Chapitre XI. Processions religieuses et violence démocratique dans la France de 19031
p. 147-168
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Index géographique : France
Texte intégral
1À lire la presse catholique du mois de juin 1903, mois des processions de la Fête-Dieu, il semblerait qu'une sorte de guerre de religion larvée ait éclaté en France. Sur un ton dramatique et en de multiples colonnes à la une, les lecteurs découvrent les multiples épisodes d'une guérilla urbaine inusitée : processions assaillies par des groupes de révolutionnaires, invectives anticléricales contre cantiques braillés à pleine poitrine, pugilats et coups de canne autour du Saint-Sacrement, débandades de communiantes apeurées, gendarmes débordés. Ce violent accès de fièvre intervient à peu près à mi-chemin entre la victoire électorale des Gauches, liée à l'affaire Dreyfus, et la séparation de l'Église et de l'État. Il convient d'abord de restituer le dossier des événements eux-mêmes pour discerner, au-delà des apparences répétitives, les spécificités locales : l'« histoire bataille » c'est le cas de le dire ici, est un préalable indispensable pour prendre une première mesure du phénomène. Celui-ci est justiciable, dans un second temps, d'une analyse approfondie, attentive tant au jeu des symboles qu'aux réalités du droit public, à la sociabilité religieuse traditionnelle comme aux transformations du cadre urbain. Le problème est en effet de rendre compte de l'irruption brutale de la violence, à ce degré exceptionnel, à ce moment précis et en certains lieux.
L'épidémie de violences de 1903
2Prise dans son ensemble, l'année 1903, qui suit l'arrivée au pouvoir d'Émile Combes, est placée sous le signe de la tension : les passions sont chauffées à blanc, et il suffit de quelques mots d'ordre pour mettre le feu aux poudres. Fermetures, souvent par la force, d'écoles non autorisées, attroupements menaçant les autorités venues signifier les ordres officiels, voies de fait à l'occasion : tout cela contribue à exacerber l'anticléricalisme d'une fraction de l'opinion. La nervosité s'accroît au printemps, lorsque les évêques, dont la quasi-totalité vient d'être condamnée pour abus par le conseil d'État pour leur pétition collective contre la politique anti-congréganiste2, appellent à des prières publiques dans les églises au moment de la rentrée des Chambres. La mobilisation des groupes anticléricaux se traduit par des incidents multipliés. Le 18 mai 1903, deux églises parisiennes sont le théâtre de troubles spectaculaires : à chaque fois, les manifestants s'en prennent très précisément à des prédicateurs, religieux suspectés de non sécularisation, invités par les curés des paroisses. À Belleville, le pugilat entre une cinquantaine de manifestants libres penseurs et la jeunesse catholique a dégénéré en une mêlée générale, impliquant même les femmes, que la police a grand peine à interrompre et qui se poursuit dans les rues voisines3. À Plaisance, les heurts ont commencé dès l'après-midi avec les jeunes gens de l'important patronage, créé par l'abbé Soulange-Bodin, et « vitrine » du catholicisme social parisien. Le soir, les manifestants révolutionnaires circulent autour du quartier bouclé par la police, elle-même débordée par une sortie en force des catholiques, cannes brandies et aux cris de « Vive les prêtres ! ». Il y a plusieurs blessés, un socialiste ayant reçu trois coups de tiers-point dans la poitrine4. Des bagarres et bousculades ont également lieu à Clermont-Ferrand, à Rennes, à Rouen ainsi qu'à Toulon, où un capitaine démissionnaire et un avocat, ayant voulu arracher un drapeau rouge des mains de leurs adversaires, ont été blessés5.
3C'est dans cette atmosphère que se préparent les traditionnelles processions de la Fête-Dieu de 1903. Celles-ci se dédoublent en deux sorties consécutives du Saint-Sacrement sur la place publique, le dimanche de la Fête-Dieu proprement dit, le 14 juin, et le dimanche d'octave suivant, pour la solennité du Sacré-Cœur, le 21 juin. À Rennes, on parle, encore au début du xxe siècle, du « Petit et Grand Sacre ». Elles ont évidemment lieu, dans l'immense majorité des cas, sans incident, mais l'attention de l'opinion se focalise tout naturellement sur celles qui donnent lieu à des tumultes largement orchestrés. Cette fois ce n'est pas Paris qui tient le haut de l'affiche, puisque les troubles les plus significatifs ont lieu en province. À Millau, place Mandaroux, une dizaine de jeunes gens chantent L'Internationale et sifflent le cortège. À l'église Saint-Jacques de Reims en revanche, les « mamelucks de Combes » ont assailli la procession, et l'on a vu des premières communiantes dont les robes blanches ont été déchirées et souillées6. Des bousculades sont également signalées à Montivilliers, près du Havre, d'où sont venus une vingtaine de socialistes qui se heurtent à la procession7. Des bagarres ont eu lieu à Sainte-Foy-lès-Lyon. À Limoges, la procession sortie de l'église Saint-Junien s'est heurtée à un groupe de 300 socialistes, chantant La Carmagnole et L'Internationale. Les rixes, génératrices de nombreuses contusions, ont contraint le commissaire de police à faire appel à la gendarmerie, et le cortège continue, suivi des manifestants8. Trois affaires dominent l'ensemble par leur retentissement : Dunkerque, Lambézellec près de Brest et surtout Nantes, où il y a mort d'homme. Il s'y ajoute un remake plus tardif, à Hennebont, cette fois à la fin septembre, donc hors du contexte de la Fête-Dieu.
4Depuis une dizaine d'années, le diocèse de Cambrai compte parmi les points les plus sensibles en ce qui concerne la législation sur les processions, et un épais contentieux s'y est accumulé avec les autorités9. Au début du mois de juin, pour la traditionnelle procession historique de Notre-Dame-des-Dunes, qui regroupe jusqu'à 50 000 personnes à Dunkerque, le préfet du Nord interdit la présence dans le cortège de dix évêques étrangers au diocèse, et veut supprimer l'escorte d'honneur composée de mineurs armés de pics. Sous la pression des commerçants, un compromis est trouvé : les mineurs défilent sans pics et des patrouilles de cavalerie se déploient avant et après le cortège10. Ce compromis est perçu par les socialistes et les Libres Penseurs comme une capitulation, et ils veulent prendre leur revanche quinze jours plus tard à l'occasion de la Fête-Dieu. Vers 10 heures 30, au pied de la tour Saint-Éloi, face à l'église du même nom, un groupe de manifestants se rassemble pour attendre la sortie de la procession, autorisée par la municipalité, prévue vers 11 heures. L'apparition des groupes d'enfants est saluée par un concert de sifflets et de cris « À bas la calotte ! À bas les Flamidiens ! » ou les refrains de la chanson La Flamidienne11, de L'Internationale, de La Carmagnole. Lorsque le dais sort, abritant le chanoine Brousse, curé-doyen, entouré d'un millier d'hommes énergiques, les manifestants de gauche, se tenant le bras, tentent plusieurs assauts pour s'emparer de l'ostensoir, en débordant à cinq ou six reprises la police. La procession est disloquée et « se traîne, avec les plus grandes difficultés et après des arrêts nombreux, sur son parcours ordinaire, pour revenir, au milieu d'un tumulte indescriptible, à l'église d'où elle était sortie12 ».
5Comme à Reims, les manifestants tournent leur rage contre les enfants : les cartouches ou écussons portés par les fillettes sont jetés à terre et piétinés ; dans leur frayeur, certains enfants s'évanouissent. Au passage devant le cercle militaire, rue du Sud, des injures sont proférées contre l'armée, auxquelles la procession réplique par « Vive l'armée, vive la liberté ! ». À l'arrivée du dais place Jean-Bart, vers 12 heures 30, une nouvelle mêlée générale se produit, des centaines de femmes faisant elles-mêmes le coup de poing, avant que le doyen Brousse puisse enfin prononcer en chaire une « vibrante allocution ». On compte de nombreux blessés, dont l'un défiguré par un coup de poing américain, tandis que plusieurs enfants, les jours suivants, restent nerveusement traumatisés13.
