Recherches sur la profectio de la dictature de Sylla à la lex Pompeia (82-52). Le cas des gouverneurs de rang prétorien*
p. 45-75
Remerciements
Je remercie chaleureusement Frederik Vervaet pour avoir lu cet article et m’avoir envoyé à ce sujet quelques remarques complémentaires, toutes utiles, dont les plus importantes ont été intégrées. Je n’oublie pas non plus que mes travaux sur la profectio des gouverneurs de rang prétorien à l’époque républicaine s’inscrivent dans un projet plus large dont Fr. Vervaet a été l’instigateur et qui porte sur les proconsuls prétoriens d’époque républicaine (cf. l’annexe de cet article).
Texte intégral
1Cum te prosequerer paludatum… C’est par ces mots placés au début d’une lettre datée du milieu de l’année 56 que Cicéron rappelle qu’il accompagna Q. Valerius Orca, préteur en 57, lorsque celui-ci quitta Rome pour aller gouverner en qualité de pro co(n)s(ule) la province d’Afrique qu’il avait préalablement tirée au sort1. Le déroulement de la cérémonie organisée à l’époque républicaine au moment du départ du gouverneur est décrit pour l’essentiel par les sources : le gouverneur en partance pour sa province présidait un sacrifice accompli sur le Capitole, prenait sur la même colline, sans doute sur l’arx, les auspices militaires qu’on appelle les auspices de départ et y prononçait des vœux ; suivait un parcours ritualisé dont les étapes les plus importantes étaient la salutatio ad portam et le franchissement du pomerium, qui était la limite sacrée de l’Vrbs séparant l’espace civil de l’espace militaire. Le gouverneur revêtait à un moment ou un autre de cette cérémonie le costume de guerre porté par les généraux romains, le paludamentum, après avoir abandonné la toge (c’est la mutatio uestis) ; les licteurs changeaient également de tenue pour s’habiller de la même manière que le gouverneur et ajoutaient les haches aux faisceaux qu’ils portaient au-devant du général en tant qu’insignia imperii2. Les sources ne sont toutefois pas suffisamment précises pour lever une série de doutes sur le déroulement de cette cérémonie. C’est ainsi qu’on ne se représente pas avec suffisamment de précision toutes les étapes d’un parcours qui devait comprendre successivement des rituels ancestraux. Nous ne sommes en particulier pas en mesure de savoir à partir de quand les chemins différaient selon que le gouverneur prenait la direction du nord de l’Italie pour rejoindre une province septentrionale ou qu’il se dirigeait vers le sud pour aller en Sicile, en Afrique ou dans une des provinces de l’Orient romain. On ne sait pas non plus quand et où avait lieu le changement de tenue (sur le capitole ? au moment du franchissement du pomerium ?)3. Cette cérémonie n’a pas reçu à ce jour toute l’attention qu’elle méritait.
2On parle d’ordinaire de profectio quand il s’agit de décrire les rituels qui accompagnaient le moment où le gouverneur quittait Rome pour rejoindre sa province, mais ce terme est peu souvent attesté à l’époque républicaine dans un sens institutionnel de départ d’un magistrat4. Pour cette période, les sources utilisent beaucoup plus fréquemment le verbe exire ou proficisci accompagné de l’adjectif paludatus5. Elles insistent avec l’emploi de paludatus sur la pratique qui consistait à enlever le vêtement civil pour revêtir l’habit militaire, signe que ce changement de tenue était central dans la définition d’une cérémonie dont la dimension militaire apparaissait évidente aux yeux des Romains6.
Une analyse sociologique de la profectio
3Il existe une première approche qui consiste à étudier le déroulement de la cérémonie de la profectio en fonction de ce qu’elle nous apprend sur la « culture politique » de la République romaine. Il est bien connu que le départ de Rome d’un officiel revêtu du principal pouvoir militaire se faisait au vu et au su de tous. Il représentait une des nombreuses cérémonies publiques au cours desquelles les membres de l’aristocratie choisis préalablement par les comices pour exercer une magistrature se montraient au peuple de Rome dans l’exercice de leurs multiples fonctions. Se manifestait à cette occasion l’interaction, si caractéristique de la république romaine, entre les élites dont la vocation était de commander et les gouvernés amenés à arbitrer les rivalités entre aristocrates7. La profectio était un événement périodique qui avait lieu immanquablement chaque année et à plusieurs reprises. Même si elle était moins prestigieuse que le retour d’un général auquel on avait décerné pour ses victoires la plus haute distinction sous la forme du triomphe, elle n’en demeurait pas moins pour le magistrat une occasion d’attirer l’attention sur sa personne pendant une journée dans un contexte politique marqué par une forte concurrence au sein de l’aristocratie. Elle faisait partie à ce titre d’une vie politique qui reposait autant sur le contenu de la politique menée que sur l’ostentation du pouvoir exercé8. Le consul sur le départ rappelait qu’il prenait la tête d’un commandement provincial qui pouvait couronner sa carrière – ou la ruiner, voire lui coûter la vie comme ce fut le cas avec Crassus. Le préteur avait pour sa part l’occasion de montrer qu’il serait digne de parvenir quelques années plus tard à l’échelon suprême du cursus honorum qu’était le consulat : comme le dit Cicéron à propos de Muréna, sa préture avait été « rehaussée par l’éclat du gouvernement provincial9 ». Cicéron précise en outre qu’un des critères à prendre en compte au moment du départ était la frequentia de la foule présente à cette occasion10, c’est-à-dire le nombre de personnes assistant la profectio, ainsi que leur importance sociale. Il veilla lui-même en tant que consulaire à accompagner personnellement Q. Valerius Orca aux portes de Rome, parce que celui-ci était du nombre des préteurs de 57 qui avaient contribué à le faire revenir d’exil et envers lesquels il voulait témoigner publiquement sa reconnaissance11. Il chemina donc à ses côtés, n’hésitant pas à s’entretenir ouvertement avec lui et à lui recommander un publicain influent qui était un de ses amis, P. Cuspius, en présence de ce dernier12.
