Version classiqueVersion mobile

L’école d’État conquiert la France

 | 
Jean-Michel Chapoulie

Première partie. Genèse de l’organisation et des problèmes du système scolaire de la Troisième République

Chapitre III. Une nouvelle forme de scolarisation : les enseignements intermédiaires, 1830-1886

Texte intégral

« L’enseignement spécial fut le produit, non pas d’un hasard ni d’un caprice, mais des difficultés auxquelles se heurtait déjà l’éducation classique », L. Gérard-Varet, « Le régime Victor Duruy : un collège de province de 1865 à 1880 », Revue universitaire, 1928, 37e année, t. 2, p. 109-115 (p. 109.)

  • 1 Des références plus développées aux archives sur lesquelles s’appuie de chapitre se trouvent dans (...)

1L’élaboration d’une nouvelle forme de scolarisation à côté de celles qui concernent les masses populaires et les élites commence au début du XIXe siècle1. La nouvelle venue est définie par référence à un ensemble de catégories sociales, les « classes moyennes », dont l’existence s’impose progressivement à certains observateurs de la France post-révolutionnaire. À l’exception de l’enseignement secondaire spécial de 1865, les réalisations institutionnelles de cette forme de scolarisation n’ont reçu qu’une attention distraite dans les analyses historiques, qui les passent même parfois sous silence. À la suite de nombre d’administrateurs de l’enseignement de leur époque, les analyses qui les mentionnent les appréhendent et les évaluent selon les normes de l’enseignement secondaire. Elles sont ainsi généralement décrites comme des filières dispensant des enseignements de médiocre valeur et comme des tentatives qui ne parviennent pas à remplir les objectifs qui étaient les leurs. Cette interprétation ne s’accorde ni avec la survie durable de certains établissements et filières scolaires, ni avec la répétition pendant cinquante ans de tentatives diverses de création de ce type d’enseignement. L’importance de ces créations ne doit pas non plus être mesurée exclusivement à l’aune du « succès » qui leur fut attribué sur le moment : elle tient aussi à l’influence durable qui fut la leur sur le devenir de l’enseignement secondaire.

Les débats autour de la création des enseignements intermédiaires

  • 2 Augustin-Charles Renouard, Considérations sur les lacunes de l’éducation secondaire en France, Par (...)
  • 3 Quelques idées soumises par M. De Saint-Simon à l’assemblée générale de la société d’Instruction p (...)
  • 4 François Guizot, Essai sur l’histoire et l’état actuel de l’Instruction publique en France, Paris, (...)

2Bien qu’il y ait des précédents, on peut prendre pour point de départ des débats sur la création d’un enseignement intermédiaire un concours organisé en 1823 par un périodique, Les Tablettes universelles, et patronné par Guizot, Rémusat, de Broglie, c’est-à-dire par les représentants d’un « parti libéral » alors dans l’opposition. Le concours concernait des mémoires répondant à la question : « N’y a-t-il pas dans notre système d’instruction publique, entre les écoles primaires et les collèges consacrés aux études classiques, une lacune qu’il serait utile de remplir par des établissements d’une nature spéciale ? […] » Le mémoire d’un avocat, ancien élève de l’École normale supérieure et futur rapporteur de la loi Guizot à la Chambre des députés, A.-Ch. Renouard, plaidoyer en faveur d’un nouveau type d’écoles, fut couronné2. Il propose un programme d’études approprié à une catégorie sociale qu’il ne définit pas précisément. Pas plus que le texte de présentation du concours, qui évoque « une multitude de familles, que leurs intérêts, leurs travaux, leur situation sociale, n’appellent point à donner à leurs enfants une éducation littéraire et qui ont besoin cependant de leur faire acquérir des connaissances et une instruction bien supérieures à celles que les écoles primaires peuvent fournir », le mémoire de Renouard n’utilise l’expression « classe moyenne ». Il utilise en passant l’expression « classe laborieuse », pour une catégorie qu’il distingue des masses populaires, et donne en exemple les artisans et les laboureurs. Les termes disponibles pour désigner des différences à l’intérieur de la population française de l’époque sont en effet alors très vaguement définis. L’expression « classe moyenne » figure en 1816 dans un mémoire de Saint-Simon qui plaide pour la création d’un type de scolarisation pour une catégorie qui semble à peu près celle que Renouard désigne comme la classe laborieuse3. On a vu précédemment que le mémoire sur l’instruction publique de Guizot, contemporain de celui de Saint-Simon, ne distinguait que deux classes dans la population française et n’évoquait en conséquence que deux formes de scolarisation4.

  • 5 Victor Cousin, Rapport sur l’Etat de l’instruction publique dans quelques pays de l’Allemagne et p (...)
  • 6 Cousin, op. cit., p. 247.
  • 7 Octave Gréard, La législation de l’instruction primaire en France depuis 1789 jusqu’à nos jours, P (...)

3L’usage de l’expression « classe moyenne » (au singulier ou au pluriel) se répand au début des années 1830 après la révolution de Juillet et l’arrivée à des positions d’influence des libéraux qui avaient organisé le concours de 1823. Il accompagne la réflexion sur l’électorat souhaitable et sur la création éventuelle d’un type d’études approprié pour une partie de la population dont certains perçoivent l’émergence. Une mission d’information sur l’enseignement en Allemagne est confiée à Victor Cousin, alors professeur à la Sorbonne et membre du Conseil Royal de l’Université, par le ministre de l’Instruction publique de 1830, Montalivet. Cousin décrit dans son mémoire, qui reproduit les lettres envoyées au Ministre, le système scolaire de la Prusse qui comporte une organisation où l’État et les villes se partagent l’autorité sur les services d’enseignement5. Il relève une différenciation des filières scolaires en fonction des caractéristiques sociales de leur clientèle auxquelles correspond une hiérarchie d’écoles. Cousin s’attarde sur les Bürgerschulen de l’Allemagne et définit la classe moyenne qui constitue leur clientèle comme « […] cette classe nombreuse de la population qui sans entrer dans une profession savante a pourtant besoin d’une culture plus étendue et plus variée que la classe inférieure proprement dite, les paysans et les ouvriers6. » Les caractérisations de la classe moyenne proposées après 1830 reposent très souvent, comme dans cet exemple, sur une double négation : l’exposé des motifs de la loi de 1833 qui crée une filière réalisant un enseignement intermédiaire, désigne ainsi sa clientèle comme « une partie très nombreuse de la nation qui, sans jouir des avantages de la fortune, n’est pas non plus réduite à une gêne trop sévère, manque entièrement des connaissances et de la culture intellectuelle et morale appropriées à sa position7 ».

  • 8 Voir les ouvrages cités supra, ainsi que Saint-Marc Girardin, De l’instruction intermédiaire et de (...)

4Au cours de la période 1820-1880, la question de la création d’un enseignement spécifiquement destiné à une nouvelle classe sociale dont l’émergence est de plus en plus rarement contestée, suscite ouvrages et brochures8. Plusieurs créations institutionnelles ont un caractère national : les « cours de commerce » (« de français », « spéciaux », etc.) des années 1827-1830, les écoles primaires supérieures inscrites dans la loi Guizot, l’enseignement secondaire spécial de Duruy, les écoles primaires supérieures de 1879-1886. Quel que soit le cadre dans lequel elles s’inscrivent, ces créations font l’objet d’examens au niveau local, notamment par les conseils municipaux qui précisent dans leurs rapports clientèles et finalités.

5Ouvrages, brochures et rapports discutent le cadre administratif dans lequel cet enseignement devrait être placé : dans des écoles primaires, dans les établissements secondaires, ou encore dans des écoles d’un type nouveau. Ils proposent des programmes d’études, plaident pour ou contre l’introduction de matières comme le dessin linéaire ou le dessin d’imitation, les langues vivantes, le travail manuel. Il s’agit toujours de définir un enseignement tourné vers les « connaissances pratiques et les sciences usuelles » – c’est-à-dire réputées utiles pour des chefs d’entreprise industrielle, commerciale ou agricole, petite ou moyenne, ou pour ce que l’on peut appeler par un terme anachronique, les employés assurant un rôle d’encadrement dans ces entreprises ou dans des administrations publiques ou privées. L’apprentissage de la langue française occupe toujours une place importante dans les programmes proposés, ainsi que l’arithmétique, des notions de géométrie, de sciences physiques et de chimie, des éléments d’histoire et de géographie, auxquels s’ajoutent les langues vivantes, la tenue des livres (la comptabilité), le dessin linéaire (alors l’outil essentiel de la communication entre ingénieurs des industries mécaniques ou de la construction et ouvriers), le dessin d’ornement et le dessin d’imitation. L’absence du latin et de tout exercice visant à la maîtrise de la rhétorique marque par contre, comme on le verra plus loin, une séparation nette entre ces enseignements et l’enseignement secondaire classique.

  • 9 Gréard, La législation de l’instruction primaire, op. cit., vol. 2, p. 4.

6Les projets d’enseignement intermédiaire correspondent à ce qu’on peut qualifier d’orientation semi professionnelle des études, et non à l’organisation d’enseignements en vue d’emplois étroitement et précisément définis. Ainsi dans la loi Guizot de 1833, la seule allusion à une finalité professionnelle des études dans l’exposé des motifs se trouve dans l’énumération, parmi les matières au programme de cet enseignement, des « éléments de la géométrie pratique qui fournissent les premières données de toutes les professions industrielles9 ». La liste non limitative des matières mentionnées comprend à la fois des matières qui se situent sur la marge des programmes de l’enseignement secondaire de l’époque et des techniques ou des savoir-faire pratiques complètement étrangers à ceux-ci, comme la tenue de livre ou l’arpentage. L’exposé des motifs de la loi évoque une « culture un peu plus relevée que celle de l’enseignement primaire », mais ne désigne aucun débouché par des termes de métier. Il s’agit en effet de dispenser à des élèves maîtrisant les rudiments primaires un éventail relativement large de connaissances tournées vers des applications.

