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Lyon et la mer au XVIIIe siècle

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Olivier Le Gouic

Chapitre VIII. Les Lyonnais et l’aventure coloniale

Texte intégral

1À la différence de la Nouvelle-France, les colonies françaises de l’Amérique tropicale se sont essentiellement peuplées par immigration. Aux côtés des millions d’esclaves qui furent arrachés à leur Afrique natale pour répondre aux besoins d’une économie de plantation dévoreuse de main d’œuvre, plusieurs dizaines de milliers d’Européens, souvent de modeste extraction, s’embarquèrent pour les Îles au cours des XVIIe et XVIIIe siècle. Il en fut de même pour les îles françaises de l’océan indien, même si le plus gros de l’immigration marchande eut lieu après l’édit de royalisation et l’ouverture de l’Île de France au commerce libre. On peut très justement se demander quelle fut la place des Lyonnais dans ce courant d’émigration qui les emporta vers des terres lointaines où la fortune tant espérée n’était que rarement au rendez-vous.

Les Lyonnais et la pratique de l’engagement

2La mise en valeur initiale des îles françaises de l’Amérique au XVIIe siècle a été largement le fait de volontaires arrivés de métropole dans le cadre de contrats d’engagement d’une durée de trois ans, qui leur valaient le surnom de « trente-six mois ». Pour beaucoup d’entre eux ces engagés étaient de pauvres gens qui s’embarquaient pour les colonies, sinon avec l’espoir d’y faire fortune, au moins poussés par le désir d’échapper à la misère qui régnait alors dans les villes et les campagnes du royaume. N’ayant pas les moyens de payer la traversée, ils signaient avec un capitaine de navire, ou avec un négociant armateur, un engagement de trois ans par lequel ils s’engageaient à rembourser le coût de leur voyage en travaillant gratuitement pendant trente-six mois pour le compte d’un habitant avec qui leur passeur était en affaires. Ce système fut, avant l’instauration de la traite négrière, le principal pourvoyeur de main d’œuvre, d’abord à Saint-Christophe et à la Guadeloupe au temps de la première phase de colonisation, à l’époque où les planteurs de tabac avaient besoin de bras, puis vers Saint-Domingue et la Martinique lorsque, au prix de grands défrichements, démarra l’activité sucrière. À leur arrivée aux Îles, les engagés abandonnaient donc leur liberté au profit d’un colon, sur les terres de qui ils allaient travailler pendant trois années dans des conditions très difficiles, « souvent lamentables ». Leurs conditions de vie et de travail ne différaient guère alors de celles de forçats ou des premiers esclaves importés d’Afrique. Beaucoup tombaient malades dans les semaines suivant leur arrivée et la mortalité était terrifiante. Ceux qui survivaient recevaient, une fois leurs trente-six mois accomplis, un lopin de terre et 300 à 400 livres de tabac. Mais tous n’avaient pas les moyens de se payer le voyage de retour vers la France et ceux qui n’étaient pas en mesure de le faire restaient sur place, formant au sein de la société antillaise un prolétariat de petits blancs qui tentait de subvenir à ses besoins en pratiquant le commerce, l’artisanat ou l’agriculture vivrière.

  • 1 Debien G., Les engagés pour les Antilles (1634-1715), Abbeville, 1951, 277 p.
  • 2 Ibid., p. 99, 123-128, 141-142.

3Il y a déjà longtemps, Gabriel Debien étudia ces émigrants à partir des contrats d’engagements passés à La Rochelle entre 1620 et 17151 et établit le portrait robot de l’engagé, qui apparaissait sous les traits d’un homme plutôt jeune, âgé d’une vingtaine d’années, originaire des campagnes du grand ouest – Poitou, Aunis, Saintonge, Bretagne – et déclarant la profession de « laboureur » ou de « journalier ». En dépouillant les archives notariales rochelaises et les listes de passagers embarqués dans le port de l’Aunis, il parvint à identifier l’origine de 3 984 engagés. Seulement moins de 1 % d’entre eux étaient originaires du Lyonnais, soit 37 personnes, des hommes jeunes, souvent ouvriers du secteur textile (tailleurs d’habits ou passementiers) ou sachant travailler le fer, ainsi que quelques chirurgiens qui, jusqu’en 1667, s’embarquaient plutôt pour Saint-Christophe, avant de prendre massivement la direction de Saint-Domingue à partir des années 16802.

  • 3 Debien G., Merle L., « Colons, marchands et engagés à Nantes au XVIIe siècle », Revue de la Porte (...)
  • 4 Gosselin I., Le Portz M.-C., Moulin F., Sikorski N., op. cit.

4D’autres recherches menées ensuite dans les fonds notariaux conservés aux archives de la Loire-Atlantique ont confirmé pour le port de Nantes les observations initiales faites à La Rochelle3. Là aussi la majorité de ceux qui s’embarquaient étaient de jeunes ruraux, pour beaucoup originaires du pays nantais, d’Anjou, de Bretagne et de Touraine. Mais sur les 5 463 engagés partis de Nantes entre 1636 et 1762 et dont l’origine a pu être déterminée, 60 seulement étaient originaires du Lyonnais, dont 20 venus de Lyon même4. Cela est peu puisque ces Lyonnais au sens large n’auraient représenté – par extrapolation – qu’un peu plus de 1 % des engagés du port de Nantes, mais suffit à montrer que Lyon n’échappe pas à l’attraction que peuvent alors exercer les Îles sur les catégories les plus pauvres, y compris dans les provinces de l’intérieur du royaume. Faute de liste détaillée, il ne nous a pas été possible de déterminer l’âge moyen, l’origine professionnelle et la destination de ces Lyonnais qui tentèrent l’aventure antillaise sous le règne de Louis xiv, les uns guidés par l’esprit d’aventure, les autres poussés par la misère, tous partageant le même espoir d’un nouveau départ et d’une vie meilleure sur le front pionnier de la colonisation antillaise. Il est fort probable que la plupart d’entre eux partirent entre 1685 et 1710, pour Saint-Domingue ou la Martinique comme le firent près des trois quarts des engagés partis de Nantes.

  • 5 Huetz de Lemps C., « Engagement et engagés au XVIIIe siècle », Commerce et plantation dans la Cara (...)
  • 6 Huetz-de-Lemps C., « Ville-port et émigration aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans Joutard P., Wien(...)

5En 1698 et 1699 deux édits obligent successivement les armateurs à faire passer aux Îles entre trois et six engagés sur chacun de leurs navires et les habitants à employer sur leurs plantations au moins un engagé blanc pour vingt esclaves noirs. Cette forme d’émigration contractuelle ne disparaît donc pas avec les débuts de la traite négrière. Elle continue tout au long du XVIIIe siècle, jusqu’à ce que le système de l’engagement soit définitivement supprimé par décret, en septembre 1774. À Nantes, comme à Bordeaux lors des deux grandes phases de départs qui ont été repérées par Christian Huetz-de-Lemps entre 1715 et 1719, puis entre 1764 et 1767, les armateurs continuent donc à recruter et à faire passer aux Îles des volontaires. Malheureusement, si nous savons que les deux tiers des quelques 6 500 engagés ayant embarqué pour les Antilles entre 1698 et 1771 et dont l’origine a été identifiée « viennent de l’Aquitaine au sens large, de la Saintonge aux Pyrénées et du Bordelais à l’Agenais et au Quercy5 », on ignore malheureusement le nombre de Lyonnais qui se sont engagés à partir du port aquitain. Tout au plus peut-on supposer qu’ils puissent correspondre à la description qu’en a esquissée Christian Huetz-de-Lemps, en évoquant des hommes « en général très jeunes et sans profession déclarée », en particulier dans les années suivant le traité d’Utrecht, la moyenne d’âge remontant par la suite, tout comme la propension à déclarer un métier au moment de la signature de leur contrat6.

  • 7 Janin C., op. cit.
  • 8 La liste détaillée des 23 Lyonnais engagés à Nantes est publiée dans Le Gouic O., Lyon et la mer.. (...)

6Par contre, en épluchant les rôles d’armement nantais entre 1722 et 1772, Corinne Janin, qui a pu identifier 4 425 engagés et retrouver l’origine géographique de 4 344 d’entre eux, en a repéré 34 arrivant du Lyonnais, dont 20 à 23 de Lyon même7. Parmi ces derniers, les plus nombreux ont entre 18 et 25 ans. Six déclarent être perruquiers et une douzaine d’autres sont des hommes de métiers exerçant une profession en rapport avec les métaux, le textile, le cuir ou le bois. Treize embarquent pour Saint-Domingue et huit au moins pour la Martinique. La seule originalité de ce contingent de Lyonnais réside donc dans le fait qu’un sur quatre soit perruquier, métier qui pouvait leur permettre, dans la mesure où ils étaient capables de pratiquer une saignée ou de faire des pansements, de trouver une place comme « infirmier » dans une plantation. Pour le reste, ces engagés lyonnais sont plutôt représentatifs de ceux qui acceptaient alors de s’embarquer dans le cadre de ce type de contrat très particulier qu’était l’engagement8.

Les embarquements libres pour les Antilles

Un dénombrement difficile à établir

  • 9 Butel P., Histoire des Antilles françaises XVIIe-XXe siècle, Paris, 2002, p. 92.
  • 10 ADG, 6B 45 à 6B 58, Amirauté de Guyenne, passeports et soumissions, certificats d’identité et de c (...)
  • 11 Huetz-de-Lemps C., « Ville-port et émigration... », op. cit., p. 98-99.
  • 12 AN, F5B 39, fonds des colonies, liste des passagers embarqués à destination des colonies dans les (...)

7Premier port d’embarquement pour les Antilles, Bordeaux était « le lieu où on était sûr de trouver un navire pour se rendre aux Îles9 ». D’après les « certificats d’identité et de catholicité » des passagers embarqués dans le port aquitain, ce sont quelques 30 806 personnes venues de toutes les provinces du royaume qui auraient embarqué à bord des navires bordelais entre 1713 et 178710, les départs les plus nombreux ayant lieu après la guerre de Sept ans, notamment au cours de la décennie 1767-1777, avec en moyenne 783 départs par an – et même plus de 1000 en 1777, plus de 90 % de ces passagers embarquant alors pour Saint-Domingue, la Martinique et la Guadeloupe11. Seul un dépouillement systématique de cette masse documentaire, un travail de longue haleine, lent et fastidieux, permettrait de retrouver ceux d’entre eux qui venaient de Lyon, dans la mesure où les listes de passagers conservées dans la sous-série F5B du fonds des colonies des archives nationales ne sont d’aucune utilité en la matière puisque, concernant Bordeaux, elles ne couvrent qu’une courte période, entre 1749 et 1768, et ne donnent aucun renseignement sur l’origine des dits passagers12. Sans prendre de très gros risques nous pouvons avancer que ces passagers lyonnais devaient, comme beaucoup de ceux qui émigraient alors, être des hommes plutôt jeunes, âgés de 15 à 34 ans, sans profession pour les plus jeunes ou déclarant un métier d’artisan pour la plupart de ceux qui avaient plus de 25 ans. Compte tenu de leur origine urbaine, ces derniers étaient peut-être parmi les plus nombreux. Il devait aussi y avoir, inévitablement, quelques marchands ou négociants qui, partant pour un voyage d’affaires ou avec l’intention de s’implanter aux Îles pendant quelques années, faisaient naturellement le choix de Bordeaux comme port d’embarquement, dans la mesure où une large part des échanges entre la métropole et les Antilles passait par cette place, et que la plupart de ceux qui s’essayaient un jour à ce commerce avaient d’abord recours aux services de ses négociants. Enfin Lyon dut aussi fournir aux Îles son contingent de soldats, d’administrateurs et de religieux pour qui Bordeaux put être le port du départ.

  • 13 AN, F5B 39, fonds des colonies, liste des passagers embarqués à destination des colonies dans les (...)
  • 14 AN, F5B 57, fonds des colonies, liste des passagers embarqués pour les colonies dans des ports fra (...)

8Les listes de passagers établies pour le port de Marseille dans la seconde moitié du siècle souffrent des mêmes lacunes que les listes bordelaises13. Par contre nous avons pu identifier cinq Lyonnais parmi les passagers qui embarquent à La Rochelle au cours de la seconde moitié du siècle : Jean Fayolle embarque sur le Saint-Sébastien qui appareille pour la Martinique et Saint-Domingue en septembre 1752 ; l’intention de ce journalier est certainement de se faire embaucher dans une plantation comme ouvrier ; Étienne Masse, 28 ans, part pour Saint-Domingue à bord de L’Artibonite en décembre 1765 ; Pierre Guillet, 32 ans, et son frère Antoine, de un an son cadet, s’embarquent pour la Guadeloupe en juin 1766, sur Le Villenier ; une demoiselle Duon figure sur la liste des passagers du Père de Famille qui met à la voile pour Saint-Domingue en avril 177514.

L’embarquement des Lyonnais à Nantes

  • 15 Le Gouic O., Lyon et la mer..., op. cit., annexes 13 et 14, p. XXI-XXIV.

9Comme pour les engagés, les données les plus complètes concernent le port de Nantes. Mais, à l’issue d’un patient dépouillement, nos résultats ont été bien maigres. Après avoir longuement parcouru les listes établies pour 892 navires partis de Nantes entre 1764 et 1791, nous n’avons pu retrouver la trace que de... 29 passagers lyonnais auxquels il convient de rajouter les 31 autres que Jean-Paul Fortin et Jean-Marie Lore avaient repéré en épluchant les rôles d’armements nantais entre 1694 et 174615. Pour l’ensemble des deux périodes, il apparaît qu’un peu plus de la moitié d’entre eux embarquent pour Saint-Domingue, la Martinique et la Guadeloupe faisant plutôt figure de destinations secondaires, surtout après 1720. Néanmoins lors de la première période les îles du Vent attirent près des deux tiers de nos passagers lyonnais, avant que les premiers résultats de la révolution sucrière dominguoise et les conséquences de l’ouragan qui s’abat sur la Martinique en 1727 ne réorientent les flux migratoires, puisque 24 des 31 passagers et engagés partis de Nantes avant 1730 vont à la Martinique. Au-delà, quatre départs sur cinq se font pour la grande île, le Cap et Port-au-Prince étant les deux principaux ports de débarquement, avec respectivement un quart et près d’un tiers des passagers chacun entre 1764 et 1791, tandis que 12 % seulement de nos Lyonnais se dirigent vers les îles du Vent, à part égale entre la Guadeloupe et la Martinique.

Graphique II. – Ventilation des Lyonnais au départ de Nantes (1694-1746).

Graphique III. – Ventilation des Lyonnais au départ de Nantes (1764-1791).

  • 16 On estime en effet qu’à Saint-Domingue le nombre d’esclaves passe de 250 000 à 470 000 entre 1779 (...)
  • 17 Ibid., p. 145.