6À Brest, il y a longtemps (1882) que les processions sont interdites par la municipalité d'une ville réputée depuis au moins la Restauration pour son anticléricalisme, alors qu'elles sont autorisées dans les communes périphériques, Saint-Pierre Quilbignon, Saint-Marc et Lambézellec. La procession du 14 juin à Lambézellec reproduit à peu près le scénario normand de Montivilliers : une trentaine de socialistes venus de Brest se placent de force devant la procession, couvrent les cantiques de leurs horions, attendent le retour de la procession de la propriété des religieuses de l'Oratoire à Lanroze. Des rixes individuelles sur la place de l'Église, où un vicaire s'interposant reçoit des coups, marquent la fin des incidents. C'est déjà plus que ce qui s'est observé dans d'autres villes bretonnes. Mais le ton monte durant la semaine suivante, les événements nantais dont il sera question plus loin n'y étant sans doute pas étrangers. Interdite par le maire le mercredi 17 juin, la procession de l'Octave est finalement autorisée le samedi 20, sous la pression des commerçants, le maire requérant une compagnie militaire pour assurer l'ordre. Dans la nuit du samedi au dimanche, une affiche de la Libre Pensée brestoise appelle à la mobilisation tous les « citoyens libres » contre cette « nouvelle provocation ».
7Ils se réunissent en début d'après-midi à Brest, place de la Liberté, entendent une harangue de Vibert, ouvrier de l'arsenal et candidat socialiste à la députation, et de là se rendent à Lambézellec, au nombre d'environ 400. Le commissaire de police Robert, épaulé par les gendarmes et quatre gardes-champêtres, essaie d'apaiser les esprits de part et d'autre. On échange cependant des jets de pierre, y compris en provenance du clocher. Un semblant de calme est rétabli lorsque la procession fait sa sortie :
Les contre-manifestants ont suivi un côté de la route, chantant La Carmagnole et L'Internationale, tandis que les partisans du clergé chantaient des cantiques. Manifestants et contre-manifestants se sont adressés réciproquement des injures, mais durant le reste du parcours, il n'y a eu aucune collision14.
8Une bousculade se produit en revanche lorsque le dais rentre dans l'église : il est renversé, l'ostensoir est tordu, des coups sont échangés15. Le sang a coulé — on compte finalement une vingtaine de blessés légers, atteints en général au visage — sans qu'on puisse cependant mettre en avant un martyr, comme à Nantes.
9L'ampleur de l'agglomération, la qualité des protagonistes (Jean Allemane, l'évêque de Nantes, etc.), le retournement par rapport aux autres épisodes — l'agression est largement réciproque et les catholiques « triomphent » — enfin la mort d'un manifestant donnent une tout autre ampleur aux troubles de Nantes le 14 juin16. La tension a monté brutalement à Nantes durant le printemps. En avril, l'expulsion des Capucins a donné lieu à des heurts entre catholiques et socialistes, heurts qui se renouvellent à l'occasion d'une conférence de Marc Sangnier le 28 avril17. En mai, l'expulsion des Prémontrés s'est accompagnée de vigoureuses manifestations de catholiques, rassemblés au nombre de 6 000 à 7 000. Ces manifestations suscitent une non moins vigoureuse réaction des socialistes nantais. Les gendarmes se sont signalés par une certaine brutalité, à la différence de la troupe, en particulier les dragons, dont la modération est saluée par la presse conservatrice. Il est vrai que certains officiers ont des scrupules de conscience : le lieutenant de Les tapis laisse son peloton aux mains d'un sous-officier, et son cas est rapproché de celui, plus explicite, du lieutenant Portier qui a refusé, le 30 avril 1903, à la Roche-sur-Yon, d'obéir à son capitaine. La comparution du lieutenant Portier devant le Conseil de Guerre est prévue à Nantes le 16 juin, donc entre les deux processions de Fête-Dieu, et son cas illustre, aux yeux des révolutionnaires, la collusion possible de l'armée, toujours suspecte depuis l'affaire Dreyfus, et du cléricalisme. Par ailleurs, lors de la procession de Saint-Donatien, le 24 mai, plus de 250 hommes, armés de cannes solides, sont postés de distance en distance18. Ce climat fait peser d'autre part une incertitude sur le déroulement des processions dans cette ville où elles ont déjà été interdites par une municipalité républicaine de 1881 à 1888. Le préfet, Hé litas, souhaiterait interdire les processions mais se heurte à la résistance du maire, lequel défend « les intérêts de la religion, de la liberté et du commerce nantais19 ». Le 8 juin, quatre délégués de la Libre Pensée, des Loges nantaises, de la Ligue des droits de l'homme, écrivent au préfet, « tuteur légal de la ville », pour dénoncer l'attitude conciliante du maire, vu « les manifestations et les violences du parti clérical à l'occasion de l'application de la loi aux Congrégations ». Un pas supplémentaire est franchi le samedi 13 juin, avec l'annonce d'une conférence en soirée donnée par le leader socialiste Jean Allemane. Tandis que le maire demande au général commandant le 11e corps d'armée de faire consigner deux escadrons de dragons, mais refuse d'interdire la procession, le préfet annonce dans un télégramme au ministre de l'Intérieur qu'il va « substituer son autorité » à celle du maire. Il est vrai que, vers 15 heures 30, environ 3 000 catholiques, mobilisés par L'Espérance du Peuple et Le Nouvelliste de Bretagne ont « pris l'engagement de corriger eux-mêmes ceux qui se permettraient de troubler, en quoi que ce soit, la procession devant avoir lieu demain20 ». En face, un tract « aux Républicains, aux Libres Penseurs » les appelle à « empêcher [leurs] femmes et [leurs] enfants de se rendre à la mascarade cléricale » et à se rassembler le lendemain à 10 heures, place Saint-Pierre, devant la cathédrale. Le soir, à 20 heures, devant 1 100 personnes, Allemane tient un meeting au cours duquel il fustige, dans le registre traditionnel de l'anticléricalisme, les impostures religieuses, les méfaits de la papauté à travers les âges, et le reste. Il ajoute surtout, faisant allusion à l'attitude ambiguë de l'armée et touchant un point sensible dans cette ville marquée par le souvenir des guerres de Vendée, isolat républicain au milieu de campagnes hostiles :
Nous avons eu trois républiques, nous en avons laissé étrangler deux, et la troisième est sur le point de l'être.
10Pour autant, il appelle au calme et au sang-froid, les manifestants « n'attaqueront pas21 ». Une délégation se rend la nuit-même à la préfecture.
11Cette intervention annonciatrice de troubles graves n'est pas étrangère à l'arrêté préfectoral d'interdiction, notifié en début de matinée aux différents curés de la ville et reproduit par grandes affiches imprimées. Ceci explique sans doute qu'au lieu des 10 000 espérés par Allemane, il n'y a que 500 à 600 manifestants place Saint-Pierre, occupée par cinq commissaires et une centaine de policiers, au moment où, vers 10 heures 30, le clergé et l'évêque apparaissent sur les marches de la cathédrale, entourés de groupes compacts de catholiques, eux-mêmes renforcés par le clergé et les paroissiens de Saint-Donatien et de Saint-Clément, venus avec croix et bannières comme à l'accoutumée. Bousculades et invectives s'achèvent par le refoulement des manifestants de gauche par la police, rue de Châteaudun22. C'est alors le drame. Tandis qu'un groupe s'avance ostensiblement devant la cathédrale, comme pour faire diversion23, un véritable commando de nationalistes, armés de bâtons plombés et ferrés, cachés sur les marches d'un tramway, se jette brusquement sur des manifestants, rue de Châteaudun. Édouard Lejeune, 59 ans, patron couvreur, président de la Libre Pensée, est grièvement blessé et donné pour mort24. Un vieillard de 72 ans, Pierre Gaulay, peintre et gérant du journal L'Avant-Garde, « vieux républicain, estimé de tous, muté en 1851 lors du coup d'État25 » est transporté mort dans une pharmacie, tombé sur la tête lors d'une charge de police selon L'Ouest-Eclair, roué de coups par les cléricaux selon un témoin26.
Partout les socialistes sont traqués et ceux qui essaient d'opposer une résistance sont éreintés27.
