Le peuple de la forêt
| ,Un monde de la route
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Paysages onomastiques
1Dans le chaos des existences clairsemées au fil des pages, le registre paroissial organise un semblant de régularités. C’est d’abord l’enchaînement sacramentel : d’un acte à l’autre, des formules indifférentes et répétitives déroulent en accéléré le cycle de vie des individus et du renouvellement de la communauté. C’est ensuite la paradoxale épaisseur des noms qui renvoient l’image d’un monde aux coordonnées immuables. Noms de métiers, de lieux, de personnes, toutes ces fines traces des hommes et de leur activité sont autant d’éléments de contexte qui englobent la temporalité saccadée des naissances et des morts dans la continuité des lignages, de l’habitat et des traditions.
- 1 Charente, arrondissement de Confolens, canton de Confolens Sud.
2Il arrive parfois que la monotonie de ce paysage soit rompue par l’intrusion de noms incongrus. Ainsi, à Abzac1, entre 1719 et 1731, les Chamaillard, Chabenat, Tavenne, Depasse et Dudroit sonnent exotiques à l’oreille charentaise familière des Germaneau, Bugeon et autres Duqueroy… Ce sang nouveau anime la paroisse d’occupations insolites : voituriers, charbonniers, fendeurs et bûcherons viennent élargir la pauvre gamme des besognes rurales. En dehors du terroir, des lieux habituellement vides se peuplent. La forêt, exploitée, se transforme en chantier. Elle est habitée, aussi : sur la marge du registre, le curé signale qu’il s’agit d’un baptême ou d’une sépulture « de la Forêt », devenue un lieu-dit parmi d’autres.
3Cette irruption d’une population étrangère à la paroisse, aux professions inusitées, a provoqué l’interrogation originelle d’où est issue cette enquête : qui étaient ces gens ? En premier lieu, il fallait analyser au plus près ce chantier fortuitement repéré, essayer d’en localiser d’autres, reconstituer des destinées en se fondant sur les seules sources des registres paroissiaux. Aride travail d’arpenteur, indispensable pour estimer l’ampleur des déplacements accomplis et déceler l’existence ou non de flux migratoires dominants.
Des vagues successives

b : Baptêmes ; m : Mariages ; s : Sépultures
Graphique 1
Les ouvriers de la forêt dans les registres paroissiaux d’Abzac (1719-1731)
4Le chantier n’est pas un ensemble constitué une fois pour toutes. Il naît, grandit, décline et s’éteint (graphique 1). Son évolution inclut des rythmes naturels : des hommes et des femmes y meurent, des enfants y viennent au monde. Mais ce sont surtout les mouvements migratoires qui reflètent le mieux son processus vital. A Abzac, la forêt s’anime durant l’hiver 1719 avec l’arrivée d’un premier noyau d’ouvriers formé autour des frères Paulet et de Jean Genet. Dès la deuxième année, une nouvelle vague de travailleurs marque l’intensification de l’activité. L’immigration alimente ensuite au coup par coup le chantier : chaque saison de coupe voit surgir de nouveaux visages. Leur moindre fréquence annonce les derniers coups de hache tandis qu’en contrepoint, le nombre des départs augmente. La population culmine en 1721-1722. Des voituriers disparaissent après une seule année de charroi. Les pionniers de 1719 s’évanouissent à leur tour vers 1725, des charbonniers comme Louis Mathé ou René Charpentier vont construire leur meule ailleurs, avant de revenir cuire les dernières cordes. Ce remous continu scande le cycle saisonnier de la forêt et, en se superposant aux allées et venues quotidiennes des voituriers, lui donne pour un temps l’allure d’une cité végétale, bruissante d’agitation et de rumeur.
Le mystère des origines
- 2 Charente, arrondissement de Confolens, canton de Confolens Sud.
- 3 En fait Lourouer-les-Bois, aujourd’hui commune du Poinçonnet, Indre, arrondissement de Châteauroux (...)
- 4 Probablement Suris, Charente, arrondissement de Confolens, canton de Chabanais.
- 5 Vienne, arrondissement de Châtellerault, canton de Dangé.
- 6 Les huit indications de provenance concernent les personnes suivantes : Pierre Chevalier, « de la (...)
- 7 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Chauvigny.
- 8 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Gençay.
- 9 Vienne, arrondissement de Montmorillon, chef-lieu de canton.
5Dans l’immuabilité apparente du paysage, ces affleurements d’existences, la plupart du temps sans commencement ni fin, interrogent l’observateur. D’où viennent-elles ? Où échouent-elles ? Le désir de les suivre se heurte aux silences des sources. Le prêtre desservant d’Abzac, ne livre aucun renseignement sur la provenance des ouvriers qui fréquentent la forêt de Saint-Germain. En revanche, le voisin d’Oradour-Fanais2 se montre un peu plus prolixe lorsque certains éléments du chantier empiètent sur son territoire. C’est ainsi que Nicolas Lerouge, charbonnier et voiturier décédé en 1720 au lieu-dit Marcillac, serait « natif de la paroisse de Louroy3, diocèse de Bourges » ou que François Reynaud, bûcheur, marié la même année, prétend être « originaire et sorti depuis longtemps de la paroisse de Seuris »4. Les autres chantiers, peu à peu mis à jour par nos dépouillements initialement tâtonnants, proposent une réalité similaire. Quelques décennies auparavant, aux confins du Poitou, de la Touraine et du Berry, l’exploitation de la forêt de la Guerche avait aussi nécessité l’apport d’une main d’œuvre entièrement extérieure. Pour l’essentiel les aires de son recrutement ne sont pas signalées : le curé de Leugny5 n’identifie l’origine que de huit des 40 forestiers employés à produire bois d’œuvre et combustible6. Ces huit indications sont, on le pressent, d’autant plus précieuses que la norme est partout ailleurs au mutisme : on n’apprend pas grand-chose des antécédents du personnel des chantiers poitevins de la fin du xviie siècle (Lauthiers7, Saint-Secondin8, Lussac-les-Châteaux9), hormis la circulation des hommes entre les forêts mises en coupe qu’induit la récurrence des noms. En définitive, chaque fois qu’un curé ou qu’un vicaire nous offre une de ces trop rares indications d’origine, cela s’applique à des individus isolés ou aux premiers éléments d’un groupe : c’est le cas à Leugny où les huit indications de provenance se placent dans les trois premières années (1685-1687) d’un chantier qui s’étendit au total sur huit ans. De la même façon, le caractère récent d’une installation n’est signalé qu’à propos des pionniers.
- 10 Charente, arrondissement de Confolens, canton de Confolens Nord.
6Jean Veau et Louise Mathé qui font baptiser leur fille Marguerite à Lessac10 en juin 1739 sont « établis dans Vielleforêt depuis près d’un an ». André Daunay épouse à Lussac le 20 octobre 1688 Jeanne Moreau en présence de parents et d’amis « tous de cette paroisse depuis six mois ». Ces remarques disparaissent ensuite, dès lors que le peuplement de la forêt se banalise et perd de sa curiosité : même pour les nouvelles arrivées, le curé n’éprouve pas le besoin d’ajouter quoique ce soit aux formules traditionnelles. Le statut d’étranger ne s’applique pas à l’individu en tant que tel mais bien à son isolement dans le cadre d’accueil. Seuls les éclaireurs sont étrangers et donc parfois identifiés ainsi dans la mesure où aucune instance collective, familiale ou professionnelle, ne peut a priori les reconnaître et les absorber. Les suivants ne le sont plus car ils peuvent automatiquement s’insérer dans le tissu social constitué par leurs devanciers. Si les ouvriers de la forêt de Saint-Germain mariés à Abzac sont « de la paroisse », ils sont aussi « de la forêt ». La formule situe d’emblée les forestiers dans un espace paradoxal : ils font partie de la communauté mais sont cantonnés dans ses marges.
Les trajets
- 11 Pour le détail de ces itinéraires, se reporter à l’annexe III.
7Un tel paradoxe est d’abord le fruit de l’instabilité. Les forestiers sont des migrants et leur trajet emprunte donc des sentiers pour l’instant obscurs. Pour reconstituer les parcours, deux solutions s’offrent. La plus évidente est d’utiliser ces quelques indications de lieu de naissance ou de provenance dont on vient de souligner le caractère exceptionnel. A cela, il faut ajouter d’autres insuffisances. La mention « natif de » étant parfois portée à l’occasion d’une sépulture, la vie d’un personnage s’en trouve balisée à ses extrémités mais demeure inconnue dans ses éventuelles étapes intermédiaires. Quant à celui qu’on présente comme « venu de », on n’a guère la possibilité de remonter la filière au-delà de son précédent chantier où la piste s’égare à nouveau. Pour percer ce mystère des origines, il est nécessaire de recourir à d’autres outils : les relevés nominatifs de registres paroissiaux que la plupart des cercles généalogiques de l’Ouest ont mis à la disposition du public ont par exemple permis de pressentir l’existence de « provinces-sources ». Des noms comme Chabenat ou Monbruneau apparaissent comme clairement berrichons, d’autres comme Lerouge, Depasse ou Vavasseur évoquent plutôt le Maine et la Normandie… En revanche, il est bien sûr beaucoup plus difficile de faire parler une foule de patronymes comme Charpentier, Bertrand, Mathé, Petit ou Martin, dépourvus d’une quelconque estampille régionale. Pour retrouver ceux-là, comme pour retracer l’itinéraire de tous, la meilleure méthode est encore la plus aléatoire : le sondage systématique des paroisses forestières autour du dernier chantier repéré. C’est dans cette limite que joue ensuite le hasard. Car un individu n’étant jamais vraiment là où on l’attend, l’enquête ne peut être que globale. Le fil se rompt continuellement et c’est en tentant d’en suivre un autre que l’on parvient à croiser de nouveau celui que l’on croyait perdu… Tout ceci ne peut, bien entendu, se classer ni se dénombrer. Chaque trajet est une histoire qu’il n’est pas question de dissoudre dans le type ou la moyenne. Le singulier impose ici son échelle d’observation et la force évocatrice de sa vérité, avant de solliciter les logiques qui lui donnent un sens11.
- 12 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Lussac-les-Châteaux.
- 13 Indre, arrondissement de Châteauroux, canton de Buzançais.