4Tous les magistrats ne partaient pas nécessairement gouverner une province pendant ou à l’issue de leur année de magistrature et l’on sait qu’à partir du début du Ier siècle av. J.-C., des consuls et des préteurs préférèrent renoncer à un gouvernement provincial. Mais la profectio continua d’être à la fin de la République une cérémonie obligée étant donné l’agrandissement de l’Empire et l’augmentation du nombre de provinces que devait gouverner un nombre croissant de gouverneurs. Même si elle attirait l’attention des sources moins souvent que le triomphe, elle restait un événement beaucoup plus fréquent et plus régulier auquel les Romains de Rome avaient statistiquement plus de chance de participer et qui était une forme prisée de manifestation de la sociabilité aristocratique : pour 17 triomphes célébrés entre 81 et 52 av. J.-C., on compte pour ces trente années un nombre infiniment plus important de départs : au moins une centaine, même s’il est difficile de parvenir à un chiffrage plus précis13. Il s’agit là d’une cérémonie constitutive d’une « culture politique » de la fin de la république romaine marquée par le besoin ressenti par les gouverneurs d’être visibles à Rome dans le contexte d’une concurrence exacerbée.
La date de la profectio des gouverneurs de rang prétorien : un bilan historiographique
5Il existe une autre approche à développer, institutionnelle celle-là. La cérémonie de la profectio mérite une nouvelle enquête approfondie à la condition de s’intéresser à la fois à un aspect méconnu qui est celui de la chronologie absolue du départ et à une catégorie qui n’a pas encore reçu toute l’attention nécessaire pour l’époque tardo-républicaine : celle des gouverneurs de rang prétorien. Le cas des proconsuls consulaires est pour sa part mieux connu depuis la monographie qu’Adalberto Giovannini a consacrée il y a maintenant plus de vingt ans au consulare imperium et qui faisait de la date de leur profectio un élément central de sa démonstration14. Le savant suisse a démontré, en reprenant de façon systématique des objections avancées par plusieurs de ses prédécesseurs (notamment Pelham, Balsdon et Valgiglio), que contrairement à ce qui a longtemps été l’opinio communis, Sylla n’avait jamais introduit de réforme interdisant à un magistrat supérieur, consul ou préteur, de partir en province pendant l’année de sa magistrature. Il est maintenant acquis que la prétendue lex Cornelia de prouinciis ordinandis, dont l’existence avait été admise par Mommsen et l’avait conduit à construire dans son Staatsrecht un système parfaitement cohérent d’attribution des provinces entre 82 et 5215, est une invention de l’historiographie qui remonte à l’humaniste du XVIe siècle François Hotman. La meilleure preuve de l’inexistence de cette loi tient dans le grand nombre de consuls – une vingtaine – dont les sources attestent qu’ils partirent à coup sûr durant l’année de leur consulat16. Le seul consul dont les sources laissent penser qu’il quitta Rome après le mois de décembre de l’année d’exercice de sa magistrature (c’est-à-dire après le 29 décembre dans le calendrier pré-julien) est Jules César, dont la profectio a pu avoir lieu au tout début de l’année 58 – précisément trois jours après que deux préteurs de cette année, C. Memmius et L. Domitius Ahenobarbus, eurent demandé la mise en place d’une enquête sur les acta de César pendant son consulat17. Le seul changement notable est qu’à notre connaissance, les consuls quittèrent Rome tard dans l’année de leur magistrature, sans doute parce qu’ils furent amenés à consacrer plus de temps aux affaires proprement politiques, mais cet état de fait est attesté avant la fin des années 80. Sylla n’est donc en rien responsable d’une évolution, qu’il accéléra tout au plus en sollicitant davantage les magistrats dans l’exercice de leurs fonctions urbaines.
6L’ouvrage de Giovannini, novateur à bien des égards, n’a pas réglé pas tous les problèmes liés à une question aussi complexe que celle des gouvernements provinciaux à la fin de la République, tant s’en faut. Il soulève tout d’abord une série de difficultés, en particulier pour ce qui touche à la date à laquelle les consuls furent légalement privés du droit de partir gouverner leurs provinces consulaires pendant l’année de leur magistrature (en 52 en vertu d’une lex Pompeia ? en 27 ou en 19/18 en vertu d’une lex Iulia18 ?). Une autre question posée par l’essai de Giovannini est le sort dévolu par Sylla au système d’attribution des provinces aux préteurs, question dont on verra qu’elle est en lien direct avec la date de la profectio. Il faut reconnaître que sur ce point, l’enquête a été conduite de façon moins systématique que pour les provinces attribuées aux consuls. Giovannini ne procède pas à un recensement complet des sources qui témoignent d’une manière ou d’une autre de la date de la profectio des gouverneurs de rang prétorien, même s’il a sur ce sujet des intuitions qui se révéleront justes comme nous le verrons. C’est cette recherche que je voudrais mener.