12Vers 11 heures, une forte colonne, avec à sa tête des notabilités conservatrices : Jamin, conseiller général et municipal, le docteur Jouön et de Frémont, conseillers municipaux, se rend à la préfecture. Le trio de notables, reçu à sa demande, a un dialogue tendu avec le préfet : « Nous réclamons la liberté. — La liberté de tuer les gens28 ». Cet échange, rapporté aux manifestants, a le don de les exaspérer : la préfecture, non gardée, est prise d'assaut, les guérites de l'entrée brisées en miettes. Il semble que seuls les revolvers des occupants de lieux fassent reculer les envahisseurs ; on a frôlé la tragédie, en attendant l'arrivée des dragons dépêchés en toute hâte29. Ces forces doivent aussi dégager les barricades élevées rue Royale. Sous une pluie de cailloux, de pavés, de mâts porte-oriflammes, plusieurs gendarmes et policiers sont blessés, dont le capitaine de gendarmerie Baudry, déjà stigmatisé en mai par la presse catholique, gravement blessé30. Les groupes de manifestants se regroupent devant la cathédrale, dont la porte est réouverte : l'évêque apparaît, pour la deuxième fois de la matinée et bénit l'assistance, tandis que retentissent les cris : « Vive Monseigneur ! ». Un autre groupe d'environ 1 200 personnes arrive devant l'église Saint-Nicolas, au chant de « Nous voulons Dieu » et aux cris de « Liberté ! Liberté ! »31. Lorsque le désordre cesse enfin, vers midi, on a relevé des dizaines de blessés plus ou moins gravement atteints. Une vingtaine d'arrestations ont été opérées.
13Le lendemain, la polémique éclate autour de la mort de Gaulay, « lâchement assassiné par les cléricaux » selon une affiche placardée un peu partout. En l'absence de contusions évidentes, le rapport d'autopsie -largement orchestré par les affiches et les journaux conservateurs — conclut à un décès lié à la fois à l'émotion et aux « altérations du cœur et des reins » du vieil homme32. Les obsèques se déroulent le 17 juin en présence de 10 000 personnes, y compris des notables républicains et protestants comme Bellamy et Durand-Gosselin. Les incidents redoutés par les autorités n'ont pas lieu, peut-être en raison du considérable déploiement de forces, mais aussi des consignes de modération données à droite. Le pasteur Don fait un discours, saluant ce « protestant de vieille race, épris de justice, de paix et de liberté comme tous les protestants » et rappelant, à propos des événements du dimanche, qu'« il ne faut pas confondre Dieu avec tous ceux qui se réclament de lui et n'ont à la bouche que des paroles de haine33 ». Ces derniers sont fustigés plus directement par les autres orateurs, tel Allemane. Le dimanche d'octave, 21 juin, se déroule dans un évident climat de tension, mais sans incident notable.
14Des troubles se sont en fait produits ailleurs : outre le cas de Lambézellec, déjà analysé, la procession du Sacré-Cœur à Marseille, organisée sur le mode classique de la déambulation autour de l'église, mais à l'intérieur des grilles, s'est déroulée sous les huées d'une centaine d'anticléricaux. Des heurts avec la jeunesse catholique se sont soldés par un catholique blessé, et deux Libres Penseurs piétinés. Après que de nouvelles bagarres ont éclaté à la sortie de la messe, 300 membres de l'Union catholique décident de monter la garde, par groupes de vingt, armés de bâtons, pour éviter les manifestations hostiles aux cérémonies traditionnellement répétées depuis la peste de 1720.
15Parler de trêve estivale constituerait à coup sûr un anachronisme dans les conditions sociales de l'époque, mais il est vrai qu'il faut attendre septembre 1903 pour retrouver, une fois de plus en Bretagne, des troubles de retentissement national. Les incidents accompagnant l'inauguration du monument d'Ernest Renan à Tréguier, le 13 septembre, étaient prévisibles de longue date. Les événements se jouent, cette fois, à fronts renversés, puisque c'est une liturgie laïque qui subit la contestation. Tant l'autorité diocésaine de Saint-Brieuc (le vicaire général Morelle) que la presse catholique ont joué un rôle actif dans la mobilisation des masses rurales contre « la fête de l'insulte34 », jusque depuis Morlaix et Lamballe. C'est dans une ville littéralement quadrillée militairement qu'arrivent Émile Combes et le ministre des cultes, Chaumié. L'après-midi renouvelle les scènes déjà vues ailleurs : lors des vêpres, les « Apaches » massés autour de la cathédrale tambourinent sur les portes. Mille cinq cents hommes « à l'allure décidée » sortent et traversent la place en criant : « À bas Combes ! Vive la République ! Vive la liberté ! ». Arrivés sur le quai en vue du chapiteau du banquet, ils subissent une charge des gendarmes à cheval, tandis que les combistes interviennent à coups de gourdin. Par ailleurs un groupe de manifestants de gauche attaque à coups de pierres le presbytère de Tréguier. Mais 400 catholiques se sont enfermés dans le jardin et, « malgré les supplications du curé », font une sortie violente : « en quelques minutes, les penn-baz [gourdins] eurent complètement nettoyé les abords du presbytère35 ».
16Cet épisode trégorrois n'a pu que surexciter les passions à Lorient et à Hennebont. Lorient est une ville marquée tant par un actif groupement de Libre Pensée que par le syndicalisme révolutionnaire des ouvriers de l'arsenal, ainsi que par son député et son maire radicaux-socialistes, respectivement Paul Guieysse et Louis Nail. Les processions y sont interdites par la municipalité depuis 1898. Hennebont est un exemple, peu fréquent en Bretagne, de petite cité dont l'environnement a été bouleversé par l'industrie métallurgique, du fait du développement des importantes Forges de Kerglaw. L'été 1903 est le théâtre de la première grande grève, longue et dure, qui a d'ailleurs amené à supprimer les festivités du 14 juillet. Une seconde grève éclate en septembre dans une entreprise de phosphates et d'engrais, elle-même structurellement liée aux forges. Comme à Nantes, les passions anticléricales ont été échauffées, entre autres, par les incidents ayant émaillé l'expulsion des Eudistes de leur résidence de Kerlois. On n'en mesure que mieux la rupture avec la sociabilité traditionnelle, marquée en particulier par la fête du Vœu à Notre-Dame. Type même de la fête votive, elle associe cérémonies religieuses, concours de tir, courses de chevaux et bicyclettes, bal, illuminations, feu d'artifices ; bateaux remontant le Blavet, trains spéciaux et tramways permettent aux Lorientais voisins de s'y associer36.
17Des démarches ont été faites par le syndicat des forges auprès du maire d'Hennebont, Giband, pour interdire la procession, auxquelles il a répondu par une affiche placardée la veille de la fête. L'usage veut que la paroisse Saint-Caradec, faubourg d'Hennebont sur l'autre rive du Blavet, se rende dans la matinée à la basilique Notre-Dame-du-Paradis, cette première procession offrant un « charmant et poétique » spectacle de bannières et de coiffes blanches. Après avoir franchi le pont, arrivée rue Trottier, la procession se heurte à deux groupes hostiles, formant 400 à 500 personnes : celui du syndicat des métallurgistes d'Hennebont, derrière tambour-major, clairon et drapeau rouge, sortant d'une réunion syndicale et celui de la Libre Pensée socialiste de Lorient. Le groupe lorientais est le plus agressif, derrière le docteur Roux, Rivière (lui-même ancien commissaire de police à Hennebont), Trevaux, ancien second-maître de la Marine, rétrogradé et fier de l'être. La procession, composée surtout de femmes et d'enfants, a peine à se défendre. La croix est jetée à terre, puis récupérée et portée à l'église par un enfant. Le docteur Guillevin, ancien zouave pontifical et vieillard respecté, est blessé à la tête : sa survie évite aux catholiques hennebontais d'avoir leur Gaulay. « Et l'on voit se reproduire les scènes de Reims », les petites communiantes, bousculées, jetées à terre, se réfugient dans les maisons avoisinantes37. Après que les révolutionnaires se sont reformés en colonne et ont abandonné la place, la procession se reforme tant bien que mal, regagne l'église où la messe est célébrée sans incident.
18Le point de mire est la procession prévue pour l'après-midi, à 16 heures, après les vêpres. Par deux fois, le commissaire de police essaie en vain de convaincre le curé de la supprimer. Mais la surprise vient du fait que l'attaque se produit avant les vêpres, sans doute à cause d'un quiproquo. Vers 14 heures 30 en effet, les manifestants d'extrême-gauche, lorientais pour la plupart et se reconnaissant à leur cocarde rouge, se regroupent rue Neuve, près du presbytère. La pile de fagots qui doit servir au feu de joie après la procession est enflammée, aux cris de « À bas la Calotte ! Vive l'anarchie ! Vive la sociale ! » et au chant de L'Internationale. Ils arrachent les tentures et oriflammes qui décorent les maisons et les jettent au feu, en y joignant le chapeau du maire qui tente d'intervenir.