8Suivons d’abord trois fendeurs de bois (carte 2a). Né en 1663 à Bouresse12, Jean Genet apparaît pour la première fois au travail sur le chantier de Lussac en 1691. Son parcours, d’allure quelque peu « brownienne », reste cependant cantonné entre Montmorillonnais et Confolentais, de part et d’autre de la Vienne, jusqu’à sa mort en 1731. Les mêmes lieux retiennent finalement Pierre Tavenne, parti de Neuillay-les-Bois13, près de Châteauroux, en 1699 et qui, de 1713 à 1741, descend par étapes de plus en plus courtes jusqu’à Lessac, aux confins du Poitou, de la Marche et de l’Angoumois. Michel Veau, enfin, est parti vers 1736 des forêts de la Gâtine. Il fréquente quelques temps la guirlande de petits bois reliant Clain et Vienne, au sud de Poitiers, avant de s’enfoncer, en 1751 ou 1752 pour un ultime voyage, au cœur du Limousin.
- 14 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Lussac-les-Châteaux.
- 15 Haute-Vienne, arrondissement de Bellac, canton de Saint-Sulpice-les-Feuilles.
9Antoine Bérault est, quant à lui, bûcheur. Il accompagne son père à Lauthiers et se marie à Lussac en 1701 (carte 2b). Son itinéraire, plutôt capricieux, se ramène à un va-et-vient entre la Basse-Marche et les alentours de Verrières14, où il apparaît encore en 1745. Son confrère, Nicolas Lerouge appartient à la génération précédente. Natif du Maine, il est formé dans la forêt de Châteauroux vers 1675 : de là, ses oscillations en dents de scie le portent toujours un peu plus vers l’ouest. Sa trace se perd finalement à Lauthiers en 1698. Egalement bûcheron, François Pouvereau s’avance, entre 1689 et 1713, des marges méridionales de la Touraine jusqu’aux grandes brandes poitevines pour bifurquer ensuite vers Mailhac15, à la frontière de la Marche et du Berry.
- 16 Cher, arrondissement de Saint-Amand-Montrond, canton de Châteauneuf-sur-Cher.
10Observons maintenant le cas de quelques charbonniers (carte 3a). André Thibault part de Vallenay16 en 1686. Il traverse le Berry d’est en ouest pour atteindre, vers 1705, la forêt de Verrières avant de refaire une partie du chemin en sens inverse. Sa route est interrompue par la mort, en 1719, à Neuillay-les-Bois. Mathurin Monbruneau est pareillement enclin aux retours : de la forêt de Verrières où il vit en 1681 et 1682,
- 17 Indre, arrondissement du Blanc, canton de Saint-Gaultier.
- 18 Indre, arrondissement de Châteauroux, canton de Buzançais.
11gagne Chitray17, sur les rives de la Creuse, puis Vendœuvres18 vers 1688, travaille une dizaine d’années à nouveau en Poitou, et retrouve définitivement les franges nord de la Brenne. Les déplacements de Mathurin Ravisé sont en regard à peine plus désordonnés : sur près d’un demi-siècle, ils dessinent une zébrure de grande amplitude entre la vallée de la Creuse et les rives de la Charente, où le forestier vient finir ses jours en 1746.
12Nous terminons par trois trajectoires de voituriers (carte 3b). Baptisé à Château-la-Vallière, Thomas Launay accompagne sa famille à Lourouer vers 1674 et, dans les vingt dernières années de sa vie de 1701 à 1721, glisse petit à petit vers l’ouest et le sud. Mathurin Allet, élevé dans les forêts de la Mareuil et de Lussac, tend dans la même direction, à peine contrariée, en 1723, par une brève expérience en Berry. Le parcours de Jacques Chabenat est quasiment en miroir : l’homme se marie dans la Champagne berrichonne en 1715 et, après une incursion rapide en Poitou, s’évanouit autour de Mailhac près de trente années plus tard.
- 19 Vienne, arrondissement de Montmorillon, chef-lieu de canton.
- 20 Vienne, arrondissement de Poitiers, canton de Vouillé.
13Ces expériences individuelles inspirent une série de remarques. L’aspect a priori le plus spectaculaire réside dans les distances parcourues : la vie adulte s’étire dans un espace dont l’amplitude varie entre 50 et 150 km. Les trajets peuvent s’orienter de manière axiale mais, dans la plupart des cas, ils s’assortissent de mouvements rétrogrades qui témoignent de courants privilégiés entre le Berry et le Poitou et, peut-être, d’une tendance particulière à fuir l’aventure, à refuser l’inconnu vers la fin de vie. Par opposition aux âges du labeur, entre la vingtaine et la quarantaine, qui sont eux bien plus instables, la vieillesse incite, en effet, à une certaine sédentarisation. Elle écarte de la périphérie forestière et des chantiers temporaires pour rapprocher des centres métallurgiques et des sites où l’exploitation des taillis et futaies est quasiment devenue endémique. Sur leurs vieux jours, ces charbonniers, voituriers et bûcheurs se déplacent moins, s’efforçant de séjourner plus longtemps dans des lieux où le confort est sans doute moins fruste et l’accointance avec le milieu d’accueil plus franche. A ce stade de leur existence, les fendeurs, comme Jean Genet ou Pierre Tavenne, semblent plutôt opter pour une mobilité confinée, effectuant de micro-déplacements entre forêts voisines. Cette particularité pourrait bien renvoyer à l’autonomie relative de leur métier vis-à-vis des forges. Car, un autre enseignement essentiel tiré de ces itinéraires réside dans leur polarisation forte autour des sites métallurgiques : les créations industrielles les plus récentes de la région, à Luchapt vers 1706 et à Taizé-Aizie, vingt-cinq ans plus tard (carte 4), infléchissant même régulièrement les parcours des forestiers vers le sud et l’ouest. Seuls les fendeurs échappent ponctuellement à ce « ferromagnétisme ». Les pérégrinations de Michel Veau le conduisent clairement dans des zones très éloignées des forges : à Couhé19 ou à Béruges20, il travaillait sur des chantiers qui ne visaient qu’à produire du bois d’ouvrage. La même logique explique du coup la marge de manœuvre plus grande de ses vieux confrères Genet et Tavenne qui pouvaient finalement vivoter n’importe où, à fabriquer lattes et merrains. Mais, cette caractéristique du fendeur mise à part, il reste ce point commun essentiel aux ouvriers de la forêt : ceux que nous avons croisés à Abzac ou dans les grands chantiers du Poitou sont bel et bien des nomades. Sans attaches apparentes, ils appartiennent au monde des migrants permanents.
La pépinière berrichonne
- 21 La forge de Goberté est située sur la commune de Gouex (Vienne, arrondissement de Montmorillon, ca (...)
14Un chantier est donc, le plus souvent, une réunion provisoire d’expériences et d’origines disparates, un carrefour d’existences, un nœud de destinées diffuses… Il se nourrit de forêts proches qui étaient exploitées pour l’approvisionnement de la même forge. C’est par exemple le cas en 1720 à Abzac où l’essentiel des bras étaient déjà occupés dix ans auparavant à produire le combustible du haut fourneau de Luchapt qui venait d’être bâti. Mais cet enrôlement de proximité est loin d’être général. La proportion d’ouvriers voisins est ainsi beaucoup plus faible pour les grands chantiers de la décennie 1690 ouverts dans l’aire de Verrières-Goberté21. Seuls 16 forestiers sur les 76 dont on a pu retrouver les antécédents sont attestés dans les environs au cours des dix années précédentes.
- 22 Les forges du Haut-Poitou, en activité aux xve et xvie siècles ne semblent pas avoir provoqué d’im (...)
- 23 Les deux premières forêts appartenaient au duc de Mortemart, propriétaire de la forge de Verrières (...)
- 24 Le bois de Vitré a été acheté à Antoine de Réty, marquis de Vitré par Pierre Gambier, maître de fo (...)
- 25 Bossay-sur-Claise, Indre-et-Loire, arrondissement de Loches, canton de Preuilly-sur-Claise.
15Le faible recrutement endogène est ici un indicateur de l’évolution des rythmes de l’activité industrielle. Les coupes de la fin du xviie siècle en Haut-Poitou correspondent à une augmentation brutale des besoins en fonte à laquelle la main-d’œuvre fournissant sur place le combustible n’aurait pu suffire22. L’établissement de Verrières, fondé en 1665, prend en fait son envol en 1680 avec la reconstruction du fourneau à l’étang de la Forge : ce regain d’activité coïncide avec les grandes campagnes d’abattage entre 1681 et 1704 dans les forêts de Verrières, de Lussac et de la Mareuil23. Dans le même temps, en 1695, l’achat du bois de Vitré, paroisse de Saint-Secondin, par le maître de forge de Goberté y relançait la production24. C’est ce grand appel d’air qui a drainé vers le Haut- Poitou plusieurs dizaines de forestiers berrichons. Pour 53 des 109 ouvriers recensés à Lussac, Lauthiers et Saint-Secondin, la reconstitution de leur parcours ramène, en effet, au Berry, principalement dans le secteur d’Ardentes ou dans la vallée de la Creuse tourangelle, aux alentours de la forge de Bossay25. Cette proportion est encore plus forte si l’on rapporte ce nombre aux seuls 76 forestiers dont la provenance récente est connue avec certitude. La main d’œuvre berrichonne, gravitant autour des dix établissements métallurgiques que comptait la province à ce moment là (carte 4), a donc très largement contribué à extraire le Poitou de son atonie industrielle.
- 26 Indre, arrondissement du Blanc, canton de Bélâbre.
- 27 Indre, arrondissement du Blanc, chef-lieu de canton.
16En raison de quelques retours au pays et de la création de la forge de Luchapt vers 1706, la source ne s’est pas tarie à la génération suivante (tableau 1). Les travailleurs recrutés pour les trois premiers chantiers du nouveau haut fourneau se distribuent presque équitablement entre un courant méridien issu de l’aire de Verrières-Goberté et un autre provenant du Bas-Berry, particulièrement des zones d’exploitation situées aux marges poitevines, près de Mauvières26 et Bélâbre27 (Charneuil-La Gâtevine). Encore vers 1725, passent ou meurent à Abzac six ou sept ouvriers venus du bassin de l’Anglin. Ce chantier, en forêt de Saint-Germain, se situe pourtant dans la foulée du lancement d’un site métallurgique qui tourne alors à sa vitesse de croisière et entraîne dans sa sphère un nombre déjà conséquent de bras. Il n’en nécessite pas moins de constants réajustements d’effectifs, liés à une demande de compétences spécifiques. Dans ce cas précis, les carences concernent exclusivement les charbonniers et les voituriers, appelés du Berry, où leur présence est devenue fort commune.
Tableau 1
La provenance du personnel des principaux chantiers de coupe pour la forge de Luchapt entre 1706 et 1731

- 28 Haute-Vienne, arrondissement de Bellac, canton du Dorat.
- 29 Le Confolentais et la haute vallée de la Charente semblent avoir en partie nourri la première expl (...)
- 30 Les forges de Montizon (commune de Roussines, Charente, arrondissement de Confolens, canton de Mon (...)