  • 10 AM Nantes 1R 14.

Cette incertitude apparaît aussi dans les formulations des délibérations municipales suscitées par la création des établissements. Pour l’école primaire supérieure fondée par la ville de Nantes en 1833, qui accorda de manière originale une grande place aux applications industrielles de la chimie, la délibération du conseil municipal sur la création de l’école se limite à la justification suivante : « […] si l’éducation est la base de toute prospérité sociale, une des premières conditions de son succès, c’est qu’elle soit appropriée entièrement aux diverses situations, aux diverses carrières individuelles10 ». Le rédacteur ne rentre pas plus avant dans l’examen de ces carrières, et c’est au premier directeur de l’école, un pharmacien, que celle-ci doit une orientation vers la chimie.

7Le lien entre l’enseignement reçu et les emplois ultérieurement occupés par les anciens élèves des filières d’enseignement relevant de l’enseignement intermédiaire s’est trouvé toutefois parfois notablement précisé sur le terrain, fruit de la double nécessité pour les directeurs d’écoles de recruter des élèves et de justifier l’utilité de leurs établissements auprès des autorités municipales et des parents d’élèves.

8Dès les premières années, en effet, les directeurs des écoles primaires supérieures créées à la suite de la loi de 1833 présentent dans leurs rapports de fonctionnement, ou dans les argumentaires pour justifier leurs demandes de postes d’enseignants ou de matériels, des statistiques des élèves selon la profession exercée à la sortie de l’établissement. Les prospectus, qui sont un des moyens de recrutement, mettent également en avant les professions exercées par les élèves à leur sortie de l’établissement. Ainsi s’établit une routine qui dura près d’un siècle et demi pour toutes les filières d’études qui n’étaient ni primaires élémentaires ni secondaires : la tenue par les chefs d’établissements de statistiques sur les professions embrassées par les élèves à la fin des études, et leur usage pour justifier l’utilité sociale de ces enseignements.

  • 11 Horace Say, Rapport au comité central d’instruction primaire sur l’Ecole primaire supérieure de la (...)

Le rapport au comité central d’instruction primaire sur l’école primaire supérieure de la Rue Neuve-Saint-Laurent à Paris (la future école Turgot) en 1845 offre un exemple typique des raisonnements des administrateurs des écoles et des pratiques auxquels ils conduisent. Son signataire, Horace Say, définit explicitement la modalité de la relation aux emplois futurs des élèves :« Vous avez pensé que c’était surtout aux classes intermédiaires de la société que vous deviez offrir le moyen de préparer convenablement les jeunes gens pour les professions qui tiennent aux arts et à l’industrie ; vous avez voulu que ces jeunes gens trouvassent dans l’école l’éducation qui conduit à devenir de bons commis, de bons contre-maîtres […] Vous avez voulu donner, en un mot, l’instruction générale et solide qui convient à tous ceux qui cherchent par un travail intelligent à s’élever au-dessus du rang de simple ouvrier ; mais quant à l’éducation professionnelle proprement dite, vous avez reconnu que c’était essentiellement à la pratique qu’on devait la demander ; vous avez pensé qu’il fallait que votre enseignement s’arrêtât là où commençait l’étude des détails techniques de chaque profession11. » Horace Say termine son rapport par un examen des professions exercées par les premiers élèves qu’il introduit ainsi : « Pour se former enfin une idée plus complète de la portée de l’enseignement et des conséquences heureuses qu’il peut avoir sur les élèves qui ont fréquenté l’école, il est bon de les suivre à leur sortie, de rechercher les carrières qu’ils ont pu prendre et les succès qu’ils ont déjà obtenus. »

9Il existe évidemment des nuances dans les clientèles visées par les différents projets, et en conséquence dans les matières inscrites dans les programmes. On peut distinguer deux sous-modèles à partir du critère du niveau d’aisance des familles des élèves, et en conséquence de la durée d’études. Le premier définit ces études plutôt comme un prolongement de l’enseignement primaire élémentaire ; le second, qui s’adresse à une clientèle un peu plus aisée, insiste sur le caractère « secondaire » des études et propose parfois que celles-ci commencent seulement après deux ou trois ans d’apprentissage du latin, ce qui implique une scolarisation à peu près aussi longue que celle de l’enseignement secondaire classique. Cette distinction s’appuie sur ce que l’on trouve dans les établissements de certaines villes allemandes, et plus tard sur les deux réalisations municipales parisiennes présentées plus loin, l’école Turgot et le collège Chaptal. Le « succès » de ces deux établissements témoigne que la distinction n’était pas dépourvue de pertinence à Paris.

10L’enseignement intermédiaire a des adversaires dès les premiers débats sur la création de ce type de filière. Les uns y voient simplement une restauration des écoles centrales de l’époque révolutionnaire honnie : cette interprétation explique sans doute l’interdiction faite en 1823 de rendre public le résultat du concours des Tablettes universelles. D’autres considèrent que la création d’un tel enseignement recèle une menace potentielle pour l’enseignement secondaire classique auquel la nouvelle filière pourrait prendre une partie de sa clientèle. D’autres encore jugent toute création inutile puisque les Frères des écoles chrétiennes et quelques autres congrégations offrent un type d’enseignement analogue dans certains de leurs pensionnats et demi-pensionnats et qu’ils présentent, pensent-ils, des garanties religieuses et morales très supérieures à celles des établissements sous la tutelle des villes ou de l’État. D’autres encore, nombreux surtout après la révolution de 1848, imputent à cette forme de scolarisation dépassant le niveau des rudiments primaires, la production de « déclassés » dangereux pour l’ordre social : telle est l’interprétation de Thiers en 1849 lors des débats de la commission extra-parlementaire chargée de préparer ce qui devait devenir la loi Falloux.

  • 12 Commission extraparlementaire de 1849, texte intégral inédit des procès-verbaux, Paris, J. de Gigo (...)

Thiers, qui préside cette commission, déclara à l’une des séances : « Ce que je ne saurais trop combattre, c’est l’institution des écoles professionnelles [le nom donné à ce moment à ce type d’établissement], c’est le genre d’établissement que je déteste et que je méprise le plus au monde. Les écoles professionnelles animées d’un esprit détestable, ne seront bonnes qu’à faire de petits Américains de leurs élèves. […] Les belles lettres, selon moi, seront toujours les bonnes lettres […] on me dira sans doute que pour beaucoup d’élèves, les classes ne s’achèvent pas : cela est vrai ; mais enfin, j’aime mieux qu’on ait parlé pendant trois ans à un enfant de Scipion et de Caton que de triangles et d’équerres ; quand la religion est affaiblie en un pays, la morale s’appuie avant tout sur les grands exemples que donne l’enseignement du passé ; et voilà pourquoi je préfère les études classiques aux écoles professionnelles12. » L’ensemble des interventions de Thiers suggère une ignorance complète des enseignements qu’il critique.

  • 13 César Fichet, Mémoire sur l’enseignement professionnel, suivi d’un plan d’instruction industrielle (...)

11Les raisonnements développés par les partisans de la création d’un enseignement intermédiaire sont aussi divers que ceux de leurs adversaires. Si les uns adoptent l’argumentation de l’utilité d’études centrées sur des connaissances pratiques, d’autres, soucieux surtout de l’enseignement classique, visent vraisemblablement en intégrant à l’enseignement intermédiaire les enseignements scientifiques, à désarmer les partisans du développement des sciences qui réclament pour celles-ci une place augmentée dans le cursus des études classiques des lycées et collèges, et ainsi, à confiner les études scientifiques dans une position subalterne. Les appréciations varient également quant au mode d’institutionnalisation de ce nouveau type d’étude. Certains partisans de l’enseignement intermédiaire voient un grand danger pour l’ordre social dans la création de celui-ci dans un cadre primaire qui séparerait ses élèves des futures élites ; d’autres, au contraire, argumentent en faveur du rattachement de l’enseignement intermédiaire à l’enseignement primaire, afin que ne soient pas nourries des « ambitions déplacées ». D’autres encore jugent que des établissements spécifiques, distincts des lycées et collèges ainsi que des écoles primaires, sont une condition nécessaire au développement effectif de ces enseignements. À la fin des années 1840, la question de la place à donner au travail manuel – à l’atelier bois et fer – dans les enseignements intermédiaires est un nouveau sujet de controverse. L’un des partisans de cette introduction est César Fichet, un temps protégé d’Hyppolite Fortoul, ministre de l’Instruction publique de 1851 à 1856. L’un de ses plus farouches adversaires est le premier directeur de Turgot récemment démis de ses fonctions, P.-P. Pompée13. Les débats se nourrissent aussi des polémiques sur les « résultats » obtenus dans les établissements qui proposent ce type d’enseignement. Ces controverses se poursuivent sans que les argumentations connaissent de renouvellement jusqu’à 1865, mais la terminologie change à plusieurs reprises. L’expression « enseignement professionnel » s’impose à partir de 1850, avant qu’une création réglementaire dans le cadre de l’enseignement secondaire, en 1865, ne donne une nouvelle diffusion à l’expression « enseignement spécial », déjà utilisée autour de 1847.