19Comme les cloches sonnent à ce moment-là pour appeler aux vêpres, les révolutionnaires s'imaginent que c'est le signal de sortie de la procession. Ils se précipitent vers le portail et sont arrêtés par une poignée de catholiques, le maire, les prêtres. La mêlée, à coups de matraques et de jets de pierre, est très violente, et plusieurs sont blessés, dont deux gravement : l'abbé Lepape et le négociant Lamy. Le curé échappe de peu à la capture par les manifestants. Les défenseurs se barricadent dans l'église avec des chaises et des bancs, s'armant de barres de fer, de chandeliers et de pieux. Commence alors un siège en règle de l'édifice ; les vitraux, dont certains de valeur, volent en éclats. Comme la grande porte ne cède pas, les assaillants descellent une énorme pierre des marches du portail pour s'en servir comme bélier, mais ils ne parviennent pas à la soulever. L'assaut dure près de trois heures, et n'est interrompu que par l'arrivée de renforts de gendarmerie vers 17 heures.
20L'affaire a eu un retentissement national ; la gravure de L'Illustration en fixe l'image dans les esprits, en obéissant aux règles du genre : la reconstitution pathétique. L'annonce de manifestations contre la procession prévue à Lorient pour le dimanche suivant, jointe à la venue de Louise Michel, laisse craindre le pire. Lorient est mise littéralement en état de siège, et transformée en sorte de camp retranché, avec des gendarmes dépêchés de toute la Bretagne, ainsi que des troupes de Vannes et de Pontivy. Toutes les églises sont occupées militairement, les rues parcourues par des patrouilles. Les églises ne sont accessibles que par une seule rue et avec des contrôles, ce qui assure un calme relatif toute la journée. L'absence d'incident semble prouver que le cycle des processions tumultueuses est clos. De fait, la procession des morts à Hennebont, le jour de la Toussaint 1903, regroupe plus de 2 000 personnes qui sortent de la basilique, croix en tête, se rendent au cimetière et en reviennent sans incident38.
Analyse spectrale d'un cycle de violences
21Dans le feu de l'action et des polémiques qui s'ensuivent, bien peu sont à même de dénouer l'écheveau complexe qui se joue derrière ces affrontements spectaculaires. Guerre de religion ou violence révolutionnaire ? Persécution ou défense de la démocratie ? Le mieux est de commencer par le commencement, c'est-à-dire le problème concret posé par l'appropriation religieuse de l'espace public dans la France au tournant des xixe et xxe siècles. On verra ensuite que les oppositions suscitées à cette occasion ont le mérite de mettre en lumière, avec une particulière netteté, les rapports de forces politiques au temps de ce qu'il est convenu d'appeler la « République radicale ».
L'appropriation de l'espace
22Trois logiques sont ici à l'œuvre : l'une est traditionnelle, celle de la procession religieuse ; les deux autres sont modernes : la logique juridique séculière et la logique urbaine de la ville transformée, physiquement et culturellement, par le xixe siècle.
23C'est seulement depuis quelque temps que les historiens du fait religieux ont commencé à donner toute sa place dans leurs études à la « civilisation des processions39 » correspondant à un type de vie religieuse comme de vie urbaine aujourd'hui disparu. Ce voyage hors de l'enceinte du sanctuaire dilate en quelque sorte ce dernier, de façon temporaire, jusqu'à l'échelle de toute l'agglomération, transformée, parée comme une église40. C'est d'ailleurs l'interprétation que retient le tribunal correctionnel de Dunkerque dans la poursuite des manifestants de 1903. Pour la circonstance une partie du mobilier sacré circule dans cet espace dilaté : croix, bannières, cierges, ostensoir, et le reste. On a vu à plusieurs reprises que ces différents signes constituaient la principale cible des adversaires violents des processions, la bagarre proprement dite n'étant souvent qu'une conséquence dérivée et inévitable de la résistance opposée autour du dais.
24La procession, par sa structure souvent soigneusement codifiée, offre aussi à la société urbaine l'occasion de se donner en spectacle à elle-même, y compris avec ses tensions et rivalités : on sait l'importance des problèmes de préséance dans ces cortèges où les violences, sous l'Ancien Régime, étaient en général imputables aux querelles entre processionnaires eux-mêmes. Le paradoxe est justement que ces querelles internes ont pour l'essentiel disparu dans les processions du xixe siècle, lesquelles offrent plutôt l'image d'une société « lisse », sans conflit apparent. Les jours précédents et surtout durant la matinée du dimanche, chacun a retroussé ses manches pour assurer la décoration des maisons et l'édification des reposoirs. Ces pieux préparatifs sont l'occasion de contacts, uniques dans l'année sous cette forme, entre dames aristocratiques, commerçants, concierges, ouvriers. Dans le cortège se succèdent « Messieurs » et classes populaires soigneusement rangés, jeunes des collèges aristocratiques et musiques des patronages, moutonnements de coiffes, sans compter les éléments « touchants » où se complaît un catholicisme désormais largement féminisé41 : communiantes à la robe immaculée, petits angelots jetant des fleurs, et ainsi de suite. La procession offre donc une exemplaire métaphore de ce que rejettent avec violence les révolutionnaires, syndicalistes ou socialistes, lesquels lisent le corps social à travers la lutte des classes et les perspectives de l'action directe. Disloquer une procession, exercice sans grand risque — le cas nantais est très particulier, du fait de la présence de groupes nationalistes — permet de s'en prendre à bon compte à la vieille société.
25À leurs yeux, la présence majoritaire des femmes dans les processions s'explique par une aliénation propre. Le mouvement ouvrier de l'époque est souvent marqué par la méfiance quelque peu machiste, héritée de Michelet et de l'anticléricalisme bourgeois libéral, vis-à-vis des complices des prêtres. Dès lors la victime des « Apaches », en général elle-même représentante des classes populaires qui forment le gros des troupes processionnelles, n'est-elle pas aussi, en un certain sens, un avatar de la femme battue ? La communiante brutalisée, avec sa robe déchirée et maculée de boue, ne fait-elle pas l'objet d'une sorte de viol symbolique, sentiment qu'expriment inconsciemment les comptes rendus des journaux catholiques ? Plus généralement, les comportements observés : accompagnement parodique, déchaînement verbal et musical, bousculades, ne manquent pas d'évoquer les traditions du charivari. C'est bien d'un charivari, visant l'alliance contre nature des prêtres et des femmes, qu'il semble s'agir pour beaucoup. En revanche, certains libertaires expriment la volonté d'émanciper les femmes42 et se trouvent ainsi en porte-à-faux, par leurs consignes de modération, vis-à-vis de ce qu'on peut deviner des sentiments du combattant de base dans les expéditions anti-processionnelles. Il faudrait développer, pour cet objet comme pour tant d'autres, une gender history étroitement attentive aux gestes et aux discours des uns et des autres.
26La procession dans son acception traditionnelle implique donc tous les habitants, volontairement ou involontairement, et a pour vertu de totaliser et résumer la communauté, sans faire de différence. Dans bien des cas, elle offre la possibilité, par des rites de conjonction, de rassembler des paroisses et des quartiers qui, le reste du temps, ont une vie liturgique séparée. À Rennes, le défilé des paroisses dans un ordre inverse par rapport à la chronologie de leur création, résume l'histoire de la ville. À Nantes, l'interdiction préfectorale n'a eu aucun effet sur la traditionnelle confluence à la cathédrale, en corps et avec le mobilier sacré (bannières, statues de saints, etc.) des paroisses Saint-Donatien et Saint-Clément. C'est donc tout un réseau urbain que révèle et manifeste la fête, en tissant des liens humains entre les clochers dispersés. Plus profondément, la procession est rassurante et constitue un élément essentiel de la conscience religieuse. Son itérative régularité entretient le temps cyclique d'autrefois, au sein d'une modernité qui ne connaît plus que le temps linéaire et sans repères fixes. L'écoulement de la foule au coude-à-coude, qui n'est pas sans dimension ascétique pour les plus longues processions — même si le citadin d'autrefois est souvent un infatigable piéton — a pour vertu de retremper les forces. Il n'est pas exclu que le cas de figure nouveau, celui de la procession menacée et tumultueuse, ajoute une dimension supplémentaire, celle de l'épreuve, qualifiante et glorifiante, pour reprendre le vocabulaire de la sémiotique. Au soir du 21 juin 1903, le curé de Lambézellec écrit à l'évêque de Quimper :
Je considère les deux journées de dimanche et d'aujourd'hui comme ayant fait plus de bien à ma paroisse au point de vue de la foi que deux grandes missions prêchées avec le plus grand succès43.