- 31 Baptême le 27 mars 1698 de Pierre Pantignon, fils de François et de Marie Rizat (reg. paroissial d (...)
- 32 L’origine du personnage n’est pas connue avec certitude, mais son patronyme situe vraisemblablemen (...)
- 33 Deux-Sèvres, arrondissement de Parthenay, canton de Thénezay.
- 34 Eure, arrondissement d’Evreux, chef-lieu de canton.
- 35 Eure-et-Loir, arrondissement de Dreux, chef-lieu de canton.
- 36 Autre forestier travaillant pour les forges du val de Vienne, Jean Moreau, charbonnier « du diocès (...)
17Ce foyer, très majoritaire, n’est cependant pas exclusif. La forêt de Belleperche, en Basse-Marche, mise en coupe depuis 1670 pour le fourneau de la Perrière près de Darnac28, a ainsi fourni un nombre non négligeable de bras à l’exploitation des bois de Lussac. Il reste que le recrutement en partie berrichon des ouvriers de ce chantier d’une part, la localisation à la frontière du Poitou de la forge qu’il approvisionnait d’autre part, intègrent évidemment ce site à la grande aire picto-berrichonne du peuple des forêts. Au cœur de ce système, le Berry a d’abord massivement irrigué le Montmorillonnais qui a fini par former avec la province voisine un bassin d’échanges humains privilégiés. Cette « grande circulation » s’assortit de circuits secondaires tels que ceux mettant en contact occasionnellement le Haut-Poitou avec la Gâtine, la Marche et l’Angoumois29. Situé à la limite nord de cette dernière province, le chantier de la forêt de Saint-Germain vint ainsi réveiller l’activité forestière au-delà du cours moyen de la Vienne, dans l’orbe assombri des forges en voie d’extinction de la Charente limousine (carte 5). On a vu le cas de François Reynaud, ce bûcheron originaire d’une certaine paroisse de « Seuris » qui pourrait bien-être Suris, à quelques encablures du fourneau de Montizon30. Tout près de là, mais cette fois dans l’aire de la forge de Champlaurier, se trouve le Putiers, le village de naissance de Pierre Pantignon31, un fendeur de bois qui fit étape sur le chantier d’Abzac, en 1724 : le temps pour lui d’y rencontrer sa première femme qui l’entraîna dans le sillage du très ambulant clan Paulet et d’un autre de ses compatriotes, François Brebinaud32. Si les forêts exploitées pour la grande forge bretonne ou mancelle fournissent une bonne part de la main d’œuvre sylvicole autour de Parthenay et du site métallurgique de La Peyratte33, elles n’alimentent, en revanche, presque jamais immédiatement la population sylvestre du Poitou méridional entre 1670 et 1750. L’exception du charbonnier Pierre Cormier n’en est que plus remarquable : né en pays d’Ouche, à Breteuil34 en 1652, il apparaît une dernière fois dans la forêt de Senonches35 aux confins orientaux du Perche en mai 1686 et se retrouve présent sur les coupes de Lussac-les-Châteaux en 1688 et 1689 (carte 6)36.
La forêt de Châteauroux
- 37 Tournaire (Jacques), Les forges de Clavières, op. cit., p. 41.
18A l’heure où se réveille et se développe la métallurgie poitevine, le Berry forestier tout entier est en passe de devenir un vaste chantier (carte 7). Dans le dernier tiers du xviie siècle, chaque hiver de la forêt résonne des coups et des ahans du bûcheron. Des hommes et leurs familles vont et viennent entre les bois de Ruban (1661-1665), de Brenne (1680-1686, 1694-1704), de Laiguillon (1682-1684), de Loubatière (1676-1679, puis 1684-1694), le bois Robert (1691-1699), les forêts de Bommiers (1684-1703), de Bergère (1673-1685) ou de Saint-Maur (1693-1701). A la génération suivante, les espaces boisés sont habités en permanence d’une présence laborieuse sans cesse renouvelée : la forêt est colonisée. La plus importante sans doute de ces colonies fut celle qui occupa la forêt de Châteauroux et ses abords. Sa coupe avait été vendue à un bourgeois de Nantes, le 15 novembre 1666, par le Grand Condé, soucieux de refaire sa fortune après une décennie de disgrâce et d’exil. L’acte autorisait la construction de forges sur l’Indre pour absorber l’excédent de l’exploitation des bois. En 1673, le complexe industriel d’Ardentes est établi dans sa structure définitive : « la plus grosse usine sidérurgique du royaume » comprend trois hauts fourneaux dont un double à la Forge haute et trois affineries composées chacune de quatre feux et de deux marteaux. Dans la dernière décennie du xviie siècle, 2 500 hectares de coupes fournissent le combustible et mobilisent près d’une centaine d’ouvriers37.
- 38 Basville, Creuse, arrondissement d’Aubusson, canton de Crocq.
19La permanence de l’activité dans la forêt a pu favoriser la fixation de certains d’entre eux. Le fendeur Sylvain Petit ou le voiturier Louis Guinot ont trouvé autour d’Ardentes et de Lourouer un environnement suffisamment favorable pour y rester quarante ans et plus, et y finir leurs jours. Berrichons de souche, ils n’avaient cependant pas vraiment connu le nomadisme auparavant et ne firent en fin de compte que migrer entre deux cantons de la province. Pour d’autres, au contraire, la forêt de Châteauroux ne fut qu’une étape plus ou moins longue dans une vie obstinément itinérante. Les Lerouge, les Launay, les Radigué avaient, eux, croisé bien des routes et bien des rivières, suivi bien des sentes et bien des layons : ils se remirent pourtant en chemin comme si leurs jambes fourmillaient du départ, sans doute aussi pour former et encadrer là où de nouveaux chantiers sollicitaient la compétence. Ceux-là se retrouveront donc en Poitou. Quelques autres, encore, semblent adopter une logique de saisonniers : il s’agit souvent de journaliers des paroisses environnantes à qui l’abattage des arbres procure une ressource complémentaire des grands travaux agricoles de l’été. Une poignée de bûcherons auvergnats et marchois viennent également travailler en bandes pour quelques mois, laissant de ce fait leur famille au pays. Leurs traces dans les registres n’en sont que plus fugaces sauf quand la mort les arrête net, loin de leur clocher : dans le cimetière de Saint-Martin d’Ardentes, le 28 avril 1691, Raymond Carme, bûcheur « natif de Londier, paroisse de Baville38, évêché de Clermont en Auvergne » est porté en terre entouré par quatre de ses camarades, venus du même pays.
20Le personnel employé à Ardentes serait-il essentiellement berrichon ? Une tradition métallurgique ancienne, une couverture forestière et un tissu industriel denses laisseraient induire un recrutement plutôt endogène dont auraient pu largement tirer partie les populations locales. Pourtant, les informations collectées dans des registres paroissiaux toujours aussi peu bavards et dans des archives notariales en revanche plus généreuses prouvent que la forêt du Berry s’est elle-même largement nourrie de l’immigration.
Tableau 2
La provenance des ouvriers de la forêt de Châteauroux d’après les contrats de mariage passés par Rouet, notaire à Ardentes (1677-1685)

21Ardentes, notamment, recueille aux quatre points cardinaux : le sud avec l’Angoumois, l’ouest avec le Poitou, l’est avec le Haut-Berry mais aussi et surtout le nord (tableau 2). C’est, en effet, de la Touraine et du Maine, et dans une moindre mesure de la Bretagne et de la Basse-Normandie que provient l’essentiel de l’effectif non berrichon, qu’il s’agisse de bûcheurs, de voituriers ou de charbonniers. Les fendeurs, seuls, échappent visiblement à ces courants de grande amplitude. La très prolifique famille Petit puise ainsi des racines dans les zones forestières qui soulignent la frontière entre les riches plaines de Champagne berrichonne et la Gâtine de Valençay. D’autres, comme les Simonet, les Vater, les Dorsemaine ont sillonné le Haut-Berry de la Sologne au Bourbonnais avant de s’attaquer aux grumes de la forêt de Châteauroux. En tous les cas, aucun d’entre eux ne semble avoir franchi la Loire : le grand flux du Nord reste l’exclusivité des ouvriers intéressés à l’approvisionnement des hauts fourneaux.
- 39 Indre-et-Loire, arrondissement de Tours, chef-lieu de canton.
22Au début de son exploitation, des liens privilégiés ont, en particulier, existé entre le site d’Ardentes et la forge de Château-la-Vallière39, en Gâtine tourangelle. Des proches alentours de celle-ci sont en effet partis des charbonniers comme Noël Launay, les frères Chamaillard, Taude et Tiercerye, Daniel Cadou, François Royer et Mathurin Ribot, unis par des liens familiaux étroits et, pour certains, appelés à semer une postérité abondante en Berry et en Poitou. Des allées et venues étonnantes relient les deux sites pourtant distants de 160 km : Louis Chamard et René Rouland font le chemin depuis Ardentes ou Lourouer pour se marier à Château-la-Vallière et ramener, au bout de quelques mois, leur belle-famille en Berry. On sait aussi que Mathurin Launay, né, marié et mort à Château-la-Vallière, a séjourné à Lourouer quelques temps en 1677 et 1680. Qu’est-ce qui a bien pu pousser au départ ces gens installés depuis 20 à 30 ans aux marches de la Gâtine tourangelle ? Un certain essoufflement de l’activité métallurgique à Château-la-Vallière pourrait certes constituer une explication… Dans ce cas, celui-ci doit évidemment se combiner à la formidable aspiration provoquée par la création du complexe sidérurgique d’Ardentes. Il n’est pas interdit de penser que les commis aux bois ont cherché à recruter des techniciens chevronnés pour encadrer et former les équipes de pionniers. Les Cadou et Tiercerye sont manifestement les premiers tourangeaux arrivés à Ardentes. Eclaireurs plutôt jeunes, ils ont dû renvoyer vers Château-la-Vallière les quelques célibataires qui ont suscité la naissance d’une deuxième vague plus familiale, riche d’éléments plus expérimentés qui n’ont pu que contribuer à étoffer l’encadrement des métiers de la forêt.
Un grand ouest sylvo-métallurgique
- 40 Commune de Vendoeuvres, Indre, arrondissement de Châteauroux, canton de Buzançais.
- 41 Orne, arrondissement d’Alençon, chef-lieu de canton.
- 42 Mayenne, arrondissement de Laval, canton de Sainte-Suzanne.
- 43 Indre, arrondissement de Châteauroux, canton de Buzançais.
- 44 Situé sur l’ancienne paroisse d’Habilly, rattachée à la commune de Buzançais, Indre, arrondissemen (...)