7Il est patent que sur la question des gouverneurs de rang prétorien, Giovannini n’a pas réussi à s’affranchir totalement de l’influence de Mommsen. C’est visible lorsqu’il écrit, en citant le Staatsrecht, qu’au contraire des provinces consulaires, « les provinces prétoriennes étaient […] des provinces administratives créées principalement pour la juridiction », ou encore qu’« elles étaient exactement définies territorialement », « permanentes » et qu’« elles exigeaient la présence constante d’un gouverneur19 » ; de leur côté, les provinces consulaires y sont définies comme « des provinces de guerre créées et supprimées en fonction de la situation militaire et des relations extérieures20 ». Une telle distinction entre provinces consulaires qui seraient militaires et provinces prétoriennes qui seraient administratives apparaît trop systématique. L’ouvrage récent de T. Corey Brennan sur la préture sous la République est venu nuancer les analyses de Giovannini relatives à la préture en montrant de façon détaillée que les préteurs étaient aussi des chefs militaires placés à la tête de prouinciae, fixes ou non21. Mais si Brennan connaît la monographie de Giovannini, qu’il cite à quelques reprises uniquement dans les notes de l’introduction22, il ne semble pas en avoir perçu toutes les implications et reste lui aussi à bien des égards prisonnier du schéma mommsénien défini plus haut, alors même qu’il soumet à une critique méthodique d’autres éléments du système construit par Mommsen. Son analyse de la profectio des gouverneurs et de la date à laquelle ils quittaient Rome est caractéristique d’une attitude qui n’ose pas non plus s’affranchir de l’ombre de Mommsen. Si Brennan précise à juste titre qu’il n’existe aucune trace de la lex Cornelia de prouinciis ordinandis et que celle-ci n’a probablement jamais existé23, il attribue malgré tout à Sylla ce qu’il appelle une « institutionnalisation des commandements ex magistratu » et une « institutionnalisation de la promagistrature24 ». Il entend ainsi souligner que la réforme syllanienne consista en une généralisation d’une pratique plus ancienne qui conduisit les gouverneurs à rejoindre leur province non pas l’année de leur magistrature, mais l’année suivante25. Cette position médiane peut sembler curieuse : ou bien on accepte le schéma général systématisé par Mommsen et on comprend que tous les gouverneurs de province, consulaires comme prétoriens, quittèrent Rome après le 1er janvier de l’année qui suivait leur magistrature ; ou bien on le rejette et il faut dès lors plutôt se demander s’il était inévitable que les gouverneurs partent pour leur province l’année après avoir exercé leur magistrature, la profectio pouvant tout aussi bien se situer à la fin de leur année de magistrature après l’accomplissement en tant que magistrats de fonctions urbaines de plus en plus lourdes. Il faut en outre déterminer si la formule ex magistratu et ex praetura correspond au sens que Brennan lui donne, à savoir « après la magistrature » et « après la préture26 », signification dont on verra qu’elle est à mon sens erronée.
8Les propos qui précèdent ont pour objet de montrer jusqu’à quel point il est nécessaire de ne plus se laisser influencer directement ou indirectement par le schéma mommsénien, qu’il faut se résoudre à abandonner dans sa globalité. Il faut donc reprendre le problème du gouvernement des provinces de rang prétorien à la base, c’est-à-dire à partir d’une enquête qui se fonde sur un examen des sources indépendamment de tout système préétabli. Il faut maintenir la dictature de Sylla comme point de départ de l’enquête non pas en raison des effets d’une loi provinciale dont on a vu qu’elle était un mythe historiographique, mais en vertu des leges Corneliae qui augmentèrent le nombre des préteurs – de six à huit – et celui des cours de justice permanentes (quaestiones) présidées par ces magistrats pour le plus grand nombre. Ce volet de la réforme syllanienne, dont l’existence est incontestable, conduisit tous les préteurs à consacrer un temps de plus en plus important à leurs activités judiciaires, que ce soit en tant que préteur urbain, préteur pérégrin ou préteur présidant les cours de justice permanentes, dont le nombre monta en 81 à sept en vertu de la législation de Sylla27. Ils furent en conséquence contraints de rester à Rome une grande partie de l’année, mais cette nécessité pragmatique n’implique pas forcément qu’ils ne pouvaient partir que l’année suivant l’exercice de leur préture. Rien n’interdit de penser que comme les consuls, ils partirent gouverner leurs provinces durant les derniers mois de l’année de leur préture, voire le dernier mois, solution dont on va voir qu’elle présente un intérêt d’un point de vue institutionnel. La définition des pouvoirs dont furent investis les gouverneurs de province de rang prétorien ne peut pas être dissociée d’une question a priori aussi technique que celle de la chronologie de la profectio.
La date de la profectio des gouverneurs de rang prétorien : ses incidences institutionnelles
9La date à laquelle les gouverneurs quittaient l’Vrbs pour rejoindre leurs provinces est directement liée à une question institutionnelle centrale : celle de la validité des auspices qu’ils étaient amenés à prendre au cours de leur gouvernement provincial. Il ne s’agit pas d’un point secondaire quand on sait à quel point la pratique qui consistait à observer le ciel et les oiseaux était un attribut essentiel de toute forme de pouvoir à Rome, et en particulier de l’exercice de l’imperium. Les rites accomplis à l’occasion du départ différaient selon que le gouverneur en partance pour sa province quittait l’Vrbs pendant l’année de la magistrature ou après. Dans le premier cas, il prenait sur le Capitole les auspices dits de départ en tant que magistrat et restait en possession de ces auspices militaires acquis pendant sa magistrature après et en dépit de l’expiration de celle-ci ; dans le second cas, il était dans la même situation auspiciale qu’un priuatus cum imperio, dont il faut rappeler qu’il prenait les auspices de départ à un moment où il n’était pas (ou plus) magistrat28. De ces options, toutes deux attestées dans le courant de la première moitié du Ier siècle et donc techniquement acceptées, la première présentait l’avantage d’instaurer une continuité auspiciale entre la magistrature et la promagistrature. Elle permettait à ce titre de concilier la nécessité de proroger les magistrats envoyés en province au-delà du traditionnel délai légal d’une seule année avec la règle fondamentale, reprise dans le liber de auspiciis de l’augure M. Valerius Messala et transmise par Varron, qui réservait la prise des auspices aux magistrats : de caelo auspicari ius nemini sit praeter magistratum29. Comme l’a écrit André Magdelain, « un promagistrat reste en possession des auspices de guerre acquis pendant sa magistrature ».