27Les problèmes surgissent en effet lorsque la procession n'est plus unanimiste et que se multiplient ceux qui s'auto-excluent, soit à un degré élémentaire (consommateurs au cabaret, artisans ou commerçants au travail, etc.), soit dans un but d'affirmation idéologique : l'absence ou la présence dans les processions des corps constitués, en tout ou en partie, donne une forte visibilité, au xixe siècle, à l'état sinusoïdal des relations entre l'Église catholique et les différents régimes. On sait aussi que sont apparus, en particulier au xviiie siècle, dans le contexte des Lumières, les problèmes posés par l'attitude des spectacteurs involontaires, voire réfractaires, des processions. Entre les codes sociaux du respect (en particulier les prescriptions réglementaires pour les militaires) et toutes les formes d'irrespect, il existe une large marge où se joue un subtil théâtre d'apparences.
28Poussé à sa limite, le phénomène processionnel est finalement contradictoire, dans son essence, avec le pluralisme instauré par les Lumières et la Révolution française, dont le système concordataire a tenté de donner une formulation juridique. Deux bornes sont posées à l'exercice libre du culte catholique : d'une part la conformité aux règlements de police jugés « nécessaires pour la tranquillité publique » (article 1er du Concordat), d'autre part l'interdiction de toute cérémonie extérieure « dans les villes où il y a des édifices destinés à différents cultes » (45e article organique). Le premier ouvre évidemment la porte à toutes les interprétations possibles, sinon à l'arbitraire d'une autorité locale érigée en juge de l'ordre public. Celle-ci peut donc prendre des mesures visant à contrôler les processions, en particulier pour ce qui concerne la durée, l'itinéraire, et le reste, voire carrément les supprimer. C'est un des terrains où le conflit entre les deux autorités souvent rivales au xixe siècle, maire et curé, trouve à s'exprimer ; ces litiges se multiplient, se durcissent et prennent un tour de plus en plus politique à partir de 1880. Ils donnent lieu tout à la fois à une casuistique judiciaire, tant les circonstances varient, et à une importante jurisprudence au Conseil d'État44. Comme celui-ci se départit de plus en plus de sa neutralité initiale, l'impression peut objectivement prévaloir qu'il existe des moyens juridiques d'empêcher les processions.
29Pour parer l'accusation d'arbitraire, certains maires s'appuient sur le 45e article organique, dont le commentaire a lui-même évolué au long du siècle. À l'origine, celui-ci ne concerne, selon Portalis, que les villes rassemblant au moins 6 000 protestants ou juifs, soit une limite très étroite. En revanche, à partir de la circulaire Flourens de 1882, tout édifice consacré au culte protestant — et ils se sont multipliés sous le Second Empire et la Troisième République — quelle que soit la population considérée, est assimilé à une église consistoriale. Dans la plupart des cas, la manifestation anti-processionnelle est organisée en général en second recours, lorsque l'extrême-gauche a fait l'expérience des déficiences des maires ou des préfets, qu'elle juge pusillanimes. Les militants révolutionnaires, une fois n'est pas coutume, peuvent donc s'offrir le plaisir de réclamer une application stricte de la légalité « bourgeoise », dont ils s'estiment les gardiens : c'est l'argument qu'Allemane oppose à un contradicteur catholique nantais lors du meeting du 13 juin au soir, et qui se retrouve sur l'affiche de mobilisation.
30Une troisième logique est plus impalpable, c'est celle du visage nouveau de la ville après un siècle de révolution industrielle et de croissance urbaine. La procession traditionnelle dessine souvent une topographie archaïque, reflétant l'ancienne organisation religieuse de la ville, avec des parcours en boucles plus ou moins liés aux anciennes enceintes, églises, abbayes, et le reste. L'articulation peut devenir opaque avec le nouvel espace urbain du xixe siècle, associant des percées, des implantations ferroviaires et industrielles, l'extension des faubourgs. Il n'est pas jusqu'à la modification de la rue, à la fois élargie et munie de trottoirs, sur le modèle anglais, qui ne puisse contribuer à séparer, physiquement et psychologiquement, les acteurs et les spectateurs de la procession, là où il était plus difficile, dans l'ancienne société, de se mettre en marge. D'autre part, les transformations des villes ont abouti à une assez forte laïcisation de fait du paysage urbain : chapelles et couvents détruits ou affectés à d'autres destinations, concurrence faite aux calvaires et statues par toutes les effigies par où s'insinue dans la ville une sacralité concurrente, de type laïque. Les allégories représentant les nouvelles valeurs (Commerce, Industrie, Nation, République) ou les innombrables statues de notables héroïsés sont difficilement compensées par la nouvelle monumentalité religieuse, même si celle-ci revêt un caractère impressionnant dans une ville comme Nantes. Il s'ensuit forcément une certaine perte de mémoire — or celle-ci est centrale dans l'acte processionnel, défini en général par son caractère immémorial, réel ou supposé — qui a peut-être contribué à désacraliser la procession, et donc la rendre vulnérable.
31Les choses sont cependant plus complexes qu'il n'y paraît, et l'on aurait tort d'opposer terme à terme des temporalités déboîtées : la procession comme butte témoin d'une sociabilité archaïque et la modernité juridique ou urbanistique. L'évolution de la législation et du climat politique a en effet, peu à peu, contribué à ajouter une nouvelle charge sémantique à la procession catholique. Dans le contexte troublé de 1903, c'est moins le culte rendu au Dieu eucharistique qui semble l'emporter, au moins dans les comptes rendus de presse, que la manifestation, au sens instrumental que le terme a pris dans la démocratie moderne, d'une opinion. Les catholiques, comme leurs adversaires d'ailleurs, sont conscients que la procession, dans une société en fait pluraliste, est une occasion à la fois d'occuper le pavé et de se compter. Bien plus que les offices à l'intérieur des églises, qui n'ont pas de spectateurs, elle est la dénégation par excellence de la règle libérale et laïque, que récuse avec constance le catholicisme intransigeant : la privatisation et l'individualisation de comportements religieux qui doivent évacuer de plus en plus la sphère publique.
32« La prière est faite pour le refuge honteux des églises. Cachez-ça ! » proclament les Libres Penseurs lorientais45. Les catholiques revendiquent donc avec force la liberté d'expression et la même tolérance dont bénéficient les autres démonstrations sur la voie publique : ce faisant, ils rabaissent involontairement leurs processions au même rang. Toutes choses égales d'ailleurs, ils se retrouvent donc dans la même position que sur la question scolaire, revendiquant hautement un libéralisme par ailleurs récusé en principe. Ainsi s'explique, tant l'acharnement des uns à processionner coûte que coûte, en dépit de menaces non voilées, que celui des autres à vouloir les en empêcher.
33Inversement, il a été remarqué de longue date que les premières grandes manifestations ouvrières, surtout dans le dernier tiers du xixe siècle, ne manquent pas de parenté avec le modèle de la procession : bannières et drapeaux, costumes du dimanche, hymnes et chants exprimant un authentique messianisme46. Et les révolutionnaires ne manquent pas à leur tour de faire le parallèle entre le traitement réservé par les pouvoirs publics aux manifestations ouvrières et le régime des processions. La bataille pour la rue renvoie donc aussi et surtout au champ politique.
Les incidents, révélateurs du rapport des forces politiques
34À première vue, la logique d'affrontement, bloc contre bloc, procession contre manifestants, cléricalisme contre anticléricalisme, catholiques contre « rouges » est d'une extrême simplicité. L'analyse révèle cependant une plus grande complexité.
35À l'évidence, ces incidents contribuent à ressouder l'opinion catholique. S'ajoutant aux expulsions de congréganistes, ils semblent annoncer le retour des plus mauvais jours de la Révolution française. Dans sa lettre pastorale prescrivant des prières extraordinaires pour le 24 mai 1903, jour de la rentrée des Chambres, le cardinal Langénieux estime que
nous entrons dans la phase violente d'une persécution qui suit son cours et qui laissera derrière elle des victimes et des ruines.