Les réalisations institutionnelles

  • 14 Voir Charles Day, Les écoles d’arts et métiers : l’enseignement technique en France, XIXe-XXe sièc (...)

12Les réalisations institutionnelles ont été influencées par deux autres types d’écoles préexistantes, les écoles normales d’instituteurs et les écoles d’arts et métiers, qui, bien qu’elles ne scolarisent que des effectifs réduits, ont contribué à déterminer la place des filières scolaires relevant de l’enseignement intermédiaire : celles-ci ont en effet trouvé un débouché dans la préparation à l’entrée dans ces écoles, ce qui a contribué à en définir le niveau d’étude. La création de ces écoles, dont les études ne sont jamais identifiées à un enseignement intermédiaire, est antérieure aux débats sur celui-ci : la première école normale d’instituteurs ouvre à Strasbourg en 1810, et une première école d’arts et métiers en 1803. Inscrites dans la loi Guizot comme création obligatoire pour les départements, les écoles normales d’instituteurs recrutent leurs élèves à 16 ans par un concours qui porte sur les matières de l’enseignement primaire. Une partie de leurs candidats est préparée dans les écoles primaires, où ils remplissent le rôle de sous-maître pour l’instituteur qui les prépare. Mais les limites fixées pour l’âge d’entrée ont certainement favorisé les préparations à l’entrée dans les écoles normales dans les filières qui relèvent de l’enseignement intermédiaire. Il en va de même en ce qui concerne la préparation à l’entrée aux écoles des arts et métiers14. Les deux établissements (Châlons-sur-Marne à partir de 1806, Angers à partir de 1815), qui prétendent officiellement former « de bons ouvriers et des chefs d’atelier », recrutent jusqu’en 1832 des élèves de 13 ans, « sachant lire et écrire » et « les quatre premières règles de l’arithmétique » et assurent quatre, puis trois années d’études. À partir des années 1840, les élèves de ces écoles trouvent des débouchés dans les industries mécaniques en expansion et leur réputation s’affirme. L’âge minimum à l’entrée est relevé à 14 ans, puis à 15 ans en 1848, en même temps que sont renforcées les exigences scolaires. À partir des années 1850, la réussite à l’entrée aux arts et métiers est un débouché recherché par les élèves qui suivent une des filières relevant de l’enseignement intermédiaire : les prospectus des écoles qui y préparent mettent en avant les succès, même quand ceux-ci sont rares. Ces deux types de débouchés, ainsi que, sur une moindre échelle, la préparation aux écoles vétérinaires, ont contribué à définir la place des filières de l’enseignement intermédiaire : des cursus intercalés entre les cursus primaires élémentaires et les niveaux d’études que définissent les concours d’entrée dans les écoles normales d’instituteurs et les écoles d’arts et métiers.

  • 15 Pour les cours spéciaux antérieurs à 1865, voir AN F17/6889 à 6892. J’ai regardé notamment les cré (...)

13Les premières réalisations de filières d’enseignement intermédiaire prennent place dans des établissements secondaires, les collèges, avant même les débats précédemment évoqués. En 1812, le collège de Pau ouvre des cours d’espagnol et de tenue de livre ; en 1827 le collège d’Epinal, une « école de mécanique, géométrie et dessin ». Les initiatives se multiplient à partir de 1828 : des cours spéciaux ouvrent au collège de Rouen, et une ordonnance du 26 mars 1829 propose la création d’un enseignement sans latin pour les « besoins des professions commerciales, agricoles, industrielles et manufacturières » ; celui-ci inclurait « les sciences avec leurs applications à l’industrie, les langues modernes, la théorie du commerce, le dessin ». Une décision du Conseil royal du 28 juillet 1829 rédige un programme pour les « cours spéciaux » du collège royal de Nancy. Des « cours de commerce » ou des « cours de français » sont annexés au collège royal de Versailles, aux collèges de La Rochelle et d’Amiens (où l’expérience dure environ dix-huit mois, semblet-il parce que le recrutement se limite à quelques élèves jugés médiocres issus de la section classique). L’autorisation de créer des enseignements semblables est donnée aux collèges de Lyon, Caen, Étampes, Alençon. Ces autorisations, qui font l’objet de publications officielles, témoignent essentiellement de la volonté du ministère d’installer un nouvel enseignement à côté de la filière secondaire classique, mais elles ne suffirent pas à fonder durablement cet enseignement : dans de très nombreux cas celui-ci périclita rapidement15.

  • 16 Rapport au Roi par M. le Ministre secrétaire d’État au département de l’instruction publique sur l (...)

14Une seconde tentative pour créer un enseignement s’adressant aux classes moyennes s’inscrit dans le cadre administratif de l’enseignement primaire. La loi Guizot impose en effet aux villes de plus de 6 000 habitants et aux chefs-lieux de département la fondation et l’entretien d’une « école primaire supérieure » où l’enseignement doit comprendre un éventail de matières plus large et des développements plus approfondis que ceux qui sont enseignés dans les écoles primaires ordinaires. Les attendus de cette création sont semblables à ceux des cours de commerce ou des cours de français des collèges, même si le niveau social du recrutement attendu est moins élevé. La disposition concerne 290 villes en 1840. Seules 161 avaient entrepris à cette date de l’appliquer, mais toutes les écoles dont la création est décidée ne sont pas ouvertes. Par ailleurs 103 autres communes de moins de 6 000 habitants déclarent entretenir une école supérieure16. Un examen des situations locales suggère que cette statistique est optimiste et mélange quelques écoles offrant un enseignement au-delà des rudiments primaires et d’autres qui ne sont « supérieures » que par leur appellation et dont l’existence fut souvent brève. Ni les préfets ni les recteurs ne se désintéressèrent pourtant de l’application des dispositions de la loi Guizot sur l’enseignement primaire supérieur.

  • 17 Des tentatives de création d’écoles de ce type dans le cadre primaire de la période antérieure à 1 (...)

15On ne peut s’étonner de ce que l’application des dispositions de la loi de 1833 imposant aux villes la fondation d’une école primaire supérieure soit lente17. Les villes ont des ressources limitées, et se préoccupent d’abord des écoles primaires élémentaires dont la fondation est rendue obligatoire par la même loi. Les locaux font souvent défaut, tout comme les maîtres possédant le brevet supérieur exigé des directeurs. Enfin, faute d’expérience antérieure, les conseils municipaux comme les administrateurs de l’enseignement ignorent quelle organisation pédagogique serait appropriée pour ces écoles. Les premières fondations d’écoles primaires supérieures leur attribuent presque toujours un seul maître, ainsi chargé de l’enseignement de toutes les matières, alors que les exemples d’écoles qui réussissent montrent a posteriori que plusieurs maîtres spécialisés étaient sans doute indispensables. Autre obstacle : les élèves ayant à peu près parcouru le programme de l’enseignement primaire élémentaire, et donc susceptibles de prolonger leurs études, sont souvent peu nombreux. Ils ne peuvent se trouver que là où une école élémentaire offre déjà un programme d’études assez étendu. Et, s’il en va ainsi dans certaines des écoles des Frères des écoles chrétiennes des grandes villes, celles-ci ont évidemment évité d’envoyer des élèves chez leurs concurrents. Enfin la nature de l’enseignement, les programmes et les méthodes ne sont définis par la loi de 1833 que par une simple liste de matières. Il faut donc pour qu’une école primaire supérieure soit fondée avec quelque chance de succès que les autorités communales trouvent un directeur capable pourvu du brevet supérieur, que soit défini par celui-ci l’enseignement à dispenser dans son programme, ses méthodes – alors même que certaines matières ne sont pas enseignées antérieurement dans les établissements secondaires ni ailleurs – et que soit trouvée une clientèle ayant acquis un minimum de compétence scolaire préalable. Sauf rares exceptions, ces conditions ne furent remplies que dans quelques grandes villes.

  • 18 AN F17/9820 à 9827.

16Les rapports d’exécution de la loi Guizot envoyés à l’administration centrale suggèrent une grande incertitude sur l’organisation de l’enseignement et sur les buts poursuivis18. Les rapports d’inspection ultérieurs relèvent souvent qu’une partie importante des élèves n’a pas acquis les rudiments et que les écoles supérieures ne dispensent donc qu’un enseignement élémentaire. Parmi les ressources dont s’inspirèrent les grandes villes, il faut mentionner les cours publics souvent fondés vers 1830 qui offrent des enseignements, parfois gratuits, réputés s’adresser à des ouvriers (un terme à l’époque de signification imprécise) sur des sujets comme le dessin linéaire ou d’imitation, la botanique, l’arithmétique, la tenue de livre, la législation commerciale. Ces cours ont fourni à l’occasion à l’école primaire supérieure certains de leurs enseignants : parfois un architecte communal ou un avocat, parfois un professeur de la faculté des sciences voisine.