10La démonstration qui vient d’être esquissée sur les rapports entre la validité des auspices et la date de la profectio des gouverneurs peut apparaître comme un argument confiné dans le milieu des antiquaires romains ou comme le vestige d’un droit augural qui n’avait plus aucune importance pour les Romains à l’époque de Cicéron. Après tout, le statut de priuatus cum imperio n’empêcha pas par exemple le proconsul Pompée de mener à bien ses campagnes dans différentes parties de l’Empire et de célébrer à son retour trois triomphes. Des précédents ont d’ailleurs pu être invoqués en ce sens, qui avaient permis à des généraux romains comme Scipion l’Africain de mener leurs campagnes en tant que priuati cum imperio en parfaite indépendance auspiciale pendant la deuxième guerre punique. Il faut donc éviter d’être trop dogmatique et se garder de mettre en doute la légitimité des auspices pris par des priuati cum imperio. Il demeure que cette question continua de susciter à la fin de la République un débat qui n’était pas à mon sens purement académique et qui s’inscrivait dans un climat politique conflictuel. Je ne reviens pas sur les deux passages de Cicéron regrettant que des campagnes puissent être menées par des généraux dépourvus d’auspices, si ce n’est pour rappeler que leur étude a donné lieu à de multiples interprétations contradictoires30. Je reste pour ma part convaincu qu’ils font directement référence au statut controversé des priuati cum imperio31. En revanche, on n’intègre pas d’ordinaire à la discussion un passage du discours prononcé en 67 par Q. Lutatius Catulus (cos 78) pour s’opposer devant l’assemblée du peuple au projet de loi de Gabinius et rapporté par Dion Cassius. S’il ne faut pas prendre au pied de la lettre la teneur des propos tels qu’ils ont été recomposés par l’historien grec, il n’y a aucune raison de contester l’idée que les arguments développés par Catulus reprennent sur le fond le contenu des paroles réellement prononcées. Celui-ci s’opposa à l’octroi à Pompée d’un vaste pouvoir en rappelant notamment que la tradition à Rome était de confier la direction de campagnes militaires aux magistrats en fonction pourvus de l’imperium, en l’occurrence les consuls et les préteurs32. Il ne fut pas suivi par le peuple et Pompée fut finalement investi d’un imperium extraordinaire en vertu de la lex Gabinia. On retiendra toutefois que le statut de priuatus cum imperio fut publiquement et négativement présenté comme un des traits distinctifs d’un pouvoir que Catulus qualifie de « nouveau », voire de « commandement étrange et auquel on n’avait encore jamais eu recours », dont il ne fallait pas investir Pompée sous peine de commettre une illégalité33. La dissociation temporelle de la magistrature et d’une promagistrature, si elle n’était pas en soi une nouveauté et n’avait rien de rédhibitoire pour exercer un commandement militaire, apparut en 67 comme un élément institutionnel exploité à des fins politiques par les optimates pour discréditer le pouvoir de Pompée.
11Un peu plus de vingt années plus tard, Cicéron reprit les mêmes arguments en les amplifiant lorsqu’il défendit en février 43 dans la XIe Philippique le point de vue selon lequel il ne fallait pas confier la conduite de la guerre contre Dolabella à P. Servilius Isauricus, qui était alors un priuatus. Il énuméra à l’appui comme autant de précédents de nombreux exemples historiques de campagnes menées par des magistrats et expliqua les écarts à la norme par le refus des consuls ou le comportement « de tribuns de la plèbe séditieux34 ». Il ne faut pas se laisser abuser par les discours de Catulus et de Cicéron ni les surinterpréter. Avant d’être des témoignages proprement institutionnels, leurs propos sont des pièces de rhétorique caractérisés par un haut degré d’opportunisme politique, surtout dans le chef de Cicéron qui n’avait pas hésité une vingtaine d’années plus tôt à défendre l’opinion inverse lorsqu’il justifia l’octroi du commandement de la guerre contre Mithridate à un Pompée alors non-magistrat en précisant qu’« à des circonstances nouvelles nos ancêtres ont toujours adapté des expédients nouveaux35 ». Il faut insister sur la souplesse d’une « constitution romaine » non écrite qui s’adaptait aux évolutions et qui n’a jamais considéré à proprement parler comme illégal le statut de priuatus cum imperio. Il en ressort malgré tout que les arguments de Catulus et de Cicéron avaient une plus grande portée si leurs contemporains reconnaissaient qu’il était de règle d’envoyer les magistrats en exercice pour diriger les opérations militaires d’envergure. Il faut donc reconsidérer sous cet angle la question de la date de départ des gouverneurs de rang prétorien et vérifier à travers le témoignage des sources l’hypothèse selon laquelle les préteurs avaient en temps normal tout intérêt à quitter Rome pour rejoindre leurs provinces à un moment où ils étaient encore magistrats.
