspects from Ancient Egypt to Bernini, New York, 1964 (trad. fr. La sculpture funéraire de l’ancienne Égypte au Bernin, Collins D. (trad.), Paris, 1995) ; Zerner H., L’art de la Renaissance en France. L’invention du Classicisme, Paris, 1996, p. 344.
17 Oxford, Bodleian Library, ms. Gough Drawings-Gaignières, t. 7, fo 91r. La question de savoir s’il existait une parenté entre les tombeaux des deux cardinaux reste sans réponse. Cependant, la conception de ces monuments est similaire : alors que Georges d’Amboise s’adresse à la Sainte Vierge de l’autel de la chapelle, Nicolas de Fréauville se tournait vers le Christ montrant ses plaies, entouré de saint Jean, de la Vierge et de deux autres patrons (voir ibid. pour la description du dessin conservé à Oxford).
18 Rouen, ADSM, G 2138, cité d’après Robillard de Beaurepaire C. de, Inventaire-Sommaire, op. cit. ; Gill M., « Death and the Cardinal. The Two Bodies of Guillaume d’Estouteville », Renaissance Quarterly, t. 54, 2001, p. 347-388, spécialement p. 349 ; Schlicht M., La cathédrale de Rouen vers 1300. Portail des Libraires, portail de la Calende, chapelle de la Vierge, Caen, 2005, p. 329-330, n. 41. L’enterrement du cœur d’Estouteville dans le même endroit que le saint archevêque Maurille et l’érection d’un tombeau de cœur anticipe l’idée du programme iconographique de la chapelle de la Vierge et du tombeau d’Amboise de s’intégrer dans le lignage spirituel des archevêques de Rouen, un désir que Georges d’Amboise exprimait dans son dernier vœux (voir ci-dessous).
19 Voir l’article de Marchandisse A. dans ce même volume.
20 « Die Effigie ist ein Bild, das sich chronologisch zwischen natürlichen Körper und Grabmal schiebt und damit genau an der Schwelle, oder vielmehr Schnittstelle, von Realpräsenz und körperlicher Repräsentation zu agieren scheint. » Marek K., « Erscheinungweisen bildlicher Präsenz : Körper, Verkörperung und Repräsentation am Grabmal », Zitzlsperger P. (dir.), Grabmal und Körper. Zwischen Repräsentation und Realpräsenz in der frühen Neuzeit. Kunsttexte.de. E-journal on Visual and Art History, t. 4, 2010, p. 1, en ligne, <http://www.kunsttexte.de/index.php?id=711&idartikel=37243&ausgabe=37133&zu=121&L=1>. L’interprétation de l’utilisation d’une effigie dans les funérailles royales comme double corps du roi, établie par Kantorowicz E.H., The King’s Two Bodies. A Study in Mediaeval Political Theology, Princeton, 1957, et par son élève Giesey R.E., The Royal Funeral Ceremony in Renaissance France, Genève, 1960, a été vigoureusement contestée ces dernières années, notamment par le groupe de recherche « Bild – Körper – Medium. Eine anthropologische Perspektive » sour la direction de H. Belting. Une bibliographie complète sur cette discussion est donnée par Brown E.A.R., « Royal Bodies, Effigies, Funeral Meals, and Office in Sixteenth-Century France », Micrologus. Natura, scienze e società medievali/Nature, Sciences and Medieval Societies, t. 7, 1999, p. 441-442, n. 1. Pour d’autres interprétations plus récentes, voir Gaude-Ferragu M., D’or et de cendres. La mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au bas Moyen Âge, Villeneuve-d’Ascq, 2005 ; Marek K., « Monarchosomatologie : drei Körper des Königs : die Effigies König Eduards II. von England », id., Preisinger R., Rimmele M. (dir.), Bild und Körper im Mittelalter, Munich, 2006, p. 185-203 ; Châtenet M., Marchandisse A., « Les funérailles de Georges d’Amboise (Lyon et Rouen, 25 mai-20 juin 1510) », Chaline J.-P. (dir.), Au seuil de la Renaissance, op. cit., p. 159-169.
