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Le peuple de la forêt

 | 
Sébastien Jahan
, 
Emmanuel Dion

Au bout du chemin

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Géographique :

France

Texte intégral

Ambitions

1Les quelques mariages mixtes entre le bois et le finage offrent un reflet sans doute fidèle de l’espace social sédentaire qui a la préférence du forestier nomade. Celui d’où il vient, certes. Celui aussi où il pourrait un jour jeter l’ancre, celui qui cristallise ses ambitions. La question de la force d’attraction des modèles de vie rencontrés par l’ouvrier au cours de ses pérégrinations rurales se pose d’autant plus que certains témoignages oraux contemporains tendent inversement à valoriser les temps de la migration et de la « liberté »… Idéalisation nostalgique de la jeunesse par quelques vieux bûcherons en bout de course ? Véritable ivresse du carpe diem à l’écart des lois du monde et des contraintes matérielles de l’enracinement, dans l’ambiance rude mais chaleureuse de la camaraderie de chantier et des solidarités de la route ? Les forestiers du passé, hélas, ne parlent pas. Aucune relation, même indirecte, ne vient cautionner tel sentiment d’insatisfaction ou, au contraire, telle impression d’indépendance et d’immunité. Beaucoup d’éléments nous ont présenté jusqu’à présent un visage de la population migrante des forêts plutôt éloigné de l’icône romantique. La précarité, la mortalité, l’insécurité, de nombreuses passerelles avec l’extérieur ramènent à une réalité tout à la fois moins idyllique et moins exotique. L’image d’Epinal est enfin quelque peu ternie par la volatilité d’un milieu qui, en Poitou, commence à s’épuiser un siècle environ après sa naissance. A partir de 1750, les chantiers de migrants disparaissent, on l’a dit, du paysage de la sylviculture poitevine comme cela s’était produit cent ans auparavant dans le Perche et le Maine. La fabrication et le transport du combustible, tout spécialement, sont désormais assurés par des ouvriers sédentaires des environs. L’extinction du peuple de la forêt, dans ses composantes originelles – nomadisme et vie en forêt – n’a donc pas attendu que s’étouffent les derniers soufflets de la fonte au charbon de bois, autour de 1880. Trois à cinq générations de forestiers auront passé toute leur existence sur la route et dans des huttes avant que leurs enfants puissent naître, grandir, vieillir entre quatre murs et finir enterrés contre leurs proches… Comment expliquer ces cheminements lignagers entre la reproduction des statuts et des modes de vie et leur rupture ? La sortie du bois et la sédentarisation, inexorables, sont au bout de chaque histoire familiale : furent-elles vécues comme des contraintes, des concessions à de nouvelles formes de gestion de la main d’œuvre ? A moins qu’elles ne représentent la concrétisation d’un projet, sinon d’un rêve, longtemps différé parce qu’impossible, inscrit dans la continuité naturelle des ambitions sociales.

Reproductions et mobilités sociales

  • 1 Les généalogies de 26 d’entre elles figurent en annexe 4.
  • 2 Arch. dép. Charente, 2E 5306 (Thenault, notaire de la châtellenie de Saint-Germain).

2L’objectif de cette dernière partie nous conduit désormais à insérer le destin des individus dans l’étendue diachronique de leur parcours lignager. Une patiente enquête généalogique a fini par venir à bout des déplacements continus et sans logique apparente de 34 familles patrilinéaires, reconstituées sur au moins trois générations1. Plus aisément repérables par leur forte prolificité et leur présence sur de nombreux chantiers du Berry et du Poitou, ces lignées sont de fait aussi parmi les plus mobiles et les plus marquées par l’empreinte de la forêt. La vocation professionnelle de leurs membres n’en devient du coup que plus caractéristique. Elle sépare d’abord l’échantillon en deux ensembles presque équitables. Le moins copieux, qui regroupe seize familles, se caractérise par une nette dissémination du statut de l’ancêtre dans toutes les branches mâles de sa descendance. L’uniformité et la stabilité des statuts semblent être de mise dans ces constellations patronymiques par ailleurs souvent éclatées par la migration. Deux professions y sont surtout représentées : les voituriers de charbon, avec les familles Blanchet, Guinot ou Martin, et les fendeurs de bois avantageusement illustrés par les lignages spécialisés des Genet, des Petit ou des Veau (cf. tableaux en annexe 4). Ici règnent la reproduction professionnelle, la transmission des savoir-faire du père à son fils, du frère aîné à ses puînés, par la seule et naturelle diffusion de l’exemple des anciens. Tel garçon qui a toujours vu son père manier tel outil, accomplir tel geste, très tôt aura le souhait de l’imiter, très tôt sera associé à l’ouvrage, initié à ses règles, à ses dangers, puis à ses recettes et à ses tours de main les plus secrets. Inutile de préciser que les documents qui permettent de se faire une idée de cet apprentissage au cœur de la famille sont rarissimes. Consolons-nous avec cet accord aussi unique que lapidaire entre deux frères habitant le bois de Vieille Forêt, dans la paroisse de Lessac : le 30 juin 1719, Jean Breton, « garçon fendeur », cède à Marc Breton, maître fendeur, tous ses droits mobiliers et immobiliers « pour demeurer quitte envers ledit Marc, son frère, de ce quil luy pouvoit debvoir pour luy avoir montré et enseigné le mestier de fendeur (...), moyennant en outre que ledit Marc a délivré ce jourd’huy audit son frère tous les outils qu’il se servoit pour sondit métier de fendeur »2. Même entre parents proches, la transmission d’une technique pouvait donc s’accompagner de quelques contreparties. Sur la durée de l’enseignement comme sur l’âge de l’apprenti, la source reste, en revanche, malheureusement muette.

  • 3 Lire, à ce sujet, le témoignage d’Alexis Quéré (annexe 2).

3Le métier de charbonnier semble se transmettre bien plus difficilement, y compris au sein d’un même lignage puisque seuls trois exemples de succession sur plus de trois degrés ont pu être repérés (Ravisé, Cadou, Pacton). Quant à celui de bûcheron, à la notable exception d’une branche de la famille Lerouge, il ne survit lui aussi quasiment jamais plus de cinquante ans dans une postérité masculine. La relative dilution de cette dernière profession au sein du prolétariat rural sédentaire, sa dimension d’activité d’appoint ainsi que la fréquente et profonde pauvreté de ceux qui la pratiquent apportent un élément d’explication à cette évaporation rapide. Sauf à se trouver héritier, comme ces Lerouge de souche mancelle, d’un savoir-faire plus éprouvé et plus élaboré. Mais, d’une manière générale, la dynastie de bûcheron est tout aussi peu vraisemblable dans cette société rurale d’Ancien Régime, au fond très instable sur ses bases, qu’une famille entièrement peuplée de journaliers qui se passeraient le flambeau de leur état de misère sur plusieurs générations. Les raisons de la discontinuité sont a priori moins déchiffrables pour le charbonnier, sauf à considérer sa spécialité sous l’angle de ce qu’elle avait de plus inconfortable et de plus dangereux : les brouettes de rondins qui brisent les reins, la surveillance sans relâche des meules pendant plusieurs jours et nuits d’affilée, l’inhalation suffocante des cendres lors de l’éventration de la fouée, le contact brûlant des charbons ardents3. Rien de tout cela n’encourageait les enfants à suivre la voie d’un père charbonnier. Mais encore fallait-il que d’autres issues se présentassent.

  • 4 cf. supra.

4C’est, a contrario, le caractère plus attractif de métiers en définitive assez ouverts sur l’extérieur, mais aussi probablement la zone d’imperméabilité étanchant les perspectives de promotion, qui pourraient expliquer l’uniformité de certaines familles de fendeurs ou de voituriers. Les fonctions de transporteur, spécialement, s’ouvrent un peu comme un delta où se reposent les ambitions, à l’embouchure des carrières forestières. C’est bien d’ailleurs l’inclination pour cette besogne que met le plus en lumière le second groupe de notre échantillon, celui réunissant les 18 lignées marquées par une évolution de leurs positions professionnelles : dix de ces familles forestières aboutissent dans tout ou partie de leurs ramifications à produire du voiturier, la plupart du temps d’ailleurs à partir d’un charbonnier (tableau 18). Il n’y a ici guère matière à surprises : les deux spécialités sont, on l’a dit, connectées au point d’être souvent simultanément exercées sur un chantier par un seul et même ouvrier4. Le fossé entre les deux professions était donc suffisamment étroit pour demeurer franchissable, mais il devait aussi marquer suffisamment une différence de conditions pour que le voiturier s’imposât comme l’avenir du charbonnier.

Tableau 18
La mobilité sociale dans les lignages forestiers

Tableau 18La mobilité sociale dans les lignages forestiers

5Les fendeurs, dont on vient de remarquer les larges et homogènes efflorescences généalogiques, apparaissent pour leur part quelquefois au débouché de ces trajectoires professionnelles. L’itinéraire familial a, dans ce cas, toujours commencé par un bûcheron. A l’inverse, certains fils de fendeurs ont pu se convertir au dressage et à la cuisson des charbonnières. Encore de tels parcours se croisent-ils bien peu. Situé quelque part entre le bûcheur et le charbonnier, le fendeur est aussi décidément à côté, renonçant à l’immersion complète au sein du peuple de la forêt. Voila bien derechef un signe des appartenances distinctes de cet électron libre ouvrier. Le métier est assez rémunérateur pour satisfaire la plupart de ceux qui l’exercent et garantir l’uniformité des lignages, mais il dispose clairement de sources de renouvellement qui lui sont propres, ouvertes à d’autres bassins migratoires ou aux milieux extra-forestiers. On ne reviendra pas sur la pépinière Paulet qui a nourri la profession de fendeur durant plus d’un siècle à partir d’un petit noyau d’artisans du bois et du textile de Bouresse. Sans que l’on sache trop pourquoi, le démon des forêts s’empara aussi de Toussaint Roy, modeste charpentier de la paroisse Saint-Didier de Poitiers, qui en 1723 ou 1724, quittait la ville pour sillonner le Haut-Poitou à fabriquer la latte et le merrain.

Ruptures bénéfiques

  • 5 Les sources livrent une poignée d’autres « valets de voiturier ». Il s’agit de Georges Cerisier, v (...)
  • 6 Arch. dép. Indre, 2E 8077, marché de service du 9 juin 1678 (Mauduyt, notaire à Saint-Gaultier).
  • 7 Arch. dép. Cher, registre paroissial de Saint-Baudel, 1686-1687.
  • 8 Marié à Ardentes le 10 juillet 1703 avec Marguerite Caillaud, Paul Pellicot décède à Longny-au-Per (...)

6L’accessibilité à la profession du voiturier était manifestement facilitée par la présence à ses côtés d’un auxiliaire qui pouvait être son fils ou son parent mais aussi le rejeton d’un forestier exerçant une autre spécialité. Ces « valets de voiturier », qui apparaissent de temps à autres dans les registres paroissiaux5, tenaient à la fois du domestique et de l’apprenti : c’est, en effet, en aidant ses maîtres à ensacher le charbon ou à soigner les bêtes, que Jean Huet se forma à son futur métier de saquetier. Après avoir servi Nicolas Delalande, marchand voiturier de Prissac, il se fit engager pour deux ans consécutifs par Guillaume Clérice, un autre voiturier chargé d’approvisionner en combustible la forge de Mareuil6. En contrepartie, son patron lui offrait « l’entretien de nourriture » et le règlement de la dette de 45 livres qu’il avait contractée auprès de son ancien employeur. Quelques années plus tard, Jean Huet voiturait lui-même le charbon pour son propre compte7. La présence sur un chantier de voituriers aisés, disposant de la capacité à embaucher un ou plusieurs valets, a joué un rôle important dans la mobilité sociale des familles de charbonniers ou de bûcherons qui pouvaient, par ce biais, s’ouvrir de belles perspectives de promotion : comme ce fut le cas pour Paul Pellicot, fils d’un bûcheur manceau, qui après avoir été au service d’un voiturier des forges d’Ardentes, a repris la route du nord pour charroyer le charbon dans les forêts du Perche8.

  • 9 Cette obligation est, par exemple, stipulée par le contrat de mariage du charbonnier Paul Audouin (...)