La date de la profectio des gouverneurs de rang prétorien : l’évidence des sources
12Poursuivons l’enquête avec l’exemple de Q. Valerius Orca, décrit en introduction. Quand quitta-t-il Rome pour rejoindre l’Afrique qu’il avait préalablement tirée au sort au titre de gouvernement provincial de rang prétorien ? Pendant sa préture en 57 ? ou dans le courant de l’année suivante, en tout état de cause durant les premiers mois de l’année 56 au plus tard dans la mesure où la lettre envoyée par Cicéron en Afrique date du milieu de cette année ? Cette interrogation est loin d’être une simple affaire de chronologie absolue ou un point de détail. Dans l’état actuel de nos connaissances, les sources ne permettent pas de trancher de manière définitive en faveur de l’une ou l’autre de ces possibilités pour ce qui est de Q. Valerius Orca. Mommsen aurait choisi le début de l’année 56 en parfaite cohérence avec son système d’attribution des gouvernements provinciaux mis en place par Sylla qui aurait obligé les préteurs à rester à Rome pendant l’année de leur préture. Brennan aurait abouti à la même conclusion, mais pour des raisons différentes : le départ après le 29 décembre 57 pourrait être justifié à la fois par l’importance des tâches urbaines dévolues aux préteurs pendant l’année de leur magistrature et en vertu d’une pratique désormais bien ancienne qui les conduisit à partir rejoindre leurs provinces l’année suivant leur magistrature. De son côté, Giovannini a défendu une autre solution dans la mesure où il a clairement précisé que jusqu’en 52, « les préteurs qui ont exercé leur préture à Rome et ont ensuite reçu le gouvernement d’une province ont dû nécessairement sortir de Rome avant l’échéance de leur mandat36 ». Le cas de Q. Valerius Orca étant insoluble en raison de l’absence de la moindre information sur la date de sa profectio, la seule manière de progresser est de procéder par analogie. Il faut analyser en conséquence dans le détail le contenu des sources qui témoignent directement ou non de la date de départ d’autres proconsuls de rang prétorien.
La formule ex praetura
13Il faut commencer par déterminer la signification de ex praetura (et ex magistratu), locution utilisée fréquemment dans les sources par référence aux gouvernements provinciaux de rang prétorien. Les exemples sont nombreux. Asconius précise à deux reprises que Catilina, préteur en 68, prit possession de la province d’Afrique ex praetura37 ; d’après le témoignage de Suétone, C. Octavius, le père du futur Auguste et préteur en 61, tira au sort la province de Macédoine ex praetura38 ; un autre témoignage de Suétone ajoute que Jules César, préteur en 62, tira au sort la province d’Espagne Ultérieure ex praetura39 ; Jules César souligne lui-même dans le De bello ciuili que P. Cornelius Lentulus Spinther, préteur en 60, et P. Attius Varrus, préteur à une date indéterminée entre 55 et 52, prirent également possession de leur province – respectivement l’Espagne citérieure et l’Afrique – ex praetura40 ; il faut rappeler qu’un des reproches formulé par Jules César à l’encontre de la lex Pompeia de 52 est que celle-ci ne permet plus d’envoyer des gouverneurs provinciaux ex praetura ou ex consulatu comme cela se faisait auparavant41 ; Cicéron rappelle que Murena, le préteur de 65 et le consul de 62, avait un père qui avait triomphé ex praetura (en 81)42. On pourrait multiplier les exemples pour la période précédant la dictature de Sylla43 ou postérieure à la lex Pompeia de 5244. Les différents sens de la préposition ex interdisent en tout cas de traduire la formule ex praetura simplement par « après la préture » ou « à la suite de la préture45 ». Cette préposition a pour fonction d’introduire un lien de causalité et doit être en conséquence traduite en français par la préposition « en vertu de » ou « à partir de ». Son emploi pour ex praetura signifie que le gouvernement provincial ainsi désigné découle de l’exercice de la préture. Il faut renvoyer pour cela à la démonstration de Giovannini, à laquelle il n’y a rien à ajouter. Concernant la question de la date de la profectio, la signification la plus naturelle de la formule ex praetura est d’admettre que même si elle n’a pas en soi une signification chronologique, elle implique plutôt un départ en province pendant l’année de la préture conformément à une pratique romaine qui rechigna jusqu’à la lex Pompeia de 52 à envoyer des priuati cum imperio gouverner des provinces46. Le meilleur moyen de vérifier cette conclusion est d’étudier les sources qui fournissent des renseignements sur la date précise à laquelle les préteurs ou anciens préteurs quittaient Rome.
14À la différence du consulat, les informations sur la chronologie absolue de la profectio dans les provinces de rang prétorien restent peu nombreuses en l’état actuel de la documentation. Si les préteurs étaient annuellement plus nombreux que les consuls, ils étaient moins en vue que ces derniers. À ce titre, la question de la date de leur profectio n’avait pour les anciens aucun intérêt excepté dans des circonstances exceptionnelles ou lorsque les règles usuelles n’étaient pas respectées. S’y ajoute que des allusions intéressantes pouvaient se glisser dans des sources faisant référence à l’un ou l’autre gouvernement provincial de rang prétorien, en particulier lorsque les actions de l’un de ces gouverneurs, C. Verres, avaient été décrites avec tant de détails dans les Verrines de Cicéron.