10Les départs se font en trois vagues successives : au lendemain de la paix d’Utrecht (18 %), pendant les années 1730 à 1745 (22 %), et après la guerre de Sept ans, jusqu’à la Révolution (46 %). Plus d’un tiers de notre panel émigre au cours des années 1770-1780, à un moment où les Îles connaissent une croissance démographique importante, marquée certes par une nouvelle phase d’expansion de la traite négrière16, mais aussi par une augmentation non négligeable de la population blanche, en particulier à Saint-Domingue où elle passe de 20 360 blancs en 1779 à 40 000 en 1789, alors que dans le même temps elle diminue quelque peu dans îles du Vent où, en 1789-1790, on recense environ 22 000 blancs contre 25 000 en 177217. 90 % de ces passagers sont des hommes. Sur les six femmes, quatre sont accompagnées : Claudine Bidaud embarque avec son époux, Jean-Louis Dorval, un Parisien de 27 ans, et Julie Claudine Gennier des Marets avec son mari, Jean Baptiste Frédéric Jordy, un Lorrain de 26 ans et leurs deux jeunes enfants âgés de 22 mois et de 7 mois. François Duby et Jean de la Chaudresse embarquent aussi avec leur femme, Marie Angélique Leroy et Ursule Payezy. D’autres passagers sont accompagnés. Il s’agit vraisemblablement d’administrateurs ou de colons de retour d’un séjour en métropole : Charles de Montauzun, procureur de Saint-Marc, est accompagné de sa femme, Françoise Ursule Marty, une créole de 24 ans, de ses deux enfants, Adélaïde (6 ans) et Charles (5 ans) ainsi que de leur gouvernante Françoise Bompy, originaire de Besançon. Jean Nicolas Duhouldy voyage en compagnie d’un esclave de 22 ans prénommé François, et Flandrin Orcel des Cayes, avec sa fille de 16 ans, Claudine. Nous ignorons malheureusement le métier de la plupart de ces passagers, les marchands et les négociants (13 %) étant les seuls dont l’activité est précisée.

Trois périodes d’émigration

  • 18 Centre Généalogique de l’Ouest, Embarquement au port de Nantes (France) aux XVIIe et XVIIIe siècle (...)
  • 19 AN, F5B 5, listes de passagers embarqués ou débarqués dans des ports des colonies, Saint-Domingue, (...)

11Dépouillés par le Centre généalogique de l’Ouest, les rôles d’armement de la sous série 120 J des Archives départementales de la Loire-Atlantique ont livré les noms de 156 passagers originaires de l’actuel département du Rhône ayant embarqué sur les vaisseaux nantais partis aux Antilles entre 1670 et 1793, ce qui ne représente que 1,09 % des 14 210 passagers dont l’origine géographique a pu être identifiée18. Quant aux listes de passagers débarqués aux Îles, elles présentent les mêmes défauts et les mêmes lacunes que celles qui étaient dressées dans les ports de départ. De surcroît, elles ne couvrent pas tous les ports de l’espace antillais et sont loin de constituer des séries complètes. Là encore, la quête s’apparente à une pêche miraculeuse. Ainsi, sur 618 personnes arrivées à Port-au-Prince en 1784, on n’identifie que sept lyonnais, et un autre seulement parmi les 546 passagers débarqués l’année suivante, cinq ayant embarqué à Nantes et trois à Bordeaux19.

  • 20 Ibid., annexe 16, p. XXVI-XXXI.

12En croisant nos différentes sources, nous sommes actuellement en mesure de dresser une liste de 163 Lyonnais ayant embarqué pour les Antilles à partir du port de Nantes entre 1695 et 1790, soit en qualité d’engagés, soit comme passagers20. Les observations faites précédemment sont confirmées. Trois grandes phases d’émigration se détachent nettement et correspondent aux années 1713-1717 (11 % des embarquements), 1732-1740 (11,6 % des embarquements) et aux décennies 1770 et 1780 (respectivement 21 % et 24 % des embarquements). Plus de la moitié des départs (91 soit 55,8 %) a lieu au cours de la deuxième période du siècle, après 1763, et un quart (41) après la guerre d’Amérique.

Graphique IV. – Embarquements des Lyonnais au port de Nantes (1695-1789).

13Ce sont d’abord des hommes jeunes qui partent, puisque deux migrants sur cinq ont moins de 25 ans ; les plus de 40 ans ne sont que 14 (8,5 %). Sans surprise les deux tranches d’âge les plus représentées sont les 20-24 ans (24,5 %) et les 25-29 ans (20,2 %). Les femmes quant à elles entrent pour un peu plus d’un dixième (18 dont trois adolescentes) dans notre panel, six d’entre elles seulement étant accompagnées par leur mari ou leur(s) enfant(s). Un tiers d’entre elles ont plus de 30 ans, et la moitié a moins de 25 ans. À deux exceptions près, Françoise Ruby et Marie Angélique Leroy qui embarquent sur Le Victorieux en 1703, elles partent toutes après 1774 et une seule, Claudine Melizet, déclare exercer une profession, comédienne.

Graphique V. – Répartition par tranches d’âge des Lyonnais embarqués à Nantes (1695-1790).

14Saint-Domingue s’impose comme la première destination dans la mesure où plus des deux tiers de nos Lyonnais s’y rendent (65,6 %). Mais, avant 1740, plus de la moitié de nos voyageurs (55 %) gagnent la Martinique.

Graphique VI. – Ventilation des Lyonnais au départ de Nantes (1695-1789).

15On recense au total 29 engagés, soit un homme sur cinq. La plupart d’entre eux partent entre dans la décennie qui suit la paix d’Utrecht (9) et dans les années 1730 (8), mais on en repère jusqu’à la fin des années 1770, puisqu’ils sont 8 à partir après 1763. Seule une minorité déclare une profession au moment de l’embarquement (61 personnes, soit 37 % du panel). Il s’agit la plupart du temps de travailleurs manuels qualifiés : 7 exercent un métier en rapport avec le secteur textile, 12 seulement déclarent une activité liée au commerce, 8 se déclarent perruquier et 3 médecin ou chirurgien.

Les Lyonnais aux « isles » : tentative de typologie

Une communauté aux effectifs retreints

  • 21 de Cauna J., L’Eldorado des Aquitains. Gascons, Basques et Béarnais aux Îles d’Amérique (XVIIe-XVI (...)
  • 22 Selon Houdaille, la population masculine installée à Saint-Domingue – marins et soldats exclus – v (...)
  • 23 Le classement établi par Houdaille sur une base de 464 noms recensés voit l’Aquitaine arriver sans (...)
  • 24 CAOM, DPPC, sous série G1, recensements de population, Guadeloupe, Martinique, Saint-Domingue.
  • 25 Pour l’heure nous avons parcouru les registres d’état-civil du Cap-Français (1777-1789), de Léogan (...)

16Il est communément admis que le peuplement des îles françaises de l’Amérique s’est d’abord fait par l’installation de nombreux immigrants venus des provinces de l’ouest du royaume, Aquitaine, Saintonge, vallée de la Loire, Bretagne et Normandie. « Pour faire simple, écrit Jacques de Cauna dans son étude sur l’émigration aquitaine, on peut dire que sur dix colons de Saint-Domingue à la fin du XVIIIe siècle, quatre étaient venus du sud-ouest aquitain, deux des pays de la Loire, un de Bretagne, un de Normandie et les deux derniers du sud-est, de la région parisienne ou du nord21 ». Autant dire que les Lyonnais étaient loin de constituer une communauté importante au sein de la population coloniale. Notre impression est d’ailleurs confirmée par les travaux de Jacques Houdaille sur les populations de Saint-Domingue et de la Guadeloupe au XVIIIe siècle. Après avoir dépouillé des registres de mariages et de sépultures, il estimait en effet que, dans la population blanche de la grande île, seulement 4,5 % des hommes et 5,9 % des femmes étaient originaires de l’actuelle région Rhône-Alpes, ce qui en faisait la huitième région d’origine pour les premiers et la septième pour les secondes22. Par contre, en ce qui concerne la Guadeloupe, il ne classait Rhône-Alpes qu’en neuvième position – à égalité avec la Franche-Comté voisine – par le nombre de mentions d’individus retrouvés dans les registres B. M. S.23. Malheureusement, faute d’indications sur les origines des gens, les recensements de population dont nous disposons ne permettent en aucune manière d’évaluer de manière un temps soit peu précise l’importance de la communauté lyonnaise où que ce soit, et en particulier dans les villes vers lesquelles nos indices nous ont portés24. La seule solution qui restait pour tenter se faire une idée de la place qu’occupaient les Lyonnais dans les sociétés antillaises était donc de se tourner vers les registres d’état-civil. Mais ceux-ci ne pouvaient que nous donner une idée approximative de la réalité dans la mesure où ils n’ont été que partiellement sauvegardés et que n’y figurent que les gens qui se sont mariés ou qui ont été enterrés aux Îles et non ceux, certainement les plus nombreux, qui n’ont fait qu’y séjourner quelques années avant de rentrer en métropole. Néanmoins, encore une fois au prix d’un long et fastidieux dépouillement au cours duquel chaque Lyonnais repéré était fêté comme il se doit, nous avons pu constituer un petit corpus permettant de nous faire à la fois une idée d’ensemble sur le statut des Lyonnais qui débarquaient aux Antilles et sur la place qu’ils occupaient dans la société coloniale25.

17L’intégration à la société coloniale est certainement difficile pour ceux qui débarquent aux Îles sans avoir aucune relation sur place. Ceux qui peuvent montrer quelque lettre de recommandation parviennent sans nul doute à se placer comme commis chez un négociant, comme économe ou comme médecin sur une plantation, voire comme régisseur sur une caféière ou une petite sucrerie. Pour les autres, ceux qui ne peuvent compter que sur eux-mêmes et qui n’ont d’autre ressource que leur seule force de travail, le défi est plus difficile à relever et, en premier lieu, passe certainement par la recherche de compatriotes lyonnais susceptibles de les aider à ouvrir leurs premières portes. Mais, au regard des communautés aquitaine, bretonne ou provençale, la modeste communauté lyonnaise offre moins d’opportunités que les autres.

Une immigration de « Petits Blancs »

  • 26 ADLA, 120 J 339, fonds de l’Inscription maritime ; CAOM, Hop 1, État-civil Hôpitaux, Guadeloupe et (...)
  • 27 CAOM, 85 Miom 78, État-civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1777, fo 215, mariage de Mathieu Jan (...)
  • 28 CAOM, 85 Miom 690, État-civil, Martinique, Saint Pierre, 1788, fo 54, sépulture, 6 octobre 1788.
  • 29 CAOM, 85 Miom 76, État-civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1754-1758, fo 12, sépulture, 1er jui (...)
  • 30 Ibid., fo 108, sépulture, 28 décembre 1756.
  • 31 ADR, Actes notariés, 3E 6914a, Patrin, fo 83, procuration de Jeanne Charlotte de Charamé à Millot, (...)
  • 32 ADR, Actes notariés, 3E 3222b, Cabaret, procuration de Gaspard Adamoly à Fertard, 19 octobre 1764.
  • 33 CAOM, Hop 1, État-civil Hôpitaux, Guadeloupe et dépendances, Basse-Terre, 1720-1788, « copie du re (...)
  • 34 CAOM, 85 Miom 688, État-civil, Martinique, Saint-Pierre, 1768, fo 43, sépulture, 7 novembre 1768.
  • 35 CAOM, 85 Miom 78, État-civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1775, fo 56, sépulture, 23 septembre (...)
  • 36 Ibid., 1778, fo 3, sépulture, 13 janvier 1778.
  • 37 CAOM, 85 Miom 688, État-civil, Martinique, Saint-Pierre, 1768, fo 20, sépulture, 13 mai 1768.
  • 38 CAOM, 85 Miom 78, État-civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1778, fo 41, sépulture, 4 septembre (...)

18Dans cette société particulière qu’est la société coloniale, il existe, au sein de la composante européenne, deux mondes très différents : celui des « Grands Blancs » auquel appartiennent les nobles, les administrateurs, les grands planteurs, ceux qui se parent du titre d’« Habitants », et les plus riches négociants, et celui, beaucoup plus large, des « Petits Blancs » parmi lesquels on trouve la foule des gens de métiers, employés, journaliers et pauvres hères qui doivent quotidiennement trouver de quoi survivre, ces « poblancs » qui vivent souvent en marge de la légalité. Les mieux lotis sont sans conteste ceux qui ont un métier et dont le savoir-faire correspond aux besoins de l’économie coloniale. Notre corpus nous révèle ainsi que les activités exercées par les Lyonnais peuvent être assez souvent en relation avec l’habillement et le paraître comme tailleur d’habit, cordonnier ou perruquier. Citons parmi eux Pierre Biron, un ouvrier en soie de 22 ans qui, en décembre 1722, embarque à Nantes sur le Saint-Simon pour les îles du Vent, et François Christophe Jolibois, un perruquier de 40 ans, mort à Basse-Terre en 176226. D’autres ont un métier plus recherché, qui leur confère une relative considération et leur procure une place enviée dans ce monde des Petits Blancs, comme chirurgien ou raffineur par exemple. Eux trouvent aisément à s’employer dans les habitations. D’autres professions encore sont en relation avec le bâtiment, comme charpentier ou serrurier. Il en est même qui revendiquent une maîtrise dans leur domaine comme Mathieu Jany, un maître perruquier, fils d’un marchand lyonnais, qui se marie à Port-au-Prince en 1777 et y meurt deux ans plus tard à l’âge de 28 ans27, ou encore Claude Thaulaud, un maître maçon de 34 ans qui meurt à Saint-Pierre en 178828. Quant aux plus jeunes, ils se placent dans un atelier ou une boutique, à l’instar de Gelas, garçon boulanger mort à Port-au-Prince en 175429, ou s’essayent au commerce, comme pacotilleur tel le dénommé Collet, également mort à Port-au-Prince en 175630. Nous retrouvons également quelques Lyonnais dans les différents corps de l’administration : Laurent Desartres, est « procureur du roi en la juridiction et amirauté du Cap-Français31 », Thomas Adamoly secrétaire de l’Intendant de Sainte-Lucie32, Gabriel Guérin, commis de police à Basse-Terre, où il meurt en août 1769 à l’âge de 33 ans33, Jean Binard, dit Lyonnais, archer de maréchaussée et de police à Saint-Pierre34, Benoît Adiger, procureur au juge royal de Port-au-Prince35, où le sieur Médard (ou Méclard) est employé au poste de commis greffier jusqu’à sa mort, survenue en janvier 1778, à « 30 ans environ36 ». Pour d’autres, l’installation aux Îles est liée à l’exercice de leur sacerdoce. Parmi les religieux venus de Lyon, signalons le père Jean François, missionnaire de l’ordre des Capucins et vicaire de la paroisse de Saint-Pierre, mort en mai 1768 à 38 ans37, et le père Jean Bourg, missionnaire de l’ordre des Frères Prêcheurs de la maison de Lyon, curé à Port-au-Prince, « inhumé au milieu du chœur de son église » en septembre 177838.

  • 39 CAOM, Hop 1, État civil, Hôpitaux, Guadeloupe et dépendances, Basse-Terre, 1720-1788, « copie du r (...)
  • 40 CAOM, 85 Miom 62, État civil, décès, Saint-Domingue, Léogane, 1672-1724, acte de sépulture, 5 févr (...)
  • 41 Ibid., registre BMS, paroisse Sainte-Rose, Léogane (1736-1745), acte de sépulture, 27 octobre 1740
  • 42 CAOM, Hop 1, État civil, Hopitaux, Guadeloupe et dépendances, Basse-Terre, 1720-1788, « copie du r (...)
  • 43 CAOM, 85 Miom 698, État civil, Martinique, Saint-Pierre, 1768, fo 11, sépulture, 19 février 1768.
  • 44 CAOM, 85 Miom 76, État civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1754-1758, fo 13, sépulture, 30 juin (...)
  • 45 CAOM, 85 Miom 77, État civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1764-1765.
  • 46 CAOM, Hop 1, État civil, Hopitaux, Guadeloupe et dépendances, Basse-Terre, 1720-1788, « copie du r (...)
  • 47 CAOM, 85 Miom 78, État civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1779, fo 48, sépulture, 26 décembre (...)