23La plupart des hommes partis de Château-la-Vallière et qui achèvent leur route dans une forêt du Berry, voire du Poitou ne sont pas plus tourangeaux qu’ils étaient berrichons ou poitevins. Ils viennent du Maine et du Perche. Ces deux provinces constituent d’ailleurs sans nul doute une sorte d’arche originelle des forestiers de l’Ouest (tableau 3). Les contacts entre ces bassins sidérurgiques distants de près de 300 km remontent à la première moitié du xviie siècle comme l’atteste la présence d’un Radigué, charbonnier pour la forge de la Caillaudière40 en 1624, à coup sûr originaire des alentours de la forêt des Andaines, près de la Ferté-Macé41. Deux décennies plus tard, le 17 novembre 1648, François Blanchet, épouse à Blandouet42, en forêt de Charnie, Anne Leduc laquelle accouche l’année suivante de son premier enfant à la Chapelle-Orthemale43, près du haut fourneau de Bonneau44, en val de l’Indre. Ils rejoignaient là un autre couple de Manceaux, René Gaultier et Suzanne André, « natifs du pays de Mayenne ».
24Mais c’est cependant vers les années 1670-1690 que l’on peut véritablement parler de flux déferlant des confins armoricains. Alors viennent s’ajouter aux ouvriers qui ont transité par Château-la-Vallière, les Lerouge, Pellicot, Lesourd, Coupeau, Legras et Seigneur, sortis directement des forêts du Maine et du Perche pour peupler celles du Bas-Berry.
- 45 Orne, arrondissement et canton d’Alençon.
- 46 Mayenne, arrondissement de Mayenne, canton de Bais.
- 47 Orne, arrondissement d’Alençon, canton de Carrouges.
- 48 Orne, arrondissement d’Alençon, chef-lieu de canton.
25A l’échelle des groupes humains en mouvement, il apparaît dès lors clair que le microcosme picto-berrichon s’intègre en fait à un système bien plus vaste couvrant tout le quart nord-ouest de la France. De la souche mancelle et normande a jailli un courant nourricier qui a réveillé les forêts du pays de Châteaubriant, des Gâtines poitevine et tourangelle et du Berry dont les excédents se sont ensuite déversés sur le Poitou. La mobilité des travailleurs du bois est donc comparable à celle des ouvriers du fer qui circulent en suivant des axes sensiblement parallèles. L’observation des trajets de Zacharie Chouet témoigne de la similitude et de la simultanéité relatives des aires d’attraction. Originaire de Saint-Denis-sur-Sarthon45, en « pays de Normandie », ce forgeron s’est marié en 1668 à Saint-Martinde- Connée46, dans les Cœvrons. L’année suivante un premier enfant du couple naissait à Joué-du-Bois47, près de la Ferté-Macé. Au moins six autres devaient suivre en une bonne quinzaine d’années : trois à Château-la- Vallière entre 1671 et 1674 puis, après un long hiatus, une fille à La Peyratte en 1683, deux garçons, enfin, à Mauvières en 1686 et 1687 (carte 4). Le sang d’Etienne Luneau devait emprunter les mêmes voies, de Carrouges48 à Luchapt, sur trois générations cette fois (tableau 4).
- 49 Poitrineau (Abel), Remues d’hommes..., op. cit., p. 49-68.
26La ressemblance avec les chemins parcourus par les ouvriers des bois aboutit à dessiner une sphère d’appartenance commune à un monde de la route : une route permanente et familiale associe forgerons et forestiers et les distingue des migrants saisonniers ou temporaires qui laissent femmes et enfants au pays49. Ce parallélisme des déplacements n’a au total rien de bien surprenant dans la mesure où la chronologie de l’occupation des forêts est inséparable de celle de l’expansion du haut-fourneau. Les flux s’enfoncent ainsi toujours plus vers le sud avec quelques déviations notables : la première moitié du xviie siècle connaît un vif essor de la sidérurgie au nord de la Loire, essentiellement en Maine et en Bretagne, en liaison avec l’ouverture de la façade atlantique. Les années 1670-1690 correspondent à l’implantation de forges à proximité de grands massifs forestiers appartenant aux Condé comme ceux de la seigneurie de Senonches, de la baronnie de Châteaubriant ou du duché de Châteauroux. Enfin, entre 1680 et 1740, le tropisme s’infléchit vers le sud avec la naissance ou le développement de la métallurgie en val de Vienne puis de Charente.
- 50 Charente, arrondissement d’Angoulême, canton de La Rochefoucauld.
- 51 Commune de Sers, Charente, arrondissement d’Angoulême, canton de Villebois-Lavalette.
- 52 Forestiers et forgerons du Périgord ne viennent pas travailler au nord d’une ligne formée par les (...)
- 53 Indre-et-Loire, arrondissement de Tours, canton de Château-Renault.
- 54 Orne, arrondissement de Mortagne-au-Perche, canton de Tourouvre.
27La réalité de ce « grand ouest sylvo-métallurgique » s’inscrit dans des limites méridionales nettes puisque, en dépit de la proximité des grandes forges du centre de l’Angoumois (Rancogne50, Planchemeunier51) et du bassin métallurgique du Périgord, les contacts humains avec ce secteur sont presque nuls52. Elle s’étoffe aussi de quelques courants inverses, du nord vers le sud, qui au vrai ressemblent bien plus à des retours partiels qu’à une émigration berrichonne. A l’exception d’Antoine Comont, tous les ouvriers qui traversent la Loire en direction du nord se rapprochent en fait de leurs bases initiales ou de la contrée d’origine de leur père. Il existe aussi des va-et-vient sur de très longues distances comme celui qui, entre 1673 et 1703, mène Laurent Hénault d’Ardentes aux Hermites53, au nord de la Touraine, après d’invraisemblables détours par la Poterie-au-Perche et Leugny-sur-Creuse (carte 6). En moins d’une décennie, François Chrétien accomplit un parcours opposé mais tout aussi impressionnant puisqu’il apparaît à Senonches en 1671, à Ardentes en 1674, à Bresolettes54 enfin, au cœur de la forêt du Perche, en 1679.
Penchants migratoires
- 55 Haute-Vienne, arrondissement de Bellac, chef-lieu de canton.
- 56 Haute-Vienne, arrondissement de Bellac, canton de Mézières-sur-Issoire.
- 57 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de l’Isle-Jourdain.
28Le flux septentrional a entraîné avec lui un petit nombre d’individus nés du monde agricole. Ces arrachements au terroir sont plutôt rares en Haut-Poitou, au moins depuis la fin du xviie siècle. Les créations des forges de Luchapt puis de Ruffec n’ont d’ailleurs quasiment pas eu d’impact directement visible sur la nature des activités pratiquées par la population locale. Les chantiers de Mézières-sur-Issoire55, Bussière-Poitevine56 ou Asnières-sur-Blour57 sont intégralement peuplés d’étrangers. Parmi la cinquantaine de forestiers présents à Abzac seuls deux peuvent être considérés comme des autochtones. Jacques Jolly et Jean Bertrand sont nés dans la paroisse limitrophe d’Asnières-sur-Blour et fils de laboureur : ils y ont peut-être reçu l’enseignement d’un itinérant spécialiste lors de la première exploitation de la forêt de Plessac, entre 1708 et 1713. Deux à trois décennies plus tôt, à Lussac, Lauthiers ou Saint-Secondin, il est clair que tous les ouvriers sont aussi des gens de passage. Dans la première moitié du xviiie siècle, le flot des forestiers s’est écoulé sur la terre poitevine sans presque rien y détacher, sans jamais d’ailleurs non plus y sédimenter.
- 58 Jahan (Sébastien), « La route des métives. Les travailleurs saisonniers des confins marchois en Lo (...)
- 59 Moulin (Annie), Les maçons de la Creuse. Les origines du mouvement, Clermont-Ferrand, 1994, p. 70- (...)
- 60 En témoigne, par exemple, le marché du 2 décembre 1738 entre Jean Decressac et ses bordiers de Méd (...)
- 61 De nombreux petits exploitants ou journaliers riverains des forêts y dressent des fourneaux clande (...)
- 62 Robert de Beauchamp (Louis), « Instructions et mémoires concernant les fonctions des maîtres de fo (...)
- 63 Ibidem.
29Il est difficile, dans ces conditions de percevoir les bénéfices induits par la création d’un établissement métallurgique en terme de remède au sous-emploi. S’il est un secteur où ce problème devait exister, c’est pourtant bien sur ces confins rudes et chargés d’hommes du Poitou et de la Marche, au moins à en juger par la pratique importante des migrations qui portaient les faucheurs du Montmorillonnais vers les plaines à blé du Loudunais58 ou bien par les longs parcours saisonniers des maçons marchois en quête d’ouvrage59. La facilité avec laquelle les forestiers nomades ont pu trouver à s’employer au détriment de la main d’œuvre locale apparaît dans ces conditions d’autant plus troublante. Le travailleur des champs ne maîtrisait-il pas le maniement de la cognée60 ? Et ces multiples procédures contre des riverains de forêts coupables de carbonisation clandestine ne prouvent-elles pas que le laboureur sait aussi fabriquer du charbon61 ? Pourquoi, enfin, les saquetiers sont-ils en Poitou ou en Berry, presque toujours des étrangers, alors même que dans les villages aux alentours de la forge, un professionnel du roulage était ordinairement occupé à l’acheminement des grains ? Ajoutons enfin que l’abattage étant, contrairement à la cuisson et au transport, un labeur d’hiver, il n’entrait de ce fait pas en concurrence avec les modes d’auto-régulation traditionnels de ce secteur, fondés eux sur la migration printanière et estivale. Et quand bien même les deux options se seraient superposées, il y a tout lieu de croire que le paysan eût préféré faire l’économie de ces trajets longs et hasardeux. La demande n’était donc probablement pas nulle : c’est d’ailleurs ce que suggère le maître de la forge de Verrières lorsqu’il souligne « qu’il faut empêcher les ouvriers du pays de décourager les ouvriers étrangers de travailler dans les bois »62. Et le métallurgiste y ajoute une raison, qui n’est d’ailleurs pas propre à son siècle : « les ouvriers étrangers sont plus travailleurs et payés meilleur marché ». Ce qui signifie que le nomadisme forestier servait en fait les intérêts de l’employeur qui pouvait, dans ces secteurs où l’offre était moindre du fait d’un développement industriel faible ou embryonnaire, marchander un prix à son avantage avec des forestiers déracinés qui « ne peuvent vivre que de leur travail »63.
- 64 A.N. F14/4491.
- 65 C’est le cas d’Antoine et de René Garand ou bien de Jacques et Antoine Deseffes, pères et fils, to (...)