Les préteurs de l’année 62
15On commencera par le seul exemple qui témoigne d’un départ en province après le 29 décembre de l’année de la préture et dont il faut se demander s’il reflète la situation la plus courante. Il s’agit des préteurs de 62 au nombre desquels se trouve le frère de Cicéron, Quintus, et qui quittèrent Rome après les ides de février et peu avant les ides de mars 6147. Mais Cicéron présente cette situation comme anormale : prouincias praetores nondum sortiti sunt, l’emploi de nondum (« pas encore ») montrant qu’on s’écarta alors du calendrier habituel48. Il explique la raison de ce retard par les conséquences de l’affaire de la Bona Dea qui éclata au début du mois de décembre 62 et conduisit le Sénat à différer le tirage au sort des provinces prétoriennes49. Il ne faut pas se laisser abuser par ce qui se produisit en 62-61 et ériger la profectio de Q. Tullius Cicero – et celles des autres anciens préteurs de 62 au nombre desquels se trouve Jules César en partance pour l’Hispanie ultérieure – au rang de modèle pour ce qui concerne la chronologie. Ce que les circonstances du départ des préteurs de 62 en février-mars 61 indiquent est que la question de l’attribution des provinces prétoriennes n’avait pas été réglée au début du mois de décembre et qu’elle aurait pu – ou dû – l’être dans le courant de ce mois si l’affaire de la Bona Dea n’avait éclaté dans la nuit du 3 au 4 décembre.
Les préteurs de 63 et la conjuration de Catilina
16Divers témoignages liés aux circonstances exceptionnelles de la fin de l’année 63 font état d’un calendrier différent en attestant que les gouverneurs de province de rang prétorien en fonction en 62 quittèrent Rome en 63 dans le courant de l’année de leur préture après avoir été préalablement tirés au sort. Deux cas assurés concernent les deux préteurs en fonction en 63 dont le départ de Rome est à relier aux mesures prises par Cicéron pour déjouer la conjuration de Catilina. Le premier est Q. Caecilius Metellus Celer, le futur consul de 60, qui gouverna la Gaule Cisalpine dès 63 à la place de Cicéron – qui avait renoncé à sa province consulaire – et qui porta le titre de proconsul dans l’exercice de cette fonction50. On sait qu’il fut envoyé à la fin du mois d’octobre 63 en Italie en vertu d’un senatus consultum avec des instructions spéciales pour lever des troupes au nord de Rome et intervenir si besoin contre les forces armées de Catilina commandées par C. Manlius51. Quand quitta-t-il Rome ? Deux datations peuvent être envisagées : soit dans le courant du mois d’octobre 63 si l’on est d’avis que Q. Caecilius Metellus Celer était toujours à Rome au moment où le sénatus-consulte le concernant fut voté ; soit avant octobre si l’on imagine qu’il était parti précédemment et que le sénatus-consulte du mois d’octobre le fit revenir de Gaule Cisalpine pour lui confier en urgence une mission exceptionnelle en Italie du Nord. Quoi qu’il en soit, il est assuré que la profectio de ce préteur eut lieu pendant l’année de sa préture52.
17S’agit-il ou non d’un exemple représentatif de la date de départ des préteurs en temps normal ? Le caractère extraordinaire d’une mission qui s’inscrivait dans le contexte de la conjuration de Catilina a conduit certains historiens à avancer l’idée que Q. Caecilius Metellus Celer avait obtenu sa province extra ordinem53. Mais le contenu d’une lettre adressée par Cicéron en janvier ou février 62 précisément à Q. Caecilius Metellus Celer indique que sa désignation comme gouverneur de province ne s’écarta pas des règles traditionnelles : il y eut conformément à l’usage ce que Cicéron appelle une sortitio, qu’il reconnaît avoir manipulée et qui fut suivie du vote d’un sénatus-consulte54. Cicéron influa sur le tirage au sort pour faire désigner un homme qu’il jugeait de confiance à la tête d’une province fortement militarisée et stratégique en raison de sa proximité avec l’Italie. Le type d’intervention demandé à un des préteurs de 63 n’était pas en soi une nouveauté et l’on connaît d’autres exemples de préteurs auxquels le Sénat confia en toute urgence des missions spécifiques en Italie en profitant de ce qu’ils devaient traverser la péninsule vers le sud ou vers le nord pour rejoindre leurs provinces. C’est ainsi que sur le chemin de la Macédoine, C. Octavius, le préteur de 61, le père du futur Auguste, anéantit les restes des troupes de Spartacus et de Catilina constitués d’esclaves fugitifs en Italie du Sud, du côté de Thurium, avant d’embarquer pour sa province55 ; le frère de Cicéron eut également à combattre en Italie du Sud des partisans de Catilina dans le Bruttium, mais nous ne savons pas s’il fut envoyé au début de sa préture de 62 ou au tout début de l’année 61 lorsqu’il partit pour l’Asie après avoir tiré au sort cette province56 ; autre exemple, les sénateurs songèrent à C. Verrès, au moment où celui-ci se trouvait en Italie du Sud sur le chemin de la Sicile (début de l’année 73), pour éliminer les restes de l’armée de Spartacus réfugiés à Tempsa dans le Bruttium, mais cette intervention militaire n’eut pas lieu, ce qui provoqua a posteriori les sarcasmes de Cicéron57. Il ressort de tous ces témoignages qu’en cas d’urgence, le Sénat gardait la possibilité d’investir un gouverneur sur le départ d’une mission dans une région d’Italie par laquelle celui-ci était amené à passer pour rejoindre sa province. Suétone parle à propos de C. Octavius d’un negotium extra ordinem, formule qui ne fait ici référence qu’au caractère extraordinaire de l’intervention militaire spécifique en Italie. Que le Sénat ait voté en 63 un sénatus-consulte à titre extraordinaire pour autoriser Celer à agir dans le nord de l’Italie ne fait guère de doute58, mais cette décision des sénateurs ne concerne en rien le gouvernement provincial traditionnel que ce préteur devait exercer en Gaule Cisalpine après être intervenu en Italie et qui avait fait l’objet de la sortitio usuelle. C’est ce qu’atteste Cicéron lorsqu’il rappelle que Q. Caecilius Metellus Celer tira au sort sa province avant la fin du mois d’octobre, peut-être dès le mois de juin 63, et était parvenu en Gaule Cisalpine en tout cas en décembre au plus tard. Si sa mission en Italie du Nord était justifiée par un contexte de crise lié à la conjuration de Catilina, les dates de sa sortitio et de sa profectio n’ont quant à elles rien d’extraordinaire ni d’inhabituel59.