21 H. Zerner utilise ces deux exemples pour souligner « la similitude entre les portraits de donateurs en prières et les effigies des tombeaux ainsi représentées » dans un contexte funéraire (Zerner H., L’art de la Renaissance, op. cit., p. 401, n. 35).
22 Blaise A., Les représentations hagiographiques à Rouen à la fin du Moyen Âge (vers 1280-vers 1530), thèse de doctorat, université Paris-Sorbonne, 2009, p. 144.
23 Les funérailles de Georges Ier d’Amboise à Lyon et Rouen sont connues grâce à plusieurs relations publiées par Michel Baudier, Histoire de l’administration du cardinal d’Amboise, Paris, Pierre Rocolet, 1634, p. 253-254 ; François Pommeraye, Histoire des archevesques de Rouen, op. cit., p. 596-599 ; Louis Legendre, Vie du cardinal d’Amboise, op. cit., p. 467-473 ; Frère E., Funérailles de Georges d’Amboise, archevêque de Rouen, cardinal célébrées à Lyon et à Rouen du 25 mai au 20 juin 1510, Rouen, 1864. Dans son récit des funérailles de Georges d’Amboise à Rouen, L. Fallue omet curieusement l’effigie du cardinal (Fallue L., Histoire politique et religieuse, op. cit., p. 61-64). Pour une bibliographie quasiment complète, voir Châtenet M., Marchandisse A., « Les funérailles de Georges d’Amboise », art. cit., p. 159, n. 1 et l’article du second dans ce volume.
24 Marek K., Die Körper des Königs : Effigies, Bildpolitik und Heiligkeit, Munich-Paderborn, 2009, p. 58 ; Châtenet M., « Quelques aspects des funérailles nobiliaires au XVIe siècle », Balsamo J. (dir.), Les funérailles à la Renaissance. Actes du xiie colloque international de la Société Française d’Étude du Seizième Siècle (Bar-le-Duc, 2‑5 décembre 1999), Genève, 2002, p. 36-54 ; id., Marchandisse A., « Les funérailles de Georges d’Amboise », art. cit., ainsi que l’article de Marchandisse A. dans ce présent volume.
25 Jean de Saint-Gelais, Histoire de Louys XII, roy de France, père du peuple, et de plusieurs choses mémorables advenües en France, et en Italie, jusques en l’an 1510, Paris, A. Pacard, 1622, p. 228.
26 Pour le rôle de l’effigie dans le cérémonial et l’adoption de ce privilège royal par les princes français, voir le chapitre L’effigie au cœur du cérémonial dans Gaude-Ferragu M., D’or et de cendres, op. cit., p. 239-257.
27 La pompe funérale de la mort monsieur le legat faicte à Lyon, dans Frère E., Funérailles de Georges d’Amboise, op. cit., p. 2.
28 La reception faicte en la ville et cite de Rouen du corps de feu tres reverend pere en dieu et seigneur Monseigneur Georges d’Amboyse, dans ibid., p. 2. M. Châtenet et A. Marchandisse observent que, pendant la procession de Lyon, l’effigie était seule portée en triomphe tandis qu’on ignorait « le corps […] en tête du cortège ». Châtenet M., Marchandisse A., « Les funérailles de Georges d’Amboise », art. cit., p. 165.
29 La reception faicte en la ville et cite de Rouen, op. cit., p. 2.
30 Brown E.A.R., « Royal Bodies », art. cit., p. 448.
31 Châtenet M., Marchandisse A., « Les funérailles de Georges d’Amboise », art. cit., p. 163.
32 Olariu D., « Körper, die sie hatten – Leiber, die sie waren. Totenmasken und mittelalterliche Grabskulptur », Belting H., Kamper D., Schulz M. (dir.), Quel corps ? Eine Frage der Repräsentation, Paderborn, 2002, p. 101.