7Mais une des façons les plus communes de ne pas transmettre un statut ou un savoir-faire à son fils était encore de mourir trop tôt. Une situation des plus fréquentes compte tenu de la mortalité précoce de nombreux ouvriers. Privé de son père, le petit forestier n’était pas pour autant livré à lui-même. Le remariage de sa mère le plaçait automatiquement sous l’autorité d’un parâtre qui avait, en théorie, le devoir d’assurer sa subsistance jusqu’à quatorze ou quinze ans et de lui donner les moyens de voler de ses propres ailes9. Les deux fils du dresseur Jean Huet, qui ne connurent pas leur père, empruntèrent ainsi la voie tracée par les deux maris successifs de leur mère, deux voituriers, Marc Gentilhomme et Louis Thibaud. L’événement tragique pouvait donc amener le jeune garçon à se former à un métier différent de celui de son père, souvent même à obtenir une position sociale supérieure à celle qu’il lui aurait léguée s’il avait vécu plus longtemps. Nombre de dissonances professionnelles dans un lignage s’expliquent de la sorte. Maurice Depasse, fils d’un bûcheur des environs de Châteaubriant, perd ses parents dès l’âge de 7 ans. A nouveau endeuillé l’année suivante par la mort de son oncle Jean Ribot qui l’avait entraîné à sa suite dans les forêts de Gâtine poitevine, il est devenu charbonnier grâce à la protection de Julien Guérin, maître du même métier à Vautebis, son curateur en même temps que le neveu de Michelle Guérin, la veuve de l’oncle Ribot (tableau 19).

Tableau 19
Mobilité sociale et curatelle. L’exemple de Maurice Depasse

Tableau 19Mobilité sociale et curatelle. L’exemple de Maurice Depasse

8Ces quasi adoptions de forestiers orphelins par des membres du réseau familial élargi se produisaient aussi grâce au déplacement du centre de gravité conjugal que provoquait le jeu des remariages. C’est ainsi que l’enfant d’un premier lit finissait par se trouver sous la responsabilité de personnes qui ne lui étaient plus aucunement liée par le sang. Prenons l’exemple de Mathurin Allet (tableau 20). Né en 1699 et fils d’un bûcheron, sa mère meurt en 1701. Son père se remarie en 1704 avec Catherine Boluchet et décède à son tour. La belle-mère convole alors avec un voiturier, Jean Blanchet. Mathurin Allet, à partir de l’âge de 10 ans, est élevé par sa marâtre et le deuxième mari de celle-ci qui lui apprendra son métier. Pour cet exemple-là comme pour d’autres, et contrairement à ce qui se passe souvent dans la société traditionnelle d’Ancien Régime, le décès prématuré d’un père n’entrave pas l’établissement avantageux de l’enfant.

Tableau 20
Mobilité sociale et remariages. L’exemple de Mathurin Allet

Tableau 20Mobilité sociale et remariages. L’exemple de Mathurin Allet
  • 10 Marié le 18 janvier 1735 à Saint-Martin d’Ardentes avec Jeanne Ragot, Thomas Dufour apparaît comme (...)

9On s’étonnera de ne pas trouver un ou plusieurs contreexemples à tous ces parcours ascendants. Il y a bien ce Thomas Dufour, fils d’un voiturier des forges de Mailhac puis d’Ardentes, médiocrement employé au dressage des fourneaux10. Mais pour le reste, force est d’admettre que les reconstitutions généalogiques ne donnent à voir que des lignages qui tiennent leur rang ou améliorent leur position. La déchéance serait-elle étrangère aux destinées de la forêt ? Si l’on met de côté le bûcheron-manouvrier et sans doute quelques cas anecdotiques semblables à celui de Thomas Dufour, l’hypothèse apparaît au fond assez peu saugrenue : les intrications complexes du réseau familial que l’on a vu à l’œuvre, le ciment qui soude immédiatement les forestiers sur le chantier, sont autant d’éléments susceptibles d’amortir les chutes, d’étançonner les conditions, d’impulser les réussites. Et n’oublions pas la route, issue de secours ouverte en permanence à celui qui, déçu de son sort ici et maintenant, n’hésitera pas à aller quérir la bonne fortune ailleurs.

Réussites individuelles

  • 11 Dumontet (Eric), La maîtrise des Eaux et Forêts de Poitiers de la Réformation à la Révolution, 166 (...)
  • 12 Dumontet (Eric), La maîtrise des Eaux et Forêts de Poitiers de la Réformation à la Révolution, 166 (...)
  • 13 La forge d’Abloux, sur la rivière du même nom, était située sur la commune de Saint-Gilles, Indre, (...)
  • 14 Tournaire (Jacques), Les forges de Clavières, op. cit., p. 43 et Chamand (Paul), Forges de Verrièr (...)
  • 15 Dominique Martin, « commis des forges d’Ardentes » est baptisé à Ambrault le 12 octobre 1695, fils (...)

10Le dynamisme dont nous semble porteur le milieu des forestiers constitue d’ailleurs un facteur d’explication à la pérennité du nomadisme sur trois ou quatre générations : l’adhésion aux modes de vie de la forêt et l’acceptation de ses contraintes sont probablement rendues plus aisées par l’existence de ce cursus honorum interne. La possibilité de débouchés futurs permet d’endurer l’inconfort du présent et apaise les impatiences. Car percevoir cet univers comme habité d’un fatalisme étroit et gouverné par la préoccupation exclusive de la survie au quotidien ne nous paraît nullement rendre justice à la conscience de gens qui nourrissaient sans aucun doute leurs rêves et leurs espoirs de leur riche expérience et de leur propre diversité. L’un des effets les plus essentiels de la fluidité et de la souplesse des populations des bois ne serait-il pas, en effet, de stimuler le désir ? Désir de changement dans les genres et les niveaux de vie, mûri par la métamorphose régulière de leurs horizons, c’est à voir. Familiarité avec la nouveauté, acclimatation rapide et facile à l’imprévu, sûrement : l’indépendance relative qui agrémente l’existence voyageuse, l’appartenance à un milieu solidaire mais instable dans ses repères individualisés, développent nécessairement tout à la fois un usage et une maîtrise du risque, une habitude dédramatisée de la mise en jeu personnelle. La hardiesse, la volonté d’entreprendre sont d’évidence à la base de quelques belles réussites. Celles qui conduisent à quitter l’état de charbonnier pour celui de voiturier, d’abord. La progression n’est certes pas des plus spectaculaires : elle n’en flattait probablement pas moins l’orgueil du cuiseur qui avait pu investir son pécule dans l’achat d’un troupeau de mulets, gravissant ainsi un palier important dans l’échelle des honneurs. Mais ne nous y trompons pas : René Berson, Etienne Cadou, Louis Mathé, Mathurin Ravisé, François Royer, André Thibault et d’autres encore n’ont pas placé leurs économies dans un lopin de terre, voire dans un petit domaine. Ils ne se sont pas aventurés hors des sentiers battus de la forêt. La même filière retient ceux qui parviennent à capter des postes à commission, sources de revenus réguliers. C’est ainsi que Jean Chevalier, d’abord bûcheron, resta au moins trois années durant garde de la forêt de Bergère, paroisse de Saulnay, entre 1681 et 1683. Les fonctions de garde consistaient surtout en tournées de surveillance quotidienne dans le bois pour prévenir ou relever les délits11 ; elles pouvaient évidemment convenir à des hommes dont la connaissance fine du territoire sylvestre s’alliait à une origine extérieure qui les prémunissait des inévitables soupçons de connivence avec les paysans du voisinage. Elles n’étaient cependant pas assez rémunératrices pour inciter l’ouvrier à abandonner son précédent gagnepain12 et surtout sollicitait de lui une disponibilité et une responsabilité dans la soumission auxquelles son lot quotidien de nomade à la poursuite des chantiers le préparait plutôt mal. Jean Chevalier reprit donc la route, non sans avoir profité de l’intermède pour s’initier à l’art du charbonnier. Les gardes étaient donc la plupart du temps recrutés dans un milieu de laboureurs, souvent de médiocres conditions. Les deux autres forestiers que nous avons rencontrés exerçant cette tâche l’assurèrent soit de manière transitoire, soit en l’associant à une autre activité : Jacques Taude, garde de la terre et seigneurie de Pellevoisin, près de Buzançais en 1783, était aussi charbonnier et du fait de la sédentarisation de sa famille dans le secteur depuis une bonne soixantaine d’années, jouissait certainement de revenus agricoles. Quant à Cyprien Leguet, ancien dresseur de fourneaux dans les bois du val d’Abloux13, il passa bien quelques temps à inspecter les sentes et les halliers de la forêt de Ruffec mais fut rapidement promu au rang de commis-directeur de la forge voisine vers 1750. L’accession à des fonctions de comptable et surveillant d’un établissement industriel est une promotion exceptionnelle pour un homme des bois : comme pour celle de garde, d’ailleurs, cette tâche suppose la maîtrise de l’écrit, ainsi qu’une certaine identification ou sujétion aux intérêts du maître de forge. Mais elle est aussi plutôt attractive par ses gages : en 1670, chaque commis de Clavières touchait 600 livres de salaire annuel, alors qu’au xviiie siècle, celui de Verrières en gagnait 50014.Si l’on connaît aussi un fendeur, Pierre Martin, qui eut la chance d’installer deux de ses fils sous les ordres des exploitants de la forge de Clavières, au début du xviiie siècle15, ce type de carrière reste pour l’essentiel fermé aux hommes de la forêt.

  • 16 Arch. dép. Indre, 2E 3251 (Rouet, notaire à Ardentes, 31 juillet 1667).
  • 17 Indre, arrondissement de Châteauroux, canton d’Ardentes.
  • 18 La famille Jourdain est originaire des paroisses de Balzème et de Baudres.

11Attachée au chantier, souvent itinérante, la fonction de commis au bois est elle, en revanche, toujours dévolue à un ouvrier sorti du rang. Il est inutile de revenir sur cette responsabilité que l’on a déjà eu l’occasion de signaler comme la chasse gardée des fendeurs alphabétisés. L’important est ici de mettre en évidence sa fonction de marchepied entre la modeste besogne de l’artisan et les fructueuses activités du commerce du bois. Le phénomène est surtout visible dans le Berry des dernières décennies du xviie siècle où une sorte de « fièvre sylvicole » semble s’être emparé de quelques forestiers âpres au gain. Jean Leschelle est de ceux-là. Il n’est qu’un simple fendeur de bois résidant dans une loge de la forêt de Châteauroux, lorsqu’il épouse en 1667 Marguerite Millet, maigrement dotée par son père de 80 livres16. Quelques années plus tard, en 1684 et 1685, on le retrouve commis à l’exploitation du bois de Loubatière, dans la paroisse de Velles17. En 1688, enfin, il est fixé au bourg de Chasseneuil et arbore dans les documents le titre de « maître » et la qualité de marchand de bois. Issu d’une famille de fendeurs18, fendeur lui-même, Louis Jourdain, fut commis dans les forêts de Châteauroux et de Saint-Maur avant d’acheter pour son profit personnel des coupes dans les forêts alentours. Le fait d’être passé par une responsabilité de contremaître offrait sans doute plus d’un avantage : la possibilité de rassembler le petit pécule nécessaire à ses premières spéculations commerciales, l’habitude de la gestion de la main d’œuvre, la connaissance voire la fréquentation des principales personnes intéressées par le marché du bois. Le marchand de bois devait, en effet, investir des sommes importantes, s’élevant souvent à plusieurs milliers de livres, dans l’acquisition d’une coupe. Pour rentabiliser l’affaire, il lui arrivait de recruter lui-même des ouvriers qui allaient abattre les arbres et transformer la grume en bois d’ouvrage écoulés ensuite à bon prix chez des particuliers, des artisans ou des commerçants. Plus souvent encore, il divisait sa coupe et la revendait immédiatement en détail à ces utilisateurs qui se chargeaient dès lors eux-mêmes de la façon et du transport. Les fendeurs marchands berrichons étaient d’ailleurs le plus souvent tous apparentés entre eux, grâce notamment à une politique habile d’alliances matrimoniales, ces liens servant évidemment d’appui à des opérations de plus grande envergure, dans lesquelles une coalition de capital était nécessaire pour emporter l’adjudication (tableau 21).

Tableau 21
Les connexions familiales entre marchands et fendeurs de bois autour de la forêt de Châteauroux

Tableau 21Les connexions familiales entre marchands et fendeurs de bois autour de la forêt de Châteauroux
  • 19 Arch. dép. Mayenne, 3E 29/69, 313 décembre 1671 (De Mongodin, notaire à Placé).
  • 20 Dans le ressort de la maîtrise de Poitiers, le prix l’arpent de bois, rarement supérieur à 50 livr (...)
  • 21 C’est le milieu d’origine des marchands de bois du Bas-Poitou (Legal (Pierre-Yannick), Bois et for (...)
  • 22 Arch. dép. Vienne, E 4/24/173, inventaire après décès du 3 décembre 1784 (Bourbeau, notaire à Poit (...)
  • 23 Entre 1780 et 1790, sur 17 inventaires après décès d’officiers de justice poitevins seul un dépass (...)