19Il arrive également que nous rencontrions quelques Lyonnais parmi les gens de mer de passage ou parmi ceux qui choisissaient de rester naviguer dans l’espace Caraïbe. Trois d’entre eux, identifiés comme « marins natifs de Lyon » ou « navigants » sont morts à l’hôpital Saint Jean-Baptiste de Basse-Terre que tenaient les religieux de la Charité : François Vallet, 28 ans, en 1729, François Bayard, 21 ans, en 1765 et Louis Sinodin, 54 ans, en 178139. Jacques Vidal, mort à Léogane en 1699, était commis sur un navire de la Compagnie Royale de Guinée40, tandis que David Jourdain, mort en 1740, servait comme écrivain à bord d’un vaisseau de la marine royale41. Enfin, en ces temps troublés où les îles à sucre sont un enjeu permanent de la rivalité maritime et coloniale qui oppose la France à l’Angleterre, la soldatesque constitue une composante particulière des sociétés insulaires. À chaque fois que le contexte politique se dégrade entre Versailles et Londres, les autorités envoient des renforts supplémentaires pour assurer la défense des possessions antillaises. Cela n’empêche malheureusement pas, pendant la guerre de Sept ans, la capitulation de la Guadeloupe en 1759, suivie trois plus tard par celle de la Martinique en 1762. À chaque fois, les combats entraînent leur lot de pertes qu’amplifient encore les maladies qui, elles aussi, font des dégâts parmi ces soldats fraîchement arrivés de métropole et très vulnérables aux pathologies tropicales. Selon la provenance de ces troupes, on peut, à partir des registres de sépultures, identifier un certain nombre de soldats originaires du Lyonnais. Ainsi en est-il de Paul Le Caporal, dit « Saint-Paul », 22 ans, soldat dans la compagnie de Malmaison, mort à Basse-Terre en août 1723, comme de Barthélemy Chastain dit « Sans-regret », 25 ans, de la compagnie de Begue en 1742, de Joseph Outreve dit « la Grandeur », 21 ans, de la compagnie de Pontreuil en 1759 ou de René du Sazay justement dit « le Lionnois », en 176342. Cette même année, Jacques Perol, soldat au régiment du Médoc, mort à l’âge de 29 ans, est enterré à Saint-Pierre de la Martinique43. Plusieurs autres meurent à Port-au-Prince : Pierre Julien dit « Sans-souci » en 175444, Christophe Meunier, Jean François Liesse dit « Vive l’amour », Gabriel Rigoin dit « la Bonté », le caporal Claude Miget dit « Saint-Nizier », Jean Bourgeon dit « Sans-souci », Daniel Marie Giroud, le sergent Antoine Duprez, tous appartenant au Régiment d’Angoumois, morts en 1764 et 176545. Quant à Edmond Guillot, un officier dont le décès est enregistré à Basse-Terre en août 1769, sa mort en ce lieu et à cette date est incertaine dans la mesure où « son nom a été pris par un autre qui est véritablement décédé le susdit jour46 ». Certes, la présence de ces hommes ne signifie aucunement qu’ils soient demeurés dans les îles ou qu’ils aient eu l’intention de s’y installer. Mais il n’était pas non plus si rare que, une fois leur temps de service effectué, des soldats licenciés restent sur place et s’intègrent à la société coloniale comme Michel Rivière, employé sur une habitation et « ancien soldat au régiment du Port-au-Prince », mort à Saint-Domingue en 177947.

Les négociants lyonnais aux Îles

  • 48 Le Gouic O., Lyon et la mer..., op. cit., annexe 18, p. XXXIII-XXXIV.

20Il semble qu’un grand nombre de Lyonnais qui ont séjourné, ou qui se sont installés durablement aux îles françaises d’Amérique, ont fait profession de négoce, ou tout du moins se sont livrés au commerce. Les fonds de l’état-civil et les actes de procuration passés devant les notaires lyonnais nous ont permis de repérer, à différentes époques, 26 marchands et de négociants natifs de Lyon48. Quelques uns d’entre eux sont liés à des maisons lyonnaises que nous avons rencontrées parmi celles qui pratiquent le commerce des Îles. C’est le cas, par exemple, de Jean-François Guinand, fils du marchand Étienne Guinand, installé à Saint-Marc ; de Nazaire Savarin au Cap-Français, fils du négociant Alexis Savarin ; de Gaspard Gardelle à Saint-Pierre, dont le père Jean et le frère Henri sont négociants ; du fils homonyme de l’épicier Henri Chevalier venu s’établir à la Martinique ; ou encore de Jean-François Rouge qui avait exercé à Lyon sous la raison Jean-François Rouge et Cie avant de s’installer au Cap-Français. C’est dans cette ville d’ailleurs que les plus nombreux se sont installés, ce qui n’est pas une réelle surprise dans la mesure où elle devient au cours de la deuxième moitié du XVIIIe la plus importante des villes françaises des Antilles et le premier centre économique de l’île, assurant à elle seule un peu plus d’un tiers des activités de la colonie liées au commerce. Travaillant pour leur propre compte ou comme correspondants des maisons de commerce de leur ville natale, ces négociants ne se contentent pas de réceptionner et de vendre sur place les marchandises qui leur arrivent par la mer, le plus souvent sur des navires bordelais, les plus nombreux à faire la liaison entre Le Cap et la France. Certains les font charger en contrebande pour les colonies espagnoles où l’on sait les soieries, les velours et les dentelles très recherchées. Ils rassemblent aussi dans leurs magasins le sucre, le café et d’autres productions insulaires que leur correspondants leur commettent où qu’ils achètent avec le produit de leur commerce, convertissant ainsi en nature les sommes qui devraient revenir à leurs associés de métropole. Le manque de numéraire dont souffrent les colonies les oblige à recourir à ces pratiques qui, d’ailleurs, ne sont pas toujours du goût des partenaires de Lyon. Pour certains en effet, la revente de ces produits représente non seulement une surcharge supplémentaire, notamment lorsque leur activité initiale est étrangère au commerce des « fruits des îles », mais également un risque si les cours ne sont pas favorables au moment où ils réceptionnent ces marchandises.

  • 49 ADR, Actes notariés, 3E 2870, Bertholon, procuration de Pierre Pu à sa sœur Cécile Pu, 12 janvier (...)
  • 50 ADR, Actes notariés, 3E 3221b, Cabaret, procuration de François Faure à Risteaud père et fils, 12 (...)

21On trouve aussi plusieurs négociants lyonnais à Saint-Pierre, à la Martinique, davantage peut-être dans les années 1740 à 1760. Plaque tournante de toute l’activité commerciale des îles du Vent, Saint-Pierre est longtemps resté le pôle majeur du commerce français dans la mer des Antilles, ses entrepôts accueillant à la fois les cargaisons arrivant d’Europe et les denrées tropicales qui convergeaient des îles voisines pour y être chargées à bord des vaisseaux du retour mais aussi sur les navires étrangers qui faisaient relâche dans sa rade. Ce commerce d’interlope contribue à l’enrichissement de ses négociants, plus encore après l’indépendance des États-Unis qui voit se renforcer les liaisons avec l’Amérique du nord. Cette place stratégique confère aux négociants saint-pierrais une incontestable suprématie sur tous ceux de l’espace caraïbe français. D’autres exercent leur activité à Port-au-Prince, Léogane, Saint-Marc ou Jacmel. Ponctuellement on en rencontre aussi à la Guadeloupe comme André Pu en 174949 et même à la Grenade comme Antoine Faure au début des années 176050.

  • 51 CAOM, 85 Miom 76, État civil, Saint-Domingue : Port-au-Prince, 1711-1754, fo 73, mariage de Franço (...)
  • 52 CAOM, 85 Miom 33, État civil, Saint-Domingue, Le Cap, 1779-1782, mariage de Laurent Boucharlat et (...)

22Il semblerait donc que trois groupes sociaux se détachent nettement au sein de la communauté lyonnaise établie dans les colonies françaises de l’Amérique tropicale : les négociants, les « administrateurs » et, temporairement, les soldats. Si pour ces deux dernières catégories c’est bien le service de la monarchie qui les a conduit à traverser l’Atlantique pour venir séjourner dans ces îles, leur séjour est la plupart du temps temporaire. Par contre, parmi ceux qui pratiquent une activité mercantile, ils seraient proportionnellement plus nombreux à s’installer durablement, voire même à contracter mariage et, parfois, à faire souche, à l’instar de François Froment de Montfort, fils d’un banquier lyonnais qui, en 1734, se marie à Port-au-Prince avec une créole, Marie Françoise Luc51, ou de Laurent Boucharlat qui, en 1781 au Cap-Français épouse Marguerite Diseran, fille d’un négociant martiniquais de Saint-Pierre52.

  • 53 Ibid., mariage de Jeanne Rouge et de Jean Casteau, 16 octobre 1780 ; 85 Miom 34, État civil, Saint (...)
  • 54 ADR, F12-2736, matricule générale par département des colons de Saint-Domingue et autres réfugiés (...)

23Ainsi se trouve avérée la présence dans les Antilles françaises d’une petite colonie lyonnaise. Il n’est pas possible d’estimer le nombre de personnes qui en ont relevé, mais il semblerait qu’en son sein deux groupes se soient détachés : celui des marchands et des négociants et celui des gens de métier, certainement plus nombreux mais plus difficiles à cerner. Les premiers sont plutôt établis dans les villes, principalement au Cap-Français, à Port au Prince et à Saint-Pierre. Ils arrivent surtout après 1763, sont souvent liés à Lyon au monde du négoce ou de la Fabrique et conservent, dans l’exercice de leur activité, des liens étroits avec leur ville natale, travaillant souvent en collaboration avec un parent qui y est lui-même établi. Rien n’indique par ailleurs que leur séjour aux Îles n’ait été que temporaire dans la mesure où plusieurs d’entre eux y contractent mariage et parfois, comme Jean-François Rouge dont la fille Jeanne épouse au Cap un Bordelais avocat au Parlement, ou André Barbier dont la fille Marie-Anne se marie avec un « officier de navire » également bordelais53, y installent leurs enfants. Les gens de métier, eux, sont présents aux Îles dès la mise en place de la société coloniale. Une proportion importante de ceux qui arrivent au début de notre période – un tiers au cours des trois premières décennies du siècle – s’engagent au service d’un habitant, d’abord à la Martinique puis de plus en plus, à partir des années 1730-1740, à Saint-Domingue. C’est très certainement sur la Grande Île que la colonie lyonnaise est la plus importante quand éclate l’insurrection de 1790-1791. D’ailleurs la révolution dominguoise et la guerre qui suit entraînent un exode massif de colons, surtout après l’échec de l’expédition de Leclerc et la proclamation de l’indépendance haïtienne le 1er janvier 1804. Beaucoup d’entre eux se dispersent dans l’espace caraïbe, à Santo-Domingo, Cuba ou la Jamaïque ou encore gagnent le sud des États-Unis, mais certains choisissent de rentrer en France. Parmi eux, une quinzaine, dont plus de la moitié de femmes (9), auront encore droit au milieu des années 1820 aux secours accordés aux réfugiés ayant tout perdu : Emmanuel Bardou, Constance Darmand de Polignac, Louise Deloubert, France Dupont, Michel Grand, Claude Gontanier, Michel Marchand, Adolphe Michel, Vincent Turbé, ainsi que les veuves de Bergey, Billoteau, Delaroche, Demon, Hue et Petit54.

Des Lyonnais en Louisiane

  • 55 Lugan B., Histoire de la Louisiane française 1682-1804, Paris, 1994, p. 85.

24Entre l’implantation des premiers établissements français à l’embouchure du Mississippi, entre 1699 et 1701 sous la houlette de Le Moyne d’Iberville, et sa cession à l’Espagne en 1764 en dédommagement de la perte de la Floride et de Cuba, la petite colonie de Louisiane a connu une existence difficile, perpétuellement sous la double menace qu’ont représenté les peuplades indiennes et leurs protecteurs anglais. Les deux premières décennies de présence française furent extrêmement précaires, les pionniers français, au nombre de quelques centaines seulement, devant à la fois surmonter une nature hostile, un climat étouffant, la malnutrition génératrice de scorbut et des maladies tropicales qui décimaient les nouveaux arrivants. Pratiquement abandonnés à leur sort, ils ne purent guère compter sur le soutien de la métropole : huit navires seulement se présentèrent à l’entrée du Mississipi entre 1701 et 171255. De 172 habitants à Mobile en 1704, on atteint difficilement les 500 pour l’ensemble de la colonie quand elle passe en 1718 sous le contrôle de la Compagnie des Indes de Law. Entre temps, de 1712 à 1717, elle fut administrée par la Compagnie de Saint-Domingue, de Guinée et de l’Asiento dont le directeur, le financier Antoine Crozat, déjà impliqué par ailleurs dans les entreprises malouines d’armements vers les Indes orientales et la Mer du Sud, fut convaincu par le gouverneur La Mothe-Cadillac d’investir massivement pour le développement de la Louisiane. En moins de cinq ans, il investit 1 254 000 l.t. en vain dans ce territoire qu’il fallait approvisionner en tout mais qui était incapable d’exporter quoi que ce soit.

  • 56 Ibid., p. 82.
  • 57 Giraud M., Histoire de la Louisiane française, Paris, 1966, t. 3, p. 222-224.
  • 58 Ibid., p. 189, 198 et 227.

25En échange du monopole du commerce de Louisiane que les Lettres patentes de septembre 1712 lui reconnaissaient pour une durée de quinze années, Crozat et sa compagnie s’engageaient à y envoyer chaque année deux vaisseaux transportant, en plus du ravitaillement nécessaire à la survie de la colonie, dix garçons ou filles pour en développer le peuplement. Malheureusement, le contrat ne put être respecté, quatre navires seulement étant armés pour la Louisiane avant que Crozat ne jette l’éponge et ne demande à être relevé de son monopole en août 1717, sans avoir pu contribuer ni au peuplement ni à la mise en valeur de la colonie. Quelques mois plus tard, la nouvelle Compagnie d’Occident créée par John Law se substitue à la compagnie de Crozat et reçoit pour 25 ans le monopole du commerce et de l’exploitation de la Louisiane et de l’Illinois. Mais elle doit s’engager, en contrepartie, à œuvrer à l’installation de 6 000 colons blancs et faire venir quelques 3 000 esclaves noirs dans la colonie. Devenue Compagnie des Indes en mai 1719, après sa fusion avec d’autres compagnies à monopole, elle reçoit également en concession le port de Lorient, d’où elle va pouvoir préparer ses armements. Au total, entre 1718 et 1722, elle envoie en Louisiane quelques 70 navires56 qui, au cours des trois premières années, transportent un peu plus de 7 000 passagers, dont un bon tiers d’engagés, pour la plupart recrutés à La Rochelle, Lorient et Paris, selon des modalités identiques à celles de l’engagement pour les Antilles57. En 1720 Law élargit le recrutement des immigrants à l’Allemagne et à la Suisse. Parmi les quelques 300 d’entre eux qui s’établissent en Louisiane, signalons Jean-Daniel Kolly, un banquier suisse dont le père avait été marchand à Lyon, qui acquiert en 1720 deux concessions regroupées sous le nom de Sainte-Reyne, et qui recrute « une forte proportion d’engagés originaires des provinces du nord, Picardie, Flandre, Champagne, région de Namur et de Maubeuge, et jusqu’à des artisans de Gand, Charleroi, Bruxelles, tournai, quelques Italiens et Suisses, quelques représentants enfin de la région lyonnaise58 ».