33 On ignore si l’artiste, qui modelait la tête, avait à sa disposition un « portraict en scire », comme cela a été par exemple le cas lors de l’exécution du priant de Florimond de Halluin dans l’église de Maignelay dans les années 1590 (Paris, ANF, Minutier cent., iv, 19, 1592, 22 octobre : « […] fault sculpter et faire rasembler une figure de marbre blanc a genoulx de la grandeur du naturel qui a este fournye et livree au sculpteur et entrepreneur cy apres nomme, au visaige le plus pres que faire ce pourra aussi du naturel suivant le portraict en scire […] ».
34 Allinne M., « Les priants du tombeau des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 82 ; Bottineau-Fuchs Y., « Les tombeaux, miroirs de gloire », art. cit., p. 265.
35 François Pommeraye, Histoire de l’église cathédrale de Rouen, op. cit., p. 55.
36 Bottineau-Fuchs Y., « La décoration des tombeaux des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 195 ; id., « Maître-d’œuvre, maître d’ouvrage », art. cit., p. 190.
37 Jouen L.-A., La cathédrale de Rouen, op. cit., p. 87. Dans les comptes de la cathédrale de 1513-1514, on trouve le payement de 35 sols tournois au fondeur Nicolas Le Febvre « pour un benoistier qui est mis prez de la sepulture de feu monsieur le legat. Autre mise extraordinaire faicte a plusieurs personnes durant le temps de ce present compte par le mandement de monsieur ». Rouen, ADSM, G 95.
38 Ibid., G 2149, fo 7v, cité d’après Lanfry G., Chirol É., Bailly J., Le tombeau des cardinaux d’Amboise, op. cit., p. 16 ; Bottineau-Fuchs Y., « La décoration des tombeaux des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 19 ;id., « Maître-d’œuvre, maître d’ouvrage », art. cit., p. 190.
39 Fallue L., Histoire politique et religieuse, op. cit., p. 70.
40 Lanfry G., Chirol É., Bailly J., Le tombeau des cardinaux d’Amboise, op. cit., p. 16.
41 Rouen, ADSM, G 97. Texte publié par Laborde L. de, « La Renaissance des arts en Normandie », art. cit., p. 34. Voir aussi Lanfry G., Chirol É., Bailly J., Le tombeau des cardinaux d’Amboise, op. cit., p. 16 ; Bottineau-Fuchs Y., « La décoration des tombeaux des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 195 ;id., « Maître-d’œuvre, maître d’ouvrage », art. cit., p. 190 ; id., « Les tombeaux, miroirs de gloire », p. 265.
42 Rouen, ADSM, G 97. Texte publié par Laborde L. de, « La Renaissance des arts en Normandie », art. cit., p. 34.
43 Il reste à discuter si « l’ouverture faite à la muraille » de la chapelle de la Vierge, qui « permettait d’entrer dans l’église » et qui est mentionnée en 1511 dans les registres capitulaires, était prévue comme porte d’entrée à cette chapelle indépendante. Cette lecture a été proposée par Bottineau-Fuchs Y., « La décoration des tombeaux des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 200, n. 23 ; id., « Maître-d’œuvre, maître d’ouvrage », art. cit., p. 190, n. 26. L’auteur cite un passage dans l’ouvrage de Fallue dans lequel les concernes du gardien de la chapelle de la Vierge, Nicolas Boulard, sont mentionnés. Celui-ci « avertit que des voleurs pourraient se cacher dans ladite sépulture » (Fallue L., Histoire politique et religieuse, op. cit., p. 69-70).
44 Rouen, ADSM, G 97 ; Lanfry G., Chirol É., Bailly J., Le tombeau des cardinaux d’Amboise, op. cit., p. 16 ; Bottineau-Fuchs Y., « La décoration des tombeaux des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 19 ;id., « Maître-d’œuvre, maître d’ouvrage », art. cit., p. 191 ; id., « Les tombeaux, miroirs de gloire », art. cit., p. 265.