12Ce type de profil a aussi été observé dans le Maine. Sauf qu’il ne s’agissait pas là de fendeurs mais plutôt de « maîtres bûcheurs ». Au nord de la Loire, cette dénomination correspondait, comme on l’a déjà souligné, à un état plus valorisé qu’en Poitou ou en Berry. Le bûcheur manceau, en effet, n’est pas qu’un manœuvre d’appoint : la gamme de ses compétences forestières peut s’étendre bien au-delà de la seule tâche d’abattage. Apte à transformer le bois qu’il couche, il lui arrive aussi d’en faire commerce. C’est ainsi le cas de Christophe Ribot et de François Decarie, « maîtres bûcheurs et marchands de bois » qui, au mois de décembre 1671, se portent acquéreurs d’une coupe dans la forêt de Mayenne19. Leur association permettait à ces rejetons fort mobiles de deux familles forestières abondamment ramifiées, de faire face à un investissement de 8 000 livres. Une somme importante dont le poids serait, en outre, allégé par des conditions de paiement assez larges : étalé sur quatre ans, en seize termes trimestriels de 500 livres chacun, l’acquittement de l’enchère laissait aux adjudicataires le temps de faire fructifier leur capital. La mise de fonds initiale restait néanmoins largement hors de portée du plus grand nombre des ouvriers que nous avons rencontrés jusqu’ici. C’est selon toute vraisemblance ce qui explique l’absence de marchés de bois intéressant des hommes de la forêt dans le Poitou du xviiie siècle, à l’heure où, qui plus est, le prix de l’arpent se hisse à des sommets jamais atteints auparavant20. Les marchands de bois les plus cossus ne viennent pas de la forêt mais, pour la majeure partie d’entre eux, de la notabilité sédentaire rurale, d’une paysannerie de coqs de village engraissée par la ferme seigneuriale21. Pierre Vidal, l’un des principaux adjudicataires des coupes de forêts royales du Haut-Poitou dans la deuxième moitié du xviiie siècle, appartient à ce cercle de parvenus dont la promotion rapide ne fait qu’exciter l’insatiable appétit. L’homme qui, à son mariage, peinait à écrire son nom, détenait à sa mort un actif mobilier de 64 364 livres 19 sols 1 denier22 qui eût fait pâlir d’envie nombre d’altiers robins de la capitale provinciale23. Poitiers ne refusait néanmoins pas de telles perspectives aux enfants de la sylve. Pour ceux-là, le bon filon suivit un temps les circuits commerciaux du charbon. A partir de 1740, un petit groupe de marchands de charbon, s’installa dans la paroisse suburbaine de Sainte-Radegonde, à l’est de la ville, au débouché de la route de Limoges par laquelle arrivait sans doute leur marchandise, depuis la forêt de Verrières (tableau 22). C’est d’ailleurs dans l’orbite des forges du même secteur qu’ils ont, pour la plupart, entamé leur parcours en cuisant la meule. Vers 1756, une fraction de la colonie se déplaça dans le faubourg voisin de Saint-Saturnin où elle s’enfla de nouveaux immigrants pour la plupart venus du même secteur. Les marchands qui fournissaient aux Poitevins le charbon de leur poêle étaient donc des hommes de l’art, sortis du peuple de la forêt. Leur réussite se fit, en règle générale, sans tapage. A une notoire exception près : celle de Louis Enenon, étonnant exemple des capacités de réussite éclair dans une ville moyenne qu’on dit pourtant largement hypnotisée par le modèle social de l’office et de la rente.

Tableau 22
Les charbonniers installés à Poitiers au xviiie siècle

Tableau 22Les charbonniers installés à Poitiers au xviiie siècle

Louis Enenon et ses fils

  • 24 Les parents de Marie-Anne Ressouge sont Louis Ressouge et Françoise Desmousseaux, des artisans for (...)
  • 25 Le marchand de bois, Jacques Pillon dit « Gaucher », s’est installé à Poitiers vers 1731. Il résid (...)
  • 26 C’est l’actuel quartier des Dunes et de la Pierre-Levée.
  • 27 Ancienne paroisse rattachée à la commune de Vernon, Vienne, arrondissement de Poitiers, canton de (...)

13Lorsque Louis Enenon dit « Bouriaud » s’installe à Poitiers, il n’est qu’un obscur et modeste charbonnier de forêt, sans aucune attache dans la ville. Sa famille, probablement étrangère à la province, y apparaît pour la première fois en 1724 quand Antoine Enenon, le père de Louis, épouse à Lussac-les-Châteaux Marie-Anne Ressouge24 (tableau 23). Antoine Enenon est charbonnier. Il travaille quelques temps dans la forêt de Verrières pour la forge voisine. C’est d’ailleurs à Verrières en 1740 que l’on croise pour la toute première fois le jeune Louis Enenon, parrain à l’âge de treize ans du fils d’un voiturier. L’adolescent, alors, sait signer ; il a aussi probablement déjà été initié au métier paternel. Quatre ans plus tard, il a la douleur de perdre son unique frère, Jean, ainsi que sa mère. Il suit alors à la Chapelle-Morthemer son père qui s’y est remarié avec la veuve d’un forgeron. C’est toujours dans cette paroisse qu’il est domicilié lors de son mariage à Poitiers, le 11 février 1749. Le cheminement qui le conduit à épouser Renée Pillon, la fille d’un marchand de bois de cette ville, demeure flou25. Le fait est que l’alliance est décisive : Louis Enenon ne devait plus quitter Poitiers. Sa réussite ne se dessine toutefois que lentement : charbonnier comme son père, il habite dans un premier temps la maison de ses beaux-parents, située en dehors des murs de Poitiers, dans le quartier de Monbernage avant de déménager en 1754 pour le faubourg contigu de Saint-Saturnin26. A partir des années 1760, les affaires de celui qui s’intitule désormais « marchand charbonnier » paraissent prendre de l’importance. C’est en effet de cette époque que datent ses premières acquisitions en dehors du territoire patrimonial de sa belle-famille : la maison « du Cresson » en 1760, celle « du Clos » en 1767 assortie d’une grange neuve qui lui sert d’entrepôt, le tout en la paroisse de Saint-Saturnin. Dès 1765, il commence aussi à se tailler un domaine à Chiré-les-Bois27, non loin des futaies où il a appris son métier. La même année, Enenon apparaît avec la qualité de « marchand de bois », une activité d’abord annexe mais qui supplante très vite son trafic de charbon et lui permet d’enclencher la vitesse supérieure. Le 5 mai 1773, il acquiert des héritiers d’un procureur au présidial, une grande maison et un jardin sur le plateau, dans la rue des Trois Cheminées, tout près de la place du Marché. Il y a loin de cet hôtel de bon bourgeois à la loge de lisière que connut le charbonnier dans son enfance : six chambres, une cuisine, quatre cabinets, toute la gamme des dépendances (trois greniers, une cave, un caveau, une buanderie, une écurie, une grange, un fenil, une galerie). Louis Enenon, dès lors pleinement « urbanisé », ne néglige pas pour autant ses autres points d’ancrage. Sa présence dans le faubourg Saint-Saturnin s’étoffe de nouveaux achats d’immeubles. Tandis que le domaine de Chiré-les-Bois grandit, Enenon le flanque d’une propriété encore plus belle et plus coûteuse, dans la paroisse voisine de Vernon, acquise en bloc en 1782 pour la somme de 20 000 livres.

  • 28 D’après l’inventaire établi à partir du 15 octobre 1783 après le décès de Renée Pillon, sa femme ( (...)

14En 178328, Louis Enenon règne sur un patrimoine immobilier réunissant deux maisons à Poitiers intra muros, six autres dans les faubourgs de Monbernage et de Saint-Saturnin ; ses trois métairies et sa borderie auxquelles s’ajoutent 83 boisselées de terres en labour et en vigne autour de Poitiers assurent une partie non négligeable de sa provision de bouche. Au mois d’octobre de cette année, ses greniers regorgent de grains : pas moins de 740 boisseaux de froment et 307 boisseaux d’autres céréales (orge, seigle, avoine, baillarge). Dans ses caves, barriques, bouteilles et « busses » sont généreusement remplies. Enenon aime l’abondance : la sécurité financière et alimentaire obsède visiblement l’homme mur qui a connu la privation. Rien d’ostentatoire, en revanche, dans l’intérieur de sa maison qui respire un confort rustique de bon aloi et n’exhibe pas d’ornements superflus. L’opulence n’est pas clinquante ni même visible : elle s’empile dans les armoires en grandes quantités de linge neuf et de vêtements sobres ; elle se cache dans la grange où s’entasse le charbon, elle envahit surtout le jardin et la galerie où Enenon entretient sa « forêt », réduite en membrures, douelles, planches et planchons, chevrons, merrains, colombes, lattes et autres bûches. Voila le signe le plus tangible de sa réussite : sa marchandise découpée et façonnée dans le bois qui s’étale là où d’autres rêveraient de fleurs, de bassins et de potiches. Le charbonnier ne croit pas à autre chose et ne s’encombre pas d’apparences. Même le service de sa maison pourtant spacieuse exclut la dépense inutile : une servante et un garçon d’écurie y suffisent.

  • 29 Il s’agit de trois petits bois situés dans les paroisses de Morthemer et de Salles-en-Toulon (paro (...)
  • 30 Ce bois est situé sur la paroisse de Quinçay (Vienne, arrondissement de Poitiers, canton de Vouill (...)
  • 31 Vienne, arrondissement de Poitiers, canton de Lusignan.
  • 32 Vienne, arrondissement de Poitiers, chef-lieu de canton.

15Son bois d’ouvrage, Enenon le tire des petites coupes qu’il a acquises seul sur ses anciennes places de carbonisation, près de Morthemer29. Mais les opérations les plus avantageuses sont celles qu’il réalise en s’associant avec d’autres marchands de bois parmi lesquels on retrouve Pierre Vidal et ses collègues, François Millon et un certain Descoux. En 1783, les quatre hommes sont intéressés dans l’exploitation des bois de Ringère30, de Coulombiers31 et de Lusignan32. Ces deux dernières coupes sont les plus lucratives : adjugées pour 14 045 livres en 1782 et 14 792 livres 5 sols en 1783, elles rapportent à la société un profit net de 11 952 livres 9 sols, ce qui fait tout de même près de 3 000 livres de bénéfice sur deux ans pour chacun de ses membres. Les coalitions financières ne se limitent d’ailleurs pas aux seuls marchés de bois mais concernent aussi d’autres formes de spéculations agricoles. Vidal, Millon et Enenon achètent, en effet, le cheptel de plusieurs métairies des alentours de Poitiers et s’en partagent le croît avec l’exploitant. Par ce biais, sans compter les bestiaux de ses domaines de Vernon et de Chiré, Enenon se retrouve en 1783 propriétaire de brebis, vaches, veaux, bœufs et mulets dont la vente contribue à arrondir ses revenus : à la même date, c’est à lui que le voiturier de la forge de Verrières Louis Huet achète deux mulets pour la somme de 217 livres.

  • 33 C’est ce qui ressort d’un livre de compte du Grand Séminaire de Poitiers où Louis Enenon apparaît (...)

16Fournisseur en bois et charbons de nombreux établissements religieux poitevins parmi lesquels les couvents des Ursulines et de la Visitation, les abbayes de Sainte-Croix et de Montierneuf, le Grand Séminaire et l’Hôpital Général, pourvoyeur d’une foule d’artisans charpentiers, menuisiers et tonneliers de la ville, Louis Enenon utilise les relations de son commerce et ses copieuses liquidités (8 000 livres en 1783) pour soumettre à ses créances une bonne partie de ses concitoyens. Car Enenon n’adhère pas au culte poitevin de la rente foncière : il n’en possédera que sept à son décès. Non : il préfère prêter à intérêts. Ses petites créances cumulées atteignent tout de même le montant roboratif de 29 112 livres et lui permettent de compter dans la ville, indépendamment de sa clientèle débitrice, pas moins de 250 obligés, artisans et marchands surtout mais aussi officiers de justice, nobles et clercs. Ce n’est que vers 1786-1788 que Louis Enenon, sûr de ses assises, passe définitivement la main à son fils Jean33. Il n’en reste pas moins jusqu’à la dernière heure habité par une inextinguible envie de posséder. Sa mort intervient le 25 mars 1791 : quelques jours plus tôt, il a offert au receveur du district la somme de 3 200 livres pour l’acquisition d’une borderie dépendant d’un bien ecclésiastique situé près de ses terres de Vernon.

  • 34 Voir l’exemple éclairant de la dynastie notariale des Bourbeau dans Jahan (Sébastien), « Notaires (...)
  • 35 Massé (Pierre), « Pierre-François Piorry. Conventionnel et magistrat (1758-1847) », dans Mémoires (...)