- 66 Par exemple Marc Baussais, journalier en 1672 et charbonnier en 1677, Antoine Laurent, journalier (...)
- 67 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Lussac-les-Châteaux.
30Du point de vue des structures sociales, il faudrait donc se résoudre à apprécier les migrations forestières en Poitou comme un épiphénomène de masse. Il semble pourtant en avoir été autrement durant les hautes eaux de la sylviculture poitevine, entre 1660 et 1700. L’idée, par exemple que la fondation de la forge de Verrières serait due à la volonté des Mortemart de « procurer du travail à la contrée »64 trouve un début de justification dans la présence de nombreux forestiers portant des noms indigènes à Bouresse et à Verrières durant la seconde moitié du xviie siècle65. Certains de ces ouvriers étaient auparavant désignés comme « journaliers »66, ce qui laisse effectivement entendre qu’une part non négligeable de la main d’œuvre locale a trouvé dans la forêt de quoi rendre moins cruel un quotidien de dénuement. Il s’agissait sans doute d’une activité auxiliaire et provisoire, jouant le rôle d’appoint qu’aurait eu le textile ailleurs. Mais d’autres hommes de la terre ont appris là à couper, à écimer, à ébrancher pour ensuite louer leurs bras sur des carreaux d’abattage plus lointains : les frères Sicard de Verrières ou Michel Bizot de Persac67 ouvrèrent pour la forge de Luchapt et, dans le cas d’Antoine Sicard, pour celle de Ruffec.
- 68 Indre, arrondissement de Châteauroux, canton de Buzançais.
31Ceux-là sont rares : la plupart n’ont quasiment jamais effectué le saut majeur que représentait l’abandon de la sédentarité. La même pesanteur casanière a été observée en Berry. Le développement industriel y a certes utilisé les potentialités humaines locales : autour d’Ardentes, des paysans ou des tisserands comme Fréreau, Chabenat ou Ragot, ont ainsi préféré vivre de la coupe du taillis. Mais aucun ne s’est vraiment converti au nomadisme. Denis Fréron, fils d’un laboureur de Méobecq68 dans la Brenne, fait partie des quelques néo-forestiers qui ont accepté le déracinement. Il a d’abord exercé le métier de bûcheron en forêt de Châteauroux avant d’être emporté dans le courant migratoire qui a nourri le renouveau de la forge de Verrières. Au bout d’une quinzaine d’années passées sur les chantiers poitevins, il revint en 1694 s’installer à Méobecq et reprendre la charrue pour ouvrir la terre ancestrale : à partir de 1700, on ne le voit plus qualifié que de « laboureur ».
- 69 Cher, arrondissement et canton de Saint-Amand-Montrond.
- 70 Indre, arrondissement du Blanc, canton de Bélâbre.
32Certains, néanmoins, sont partis pour ne plus revenir. Ils ont pris un jour le risque de se soustraire aux instances sécurisantes de la communauté paroissiale et de la famille élargie. Au marges du Berry, Mathurin Monbruneau, Jean et François Pouvereau, Claude Sécheret et bien d’autres ont accepté de se couper de leurs racines pour plonger dans l’inconnu. Comprendre leurs motivations est chose ardue. Dans certains cas, il est clair que la forêt a pu servir de filière d’évasion aux déclassés : meunier à Meillant69 en 1668, Nicolas Sécheret est ainsi brutalement ravalé au statut de simple « homme de peine » ou de journalier dans la décennie suivante. Son fils Claude, baptisé en 1670, avait sans doute peu à perdre en suivant son beau-frère voiturier, Grégoire Richard, jusqu’à la forêt de Verrières. Il y apprit vraisemblablement son métier de charbonnier et répandit dans le Poitou une copieuse postérité qui resta longtemps fidèle à la forêt. On sait encore moins comment Honoré Tireau a laissé son moulin de Prissac70 pour s’adonner au transport du charbon, mais il est indéniable que les points communs entre son ancienne et sa nouvelle activités, nécessitant toutes deux l’usage de bêtes de somme (mulets ou chevaux), lui auront facilité la transition.
33Au final, l’impression qui se dégage de la reconstitution et de l’observation d’un nombre de plus en plus important de destinées pourrait, sauf exceptions, laisser accroire l’existence au sein des populations sylvestres d’une sorte de « gène voyageur » pour les uns, de « gène sédentaire » pour les autres. Ceux qui, parmi les autochtones ont rejoint les rangs du peuple des forêts en Poitou et en Berry resteraient cramponnés à la terre où ils sont nés. Les nomades véritables, bien plus nombreux, seraient eux au contraire sujets à l’incessante titillation de l’ailleurs. Et ce pas seulement par goût ou par habitude du mouvement : ce qui symbolise la précarité pour les hommes de la terre est, pour ceux de la forêt, un de leurs atouts décisifs. La mobilité permanente permet d’échapper au marasme sans l’état d’âme de celui qui laisse quelque chose derrière lui et d’être constamment disponible aux propositions.
Les canaux de l’information
- 71 Dhorn-van Rossum (Gerhard), L’histoire de l’heure. L’horlogerie et l’organisation moderne du temps(...)
34Le départ d’un forestier est donc la plupart du temps motivé par un facteur économique simple : la recherche d’un emploi rémunérateur. Il reste sur un site tant qu’il y a du travail ou que l’ouverture de nouveaux chantiers ne l’a pas attiré plus loin. Dans cette instabilité chronique, l’attraction vaut autant, sinon plus, que la répulsion. Les grosses campagnes d’exploitation liées à l’établissement ou à la réactivation d’une forge signifient peut-être la promesse de revenus plus intéressants, sûrement celle d’une activité durable. Le déplacement vers les nouveaux bassins est une recherche de sécurité, un moyen de repousser un peu plus loin dans l’avenir les limites de l’incertain en diminuant les risques de chômage ou de sous-emploi qui caractérisent même les zones de production endémique où la concurrence technique est plus forte. En survolant les remues humaines entre la vieille forge berrichonne et les nouvelles installations poitevines dans le dernier quart du xviie siècle, serait-il abusif de penser aux premiers horlogers71 ou typographes qui vendaient leur savoir quasi exclusif à telle institution laïque ou religieuse ? Dans un contexte rural et à l’échelle de destinées plus massives, c’est bien la même logique qui s’exprime : celle d’une réputation qui repose toute entière sur la maîtrise d’un savoir-faire élaboré et spécifique. On comprendrait dans ces conditions sans peine pourquoi les forestiers n’ont pas forcément tenu à faire partager leurs compétences.
- 72 Commune aujourd’hui séparée de celle de Vautebis, Deux-Sèvres, arrondissement de Parthenay, canton (...)
- 73 Arch. dép. Deux-Sèvres, 3E 12 266 (Thoumazeau, notaire à Beaulieu-sous-Parthenay).
- 74 Belhoste (Jean-François), Pon-Willemsen (Charlotte), « La forge de la Meilleraye à la Peyratte (De (...)
35Gageons dès lors que celui qui prend la route sait à peu près où il va. En témoigne cette précieuse indication contenue dans un acte notarié du 8 janvier 1739 : René Dugenest, fendeur de bois domicilié à Reffannes72, paroisse de Vautebis y déclare être « sur le point de se transporter dans la forêt de Vouvant avec sa famille »73. Ce nomadisme n’est donc pas de l’errance. Mais le détail des contacts qui le déterminent reste obscur. A défaut de traces écrites, quelques suppositions qui ont du vraisemblable le mérite et la fragilité, peuvent être avancées. Il y a d’abord le rôle du commis aux bois. C’est à cet homme, choisi par le maître des forges pour surveiller un chantier, qu’incomberait aussi le recrutement de ces ouvriers. Comme le commis est toujours sorti du rang, il ne se prive certainement pas d’associer à un personnel embauché dans les environs immédiats d’anciens confrères rencontrés sur des sites plus lointains. Jean Berthelot, commis de la forêt de Brenne, près de Chitray en 1698, a évidemment entraîné dans son sillage des fendeurs comme André Daunay et Pierre Delalande qui furent ses collègues à Lussac-les-Châteaux entre 1689 et 1696. On pourrait aussi faire valoir les liens existant entre les gestionnaires des différents établissements métallurgiques. Entre 1692 et 1719, la forge de la Peyratte fut ainsi exploitée par des membres de la famille Gambier déjà maîtres de Verrières et de Goberté74. Pourtant, cette association financière ne semble pas induire une nette intensification des échanges humains entre les sites qu’elle regroupe.
- 75 Yoors (Jan), Tsiganes. Sur la route avec les Rom Lovara, Paris, 1990.
36De la même façon, alors qu’on a vérifié à l’échelle des masses en mouvement une similitude d’orientation entre les flux qui peuplèrent les forges et ceux qui s’enfoncèrent sous les ramures, il n’a pas été possible, en revanche, d’établir à l’échelle individuelle de corrélations déterminantes entre les déplacements d’un forgeron et ceux d’un ouvrier des bois. Le milieu forestier dispose de modes de communication et de logiques de mobilité qui lui sont propres et qu’il serait illusoire de chercher à formaliser. L’information suit la circulation continue des hommes et se colporte au gré de rencontres diverses et répétées qui peuvent tenir du hasard mais aussi d’un éparpillement familial propice à la multiplication des opportunités de contact. Il n’est pas déraisonnable non plus d’imaginer un système de relais comparable à celui pratiqué par les Tsiganes75 : des auberges, des cabarets jalonnant les routes les plus fréquentées ou voisinant les forges étaient peut-être connus pour rassembler les messages verbaux ou écrits d’une famille de passage à l’attention de proches susceptibles de venir s’y restaurer et collecter les nouvelles. Dans ces réseaux brumeux, le voiturier tient sans nul doute le rôle de principal agent de liaison. C’est aussi lui qui assure le contact quotidien entre le chantier et la forge. Ses échanges avec ses confrères acheminant le charbon des autres forêts diffusent une connaissance globale de la situation des coupes et du travail dans toute l’aire de production tandis que les conversations de tavernes entre hommes du fer renseignent, le cas échéant, sur les nouvelles créations industrielles. Il suffit ensuite d’un départ pour que cette connaissance se répercute encore plus loin.
Le château d’eau manceau
- 76 Mayenne, arrondissement de Mayenne, canton de Bais.