17Dans une partie des villes, l’école supérieure est dès sa création jointe à l’école élémentaire, et le terme « supérieur » n’est qu’une sorte de décoration qui signifie la faveur de la ville pour l’éducation populaire, et peut-être une méfiance corrélative pour les écoles de frères. Dans ce cas, l’école supérieure est toujours une école suivant la méthode mutuelle, ce qui n’en favorise pas le fonctionnement ; lorsqu’elle est par ailleurs gratuite, la clientèle un peu aisée évite l’établissement, redéfini implicitement comme une école pour pauvres. Des villes possédant un collège communal cherchèrent à annexer l’école primaire supérieure à celui-ci, dans un objectif d’économie : une cinquantaine d’annexions à des collèges sont réalisées entre 1834 et 1838 et des ordonnances en 1838, 1841 et 1842 autorisent, et parfois suscitent ces annexions. L’école primaire supérieure partage aussi à l’occasion les locaux du collège tout en restant indépendante. Les collèges, dont les effectifs sont souvent faibles, ont fréquemment manifesté une hostilité au nouvel établissement, l’annexion étant d’ailleurs une méthode efficace pour contenir une concurrence non souhaitée. Pour certains partisans de l’enseignement intermédiaire, l’annexion à un collège marque la fin d’une école primaire supérieure : des villes désannexèrent d’ailleurs l’école primaire supérieure du collège pour conforter celle-ci. Il en va ainsi à Sens en 1838, et à Nancy en 1846 – deux villes qui conservent leur école primaire supérieure jusqu’en 1880, Nancy, en faisant même un établissement relativement important. Je reviens plus loin sur le cas des écoles de grandes villes qui, lorsqu’elles existèrent durablement, conservèrent ou retrouvèrent après une brève annexion une existence indépendante.

  • 19 AN F17/8701.

18En 1847, une législation définit un nouveau cadre pour un enseignement sans latin en réorganisant les cours spéciaux des collèges, dont une partie étaient d’ailleurs issus de l’absorption par le collège d’une école primaire supérieure annexée. Dans cette nouvelle réglementation, les études, réparties sur trois années, commencent après la classe de 4e de l’enseignement secondaire, ce qui exclut une clientèle plus modeste pour laquelle les 3 ou 4 années d’études latines préalables sont trop coûteuses et par ailleurs répulsives. Des dérogations sont immédiatement demandées à l’application de cette mesure, car comme l’indique dans sa demande le proviseur du collège royal de Marseille, sinon « on risquerait de n’avoir personne19 ». Des programmes sont promulgués, qui renforcent la partie scientifique des études, mais la période n’est pas favorable à une réorganisation de ces cours, et le plan d’études de 1847 ne fut sans doute à peu près nulle part appliqué plus d’un ou deux ans – s’il le fut.

  • 20 Gréard, op. cit., vol. 3, p. 63-114.
  • 21 L’épisode est décrit dans une circulaire aux recteurs du 2 octobre 1863, Bulletin administratif de (...)

19Un projet de loi sur l’enseignement primaire préparé en 1848, dont le rapporteur à l’Assemblée nationale est Barthélemy Saint-Hilaire, prévoyait une relance des écoles primaires supérieures et l’extension de cet enseignement aux filles20. La conjoncture politique conduisit un peu plus tard au contraire à leur quasi-suppression. Les craintes relatives aux comportements politiques des instituteurs et aux conséquences de toute extension de l’enseignement primaire se traduisent en effet, comme on l’a indiqué, par la disparition de toute mention de l’enseignement primaire supérieur dans la loi Falloux. Les écoles primaires supérieures qui existaient comme établissements indépendants devinrent des « écoles professionnelles ». Les partisans de l’enseignement intermédiaire n’ont pas à ce moment disparu, mais ils ne parviennent que difficilement, au cours d’un épisode confus du débat de ratification de la loi Falloux à l’Assemblée, à faire inscrire dans la loi une disposition concernant les jurys de qualification des maîtres de l’enseignement professionnel, seule trace dans la réglementation d’un enseignement intermédiaire21. Une commission est chargée en 1850 de définir ces « enseignements professionnels » – et peut-être plus encore d’informer sur ces enseignements l’élite universitaire qui définit la politique scolaire, puisque la première question qui lui est soumise est rédigée ainsi :

  • 22 ANF17/6891.

« Que doit-on entendre par enseignement professionnel, est-ce un enseignement destiné à former des ouvriers plus habiles, ou n’est-ce pas plutôt un enseignement destiné à répandre les connaissances générales qui peuvent préparer le plus utilement aux fonctions de Directeurs de travaux, Chefs d’industrie, Agents commerciaux et, en général, aux professions commerciales et industrielles22 ? »

  • 23 Arsène Cahour, Des études classiques et des études professionnelles, Paris, Poussielgue & Rusand, (...)

20À la même époque, l’ouvrage d’un jésuite, qui n’est pas hostile à l’enseignement professionnel, suggère que l’hostilité déclarée aux écoles primaires supérieures de 1849-1850 ne procède pour certains que d’une conjoncture politique particulière23.

21De nombreuses petites villes abandonnèrent après 1850 leur école primaire supérieure dont l’entretien n’est plus imposé par la législation. Une autre partie, comme on verra plus loin, continua de soutenir et parfois de développer leur école. Les écoles annexées à des collèges sont généralement absorbées par celui-ci, qui intègre ainsi un personnel de brevetés primaires, ce qui contribue à rendre plus floue dans les années suivantes la limite entre enseignements primaire et secondaire.

  • 24 Recommandations à MM. les recteurs touchant l’application des nouveaux règlements d’études du 18 a (...)
  • 25 Instructions aux recteurs sur les collèges communaux du 11 avril 1856, Bulletin administratif de l (...)

22Les « cours spéciaux » des collèges, qui constituent l’autre filière d’enseignement intermédiaire existant sur le terrain en 1850, sont en butte à l’hostilité du ministre de l’Instruction publique Hyppolite Fortoul. Dans une circulaire de 1855, celui-ci évoque leur « éducation à moitié barbare, étrangère aux éternels modèles des littératures anciennes24 ». Ces cours subsistent cependant, ce qui montre qu’ils sont au moins utiles aux établissements. En avril 1856, Fortoul promulgue un embryon de réglementation concernant les conditions de nomination des maîtres exerçant dans ces cours qui n’ont généralement que des brevets primaires, et il mentionne de manière surprenante « les besoins réels et permanents » auxquels ils répondent. Il suggère aux recteurs de veiller « à ce que leur organisation soit méthodique et régulièrement graduée25 ».

  • 26 AN F17/6891.

La correspondance des recteurs avec le ministre, suscitée notamment par un nouveau partage de l’autorité de nomination des maîtres entre recteurs et préfets en 1854, montre l’extrême diversité des situations, ainsi que la faible connaissance que possède le Ministère de l’activité des collèges communaux, où un grand nombre de cours spéciaux existant ne sont pas officiellement autorisés. Ceux qui prétendent l’être doivent leur accréditation tantôt au Ministre, tantôt au recteur, tantôt à une délibération du conseil municipal26. Les appellations utilisées semblent en rapport avec les prétentions des établissements : dans l’académie de Rennes, pour les lycées de Rennes et de Nantes, les cours sont dénommés « cours préparatoires au commerce et à l’industrie » ; à Angers il s’agit de « cours professionnels » ; à Laval, Brest, Saint-Brieuc et Napoléonville (Pontivy ultérieurement) d’« écoles primaires supérieures ». On trouve ailleurs d’autres appellations, dont « école industrielle ».

23Les descriptions concernant les élèves des cours spéciaux d’avant 1865 sont généralement dépréciatives, une tendance qui renvoie en partie à l’intention fréquente de leurs partisans de justifier leur réorganisation. Il n’est pas douteux que ces cours ont permis à des chefs d’établissements de conserver des élèves dont les performances dans l’enseignement classique étaient médiocres : le placement dans des filières de second rang les élèves indésirables dans les filières d’élite peut s’observer dans toutes les périodes.

  • 27 AN F17/4345.
  • 28 Ferdinand Roux, De l’enseignement professionnel en France, Castres, Imprimerie Abeilhou, 1862.

En 1855, dans un rapport sur la situation de l’enseignement dans son département, l’inspecteur d’académie de Saône-et-Loire, renvoie partiellement au passé cette appréciation dévalorisante, invoquant les « cours de rhétorique française » (sans doute une appellation locale) : « Là se réfugiaient les élèves qui par mauvais vouloir ou incapacité ne terminaient pas leurs études. Cette prétendue rhétorique a changé de nom et aussi de caractère27. » Il ajoute, à propos des cours préparatoires aux fonctions commerciales et industrielles qui ont remplacé les cours de rhétorique française dans les années 1850 : « Bien des familles, de la campagne surtout, goûtent cet enseignement qui ne fait perdre aux cours classiques qu’un fort petit nombre d’élèves dont la plupart n’auraient pas réussi. » Le principal du collège de Castres, un peu plus tard nommé directeur de l’école normale de Cluny chargée de former les maîtres de l’enseignement spécial réorganisé, affirme au contraire en 1861 que « ces cours n’ont pour ainsi dire que des élèves de hasard et sont comme une sorte de champ d’asile, de refugium peccatorum ouvert aux jeunes gens attardés ou désorientés28 ».

  • 29 AN F17/9821 et F17/6844.

24Les qualifications négatives sont vraisemblablement excessives, du moins dans leur généralisation à l’ensemble des cours spéciaux, et par ailleurs dépendent de normes de jugements qui sont ceux des études classiques. Ces cours sont soumis aux aléas divers qui rythment l’existence des collèges communaux. Le départ d’un principal ou d’un enseignant réputé, une conjoncture politico-sociale défavorable dans la ville, rendent généralement peu durables les « réussites » que révèlent un recrutement momentanément croissant et des succès dans les débouchés scolaires ou professionnels. Quelques établissements semblent échapper à cette instabilité, comme les cours spéciaux du lycée de Caen qui ont eu sur une longue période les débouchés typiques décrits plus loin29.