17Il laissait ses quatre fils et ses deux filles (tableau 23) à la tête d’un honnête capital d’environ 156 000 livres composé de 90 000 livres de biens fonciers, le reste (65 000 livres) formant les actifs mobiliers. La réussite fulgurante du père n’avait cependant pas réussi à effacer la tache de ses origines obscures dans une ville, au demeurant très conformiste, où le crédit social se mesurait moins en deniers qu’en degrés dans l’état de bourgeoisie ou de noblesse34. La fille aînée, dotée de 3 300 livres, n’avait réussi qu’à épouser un marchand amidonnier : c’était il est vrai en 1771, avant la période faste de la famille. Il n’empêche, sa cadette ne trouva qu’un modeste épicier et ses frères eurent bien du mal à se faire accepter dans la bonne société poitevine. La voie sacrée des offices leur était-elle fermée ou bien ne les intéressait-elle pas ? Toujours est-il que les deux garçons qui n’héritèrent pas de l’affaire paternelle, s’engagèrent dans des études médicales et quittèrent Poitiers, provisoirement du moins : en 1791, Louis Zacharie était médecin à Paris et François chirurgien à Vincennes. Ils applaudirent des deux mains à la mort d’un Ancien Régime qui avait permis leur richesse mais qui, dans leur cité natale, les privait de ses dividendes en considération et en honneurs. L’on pense d’ailleurs que c’est François Enenon qui fut choisi par le ministre Roland avec Pierre Lalande pour « propager l’esprit public » à Poitiers35. Quant au petit dernier, Jacques, il fit partie des premiers volontaires poitevins engagés dans l’enthousiasme et termina ses jours dans un hôpital militaire au printemps

  • 36 L’ensemble de l’îlot, comprenant l’église, les bâtiments conventuels, les jardins et les cours éta (...)
  • 37 Arch. dép. Vienne, E 4/13/128, cession du 9 novembre 1791 (Cuisinier, notaire à Poitiers).
  • 38 Sur ces épisodes, voir Massé (Pierre), « Pierre-François Piorry. Conventionnel et magistrat (1758- (...)
  • 39 Arch. dép. Vienne E 4/13/120, acte du 21 octobre 1783 (Arch. dép. Vienne, E 4/13/120, Cuisinier, n (...)
  • 40 La famille disparaît de Poitiers, comme elle y était arrivée subitement sous le premier Empire. En (...)

181793. Ferveur patriotique sur fond de revanche sociale ? Sûrement. Mais la Révolution et ses guerres ne nourrissaient pas que d’idéaux. Tous les enfants avaient été contaminés par le virus affairiste du père. A commencer, bien sûr, par le légataire du commerce de bois, qui chercha à spéculer sur les biens nationaux en achetant avec deux associés l’ancien couvent des Cordeliers36 : il dut cependant revendre sa portion, presque à prix coûtant, en novembre 1791 au cafetier Joseph Rolle37. Mais les moins frileux n’étaient pas les deux praticiens soignants, manifestement peu convaincus par leur vocation première. François, le chirurgien de Vincennes, était aussi, à ses heures, négociant en chevaux et mulets. Il avait défrayé la chronique à Poitiers, au début des guerres de Vendée, en cédant aux armées révolutionnaires des bêtes malades ou trop vieilles à des prix usuraires. Le député Piorry qui avait attiré l’attention du district sur ces marchés frauduleux, résista à ses tentatives répétées de corruption mais ne put jamais éliminer le fournisseur de carne, dont la comptabilité, contrôlée, s’avéra impeccable. Piorry fut chassé par les Thermidoriens pour le plus grand bonheur d’Enenon, nommé, lui, au Comité de surveillance par le représentant Chauvin38. Un chirurgien-maquignon donc. Mais aussi un médecin-cafetier. Louis-Zacharie, l’aîné des fils du charbonnier, était sans doute le plus aventurier des trois. Déjà, à la mort de sa mère, en 1783, il avait pressé son père de lui accorder une avance sur la succession de 3 000 livres pour réaliser son « projet de passer en l’Isle de Saint-Domingue et de se munir d’une pacotille »39. Désir ardent d’échapper à la pesanteur médiocre et au mépris de la notabilité pictave ? Réminiscence quasi génétique des migrations forestières ancestrales ? On ne sait pas vraiment si Louis-Zacharie put aller au bout de son dessein. De retour de Paris en 1792, il racheta à Joseph Rolle, la part du ci-devant couvent des Cordeliers qu’avait vendue son frère l’année précédente mais autorisa le cafetier à rester dans la partie nord des bâtiments pour y exercer son commerce. Trois ans plus tard, Zacharie ouvrit à son tour un café dans les murs qu’il occupait, au sud, à l’emplacement de l’ancien dortoir. Il resta marchand cafetier aux Cordeliers jusqu’à la vente de son fonds en 1804 et mourut en 1806. Son frère Jean avait lui aussi fini par se convertir à la convivialité de la table : en 1798, il était aubergiste rue Saint-Nicolas. La famille Enenon était définitivement sortie du bois mais ne devait plus faire parler d’elle40.

La sédentarisation

  • 41 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Lussac-les-Châteaux.
  • 42 Arch. dép. Vienne, minutes non classées de Pestre, notaire de la baronnie de Dienné et de Verrière (...)
  • 43 Arch. dép. Vienne, minutes non classées de Pestre, notaire de la baronnie de Dienné et de Verrière (...)
  • 44 Arch. dép. Vienne, 2U/402 pièce n° 27, 8 mars 1814, conciliation entre Jean et Louis Verret et Pie (...)

19Dans les forêts d’où viennent les Enenon, les ambitions de leurs anciens confrères et compagnons connaissent rarement pareille éclosion. La tension d’un grand nombre de destinées familiales s’arrête généralement à l’état de voiturier : elle s’explique par le surcroît de ressources que ce métier est susceptible de fournir, mais pas seulement. Elle traduit aussi une volonté de changer l’environnement quotidien et les coordonnées de l’existence. Les voituriers de charbon sont, rappelons-le, les premiers travailleurs des chantiers d’abattage à s’installer à l’écart des forêts. En Poitou, dès les années 1720-1730, ils se rapprochent de la forge qu’il doivent approvisionner, élisant parfois domicile dans des hameaux situés sur un axe de distribution ou de regroupement des chargements comme ce fut le cas aux Vieilles Forges de Millac. Il leur arrive aussi de faire surgir du sol de nouveaux villages, tels celui des Loges, dites de Civeuil, dans la paroisse de Verrières : le nom de baptême de l’endroit ne fut pas choisi en fonction de la proximité de la forêt, au contraire plutôt lointaine, mais sans doute par référence à l’habitat usuel, fait de branchages et de planches, de ses occupants. Les Loges de Civeuil où vécurent les familles de voituriers Martin et Etève ne se trouvaient pas, en outre, sur une grande voie, mais elles présentaient l’avantage de se situer au cœur d’un triangle formé de trois grandes forêts pourvoyeuses de la forge de Verrières, à moins de trois kilomètres de celle-ci (carte 9). Il n’est donc pas surprenant de retrouver à la fin du xviiie siècle des familles qui, quarante ou cinquante ans plus tôt résidaient déjà dans ces hameaux : installé à Verrières en 1730, Jean Martin dit « Billon » y meurt en 1755 : deux de ses fils restent fidèles à l’endroit et ses petits-fils y vivent encore à la veille de la Révolution. Curieusement, l’installation durable dans ce village au cœur du terroir agricole ne s’est pas toujours accompagnée de la construction de bonnes bâtisses en « dur ». En 1783, quarante ans après avoir découvert Verrières en compagnie de son époux Léonard Martin, Jeanne Barnaud rend l’âme dans « une loge en bois consistant en une chambre basse », bâtie sur un terrain appartenant au duc de Mortemart. Avec une « écurie couverte en brande » et deux boisselées de vigne à Civaux41, la cahute échoit à ses quatre enfants qui, ne pouvant diviser entre eux ces modestes héritages « sans en diminuer de beaucoup la valeur et les rendre presque inutiles » s’accordent pour les liciter à l’amiable42. Si le provisoire a fini par devenir le définitif, c’est sans doute ici plus par défaut de moyens que par attachement forcené à l’architecture forestière. Certains voisins des Martin cherchent eux à s’abriter dans la pierre, sans pour autant abandonner leur vieille cabane : François Touchard élève ainsi deux chambres en maçonnerie à proximité de sa « loge ancienne »43. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, un nombre toujours plus important de villages des paroisses de Gouex, Queaux, Mazerolles, Verrières et Bouresse se peuple de forestiers qui ne se rendent plus dans les bois que pour y travailler. Il y a certainement dès cette époque une majorité de charbonniers vivant à la manière des frères Verret, « brûleurs de fourneaux, demeurant à Loubressac, commune de Mazerolles » qui, en 1814, devant le juge de paix de Lussac, « ignorent la citation contre eux attendu qu’ils étaient à travailler très loing de chez eux »44. Chez les voituriers, le clan Martin prolifère et certains de ses membres se dispersent autour du noyau initial des Loges, aux Pinaudries de Verrières, au bourg de Lhommaizé, à Chanteloup de Mazerolles… Les nouveaux arrivants trouvent eux aussi à se loger dans des villages déjà habités, à la Panchonière pour le charbonnier d’Ardentes Sylvain Laroche, aux Remiers, dans une maison de quatre pièces, pour la famille Huet, venue de Ruffec (carte 9).

  • 45 Arch. dép. Charente, registre paroissial des Adjots (1723-1793) : en 1786, le charbonnier René Ler (...)

20L’abandon de l’habitat forestier touche toutes les aires d’exploitation sylvo-métallurgique du Haut-Poitou vers le milieu du xviiie siècle. Si dans l’orbite de Luchapt, vers 1770, la station de roulage des Vieilles Forges de Millac n’accueille plus que trois ou quatre foyers de voituriers, dans la paroisse d’Abzac, les loges de la forêt de Saint-Germain, encore occupées en 1731, ne sont plus, quatre ou cinq décennies plus tard, qu’un lointain souvenir : sous le règne de Louis xvi, charbonniers et voituriers habitent les villages de Chez Redon ou de Chardat. La précocité de cette rupture semble toutefois liée à l’ancienneté de la forge : celle de Taizé-Aizie ne date que de 1734 et, en 1790, on rencontre encore des charbonniers qui vivent toute l’année dans des loges de sa forêt nourricière de Ruffec45. De plus, ce qui est vrai des producteurs et des transporteurs du charbon ne l’est pas nécessairement des ouvriers du bois. La sédentarisation des bûcherons et

  • 46 Comme dans cette information de mars 1783 où deux bûcherons, Pierre-Gabriel Patureau et Jean Potet (...)

21des fendeurs en Poitou apparaît avec beaucoup moins de netteté. Pour les premiers, cette opacité est d’abord le résultat de l’effacement quasi général de cette profession aux abords des forges, du moins si l’on en juge par les registres paroissiaux et les archives notariales de la seconde moitié du xviiie siècle. Non certes que le métier ait totalement disparu du paysage rural : on croise toujours des bûcherons dans les enquêtes de la maîtrise des Eaux et Forêts46 ou sur les chantiers de production de bois d’œuvre. C’est d’ailleurs le signe même de la nature de cette profession désormais clairement temporaire ou secondaire : si le bûcheron n’apparaît presque jamais comme tel dans un registre, c’est sans doute parce qu’il ne s’agit pas de son activité exclusive ni même principale. S’il n’est pas fendeur, il sera d’abord et avant tout un laboureur ou un journalier qui coupe le bois à la saison pour mieux pourvoir à la subsistance de sa famille. Cette situation, au demeurant banale dans les campagnes, est cependant déterminée par deux facteurs. Il faut, en premier lieu, invoquer un certain tarissement de l’immigration des bûcherons étrangers au cours du xviiie siècle et la dissolution des pionniers de la spécialité dans les autres branches professionnelles du peuple de la forêt : les enfants de Thomas Lerouge deviennent fendeurs, ceux de Michel Tavenne, charbonniers, etc. Cette carence a donc dû être comblée par la main d’œuvre locale. Le second facteur tient probablement à l’abandon par les entrepreneurs métallurgistes de l’exploitation des futaies d’où se tire le bois d’œuvre. Or, l’on sait que l’abattage du taillis dans lequel se débite la charbonnette était bien moins délicat que celui des grands arbres : le travail restait à la portée d’un manœuvre agricole sommairement formé. Les quelques noms de bûcherons que l’on croise à la fin du xviii esiècle aux alentours des forges sont manifestement poitevins, ce qui semble bien conforter toutes ces hypothèses. Le bûcheron de la fin xviiie siècle est donc d’autant plus sédentaire qu’il est aussi un paysan du cru.