  • 59 CAOM, G1 464, Louisiane, recensements, états des passagers, rôle des concessionnaires et passagers (...)
  • 60 Giraud M., op. cit., t. 3, p. 165.
  • 61 CAOM, G1 464, Louisiane, recensements, états des passagers, rôle des concessionnaires et passagers (...)
  • 62 Ibid.
  • 63 AN, F5B 57, liste des passagers embarqués à destination des colonies dans des ports français, La R (...)

26Parmi les 333 premiers passagers à embarquer en mai 1718 sur les vaisseaux de la Compagnie d’Occident, nous avons pu repérer trois Lyonnais à bord de La Marie : Jean Brunet, Pierre Bertaud et Joseph Brossard59. « Marchand-bourgeois » de Lyon, ce dernier a obtenu une concession en Louisiane en janvier 1718, avec son neveu Mathieu et, pour la mettre en valeur, ils ont fondé pour une durée de cinq ans, avec deux autres associés parisiens, une société au capital de 12 000 l.t.60. L’année suivante, après être revenu et avoir recruté 23 personnes pour mettre en valeur sa concession, Joseph Brossard embarque de nouveau pour la Louisiane, sur Le Philippe qui appareille le 27 janvier 1719. Il est accompagné cette fois de son neveu Mathieu et de sa belle sœur, tandis que, parmi ses engagés, se trouvent au moins quatre Lyonnais, Noël Deprenon, Mathieu Duclos, François Rivière et Marie Chasselin61. D’autres Lyonnais ont également embarqué sur ce navire : Claude Chevalier, engagé par les concessionnaires De Semonville et Canet62, Louis Brunol ainsi que Jean et Magdeleine Chagneau63. Mais la colonie n’est pas prête à recevoir ces nouveaux habitants. Les logements manquent et les vivres ne sont encore disponibles qu’en quantités très limitées. De plus une forte mortalité s’abat sur eux. Les excès du climat et les maladies, aggravées par des conditions de vie extrêmement difficiles, emportent beaucoup d’entre eux et, parmi les survivants nombreux sont ceux qui profitent de la première occasion pour rentrer en métropole. Rapidement, les échos qu’ils rapportent de leur expérience découragent les candidats au départ. Pour honorer la clause de peuplement de son contrat de monopole, la Compagnie va donc avoir recours à des expédients et obtenir du pouvoir royal le droit de recourir à des recrutements forcés au sein des populations marginales de vagabonds, de mendiants, de prostituées et de condamnés de droit commun, fraudeurs de tabac, faux-sauniers et déserteurs qui vont être par centaines déportés vers les terres si peu hospitalières du Mississippi.

  • 64 CAOM, G1 464, Louisiane, recensements, rôles des passagers embarqués sur les vaisseaux de la Compa (...)
  • 65 Parmi les vagabonds seuls E. Hodieu et J. Descomptes seraient natifs de Lyon. CAOM, G464, Louisi (...)
  • 66 Ibid.
  • 67 CAOM, G1 464, Louisiane, recensements, états des passagers, « liste générale des passagers pour la (...)
  • 68 Ibid., rôles des soldats des troupes de la Compagnie d’Occident embarqués en 1719-1720.

27On retrouve un premier contingent de vagabonds venant de Lyon à bord du Maréchal d’Estrées en août 1719, au départ de La Rochelle. Ils sont sept, dont quatre Lyonnais : Aimé Pichon, ouvrier en soie de 17 ans, Jean Raymond, forgeron de 40 ans, Jacques Seyty, jeune cordonnier de 16 ans, Nicolas Radeau, 40 ans64. Sur Les Deux Frères, un autre navire de la Compagnie qui lève l’ancre trois jours plus tard avec 201 passagers à son bord, se trouvent sept autres « vagabonds venus de Lyon » : François Jouteux et sa femme, Marguerite Michon, Étienne Falquet, Étienne Hodieu, âgé de 21 ans, Charles de Metz, Julien Descomptes, papetier de 45 ans, et Jean Rivière ; mais aussi trois autres passagers lyonnais condamnés à la déportation : Pierre Comte, un fraudeur de tabac de 26 ans, qui déclare la profession de tailleur d’étoffes d’or et d’argent, Jacques Villet, également fraudeur de tabac, âgé de 21 ans, et Jean Renault dit Sans Regret, un déserteur de 28 ans65. En septembre, ce sont trois autres Lyonnais fraudeurs de tabac et un vagabond qui embarquent à bord du Duc de Noailles et de L’Union : Jean Gottard, un tisserand de 27 ans, Benoît Étienne Veillon, charretier de 35 ans, Joseph Journan, jeune homme de 20 ans sans métier et Pierre Senouche, 27 ans66. Au cours de l’année qui suit, 2 665 passagers embarquent au port de Lorient, dont beaucoup de familles suisses et allemandes et au moins deux Lyonnais identifiés avec certitude : le sieur Du Bul, commis de son état, sur le Saint-André, et Antoine Salaville, un charpentier qui rejoint la colonie de Sainte-Reyne, sur La Loire67. Le peuplement de la colonie passe aussi par l’envoi de soldats. Mais si cette politique réussit en Nouvelle-France, ce n’est pas le cas en Louisiane du fait de la mauvaise réputation de la colonie. La Compagnie a du mal à enrôler les soldats indispensables au renforcement des garnisons et, sur place, les autorités ne réussissent pas à lutter contre les désertions. En 1719-1720, 131 soldats débarquent des navires Le Saint-Louis, La Dauphine, L’Union et Le Profond. Sept d’entre eux sont Lyonnais, la plupart jeunes et très certainement d’extraction modeste : Nicolas Rigolet, 16 ans, Joseph Jounnan, François Darbet et Pierre Callet, 20 ans tous les trois, Antoine Duran et Louis Dange dit la Souche, 23 ans, et un sergent âgé de 30 ans, Jacques Linet68.

  • 69 CAOM, G1 464, Louisiane, recensement, 20 décembre 1724.
  • 70 CAOM, G1 464 A, Louisiane, recensement, novembre 1721.

28À cette époque on se plait à croire encore que la Louisiane pourrait devenir une colonie de peuplement et de bon rapport, comme Saint-Domingue. Les terres sont mises en valeur par de petits propriétaires qui travaillent avec un nombre d’esclaves limité, le plus souvent moins d’une dizaine. Sur toutes ces exploitations on pratique à la fois des cultures vivrières, maïs et riz essentiellement, et des cultures commerciales, l’indigo et le tabac. Parmi ceux qui s’installent, nous avons pu identifier au moins un Lyonnais, recensé en 1724 parmi les soixante concessionnaires établis entre la Nouvelle-Orléans et le village des Allemands, « à dix lieues au dessous de la dite ville, à droite en remontant le fleuve ». Présenté comme « fort bon travailleur », il s’appelle Thomas Guichard, est âgé de 30 ans et vit avec sa femme et son fils de 10 ans. Il exploite depuis 1721 la concession de Sainte-Reyne sur laquelle il a défriché « neuf à dix arpents de face sur neuf arpents de profondeur » et travaille, avec l’aide de deux engagés, douze arpents de terre cultivés en riz et en patates. Ses efforts sont salués par les autorités qui estiment alors qu’il « mérite des nègres par préférence » pour l’aider à développer son exploitation69. Pourtant les grandes plantations sont encore très rares. Les cultures de l’indigo et du tabac tardent à se développer, faute de main d’œuvre, alors que les tentatives d’acclimatation de la canne à sucre et du mûrier échouent. Un mémoire joint au recensement de 1721 rapporte cependant que « les terres de la Nouvelle-Orléans et des lieux circonvoisins [...] sont très bonnes [et] produisent du riz, du bled maïs, des légumes de toute espèce et du tabac en abondance », tandis qu’un concessionnaire établi « à environ trente lieues plus haut que la Nouvelle-Orléans », le sieur Dubuisson, y aurait fait des essais de culture de froment, d’indigo – « qui est devenu très beau » et pour lequel il pourrait être envisagé deux ou trois récoltes par an – ainsi que de mûriers en mesure « de produire une grande quantité de feuilles parce que le terrain [leur est] très favorable », l’idéal pour développer l’élevage du ver à soie70. Mais la Louisiane manque de bras même si, conséquence de la vague d’immigration des années 1717-1720, sa population atteint maintenant les 1 800 colons, son climat, les maladies et le dénuement découragent rapidement les pionniers les moins aguerris qui, pour beaucoup, regagnent l’Europe à la première occasion.

  • 71 Dans sa correspondance avec la maison bordelaise Vallet et Roger, Joannon, chapelier à Lyon, se pl (...)

29Lorsque le système de Law s’effondre, la Louisiane est placée sous administration royale pendant quelques mois, puis cédée à la Compagnie des Indes en 1723. Un cadeau empoisonné car la colonie du Mississippi demeure un gouffre financier et les coûts induits par sa défense et son ravitaillement sont tels que moins de huit ans plus tard, en janvier 1731, la Compagnie, incapable d’y faire face et, surtout, de rentrer dans ses frais, renonce à son tour et la restitue au Roi, pour ne conserver que le monopole de l’importation et de la vente de la fourrure de castor, les pelleteries étant alors la seule production de ce territoire en mesure de rapporter des bénéfices71. Pendant cette période la culture du tabac, dont la Compagnie a reçu le privilège de la ferme, se répand néanmoins en Basse-Louisiane et la Nouvelle-Orléans, qui avait été fondée en 1718, en profite pour s’imposer comme l’entrepôt du commerce avec l’Europe, un commerce limité toutefois à l’indigo, au tabac, aux fourrures et aux peaux. Mais la colonie de Louisiane manque toujours pratiquement de tout, y compris les armes et les munitions qui permettraient de lutter plus efficacement contre les attaques indiennes. Au début des années 1740, ses habitants, moins de 4 000 colons et à peine 2 000 esclaves, survivent difficilement grâce à l’agriculture et à la course dans les bois. Désormais l’immigration s’est tarie et, jusqu’à sa cession à l’Espagne, la colonie végète, la belle image d’Eldorado que Crozat avait tenté d’imposer dans l’opinion ayant fait long feu dès les premiers retours.

Les Lyonnais à l’Île de France

  • 72 58 colons en 1674, 200 en 1690 et à peine plus de 500 au début du XVIIIe siècle. Pluchon P., Histo (...)
  • 73 Haudrère P., La Bourdonnais, marin et aventurier, Paris, 1992.
  • 74 Pendant le gouvernement de La Bourdonnais, la population blanche de Bourbon augmente de moitié et (...)

30L’histoire de la présence française dans l’océan indien est, aux temps modernes, indissociable de l’histoire des Compagnies des Indes orientales. Lorsque la première d’entre elles est fondée par Colbert en mai 1664, la présence française dans l’océan indien se limite à la colonie de Fort-Dauphin, un comptoir précaire fondé par le Rochelais Pronis au début des années 1640 au sud de Madagascar. Conscient que le commerce avec l’Inde et la Chine ne pourrait décoller sans implantation durable, le ministre assigne à la Compagnie la tâche de coloniser l’Île Dauphine et sa petite voisine Bourbon. Il envoie sur place François Martin, futur gouverneur de Pondichéry, pour réorganiser la colonie, mais la disette et les maladies ont bientôt raison de ces pionniers. L’installation sur la grande île ayant échoué, le Contrôleur général doit, en 1669, renoncer à son projet de faire de Fort Dauphin un Batavia français et les premiers colons se replient sur Bourbon. La colonisation et la mise en valeur de cette petite île des Mascareignes commencent donc au début des années 1670. Mais le peuplement reste modeste72 et la colonie végète, jusqu’à ce que les Malouins y introduisent en 1715 la culture du café de Moka. En 1721, l’île Maurice, abandonnée par les Hollandais et rebaptisée Île de France, passe sous l’administration de la Compagnie de Law. Mais c’est Mahé de la Bourdonnais, devenu gouverneur des Mascareignes en 1735, qui va faire des deux îles un élément clé du dispositif français dans l’océan indien73. En fondant Port-Louis, il donne à la France le port d’entrepôt dont elle avait besoin dans cette région du monde. Pendant les onze années de son administration, la population augmente74, la mise en valeur des terres progresse et l’activité commerciale s’accélère.

  • 75 Le Gouic O., « Pierre Poivre et les épices : une transplantation réussie ? », Llinarès S., Hrodej (...)
  • 76 Selon Auguste Toussaint, il y a 1 998 blancs à l’Île de France en 1766, ainsi qu’un millier de « l (...)

31Au lendemain de la guerre de Sept ans, la Compagnie vend les Mascareignes au Roi qui, quelques années plus tard, en 1769, suspend le régime du monopole qui organisait le commerce avec les Indes depuis Colbert. L’économie et la démographie des deux îles connaissent alors un nouveau décollage auquel ne saurait être étranger le Lyonnais Pierre Poivre, homme des Lumières, premier Intendant des Mascareignes, qui débarque au Port-Louis en 1767. Pendant six ans, il œuvre inlassablement au développement économique des deux îles. Réhabilitant le projet de Mahé de la Bourdonnais, il fait remettre en état la rade de Port-Louis, modernise le port, réorganise les chantiers navals, embellit la ville, fait mettre en culture de nouvelles terres en favorisant le développement des cultures vivrières et en y introduisant la culture du muscadier et du giroflier qu’une expédition parvient à subtiliser aux Hollandais en 177075. En quelques années, Poivre parvient à faire de l’Île de France la plaque tournante du commerce entre la France et l’Orient, tandis que son homologue De Crémont spécialise Bourbon dans la production de vivres et de denrées coloniales. Les Mascareignes entrent donc dans une nouvelle ère et la libéralisation du commerce entraîne la reprise d’un mouvement migratoire qui s’était tari. La population augmente à nouveau : entre 1766 et 1788, le nombre de colons double à l’Île de France et augmente de moitié à Bourbon76.

  • 77 Toussaint A., « Les Lyonnais à l’Île-de-France », Cahiers d’Histoire, 1975, t. xx, p. 43.
  • 78 L’usage du mot « négociant » n’est pas défini avant le Code des isles de France et de Bourbon, en (...)
  • 79 Ibid., p. 25.
  • 80 Il s’agit de Nicolas Hilaire Comarmond et Jacques Cotteret (1768) ; de Vital Muret (1770) ; de Gas (...)
  • 81 Ibid., p. 44.
  • 82 Malleret L., Pierre Poivre, Paris, 1974 ; Ly-Tio-Fane M., Mauritius and the spice trade. The odyss (...)