36De son côté, le cardinal Lecot, installant à Talence des prêtres séculiers pour remplacer les oblats expulsés, déclare :
On croyait que les ennemis de l'Église n'en viendraient pas aux violences où ils sont arrivés ! Mais nous reverrons probablement les angoisses de la grande Révolution47.
37Interviewé par L'Écho de Paris, le Père Coubé déclare que les catholiques ne doivent plus s'en tenir à la seule prière. Il n'est plus question de légalité, il ne faut pas reculer devant l'idée que le sang peut couler48. Dès lors l'heure est à la mobilisation de tous, sans arrière-pensée. Et les récits de la presse catholique prennent des allures d'épopée.
Le pavé de Nantes a été jonché de morts et de blessés. Que ceux qui l'ont voulu soient maudits et que le sang de ces premières victimes de nos discordes retombe sur les gredins qui ont apporté le désordre dans notre cité paisible !49
38Les protagonistes sont présentés de façon manichéenne. Du côté des révolutionnaires, on a affaire à la lie du peuple, et tout se résume en deux mots clé, les « Apaches » (surtout) ou « la canaille ». À Dunkerque, on a recruté « la pire populace du port : étrangers, repris de justice, buveurs de trois-six, etc.50 ». À Nantes, face à la ville présentée comme unanime, on a rassemblé « une bande de quarante sous, venus de partout, mendiants, repris de justice, etc.51 ». En un certain sens, c'est la société des honnêtes gens qu'affirment défendre, la canne à la main, les catholiques. Plus coupables que ces pauvres bougres sont ceux qui les entraînent, meneurs socialistes ou libres penseurs, avec la complicité des autorités officielles « blocardes ». Bien entendu la valeur morale des uns et des autres se reconnaît aux « traits », saisis sur le vifs, qu'affectionne le reportage naissant. Les hommes catholiques sont chevaleresques, s'interposent pour protéger les femmes contre l'« énergumène » ou le cheval nerveux du dragon. Un enfant brave mille dangers pour ramasser et mettre en lieu sûr un calice renversé. À l'inverse, Allemane est décrit s'enfuyant piteusement.
39Cependant, derrière les rangs serrés, se laissent entrevoir les fractures qui traversent le monde catholique. Monarchistes et démocrates chrétiens, nationalistes et sillonistes sont réunis, mais en quelque sorte par défaut, contre un adversaire commun. Or il est évident, spécialement à Nantes, que ce climat est finalement favorable aux agitateurs nationalistes, dont l'extrême-gauche fait le jeu à son corps défendant. Tant les rapports de police que le bilan de la journée témoignent, en marge de la masse des catholiques, qui a surtout crié des slogans et chanté des cantiques, de la brutalité déployée contre des adversaires désarmés par des groupes nationalistes organisés dans cette ville depuis déjà plusieurs mois. L'invasion de la préfecture est rapportée avec force litotes par les journaux catholiques. Pour sa part, le préfet de Nantes est persuadé que les cléricaux « voulaient une journée » pour mettre à l'épreuve la sorte de milice constituée à partir des jeunes gens des cercles ouvriers, de la jeunesse catholique et de la jeunesse royaliste. Nantes s'est déjà signalée par la vigueur, insolite en Bretagne, des manifestations antisémites qui s'y déroulent en janvier 189852. On peut penser par ailleurs que les troubles du printemps 1903 constituent une sorte de baptême du feu pour un futur groupe d'Action française voué à un bel avenir à Nantes pour près de trois décennies. Le Phare de la Loire (républicain modéré) marque bien la dualité des occupants de la rue : catholiques et nationalistes53. C'est surtout L'Ouest-Éclair, organe des démocrates chrétiens, qui est en pleine contradiction. Alors que son journal a largement orchestré la victoire remportée sur le pavé de Lambézellec, Emmanuel Desgrées du Lou s'étonne du manque de réaction à Hennebont de l'opinion catholique, face à une infime minorité54. En revanche, il se démarque nettement des propos tenus lors d'une réunion d'« action catholique » au moment de la Fête-Dieu, à Rennes, où l'on a appelé à la mobilisation « des fourches et des nerfs de bœuf, emmanchés à des bras solides55 ».
40Les choses sont plus claires du côté des contre-manifestants. Leurs attitudes expriment sans ambages le profond anticléricalisme qui anime certaines fractions du monde ouvrier, spécialement chez les syndicalistes révolutionnaires, les libertaires, les allemanistes ou les héritiers du blanquisme. Cependant, comme les processions gravement tumultueuses sont restées tout de même des cas exceptionnels, il convient de s'interroger sur la nécessaire réunion de plusieurs conditions de possibilité. La géographie elle-même, de Dunkerque aux villes bretonnes, est riche d'enseignement. Le premier facteur et sans doute le principal est la conjonction, en soi explosive, de chrétientés rurales, en Flandre comme en Bretagne, vivaces et poussant des racines jusqu'en ville, et de noyaux ouvriers nettement marqués par le syndicalisme d'action directe et/ou le socialisme. La frontière passe souvent à l'intérieur même des cités ouvrières, sinon même des couples. Ces zones sont intensément travaillées par les militants libres penseurs, qui voient un pays de mission dans cette terre du « Peuple noir56 ». Ajoutons que le mouvement socialiste, spécialement dans le Morbihan et à Lorient, est fortement marqué par la présence des instituteurs. Dans une région où les écoles catholiques sont en plein essor, ils contribuent à accentuer encore les tendances anticléricales du mouvement ouvier57. Le ton atteint une violence verbale extrême, où l'obsession sexuelle est récurrente : Le Progrès du Morbihan souligne que les Bleus de Bretagne
auront l'aide de tous les républicains sincères, qui ont hâte d'être débarrassés de la vermine cléricale, des faux prêtres, des curés politiciens et des nonnes vindicatives, si tendres envers les enfants qu'on leur confie (Bon Pasteur et autres)... Qu'on les envoie à Cayenne ; ils sont plus coupables que les pires criminels, ce ne sont pas des hommes, ce sont des satyres !58
41Cette fureur anticléricale est d'autant plus vive que ces militants savent le monde ouvrier breton encore sous l'influence de ses racines paysannes. Plusieurs témoignages attestent au demeurant qu'à Hennebont, l'acharnement a été beaucoup plus du côté du groupe de la Libre Pensée lorientaise que des métallurgistes locaux.
42L'hostilité contre les deux institutions présentées comme les piliers de la société capitaliste, l'armée et l'Église, trouve d'autant plus à se cristalliser qu'elles affichent l'une et l'autre dans l'ouest une forte visibilité. Les arsenaux de Brest et de Lorient sont des foyers de syndicalisme révolutionnaire. En octobre 1903, le syndicat de l'arsenal de Lorient affiche sur les murs son mépris pour « les gouvernants, galonnés ou non » et se félicite que la Libre Pensée lorientaise ait empêché les « farouches cléricaux d'exhiber à Hennebont leurs mômeries jésuitiques ». Le syndicalisme d'action directe a engagé sa première grande action d'envergure lors de la grève d'Hennebont, en août 1903 : le souvenir de l'enivrante victoire après une grève longue et éprouvante, mais aussi des manifestations durement réprimées par la troupe à Lorient, est encore dans les esprits, y compris chez les femmes et les enfants, c'est-à-dire la clientèle « naturelle » du clergé59. Comme l'écrit le socialiste d'Hennebont Le Guern :
Les ouvriers trompés, frappés, condamnés par les autorités gouvernementales, qui obéissaient aux suggestions des cléricaux et de la Compagnie des Cirages, ont résolu de répondre comme il convenait. On empêchait leurs défilés, on interdisait brutalement leurs chants dans lesquels ils chantaient l'espoir en un avenir plus humain ; ils empêcheraient les processions, ils interdiraient les cantiques dévots où les races primitives ronronnent la mélancolique bêtise des peuples ensevelis dans les ténèbres des dogmes religieux60.
43Dès lors les libres penseurs assument entièrement leur « rude et salutaire besogne », face à « un maire jésuite, à un curé batailleur, à des cléricaux insolents ». Ayant empêché la procession, ils récusent par avance l'accusation de démagogie, de sectarisme, de « cléricalisme à l'envers, d'hébertisme » qui ne manquera pas d'être proférée par les « libéraux » du radicalisme, du socialisme ou de l'Église.