37Nous avons interrompu notre quête des origines au moment où les parcours des forestiers berrichons nous ramenaient massivement vers le Maine. La carte représentant les provenances des Manceaux émigrés au sud de la Loire calque de manière assez nette la répartition des principaux fourneaux en activité à l’époque (carte 8). Leur emplacement avait été choisi en fonction notamment de la proximité d’immenses domaines forestiers que de riches et puissants seigneurs comme les Guise ou les La Trémoille voulaient mettre en valeur. De façon à alimenter régulièrement la forge en combustibles, les forêts furent réaménagées, arpentées et divisées en coupes. Associée au resserrement du maillage industriel autour des espaces boisés, cette rationalisation de l’exploitation, que le renouvellement du taillis assurait en continu, engendra un phénomène similaire à celui que le Berry connaîtra près d’un siècle plus tard : la multiplication des métiers sylvestres dans les grandes forêts du Maine. Celles de la Charnie, de Sillé, de Pail, de Mayenne ainsi que les bois plus modestes destinés à l’affouage du fourneau d’Hermet, proche de Jublains76, ont abrité l’essentiel de la main d’œuvre mancelle mobilisée ensuite pour l’approvisionnement de Château-la-Vallière et d’Ardentes.
- 77 Mayenne, arrondissement de Laval, chef-lieu de canton.
- 78 Mayenne, arrondissement de Laval, canton de Chailland.
- 79 Belhoste (Jean-François), « Une sylviculture pour les forges, xvie-xixe siècles », dans Denis Woro (...)
- 80 Information communiquée par Evelyne Robineau.
- 81 Antoine (Annie), Fiefs et villages du Bas-Maine au xviiie siècle, Mayenne, 1994, p. 30-32.
38Le moment où ces hommes ont pris la route intervient au terme d’une phase de créations répétées de sites métallurgiques dans les bassins de la Sarthe et de la Mayenne, près d’un siècle après que les établissements de Chailland77 et d’Andouillé78 eurent inauguré la sidérurgie classique dans la province79. La société rurale trempait depuis lors dans le charbon et la fonte et cette imprégnation avait rendu commune la figure du paysan-forestier : certains fermiers d’exploitation de lisière avaient la charge de voiturer le combustible jusqu’aux forges et une proportion non négligeable des journaliers de la campagne vivait alternativement des coupes en hiver, des moissons en été80. Cela était vrai surtout des paroisses boisées à l’extrême nord-est du Bas-Maine qui semblent correspondre à des zones de peuplement très dense81. Le besoin d’une main d’œuvre spécialisée dans les régions où le haut fourneau faisait son apparition a sans doute constitué une aubaine pour bien des charbonniers, voituriers et bûcherons autrement condamnés à végéter dans un secteur où leur savoir-faire devenait trop partagé. Il est, à ce propos, symptomatique que plus des trois-quarts des ouvriers qui ont quitté le Maine fussent des hommes d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années, célibataires ou en couple. Même si certains, comme Jacques Couvé à Château-la-Vallière, étaient parfois accompagnés de parents plus âgés et expérimentés, on pressent bien que l’ouverture de chantiers en Touraine et en Berry a surtout mis en branle une jeunesse hardie, désireuse de trouver une issue à un monde trop plein.
- 82 Mis au point dans la région de Liège ou en Rhénanie vers le xive siècle, le procédé indirect de la (...)
- 83 Voir les tableaux Tiercerye et Couvé en annexes.
39Le fait que notre regard bute, pour remonter plus loin le cours de cette histoire, sur le tarissement de la documentation écrite au début du xviie siècle, nous empêche de connaître les mouvements de population qui sont aux sources de la sylviculture sidérurgique mancelle. D’où venaient les pionniers de la forêt de Mayenne qui fournirent le charbon à la forge de Chailland construite en 1551 ? L’observation des déplacements postérieurs semble induire une régularité : les zones où l’exploitation des forêts a atteint sa maturité déversent leurs surplus d’ouvriers sur celles où la naissance de la métallurgie classique engendrait un besoin. On ne risquerait probablement pas grand chose à parier qu’une bonne partie des forestiers manceaux puisaient leurs racines dans les Alpes mancelles, aux confins du Bocage normand où plusieurs forges avaient été établies dès la fin du xve siècle82. Cette hypothèse trouve d’ailleurs un début de confirmation dans le fait que nombre de grandes familles forestières de l’Ouest aient été représentées dans cette zone vers 1610-1620, aux lisières de la forêt de Pail. Certaines, comme les Decarie, les Berson, les Tiercerye paraissent entièrement vouées aux métiers sylvestres et pourraient donc être venues d’ailleurs au cours du siècle précédent. D’autres, comme les Ribot, les Couvé, les Grudet sont plus ramifiées et plus attachées à un terroir qui, du coup, serait aussi leur berceau83.
- 84 Un certain nombre de techniciens sidérurgistes travaillant dans le Perche ou le pays de Bray à la (...)
40Et au-delà ? L’horizon fuyant des origines nous conduirait sûrement vers le Perche ou le pays de Bray, la Champagne et – pourquoi pas ? – la Wallonie84. Mais de ce passé lointain, le flux qui coule encore en val de Vienne et de Charente à l’ère de la fonte au coke et de la sidérurgie nouvelle, ne tire qu’une infime rigole : entre temps et par les contrées traversées, des hommes se sont arrêtés, des lignées se sont éteintes, d’autres hommes ont surgi, sont sortis des parages ou de pays plus lointains. Et l’ensemble a formé le peuple de la forêt.
Identités plurielles
41Rapportée à l’expérience des individus cette quête forcenée de l’antériorité prend d’ailleurs une dimension bien singulière. De quelle origine un René Lerouge (1716-1786) peut-il donc se revendiquer ? Il a été baptisé à Mézières-sur-Issoire, en Basse-Marche où vivait la famille de sa mère, issue du monde paysan. Son père, Nicolas Lerouge (v.1675-1720) est lui natif de Lourouer, dans la forêt de Châteauroux et n’a pas quitté le Berry avant son premier mariage. Son grand-père, Noël Lerouge, était venu du Bas-Maine et avait épousé une fille originaire de Meillant, en Bourbonnais. Ce cas n’est pas isolé : le métissage provincial de ces populations était probablement sans équivalent pour l’époque et dans cette strate de la société.
42Ces antécédents pluriels entraient vraisemblablement dans la représentation identitaire de la diaspora forestière. Ils créaient à coup sûr, dans l’instabilité et le déracinement des signes multiples de reconnaissance et d’appartenance. On aura certes plus loin l’occasion de vérifier que, sur les chantiers du Poitou et du Berry, les Manceaux n’ont jamais vraiment cherché à constituer une nation : leur intégration au monde itinérant de la forêt s’est faite naturellement, les alliances répétées accélérant la dissolution des origines et la fusion du milieu. Il n’empêche que des attaches communes ne pouvaient que contribuer à établir des liens, à renouer des fils rompus dans des générations antérieures. Thomas Launay, né à Château-la-Vallière en 1658, vient mourir sur la chantier d’Abzac en 1721. Comment ne pas supposer qu’il ait ressenti une affinité particulière pour son cadet Maurice Depasse, en découvrant que la mère de ce dernier était, comme la sienne, une Ribot et que toutes deux venaient du Maine ? Or, selon toute vraisemblance, ces femmes ne se sont jamais rencontrées, pas plus que Launay n’avait croisé Depasse jusqu’au soir de sa vie. Comment donc ne pas penser que ces coïncidences répétées, ces fausses retrouvailles autour d’un nom, d’un lieu, d’un patois aient suscité des évocations communes des ancêtres, des déclarations de parentés mythiques, contribuant ainsi à renforcer le sentiment d’appartenance à une même famille ?
- 85 Bizeul (Daniel), Nomades en France. Proximités et clivages, Paris-Bouguenais, 1993, p. 81-89.
- 86 Ancienne paroisse rattachée à la commune de Mézières-en-Brenne, Indre, arrondissement du Blanc, ch (...)
43A ce champ de références, venait s’ajouter la longue liste des régions et villages traversés en route dont pouvait être extraite une étape particulièrement marquante de l’existence : les circuits d’Antoine Bérault, Sébastien Genet, Pierre Viger, Mathurin Monbruneau, André Pouvereau ou Claude Sécheret qui viennent se clore près de lieux fréquentés au début de leur carrière itinérante ne sont peut-être pas dus qu’au hasard. Pourquoi ces voyageurs impénitents n’auraient-ils pas eu le mal d’un pays ? Les sociologues ont remarqué que les nomades français contemporains, lorsqu’ils se fixent, choisissent leur lieu d’ancrage par référence à des habitudes familiales ou à des souvenirs à contenu émotionnel fort (naissance, inhumation, liens affectifs avec les gadjé, etc.)85. On supposerait volontiers que certains forestiers aient fini eux aussi par s’attribuer des patries d’adoption. Soit par l’implantation durable sur un territoire de prédilection : Jean Monbruneau à Subtray86, Jean Sécheret, entre Gouex et Bouresse, Thomas et Louis Viger à Ardentes entérinaient dans la sédentarisation le choix de leurs pères. Soit par la mémoire même vague des lieux de l’enfance. Le 22 février 1764, lorsqu’il enterre Léonard Etève, « âgé d’environ 65 ans », le curé de Bussière-Poitevine raconte qu’il était « venu mourir dans la mesme forêt où il estoit né, ses père et mère y travaillant lors de sa naissance en qualité aussi de charbonniers ». Qu’importe que l’information soit erronée : Philippe Etève et Anne Bernard ne sont venus habiter la forêt du Défant que vers 1708, huit ans après la naissance de Léonard à Saint-Secondin en Poitou. Il reste l’identification de l’enfance à l’origine qui tendrait à prouver que cette dernière est peut-être plus enracinée dans l’expérience individuelle que dans une mémoire familiale longue ou un principe ethnique.
Identités au présent
44L’impression qui devait dominer dans le paysage humain de grands chantiers comme ceux de Lussac ou d’Abzac est celle d’une étonnante diversité. Diversité des types humains, diversité du parler, du timbre bigarré des accents, diversité des méthodes et des habitudes aussi dont la confrontation débouchait sur autant d’enrichissements du capital technique. Il semble bien que pour ce creuset d’expériences et de cultures, la référence au passé et aux origines n’ait pu être décisive que dans une représentation finalement personnelle, enfouie – ce qui ne veut pas dire secondaire – de l’identité. Elle se réveillait par la sollicitation de telle rencontre ou de telle étape qui ébranlait alors un souvenir ou une légende de mondes engloutis. Mais l’identité se joue aussi et d’abord dans un présent structuré par le lien social né du travail commun sous les frondaisons. La fluidité permanente, en bouleversant sans cesse les repères du parcours individuel et familial des forestiers, accentue l’aléatoire du lendemain et leur impose de vivre, en dehors de toute position acquise et de toute projection, dans une écoute attentive de l’opportunité. N’est-ce pas d’ailleurs ce que traduit le laconisme du rédacteur de registre paroissial ? Lorsqu’il omet d’indiquer une origine, le prêtre ne fait que révéler la réalité du moment, comme pour mieux intégrer à la communauté de son Eglise ces âmes sans attaches.