32L’ouverture des Indes au commerce libre en 1769 se traduit par l’arrivée de très nombreux négociants à l’Île de France. Auguste Toussaint en a recensé pas moins de 751 pour la période 1767-181077, à une époque où le sens même de « négociant » n’est cependant pas encore clairement défini aux Mascareignes, son usage cachant des réalités parfois éloignées de la condition du négociant telle qu’elle s’est imposée en métropole78. Il a pu établir avec certitude l’origine géographique de 609 d’entre eux (81 %). Pour la plupart, ils sont originaires de provinces maritimes : 102 sont bretons (16,7 %), 79 arrivent du Languedoc et de Provence (13 %), 60 sont aquitains (9,8 %), 50 étrangers au royaume de France (8,2 %), 38 sont des Créoles (6,2 %) et 31 viennent de la région de Lyon (5 %). Les Lyonnais sont les plus nombreux parmi les 188 négociants originaires des provinces de l’intérieur du royaume et formeraient alors un petit groupe très actif79. Sur les 31 identifiés par Toussaint, 24 débarquent à l’Île de France avant 179180. « Tous ces négociants forment un véritable clan, mais ce phénomène n’est pas particulier aux Lyonnais [...]. Aux Mascareignes comme aux Antilles, le régionalisme est très marqué à cette époque. Autant de régions, autant de clans81. » Il est fort probable que cette représentation des Lyonnais, supérieure à ce qu’on peut observer à la même époque dans les Antilles françaises, soit liée au rôle que joua dans l’île l’intendant Pierre Poivre, le principal artisan de la modernisation de la colonie au lendemain de la guerre de Sept ans, entre 1767 et 177282.

  • 83 « Une figure celui-là. En tant qu’administrateur, Poivre se classe parmi les meilleurs. » A. Touss (...)
  • 84 Le Gouic O., « Pierre Poivre et les épices... », op. cit.

33Il ne nous est malheureusement pas possible ici de nous étendre sur la carrière et l’œuvre de cet administrateur hors pair83, homme des Lumières et chasseur d’épices au nom prédestiné, qui renoua avec les ambitions de son modèle Mahé de la Bourdonnais et mit fin, grâce à l’introduction de la culture du giroflier et du muscadier, au monopole séculaire des Hollandais sur la production et le commerce des épices des Moluques84. Retenons simplement que sous son administration, les îles de France et de Bourbon connurent une phase de développement sans précédent marquée entre autres choses par l’essor des cultures vivrières, le défrichement et la mise en exploitation de nouvelles terres, mais aussi par le développement du commerce libre avec la métropole et du commerce d’Inde en Inde. En engageant également d’importants travaux d’urbanisme et de réfection portuaire à Port-Louis, dont il rêvait de faire un nouveau Batavia, il réussit à faire de l’Île de France la plaque tournante du négoce français dans l’océan indien, une étape privilégiée et de qualité sur la route des Indes, ce qui n’a pas manqué d’attirer sur place un certain nombre de marchands venus de métropole avec l’espoir de réaliser sur place de belles affaires afin de se constituer promptement une solide fortune.

Une petite communauté de négociants lyonnais

  • 85 CAOM, G1 473, recensement général de l’Isle de France, 1776 ; G1 474, recensement général de l’Isl (...)
  • 86 Toussaint A., Le mirage des Îles..., op. cit.

34Si une trentaine de négociants lyonnais tout au plus débarquent à l’Île de France entre 1767 et 1791, il reste impossible de savoir combien s’y sont fixés durablement. Les recensements ponctuels de la population de l’île nous en révèlent trois en 1776, dont Jacques Cotteret, installé depuis huit ans déjà, quatre en 1780 et sept en 178885. Tous sont installés dans le quartier du Port-Louis, mais Vital Muret et Nicolas Comarmond possèdent également des habitations, le premier dans le quartier des plaines de Wilhelm et le second dans celui de la Rivière Noire. Si le recensement de 1776 ne leur reconnaît que la qualité de « marchands », le terme « négociant » apparaît en 1780 pour distinguer Comarmond et Muret du marchand Gaspard Cotteret et du boutiquier Nicolas Masuyer. En 1788, Comarmond est qualifié de négociant et armateur, Jean-Marie et Balthazar Cotteret, Philippe Duperrel, André Lesur et Louis Louis de négociants, Jean-Claude Jogand de marchand. Par contre, en 1780 comme en 1788, Jean-Baptiste Pipon n’est encore recensé que comme « commis aux écritures », alors qu’il spécule déjà sur les marchandises de France et les denrées coloniales86.

  • 87 Ils embarquent à Nantes le 28 juin 1773, sur le Vicomte de Talleyrand ; ADLA, 120 J 433, Inscripti (...)
  • 88 CAOM, G1 473, Recensement général de l’Isle de France, 1776, quartier du Port-Louis, fo 87.
  • 89 Ibid., quartier des Plaines de Wilhelm, fo 11-12.
  • 90 CAOM, G1 475, Recensement Isle de France, 1788, quartier du Port-Louis, fo 42.
  • 91 Ibid., fo 42.

35Parmi ce groupe marchand, deux familles s’installent durablement à l’Île de France et parviennent à occuper une place importante dans le négoce : les Comarmond et les Cotteret. Après avoir effectué un premier voyage aux Mascareignes en 1768, Nicolas Hilaire Comarmond y revient en 1773 en compagnie de sa femme, Gasparde Ruythegem, et s’installe à l’Île de France87. En 1776, à 38 ans, il fait déjà partie des négociants les plus en vue de Port-Louis, où il réside au 403 rue des Pamplemousses, sa maison étant alors tenue par deux esclaves88. Il possède également une habitation de 156 arpents dans les Plaines de Wilhelm où s’est installée sa famille. Trois esclaves vivent également sur la plantation et participent à la mise en valeur d’une dizaine d’arpents plantés en caféiers et en maïs89. Devenu ensuite armateur, il possède au moins huit navires entre 1781 et 1788, pratique le commerce d’Inde en Inde mais aussi la traite négrière sur la côte de Tanzanie où il ouvre même un comptoir à Mongalo en 1789, avant de se retirer des affaires pour se consacrer à la plantation qu’il possède dans le quartier de Pamplemousse. À la veille de la Révolution, Antoine Comarmond est un prospère négociant quinquagénaire qui, après son remariage avec une jeune Lyonnaise de douze ans sa cadette, vit au Port-Louis en compagnie de ses deux enfants, Claude, 17 ans, et Julie, 4 ans. Il possède désormais 39 esclaves : « 28 noirs, 4 négresses, 4 négrillons et 4 négrites90 ». Deux autres Comarmond séjournent aussi dans l’île : son frère cadet, Amboise, qui y reste trois ans entre 1773 et 1776, et son cousin Antoine Jean, arrivé en 1784 et qui se lance dans la double activité de négociant et d’agent de change, sans faire d’aussi bonnes affaires que son parent, semble-t-il. Néanmoins, il est recensé en 1788 comme conseiller secrétaire du Roi, greffier en chef au bureau des finances de Grenoble, installé au Port-Louis avec sa femme et sa fille de 9 ans91.

  • 92 CAOM, G1 473, Recensement général de l’Île de France, 1776, quartier du Port-Louis, fo 87.

36Nous disposons de moins d’informations sur les Cotteret, quatre autres Lyonnais arrivés lors de la première vague, entre les guerres de Sept Ans et d’Amérique, entre 1768 et 1776. Nous n’avons pu repérer dans nos sources que Jacques et Gaspard Cotteret. En 1776, ils sont installés tous les deux à Port-Louis. Alors âgé de 38 ans, Jacques est arrivé en 1768 sur Le Solide. Il déclare la profession de marchand, vit au 221 rue de la Corderie et possède cinq esclaves, trois hommes et deux femmes. Gaspard, lui, est âgé de 44 ans. Arrivé en 1774 à bord du Castries, il réside à la même adresse et est également recensé comme marchand92.

  • 93 Toussaint A., Le mirage des Îles..., op. cit.
  • 94 Ibid., p. 10.

37Dans son livre sur le négoce français aux Mascareignes, Auguste Toussaint s’attarde de son côté sur la personnalité de Jean-Baptiste Pipon93, « négociant polyvalent, donc particulièrement intéressant94 », natif de Lyon – où son père, Georges, était maître fabricant de soieries – arrivé au Port-Louis en juin 1778 à bord de L’Aimable Nanette, un navire de 600 tx armé par la maison Admirault, qui avait quitté Lorient cinq mois plus tôt, le 28 janvier 1778. Quand il débarque sur les quais du Port-Louis, il n’y a alors que 25 négociants établis dans la ville, dont deux Lyonnais, Nicolas Hilaire Cormamond et Vital Muret, un ancien officier du régiment du Royal Comtois. Muret vit dans l’île depuis huit ans, est propriétaire d’une habitation dans le quartier des Plaines de Wilhelm, dans la partie sud de l’île, et participe à différentes affaires comme, par exemple, l’armement de corsaires. Ayant trouvé un emploi de commis aux écritures dans les bureaux de l’Intendance, Jean-Baptiste Pipon se familiarise rapidement avec les choses du commerce. Lorsque la paix est rétablie entre la France et l’Angleterre, il commence à spéculer sur les denrées coloniales et les marchandises de France et, jusqu’à la fin des années 1780, réalise de petites affaires dont il ne manque pas de réinvestir les profits, notamment en prêtant à la grosse à des armateurs ou à des marchands qui pratiquent le commerce de caravane et vont vendre des marchandises d’Europe en Inde. Il complète ces activités de prêt par quelques commissions pour le compte de négociants port-louisiens qui, à l’occasion de voyages en France, lui confient la gestion de leurs affaires, ou pour le compte de négociants de métropole ou des comptoirs de l’Inde avec lesquels il a pu entrer en contact dans le cadre de ses fonctions de commis aux écritures.

  • 95 Ibid., p. 76.
  • 96 Ibid., p. 67.

38En 1790, il franchit le pas en s’associant avec un autre Lyonnais, André Baudouin. Arrivé à l’Île de France cinq ans plus tôt, celui-ci s’est lancé dans le commerce d’Inde en Inde, avec l’appui financier de Pipon qui, pour lui permettre de constituer sa première caravane, lui avait, par un acte du 23 juillet 1785, prêté 9 500 l.t. à la grosse. Sous la raison sociale Pipon et André Baudouin, ils font venir des marchandises d’Europe, parmi lesquelles des produits des manufactures de Lyon, soieries et fils d’or que leur fournissent les maisons Teste, Guillaud père et fils et Willemoz et Cie. Acheminées à Lorient, les caisses d’étoffes y sont réceptionnées et chargées à leur adresse par leur correspondant sur place, Éven de Vincé, un commissaire de la marine dont le frère, Éven de Villemoublain, installé au Bengale comme indigotier, est une relation d’André Baudouin. En retour, ils lui expédient du café et de l’indigo, mais aussi des indiennes, de la soie et d’autres marchandises d’Inde et de Chine qu’ils rapportent de leurs voyages au Bengale et sur la côte de Coromandel. En 1792, alors que Baudouin séjourne à Marseille, Pipon réalise sa seule et unique caravane. Parti du Port-Louis le 12 juin, il se rend d’abord à Ceylan, puis à Pondichéry et à Madras, avant de gagner Calcutta. Le voyage dure dix mois puisqu’il n’est de retour à l’Île de France que le 14 avril 1793. Au départ il avait emporté avec lui « des piastres, du filé d’or, une Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des Arts et des Sciences, première édition de 1751, estimée à 420 roupies, deux diamants estimés l’un à 5 000, l’autre à 1 800 roupies, deux ceintures de châles prisées 350 roupies chacune, deux turbans de châles prisés 150 roupies et quelques autres articles95 » pour lesquels il parvient à trouver preneurs, sans réaliser toutefois de gros profits, qu’il réinvestit cependant en toiles et en sucre. Accompli sans enthousiasme, ce voyage ne lui procure aucune satisfaction particulière, sa préférence allant, semble-t-il, aux activités de comptoir : « la mer est un élément qui ne nous convient pas et auquel on doit renoncer le plus tôt qu’on peut » écrit-il d’ailleurs à son frère le 30 juillet 1792, alors qu’il vient d’arriver à Pondichéry96. Néanmoins, en juillet et août 1793, il se rend à l’île Bourbon pour acheter du café, 1 500 balles qui lui coûtent 80 893 l.t. et vendre au passage quelques marchandises envoyées de Marseille par Baudouin, du vin, du sucre, de l’huile d’olive, ainsi que des toiles ramenées de son périple indien, ventes qui lui rapportent 11 400 l.t.

39Au retour de Baudouin, les deux associés conçoivent un nouveau projet, plus ambitieux : établir une liaison triangulaire entre les Mascareignes, les États-Unis et l’Europe. Ils entendent alors expédier aux États-Unis de l’indigo, du coton, du café de Bourbon, du sucre et de l’arack. Si les perspectives d’une telle entreprise semblent juteuses – un bénéfice de trois pour un est envisagé – les investissements nécessaires sont hors de leur portée. Aussi tentent-ils d’y associer Éven de Villemoublain qui, outre son indigoterie du Bengale, en possède une seconde dans le quartier de Flacq ainsi que deux navires, mais aussi deux maisons de Lyon avec lesquelles ils sont en affaire, Teste et Rocques et Cie. En vain car la reprise de la guerre fait non seulement avorter le projet, mais scelle aussi la fin de l’association entre Pipon et Baudouin, puisque ce dernier part seul pour l’Amérique en 1794. Il en revient l’année suivante, toujours désireux d’établir une liaison entre l’Île de France et la jeune république... peine perdue.

  • 97 Le Résolu, un 26 canons de 500 tx., est armé par Augustin Loirette et commandé par Jalineau. Il ap (...)

40Jean-Baptiste Pipon, de son côté, reprend le commerce avec le Bengale et la spéculation sur les denrées coloniales, à une époque où les liaisons avec la métropole sont plus difficiles. Ses plus belles affaires portent sur le café et le coton de Bourbon. Il achète même, en août 1795, un senault de 350 tx, La Rose. Le navire lui coûte 600 000 l.t. (10 000 piastres environ) et va faire quatre voyages entre les deux îles entre décembre 1795 et mai 1796. Dans le même temps, il a réalisé d’autres investissements à la mer, d’abord en prenant, en 1793 et 1794, des parts sur deux corsaires, Le Résolu et Le Modeste97, puis en s’associant avec deux autres négociants, Le Tellier et Boudret, pour acquérir leur propre corsaire, un navire de 500 tx baptisé La Rosalie. Cette opération lui coûte 40 333 l.t., pour pas grand-chose puisque le bateau est revendu le 14 décembre 1794, à l’issue d’une unique croisière infructueuse d’à peine un mois.

  • 98 Romans quitte l’Île de France deux ans plus tard, en 1746 pour la Martinique où il meurt le 4 nove (...)
  • 99 CAOM, G1 473, Recensement général de l’Isle de France, 1776, quartier des Plaines de Wilhelm, fo 4 (...)
  • 100 CAOM, G1 474, Recensement général de l’Isle de France, 1780, quartier des Plaines de Wilhelm, fo 2 (...)
  • 101 CAOM, G1 476, Recensement général de l’Isle de France, 1788, quartier des Plaines de Wilhelm, fo 3 (...)