Carte 9
Le domicile des forestiers autour des forges de Verrières et de Goberté dans la seconde moitié du xviiie siècle

Carte 9Le domicile des forestiers autour des forges de Verrières et de Goberté dans la seconde moitié du xviiie siècle
  • 47 Ainsi à Pressac (forêt d’Availles 1780-1783), la Chapelle-Bâton (bois des Verges et des Chevreaux (...)
  • 48 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Couhé.
  • 49 Deux-Sèvres, arrondissement de Parthenay, chef-lieu de canton.
  • 50 Maine-et-Loire, arrondissement de Saumur, canton de Baugé.
  • 51 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Charroux.
  • 52 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Couhé.
  • 53 Le Bignon-du-Maine, Mayenne, arrondissement de Laval, canton de Meslay-du-Maine.
  • 54 C’est le cas d’Antoine Germain, maître fendeur, inhumé à Anché le 20 décembre 1789, décédé aux « l (...)

22S’agissant des fendeurs, le problème est encore différent. La qualité survit dans les sources et reste l’apanage, pour l’essentiel, de vieilles lignées forestières nomades. Mais celles-ci semblent avoir été bien moins unanimement touchées par la sédentarisation. A l’extrême fin du xviiie siècle, on repère toujours dans les registres les coupes où se fabrique le bois d’ouvrage47 alors que celles où se cuit le charbon sont devenues invisibles. Ce qui signifie qu’une bonne partie des fendeurs, contrairement aux charbonniers et voituriers qui séparent désormais lieu de travail et lieu de résidence, continuent à se déplacer en bandes, de chantiers en chantiers, avec toute leur maisonnée. Sur les carreaux d’abattage sont à l’ouvrage des familles déjà habituées dans la province comme les Veau ou les Léger. Mais l’immigration se poursuit : à Vaux-en-Couhé48 en 1788, dans le bois de la Morsière, arrivent deux fendeurs étrangers, originaires l’un des environs de Moncoutant49, l’autre du Guédéniau50 en Anjou. Tous deux se marient avec la fille ou la veuve d’un confrère, poitevin de plus longue date. A La Chapelle-Bâton51 en 1780, les fendeurs viennent du Périgord ; à Anché52, en 1791, l’équipe bénéficie du renfort de René-François Gaudin, « maître fendeur de bois (...) de la paroisse du Bignon53, district de Laval, département de la Mayenne ». Tous ces ouvriers vivent dans des loges, au cœur de la forêt, dans un environnement si peu humanisé que le curé doit parfois préciser qu’il dépend bien de sa paroisse54. Beaucoup sont aussi qualifiés de bûcherons, ce qui prouve bien que les fendeurs ne recouraient pas à une main d’œuvre spécifique et extérieure pour abattre les arbres et que certains d’entre eux étaient bien aptes à coucher la futaie.

23Si le peuple nomade des forêts subsiste donc à la fin du siècle des Lumières, c’est avant tout grâce aux fendeurs. Ceux-là se singularisent encore et toujours pour la même raison : leur indépendance vis-à-vis de la forge. Charbonniers et voituriers parient sur la pérennité de l’établissement métallurgique dévoreur de combustible et finissent par poser leurs bagages à proximité. Le fendeur n’a pas lui ce point de repère fixe pour projeter son devenir et comme ses forêts ne sont plus celles du charbonnier, leurs routes commencent à diverger inexorablement. Seul le premier sillonne encore le pays, au gré de la localisation capricieuse des coupes et de l’offre d’emploi. Tous les fendeurs ne subissent néanmoins pas cette précarité démodée : les plus anciens lignages ont fini par adopter une solution intermédiaire qui s’apparente en fait à un semi-nomadisme.

  • 55 Charente, arrondissement d’Angoulême, canton de Ruffec.

24L’exemple de Louis-Melaine Veau et de sa descendance est sans doute le plus parlant : employé sur les chantiers de Lessac et de Brillac durant le premier tiers du xviiie siècle, dans les débuts de la forge de Luchapt, Louis-Melaine Veau laisse à sa mort deux fils qui ne devaient pas quitter le Confolentais. L’aîné, Jean, part bien trois ou quatre ans travailler en Gâtine poitevine, du côté de Parthenay, mais à son retour au pays, il ne change qu’à deux reprises de domicile, chaque fois pour un chantier situé dans une paroisse voisine. Sa postérité, comme celle de son cadet Christophe, adopte un comportement similaire : une mobilité confinée dans un secteur géographique étroit et connu qui pouvait d’ailleurs ressembler à celle des laboureurs de ces contrées vouées en majorité au provisoire du bail à métayage. Dans une autre branche de la même famille, la volonté d’implantation est encore plus évidente : lorsque Marie Terrier meurt en 1783 dans son village de la Grand Maison, paroisse des Adjots55, son mari, le fendeur Pierre Veau, était occupé à son ouvrage « au château de Genouillé, paroisse de Saint-Martin ». Pierre Veau avait lui fait le choix de la résidence sédentaire, à l’écart des loges et des sous-bois, séparant sa vie de famille de ses déplacements professionnels : choix risqué car soumis aux aléas du marché de l’emploi local, mais tout de même calculé, compte tenu de la densité forestière de l’endroit.

Une ouverture accrue au finage

  • 56 Arch. dép. Vienne, minutes non classées de Pestre, notaire de la baronnie de Dienné et de Verrière (...)
  • 57 Arch. dép. Vienne, minutes non classées de Pestre, notaire de la baronnie de Dienné et de Verrière (...)
  • 58 Arch. dép. Vienne, minutes non classées de Pestre, notaire de la baronnie de Dienné et de Verrière (...)
  • 59 Il habitait le village de la Pouge de Verrières et fut choisi en 1790 par le maître des forges voi (...)

25En l’espace de trois générations, les mentalités auraient-elles changé ? Le désir de stabilité, d’attaches solides est un sentiment qui paraît s’affirmer avec plus de clarté en cette fin du xviiie siècle. Il se traduit par des mariages mixtes désormais monnaie courante, au moins pour le charbonnier et le voiturier. A Verrières ou à Millac, entre 1775 et la Révolution, ceux qui choisissent leur épouse parmi les filles du terroir sont plus nombreux que ceux qui s’en tiennent à une stricte endogamie. A l’inverse, les filles de la forêt semblent s’accorder plus facilement aux jeunes paysans des alentours (tableau 23). La restriction des possibilités matrimoniales au-delà des empêchements canoniques y est sans doute pour quelque chose. Elle n’explique cependant pas tout puisque même à Ardentes où la jeunesse des bois abonde, l’équilibre est atteint entre les unions assorties et les alliances dépareillées. Les professions des beaux-pères ou des gendres du finage, intègrent le travailleur des forêts à la population agricole (laboureurs et journaliers) mais aussi aux milieux intermédiaires des commerçants et petits notables des bourgs (boulangers, sacristains, marchands…). En épousant une fille du cru, le jeune forestier y gagne donc son insertion dans un système de relations qui lui facilite, notamment, l’accès au marché de la vente ou de la location immobilière et lui enfonce, du même coup, un peu plus les sabots dans le sol. Ce n’est pas un hasard si, autour de Verrières, à la fin du xviiie siècle, les forestiers qui louent ou achètent des terres ont quasiment tous une femme du pays. Ils négocient d’ailleurs fréquemment les contrats avec leur belle-famille comme le voiturier Jacques Etève qui, en 1784, exploite une métairie appartenant à Charles Cabanne, un proche parent de son épouse56. In fine, les droits successoraux de sa conjointe permettent à l’ouvrier des forêts de devenir propriétaire d’un petit domaine qu’il fait valoir directement ou dont il tire à son tour un fermage : gendre de Gabriel Renault, sacristain à Verrières, le voiturier Jean Martin hérite ainsi de lui en 1788 une borderie au Gasteau et une petite maison aux Pinaudries qui viennent opportunément étoffer le pauvre legs de sa mère Jeanne Barnaud, aux Loges de Civeuil57. D’une façon générale, toutefois, le mariage d’un forestier vivant en cahute avec une fille du finage l’agrège au foyer des beaux-parents. Cette hospitalité communautaire donnait à certains voituriers un train de vie qui tranche avec celui de leurs frères en baraques : François Martin qui appartient à la tribu Martin des Loges de Civeuil occupe en 1786 la demeure de son beau-père Antoine Marsault, marchand et sacristain à Lhommaizé, une belle maison de bourg comptant pas moins de cinq chambres qui abrite aussi un honorable capital mobilier58. Moins fréquente, l’alliance d’une fille de forestier dans la paysannerie locale n’est cependant pas dénuée d’intérêt pour l’époux : elle entérine son admission dans le groupe professionnel, comme lorsque le voiturier Antoine Nadeau, fils de laboureur, épouse à Mazerolles en 1789 Madeleine Martin, rejeton d’une des familles pionnières de la sylviculture poitevine. Elle propose aussi de nouveaux débouchés et sources d’enrichissement à quelques ruraux entreprenants : ainsi Gabriel Paufichet, un homme du terroir marié à une Etève qui utilise évidemment les relations de sa femme pour devenir à la fin du xviiie siècle « marchand de charbon et de bois tant dans le pays qu’en la ville de Poitiers »59.

  • 60 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de la Trimouille.
  • 61 Mairie d’Ardentes, registre paroissial de Saint-Martin, sépultures des 6 avril 1783 et 19 mars 178 (...)
  • 62 La taille moyenne du Poitevin au xviiie siècle ne semble pas avoir dépassé 1, 65 m (Houdailles (J. (...)

26La disparition des habitats provisoires de chantier, l’installation durable des anciens nomades au cœur des villages, les mariages mixtes ont aidé les deux populations à mieux se connaître et à mieux s’accepter. Le charbonnier et le voiturier ne sont plus ces étrangers qui vivent aux frontières de la sauvagerie mais des voisins comme les autres. En 1783, lorsque le curé de Verrières enterre Jeanne Barnaud, la veuve du voiturier des Loges Léonard Martin, ce ne sont pas que des parents ou des confrères de ses enfants qui entourent sa fosse : François Comte et René Pinet, deux laboureurs du village de Civeuil, font aussi partie de l’assistance. Trois ans plus tard, c’est le valet du charbonnier Louis Pouzieux, un garçon originaire de Lourouer en Berry, qui est porté en terre : là encore, quatre journaliers de Civeuil accompagnent le jeune ouvrier jusqu’à sa tombe. A Ardentes, toutefois, quelques étrangers continuent à se fondre dans la tourbe des loges et y meurent quasi anonymes, offrant ainsi à l’historien quelques esquisses de portraits : Jacques Duclos, charbonnier de 23 ans dont on ignore la patrie et le lieu de naissance est un garçon « de la hauteur de cinq pieds deux pouces, ayant les cheveux noirs et frisés », Jean Bognon, voiturier de 40 ans qu’on « croit natif de la paroisse de Liliet (Liglet60) en Poitou », mesure, lui, environ cinq pieds et a les cheveux bruns61. Deux hommes de taille moyenne62 – respectivement 1, 69 et 1, 63 mètres – qui n’évoquent ni le nain charbonnier hirsute ni le géant bûcheron musculeux de la sylve légendaire…

Tableau 23
Mixité et endogamie des mariages de forestiers à la fin du xviiie siècle

Tableau 23Mixité et endogamie des mariages de forestiers à la fin du xviiie siècle
  • 63 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de l’Isle-Jourdain.

27Des amitiés se créent, cela ne fait aucun doute. Sur elles, se bâtissent les nouveaux liens du sang. Les mariages brassent les familles et multiplient les occasions de contact entre les deux mondes. Pour autant, cette première ouverture franche à l’environnement rural, issue de la stabilisation des lignages, ne signifiait pas la fin du peuple de la forêt. Du moins pas tout de suite. Le milieu a survécu à sa sédimentation au moins une génération de plus en conservant sa spécificité professionnelle. D’un côté, les «trahisons »furentrares. Au xviiie siècle, on ne connaît qu’une seule famille de forestiers convertie en bloc aux métiers du terroir. Les deux fils de Pierre Pacta devinrent ainsi l’un sacristain à Bouresse, l’autre artisan à Persac : mais pour ces deux hommes qui ne connurent d’ailleurs quasiment pas leur père, les temps ou les lieux de la sédentarité n’étaient pas si loin : un aïeul maternel cordonnier à Saint-Savin, et surtout des cousins marchands à Adriers63, à quelques encablures de leur bourg d’élection, en rappelaient les attraits. Les autres débauchages, exceptionnels, furent strictement individuels et toujours réussis. François Etève (né en 1731), fils d’un voiturier, devint un riche marchand meunier de Lussac, Jacques Meignen (1700-1785), fils de fendeur, fut reçu notaire seigneurial à Lussac également. On ne dérogeait pas au statut des ancêtres pour rien…

  • 64 21 des 23 forestiers (essentiellement des voituriers et charbonniers) mariés en premières noces da (...)

