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Le Demos et la Cité

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Henri Fernoux

Première partie. La communauté des citoyens : représentation, composition et comportements en assemblée

Conclusion de la première partie

Texte intégral

1Des magistrats, des notables ou du demos, quel acteur local était mieux à même de représenter la cité, de l’incarner aux yeux notamment d’un pouvoir impérial qu’il fallait sans cesse convaincre de sa loyauté et de son utilité ?

2Il ne faut pas nécessairement adopter une approche exclusive. L’image qu’une cité donnait d’elle-même se construisait collectivement mais aussi grâce à des individualités fortes qui pouvaient en être les ardents promoteurs. L’époque est riche de ces personnages (orateurs, historiens, avocats, médecins…) au crédit considérable, qui défendaient l’image de leur cité tout en la façonnant grâce à leurs talents et à leur argent. En même temps, ces individualités n’avaient de crédit que parce qu’elles étaient portées par leur collectivité, dont elles pouvaient se réclamer. Leur parcours politique n’avait de sens que dans la mesure où il était validé par le demos dont elles procédaient et auquel elles appartenaient. Celui-ci gardait un pouvoir d’incarnation beaucoup plus grand que l’époque ne pourrait le laisser prévoir. C’était un fait à la fois accepté par les notables et, en même temps, impératif car il continuait de s’imposer de lui-même dans les institutions des cités. Nous en avons aperçu quelques aspects : images monétaires, fêtes civiques, composition des assemblées, importance du théâtre comme lieu politique.

3Représenter le demos comme communauté des citoyens n’est pas un geste sans signification, même sous l’Empire, car celui-ci incarne encore la polis, dans des moments aussi cruciaux que les processions et fêtes publics, ou les sessions de l’assemblée. De l’époque classique à l’époque impériale, les outils artistiques ont changé. Ainsi la gravure monétaire devient-elle l’un des supports privilégiés de l’iconographie du peuple. Mais l’enjeu est resté le même : traduire en image une réalité politique fondamentale de la cité. Or, lorsqu’on examine les œuvres plastiques et écrites, on est frappé par la variété des représentations du demos : variété des images monétaires, variété des représentations littéraires. Autre aspect notable : ces images nous en disent souvent plus long sur les préjugés idéologiques des commanditaires des œuvres que sur l’objet de leur réflexion. Le demos de Plutarque ou de Dion de Pruse est un condensé de tous les préjugés d’une couche sociale qui n’imagine le peuple que dans le rôle d’un faire-valoir docile. Le demos demeure ainsi un objet de représentation à la signification fortement politique, contrairement à des notions voisines comme la Polis ou la Patrie, qui ont une dimension plus culturelle et religieuse.

4Cette valeur d’incarnation reconnue au demos est rendue possible par le fait que la communauté des citoyens continue encore, dans sa globalité, de sièger à l’assemblée, au théâtre. Aucun indice sûr ne permet de dire que des critères censitaires ont pu y être appliqués et transformer les ecclesiai en des assemblées restreintes qui n’auraient plus été représentatives de l’ensemble du demos. La sociologie des assemblées, à l’époque impériale, est encore celles des pauvres et des riches, tous marqués par le sceau du civisme. Parmi les sessions régulières de l’ecclesia, des réunions plénières s’organisent autour d’événements particulièrement remarquables pour la cité, comme la célébration de la figure impériale ou l’adoption de décisions engageant le sort des citoyens.

5Les communautés siégant en assemblée ont, encore sous l’Empire, conscience de participer à un rituel politique majeur en un lieu solennel entre tous, le théâtre. Les gestes et les cris qui ponctuent les séances ne doivent pas nous abuser sur la nature des réunions en cours. Le demos qui éructe, apostrophe, porte aux cimes l’orateur avant de l’abaisser plus bas que terre, ne se réduit pas à un être à la psychologie versatile et infantile, dont les sources littéraires contemporaines donnent une description critique, qui est reprise, faute de recul suffisant, par certaines études actuelles. Le tableau pathologique de son éventuelle inconduite est une vision réductrice de son rôle majeur dans la cité et des relations politiques qui s’y tissent.

6Les acclamations, qui sont un élément du rituel politique, n’y introduisent pas des ferments de décomposition comme on voudrait le penser. Si elles apparaissent pour la première fois dans les décrets d’époque impériale, la cause n’en est pas une évolution dégénérée des règles de fonctionnement, mais peut-être et bien davantage la volonté chez les notables (qui en sont les rédacteurs et les inspirateurs) de prendre à témoin leur cité de son unanimité sur leurs parcours politiques. Il est probable aussi que, la période impériale avançant, les manifestations de loyauté à l’égard du prince, ont dû conférer aux acclamations une importance toujours plus grande. On pensera à la période qu’ouvre la dynastie sévérienne.

7Un dernier trait ressort de manière frappante des nombreux exemples jusqu’alors examinés. Si effectivement la notion de demos comporte deux dimensions distinctes l’une de l’autre, celle de la communauté et celle de l’assemblée, il est arbitraire, de notre point de vue, d’en souligner à l’excès la différence. Rhéteurs, sculpteurs et graveurs monétaires, tous avaient à l’esprit, en façonnant le visage du peuple, aussi bien l’image de la communauté que celle de l’assemblée qui l’incarnait concrètement. Un lieu matérialise la synonymie des deux dimensions, le théâtre.

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