Pourquoi partir ?
- 87 Pour l’ensemble du Haut-Poitou et du Bas-Berry, nous n’avons retrouvé que trois contrats d’engagem (...)
45Les origines éclatées du peuple des forêts rendent délicate une interprétation démêlant les causes de la migration. Quoique, comme il a été dit, ce nomadisme ne fût pas de l’errance, nous pensons tout de même, vue la rareté des contrats d’engagement87, que le départ se faisait plutôt au petit bonheur que sur sollicitation directe d’un employeur. Si l’on place donc maintenant notre regard à la source, il est remarquable que la plupart des migrants ne revinrent pas au pays : ce qui tendrait à prouver qu’ils s’étaient expatriés pour des cieux plus cléments. D’où cette question : quel rôle le déterminisme naturel des milieux de départ joue-t-il dans l’exode forestier ?
46Situées essentiellement au nord de la Loire, les zones pourvoyeuses de la main d’œuvre sylvicole du Poitou et du Berry semblent en premier lieu recouper de façon grossière l’aire de recrutement des forges qu’elle approvisionne, formant une frontière assez nette avec le bassin forestier et métallurgique du Périgord. Cette caractéristique renforce la particularité de ce flux migratoire qui ne s’écoule pas des habituels réservoirs humains du Centre-Ouest, les « terres de misère » ou les « pays durs » accrochés au Massif Central. Le Maine ou la Touraine, de leur côté, ne sont a priori pas parés des attributs classiques du terroir d’émigration (sols peu fertiles, déficit céréalier, surpopulation…). Mais, sans rechercher à tout prix un point de convergence avec ces mouvements saisonniers de mieux en mieux connus et qui reposent sur des formes d’organisation sociale spécifiques, sans vouloir non plus amplifier le thème rebattu et d’ailleurs discutable de la « zone répulsive », nous avons toutefois le sentiment que les pépinières de la migration forestière concernent plutôt les parties pauvres de ces régions réputées riches et autosuffisantes.
- 88 Antoine (Annie), Fiefs et villages du Bas-Maine au xviiie siècle, op. cit., p. 79-86.
- 89 Selon Jean-François Belhoste, « la sidérurgie paraît avoir été le lot des régions particulièrement (...)
47Le nord-est du Bas-Maine, le pays de Claise, ou la Gâtine tourangelle, sont, en effet, de ces terres difficiles que les défrichements successifs, les coupes et les pacages abusifs ont lessivées et peuplées de brandes infertiles. La présence d’une importante forêt résiduelle invitait néanmoins les paysans riverains à pratiquer les métiers du bois dans le cadre d’une économie collective de la cueillette plus ou moins clandestine et prédatrice88. Dans un premier temps, la naissance d’une sylviculture sidérurgique a dû donner aux communautés de lisière les moyens de compenser l’ingratitude des sols agricoles, leur exiguïté aussi, résultat d’un probable engorgement démographique89. Nous supposerions donc volontiers que si certains ont mis le chemin sous leur pas, ce n’est peut-être pas tant à cause d’un « mauvais pays » que d’un effet second de l’essor industriel qui favorisait la spécialisation technique d’individus puis de lignages tout entiers. La densité des sites de forges dans le Maine, le Perche ou le Berry a facilité une mobilité localisée et habitué ces familles au mode de vie itinérant. Les longs trajets n’ont concerné ensuite qu’un petit nombre d’ouvriers : ce sont toujours plus ou moins les mêmes noms de voituriers, de charbonniers ou de bûcheurs qu’on retrouve un peu partout dans le Grand Ouest, entre marches armoricaines et marches limousines. Et ceux-là sont certainement parmi les meilleurs. Car il est une chose que le directeur de Verrières néglige de signaler à propos des avantages de la main d’œuvre étrangère : moins exigeante, plus laborieuse, elle était aussi sûrement pour une part plus expérimentée.
- 90 C’est au même constat qu’aboutit Laurence Fontaine dans son analyse des raisons et supports de l’i (...)
48A la source du nomadisme, l’émigration forestière, au fond quantitativement marginale, n’a certainement pas été le « ballon d’oxygène » d’un pays90: tout au plus a-t-elle servi de remède à quelques destins à bout de souffle. Dans ses grands flux inter-régionaux, elle concernait, en revanche et avant tout, des spécialistes qui vendaient leurs talents et en recherchaient l’exclusivité pour traiter dans les meilleures conditions. Il serait bien sûr prématuré d’envisager sur le même plan des individus aux qualifications différentes et inscrites, on le verra, dans une échelle des statuts et des représentations qui leur sont propres. Percevoir dans son originalité les modes d’organisation sociale à l’œuvre dans les migrations du peuple des forêts commençait par prendre la mesure de son existence voyageuse. Continuons par les étapes, les phases de stabilité qui jalonnent sa route cahotante : les chantiers d’abattage dont la particularité est d’abriter à la fois le labeur et la vie domestique du forestier.
Notes
1 Charente, arrondissement de Confolens, canton de Confolens Sud.
2 Charente, arrondissement de Confolens, canton de Confolens Sud.
3 En fait Lourouer-les-Bois, aujourd’hui commune du Poinçonnet, Indre, arrondissement de Châteauroux, canton d’Ardentes.
4 Probablement Suris, Charente, arrondissement de Confolens, canton de Chabanais.
5 Vienne, arrondissement de Châtellerault, canton de Dangé.
6 Les huit indications de provenance concernent les personnes suivantes : Pierre Chevalier, « de la Celle-Guénan, diocèse de Tours », Jacques Cléreau « natif des Loges, diocèse du Mans », Pierre Gautier « d’Abilly proche Buzançais », Etienne Lebrun « de la Chapelle-Saint-Hippolyte, diocèse de Tours », Antoine Lidard « de Neuvy-Saint-Sépulchre en Berry », Pierre Rioland « venu de vers Le Blanc », Roch Thibault « venu d’Avon proche l’Isle-Bouchard » et Charles Vincent « venu de Châteauroux » (Arch. dép. Vienne, reg. par. de Leugny, dépôt des communes).
7 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Chauvigny.
8 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Gençay.
9 Vienne, arrondissement de Montmorillon, chef-lieu de canton.
10 Charente, arrondissement de Confolens, canton de Confolens Nord.
11 Pour le détail de ces itinéraires, se reporter à l’annexe III.
12 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Lussac-les-Châteaux.
13 Indre, arrondissement de Châteauroux, canton de Buzançais.
14 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Lussac-les-Châteaux.
15 Haute-Vienne, arrondissement de Bellac, canton de Saint-Sulpice-les-Feuilles.
16 Cher, arrondissement de Saint-Amand-Montrond, canton de Châteauneuf-sur-Cher.
17 Indre, arrondissement du Blanc, canton de Saint-Gaultier.
18 Indre, arrondissement de Châteauroux, canton de Buzançais.
19 Vienne, arrondissement de Montmorillon, chef-lieu de canton.
20 Vienne, arrondissement de Poitiers, canton de Vouillé.
21 La forge de Goberté est située sur la commune de Gouex (Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Lussac-les-Châteaux).
22 Les forges du Haut-Poitou, en activité aux xve et xvie siècles ne semblent pas avoir provoqué d’importants déplacements de main d’œuvre forestière. En 1482, une enquête parmi les ouvriers travaillant pour le compte des forges de la Gartempe (Nalliers, Le Chêne) dans la forêt de la Gâtine, propriété du prieur de La Puye, montre que les arbres étaient abattus par des laboureurs et les fourneaux dressés par des charbonniers sédentaires (Arch. dép. Vienne 2H5/31, document cité par Champagne (Alain), L’artisanat rural en Haut-Poitou (milieu xive-fin xvie siècles), Thèse de doctorat d’histoire sous la direction de Martin Aurell, université de Poitiers, 2 000, pièces annexes, p. 492-497).
23 Les deux premières forêts appartenaient au duc de Mortemart, propriétaire de la forge de Verrières. La coupe de bois dans la forêt de la Mareuil dépendant de l’évêché de Poitiers avait été adjugée à Jacques Lelarge, marchand et fermier des forges de Verrières en décembre 1689 (Arch. dép. Vienne G 39).
24 Le bois de Vitré a été acheté à Antoine de Réty, marquis de Vitré par Pierre Gambier, maître de forge de Goberté pour 14 500 livres (Arch. dép. Vienne EN/2035, procuration du 3 octobre 1695).
25 Bossay-sur-Claise, Indre-et-Loire, arrondissement de Loches, canton de Preuilly-sur-Claise.
26 Indre, arrondissement du Blanc, canton de Bélâbre.
27 Indre, arrondissement du Blanc, chef-lieu de canton.
28 Haute-Vienne, arrondissement de Bellac, canton du Dorat.
29 Le Confolentais et la haute vallée de la Charente semblent avoir en partie nourri la première exploitation sylvicole poitevine et berrichonne vers le milieu du xviie siècle. Le premier membre connu de la famille Maunoury est attesté aux Pins en 1631. Un Deteil, décédé à Saint-Laurentde- Jourdes en 1670, était natif du « Grand Saint-Claud, diocèse d’Angoulème ». Des coupeurs de bois d’Ansac-sur-Vienne ou de Saint-Laurent-de-Céris figurent parmi les pionniers de la forêt de Châteauroux en 1668, etc. La zone serait principalement pourvoyeuse d’ouvrier du bois, même si de la paroisse d’Esse est sorti Jacques Coindeau, le fondateur d’une importante dynastie de saquetiers à la forge de la Gâtevine, près de Bélâbre.
30 Les forges de Montizon (commune de Roussines, Charente, arrondissement de Confolens, canton de Montemboeuf ), et de Champlaurier (commune et canton de Saint-Claud, Charente, arrondissement de Confolens), fonctionnaient au xviiie siècle par intermittence « étant obligées de tirer leurs charbons des bois des particuliers, bois qui sont quelquefois hors d’état d’en fournir, ou qui sont enlevés pour d’autres usages ». En 1726, elles étaient éteintes depuis trois ans « et pourroient enfin l’être absolument à l’avenir » (Gervais (Jean), Mémoire sur l’Angoumois (1726), rééd. Paris, 1986, p. 17).
31 Baptême le 27 mars 1698 de Pierre Pantignon, fils de François et de Marie Rizat (reg. paroissial de Nieuil).
32 L’origine du personnage n’est pas connue avec certitude, mais son patronyme situe vraisemblablement ses racines en Angoumois. On a notamment repéré des Brébinaud à Pranzac, près de la forge de Rancogne, à la lisière méridionale de la forêt de la Braconne.
