1 C’est, en effet, au début du XXe siècle que l’école sociologique durkheimienne acquiert sa légitimité scientifique et institutionnelle : cf. L. Mucchielli, La découverte du social : naissance de la sociologie en France (1870-1914), La Découverte, 1998 ; V. Karady, « Stratégies de réussite et modes de faire-valoir de la sociologie chez les durkheimiens », Revue française de sociologie, 20-1, janvier-mars 1979, p. 49-82. Dans les années 1920, la sociologie est, pour l’essentiel, enseignée par et pour des philosophes, dans le cadre du certificat « morale et sociologie » qui constitue un quart de la licence de philosophie. Les universités françaises comptent alors quatre chaires connues comme relevant de la sociologie : la chaire de « science sociale » à Bordeaux (G. Richard), la chaire de « philosophie sociale » à Strasbourg (M. Halbwachs), et deux chaires à la Sorbonne occupées par P. Fauconnet et C. Bouglé.
2 Ce chapitre reprend en partie un article publié dans Durkheimian Studies/Études durkheimiennes (vol. 17, 2011, p. 57-79).
3 Ce cours a été publié avec une introduction de Marcel Mauss en 1928 : É. Durkheim, Le socialisme. Sa définition, ses débuts, la doctrine saint-simonienne, Alcan, 1928.
4 Y. Guchet, « Georges Sorel, marxiste ? », Cahiers Georges Sorel, 2, 1984, p. 37-56.
5 C. Prochasson, « Sur la réception du marxisme en France : le cas Andler (1890-1920) », art. cit.
6 M. Rubel, « Premiers contacts des sociologues du XIXe siècle avec la pensée de Marx », art. cit.
7 É. Durkheim, « A. Labriola, Essais sur la conception matérialiste de l’histoire », Revue philosophique,xliv, 1897, p. 645-651. Article reproduit dans É. Durkheim, La science sociale et l’action, PUF, 1987 [1970], p. 245-254.
8 J.-C. Filloux, présentation de la deuxième partie (« Sociologie et socialisme ») dans É. Durkheim, La science sociale et l’action, op. cit., p. 163-170.
9 Toutes ces citations sont extraites d’É. Durkheim, « A. Labriola, Essais sur la conception matérialiste de l’histoire », art. cit.
10 J. R. Llobera, « Durkheim, Durkheimians and their collective misrepresentation of Marx », Social Science information, 19, 2, 1980, p. 385-411.
11 B. Lacroix, « À propos des rapports entre Durkheim et Marx : de l’analyse de texte à l’analyse sociologique », dans Études offertes au Professeur Émérentienne de Lagrange, LGDJ, 1978, p. 329-350. Voir également N. Schlanger, « Une technologie engagée. Marcel Mauss et l’étude des techniques dans les sciences sociales », dans M. Mauss, Techniques, technologie et civilisation, PUF, 2012, p. 17-134, notamment p. 26-49.
12 J. Heilbron, « Les métamorphoses du durkheimisme, 1920-1940 », Revue française de sociologie, 26-2, avril-juin 1985, p. 203-237.
13 C. Bouglé, « Marxisme et sociologie », Revue de métaphysique et de morale, 1908, p. 723-750.
14 Sur le rapport de C. Bouglé au marxisme, voir J. M. Humphreys, « Durkheimian sociology and 20th-century: the case of Célestin Bouglé », History of the Human Sciences, vol. 12, 3, 1999, p. 117-138.
15 M. Verret, « Halbwachs ou le deuxième âge du durkheimisme », Cahiers internationaux de sociologie, vol. III, 1972, p. 311-336.
16 M. Mauss a consacré plusieurs écrits à une approche sociologique du bolchevisme. Voir notamment : « Appréciation sociologique du bolchevisme », Revue de métaphysique et de morale, 1924, p. 103-132 ; « Socialisme et bolchevisme », Le Monde slave, février 1925, p. 201-222. Textes reproduits dans M. Mauss, Écrits politiques. Textes réunis et présentés par Marcel Fournier, Fayard, 1997. Voir également l’analyse que propose S. Dzimira des prises de position de Mauss sur la situation soviétique dans son ouvrage, Marcel Mauss, savant et politique (La Découverte/MAUSS, 2007).