25Le successeur de Fortoul au ministère de l’Instruction publique, Gustave Rouland, n’est pas hostile aux cours spéciaux, et il charge en 1862 une commission de les réorganiser. La présidence en est confiée au chimiste J.-B. Dumas, qui avait été l’inspirateur de la réforme avortée de 1847. La loi sur l’enseignement secondaire spécial de 1865 s’appuie sur les conclusions de cette commission. Elle constitue la dernière tentative avant 1878 pour fonder un enseignement intermédiaire.

  • 30 Les réponses à l’enquête de Duruy se trouvent dans AN F17/6843 à 6849. Cette statistique n’a qu’un (...)

26Une enquête réalisée au moment de la préparation de la réglementation de 1865, qui porte sur les élèves passés par des établissements secondaires publics depuis 1859, permet de préciser les caractéristiques sociales du public de ces cours et confirme le caractère excessif des jugements dépréciatifs portés sur ceux-ci. Le recrutement est à peu près celui qui est annoncé par les projets d’organisation de l’enseignement intermédiaire : près de 37 % des élèves de l’enseignement spécial sont fils d’employés, d’artisans ou de commerçants, contre 21 % des élèves de l’enseignement classique, et 21 % sont fils d’agriculteurs, contre 9 % dans le classique, qui recrute par contre bien davantage que son modeste concurrent parmi les fils de professions libérales et de fonctionnaires supérieurs30. Certains des élèves sont issus de la filière classique qui les a rejetés. Les débouchés des cours spéciaux correspondent également à peu près à ceux qu’envisagent les projets de création d’enseignements intermédiaires : à côté d’un peu plus d’un dixième de fonctionnaires subalternes (agents voyers, etc.), on trouve 15 % d’élèves entrés dans des écoles – les arts et métiers, l’école des maîtres mineurs d’Alès, les écoles d’hydrographie –, et près de la moitié devenus petits commerçants, artisans ou employés (commis d’architectes, etc.), alors que ce type de débouché ne correspond qu’au tiers des sorties de l’enseignement classique. La similitude de ces débouchés et de ceux des écoles primaires supérieures de la IIIe République suggère que s’est constituée dès le milieu du XIXe siècle une sorte de niveau d’instruction moyen au-delà de celui de l’enseignement primaire élémentaire.

  • 31 Ce discours figure en annexe dans L’enseignement secondaire spécial. Décrets, Arrêtés, Programmes (...)
  • 32 Victor Duruy, Notes et souvenirs, Paris, Hachette, 1911, tome 1, p. 258-9.

27La loi de 1865 est précédée par une circulaire aux recteurs du 2 octobre 1863, qui présente la réforme à venir avec les justifications typiques des projets d’enseignement intermédiaire. Elle réorganise les cours spéciaux qui sont définis comme un prolongement de l’enseignement primaire, ainsi que le souligne Duruy dans son discours pour l’inauguration du lycée de Mont-de-Marsan31. Les études commencent vers l’âge de 12 ans et sont organisées sur 4 ans, avec des programmes détaillés et la recommandation d’une adaptation aux situations locales. Cette organisation se révéla praticable, ce qui n’avait pas été le cas, on l’a vu, de l’organisation de 1847. Trois nouveaux lycées lui sont exclusivement dédiés – l’un est issu de la transformation du languissant collège communal de Mont-de-Marsan. Enfin, une école normale est fondée à Cluny pour former des enseignants, et des concours d’agrégation sont ouverts à partir de 1866. Duruy remarque dans ses mémoires : « Le tort de ceux qui, depuis 40 ans s’étaient occupés de cette question avait été de ne pas comprendre qu’avant de songer à trouver des élèves pour ces études, il fallait former des professeurs capables de donner le nouvel enseignement32. » La préoccupation de la formation des enseignants témoigne d’un intérêt plus résolu que précédemment du ministère de l’Instruction publique pour ce type de filière de scolarisation.

Les écoles primaires supérieures des grandes villes (1833-1880)

  • 33 Je m’appuie ici notamment sur le dépouillement de AN F17/11708. L’exemple, d’ailleurs très particu (...)

28J’ai laissé jusqu’ici de côté une postérité de la loi Guizot : les écoles primaires supérieures fondées dans certaines grandes villes. Quelques-unes de ces écoles ont fonctionné sur toute la période 1833-1880 en tant qu’établissement municipal indépendant, et dans quelques cas, avec le statut d’école libre33. Les villes financent ces écoles toujours payantes, nomment et révoquent leur personnel, et déterminent ou au moins avalisent les programmes d’études. Elles ont systématiquement tenu les autorités de l’État à l’écart d’établissements qu’elles considèrent comme leur propriété : l’absence de réglementation après 1850 ne fut donc pas une gêne pour les villes. Des écoles semblables ont été par ailleurs fondées par des villes après cette date, mais surtout après 1870, là où elles avaient disparu ou avaient été absorbées par un collège.

  • 34 Les caractérisations citées sont celles des directeurs des deux établissements dans leur dépositio (...)

29Leur création ne fut pas en général aisée après 1833 pour les raisons avancées précédemment : partage des locaux avec l’école mutuelle, hostilité des écoles de Frères et du collège royal voisin, incertitudes sur les programmes et difficultés pour recruter des enseignants. Il fallut en général séparer l’établissement de l’école mutuelle et du collège pour qu’il parvienne à recruter la clientèle à laquelle il était destiné. L’absence de définition précise de l’organisation et de l’enseignement laissa une place aux initiatives de directeurs entreprenants, comme Leloup à Nantes, Pompée à Paris, et, après 1850, Bader à Mulhouse. Dans ces villes et quelques autres, des maires (nommés) ou des conseillers municipaux (élus) s’intéressèrent à la nouvelle création. Il en va ainsi à Nantes, à Orléans, où l’école ouvrit rapidement, ou à Bordeaux – trois écoles d’orientations différentes qui existèrent jusqu’en 1880. À Paris, l’ouverture, rue Neuve-Saint-Laurent, de ce qui devint l’école Turgot après 1848, est ajournée jusqu’en 1839 à la suite d’un conflit, mais l’école, dont les effectifs croissent ensuite rapidement, attire l’attention des autorités et devient une sorte de modèle de réalisation d’un enseignement intermédiaire. La ville de Paris a par ailleurs en 1844 racheté et transformé en école municipale un établissement libre, dont l’organisation s’inspire des Realschulen prussiennes, avec des études un peu plus longues que celles qu’offre l’école Turgot. Le recrutement, dans la « bourgeoisie industrielle et commerciale », est un peu plus élevé que celui de l’école Turgot qui recrute dans la « bourgeoisie moyenne des commerçants de détail, des employés de commerce et de banque34 ». Cet établissement resta unique dans sa définition, puisque deux créations de même inspiration, à Lyon et à Orléans, échouèrent. Il devint un peu plus tard le collège municipal Chaptal, bénéficiant après 1880 d’un double statut primaire et secondaire.

30La comparaison entre les écoles de grandes villes qui perdurèrent et les exemples d’échecs – par exemple à Marseille, Rennes, Toulon ou Toulouse – suggèrent certaines conditions presque nécessaires au développement de ces établissements. Peu de fondations durables n’ont pas bénéficié d’un directeur dynamique et possédant un certain entregent. Le directeur doit en effet inventer une formule d’enseignement en rapport avec les aspirations d’avenir d’une partie de la population locale et, il doit, par ailleurs, trouver des soutiens dans la municipalité. Encore faut-il que celle-ci reste suffisamment longtemps en place et que le recrutement ou les débouchés locaux ne se transforment pas trop vite – ou que l’école puisse s’adapter à des transformations que le directeur aura su percevoir.

L’exemple de l’école de Nantes peut servir d’illustration : son fondateur, directeur jusqu’en 1853, venait d’achever des études de pharmacie en 1833, et il orienta l’école vers un enseignement pratique de chimie et de physique en rapport avec les débouchés des industries locales. Il bénéficia durablement de la protection d’un maire, Ferdinand Fabre, un négociant et industriel protestant, qui reste en fonction de 1832 jusqu’à sa mort, en 1867, avec une interruption entre 1848 à 1851. Le fondateur revint après son départ forcé – ses relations avec la gauche nantaise n’étaient certainement pas ignorées des autorités – comme inspecteur de l’école. L’orientation de celle-ci changea au fil du temps, en relation avec les évolutions des industries nantaises et les aléas des compétences des directeurs ultérieurs, qui ne s’imposèrent pas tous, si bien que l’école connut des périodes difficiles. Le fondateur devint brièvement maire de Nantes en 1870 et l’école bénéficia alors d’une reconstruction.

31Les changements d’orientation et de personnes dans les conseils municipaux, les échos des intrigues locales constituent des facteurs d’instabilité pour ces écoles dont le budget est voté annuellement – mais la même remarque vaut pour les collèges communaux.

  • 35 G. Perrin, L.J. Veyron, Notice historique sur l’école professionnelle Vaucanson, Grenoble, Bregnat (...)

32Le début des années 1850 correspond à une période difficile pour à peu près toutes les écoles primaires supérieures qui doivent changer d’appellation. Encore peut-on relever qu’à Grenoble, la ville ouvre cette même année un second établissement de ce type, l’école Vaucanson35. Quelques écoles se transforment en école privée, d’autres végètent quelques années, ou même disparaissent complètement, pour reparaître quelques années plus tard : il en va ainsi à Pau, à Toulon, mais aussi à Reims, où une « école professionnelle » est fondée par la Société industrielle locale qui regroupe les patrons du textile et du champagne. Greffé provisoirement sur l’école primaire supérieure devenue privée, le projet d’une « école professionnelle » débouche sur une première réalisation : la construction d’un vaste bâtiment. L’école n’ouvre qu’en 1875, vingt-cinq ans après la première esquisse du projet.