41Prêt à saisir toutes les opportunités, Pipon investit également dans une entreprise agricole et, en mai 1795, devient copropriétaire pour un tiers d’une sucrerie et d’une guildiverie, Savannah, dans le quartier de La Savanne, au sud de l’île. Il investit 1 377 666 l.t. (33 514 piastres) dans cette opération, une somme colossale dont il s’acquitte en trois fois, en moins de deux ans puisque le dernier versement est fait le 4 mars 1797. Investir dans une plantation est un aboutissement logique quand on est installé aux îles et qu’on a pu, grâce à ses activités, se constituer un capital. Pipon n’est pas le seul Lyonnais à agir ainsi. D’autres l’ont fait avant lui. Nicolas Hilaire Comarmond, nous l’avons vu, achète une habitation dans le quartier des Plaines de Wilhelm où s’est également installé Vital Muret. Avant eux, Pierre de Romans, un ancien officier d’infanterie, s’était installé dans le quartier de Pamplemousse vers 1730, année où il s’était associé avec un de ses voisins, devenu ensuite son beau père, Antoine Pignolet. Douze ans plus tard, avec sa belle-mère devenue veuve, il achète à La Bourdonnais, pour 46 000 l.t., une nouvelle habitation dans le même quartier, avant de devoir la rétrocéder en novembre 1744, faute d’avoir pu la payer98. Mais celui qui réussit le mieux est sans conteste Jean-Baptiste Thévenet qui, en 1776, possède une habitation de 380 arpents à l’ouest de l’île, dans le quartier de Flacq. Utilisant la force de travail d’une vingtaine d’esclaves, il cultive alors du « bled », du riz et du maïs99. Quatre ans plus tard, son exploitation a pratiquement doublé en superficie pour atteindre les 600 arpents et il s’est lancé dans l’élevage bovin avec un cheptel d’une vingtaine de têtes100. Au cours de la décennie suivante son affaire prospère encore : il achète de nouveaux esclaves (il en possède 67 en 1788), agrandit son troupeau (une cinquantaine de bêtes en 1788)101, avant d’être un des premiers à se lancer dans la culture de la canne à sucre au début des années 1790.

  • 102 Toussaint A., Le mirage des Îles..., op. cit.

42À son exemple, Henri Journel, « qui [aurait compté avec son frère Auguste] parmi les Lyonnais les plus remarquables passés à l’Île de France102 », crée à la même époque une autre sucrerie, Mon Désir dans le quartier de Pamplemousse, en association avec deux autres Lyonnais, Claude François Fissour jusqu’en 1795, puis Jean-Baptiste Pillet. Issu d’une grande famille de la finance lyonnaise, Henri Journel est arrivé sur l’île en 1783. Parallèlement à ses activités de négociant, il s’associe d’abord avec un Picard, Augustin Millon d’Ailly de Verneuil – dont il épouse bientôt la fille – pour exploiter une première sucrerie, à Minissy, avant de voler de ses propres ailes. Fortune faite, il revend tous ses biens en 1799 pour rentrer en France. Le produit de cette vente est intégralement converti en denrées coloniales qu’il fait charger à bord de cinq navires. Malheureusement tous les navires, bien que neutres, sont capturés par les Anglais qui saisissent toutes les marchandises transportées, ruinant leur propriétaire.

Aperçu sur la « colonie lyonnaise » de l’Île de France

  • 103 Le Guellanf C., Les passagers de la Compagnie des Indes, 1719-1747, mém. master 1, Lorient, 2006 ;(...)
  • 104 Le Guellanf C., op. cit., vol. 1., p. 58 et 67.
  • 105 Poulain C., op. cit., p. 73.

43Au total, Auguste Toussaint a pu identifier avec certitude une soixantaine de Lyonnais installés à l’Île de France après la « royalisation » de 1766. Il n’est malheureusement pas possible de se faire une idée plus tôt du nombre de Lyonnais qui partirent de Lorient pour les Mascareignes. En effet, l’origine géographique des passagers qui embarquaient à Lorient n’était que très rarement mentionnée sur les rôles d’armement des navires de la Compagnie des Indes. Dans les mémoires qu’ils leur ont consacrés pour les périodes 1719-1747 et 1748-1772, Claudia Le Guellanf et Christophe Poulain n’ont en effet pu établir la provenance que d’une poignée des 27 809 passagers, soldats compris, qui furent transportés à bord des navires de la Compagnie103. Claudia le Guellanf n’a pu déterminer l’origine que de 140 des quelques 1 192 « passagers civils et non déterminés » qu’elle a recensés pour la première époque, et aucun des 378 passagers qui embarquèrent alors pour les îles de l’océan indien n’était identifié comme Lyonnais104. Mais il va de soi que le fait que l’on ne connaisse l’origine que de un passager sur huit ne peut en aucun cas nous autoriser à tirer une quelconque conclusion sur la participation éventuelle des Lyonnais au peuplement initial de l’Île de France. Quant à Christophe Poulain, qui a dépouillé les rôles d’armement lorientais entre 1748 et 1772, il n’a pu trouver de renseignements que sur l’origine des passagers clandestins montés à bord de vaisseaux de la Compagnie dans le port de Lorient, soit 836 personnes, parmi lesquelles huit seulement venues de l’actuelle région Rhône-Alpes, deux en 1752, un troisième en 1765, un quatrième en 1767 et les quatre derniers en 1768105. Cette dernière information tendrait à confirmer l’hypothèse que l’émigration lyonnaise vers les Mascareignes aurait plutôt été un phénomène postérieur à la guerre de Sept ans.

  • 106 Toussaint A., « Les Lyonnais à l’Île de France », op. cit., p. 43.
  • 107 Ibid., p. 57.
  • 108 Bechet O., Inventaire des registres paroissiaux de l’île de France (Île Maurice), Compagnie des In (...)

44À partir de l’étude de sources d’état civil, Auguste Toussaint peut rajouter à la liste des négociants lyonnais déjà énumérés précédemment, « au moins une trentaine d’autres Lyonnais exerçant divers métiers et professions, sans parler des fonctionnaires civils et militaires106 » comme Camille Charles Leclerc Defresne qui commande la garnison de l’île en 1785. La plupart sont jeunes et célibataires et, au-delà des négociants, il énumère une grande variété de professions parmi lesquelles il cite celles de mécanicien, maître de danse, officier de marine, gardien de loge, aubergiste, officier de la douane, écrivain de la marine, commis, orfèvre, marchande, modiste, couturière, tailleur, perruquier et huissier : « Très peu réussirent à y faire une fortune rapide, comme ils le souhaitaient tous, et à rentrer ensuite pour jouir de leur argent dans leur patrie [...] ; ils n’y allaient pas pour faire œuvre de colonisateurs ; ils ne songeaient qu’à gagner gros et gagner vite et à rentrer ensuite107. » Avant Auguste Toussaint, Octave Bechet avait dépouillé les registres paroissiaux de l’île entre 1722 et 1767108. Il y avait repéré six Lyonnais, que nous avons effectivement retrouvés dans les registres d’état-civil conservés au C.A.O.M. d’Aix-en-Provence. Mais nous avons rajouté à cette liste deux autres personnes présentées comme étant natives « du diocèse de Lyon » :

  • Jacques Ladrel, un scieur de long âgé de 25 ans, natif du diocèse de Lyon, qui se marie au Port-Louis le 22 septembre 1729 avec une jeune fille de 15 ans née à Paris, Marguerite Calenou.
  • André Briançon dit Lyonnais, un tailleur de pierre né à Lyon en 1706 dans la paroisse Saint-Saturnin, fils d’un tailleur de pierre qui, le 21 juin 1730, épouse au Port-Louis Marie Germaine Thréard, une jeune femme de 19 ans originaire du Maine. Quatre ans plus tard, devenu veuf et père d’un petit garçon né en 1731, il se remarie, le 13 septembre 1734, avec Marie Le Cam, une Bretonne de Pluvigner qui lui donnera quatre autres enfants. Il meurt le 28 septembre 1745.
  • Pierre de Romans, ancien officier devenu habitant aux Pamplemousses, né dans la paroisse de Saint-Pierre-le-Vieux, se marie à Saint-Louis le 12 octobre 1734 avec Marie-Françoise, la fille de son associé François Pignolet qui avait été tué par des esclaves marrons six mois auparavant, en avril.
  • François Andriot, lieutenant de vaisseau au service de la Compagnie épouse le 28 avril 1745 à Saint-François, Marie-Marguerite Mathieu, une Parisienne mère de deux enfants en bas âge, déjà veuve d’un Malouin.
  • Paul Étienne Drouet, natif de la paroisse Sainte-Croix, arrive sur l’île comme employé de la Compagnie en 1749 et s’installe comme colon dans le quartier de Rivière du Rempart. Le 10 janvier 1753, à Saint-François, il se marie avec la jeune veuve d’un officier de la Compagnie des Indes, Marie Catherine Mandrou, âgée de 22 ans. Ils auront dix enfants nés entre 1757 et 1768.
  • Pierre Delorme, un charron originaire du diocèse de Lyon, épouse Servane Françoise Auray, la veuve d’un tonnelier, le 25 novembre 1756.
  • Antoine Renaud (ou Renod), un perruquier, fils d’un cabaretier lyonnais, se marie le 10 janvier 1763 avec Marie Drouillard, native de Paris, fille mineure d’un maître tailleur.
  • Louis François Cayrel, né en 1732 dans la paroisse de Saint-Nizier, épouse Jeanne Bernarde Abeguille, veuve d’un « bourgeois », le 30 juin 1767 à Saint-Louis. Il meurt le 21 juillet 1783109.
  • 110 Le Guellanf C., op. cit., vol. 2, p. 52.

45Deux autres Lyonnais ont certainement séjourné quelque temps sur l’île : les frères Fouache, Jean-Jacques et Mathieu, arrivés vraisemblablement comme matelots de la Compagnie et qui, en avril 1742, rembarquent clandestinement à bord du Duc de Chartres pour regagner la France. Mais seul Jean-Jacques reverra Lorient, Mathieu mourrant en mer le 14 mai 1742110.

  • 111 André J.-M., Les engagés de la Compagnie des Indes. Marins et ouvriers (1717-1770), Paris, 2004.
  • 112 Debien G., Les engagés..., op. cit.
  • 113 Né à Lyon en décembre 1705, fils d’un tapissier, André Briançon dit Lyonnais, embarque à Cadix le (...)

46Au terme d’une longue quête Jean-Michel André a récemment publié sur cédérom une liste de 3 276 personnes qui, entre 1717 et 1770, furent engagés par la Compagnie des Indes pour servir sur ses vaisseaux, dans ses établissements de l’océan indien et de la côte d’Afrique mais aussi, jusqu’au début des années 1730, pour contribuer au peuplement de la Louisiane111. La plupart s’engageaient pour une durée de trois ans avec des obligations assez proches de celles qui existaient à la même époque aux Antilles112, mais moyennant une rémunération fixée par contrat et versée de six mois en six mois. Un peu plus de la moitié d’entre eux embarquèrent pour les Mascareignes entre 1722 et 1769, ce qui représente un corpus de 1718 noms parmi lesquels n’apparaissent qu’une poignée de Lyonnais : un chirurgien, un tailleur de pierre, un scieur en Lyon, un « peintre en bâtiment ou impression », un charron et, parmi les navigants, un armurier, un « charpentier de vaisseau » et un matelot. On retrouve parmi eux André Briançon, Pierre Delorme et Jacques Ladrel, déjà identifiés113. Nous pouvons leur ajouter :

  • Pierre-Antoine Ferrière, un chirurgien qui s’engage pour l’Île de France le 29 août 1721 à Lorient et signe pour l’occasion un contrat devant notaire qui stipule que sa solde sera de 800 l.t. par an pendant trois ans. Il embarque sur le Saint-Alban en février 1722 avec sa femme Marie Thérèse Alègre, native de Port-Louis et qu’il a épousée quelques mois auparavant à Lorient, et arrive à Saint-Paul le 13 novembre suivant114.
  • Antoine François Fournel arrive à l’Île de France sur le Phœnix en juin 1736. Six mois plus tôt ce Lyonnais d’un peu plus de 25 ans s’était engagé à Lorient comme armurier, pour trois ans contre 500 l.t. par an à la ration d’officier marinier. Ce n’était pas son premier engagement pour la Compagnie puisque, entre 1731 et 1735, il avait servi pendant trois ans au Sénégal115.
  • François Pradel de la Cour, arrivé en août 1741 et présenté comme « peintre en bâtiment ou impression, sachant dorer pour carrosses et autres ouvrages exposés à l’air ». Originaire de l’évêché de Lyon, il est engagé pour les îles de France et de Bourbon à Paris en novembre 1740 contre une solde de 700 l.t. par an, mais n’embarque sur Le Fleury qu’au mois d’avril suivant. Moins d’un an après son arrivée il épouse au Port-Louis Jeanne Marie Nageon de Lestang, une Lorientaise qui avait émigré en 1729 avec sa mère et qui avait déjà vécu à Pondichéry et à Bourbon. Il meurt le 9 février 1746 à Port-Louis et laisse deux enfants116.
  • Charpentier de vaisseau, Damien Perroche, 31 ans, s’engage pour l’Île de France en février 1749, pour 600 l.t. par an pendant trois ans, à la ration d’officier marinier mais, le mois suivant, n’embarque pas sur Le Comte d’Argenson. Nous ne savons donc pas s’il a effectivement gagné l’Île de France117.
  • Pierre-André Bonnegent, engagé comme matelot sur Le Phélipeaux en 1753 à l’âge de 23 ans, pour une durée de 3 ans moyennant 18 l.t. par mois, et qui débarque à l’Île de France le 27 août 1753118.
  • 119 Toussaint A., « Les Lyonnais à l’Île de France », op. cit.
  • 120 CAOM, G1 473, Recensement général de l’Isle de France, 1776, fo 47-48.

47Cette deux listes peuvent encore être étoffées grâce à d’autres identifications faites par Auguste Toussaint119 : Michel Richard, arrivé en 1748 et que nous avons retrouvé dans le recensement de 1776 comme colon dans le quartier de Flacq où il possède alors 50 arpents plantés en riz, bled et maïs120 ; trois membres de la famille Dussolier, dont Pierre, un armurier de la Compagnie des Indes installé sur l’île en 1760 ; Jean-Pïerre Barraud, arrivé la même année, qui déclare quant à lui la profession de ferblantier. Nous arrivons ainsi pour la période antérieure à 1767 à un total de 20 Lyonnais tout au plus clairement installés à l’Île de France.

  • 121 Ibid.
  • 122 CAOM, G1 474, Recensement général de l’Isle de France, année 1780.