45 Rouen, ADSM, G 97 ; voir aussi Allinne M., « Les priants du tombeau des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 82 ; Lanfry G., Chirol É., Bailly J., Le tombeau des cardinaux d’Amboise, op. cit., p. 17 ; Bottineau-Fuchs Y., « La décoration des tombeaux des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 19 (qui donne l’année 1516) ; id., « Maître-d’œuvre, maître d’ouvrage », art. cit., p. 191 ; id., « Les tombeaux, miroirs de gloire », art. cit., p. 265. En 1516, il est également question de « placer deux colonnes […] dans la chapelle de la Vierge », un projet de Roland Leroux, auquel s’opposaient les chanoines « trouvant que ce travail apportait de la difformité dans l’ensemble de l’édifice ». Voir Fallue L., Histoire politique et religieuse, op. cit., p. 85.
46 « Item a Michel […] serrurier pour avoir faict les oustilz propres a besongnes au marbre qu’il convient tailler pour ladit sepulture jouxte son estat signe dudit maistre Rouland a este paie la somme de vingt cinq livres huyt solz. » (Rouen, ADSM, G 97) ; « Item a Laurens Dubosc platrier pour plusieurs reparacions par luy fectes […] de closture de plastre en la loge ou besongnent lesdit machons qui taillent la pierre de ladit sepulture a este paie par moy tresorier la somme de trente e sept solz six deniers » (ibid.).
47 Ibid., G 100.
48 Ibid., G 101 ; Allinne M., « Les priants du tombeau des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 82 ; Lanfry G., Chirol É., Bailly J., Le Tombeau des cardinaux d’Amboise, op. cit., p. 17 ; Bottineau-Fuchs Y., « La décoration des tombeaux des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 19 ;id., « Maîtred’œuvre, maître d’ouvrage », art. cit., p. 192.
49 Ibid., p. 191.
50 Ceci constitue dans le même temps un argument à l’encontre de la datation proposée par M. Allinne. Selon cet auteur, le priant de Georges Ier a été exécuté en 1520, moment où la conception d’un monument isolé dans une chapelle indépendante avait déjà été rejetée. M. Allinne est convaincu que les deux priants ont été construits au même moment par le même artiste (Allinne M., « Les priants du tombeau des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 90-92). Pourtant, à nos yeux, la différence entre les deux priants est trop frappante pour qu’ils aient été conçus pour le même projet. Il s’agit plutôt d’un compromis entre un tombeau isolé et un tombeau mural.
51 Le tombeau de cœur du cardinal d’Estouteville, dans lequel, nous l’avons dit, le défunt était représenté en gisant, peut être considéré comme un modèle pour cette construction indépendante. Ce tombeau consistait en une « representation de monseigneur », d’une « tumbe » et de plusieurs « ymages qui sont entour la tumbe » (Rouen, ADSM, G 70 ; Gill M., « Death and the Cardinal », art. cit., p. 370, n. 79). M. Gill avance que le tombeau d’Estouteville, qui a été détruit par les Calvinistes et qui était, de toute évidence, un monument autonome « surrounded by alabaster figures of the theological Virtues », constitue un précédent au tombeau des deux Amboise (ibid., p. 376).
52 Deville A., Tombeaux de la cathédrale de Rouen, op. cit., p. 97. La référence (Rouen, ADSM, G 2150) nous est donnée par Lanfry G., Chirol É., Bailly J., Le tombeau des cardinaux d’Amboise, op. cit., p. 19. Il fut décidé en 1521 que « deux anges de marbre existant sur la sépulture de feu Monseigneur le Légat seront adaptés sur les pilliers » (ibid.).
53 François Pommeraye, Histoire de l’église cathédrale de Rouen, op. cit., p. 53 ; François Farin, Histoire de la ville de Rouen, op. cit., p. 35-36 ; Louis Legendre, Vie du cardinal d’Amboise, op. cit., p. 476-477 ; Deville A., Tombeaux de la cathédrale de Rouen, op. cit., p. 80-82.