  • 36 Pour l’école de Sens, j’utilise notamment la monographie rédigée par un directeur conservée à l’ac (...)

33La survie des écoles de villes est aussi dépendante de la possibilité d’un recrutement d’élèves suffisant en nombre et en qualité scolaire, ce qui implique l’existence d’écoles primaires voisines relativement efficaces. Sens (9 300 habitants en 1831) est, semble-t-il, la plus petite ville qui conserve son école primaire supérieure sur toute la période, ce qui donne une idée de la taille minimale nécessaire36. Un facteur de fragilité est l’instabilité des emplois locaux – une propriété que l’on retrouve pour toutes les filières de scolarisation dont le recrutement repose sur la mise en avant de finalités professionnelles ou semi professionnelles. L’existence de débouchés stables est une condition favorable que l’on trouve pour l’école de Bordeaux et l’école Turgot à Paris, plutôt tournées vers le commerce, et pour Orléans, tournée vers l’agriculture après 1850.

  • 37 Voir André Prévot, L’enseignement technique chez les Frères des écoles chrétiennes au XVIIIe et XI (...)
  • 38 G. Barnet, « L’école primaire supérieure des frères des écoles chrétiennes de la Ville d’Aurillac, (...)

34Les écoles primaires supérieures municipales subissent la concurrence de quelques établissements libres, principalement des pensionnats et demi-pensionnats des Frères des écoles chrétiennes. Ceux-ci ont précocement proposé ce même type d’enseignement à une clientèle socialement similaire37. De tels pensionnats existent dans la plupart des très grandes villes, et une ville moyenne, Aurillac (9700 habitants en 1831), leur confia durablement son école primaire supérieure publique, qui fonctionne d’ailleurs sans discontinuité sur toute la période38.

  • 39 Sur l’enseignement des premiers pensionnats des Frères pendant la période pré-révolutionnaire, voi (...)
  • 40 Louis Secondy, « Le pensionnat de l’Immaculée Conception de Béziers », in Les Frères des écoles ch (...)

La création de ce type d’enseignement est l’une des seules possibilités qui soient ouvertes aux Frères, qui revendiquent l’invention de la formule de l’enseignement primaire supérieur, pour installer dans leurs établissements des filières d’études prolongées et payantes39. La règle de leur ordre leur interdit en effet – et les congrégations concurrentes veillent à son respect – d’entretenir des écoles payantes et d’enseigner le latin dans leurs locaux : pour fonder des écoles économiquement viables offrant des études prolongées, qui leur sont d’ailleurs utiles pour le recrutement de leurs propres enseignants, il leur faut entretenir des pensionnats ou des demi-pensionnats, ce qui justifie la non gratuité de l’établissement. L’un des premiers exemples se trouve à Béziers, où cet enseignement est créé en 1831 à l’intention des fils de viticulteurs aisés40. La diffusion de la formule est rapide, avec des inflexions dans l’enseignement qui correspondent aux caractéristiques de l’environnement local. D’autres congrégations, comme les Frères de Ploërmel, les Frères de Saint-Gabriel, les Maristes ont entretenu des établissements analogues.

  • 41 Sur La Martinière, orientée un temps vers les débouchés de la chimie, voir F17/9820, ainsi que Fab (...)
  • 42 Voir Georges Créveuil, Eugène Livet (1820-1913), un éducateur français précurseur de l’enseignemen (...)

35Quelques écoles libres laïques au recrutement souvent régional ont également proposé des enseignements similaires à ceux des écoles professionnelles des grandes villes avec une réputation, et parfois un recrutement, régional. À Lyon, une fondation municipale issue d’un legs donna naissance en 1826 à une école, La Martinière, originale par son organisation et sa pédagogie inspirés de l’enseignement mutuel, élaborés par un directeur également professeur à la faculté des sciences de Lyon. École libre sans internat, à recrutement local, La Martinière est protégée de toute intervention des autorités universitaires41. L’école est quelquefois présentée dans les années 1860 comme une sorte d’école d’arts et métiers, bien que certains de ses élèves préparent l’entrée dans les écoles de ce nom. À Nantes et à Nancy, deux écoles libres à recrutement régional sont spécialisées dans la préparation des arts et métiers : l’école Livet de Nantes à partir de 1846, l’école professionnelle de l’Est à Nancy à partir de 1844. Ces deux établissements furent ultérieurement rachetés par l’État qui les transforma en écoles nationales professionnelles (voir chapitre suivant)42. À Marseille et à Aix, qui n’eurent pas durablement d’école primaire supérieure municipale avant 1880, deux établissements privés assurent une préparation aux écoles des arts et métiers, une situation que l’on trouve aussi à Châlons-sur-Marne. Ces écoles montrent qu’il existe, au moins à partir de 1850, une clientèle pour un enseignement au-delà du primaire élémentaire, avec des finalités professionnelles souvent diverses qui ne se limitent pas à l’entrée des arts et métiers.

36La statistique de 1850 de l’enseignement primaire, non publiée, ne peut être tenue même pour approximativement valide pour les écoles primaires supérieures. L’absence de toute réglementation concernant spécifiquement les écoles professionnelles après 1850 a entraîné qu’aucune statistique nationale ou même académique sur leurs élèves n’a été rassemblée. En 1878, à la veille de l’instauration d’une nouvelle réglementation, une première statistique recense une quarantaine d’écoles professionnelles, ce qui correspond à un flux d’élèves qui atteint sans doute environ 1 000 élèves, et qui n’est donc pas négligeable par rapport aux flux des élèves de l’enseignement secondaire spécial (voir chapitre vi).

La (re)création d’un enseignement primaire supérieur (1879-1886)

37On peut tirer une première conclusion de cet inventaire des tentatives de création d’un enseignement intermédiaire : si mitigé qu’ait été parfois le « succès » des réalisations, la répétition de ces entreprises fait apparaître la conviction durable, affirmée dans chaque période par de nombreux administrateurs : il y a une place, c’est-à-dire un recrutement et des débouchés, pour un enseignement prolongé au-delà du primaire et différent de l’enseignement secondaire classique. Le succès de la création institutionnelle ultérieure, en 1880, suggère une deuxième conclusion : les échecs antérieurs tiennent en partie à des causes institutionnelles : insuffisance de personnel enseignant approprié, incertitude des organisations pédagogiques, et déficit de régularité dans le soutien des villes à l’établissement.

  • 43 Manuel général de l’Instruction primaire, mai 1873, no 18, p. 142.
  • 44 Félix Pécaut, Études au jour le jour sur l’Education Nationale (1871-1879), Paris, Hachette, 1879.

38Après 1870, l’expression d’une hostilité à la création d’un enseignement intermédiaire, qui paraît d’ailleurs à l’époque solidement établi dans les lycées et collèges avec l’enseignement spécial, devient rare. Des villes, comme Clermont-Ferrand et Reims, ouvrent des écoles primaires supérieures, et Paris trois écoles sur le modèle de Turgot en 1868, 1872 et 1873. Des conseils généraux, où siègent des « républicains de 1848 », comme Madier de Monjau dans la Drôme, adoptent des vœux en faveur de la recréation d’un enseignement primaire supérieur, et parfois subventionnent des écoles qui portent ce titre. Ces demandes ont parfois avant tout le sens d’un attachement à l’enseignement laïc qui se trouverait ainsi « couronné ». Une partie du personnel en fonction dans l’administration n’a pas non plus oublié ces établissements et en connaît directement la postérité, comme le vice-recteur de Paris, Octave Gréard, qui se signale comme admirateur de l’école Turgot. Lors d’une discussion à l’académie des sciences morales et politiques en 1873, Guizot propose de recréer des écoles primaires supérieures43. Ferdinand Buisson, inspecteur primaire envoyé en mission à l’exposition internationale de Vienne (1873) et à celle de Philadelphie (1876), évoque dans ses rapports des exemples d’enseignements prolongés non classiques qu’il a vus dans les High Schools du Middle West. Félix Pécaut est un autre des partisans convaincus de cette recréation : il fait campagne dans Le Temps pour celle-ci, et intervient à ce sujet auprès de Gréard44. Dans son argumentation en faveur de cette création, Pécaut propose une justification qui est à l’opposé d’une de celles qui étaient avancées antérieurement : ces nouvelles écoles formeront « l’élite de la petite et moyenne propriété rurale » qui possède « l’autorité réelle » sur « les cultivateurs et les ouvriers des villes », et son attachement au régime est conforme aux intérêts d’une « politique conservatrice ». Pécaut propose aussi l’organisation d’écoles destinées aux petits centres urbains qui sera celle des cours complémentaires après 1880, et insiste particulièrement pour que la nouvelle création s’adresse également aux filles.

  • 45 Gréard, op. cit., vol. 5, p. 239-247.
  • 46 Décret du 23 décembre 1882, inGréard, op. cit., vol. 5, p. 489-490.