33 Deux-Sèvres, arrondissement de Parthenay, canton de Thénezay.
34 Eure, arrondissement d’Evreux, chef-lieu de canton.
35 Eure-et-Loir, arrondissement de Dreux, chef-lieu de canton.
36 Autre forestier travaillant pour les forges du val de Vienne, Jean Moreau, charbonnier « du diocèse du Mans », marié le 28 février 1730 à Mazerolles avec Renée Renault, semble venu directement du nord de la Loire.
37 Tournaire (Jacques), Les forges de Clavières, op. cit., p. 41.
38 Basville, Creuse, arrondissement d’Aubusson, canton de Crocq.
39 Indre-et-Loire, arrondissement de Tours, chef-lieu de canton.
40 Commune de Vendoeuvres, Indre, arrondissement de Châteauroux, canton de Buzançais.
41 Orne, arrondissement d’Alençon, chef-lieu de canton.
42 Mayenne, arrondissement de Laval, canton de Sainte-Suzanne.
43 Indre, arrondissement de Châteauroux, canton de Buzançais.
44 Situé sur l’ancienne paroisse d’Habilly, rattachée à la commune de Buzançais, Indre, arrondissement de Châteauroux, chef-lieu de canton.
45 Orne, arrondissement et canton d’Alençon.
46 Mayenne, arrondissement de Mayenne, canton de Bais.
47 Orne, arrondissement d’Alençon, canton de Carrouges.
48 Orne, arrondissement d’Alençon, chef-lieu de canton.
49 Poitrineau (Abel), Remues d’hommes..., op. cit., p. 49-68.
50 Charente, arrondissement d’Angoulême, canton de La Rochefoucauld.
51 Commune de Sers, Charente, arrondissement d’Angoulême, canton de Villebois-Lavalette.
52 Forestiers et forgerons du Périgord ne viennent pas travailler au nord d’une ligne formée par les cours supérieurs de la Charente et de la Vienne. Les noms d’ouvriers du fer relevés autour de la forge de Planchemeunier (paroisse de Sers), au sud-est d’Angoulême témoignent surtout de contacts avec la région de Nontron et d’autres forges angoumoisines comme Rancogne ou Montizon.
53 Indre-et-Loire, arrondissement de Tours, canton de Château-Renault.
54 Orne, arrondissement de Mortagne-au-Perche, canton de Tourouvre.
55 Haute-Vienne, arrondissement de Bellac, chef-lieu de canton.
56 Haute-Vienne, arrondissement de Bellac, canton de Mézières-sur-Issoire.
57 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de l’Isle-Jourdain.
58 Jahan (Sébastien), « La route des métives. Les travailleurs saisonniers des confins marchois en Loudunais (xviie-xviiie siècles) », dans Bulletin du Groupe de Recherches Historiques et Archéologiques de l’Isle-Jourdain (GRHAIJ), n° 11, 2 001, p. 29-41.
59 Moulin (Annie), Les maçons de la Creuse. Les origines du mouvement, Clermont-Ferrand, 1994, p. 70-91.
60 En témoigne, par exemple, le marché du 2 décembre 1738 entre Jean Decressac et ses bordiers de Médelle (paroisse de Marnay, en Poitou) « pour bûcher son bois et abattre les arbres qui ne paraîtront pas bons pour l’ouvrage » (Arch. dép. Vienne, SAO 282, livre journal de Jean Decressac, 1730-1785).
61 De nombreux petits exploitants ou journaliers riverains des forêts y dressent des fourneaux clandestins pour étoffer leurs revenus de la vente du charbon, à la morte saison du travail des champs. Sur cette pratique en Poitou, lire Dumontet (Eric), La maîtrise des Eaux et Forêts de Poitiers de la Réformation à la Révolution, 1661-1790, Thèse de doctorat en histoire du droit sous la direction de Jean-Marie Augustin, Université de Poitiers, 2 000, p. 519-521.
62 Robert de Beauchamp (Louis), « Instructions et mémoires concernant les fonctions des maîtres de forge à fer et de leur commis », 1774, texte reproduit dans Chamand (Paul), Forges de « Verrières » 1596-1886, chez l’auteur, 2000, p. 200.
63 Ibidem.
64 A.N. F14/4491.
65 C’est le cas d’Antoine et de René Garand ou bien de Jacques et Antoine Deseffes, pères et fils, tous charbonniers parfaitement sédentaires et issus de familles paysannes du cru.
66 Par exemple Marc Baussais, journalier en 1672 et charbonnier en 1677, Antoine Laurent, journalier en 1673, charbonnier en 1682, Charles Delalande, journalier en 1678, charbonnier en 1683 (mairie de Bouresse, registre paroissial).
67 Vienne, arrondissement de Montmorillon, canton de Lussac-les-Châteaux.
68 Indre, arrondissement de Châteauroux, canton de Buzançais.
69 Cher, arrondissement et canton de Saint-Amand-Montrond.
70 Indre, arrondissement du Blanc, canton de Bélâbre.
71 Dhorn-van Rossum (Gerhard), L’histoire de l’heure. L’horlogerie et l’organisation moderne du temps, Paris, 1997, p. 196-202.
72 Commune aujourd’hui séparée de celle de Vautebis, Deux-Sèvres, arrondissement de Parthenay, canton de Ménigoute.
73 Arch. dép. Deux-Sèvres, 3E 12 266 (Thoumazeau, notaire à Beaulieu-sous-Parthenay).
74 Belhoste (Jean-François), Pon-Willemsen (Charlotte), « La forge de la Meilleraye à la Peyratte (Deux-Sèvres) du milieu du xviie siècle au milieu du xixe siècle », op. cit., p. 341.
75 Yoors (Jan), Tsiganes. Sur la route avec les Rom Lovara, Paris, 1990.
76 Mayenne, arrondissement de Mayenne, canton de Bais.
77 Mayenne, arrondissement de Laval, chef-lieu de canton.
78 Mayenne, arrondissement de Laval, canton de Chailland.
79 Belhoste (Jean-François), « Une sylviculture pour les forges, xvie-xixe siècles », dans Denis Woronoff (dir.), Forges et forêts. Recherches sur la consommation proto-industrielle de bois, op. cit., p. 229-232.
80 Information communiquée par Evelyne Robineau.
81 Antoine (Annie), Fiefs et villages du Bas-Maine au xviiie siècle, Mayenne, 1994, p. 30-32.
82 Mis au point dans la région de Liège ou en Rhénanie vers le xive siècle, le procédé indirect de la fabrication du fer (en passant par l’étape de la fonte) dans les hauts fourneaux est attesté dans le Perche et le pays de Bray dès la fin du xve siècle. Il se diffuse ensuite dans le Bocage à partir de 1520 (Belhoste (Jean-François), « La révolution du haut fourneau (fin xve-début xvie siècles) » dans La métallurgie normande xiie-xviie siècles, Cahiers de l’Inventaire n° 14, 1991, p. 39-43).
83 Voir les tableaux Tiercerye et Couvé en annexes.
84 Un certain nombre de techniciens sidérurgistes travaillant dans le Perche ou le pays de Bray à la fin du xve siècle portent manifestement des noms wallons (Belhoste (Jean-François), « La révolution du haut fourneau (fin xve-début xvie siècles) », dans La métallurgie normande xiie-xviie siècles, op. cit., p. 62). Le nom de Depasse porté au xviie siècle en Normandie et en Bretagne par des forestiers ou des cloutiers est aussi attesté à la même époque dans les Ardennes belges.
85 Bizeul (Daniel), Nomades en France. Proximités et clivages, Paris-Bouguenais, 1993, p. 81-89.
86 Ancienne paroisse rattachée à la commune de Mézières-en-Brenne, Indre, arrondissement du Blanc, chef-lieu de canton.
87 Pour l’ensemble du Haut-Poitou et du Bas-Berry, nous n’avons retrouvé que trois contrats d’engagement de forestiers concernant exclusivement des voituriers recrutés en 1680 et 1683 par le régisseur de la forge de Corbançon, près de Mezières-en-Brenne (Arch. dép. Indre 2 E 5354 et 5357). Dans le Maine, Evelyne Robineau en a repéré trois (deux voituriers en 1730 et 1731 et un « maître cuiseur » en 1701).
88 Antoine (Annie), Fiefs et villages du Bas-Maine au xviiie siècle, op. cit., p. 79-86.
89 Selon Jean-François Belhoste, « la sidérurgie paraît avoir été le lot des régions particulièrement pauvres, seul complément d’une agriculture de quasi-subsistance qui les pourvoyait en espèces monétaires nécessaires au paiement de la taille. » (« La révolution du haut fourneau (fin xve-début xvie siècles) », dans La métallurgie normande xiie-xviie siècles, op.cit., p. 76).
90 C’est au même constat qu’aboutit Laurence Fontaine dans son analyse des raisons et supports de l’itinérance en milieu montagnard (Fontaine (Laurence), Histoire du colportage en Europe, xve-xixe siècle, Paris, Albin Michel, 1993, p. 121-123).
Table des illustrations
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Titre | Des vagues successives |
Légende | b : Baptêmes ; m : Mariages ; s : SépulturesGraphique 1Les ouvriers de la forêt dans les registres paroissiaux d’Abzac (1719-1731) |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/11195/img-1.png |
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Titre | Carte 2aItinéraires de fendeurs |
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Titre | Carte 2bItinéraires de bûcheurs |
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Titre | Carte 3aItinéraires de charbonniers |
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Titre | Carte 3bItinéraires de voituriers |
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Titre | Carte 4Le bassin sidérurgique picto-berrichon (xviie-xviiie siècles) |
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Titre | Tableau 1La provenance du personnel des principaux chantiers de coupe pour la forge de Luchapt entre 1706 et 1731 |
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Titre | Carte 5Les Forges de l’Angoumois en 1726 |
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Titre | Carte 6Entre Perche et Poitou Les trajets de Pierre Cormier et de Laurent Hénault |
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Titre | Carte 7Les chantiers d’abattage en Bas-Berry à la fin du xviie siècle |
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Titre | Tableau 2La provenance des ouvriers de la forêt de Châteauroux d’après les contrats de mariage passés par Rouet, notaire à Ardentes (1677-1685) |
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Titre | Tableau 3Les provinces d’origine des forestiers venus d’Outre-Loire en Berry et Poitou (1650-1750) |
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Titre | Tableau 4La descendance d’Etienne Luneau, de la Normandie au Poitou |
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Titre | Carte 8Forges et forestiers migrants du Bas-Maine au xviie siècle |
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© Presses universitaires de Rennes, 2003