Avec le peuple, avec la populace, avec nos Apaches, nous agissons... quelques coups de tampon comme ceux des rues d'Hennebont, quelques blocages comme celui de l'église de cette même ville dans la journée d'hier, et il sera établi, même pour les maires les plus jésuites, que l'insanité religieuse doit être enfermée comme toutes les insanités, dans des cabanons spéciaux, et qu'elle ne doit pas dégoûter les passants en pleine lumière61.
44Entre les deux camps, antagonistes à mort pourrait-on presque dire, s'étend l'espace du républicanisme modéré, qui se trouve en quelque sorte laminé par l'affrontement. Le symbole en est le maire d'Hennebont, Giband, malmené durant les troubles. Ce n'est pas sans quelque paradoxe que les révolutionnaires assimilent au cléricalisme cet ingénieur, membre de la direction des forges de Kerglaw, laquelle a largement contribué à insuffler l'esprit laïque et républicain dans son personnel. Pour le commissaire spécial de Lorient,
on assure que la fête patronale d'Hennebont est finie maintenant et que des journées semblables causent un préjudice énorme aux idées républicaines dans la contrée et y tueront la République62.
45Dans Le Radical, Sigismond Lacroix refuse toute circonstance atténuante aux Libres Penseurs qui sont allés manifester devant la cathédrale de Nantes. Ils avaient obtenu ce qu'ils demandaient, l'interdiction de la procession par le préfet63. Le Phare de la Loire ne prend pas parti pour les uns ou pour les autres. Le Réveil breton, journal rennais de « concentration républicaine », prend la défense du préfet Hélitas, agoni par la presse conservatrice, mais reconnaît la responsabilité du « collectiviste Allemane » et de La Raison pour avoir multiplié les provocations, par la plume et le geste64. La Dépêche de Brest, peu suspecte de cléricalisme, a prêché la modération durant la semaine entre le 14 et le 21 juin. Le compte rendu qu'elle propose de l'échauffourée du 21 est dramatique :
S'il se fût trouvé hier, vers trois heures de l'après-midi, quelque peintre impressionniste à la pharmacie de M. Crenn, l'artiste eût pu fixer sur la toile un spectacle inoubliable. Le plancher de la pharmacie était une mare de sang ; la pharmacie elle-même semblait quelque ambulance à proximité d'un champ de bataille. Sur des chaises, des blessés ensanglantés gémissaient. Le plus gravement atteint, un nommé Berric, cloutier à Poulcanastroc, crache le sang à pleine bouche. Il a l'air de râler. Un docteur le déclare formellement en danger de mort. À côté de lui, d'autres victimes de la bagarre geignent, tandis que M. Crenn s'emploie avec une activité digne d'éloges à soigner les malheureux. Pâles et meurtris, les vêtements en lambeaux, la figure rouge du sang qui coule. Un gendarme a le doigt mangé en partie par quelque cannibale !
46Il ne s'agit pas seulement du goût, développé depuis quelques décennies par une presse démocratisée, pour le sang « à la Une ». L'accent est mis délibérément sur les provocations anti-bourgeoises de la « bande révolutionnaire », plus prompte à crier « Vive la Sociale ! » que « Vive Combes ! ». Il en va de même pour la grande presse nationale. Le Journal des débats impute les violences d'Hennebont à la politique ministérielle qui « aggrave les divisions ». Il note qu'on n'avait jamais vu jusqu'ici des partis adverses en venir à l'affrontement physique, qui constitue une régression dans la « civilisation ». Il rejoint sur ce point Le Temps, pour qui l'incurie des autorités dans le maintien de l'ordre est grosse du risque que les catholiques se résolvent « à faire la police eux-mêmes », c'est-à-dire qu'on en arrive à la guerre civile65. Il n'est pas jusqu'à Émile Combes lui-même qui, répondant à l'interpellation d'Étienne Lamy, député du Morbihan, n'assure que « nous réprouvons ces manifestations. Nous sommes pour le libre exercice du culte dans les conditions de légalité66 ». Le Président du Conseil, quelle que soit sa volonté bien connue d'union sans exclusive à gauche, sent qu'il prête en ce domaine le flanc à la critique67.
Contre le prêtre, tout est permis : c'est le chien enragé que tout passant a le droit d'abattre de peur qu'il ne morde et infeste le troupeau68.
47La formule, à laquelle Combes prêtait peut-être une valeur métaphorique, a pris subitement un sens concret en 1903. Ceci a été permis par la convergence de deux facteurs : la « question religieuse » arrive en effet à son maximum d'exacerbation au moment même où la « question sociale », entre 1890 et 1910, provoque les plus grandes turbulences, y compris dans la rue. Deux apogées se trouvent quasiment superposés. Contrairement à ce qui a souvent été dit à propos de l'anticléricalisme comme dérivatif aux revendications socio-économiques, sinon comme « opium du peuple », les processions tumultueuses attestent un lien organique entre les deux. Surtout là où, dans les marges urbaines et industrielles des bastions de chrétienté, l'opposition des contraires entretient un climat électrique et facilite objectivement des violences qui ne sont pas sans réactualiser, un siècle après, les affrontements de la Révolution française. De ce point de vue, les violences antiprocessionnelles dans la France de 1903 sont plus proches des phénomènes analogues qui se rencontrent alors dans le nord de l'Espagne. Mais ceux-ci ont un retentissement beaucoup plus durable et contribuent à entretenir dans le national-catholicisme la mentalité obsidionale et apocalyptique vouée à le marquer pour un demi-siècle69. Elles participent donc d'un type latin, sensiblement différent de la « violence sectaire » anglo-irlandaise à Liverpool à la même époque, même si la bataille pour le contrôle de l'espace urbain offre des similitudes70.
Notes de bas de page
1 Article paru dans French historical studies, vol. 21, no 1, hiver 1998.
2 Lafon (Jacques), Les Prêtres, les fidèles et l’État : Le Ménage à trois du xixe siècle, Paris, Beauchesne, 1987, p. 327-30.
3 Même scénario quelque temps après à Aubervilliers, dans le cadre du pèlerinage à Notre-Dame-des Vertus, Le Phare de la Loire, 19 mai 1903.
4 Ibid.
5 Ibid.
6 Revue catholique des institutions et du droit, juin 1903.
7 Le Phare de la Loire, 16 juin 1903.
8 L’Ouest-Éclair, 16 juin 1903.
9 Cf. Basdevant-Gaudemet (Brigitte), Le Jeu concordataire dans la France du xixe siècle, Paris, PUF, 1988, p. 140-42.
10 L’Ouest-Éclair, 2-3 juin 1903.
11 L’accusation sans preuves du frère Flamidien, après la mort en 1899 d’un jeune garçon dans une école catholique, a fourni dans le Nord, et au-delà, un élément supplémentaire à la liste des « crimes du cléricalisme » abondamment orchestrés par la polémique anticléricale du temps. Toutes choses égales par ailleurs, le frère Flamidien a été un peu le Dreyfus des catholiques.
12 Jugement du tribunal correctionnel de Dunkerque, en date du 21 novembre 1903, reproduit par la Revue catholique des institutions et du droit, juin 1904.
13 L’Ouest-Éclair, 16-17 juin 1903.
14 Rapport du commissaire de police de Lambézellec au préfet du Finistère, 14 juin 1903, AD Finistère, 1 V 49, cité par Yvon Tranvouez, « La Croix, la bannière et les rouges : processions tumultueuses à Lambézellec en 1903 », Les Cahiers de l’Iroise, n° 153, 1992, p. 37.
15 Semaine religieuse du diocèse de Quimper, 26 juin 1903.
16 Dossier aux AD Loire-Atlantique, 109 V 1, Processions 1903-39.
17 Geslin (Claude), Le Syndicalisme ouvrier en Bretagne jusqu’à la Première Guerre mondiale, t. 3, Saint-Hippolyte-du-Fort, Espace-Écrits, 1990, p. 783.
18 Semaine religieuse de Nantes, 30 mai 1903. Le fait est relevé par le maire de Chantenay pour justifier ses mesures d’interdiction. Cf. infra.