28Il paraîtrait tout aussi logique de s’attendre à une mobilité réciproque, c’est-à-dire à des absorptions plus fréquentes d’enfants du terroir par les professions du bois et du charbon. La fin des longues équipées nomades ôtait un sérieux prétexte à la réticence des jeunes ruraux en quête d’emploi. Le phénomène d’aspiration s’est bien produit, mais il fut finalement plutôt ponctuel. Vers le milieu du siècle, quelques familles du cru, à Queaux, Bouresse, Gouex ou Usson ont appris le métier de charbonnier ou celui de voiturier, peut-être en s’engageant comme valet. Certains (Antoine Roy, Louis Mérigeau, Louis Périquiau…) sont partis à Ardentes en Berry, où une petite colonie poitevine existait vers 1730. D’autres (Sébastien Roy, Pierre Rouil, François Guion, Joseph Couvrat…) sont restés dans l’aire de Verrières-Goberté. Curieusement, autour des forges du Haut-Poitou, les professions du charbon ont continué à se renouveler plutôt par le biais de l’immigration berrichonne : les Ariat, Pacton, Pouzieux ou Laroche qui apparaissent vers Luchapt, Ruffec et Verrières dans les années 1750-1760 viennent soit du val d’Abloux, soit du val de Creuse, soit de la forêt de Châteauroux. Insistons sur un point toutefois : ces mouvements concernent surtout les charbonniers, moins les voituriers. Au moment où s’achève le xviiie siècle, les descendants des familles forestières déjà présentes à ses débuts ont atteint le sommet de la pyramide ou s’y sont maintenus : les Martin, Blanchet, Etève, Sécheret, Huet et la plupart des Ravisé sont transporteurs de charbon. Le sang neuf irrigue donc la forêt en son cœur et par la base, la réussite des uns ouvrant des espaces aux autres. Mais les flux migratoires et sociaux s’assèchent vite : la fin du siècle est marquée par une stabilité qui contraste fortement avec la mobilité des années 1750. Le temps de digérer la création de la forge de Taizé-Aizie, en 1734, et cette population ouvrière a atteint son niveau d’étiage : elle suffit à la tâche d’approvisionnement d’une industrie qui produit désormais à son rythme de croisière. Stoppés dans leur mobilité incessante, sans désir ou opportunité de quitter leur état, les charbonniers et les voituriers paraissent admettre dès lors les familles néophytes au compte-goutte. C’est un phénomène analogue qu’on observe à Ardentes dans les deux dernières décennies de l’Ancien Régime64 : le peuple de la forêt s’y reproduit à partir des mêmes souches.

La submersion finale

  • 65 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de la Villedieu-du-Clain.
  • 66 Vienne, arrondissement de Montmoillon, canton de Civray.

29Après une courte parenthèse révolutionnaire marquée par l’éclipse totale mais temporaire des forges de Goberté et de Luchapt, cette situation perdure jusqu’à la fin du Premier Empire, sinon au-delà. Les premiers recensements nominatifs, en 1836, laissent toujours les Martin, Ravisé et Pouzieux occuper le devant de la scène. Mais les indices de la fusion annoncée sont de plus en plus explicites. Le noyau des anciennes familles s’est fortement restreint, par extinction naturelle probablement, mais aussi du fait d’échanges plus nombreux avec les métiers de la terre ou de l’artisanat. Le mariage mixte s’est généralisé, le travail en forêt a happé quelques familles paysannes comme les Maupin ou les Bobin à Mazerolles, les Rousseau à Bouresse ; surtout les bois et le roulage ont déjà perdu certains de leurs plus vaillants spécialistes. Jacques Veau, fendeur de bois qui travaillait dans la paroisse de Pleuville en 1788, y meurt en 1821 dans sa maison de Vesne, garni de l’épaisse qualité de « propriétaire ». Son fils, Charles, mort trois ans avant lui, ne tranchait plus la bille au fendoir mais fabriquait des serrures. Autour de la forêt de Verrières, en 1836, on ne trouve plus un seul Huet pour voiturer de charbon, alors qu’ils étaient trois à la fin de l’Ancien Régime : l’un est cultivateur à Verrières, l’autre maréchal à Dienné65… A cette époque, la rupture définitive avec la forêt se fait, semble-t-il, toujours dans une perspective de promotion sociale mais non sans souci de maintenir le plus longtemps possible le lien avec le passé familial. Il est émouvant de constater que Jacques Veau, l’ex-fendeur rhabillé en propriétaire charentais, a tenu à marier une de ses filles avec son cousin au quatrième degré, Pierre Veau, un mérandier installé à Champniers66 dans la Vienne. Encore plus révélateurs sont les choix matrimoniaux des Huet qui ont renoncé à exercer le métier de leurs pères : Jean Huet, le cultivateur des Remiers, a épousé sa cousine germaine Marie Huet tandis que Louis Huet, le maréchal de Dienné, unit sa destinée à la fille orpheline de François Blanchet qui fut jadis voiturier de la forge de Verrières. La fermeture du terroir, si tant est qu’elle ait jamais existé, ne saurait plus alors constituer un élément d’explication satisfaisant. Tout se passe comme s’il fallait cacher le reniement dans une dernier sursaut identitaire, celui qui pousse l’expatrié à épouser son semblable, porteur de références et d’une mémoire communes. Le véritable déracinement, le véritable exil du forestier est là : lorsque son métier le prive de la nécessité de fréquenter la ramée.

  • 67 Voir Chatelain (Abel), Les migrants temporaires en France de 1800 à 1914, Lille, Presses Universit (...)
  • 68 Fer, forges et forgerons, publication collective du Musée municipal de Montmorillon, de la Société (...)
  • 69 Woronoff (Denis), Histoire de l’industrie en France du xvie siècle à nos jours, Paris, Seuil, 1998 (...)

30Encore deux décennies et tout sera consommé : le peuple des forêts formé de bric et de broc aux accents mêlés du Berry, du Maine, du Perche ou de l’Angoumois aura vécu et avec lui une certaine « foresterie ». En 18461851, les recensements n’identifient plus de charbonniers autour de Verrières. Quelques voituriers subsistent dont on ne saurait dire s’ils œuvrent vraiment pour la forge. Les fendeurs n’existent plus, probablement remplacés par des scieurs de long dont les noms n’ont rien d’exotique. Sans doute, ces sources ne rendent-elles pas compte de la France qui bouge, des migrations saisonnières qui se perpétuent67. Mais l’enseignement essentiel demeure : ce qui restait des populations forestières venues participer à l’éclosion tardive du haut fourneau en Poitou s’est irrémédiablement dissout dans la société rurale du xixe siècle. Une secousse brutale, cette fois-ci, liée à la chute importante de la production commencée dès 1815 et dont les effets ont dû être amplifiés par la fermeture définitive de la forge de Goberté en 183568. Les charbonniers et voituriers furent sans doute pris de cours par la mutation rapide de la sidérurgie française durant la monarchie de Juillet, accélérée, on le sait, par la crise du combustible végétal, trop cher et trop rare, et par la poussée du charbon de terre69. Entre 1836 et 1851, toute la petite communauté charbonnière de Chanteloup, à Mazerolles, s’est recyclée dans l’extraction de marnes. Contrairement à la précédente, cette génération-là n’a guère eu le choix : les Pouzieux, Ravisé et Martin du Second Empire devinrent tous des hommes de la terre. Les plus chanceux exploitaient leur petite propriété, les autres se contentaient d’un bail à colonage ou du maigre salaire des journaliers.

  • 70 Arch. dép. Vienne, 8Mp3/164, recensements de la commune de Millac.
  • 71 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Charroux.
  • 72 Pigenet (Michel), « Ouvriers, paysans, nous sommes… ». Les bûcherons du Centre de la France au tou (...)

31Le Poitou n’avait pas attendu l’ère de la mécanisation pour se passer de ses forestiers professionnels. La réplique du microséisme social de Verrières toucha les charbonniers et les voituriers de Luchapt avec un léger décalage : en 1861, le village des Vieilles Forges de Millac comptait encore six ménages d’ouvriers de la forêt. Seuls deux subsistaient en 1876 : les autres avaient anticipé la fermeture du fourneau voisin, unanimement absorbés par le bouillon agricole local70. La transition fut donc ici plus douce, comme autour de Taizé-Aizie où, en 1875, Jean Ravisé, charbonnier à Châtain71, a néanmoins déjà des allures d’antiquaille. Ailleurs, le peuple de la forêt résista un peu plus longtemps encore : à la veille de la Grande Guerre, dans le Cher, la Fédération Nationale des Bûcherons comptait 3 500 adhérents et jouait un rôle social et politique de tout premier plan dans les zones boisées du département, soit dans près d’une commune sur cinq72. Il restait encore bien quarante ans avant que ne s’éteignent pour de bon les cheminées des dernières charbonnières, avant que les hurlements de la scie circulaire ne chassent les crissements du « godelon » et les claquements de la cognée.

Une si pénible liberté…

  • 73 Boutet (Gérard), Les forestiers. Vieux métiers des taillis et des futaies, Jean-Cyrille Godefroy é (...)
  • 74 On retrouverait ce type de déclaration, quasiment à l’identique dans Pigenet (Michel), « Ouvriers, (...)
  • 75 cf. annexe 2.

32« La liberté est une chose au-dessus de tout » proclame un vieux charbonnier interrogé par Gérard Boutet en 198373. Si l’on en juge par la fréquence de son affirmation, il faut croire qu’une telle sensation d’indépendance existait bel et bien en territoire sylvestre74. Au point qu’un forestier d’occasion, Monsieur Alexis Quéré, en fît la brève expérience, en forêt de Quénécan, au plus fort de l’Occupation75. Sous la ramure, point d’ordre à recevoir et ses désirs pour seuls maîtres ! Versant positif d’une imagerie où les bois donnent asile aux brigands et aux fugitifs, servent d’ermitage au contemplatif, de terrain d’épreuve à la sainteté, l’expérience d’une forêt-refuge qui éponge les fureurs du monde a traversé l’Ancien Régime pour s’éteindre au cœur du xxe siècle. De nos jours encore, les témoignages d’anciens du métier participent de la construction du mythe d’un Paradis perdu. Mais pas un de ces bûcherons ou charbonniers amoureux de leur art révolu ne chercherait à duper le profane sur la réalité d’une condition sociale beaucoup moins édénique. Dans ce Paradis libertaire coulent des flots de sueur, bien peu les cornes d’abondance… La sédentarisation et l’abandon des baraquements de forêt ne manquent pas du coup d’interpeller. Comment comprendre un reniement si massif de ce qui faisait la fierté du forestier et son ultime distinction ? Avancera-t-on que la contrainte l’a chassé des bois ? L’hypothèse a le mérite de la vraisemblance : le terrain où s’établirent les Loges de Civeuil appartenait au duc de Mortemart, propriétaire de la forge de Verrières et des principales forêts des alentours, ce qui laisse naturellement penser que l’initiative de l’installation venait d’en haut. On en saisit l’intérêt. Le peuple de la forêt quitte le mystère et l’impunité des halliers et des laies pour l’espace ouvert et visible du terroir : il se place sous l’œil des autorités et plonge dans le bain émollient de populations sédentaires pacifiées. La dispersion dans les hameaux sert le même dessein patronal de contrôle social : l’accès à de meilleures conditions de logement n’étant que le prétexte tout patriarcal à la dislocation du bloc ouvrier solidaire et à l’asphyxie de ses germes séditieux.

  • 76 Robert de Beauchamp (Louis), « Instructions et mémoires concernant les fonctions des maîtres de fo (...)
  • 77 Arch. dép. Vienne, minutes non classées de Pestre, notaire de la baronnie de Dienné et de Verrière (...)