18Le recours à un tirage au sort des provinces prétoriennes extra-urbaines dans le courant de l’année 63 – en mai-juin au plus tôt, en octobre au plus tard – suffit à écarter l’idée, défendue par Giovannini60, selon laquelle « il n’y pas de trace, dans les sources antiques, de double sortitio ». Les événements liés à la conjuration de Catilina permettent de préciser qu’il y avait chaque année pour les préteurs deux tirages au sort : un premier à leur entrée en fonction ou peu avant quand ils étaient préteurs désignés pour se répartir les provinces urbaines ; un second qui avait pour objet d’attribuer les provinces extra-urbaines et qui se déroulait d’ordinaire dans le courant de l’année de la magistrature, sauf quand les circonstances ne l’ont pas permis comme ce fut le cas en décembre 62 avec l’affaire de la Bona Dea61. À l’issue de la seconde sortitio, ils quittaient Rome dans un délai plus ou moins court, mais si possible avant la fin du mois de décembre62.
19L’analyse qui vient d’être présentée à propos de Q. Caecilius Metellus Celer vaut, mutatis mutandis, pour Q. Pompeius Rufus, un autre préteur en 63, qui gouverna l’Afrique en tant que proconsul jusqu’en 61, voire jusqu’en 60 ou 5963. Il fut lui aussi amené à quitter Rome avant la fin de l’année de sa magistrature pour accomplir en Italie une mission définie par un sénatus-consulte et liée à la conjuration de Catilina, au même titre que Q. Caecilius Metellus Celer. Il fut dépêché à Capoue pour garder les écoles de gladiateurs et faire ainsi obstacle aux partisans de Catilina64 ; ce n’est que par la suite, après avoir rempli cette tâche, qu’il partit gouverner sa province. On voit donc que le Sénat (et avec lui Cicéron) profita de la présence en Italie du Sud d’un préteur en partance pour la province d’Afrique pour lui faire remplir une mission qui nécessitait l’exercice de l’imperium militiae et s’inscrivait dans le contexte de troubles en Italie. Nous ne savons pas quand Q. Pompeius Rufus arriva en Afrique65, mais il est assuré qu’il quitta Rome avant le 29 décembre 63.
20On terminera ce passage en revue des préteurs de l’année 63 en citant les noms de C. Pomptinus et de Q. Valerius Flaccus. Nous savons qu’à la fin de l’année de leur préture, ils furent chargés par Cicéron de l’arrestation des députes allobroges, qui eut lieu sur le Pont Milvius dans la nuit du 2 au 3 décembre, et qu’ils interceptèrent à cette occasion des lettres compromettant les partisans de Catilina restés à Rome66. Ils quittèrent ensuite Rome pour rejoindre leurs provinces respectives, la Gaule Transalpine pour Pomptinus et l’Asie pour Flaccus67. La date de leur profectio n’est pas connue, la seule certitude étant que le 3 décembre représente le terminus post quem. Il est vraisemblable que ces deux provinces leur furent assignées lors de la même sortitio qui avait donné à Q. Caecilius Metellus Celer la province de Cisalpine et qui date d’avant la fin du mois d’octobre 63. Ce n’est sans doute pas un hasard si Cicéron confia l’arrestation des députés allobroges à un préteur, C. Pomptinus, dont personne – pas plus les Romains que les députés eux-mêmes – n’ignorait qu’il allait être très rapidement amené à gouverner ce peuple gaulois68.
Les cas plus litigieux
21Les exemples des préteurs de 62 quittant Rome en février-mars 61 et des deux préteurs de 63 franchissant le pomerium dans le courant de l’année de leur magistrature sont les seuls pour lesquels nous disposons d’une information claire et sûre en matière de chronologie absolue de la profectio de gouverneurs de rang prétorien. Même si l’on se gardera d’être aussi catégorique que pour les deux préteurs de 63, il est permis d’ajouter, à titre d’hypothèse, sept noms supplémentaires à la liste des préteurs ayant rejoint leurs provinces pendant l’année de leur préture : M. Minucius Thermus, C. Claudius Nero, C. Annius, L. Fufidius, M. Domitius Calvinus, M. Fonteius et M. Antonius. La chronologie de leur profectio ayant été déjà traitée en détail dans l’ouvrage de Brennan, il suffira dans ce cadre de synthétiser les données les plus importantes et de renvoyer en note les références aux sources et à la démonstration de Brennan.