17 Normalien, agrégé d’histoire, Albert Thomas (1878-1932) s’était engagé, durant les années 1900, dans une carrière politique au sein du mouvement socialiste. Sa position dans le Parti socialiste bénéficiait du soutien d’un réseau de collaborateurs intellectuels, issus pour la grande majorité de l’ENS et de l’école durkheimienne. Albert Thomas était ainsi au centre de multiples entreprises situées à la croisée du monde intellectuel et du monde politique. En 1905, il créa la Revue syndicaliste, qui fusionna en 1910 avec la Revue socialiste fondée par Benoît Malon et Eugène Fournière. Il lança également, en 1908, le Groupe d’études socialistes, qui sera animé par Robert Hertz : son objectif, selon Christophe Prochasson, était de « mettre la sociologie durkheimienne au service du socialisme ». Sur le réseau Albert Thomas : C. Prochasson, « Entre science et action sociale : le “réseau Albert Thomas” et le socialisme normalien, 1900-1914 », dans C. Topalov (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914, Éditions EHESS, p. 141-158. Voir également les Cahiers d’IRICE, 2, 2008, « Albert Thomas, société mondiale et internationalisme. Réseaux et institutions des années 1890 aux années 1930 ».
18 B. Pudal, Prendre parti, op. cit., p. 30-37. Voir également C. Pennetier, B. Pudal, « Le Congrès de Tours aux miroirs autobiographiques », Le Mouvement social, 193, octobre-décembre 2000, p. 61-87.
19 C. Prochasson, Saint-Simon ou l’anti-Marx. Figures du saint-simonisme français, XIXe-XXe siècles, Perrin, 2005, chap. 4 et 5.
20 J. Heilbron, « Les métamorphoses du durkheimisme, 1920-1940 », art. cit., p. 229. Sur l’institutionnalisation de la sociologie comme « science républicaine », voir P. Cingolani, La République, les sociologues et la question politique, La Dispute, 2003, chap. 2.
21 R. Aron, Mémoires, Julliard, 1985, p. 95.
22 M. Foucault, L’ordre du discours, Gallimard, 1971, p. 35-38.
23 É. Durkheim, préface à la première édition, De la division du travail social, PUF, 1960 [1893], p. xxxix.
24 J.-M. Berthelot, La construction de la sociologie, PUF, 2001 [1991], p. 39-41.
25 D. Damamme, « Michel Crozier, intellectuel, sociologue, expert », Cahiers politiques, mai 2001, p. 95-123.
26 J.-C. Filloux, introduction à É. Durkheim, La science sociale et l’action, op. cit., p. 54.
27 D. Damamme, « Michel Crozier, intellectuel, sociologue, expert », art. cit.
28 Selon l’expression de C. Charle dans Paris, fin de siècle (op. cit., p. 89-95).
29 J.-C. Marcel, Le durkheimisme dans l’entre-deux-guerres, PUF, 2001, p. 67.
30 Sur l’histoire du CDS, voir notamment J.-C. Marcel, Le durkheimisme dans l’entre-deux-guerres, op. cit., chap. 5. C. Bouglé (1870-1940) fut, dès les années 1890, intégré à l’équipe de Durkheim et connut une brillante carrière universitaire : en 1919, il fut nommé titulaire de la chaire d’histoire d’économie sociale à la Sorbonne ; et il fut également directeur adjoint (1927-1935), puis directeur (1935-1939) de l’ENS.
31 S. Coeuré, « Les centres de documentation sociale », dans J. Beausoleil, P. Ory (dir.), Albert Kahn (1920-1940). Réalités d’une utopie, Boulogne-Billancourt, musée A. Kahn/département des Hauts-de-Seine, 1995, p. 201-208.