33Comme préalable à ce « grand dérangement » des forestiers du Poitou, la sédentarisation répondrait dès lors à ces objectifs policiers. Un tel point de vue néglige pourtant l’essentiel : la volonté de l’entrepreneur de stabiliser sa main d’œuvre la plus qualifiée dans l’orbite de sa forge, une nécessité d’abord d’ordre économique. « Quand on trouvera un habile ouvrier, on fera en sorte de le marier pour l’attacher au pays » préconise Louis Robert de Beauchamp76. « L’habile ouvrier », courtisé par les établissements rivaux, ne se remplace pas facilement et le patron a, de toute façon, tout intérêt à limiter au maximum les va-et-vient incessants du personnel qui perturbent l’organisation du travail et la production à plein régime de son usine. Le litige qui oppose en 1786 Michel Robert de Beauchamp, frère aîné de Louis et maître de la forge de Verrières, à son collègue de La Peyratte, Augustin Chénier, donne la mesure de cette compétition entre patrons pour débaucher ou conserver les meilleures recrues et, paradoxalement, de la marge de manœuvre restreinte des travailleurs77. Jean Martin, le voiturier des Loges de Civeuil, avait en mai 1786 acheté à crédit cinq mules à Augustin Chénier, fermier de la forge de La Peyratte. Martin ne sachant pas lire, Chénier aurait ajouté à son insu dans la reconnaissance de dettes une clause l’obligeant à « aller voiturer pour luy à la forge de La Peyratte ». A la vérité, Martin avait bien reçu de vive voix l’offre de Chénier : fortement intéressé, il s’était toutefois gardé de l’accepter avant d’avoir obtenu le consentement préalable du maître de forge de Verrières « sans lequel il ne pouvait s’obliger envers qui que ce soit, ce que le sieur Chénier n’ignoroit pas ». Portée à la connaissance de Michel Robert de Beauchamp, l’affaire semble l’avoir mis en rage. Il écrivit d’abord une lettre à Chénier l’avertissant qu’il « ne donnoit aucun consentement aux conventions conditionnelles qu’il avoit fait et qu’il le poursuivroit extraordinairement s’il passoit outre ». Chénier tenait néanmoins à ce point à enrôler Martin qu’il se déplaça jusqu’à Verrières pour tenter de faire fléchir Robert de Beauchamp. Ce dernier campa sur ses positions et en donna de bonnes raisons : « il étoit dans le plus grand besoin de ses voituriers n’ayant pas de charbons approvisionnés et ayant des bois fort éloignés ». Après avoir renvoyé Chénier bredouille à son fourneau, le maître de Verrières convoqua au château de la forge Jean Martin qu’il tança vertement non sans lui avoir renouvelé l’interdiction de quitter le secteur pour La Peyratte ou ailleurs : « il n’entend pas qu’il entreprenne de voiturer autres choses que ses charbons et d’aller au service de qui que ce soit sans son consentement ou congé de sa part ». La main d’œuvre est clairement un enjeu pour ces industriels, confrontés à sa pénurie qui vient se surajouter à celle du combustible. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que Robert de Beauchamp perdait un de ses voituriers au profit des Chénier puisqu’à cette date on retrouve parmi les transporteurs de La Peyratte, Jean Elie et Dominique-Jacques Pouzieux, tous deux natifs de Verrières et parents de Martin. Sa colère et sa fermeté s’expliquent donc aussi sans doute par la crainte que l’hémorragie ne se poursuive au fil des réseaux familiaux. Ces manifestations d’autorité montrent à tout le moins le droit que les patrons s’arrogent désormais sur le destin de leurs ouvriers et jouent pleinement en faveur de la raréfaction des flux migratoires.

  • 78 Gervais de Lafond (François), « Mémoire des observations et pétitions du district de Montmorillon  (...)
  • 79 Jahan (Sébastien), « La route des métives. Les travailleurs saisonniers des confins marchois en Lo (...)

34La sédentarisation des forestiers est toutefois un phénomène trop général et trop aisément accepté pour que l’on puisse tout mettre sur le dos de la contrainte étatique et patronale. Les intéressés eux-mêmes y trouvaient manifestement leur compte. Implicitement, on l’a vu, les dynamiques sociales internes au monde de la forêt trahissent un idéal qui tend à la réintégration des terroirs et des bourgs, à une sorte de retour aux sources villageoises. Les stratégies mises en œuvre par les hommes de bois laissent au final peu de place à leurs supposées revendications libertaires, pèsent bien légèrement face aux charmes, même modestes, de la norme sociale et matérielle de la réussite. La stabilité n’était qu’une étape, la plus facile, dans ce projet de « réinsertion ». D’une manière générale, la dispersion des forestiers en dehors de leur environnement naturel n’aboutit pas d’emblée à leur fusion dans le finage tout simplement parce que celui-ci était encore trop plein pour supporter l’ingestion. Les ouvriers sédentarisés construisaient leurs baraques puis leurs maisons, comme aux Loges de Civeuil, agrandissaient les villages comme à Chanteloup de Mazerolles. Ils continuaient aussi à pratiquer le métier de leurs pères, faute de mieux, bloqués par une conjoncture assez terne. Dans le Montmorillonnais de la fin du xviiie siècle, landes et bruyères occupaient toujours une bonne partie du terroir potentiellement cultivable78 et la précarité des ressources obligeaient les petits artisans et les journaliers à s’absenter durant la belle saison pour faucher ou vendanger dans les plaines du Loudunais et du Saumurois79. Autour de Millac et de Luchapt, dans un contexte de croissance démographique modérée, on ne voit guère quels débouchés les vertes mais ingrates collines de grandes brandes auraient pu offrir au forestier lassé de son métier. Un peu plus au nord, vers Verrières, une terre à peine moins chiche laissait-elle plus d’espaces ? Toujours est-il que la fusion s’y fit plus vite. La proximité de la ville y était sans doute aussi pour quelque chose : elle ouvrait des perspectives d’enrichissement aux charbonniers ambitieux et sensibilisait davantage la campagne aux modes urbaines.

35Ce n’est pas un hasard si les choses se précipitèrent après la Révolution et l’Empire. La saignée démographique des guerres laissait de la place dans les champs tandis que le chômage forcé des employés de Goberté et de Luchapt avait déjà dû conduire certains forestiers à s’essayer à d’autres tâches. Mais malgré les défrichements et la modernisation des campagnes poitevines, la marge restait étroite. Les charbonniers et les voituriers transformés en journaliers dans les années 1850 montrent bien que le monde rural atteignait alors les limites de ses capacités démographiques : l’exode massif approchait.

36Le nomadisme et la vie en forêt furent donc probablement subis plus que véritablement choisis. Ils tenaient pour ces travailleurs intrépides et marginaux davantage du nécessaire fardeau que de la bénédiction. D’où leur rejet dès que le marché de l’emploi et les circonstances familiales – souvent l’accession au métier de voiturier – incitaient à s’attacher à une forge. Cela ne nous empêchera toutefois pas de penser que charbonniers et bûcherons ont continué à entretenir un rapport privilégié avec leur environnement de travail tels ce dernier forestier de la forêt de Monette (anciennement Saint-Germain), près d’Abzac, que nous avons rencontré durant l’été 1998. Le vieil homme suivait d’imperceptibles chemins au milieu des halliers ; avançant sans hésiter comme s’il se fût trouvé sur un large boulevard rectiligne, il nous désignait avec précision l’emplacement des grandes coupes du siècle. Le travailleur des futaies, privé de tout autre bien, jouit de cette intimité avec une nature et un élément qui fascinent et inquiètent les autres, ceux du terroir. Un forestier n’abandonne jamais vraiment la forêt et, s’il le fait, il lui faut continuer à sentir sa présence. C’est peut-être le sens de ces mariages de transfuges pourtant appuyés sur une identité du passé. Peutêtre aussi le sens du bois entassé dans le jardin du négociant Enenon qui, par le biais de la précieuse matière ligneuse, maintient encore le lien avec le peuple ancestral.

Tableau 24
Généalogie de la famille Enenon 155

Tableau 24Généalogie de la famille Enenon 155

Notes

1 Les généalogies de 26 d’entre elles figurent en annexe 4.

2 Arch. dép. Charente, 2E 5306 (Thenault, notaire de la châtellenie de Saint-Germain).

3 Lire, à ce sujet, le témoignage d’Alexis Quéré (annexe 2).

4 cf. supra.

5 Les sources livrent une poignée d’autres « valets de voiturier ». Il s’agit de Georges Cerisier, valet de Jacques Portier, décédé le 4 août 1701 à Saint-Baudel, âgé de 35 ans, de Jean Puiferand, valet de voiturier, parrain à Mailhac-sur-Benaize en 1745 puis charbonnier et voiturier entre Marche et Berry, de Jean Violet valet et domestique de Jean Martin, voiturier, décédé à Verrières 10 octobre 1751 à l’âge de 17 ans, de Michel Pisset dit « le Merle » valet voiturier de charbon, décédé à Verrières le 3 avril 1766, âgé de 32 ans. Certains restaient visiblement dans cette situation subalterne jusqu’à un âge avancé : citons le cas de Claude Servant, valet de voiturier à Mailhac, mort quadragénaire le 27 juillet 1732. Les assistants des charbonniers apparaissent aussi dans les registres paroissiaux quoique moins fréquemment : citons Louis Pouzieux, « valet de charbonnier » à Mailhac en 1746 ainsi que Jean Martin, originaire de Lourouer, « garçon » de ce même Pouzieux, charbonnier à Verrières, décédé le 6 avril 1786 à l’âge de 37 ans.

6 Arch. dép. Indre, 2E 8077, marché de service du 9 juin 1678 (Mauduyt, notaire à Saint-Gaultier).

7 Arch. dép. Cher, registre paroissial de Saint-Baudel, 1686-1687.

8 Marié à Ardentes le 10 juillet 1703 avec Marguerite Caillaud, Paul Pellicot décède à Longny-au-Perche le 2 janvier 1713.

9 Cette obligation est, par exemple, stipulée par le contrat de mariage du charbonnier Paul Audouin et de Jeanne Renard, tous deux veufs, en date du 28 juin 1689 : « est acordé que lesdits futurs nourriront et entretiendront aux despans de leur communaulté, travail et négoce, tant les enfans dudit futur que ceux de ladite future jusque à lage de chaicun quatorze et quinze ans » (Arch. dép. Indre, E 8088).

10 Marié le 18 janvier 1735 à Saint-Martin d’Ardentes avec Jeanne Ragot, Thomas Dufour apparaît comme bûcheur en 1738, puis comme dresseur en 1746 (cf. tableau Dufour en annexe). Les raisons de cette dégradation des conditions dans la famille Dufour ne sont pas connues. Le père voiturier était en tout cas vivant lors du mariage de Thomas.

11 Dumontet (Eric), La maîtrise des Eaux et Forêts de Poitiers de la Réformation à la Révolution, 1661-1790, op. cit., p. 111-112.

12 Dumontet (Eric), La maîtrise des Eaux et Forêts de Poitiers de la Réformation à la Révolution, 1661-1790, op. cit., p. 117-118. Les gages des gardes des forêts royales de la maîtrise de Poitiers plafonnèrent à environ 140 livres par an entre 1720 et 1777. A cela, s’ajoutait quelques revenus annexes (chauffage, pourcentage sur les taxes, rétributions des rapports) qui ne devaient guère dépasser les 50 livres annuelles.

13 La forge d’Abloux, sur la rivière du même nom, était située sur la commune de Saint-Gilles, Indre, arrondissement du Blanc, canton de Saint-Benoît-du-Sault.

14 Tournaire (Jacques), Les forges de Clavières, op. cit., p. 43 et Chamand (Paul), Forges de Verrières, op. cit., p. 42.

15 Dominique Martin, « commis des forges d’Ardentes » est baptisé à Ambrault le 12 octobre 1695, fils de Pierre Martin, fendeur, et d’Antoinette Lierré. Marié avec « demoiselle » Catherine Chailloux, il décède à Ambrault le 30 avril 1731. Son frère Pierre, « commis de Clavière » en 1717 avait épousé Anne Lebapteux.

16 Arch. dép. Indre, 2E 3251 (Rouet, notaire à Ardentes, 31 juillet 1667).

17 Indre, arrondissement de Châteauroux, canton d’Ardentes.

18 La famille Jourdain est originaire des paroisses de Balzème et de Baudres.

19 Arch. dép. Mayenne, 3E 29/69, 313 décembre 1671 (De Mongodin, notaire à Placé).

20 Dans le ressort de la maîtrise de Poitiers, le prix l’arpent de bois, rarement supérieur à 50 livres avant 1750, s’envole littéralement dans la seconde moitié du xviiie siècle pour atteindre les 200 livres en 1773. La cause essentielle en est la raréfaction de la matière ligneuse, face à une demande toujours croissante (Dumontet (Eric), La maîtrise des Eaux et Forêts de Poitiers de la Réformation à la Révolution, 1661-1790, op. cit., p. 171-174).

21 C’est le milieu d’origine des marchands de bois du Bas-Poitou (Legal (Pierre-Yannick), Bois et forêts en Bas-Poitou. xviiie siècle. Contribution à l’histoire administrative et sociale, Thèse de Doctorat, Université de Nantes, p. 360) mais aussi du Morvan (Rolley (Francine), « Entre économie ancienne et économie de marché. Le rôle de la parenté dans le commerce du bois au xviiie siècle », dans Annales de Démographie historique, 1995, p. 79).

22 Arch. dép. Vienne, E 4/24/173, inventaire après décès du 3 décembre 1784 (Bourbeau, notaire à Poitiers) et Dumontet (Eric), La maîtrise des Eaux et Forêts de Poitiers de la Réformation à la Révolution, 1661-1790, op. cit., p. 208.

23 Entre 1780 et 1790, sur 17 inventaires après décès d’officiers de justice poitevins seul un dépassait les 15 000 livres (Gautreau (Agnès), Les officiers de justice poitevins d’après les inventaires après décès, 1740-1750, 1780-1790. Essai d’ethnohistoire, mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Poitiers, 1980, p. 14).

24 Les parents de Marie-Anne Ressouge sont Louis Ressouge et Françoise Desmousseaux, des artisans fort pauvres de la petite ville de Lussac.