39En 1878, la mission de préparer un projet d’organisation de l’enseignement primaire supérieur, c’est-à-dire d’un enseignement intermédiaire rattaché au cadre administratif de l’ordre primaire, est confiée à l’un des connaisseurs de l’enseignement primaire supérieur d’avant 1848, l’inspecteur général de l’enseignement primaire J.-J. Rapet. Son rapport contient un historique des tentatives de création d’un enseignement intermédiaire et cite comme modèle les Mittelschulen et les Bürgerschulen d’Allemagne. L’année suivante, une ligne de crédit pour subventionner les créations d’écoles primaires supérieures (toujours réglementairement non définies) et financer des bourses d’études pour leurs élèves est inscrite au budget – seulement pour les garçons. Le terme « primaire supérieur » n’apparaît pas dans la loi du 11 décembre 1880 sur les écoles manuelles d’apprentissage qui constituent ultérieurement un cas particulier d’école primaire supérieure, et c’est un décret et un arrêté du 15 janvier 1881 qui définissent réglementairement le statut des écoles primaires supérieures (EPS) et des classes annexées aux écoles primaires que sont les « cours complémentaires » (CC), leur régime financier et le programme de leurs enseignements45. Le rattachement des écoles primaires supérieures à l’ordre primaire implique la gratuité des études. Un examen est instauré pour sanctionner les trois années d’études, le certificat d’études primaires supérieures (CEPS) – mais ce diplôme fut moins recherché que le brevet élémentaire (BE) dont la définition scolaire est voisine46.

  • 47 Gréard, op. cit., vol. 5, p. 243.
  • 48 Germaine Bourgade, « L’enseignement féminin à Toulouse à la fin du second empire. L’école mutuelle (...)

40La réglementation élaborée pour les écoles de garçons fut immédiatement étendue aux écoles de filles : en 1881, le ministre précise au vice-recteur de l’académie de Paris que « les EPS de filles sont comprises implicitement dans le décret47 ». Il existait en effet aussi avant 1878 quelques écoles de filles qui se déclarent « supérieures » : à Mulhouse et à Paris, où une école ouverte en 1839 qui porte ce titre est transférée en 1872 et donne naissance à l’école normale d’institutrices de la Seine. Quelques créations nouvelles apparaissent après 1870, par exemple à Bordeaux ou à Lille. D’autres écoles qui préparent aux brevets primaires ne portent pas ce titre, mais en ont les débouchés, notamment la préparation des brevets primaires, comme l’école mutuelle de filles – telle est sa dénomination – de Toulouse48.

41La création d’un enseignement primaire supérieur féminin est d’autant plus surprenante que, l’on ne trouve en sa faveur que quelques plaidoyers isolés, comme celui de Pécaut, et que la question ne suscite qu’un intérêt distrait chez les républicains qui ont d’autres priorités. L’intérêt d’une éducation spécifique pour la petite bourgeoisie ou les nouvelles classes moyennes n’est que rarement argumenté : par exemple, en 1883, l’argumentation en faveur du « Collège de demoiselles » de Castelsarrasin qui offre une éducation expressément primaire supérieure est celle qui accompagne les projets de créations des lycées et collèges de filles à la même époque. Ce sont les administrateurs, soutenus par une décision politique ponctuelle – dans le cas de l’enseignement primaire supérieur, émanant principalement de protestants – qui furent à l’origine de la création d’un type d’enseignement qui a eu des conséquences considérables sur les évolutions de la scolarisation.

42L’administration de l’instruction primaire négocia après 1880 avec les villes qui avaient conservé une école offrant un enseignement post-primaire élémentaire l’entrée de celle-ci dans le nouveau cadre réglementaire. Ce cadre impliquait des clauses financières, mais surtout l’abandon par les villes de leur pouvoir de nomination du personnel : une disposition nécessaire pour donner une certaine stabilité aux écoles, mais qui entraîna le désintérêt ultérieur de certaines villes pour leur école.

  • 49 Annales du Sénat, Débats parlementaires, tome XV, séance du 13 février 1886, p. 173.
  • 50 Voir par exemple C. Huit, « L’enseignement secondaire spécial », Bulletin de la SGEE, octobre 1882 (...)

43Les adversaires de l’enseignement intermédiaire ne s’expriment plus à ce moment contre celui-ci. À la Chambre des députés, les articles qui concernent l’enseignement primaire supérieur ne furent pas discutés lors de l’examen des lois scolaires de 1880 à 1886. Lors de la discussion de la loi Goblet de 1886 au Sénat, seul l’ancien ministre de l’Instruction publique Agénor Bardoux, demanda une explication sur une institution qu’il avait pourtant lui-même soutenu comme maire en créant, en 1871, l’école de Clermont-Ferrand49. La focalisation des débats de l’époque sur l’enseignement primaire élémentaire a certainement favorisé cette absence de discussion. Mais on peut aussi observer que l’existence d’une vaste catégorie sociale pour laquelle un tel type de scolarisation est approprié et souhaitable n’est à ce moment plus mise en doute. Dans les années 1880, l’organe de défense de l’enseignement catholique fondé en 1868 pour faire pièce à la Ligue de l’enseignement, la Société générale d’éducation et d’enseignement, se préoccupe peu de l’enseignement intermédiaire. Les rares articles qu’elle lui consacre sont centrés sur l’enseignement secondaire spécial et non sur l’enseignement primaire supérieur, même s’ils se référent à l’école Turgot – et il ne lui sont pas hostiles. Un tel enseignement est jugé utile, mais surtout parfaitement réalisé dans les établissements des Frères des écoles chrétiennes50.

44La création de l’enseignement primaire supérieur s ‘ accomplit après 1880 dans un contexte matériel, organisationnel et pédagogique tout à fait différent de celui de 1833. Des écoles existent qui fournissent des modèles d’organisation pédagogique. Des programmes ont été expérimentés. Des enseignants sont en cours de formation dans les deux écoles normales supérieures de Fontenay et de Saint-Cloud, destinés principalement à former le personnel des écoles normales d’instituteurs, mais accessoirement aussi celui des écoles primaires supérieures. Le niveau d’études dans une partie notable des écoles primaires élémentaires est incomparablement plus élevé que celui des écoles de 1830 : les candidats ne manquèrent pas aux nouveaux établissements, qui ne sont pas, sauf rares exceptions, réduits comme une partie de leurs devanciers à dispenser seulement un enseignement élémentaire. Le nouveau cadre de l’enseignement primaire met les écoles primaires supérieures un peu à l’abri de l’instabilité des décisions des conseils municipaux qui ne peuvent ni récuser les nominations des enseignants ni couper brutalement des crédits pour lesquels ils prennent des engagements sur cinq ans. Enfin, ce type de filière de scolarisation dispose à l’évidence d’une clientèle et certains débouchés sont recherchés par des familles, comme l’entrée dans les écoles normales et dans les écoles des arts et métiers, l’accès à des emplois dans des administrations publiques ou privées (postes, contributions, compagnie de transports, du gaz, etc.).

45La réglementation de l’enseignement primaire supérieur des années 1880 rend possible l’offre de l’enseignement primaire supérieur dans un autre cadre que les écoles primaires supérieures, le cours complémentaire. Il s’agit de classes rattachées à une école primaire, ce qui n’impose aux communes que des frais réduits. Cette création minimale, en faveur de laquelle s’est prononcé Pécaut, puis Bardoux lors de son passage au ministère de l’Instruction publique en 1878, permet à la fois d’éprouver l’existence d’une clientèle potentielle avant la création d’une école primaire supérieure, d’offrir un substitut à celles qui ne réussissent pas à s’assurer des effectifs suffisants, et d’ouvrir des perspectives de carrière pour les instituteurs.

  • 51 Gréard, op. cit., vol. 5, p. 669-699 et p. 720-767.

46La réglementation de l’enseignement primaire supérieur est remaniée en 1886 par la loi Goblet, qui fond dans un ensemble cohérent la réglementation adoptée depuis 1879 et définit l’organisation de l’ensemble de l’enseignement primaire de la IIIe République. Elle est complétée l’année suivante par un décret organique. Cette nouvelle réglementation s’applique à l’enseignement primaire supérieur durant toute la IIIe République, avec des retouches mineures quant aux aspects administratifs51. Comme pour le reste de l’enseignement primaire, l’autorité de l’administration de l’Instruction publique sur ces écoles se renforce dans les années suivantes, les villes ne conservant que des charges financières, ce qui assure une certaine stabilité aux établissements mais nourrit un déclin de l’intérêt des conseils municipaux pour ces écoles.

Notes

1 Des références plus développées aux archives sur lesquelles s’appuie de chapitre se trouvent dans mes deux articles « L’enseignement primaire supérieur de la loi Guizot aux écoles de la Troisième République » et « Deux expériences de création d’établissements techniques au XIXe siècle ».

2 Augustin-Charles Renouard, Considérations sur les lacunes de l’éducation secondaire en France, Paris, A. Renouard, 1824.

3 Quelques idées soumises par M. De Saint-Simon à l’assemblée générale de la société d’Instruction primaire, Paris, sd (1816), p. 10.

4 François Guizot, Essai sur l’histoire et l’état actuel de l’Instruction publique en France, Paris, Maradan, 1816.

5 Victor Cousin, Rapport sur l’Etat de l’instruction publique dans quelques pays de l’Allemagne et particulièrement en Prusse, Paris, F. G. Levrault, 1833.

6 Cousin, op. cit., p. 247.

7 Octave Gréard, La législation de l’instruction primaire en France depuis 1789 jusqu’à nos jours, Paris, Delalain, 2e édition, 1891-1902, 7 volumes (voir vol. 2, p. 4).