32 L. Tournès, « La fondation Rockefeller et la construction d’une politique des sciences sociales en France (1918-1940) », Annales HSS, novembre-décembre 2006, p. 1371-1402.
33 Cf. W. Logue, « Sociologie et politique : le libéralisme de Célestin Bouglé », Revue française de sociologie, 20-1, janvier-mars 1979, p. 141-161. Voir également sa notice dans le DBMOF (par M. Dreyfus).
34 Le Figaro, 3 juin 1939. Cité par S. Israël, J.-P. Mochon, « Les normaliens et la politique », dans J.-F. Sirinelli (dir.), L’École normale supérieure, op. cit., p. 191-214, p. 199.
35 Voir notamment M. Mespoulet, « La “renaissance” de la sociologie en URSS (1958-1972). Une voie étroite entre matérialisme historique et “recherches sociologiques concrètes” », Revue d’histoire des sciences humaines, 16, 2007, p. 57-86. Du même auteur, Construire le socialisme par les chiffres. Enquêtes et recensements en URSS de 1917 à 1991, INED, 2008.
36 N. Boukharine, La théorie du matérialisme historique. Manuel populaire de sociologie marxiste, ESI, 1924 [première édition en russe, 1921].
37 Sur la chronologie, cf. M. Mespoulet, « La “renaissance” de la sociologie en URSS », art. cit.
38 Sur les rapports entre le PCF et le service éditions de l’IC, voir M.-C. Bouju, Lire en communiste, op. cit., chap. II.
39 Voir R. Zapata, La philosophie russe et soviétique, PUF, 1988. Au début des années 1930, le Manuel de sociologie marxiste de Boukharine a également fait l’objet de vives critiques de la part de A. Gramsci. Cf. A. Gramsci, Textes, Éditions sociales, 1983, p. 134-237 (cahier 11).
40 S. Cohen, Nicolas Boukharine. La vie d’un bolchevik, op. cit., p. 106-108. L’introduction de l’ouvrage La Théorie du matérialisme dialectique, Manuel de sociologie marxiste, publié en France en 1924, fut même reproduite, en 1927, dans les Cahiers du bolchevisme. Cf. N. Boukharine, « L’importance pratique des sciences sociales », Cahiers du bolchevisme, octobre 1927, p. 1011-1016.
41 Lettre de P. Nizan à M. Mauss, 1er février 1930. Fonds M. Mauss, MAS 10. 8 (IMEC).
42 P. Nizan, « Pour une critique de la sociologie », L’Université syndicaliste, numéros de novembre 1929 et de janvier 1930.
43 Toutes les citations ci-dessus sont reprises de P. Nizan, « Pour une critique de la sociologie », L’Université syndicaliste, novembre 1929.
44 R. Joly était orphelin de père. Sa mère était directrice d’une école maternelle à Bourges. Voir son dossier de scolarité à l’ENS (AJ/16/249, AN, CARAN). Sur R. Joly, voir également J.-F. Sirinelli, Génération intellectuelle, op. cit. ; G. Cogniot, Parti pris, op. cit., t. 1, p. 64.
45 R. Joly, « Le prétendu matérialisme de Durkheim », L’Université syndicaliste, numéros de mars-avril, de mai et de juin 1930.
46 R. Maublanc enseigna au lycée de Bar-le-Duc (1919-1920), puis d’Alger (1920-1921) et de Reims (1921-1922). Il prit un poste à l’École alsacienne de 1927 à 1934, avant d’être nommé au lycée de Beauvais (1934-1936) puis au lycée Henri IV à Paris. Voir son dossier administratif du Rectorat, AJ/16/6081 (AN, CARAN).