25 Le marchand de bois, Jacques Pillon dit « Gaucher », s’est installé à Poitiers vers 1731. Il résidait auparavant à Gençay et pourrait appartenir à une famille de Verrières ou des environs également représentée par le fendeur de bois, Joseph Pillon, domicilié à Usson entre 1725 et 1731. Décédé dans la paroisse SainteRadegonde de Poitiers le 6 octobre 1744, Jacques Pillon laissait une modeste fortune mobilière évaluée à 2 689 livres 8 sols (Arch. dép. Vienne, E 4/27/297, Charraudeau, notaire à Poitiers, inventaire après décès du 26 janvier 1748).

26 C’est l’actuel quartier des Dunes et de la Pierre-Levée.

27 Ancienne paroisse rattachée à la commune de Vernon, Vienne, arrondissement de Poitiers, canton de la Villedieu-du-Clain.

28 D’après l’inventaire établi à partir du 15 octobre 1783 après le décès de Renée Pillon, sa femme (Arch. dép. Vienne, E 4/13/120, Cuisinier, notaire à Poitiers).

29 Il s’agit de trois petits bois situés dans les paroisses de Morthemer et de Salles-en-Toulon (paroisses aujourd’hui réunies dans la commune de Valdivienne, Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Chauvigny) : la Chagneraye, le Peux, Fressines.

30 Ce bois est situé sur la paroisse de Quinçay (Vienne, arrondissement de Poitiers, canton de Vouillé).

31 Vienne, arrondissement de Poitiers, canton de Lusignan.

32 Vienne, arrondissement de Poitiers, chef-lieu de canton.

33 C’est ce qui ressort d’un livre de compte du Grand Séminaire de Poitiers où Louis Enenon apparaît comme fournisseur de la maison jusqu’en 1786. Un dénommé Ranger, de Verrières (probablement Antoine Ranger, marchand à Verrières, remarié en 1783 avec la veuve de Sylvain Laroche, charbonnier) lui succède de 1786 à 1788, date à laquelle le relais est pris par Enenon fils (Barbier (Christian), « Le Grand Séminaire de Poitiers et les métiers avant la Révolution », Le Picton, n° 141, mai-juin 2000, p. 57 d’après Arch. dép. Vienne G 443).

34 Voir l’exemple éclairant de la dynastie notariale des Bourbeau dans Jahan (Sébastien), « Notaires et notables poitevins : la dynastie Bourbeau xvie-xixe siècles », dans Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 108, 2001, n° 1, p. 53-69.

35 Massé (Pierre), « Pierre-François Piorry. Conventionnel et magistrat (1758-1847) », dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 4e série, t. ix, 1965, p. 21.

36 L’ensemble de l’îlot, comprenant l’église, les bâtiments conventuels, les jardins et les cours était estimé 21 500 livres (Roman (Jean), La Banque de France à Poitiers, Xérus, 1998, p. 82-83).

37 Arch. dép. Vienne, E 4/13/128, cession du 9 novembre 1791 (Cuisinier, notaire à Poitiers).

38 Sur ces épisodes, voir Massé (Pierre), « Pierre-François Piorry. Conventionnel et magistrat (1758-1847) », op. cit., p. 21-22, 64. Le 23 août 1793, François Enenon s’associe avec son frère marchand de bois, Jacques Guibert, beau-frère de ce dernier, et l’avoué Curieux pour fournir des chevaux aux armées (Arch. dép. Vienne E 4/13/130, maître Cuisinier, notaire à Poitiers).

39 Arch. dép. Vienne E 4/13/120, acte du 21 octobre 1783 (Arch. dép. Vienne, E 4/13/120, Cuisinier, notaire à Poitiers).

40 La famille disparaît de Poitiers, comme elle y était arrivée subitement sous le premier Empire. En 1846, un François Enenon vivait en célibataire avancé, en compagnie de trois domestiques, dans son logis de la Chafauderie, commune de Mazerolles, non loin des forêts de l’aïeul.

41 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Lussac-les-Châteaux.

42 Arch. dép. Vienne, minutes non classées de Pestre, notaire de la baronnie de Dienné et de Verrières, licitation du 7 mars 1784. Les biens furent mis à prix 250 livres et enchéris à 350 livres par un des fils, Jean Martin, qui en demeura le propriétaire.

43 Arch. dép. Vienne, minutes non classées de Pestre, notaire de la baronnie de Dienné et de Verrières, partage des biens des feux François Touchard et Marie Bonnet, 15 mars 1789.

44 Arch. dép. Vienne, 2U/402 pièce n° 27, 8 mars 1814, conciliation entre Jean et Louis Verret et Pierre Paquet, marchand à Lussac. Fils de laboureur et descendants d’une ancienne famille paysanne de Mazerolles et des environs, les frères Verret avaient cependant un oncle charbonnier, Pierre Verret, signalé à Bussière-Poitevine à la fin du xviiie siècle.

45 Arch. dép. Charente, registre paroissial des Adjots (1723-1793) : en 1786, le charbonnier René Lerouge habite les Loges de la forêt ; le 7 avril 1790, est enterré Jacques Bonnin, « charbonnier dans la forêt de Ruffec ».

46 Comme dans cette information de mars 1783 où deux bûcherons, Pierre-Gabriel Patureau et Jean Potet sont appelés à témoigner dans une affaire litigieuse entre marchands de bois (Dumontet (Eric), La maîtrise des Eaux et Forêts de Poitiers de la Réformation à la Révolution, 1661-1790, op. cit., p. 206-207 d’après Arch. dép. Vienne B 72).

47 Ainsi à Pressac (forêt d’Availles 1780-1783), la Chapelle-Bâton (bois des Verges et des Chevreaux 1780-1781), Vaux-en-Couhé (bois de la Morsière 1788), Anché (bois des Coussières 1789-1792), Marnay (1789-1790).

48 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Couhé.

49 Deux-Sèvres, arrondissement de Parthenay, chef-lieu de canton.

50 Maine-et-Loire, arrondissement de Saumur, canton de Baugé.

51 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Charroux.

52 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Couhé.

53 Le Bignon-du-Maine, Mayenne, arrondissement de Laval, canton de Meslay-du-Maine.

54 C’est le cas d’Antoine Germain, maître fendeur, inhumé à Anché le 20 décembre 1789, décédé aux « loges du bois des Coussières dans la partie qui est de cette paroisse et qui confronte au chemin comme l’on va de Champagné-Saint-Hilaire à Vivonne à gauche ». Le curé Bernardeau rajoute ensuite cette note : « on distingue le bois des Grandes Coussières d’avec celuy des Petites Coussières. Toutes les Petites Coussières sont dans la paroisse de St Martin d’Anché, avec une partie des Grandes, et c’est la plus petite partie ; l’autre partie, qui est la plus grande, est de la paroisse de Marnay. C’est le chemin de Champagné-Saint-Hilaire à Vivonne qui sépare les deux paroisses. Ce qui donne lieu à cette notice, c’est la couppe du bois des Grandes Coussières en la présente année 1789. On y a bâti plusieurs loges ; les unes se sont trouvées dans la paroisse d’Anché, les autres dans celle de St Pierre de Marnay ; chaque curé respectif a reconnu sans contestation celles de son distric, ce que j’assure sincère et véritable ».

55 Charente, arrondissement d’Angoulême, canton de Ruffec.

56 Arch. dép. Vienne, minutes non classées de Pestre, notaire de la baronnie de Dienné et de Verrières, ferme d’une métairie à Morne, paroisse de Queaux, 23 août 1784.

57 Arch. dép. Vienne, minutes non classées de Pestre, notaire de la baronnie de Dienné et de Verrières, partage Renault, 2 mars 1788.

58 Arch. dép. Vienne, minutes non classées de Pestre, notaire de la baronnie de Dienné et de Verrières, inventaire après décès de Marie-Anne Marsault, femme de François Martin, 16 novembre 1786. L’estimation totale des meubles se monte à 7 038 livres 11 sols, dettes déduites. Sur cette somme, la part la plus considérable revient évidemment aux 33 mules de François Martin, « équipées de leurs bas, brides, sacs, pochettes et cordes » et évaluées 4 000 livres.

59 Il habitait le village de la Pouge de Verrières et fut choisi en 1790 par le maître des forges voisines pour expertiser cinq arbres dans le bois des Terriers (Arch. dép. Vienne, minutes non classées de Pestre, notaire de la baronnie de Dienné et de Verrières, visite du 2 janvier 1790).

60 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de la Trimouille.

61 Mairie d’Ardentes, registre paroissial de Saint-Martin, sépultures des 6 avril 1783 et 19 mars 1784.

62 La taille moyenne du Poitevin au xviiie siècle ne semble pas avoir dépassé 1, 65 m (Houdailles (J.), « Les miliciens poitevins et charentais en 1705 », Population, n° spécial « Démographie historique », novembre 1975, p. 247-252).

63 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de l’Isle-Jourdain.

64 21 des 23 forestiers (essentiellement des voituriers et charbonniers) mariés en premières noces dans l’église Saint-Martin d’Ardentes entre 1775 et 1784 avaient un père du même état ; les deux autres étaient fils d’un travailleur des forêts exerçant une autre spécialité.

65 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de la Villedieu-du-Clain.

66 Vienne, arrondissement de Montmoillon, canton de Civray.

67 Voir Chatelain (Abel), Les migrants temporaires en France de 1800 à 1914, Lille, Presses Universitaires, 1976, 2 vol. et Corbin (Alain), Archaïsme et modernité en Limousin au xixe siècle, Paris, M. Rivière, 1975.

68 Fer, forges et forgerons, publication collective du Musée municipal de Montmorillon, de la Société Archéologique et Historique du Montmorillonnais et de l’Association pour la Création d’un Ecomusée en Montmorillonnais, 1986, p. 36.

69 Woronoff (Denis), Histoire de l’industrie en France du xvie siècle à nos jours, Paris, Seuil, 1998, p. 200-201, 211-217.

70 Arch. dép. Vienne, 8Mp3/164, recensements de la commune de Millac.

71 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Charroux.

72 Pigenet (Michel), « Ouvriers, paysans, nous sommes… ». Les bûcherons du Centre de la France au tournant du siècle, op. cit., p. 284.

73 Boutet (Gérard), Les forestiers. Vieux métiers des taillis et des futaies, Jean-Cyrille Godefroy éditeur, s.d., p. 79.

74 On retrouverait ce type de déclaration, quasiment à l’identique dans Pigenet (Michel), « Ouvriers, paysans, nous sommes… ». Les bûcherons du Centre de la France au tournant du siècle, op. cit., p. 65 et Jolas (Tina), Zonabend (Françoise), « Gens du finage, gens du bois » dans Jolas (Tina), Pingaud (Marie-Claude), Verdier (Yvonne), Zonabend (Françoise), Une campagne voisine. Minot, un village bourguignon, op. cit., p. 56.

75 cf. annexe 2.

76 Robert de Beauchamp (Louis), « Instructions et mémoires concernant les fonctions des maîtres de forge à fer et de leur commis », 1774, texte cité dans Chamand (Paul), Forges de « Verrières », op. cit., p. 201.

77 Arch. dép. Vienne, minutes non classées de Pestre, notaire de la baronnie de Dienné et de Verrières, convention du 24 août 1786.

78 Gervais de Lafond (François), « Mémoire des observations et pétitions du district de Montmorillon », chapitre 5 § 12, texte publié par Louges (Jean-Jacques), Tableau du Montmorillonnais aux débuts de la Révolution 1791-1792, Montmorillon, 1989.

79 Jahan (Sébastien), « La route des métives. Les travailleurs saisonniers des confins marchois en Loudunais (xviie-xviiie siècles) », à paraître dans les Bulletins du Groupe de Recherches Historiques et Archéologiques de l’Isle-Jourdain, n° 11, 2001 et Cochon de Lapparent (Charles), Description générale du département de la Vienne, an x, texte édité et annoté par Jean-Marie Augustin, La Crèche, Geste éditions – Poitiers, Faculté de Droit et des Sciences sociales, 2 000, p. 68.

Table des illustrations

Titre Tableau 18La mobilité sociale dans les lignages forestiers
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Titre Tableau 19Mobilité sociale et curatelle. L’exemple de Maurice Depasse
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Titre Tableau 20Mobilité sociale et remariages. L’exemple de Mathurin Allet
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Titre Tableau 21Les connexions familiales entre marchands et fendeurs de bois autour de la forêt de Châteauroux
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Titre Tableau 22Les charbonniers installés à Poitiers au xviiie siècle
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Titre Carte 9Le domicile des forestiers autour des forges de Verrières et de Goberté dans la seconde moitié du xviiie siècle
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Titre Tableau 23Mixité et endogamie des mariages de forestiers à la fin du xviiie siècle
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Titre Tableau 24Généalogie de la famille Enenon 155
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