8 Voir les ouvrages cités supra, ainsi que Saint-Marc Girardin, De l’instruction intermédiaire et de ses rapports avec l’instruction secondaire, Paris, Delalain, 1847 ; Michel Chevalier, « De la nécessité de fonder l’enseignement professionnel », Journal des économistes, janvier 1846 (Discours d’ouverture du cours d’économie politique du Collège de France) ; Jean-Baptiste Dumas, Rapport sur l’enseignement scientifique dans les collèges, les écoles intermédiaires et les écoles primaires, Paris, Imprimerie Dupont, 1847 ; Pierre-Philibert Pompée, De l’enseignement professionnel en France, Paris, Pagnerre, 1863, qui reproduit un mémoire de 1845 couronné par l’Académie du Gard ainsi que l’exposé des motifs de la loi de 1865 ; Antoine-Augusin Cournot, Des institutions d’instruction publique en France, Paris, Hachette, 1863, p. 32-35.

9 Gréard, La législation de l’instruction primaire, op. cit., vol. 2, p. 4.

10 AM Nantes 1R 14.

11 Horace Say, Rapport au comité central d’instruction primaire sur l’Ecole primaire supérieure de la Rue Neuve-Saint-Laurent en 1845, Paris, Imprimerie Schneider et Langrand, p. 4-5 et 42.

12 Commission extraparlementaire de 1849, texte intégral inédit des procès-verbaux, Paris, J. de Gigord, 1937, p. 194.

13 César Fichet, Mémoire sur l’enseignement professionnel, suivi d’un plan d’instruction industrielle, Imprimerie Morard et Bergadieu, Blois, 1852 (in AN F17/11708) ; Pompée, op. cit.

14 Voir Charles Day, Les écoles d’arts et métiers : l’enseignement technique en France, XIXe-XXe siècle, Paris, Belin, 1991, qu’il est prudent de contrôler par les monographies de A. Guettier, Histoire des écoles nationales d’arts et métiers, Paris, Société des anciens élèves des écoles d’arts et métiers, 1880, et de F. Euvrard, Historique de l’école nationale des arts et métiers de Châlons-sur-Marne depuis sa fondation jusqu’à nos jours, 1780-1895, Châlons-sur-Marne, Imprimerie de L’Union républicaine, 1895.

15 Pour les cours spéciaux antérieurs à 1865, voir AN F17/6889 à 6892. J’ai regardé notamment les créations d’enseignements intermédiaires dans les collèges de Béziers (AN F17/8269), Bergerac (AN F17/8265), Dol (F17/8360), Dunkerque (AN F17/8368), Guingamp (AN F17/8403), Toul (AN F17/8631).

16 Rapport au Roi par M. le Ministre secrétaire d’État au département de l’instruction publique sur la situation de l’instruction primaire en 1840, Paris, Imprimerie nationale, 1841.

17 Des tentatives de création d’écoles de ce type dans le cadre primaire de la période antérieure à 1830 sont évoquées dans René Grevet, L’avènement de l’école contemporaine, 1789-1835, Villeneuve-d’Ascq, Presse du Septentrion, 2001, p. 299-302.

18 AN F17/9820 à 9827.

19 AN F17/8701.

20 Gréard, op. cit., vol. 3, p. 63-114.

21 L’épisode est décrit dans une circulaire aux recteurs du 2 octobre 1863, Bulletin administratif de l’Instruction publique, octobre 1863, tome 14, no 166, p. 328-329.

22 ANF17/6891.

23 Arsène Cahour, Des études classiques et des études professionnelles, Paris, Poussielgue & Rusand, 1852.

24 Recommandations à MM. les recteurs touchant l’application des nouveaux règlements d’études du 18 avril 1855, Bulletin administratif de l’Instruction publique, 1855, p. 115-116.

25 Instructions aux recteurs sur les collèges communaux du 11 avril 1856, Bulletin administratif de l’Instruction publique, 1856, p. 68-72, et circulaire et arrêté du 5 avril 1856, p. 65-67.

26 AN F17/6891.

27 AN F17/4345.

28 Ferdinand Roux, De l’enseignement professionnel en France, Castres, Imprimerie Abeilhou, 1862.

29 AN F17/9821 et F17/6844.

30 Les réponses à l’enquête de Duruy se trouvent dans AN F17/6843 à 6849. Cette statistique n’a qu’une valeur indicative car il manque une partie des établissements. J’utilise les résultats de l’exploitation de Patrick J. Harrigan, Mobility, Elites, and Education in French Society of the Second Empire, Waterloo (Ont.), Wilfrid Laurier University Press, 1980, p. 26-27.

31 Ce discours figure en annexe dans L’enseignement secondaire spécial. Décrets, Arrêtés, Programmes et documents relatifs à l’exécution de la loi du 21 juin 1865, Paris, Imprimerie nationale, 1866.

32 Victor Duruy, Notes et souvenirs, Paris, Hachette, 1911, tome 1, p. 258-9.

33 Je m’appuie ici notamment sur le dépouillement de AN F17/11708. L’exemple, d’ailleurs très particulier, de Mulhouse, a été le premier étudié : Raymond Oberlé, L’enseignement à Mulhouse de 1798 à 1870, Strasbourg, Presses de la FLSH de Strasbourg, 1961 ; pour Nantes et Reims, voir mon article « Deux expériences de création d’établissements techniques au XIXe siècle », ainsi que, pour Nantes, Marc Suteau, La politique scolaire d’une ville. Nantes 1830-1940, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1999. Des monographies des établissements qui eurent une longue existence rendent accessibles des documents d’archives aujourd’hui introuvables : à propos de Turgot, A. Collignon, L’école Turgot sous administration municipale, 1839-1899, Paris, 1895, Librairie des sciences générales, ainsi que la biographie hagiographique du fondateur par son gendre, Léon Château, Notice biographique sur Philibert Pompée, Paris, Aug. Boyer, 1875 ; pour Bordeaux, Albert Saubeste, L’école Pelegrin, 1837-1912 Monographie de l’école communale primaire supérieure de garçons, Bordeaux, G. Delmas, 1913 ; sur Orléans, voir la monographie du directeur Demond, Historique de l’école municipale professionnelle d’Orléans, manuscrit de 1876, conservée à la bibliothèque de l’INRP, ainsi que AD Loiret 1T 64 ; pour Nancy, voir Th. Petit, Monographie de l’école primaire supérieure commerciale et industrielle, Nancy, Imprimerie coopérative de l’Est, 1900.

34 Les caractérisations citées sont celles des directeurs des deux établissements dans leur déposition devant une commission ministérielle : Enquête sur l’enseignement professionnel, Paris, Imprimerie impériale, 1864, tome 1, p. 1-3 et 6.

35 G. Perrin, L.J. Veyron, Notice historique sur l’école professionnelle Vaucanson, Grenoble, Bregnat, 1889.

36 Pour l’école de Sens, j’utilise notamment la monographie rédigée par un directeur conservée à l’actuel lycée de Sens, dont une copie m’a été communiquée par Emmanuelle Moreno.

37 Voir André Prévot, L’enseignement technique chez les Frères des écoles chrétiennes au XVIIIe et XIXe siècle, Paris, Ligel, s.d. (1964) ; voir également Georges Rigault, Histoire générale de l’Institut des Frères des écoles chrétiennes, Paris, 1942-1949, Plon, tomes 4 à 7, passim.

38 G. Barnet, « L’école primaire supérieure des frères des écoles chrétiennes de la Ville d’Aurillac, 1842-1879, Revue de la Haute Auvergne, juillet-septembre 1958, tome 36, p. 129-140, et janvier-mars 1959, p. 209-243.

39 Sur l’enseignement des premiers pensionnats des Frères pendant la période pré-révolutionnaire, voir Roger Chartier, Marie-Madeleine Compère, Dominique Julia, L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, SEDES, 1976, p. 225-227.

40 Louis Secondy, « Le pensionnat de l’Immaculée Conception de Béziers », in Les Frères des écoles chrétiennes et leur rôle dans l’éducation populaire, Montpellier, Editas, 1981, p. 111-131.

41 Sur La Martinière, orientée un temps vers les débouchés de la chimie, voir F17/9820, ainsi que Fabrice Audet, « L’école La Martinière. Les élèves des promotions 1900-1909 », Bulletin du Centre Pierre-Léon, 1997, no 3-4, p. 11-25.

42 Voir Georges Créveuil, Eugène Livet (1820-1913), un éducateur français précurseur de l’enseignement technique, Nantes, Librairie Durance (sd) ; L’école professionnelle Loritz et l’École professionnelle de l’Est, notice publiée par le Comité de l’Association amicale des anciens élèves à l’occasion du Cinquantenaire, Nancy, Imprimerie de l’Est, 1894.

43 Manuel général de l’Instruction primaire, mai 1873, no 18, p. 142.

44 Félix Pécaut, Études au jour le jour sur l’Education Nationale (1871-1879), Paris, Hachette, 1879.

45 Gréard, op. cit., vol. 5, p. 239-247.

46 Décret du 23 décembre 1882, inGréard, op. cit., vol. 5, p. 489-490.

47 Gréard, op. cit., vol. 5, p. 243.

48 Germaine Bourgade, « L’enseignement féminin à Toulouse à la fin du second empire. L’école mutuelle de filles », Annales du Midi, 1975, tome 87, no 124, p. 487-493.

49 Annales du Sénat, Débats parlementaires, tome XV, séance du 13 février 1886, p. 173.

50 Voir par exemple C. Huit, « L’enseignement secondaire spécial », Bulletin de la SGEE, octobre 1882, p. 652-738.

51 Gréard, op. cit., vol. 5, p. 669-699 et p. 720-767.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search