48Mais, pas plus que l’estimation à une soixantaine de Lyonnais proposée par Toussaint pour la période suivante, ce chiffre ne nous donne une idée de la part réelle que ces Lyonnais occupent dans la population de l’île à un instant donné. Pour cela, nous ne pouvons que nous reporter aux recensements généraux de la population de l’île qui furent établis en 1776, 1780 et 1788. Le recensement de 1776121 établit la population blanche de l’île à 3 431 personnes dont près de la moitié (1638) vivent dans le quartier du Port-Louis. Quinze hommes seulement sont désignés comme Lyonnais, six au Port-Louis et neuf dans les autres quartiers où ils ne représentent que 1,5 % des 567 « chefs de maisons ». Le peuplement lyonnais apparaît donc comme très marginal dans une île où l’immense majorité de la population européenne est issue des provinces maritimes de l’ouest du royaume et de la Bretagne en particulier. Quatre ans plus tard, alors que la population blanche a augmenté de 12 % pour atteindre 3 844 âmes, la colonie lyonnaise s’est à peine étoffée122. On dénombre désormais huit hommes et une femme au Port-Louis et dix répartis dans les autres quartiers, dont huit « chefs de maisons ». En 1788, leur nombre a encore augmenté et ils sont désormais 23 Lyonnais à vivre sur l’Île qui compte alors 6 150 habitants blancs. Les trois quarts d’entre eux (18) sont installés au Port-Louis où ils exercent surtout des professions en rapport avec le commerce et l’administration : six négociants, un marchand, un teneur de livres, cinq commis dont trois commis aux écritures. Par contre, ils ne sont plus que cinq à vivre de manière permanente dans les autres quartiers, dont Jean-Baptiste Thevenet qui est à la tête d’une plantation de plus de 600 arpents sur laquelle travaillent une soixantaine d’esclaves, dans le quartier de Flacq.

49Dominée de manière incontestable par la forte personnalité de Pierre Poivre, figure encore honorée à l’île Maurice et à la Réunion mais aujourd’hui injustement oubliée dans sa ville natale où seule une petite rue du 1er arrondissement porte son nom, la petite colonie lyonnaise de l’Île de France n’aurait donc pas compté plus d’une soixantaine de membres au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Si on extrapole les résultats du recensement de 1788 à l’ensemble de la période, ce peuplement serait très largement urbain et constitué pour les deux tiers d’individus exerçant une activité liée au commerce. À aucun moment semble-t-il le nombre de Lyonnais propriétaires d’une habitation n’aurait dépassé le nombre des doigts de la main. Près de la moitié de ces Lyonnais auraient donc été des négociants qui, comme leurs confrères établis aux Antilles, auraient d’abord travaillé à approvisionner le marché insulaire en marchandises de Lyon, étoffes et menus articles de mercerie et de passementerie notamment, sans être toutefois aussi liés aux maisons lyonnaises que pouvaient l’être les négociants de Saint-Domingue ou de la Martinique. D’ailleurs nous n’avons retrouvé aucune trace de liaison directe entre l’Île de France et Lyon dans les fonds de négociants ou dans les fonds notariaux que nous avons dépouillés aux Archives départementales du Rhône, pas plus que dans ceux de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon. Mais ces négociants lyonnais de l’Île de France auraient peut-être su diversifier davantage leurs activités que leurs homologues des îles de l’Amérique. Après 1769 certains d’entre eux, comme Comarmond et Pipon, saisissent la nouvelle opportunité de réussite représentée par la libéralisation du commerce français dans l’océan indien pour se lancer à la fois dans le négoce de denrées coloniales, dans le commerce d’Inde en Inde et parfois même s’essayer à l’armement maritime et à la traite négrière.

50La région lyonnaise ne connaît donc pas au XVIIIe siècle de vague d’émigration vers les Îles aussi importante que celle qui touche les régions du grand ouest, en particulier l’Aquitaine, le Poitou ou la Bretagne. L’émigration lyonnaise vers les Caraïbes et les Mascareignes serait restée très diffuse et n’aurait concerné que quelques centaines d’individus. Toutefois, dans ses composantes, elle reste très classique : ce sont surtout des hommes jeunes qui partent, généralement seuls, et la majorité d’entre eux appartiennent aux classes laborieuses. Ce sont en effet davantage des gens de métiers que des gens de négoce que nous avons retrouvés à bord des navires nantais. Aussi les petites communautés lyonnaises qui s’établissent outre-mer conservent-elles une typologie urbaine dans la mesure où ceux qui les composent exercent surtout des métiers artisanaux ou des activités de « service » comme perruquier ou chirurgien. Les marchands quant à eux arrivent plutôt après le guerre de Sept Ans, que ce soit aux Antilles ou à l’Île de France, cette émigration nous paraissant être à la fois la conséquence de l’instauration de l’Exclusif mitigé et de la suspension du monopole de la Compagnie des Indes orientales, deux mesures qui stimulent le commerce avec les puissances étrangères établies dans les aires caraïbe et indienne et offrent aux marchandises de Lyon de nouvelles opportunités sur des marchés où la demande en soieries, mercerie et autres productions textiles de luxe et de qualité était forte.

Notes

1 Debien G., Les engagés pour les Antilles (1634-1715), Abbeville, 1951, 277 p.

2 Ibid., p. 99, 123-128, 141-142.

3 Debien G., Merle L., « Colons, marchands et engagés à Nantes au XVIIe siècle », Revue de la Porte océane, 1954, 54 p. ; Gosselin I., Le Portz M.-C., Moulin F., Sikorski N., Les engagés pour les Antilles à partir du port de Nantes (1636-173), mém. maîtrise, Nantes, 1971, 88 p. ; Janin C., Les engagés pour les Antilles à partir des rôles d’armement nantais, 1722/1772, mém. maîtrise, Nantes, 1971, 85 p.

4 Gosselin I., Le Portz M.-C., Moulin F., Sikorski N., op. cit.

5 Huetz de Lemps C., « Engagement et engagés au XVIIIe siècle », Commerce et plantation dans la Caraïbe, XVIIIe et XIXe siècles, Bordeaux, 1992, p. 69.

6 Huetz-de-Lemps C., « Ville-port et émigration aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans Joutard P., Wien T., Mémoires de Nouvelle-France. De France en Nouvelle-France, Rennes, 2005, p. 104-105.

7 Janin C., op. cit.

8 La liste détaillée des 23 Lyonnais engagés à Nantes est publiée dans Le Gouic O., Lyon et la mer..., op. cit., annexe 12, p. XIX-XX.

9 Butel P., Histoire des Antilles françaises XVIIe-XXe siècle, Paris, 2002, p. 92.

10 ADG, 6B 45 à 6B 58, Amirauté de Guyenne, passeports et soumissions, certificats d’identité et de catholicité, soumissions et passeports concernant les passagers embarqués à Bordeaux, 1713-1787.

11 Huetz-de-Lemps C., « Ville-port et émigration... », op. cit., p. 98-99.

12 AN, F5B 39, fonds des colonies, liste des passagers embarqués à destination des colonies dans les ports français, Bordeaux, 1749-1758 ; F5B 40, Bordeaux, 1759-1768.

13 AN, F5B 39, fonds des colonies, liste des passagers embarqués à destination des colonies dans les ports français, Marseille, 1749-1830.

14 AN, F5B 57, fonds des colonies, liste des passagers embarqués pour les colonies dans des ports français, La Rochelle, 1718-1828.

15 Le Gouic O., Lyon et la mer..., op. cit., annexes 13 et 14, p. XXI-XXIV.

16 On estime en effet qu’à Saint-Domingue le nombre d’esclaves passe de 250 000 à 470 000 entre 1779 et 1789 ; Butel P., Histoire des Antilles..., op. cit., p. 143.

17 Ibid., p. 145.

18 Centre Généalogique de l’Ouest, Embarquement au port de Nantes (France) aux XVIIe et XVIIIe siècles, relevés extraits des rôles d’embarquement des archives départementales de Nantes, Nantes, 1998, 3 vol. , 1042 p.

19 AN, F5B 5, listes de passagers embarqués ou débarqués dans des ports des colonies, Saint-Domingue, 1751-1804, listes des passagers arrivés à Port-au-Prince, 1784-1785. Le Gouic O., Lyon et la mer..., op. cit., p. 297.

20 Ibid., annexe 16, p. XXVI-XXXI.

21 de Cauna J., L’Eldorado des Aquitains. Gascons, Basques et Béarnais aux Îles d’Amérique (XVIIe-XVIIIe siècles), Biarritz 1998, p. 108.

22 Selon Houdaille, la population masculine installée à Saint-Domingue – marins et soldats exclus – vient d’abord d’Aquitaine (19,3 %), du Poitou et de la Charente (12,1 %), des pays de la Loire (10,1 %), de Provence (8,8 %), et secondairement de Paris, de Normandie, de Bretagne et de « Rhône-Alpes ». Quant à la population féminine, elle serait d’abord d’origine pictocharentaise (21,4 %), puis normande (15 %), aquitaine (11,7 %), provençale (9,2 %), ligérienne (7 %), parisienne (6,4 %) et « rhône-alpine ». Cette étude s’appuie sur une base comprenant 2 031 noms d’hommes et 186 noms de femmes recensés sur tout le XVIIIe siècle, jusqu’à l’an xi. Houdaille J., « Quelques données sur la population de Saint-Domingue au XVIIIe siècle », Population, 1973, no 4-5, p. 859-872.

23 Le classement établi par Houdaille sur une base de 464 noms recensés voit l’Aquitaine arriver sans surprise en tête des régions d’origine de la population blanche de la Guadeloupe (126 mentions), loin devant la Provence (6à mentions), la Normandie (47), les pays de la Loire (45), le Poitou-Charente (44), Paris (33), la Bretagne (20), la Picardie et le nord (16), la Franche-Comté et Rhône-Alpes (15 mentions chacune). Houdaille J., « Le peuplement de la Guadeloupe au xviiie siècle », Population, 1974, no 1, p. 144-146.

24 CAOM, DPPC, sous série G1, recensements de population, Guadeloupe, Martinique, Saint-Domingue.

25 Pour l’heure nous avons parcouru les registres d’état-civil du Cap-Français (1777-1789), de Léogane (1672-1724 et 1736-1745), de Port-au-Prince (1711-1780), de Saint-Pierre (1763-1785) et de Basse-Terre (1720-1788) ; CAOM, DPPC, état-civil.

26 ADLA, 120 J 339, fonds de l’Inscription maritime ; CAOM, Hop 1, État-civil Hôpitaux, Guadeloupe et dépendances, Basse-Terre, 1720-1788, « copie du registre des inhumations de l’hôpital Saint-Jean-Baptiste des Religieux de la charité de Basse-Terre, isle Guadeloupe » (1720-1776 », fo 83, sépulture, 12 novembre 1762.

27 CAOM, 85 Miom 78, État-civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1777, fo 215, mariage de Mathieu Jany et de Marie Pitiot, 27 octobre 1777 ; ibid., État-civil, Saint-Domingue, Port au Prince, 1779, fo 29, sépulture, 26 septembre 1779.

28 CAOM, 85 Miom 690, État-civil, Martinique, Saint Pierre, 1788, fo 54, sépulture, 6 octobre 1788.

29 CAOM, 85 Miom 76, État-civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1754-1758, fo 12, sépulture, 1er juin 1754.

30 Ibid., fo 108, sépulture, 28 décembre 1756.

31 ADR, Actes notariés, 3E 6914a, Patrin, fo 83, procuration de Jeanne Charlotte de Charamé à Millot, négociant au Cap-Français, 18 avril 1752 ; 3E 3223, actes notariés, Cabaret, procuration de François Louis et de Marie Bernardine Desartres à Millot, 21 février 1765.

32 ADR, Actes notariés, 3E 3222b, Cabaret, procuration de Gaspard Adamoly à Fertard, 19 octobre 1764.

33 CAOM, Hop 1, État-civil Hôpitaux, Guadeloupe et dépendances, Basse-Terre, 1720-1788, « copie du registre des inhumations de l’hôpital Saint-Jean-Baptiste des Religieux de la charité de Basse-Terre, isle Guadeloupe » (1720-1776), fo 117, sépulture, 12 août 1769.

34 CAOM, 85 Miom 688, État-civil, Martinique, Saint-Pierre, 1768, fo 43, sépulture, 7 novembre 1768.

35 CAOM, 85 Miom 78, État-civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1775, fo 56, sépulture, 23 septembre 1775.

36 Ibid., 1778, fo 3, sépulture, 13 janvier 1778.

37 CAOM, 85 Miom 688, État-civil, Martinique, Saint-Pierre, 1768, fo 20, sépulture, 13 mai 1768.

38 CAOM, 85 Miom 78, État-civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1778, fo 41, sépulture, 4 septembre 1778.

39 CAOM, Hop 1, État civil, Hôpitaux, Guadeloupe et dépendances, Basse-Terre, 1720-1788, « copie du registre des inhumations de l’hôpital de Saint Jean-Baptiste des religieux de la Charité de Basse-Terre, isle Guadeloupe » (1720-1776), fos 15 et 99, sépultures de François Vallet, 27 juillet 1729, et de François Bayard, 31 décembre 1765 ; idem, 1777-1782, sépulture de Louis Sinodin, 27 juin 1781.

40 CAOM, 85 Miom 62, État civil, décès, Saint-Domingue, Léogane, 1672-1724, acte de sépulture, 5 février 1699.

41 Ibid., registre BMS, paroisse Sainte-Rose, Léogane (1736-1745), acte de sépulture, 27 octobre 1740.

42 CAOM, Hop 1, État civil, Hopitaux, Guadeloupe et dépendances, Basse-Terre, 1720-1788, « copie du registre des inhumations de l’hôpital de Saint Jean-Baptiste des religieux de la Charité de Basse-Terre, isle Guadeloupe » (1720-1776), fos 8, 34, 79 et 84, sépultures de Paul le Caporal, 4 août 1723, de Barthélemy Chastain, 11 janvier 1742, de Joseph Outreve, 28 février 1759 et de René du Sazay, 25 novembre 1763.

43 CAOM, 85 Miom 698, État civil, Martinique, Saint-Pierre, 1768, fo 11, sépulture, 19 février 1768.

44 CAOM, 85 Miom 76, État civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1754-1758, fo 13, sépulture, 30 juin 1754.

45 CAOM, 85 Miom 77, État civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1764-1765.

46 CAOM, Hop 1, État civil, Hopitaux, Guadeloupe et dépendances, Basse-Terre, 1720-1788, « copie du registre des inhumations de l’hôpital de Saint Jean-Baptiste des religieux de la Charité de Basse-Terre, isle Guadeloupe », (1720-1776), fo 117, sépulture, 12 août 1769.

47 CAOM, 85 Miom 78, État civil, Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1779, fo 48, sépulture, 26 décembre 1779.

48 Le Gouic O., Lyon et la mer..., op. cit., annexe 18, p. XXXIII-XXXIV.

49 ADR, Actes notariés, 3E 2870, Bertholon, procuration de Pierre Pu à sa sœur Cécile Pu, 12 janvier 1749.

50 ADR, Actes notariés, 3E 3221b, Cabaret, procuration de François Faure à Risteaud père et fils, 12 décembre 1763.

51 CAOM, 85 Miom 76, État civil, Saint-Domingue : Port-au-Prince, 1711-1754, fo 73, mariage de François Froment de Montfort et de Marie-Françoise Luc, 1er septembre 1732.

52 CAOM, 85 Miom 33, État civil, Saint-Domingue, Le Cap, 1779-1782, mariage de Laurent Boucharlat et Marguerite Antoinette Diseran, 10 juillet 1781.

53 Ibid., mariage de Jeanne Rouge et de Jean Casteau, 16 octobre 1780 ; 85 Miom 34, État civil, Saint-Domingue, Le Cap, 1782-1783, mariage de Marie-Anne Barbier et de Antoine Bouchet, 6 octobre 1783.

54 ADR, F12-2736, matricule générale par département des colons de Saint-Domingue et autres réfugiés admis aux secours, 1821 et 1825.