54 Rouen, ADSM, G 124. Texte publié par Fouré A., « Rouen. Notes sur la chapelle de la Vierge à la cathédrale », Bulletin de la Commission départementale des Antiquités de la Seine-Maritime, t. 34, 1982-1983, p. 137.
55 Rouen, ADSM, G 124. Pour la décoration de la toiture, voir aussi Jouen L.-A., La cathédrale de Rouen, op. cit., p. 34 ; Schlicht M., La cathédrale de Rouen vers 1300, op. cit., p. 322, n. 4.
56 Fouré A., « Rouen. Notes sur la chapelle de la Vierge », art. cit., p. 138.
57 Rouen, ADSM, G 128. Texte publié par Fouré A., « Rouen. Notes sur la chapelle de la Vierge », art. cit., p. 138.
58 Ibid.
59 Je remercie L. Hablot de m’avoir signalé l’interprétation correcte des initiales G. D. comme « Georges d’Amboise », et non « Georges Deux », ainsi qu’on le trouve à maintes reprises dans la littérature.
60 Bottineau-Fuchs Y., « La décoration des tombeaux des cardinaux d’Amboise », art. cit., p. 194.
61 Dans son ouvrage sur la cathédrale de Rouen, M. Schlicht aborde ces questions dans le chapitre huit (La chapelle de la Vierge et la mise en scène de l’office archiépiscopal), voir Schlicht M., La cathédrale de Rouen vers 1300, op. cit., p. 321-340. Voir également Lautier C., « Rouen, chapelle de la Vierge de la cathédrale et ses vitraux », Monuments de Rouen et du pays de Caux. Congrès archéologique de France, t. 161, 2003, p. 173-182.
62 Schlicht M., La cathédrale de Rouen vers 1300, op. cit., p. 321.
63 Ibid., p. 328-332.
64 Ibid., p. 332.
65 Ibid., p. 336.
66 Le dernier archevêque à avoir été inhumé dans le caveau de la chapelle de la Vierge est Joseph Duval en 2009.
67 Je me contente ici d’analyser le programme iconographique qui met en scène les prédécesseurs de Georges d’Amboise. Pour d’autres interprétations du programme iconographique du tombeau, voir Lanfry G., Chirol É., Bailly J., Le tombeau des cardinaux d’Amboise, op. cit. ; Bottineau-Fuchs Y., « La décoration des tombeaux des cardinaux d’Amboise », art. cit. ; id., « Maître d’œuvre, maître d’ouvrage », art. cit. ; id., « À propos de la virginité », art. cit.
68 Id., « Les tombeaux, miroirs de gloire », art. cit., p. 269.
69 L’importance de saint Romain pour la ville de Rouen a récemment été étudiée par Delsalle L.-R., « La renommé de saint Romain. Des temps mérovingiens au XVIIIe siècle », Descubes J.-C., Sentilhes A. (dir.), Rouen. La grâce d’une cathédrale, op. cit., p. 409-415.
70 Blaise A., Les représentations hagiographiques à Rouen, op. cit., p. 288.
71 Pour cette argumentation, voir également ibid., p. 146.
72 La traduction de l’inscription latine ainsi que sa signification sont données par François Pommeraye, Histoire des archevesques de Rouen, op. cit., p. 599 ;id., Histoire de l’église cathédrale de Rouen, op. cit., p. 53 ; François Farin, Histoire de la ville de Rouen, op. cit., p. 33 ; Louis Legendre, Vie du cardinal d’Amboise, op. cit., p. 476 ; Deville A., Tombeaux de la cathédrale de Rouen, op. cit., p. 77 : « J’étais le pasteur du clergé, le père du peuple. Le lys d’or, le chêne lui-même, m’étaient soumis. Voici que je suis étendu sans vie : les honneurs disparaissent avec la mort ; mais la vertu, qui ne connaît point la mort, fleurit avec elle. »
73 Ibid., p. 72.
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