19 L’Espérance du peuple, 20 mai 1903.
20 Rapport du commissaire central de police au préfet, 13 juin 1903, AD Loire-Atlantique, 109 V 1.
21 Télégramme du commissaire spécial à la Sûreté générale, ibid., 14 juin 1903.
22 Rapport de police et dépêche du préfet au ministère de l’Intérieur, 15 juin 1903, ibid.
23 Le Phare de la Loire, 16 juin 1903.
24 Les journaux du lendemain rapportent unanimement les deux morts, alors que le commissaire de police a pu interroger Lejeune dès le dimanche après-midi.
25 Préfet au ministre de l’Intérieur, 15 juin 1903.
26 Témoignage d’Élise Bioteau, domestique, ayant elle-même été frappée en voulant s’interposer : « Le vieillard étendu à terre criait : achevez-moi, laissez-moi ! », Commissaire central au préfet, 14 juin 1903, AD Loire-Atlantique, 109V 1.
27 L’Ouest-Éclair, 15 juin 1903.
28 Préfet au ministre de l’Intérieur, 15 juin 1903.
29 Dans un courrier au Phare de la Loire, Jamin, Jouön et Frémont laissent entendre qu’ils ont été débordés par leur base, et que la faute incombe en dernière instance au préfet Hélitas, qui n’avait qu’à ne pas interdire les processions et faire comme son collègue d’Angoulême, où aucun incident n’a eu lieu (17 juin 1903). L’Ouest-Éclair allègue pour sa part la poussée irrésistible des 20 000 à 25 000 manifestants, chiffre peu plausible (15 juin).
30 Commissaire central au préfet, 14 juin 1903 ; Le Nouvelliste, 15 juin 1903.
31 Rapport de police, 15 juin 1903.
32 Commissaire au directeur de la Sûreté générale, 16 juin 1903.
33 Le Phare de la Loire, 19 juin 1903.
34 L’Ouest-Éclair, 11 septembre 1903, qui publie une série de « lettres » de Brunetière, « Autour d’une statue ».
35 L’Ouest-Éclair, 14 septembre 1903.
36 L’Ouest-Éclair, 27 septembre 1903.
37 L’Ouest-Éclair, 28 septembre 1903.
38 La présence sur la place du maire, Giband, ainsi que de forces de gendarmerie et de police, s’avère inutile. Quant au docteur Guillevin, il « est à son poste d’honneur, complètement remis des graves coups qu’il a reçus », Courrier des campagnes, 8 novembre 1903.
39 Delumeau (Jean), Rassurer et protéger : Le Sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, Paris, Fayard, 1989, chapitres 3 et 4 ; Tranvouez (Yvon), Un Curé d’avant-hier : le Chanoine Chapalain à Lambézellec (1932- 1956), Brest, Éditions de la Cité, 1989, chapitre 4 ; Martin (Philippe), Les Chemins du sacré : Paroisses, processions, pèlerinages en Lorraine, du xvie au xixe siècle, Metz, Serpenoise, 1995.
40 Cf. Houist (Guy), « Processions de l’entre-deux-guerres », Bulletin et mémoires de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, 1966, n° 75, p. 105-23 ; et La Varende (Jean de), Le Roi d’Écosse, Paris, Grasset, 1941, chap. 25.
41 Gibson (Ralph), « Le catholicisme et les femmes en France au xixe siècle », Revue d’histoire de l’Église de France, 1993, n° 79, p. 63-93.
42 « Cet être séculairement opprimé, nous l’appelons aussi au grand mouvement vers l’avenir, où régneront enfin la douceur et la bonté », affiche citée par L’Ouest-Éclair, 3 octobre 1903.
43 Archives paroissiales de Lambézellec, cité par Yvon Tranvouez, « La Croix, la bannière et les rouges », loc. cit., p. 43.
44 Basdevant-Gaudemet (Brigitte), Le Jeu concordataire, op. cit., p. 230-231.
45 L’Action, citée par L’Ouest-Éclair, 3 octobre 1903.
46 Perrot (Michelle), Les Ouvriers en grève, France : 1871-1890, Paris, Mouton, 1974, p. 548-568 ; Cazals (Rémy), Avec les ouvriers de Mazamet, Fédération des œuvres laïques de l’Aude, 1978.
47 Cité par Les Études, 1903, no 96, p. 43. Le Nouvelliste de Bretagne, 15-16 juin 1903, est encore plus explicite au lendemain des événements de Nantes : « L’histoire recommence une fois encore. La Montagne exerce sa dictature. Les violents commandent et le Marais, effaré, se résigne, obéit et vote… Quand donc se dressera devant le jacobinisme triomphant une opposition virile ? ».
48 Cité par Le Phare de la Loire, 21-22 mai 1903.
49 Le Nouvelliste, 15-16 juin 1903.
50 L’Ouest-Éclair, 16 juin 1903.
51 Le Nouvelliste, 15-16 juin 1903.
52 Cf. Leroux (Émilienne), Histoire d’une ville et de ses habitants : Nantes des origines à 1914, Nantes, ACL, 1984, p. 303-304 ; Launay (Marcel), « Les Nantais et Dieu, de l’affaire Dreyfus aux inventaires », in Nantes dans l’histoire de la France, Nantes, Ouest-Éditions, 1991, p. 166.
53 Le Nouvelliste (catholique) s’oppose à « toute manifestation qui pourrait s’adresser à des adversaires paisibles et inoffensifs » (15-16 juin 1903).
54 30 septembre 1903. On relèvera que L’Ouest-Éclair a sciemment omis, en annonçant la Fête du Voeu dans son numéro du 26 septembre, de faire état des rumeurs d’incidents répandues depuis plusieurs jours, « pour ne pas mettre en péril les festivités ».
55 L’Ouest-Éclair, 18 juin 1903. Certains républicains rennais ayant attribué ces propos au Sillon, Desgrées du Lou proteste contre la confusion : le Sillon est composé de démocrates et d’adversaires de l’intolérance, Regnault, conférencier étranger au Sillon, ayant proféré des « in tempérances de langage ».
56 « Le Peuple noir », L’Assiette au beurre, n° 131, 3 octobre 1903. Sur la libre pensée à l’époque, voir Lalouette (Jacqueline), La Libre Pensée en France, 1848-1940, Paris, Albin Michel, 1997. Le présent article a été rédigé avant la publication de cet ouvrage, dont je n’ai pu tenir compte.
57 Geslin, Le Syndicalisme…, op. cit., p. 785.
58 Cité par Le Morbihannais, 2 octobre 1903.
59 Le Rouzic (Gisèle), Voyage aux forges d’Hennebont, Quimperlé, Éditions de la Digitale, 1984, p. 120-121.
60 La Petite République du Morbihan, 30 septembre 1903.
61 L’Action, citée par Le Nouvelliste du Morbihan, 1er octobre 1903.
62 AD Morbihan, cité par Geslin, Le Syndicalisme, p. 784.
63 Cité par L’Ouest-Éclair, 18 juin 1903.
64 Le Réveil breton, 17 juin 1903.
65 Cités dans Le Nouvelliste du Morbihan, 1er octobre 1903.
66 Texte complet du débat dans Le Morbihannais, 25 octobre 1903.
67 « On assiste à un spectacle bizarre, qui caractérise une situation : les professionnels du désordre, les compagnons anarchistes, les bandes prêtes pour l’émeute envahissent les églises, insultent des femmes et des petites filles, assomment les agents de police, tout en acclamant le chef du gouvernement ! » : Études, n° 96, 1903, p. 42. Dans la polémique à la Chambre sur le triomphe fait au commissaire Oewre par les manifestants, Combes assure que ce fonctionnaire a été en quelque sorte victime de sa popularité, à son corps défendant. Peut-être reconnaît-il ici, dans une certaine mesure, une métaphore de sa propre position politique.
68 Cité par Jean-Pie Lapierre et Philippe Levillain, in Rémond (René) et Le Goff (Jacques) (dir.), Histoire de la France religieuse, t. 4, Société sécularisée et renouveaux religieux, Paris, Seuil, 1992, p. 50.
69 Christian (William A.), Moving Crucifixes in Modern Spain, Princeton, N.J., 1992, p. 17 ; Lennon (Frances), Privilege, Persecution, and Prophecy : The Catholic Church in Spain, 1875-1975, Oxford, Clarendon Press, 1987, p. 31.
70 Smith (Joan), « Class, Skill and Sectarianism in Glasgow and Liverpool, 1880-1914 », in Morris (R.-J.) (ed.), Class, Power and Social Structure in British Nineteenth Century Towns, Leicester, 1986, p. 158-215.
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