55 Lugan B., Histoire de la Louisiane française 1682-1804, Paris, 1994, p. 85.

56 Ibid., p. 82.

57 Giraud M., Histoire de la Louisiane française, Paris, 1966, t. 3, p. 222-224.

58 Ibid., p. 189, 198 et 227.

59 CAOM, G1 464, Louisiane, recensements, états des passagers, rôle des concessionnaires et passagers qui passent sur le vaisseau La Marie de la Compagnie d’Occident pour la Louisiane, 23 mai 1718.

60 Giraud M., op. cit., t. 3, p. 165.

61 CAOM, G1 464, Louisiane, recensements, états des passagers, rôle des concessionnaires et passagers qui passent sur le vaisseau Le Philippe de la Compagnie d’Occident pour la Louisiane, 27 janvier 1719.

62 Ibid.

63 AN, F5B 57, liste des passagers embarqués à destination des colonies dans des ports français, La Rochelle, 1718-1828.

64 CAOM, G1 464, Louisiane, recensements, rôles des passagers embarqués sur les vaisseaux de la Compagnie des Indes pour passer à la Louisiane depuis le 1er juillet 1719, Le Maréchal d’Estrées, 16 août 1719.

65 Parmi les vagabonds seuls E. Hodieu et J. Descomptes seraient natifs de Lyon. CAOM, G464, Louisiane, recensements, rôles des passagers embarqués sur les vaisseaux de la Compagnie des Indes pour passer à la Louisiane depuis le 1er juillet 1719, Les Deux Frères, 19 août 1719. AN, F5B 57, liste des passagers embarqués à destination des colonies dans des ports français, La Rochelle, 1718-1828.

66 Ibid.

67 CAOM, G1 464, Louisiane, recensements, états des passagers, « liste générale des passagers pour la Louisiane depuis me 4 janvier 1720 jusque et compris le 24 janvier 1721, fait à L’Orient le dit jour ».

68 Ibid., rôles des soldats des troupes de la Compagnie d’Occident embarqués en 1719-1720.

69 CAOM, G1 464, Louisiane, recensement, 20 décembre 1724.

70 CAOM, G1 464 A, Louisiane, recensement, novembre 1721.

71 Dans sa correspondance avec la maison bordelaise Vallet et Roger, Joannon, chapelier à Lyon, se plaint à deux reprises en 1740 des spéculations auxquelles se livre la Compagnie des Indes avec les fourrures de castor : « Nous n’avons mis que la moitié de chaque qualité des castors légers que vous demandez parce que, la Compagnie des Indes nous laissant manquer de castor depuis trois mois malgré notre argent comptant, nous ne pouvons qu’accomplir la moitié des commissions. La Compagnie des Indes, outre cela, nous augmente le castor de 25 %. C’est ce qui fait que nous passons les dits castors 20 sous de plus qu’à l’ordinaire. Encore faut-il vous traiter en vrais amis pour nous borner à une augmentation si peu proportionnée à celle de la Compagnie ». Quelques mois plus tôt leurs confrères Paul Besse et Maurier et Mazard l’aîné et Aguetan évoquaient déjà la raréfaction des fourrures : « Vous savez à n’en pas douter que la Compagnie des Indes nous a augmenté depuis deux mois le castor, de sorte que cette augmentation des prix renchérit chaque castor tout au moins de 30 à 35 sols » (avril 1738). « Nous sommes au désespoir de n’avoir pu accomplir tout votre mémoire de chapeaux. Deux choses en ont été causes. La première, c’est le manque de poil de castor, dont les autres ne sont pas mieux pourvus que nous le sommes, y ayant huit mois que la Compagnie des Indes ne nous a pas délivré une once de cette matière, l’argent à la main. La seconde raison, c’est que d’attendre la fabrication des basses qualités de votre mémoire, nous vous aurions exposé à ne recevoir cet envoi que les derniers jours de votre foire » (février 1739). « Outre l’augmentation d’un écu la livre qui est survenue, le poil de castor est très rare puisque Messieurs de la Compagnie des Indes ne peuvent pas nous en livrer la quantité que nous leur avions commise » (avril 1739). ADG, 7B 2183, Vallet et Roger, Lyon, Joannon, 15 février et 4 juin 1740 ; Paul Besse et Maurier, 16 avril 1739 ; Mazard l’aîné et Aguetan, 27 avril 1738 et 17 février 1739.

72 58 colons en 1674, 200 en 1690 et à peine plus de 500 au début du XVIIIe siècle. Pluchon P., Histoire de la colonisation française, Paris, 1991, t. 1, p. 501.

73 Haudrère P., La Bourdonnais, marin et aventurier, Paris, 1992.

74 Pendant le gouvernement de La Bourdonnais, la population blanche de Bourbon augmente de moitié et passe de 1 720 colons à 2 588, tandis que le nombre d’esclaves double pratiquement en passant de 6 789 à 11288. À l’Île de France, le nombre de libres double quasiment (de 563 en 1735 à 961 en 1748) alors que la population servile quintuple largement (de 938 esclaves à 4958). Pluchon P., op. cit., t. 1, p. 504.

75 Le Gouic O., « Pierre Poivre et les épices : une transplantation réussie ? », Llinarès S., Hrodej P., Techniques et colonies, XVIe-XXe siècles, Paris, 2005.

76 Selon Auguste Toussaint, il y a 1 998 blancs à l’Île de France en 1766, ainsi qu’un millier de « libres de couleur » et 18 100 esclaves. En 1788, il y a 4 457 blancs, 2 456 « libres » et 35 915 esclaves. Dans le même temps, à Bourbon, la population blanche et libre passe de 5 300 à 8 800 et le nombre d’esclaves de 22 400 à 37 000. Pluchon confirme les chiffres de Toussaint pour l’Île de France mais estime à 9 211 la population libre de Bourbon en 1788 contre 5 237 blancs en 1766 ; quant aux esclaves, leur nombre serait passé selon lui de 21 047 à 37 984. Toussaint A., Histoire des îles Mascareignes, Paris, 1972, p. 75-76. ; Pluchon P., op. cit., t. 1, p. 510.

77 Toussaint A., « Les Lyonnais à l’Île-de-France », Cahiers d’Histoire, 1975, t. xx, p. 43.

78 L’usage du mot « négociant » n’est pas défini avant le Code des isles de France et de Bourbon, en août 1787. « Ne pourra prendre le titre de négociant tout particulier tenant actuellement boutique et vendant au détail avec étalage à la porte de sa maison, cette qualité étant réservée à ceux qui font le commerce en gros et vendent leurs marchandises par balles, caisses ou pièces entières dans leurs magasins » (article 4). Toussaint A., Le mirage des Îles. Le négoce français aux Mascareignes au XVIIIe siècle, Aix-en-Provence, 1977, p. 22-23. « Tout ce qui va dans l’Inde, militaire, médecin, missionnaire, homme de lettres, est marchand, comme le marin, l’employé ou le simple négociant, ou le devient. » Tieffenthaler J., Description historique et géographique de l’Inde, 1788, cité par A. Toussaint, ibid. p. 32.

79 Ibid., p. 25.

80 Il s’agit de Nicolas Hilaire Comarmond et Jacques Cotteret (1768) ; de Vital Muret (1770) ; de Gaspard Louis Cotteret (1772) ; de Ambroise Comarmond et Benjamin Muguet de Limas (1773) ; de Balthazard Cotteret (1775) ; de Jean-Marie Cotteret et Louis Louis (1776) ; de Jean-Baptiste Pipon (1778) ; de Louis Petitain (1782) ; de Henri Journel (1783) ; de Henri Joseph Chenaux et Antoine Jean Comarmond (1784) ; de André Baudouin, Jean Philibert et Joseph Duperrel, Hippolyte Fissour et Jean-Baptiste Pillet (1785) ; de Maurice Giraud et Auguste Journel (1788) ; de Benoît Ollier (1789) ; de Claude François Boudret et Claude Toussaint Fissour (1790). Toussaint A., « Les Lyonnais à l’Île de France... », op. cit., p. 43.

81 Ibid., p. 44.

82 Malleret L., Pierre Poivre, Paris, 1974 ; Ly-Tio-Fane M., Mauritius and the spice trade. The odyssey of Pierre Poivre, Port-Louis, 1958 ; Ly-Tio-Fane M., « Pierre Poivre et l’expansion française dans l’Inde Pacifique », Bulletin de l’école française d’Extrême Orient, 1967 ; Lenoir P., « Pierre Poivre, missionnaire des épices et Intendant du Roy aux îles de France et de Bourbon », Bulletin de la Société historique, archéologique et littéraire de Lyon, 1995 ; Piat D., Rey J. C., Pierre Poivre. Mémoires d’un botaniste et explorateur, Paris, 2006.

83 « Une figure celui-là. En tant qu’administrateur, Poivre se classe parmi les meilleurs. » A. Toussaint, Histoire des Mascareignes, op. cit., p. 70.

84 Le Gouic O., « Pierre Poivre et les épices... », op. cit.

85 CAOM, G1 473, recensement général de l’Isle de France, 1776 ; G1 474, recensement général de l’Isle de France, 1780 ; G1 475-476, recensement général de l’Isle de France, 1788. La liste complète des Lyonnais recensés ces années là est publiée dans Le Gouic O., Lyon et la mer..., op. cit., annexe 19, p. xxxv-xli.

86 Toussaint A., Le mirage des Îles..., op. cit.

87 Ils embarquent à Nantes le 28 juin 1773, sur le Vicomte de Talleyrand ; ADLA, 120 J 433, Inscription maritime, rôles d’armement.

88 CAOM, G1 473, Recensement général de l’Isle de France, 1776, quartier du Port-Louis, fo 87.

89 Ibid., quartier des Plaines de Wilhelm, fo 11-12.

90 CAOM, G1 475, Recensement Isle de France, 1788, quartier du Port-Louis, fo 42.

91 Ibid., fo 42.

92 CAOM, G1 473, Recensement général de l’Île de France, 1776, quartier du Port-Louis, fo 87.

93 Toussaint A., Le mirage des Îles..., op. cit.

94 Ibid., p. 10.

95 Ibid., p. 76.

96 Ibid., p. 67.

97 Le Résolu, un 26 canons de 500 tx., est armé par Augustin Loirette et commandé par Jalineau. Il appareille 25 octobre le 1793 mais il est capturé par les Anglais dès cette première sortie. Le Modeste (350 tx), est armé par le négociant Jean Dumeste en 1794. Il effectue deux croisières avant d’être capturé, mais parvient à ramener deux prises à l’Île de France lors de sa première sortie et six autres lors de la seconde. « On peut penser que les actions de Pipon lui rapportèrent des dividendes. » Ibid., p. 88-89.

98 Romans quitte l’Île de France deux ans plus tard, en 1746 pour la Martinique où il meurt le 4 novembre 1747. Toussaint A., « Les Lyonnais à l’Île de France », op. cit.

99 CAOM, G1 473, Recensement général de l’Isle de France, 1776, quartier des Plaines de Wilhelm, fo 47-48.

100 CAOM, G1 474, Recensement général de l’Isle de France, 1780, quartier des Plaines de Wilhelm, fo 28.

101 CAOM, G1 476, Recensement général de l’Isle de France, 1788, quartier des Plaines de Wilhelm, fo 302.

102 Toussaint A., Le mirage des Îles..., op. cit.

103 Le Guellanf C., Les passagers de la Compagnie des Indes, 1719-1747, mém. master 1, Lorient, 2006 ; Poulain C., Les passagers de la Compagnie des Indes de 1748 à 1772, mém. master 1, Lorient, 2006.

104 Le Guellanf C., op. cit., vol. 1., p. 58 et 67.

105 Poulain C., op. cit., p. 73.

106 Toussaint A., « Les Lyonnais à l’Île de France », op. cit., p. 43.

107 Ibid., p. 57.

108 Bechet O., Inventaire des registres paroissiaux de l’île de France (Île Maurice), Compagnie des Indes 1722-1767, Port-Louis, 1951.

109 CAOM, 85 Miom 1181, État-civil, Île de France, Port-Louis, registres BMS (1728-1739) ; 85 Miom 1182, État-civil, Île de France, Port-Louis, registres BMS (1748-1757) ; 85 Miom 1182, État-civil, Île de France, Port-Louis, registre BMS (1758-1766).

110 Le Guellanf C., op. cit., vol. 2, p. 52.

111 André J.-M., Les engagés de la Compagnie des Indes. Marins et ouvriers (1717-1770), Paris, 2004.

112 Debien G., Les engagés..., op. cit.

113 Né à Lyon en décembre 1705, fils d’un tapissier, André Briançon dit Lyonnais, embarque à Cadix le 3 avril 1729 sur Le Duc de Chartres et arrive à l’Île de France le 28 août suivant. Après avoir servi comme domestique auprès « de M. Maupin, commandant de l’Île », il s’engage le 1er mai 1732 pour trois ans contre une solde de 200 l.t. par an et embarque avec sa femme, Marie Germaine Thréard, pour Madagascar d’où ils participent à la tentative d’établissement de la Compagnie sur l’île Marote avant d’être envoyés à Saint-Paul sur l’île Bourbon où Marie meurt en avril 1733. Libéré de son engagement en 1735, quelques mois après son retour au Port-Louis où il s’est remarié avec Marie Le Cam, il s’établit comme aubergiste et meurt le 28 septembre 1745. André J.-M., op. cit., notice no 455.
Peut-être originaire de Brignais et fils d’un jardinier, Pierre Delorme s’est engagé à Paris le 6 octobre 1752 à l’âge de 22 ans. Il a embarqué sur Le Duc de Parme le mois suivant pour arriver à l’Île de France le 11 mai 1753. Le contrat d’engagement qu’il a signé porte sur une durée de 3 ans, contre une rémunération de 500 l.t. par an et un régime de ration simple. Il meurt à Saint-Julien dans le quartier de Moka le 4 septembre 1789, à 58 ans et laisse une veuve, Servane Françoise Auvray, native de Saint-Malo, épousée au Port-Louis en novembre 1756. Ibid., notice no 900.
Natif de Lézigneux, Jacques Ladrel, fils de laboureur, est engagé comme scieur en long au début de l’année 1729 et débarque à l’Île de France en août. Il se marie le mois suivant à Port-Louis avec Marie Colmont, une jeune Parisienne de 16 ans, mais meurt quelques mois plus tard, le 5 mars 1730. Ibid., notice no 1793.

114 Ibid., notice no 1160.

115 Ibid., notice no 1209.

116 Ibid, notice no 1789.

117 Ibid., notice no 2863.

118 Ibid., notice no 352.

119 Toussaint A., « Les Lyonnais à l’Île de France », op. cit.

120 CAOM, G1 473, Recensement général de l’Isle de France, 1776, fo 47-48.

121 Ibid.

122 CAOM, G1 474, Recensement général de l’Isle de France, année 1780.

Table des illustrations

Légende Graphique II. – Ventilation des Lyonnais au départ de Nantes (1694-1746).
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Légende Graphique III. – Ventilation des Lyonnais au départ de Nantes (1764-1791).
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Légende Graphique IV. – Embarquements des Lyonnais au port de Nantes (1695-1789).
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Légende Graphique V. – Répartition par tranches d’âge des Lyonnais embarqués à Nantes (1695-1790).
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Légende Graphique VI. – Ventilation des Lyonnais au départ de Nantes (1695-1789).
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