47 Cf. S. Coeuré, « Les centres de documentation sociale », art. cit.
48 Cf. chap. IV.
49 Le texte de R. Maublanc a été publié pour la première fois dans la revue Durkheimian Studies en 2011 (vol. 17, p. 3-54). Il devait initialement être publié dans le troisième volume d’À la lumière du marxisme, qui finalement ne verra pas le jour, en raison du processus de fermeture qui travaille à nouveau le PCF à la fin des années 1930. Le manuscrit de l’ouvrage est toutefois conservé dans les archives d’H. Wallon (CARAN, AN).
50 Sur la tension, récurrente dans l’histoire des sciences sociales, entre approche sociologique centrée sur les déterminants sociaux et approche politique visant l’émancipation des dominés à partir d’une action volontaire et pensée, cf. L. Boltanski, De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation, Gallimard, 2009.
51 Ce principe était au cœur de la philosophie officielle qui s’était imposée en URSS avec la stalinisation : l’unicité du monde et des sciences y était affirmée, la dialectique matérialiste devant fournir la méthode universelle de toutes les sciences.
52 É. Durkheim, Pragmatisme et sociologie. Cours inédit prononcé à la Sorbonne en 1913-1914 et restitué par Armand Cuvillier d’après des notes d’étudiants, Vrin, 1955. Dans sa conférence sur « Marx et Durkheim », R. Maublanc se référait explicitement aux notes qu’il avait lui-même prises lors des cours de Durkheim.
53 R. Pudal, Les réceptions du pragmatisme en France (1890-2007) : histoires et enjeux, thèse EHESS, 2007, p. 100.
54 É. Durkheim, Pragmatisme et sociologie, op. cit., p. 196.
55 Même après la Seconde Guerre mondiale, A. Cuvillier développera des positions comparables à celles de R. Maublanc sur les rapports entre marxisme et durkheimisme. Cf. A. Cuvillier, « Marx et Durkheim », Cahiers internationaux de sociologie, vol. IV, 1948, p. 75-97.
56 J.-L. Fabiani, « Les programmes, les hommes et les œuvres », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 47, 1, 1983, p. 3-20. En raison de cette position, A. Cuvillier avait d’ailleurs été directement visé par R. Joly dans ses articles contre la sociologie durkheimienne parus dans L’Université syndicaliste en 1930.
57 Notice dans le DBMOF (par René Lemarquis).
58 A. Cuvillier, Introduction à la sociologie, A. Colin, 1936, p. 51.
59 Dans son manuel, il se référait autant à Marx qu’à Engels. Étaient notamment cités : Le Capital, Misère de la philosophie, Le Dix-huit Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte de Marx, l’Anti-Dühring et L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État d’Engels, ainsi que les écrits communs, comme L’Idéologie allemande et le Manifeste du parti communiste. Il s’appuyait également sur les interprétations plus récentes du marxisme, surtout celles de Boukharine et de Plekhanov. G. Plekhanov (1856-1918) avait joué un rôle essentiel dans la diffusion des idées de Marx et Engels en Russie durant les années 1880 et fut alors considéré comme le principal représentant du marxisme russe. Malgré ses positions critiques vis-à-vis de la Révolution d’octobre, ses écrits furent diffusés en France par les éditions du PCF dans les années 1920 : son ouvrage Les Questions fondamentales du marxisme fut publié, par exemple, en 1927 aux ESI.
60 A. Cuvillier, Introduction à la sociologie, op. cit., p. 85-86.
61 Cf. L. Mucchielli, Mythes et histoire des sciences humaines, La Découverte, 2004, p. 27-36 notamment ; G. W. Stocking, Race, Culture and Evolution, Chicago/Londres, University of Chicago Press, 1982, chap. 1.
62 A. Cuvillier, Introduction à la sociologie, op. cit., p. 191, p. 193, par exemple.
63 On trouve également une critique de la notion durkheimienne de morphologie sociale chez Maurice Halbwachs, qui souligne le poids des facteurs de psychologie collective. Cf. M. Halbwachs, La Morphologie sociale, A. Colin, 1938.
64 A. Cuvillier, Introduction à la sociologie, op. cit., p. 194.