22M. Minucius Thermus fut à coup sûr préteur, très vraisemblablement en 8169, et passe pour avoir quitté Rome pour gouverner la province d’Asie dès l’année de sa préture, le principal argument en faveur de cette hypothèse étant que la présence en Asie de son successeur, C. Claudius Nero, est attestée en 80, sans doute au début de cette année70. Quant à C. Claudius Nero, qui fut à coup sûr proconsul d’Asie en 8071, nous ne pouvons pas déterminer s’il fut préteur en 81 ou en 8072. À la même époque, les troubles en Espagne résultant de la guerre contre Sertorius conduisirent Sylla à faire envoyer dès 81 à la tête des deux Espagnes C. Annius73, qu’il faut ranger selon toute vraisemblance au nombre des huit préteurs de cette même année74. L’année suivante, en 80, furent placés à la tête des Espagnes L. Fufidius pour l’Ultérieure et Cn. Domitius Calvinus pour la Citérieure75, tous deux ayant été d’après Brennan préteurs l’année même où ils prirent possession de leur gouvernement provincial76. Même si des zones d’incertitude demeurent en l’état quant à l’identification précise des préteurs en fonction en 81-80 et la chronologie absolue des gouvernements provinciaux durant ces mêmes années, il est évident que des trois gouverneurs connus pour avoir exercé à coup sûr un gouvernement provincial en 80 – C. Claudius Nero, L. Fufidius et Cn. Domitius Calvinus –, tous ne peuvent entrer dans la liste déjà très encombrée des huit individus qui exercèrent la préture en 8177. Il faut les placer en conséquence pour la totalité ou une partie d’entre eux dans le collège des préteurs de l’année 80. Cette datation a des incidences importantes pour le sujet qui est le nôtre : elle signifie qu’au moins un, sinon plusieurs préteurs de l’année 80 quittèrent Rome au cours de l’année de leur magistrature. La reconstruction chronologique qui vient d’être présentée est celle qui a été adoptée par Brennan. Elle s’écarte sensiblement de celle retenue par Broughton, qui s’inscrivait de façon rigide dans le schéma mommsénien d’une dissociation temporelle entre magistrature et promagistrature, mais elle est cohérente. Il faut créditer Brennan d’avoir introduit de la souplesse dans un système d’attribution provinciale qui devait rester pragmatique en cas de crise, comme ce fut le cas au moment de la guerre contre Sertorius. Il faut malgré tout se demander s’il est justifié de parler avec Brennan d’une institutionnalisation du départ en province l’année suivant la préture quand on constate un si grand nombre d’écarts à cette prétendue règle aussitôt après la mise en place des réformes de Sylla et alors que nous ne connaissons qu’un seul collège de préteurs, celui de l’année 62, ayant quitté Rome pour leurs provinces à coup sûr après la fin du mois de décembre de l’année de la préture.
23D’autres exemples des années 70 peuvent être cités, qui témoignent de la difficulté à faire de Sylla le point de départ d’une nouvelle règle ou d’une nouvelle pratique en matière de date de profectio des gouverneurs. Le cas de M. Fonteius est embrouillé, car on ne sait avec certitude ni en quelle année il exerça sa préture ni quand commence le triennium qu’il passa comme gouverneur de rang prétorien à la tête de la Gaule Transalpine. Brennan a avancé l’idée qu’il fut préteur en 77 et gouverna la Gaule de 77 à 7578. Plus assurée en revanche est la chronologie de la mission extraordinaire de M. Antonius (Creticus), préteur en 74. Il quitta Rome pendant l’année de sa préture, le témoignage le plus probant étant un passage des Verrines attestant que M. Antonius passa un mois en Sicile au moment où C. Licinius Sacerdos gouvernait cette province, soit en 7479. Le caractère extraordinaire de son pouvoir, qui est incontestable80, ne doit pas faire oublier qu’on prit soin de lui confier cette mission pendant l’année de sa préture : c’est ce que Velleius Paterculus souligne lorsqu’il précise que cette décision avait été prise « in M. Antonii praetura81 ». Il faut pour terminer citer les généraux romains qui ont combattu Spartacus et dont un au moins – P. Varinius – semble avoir été un préteur parti en campagne dans le courant de sa magistrature82. Il faut concéder que dans un certain nombre de cas, rien n’est assuré pour ce qui est de la chronologie absolue de la profectio, mais il est étonnant qu’après avoir souligné l’importance quantitative du nombre de préteurs ayant rejoint leur province pendant l’année de leur préture, Brennan n’ait pas été amené à revoir le sens qu’il donne à la formule ex magistratu ou ex praetura.
L’exemple de C. Verres
24Il faut faire une place plus importante à C. Verres, le préteur de 74 qui partit gouverner la Sicile pendant trois ans. Brennan date le départ de Verrès pour sa province du début de l’année 73, mais il reconnaît que nous n’avons aucun détail sur la chronologie de sa profectio83. Nous savons que dans le contexte d’une sombre histoire liée à la question de l’entretien des édifices publics, Verrès afferma en qualité de préteur urbain la réparation du temple des Castors aux environs des ides de septembre 74 en fixant aux calendes de décembre de cette même année la date à laquelle ce contrat devait être rempli. Le témoignage que Cicéron fournit à ce sujet des précisions chronologiques complémentaires en indiquant que les travaux de restauration de ce temple ne furent achevés « ni aux calendes de décembre, ni aux nones, ni aux ides (74) » et que Verrès quitta Rome « par la suite » avant que l’ouvrage fût exécuté84. La séquence chronologique qui ressort de ce passage est claire : calendes de décembre, nones et ides de ce mois, départ de Verrès, qu’il faut ainsi faire remonter à coup sûr à une date postérieure au 13 décembre. Peut-on fixer une date plus précise à cette profectio ? Contrairement à ce que suppose Brennan, rien n’interdit de la dater des derniers jours de l’année 74 plutôt que des premiers jours de l’année 73. L’énumération des dates fixes du mois de décembre (calendes, nones et ides) laisse penser qu’il attendit le plus longtemps possible pour quitter Rome, mais le retard pris dans la restauration du temple était tel en décembre 74 qu’il fut contraint de quitter Rome avant la fin de l’année sans avoir eu le temps de constater que les travaux avaient été achevés.
25Un autre passage des Verrines atteste que Verrès ne partit pas aussitôt pour la Sicile, mais qu’il resta quelque temps aux portes de Rome, en dehors du pomerium, après avoir accompli les rituels traditionnels liés à son départ. Cicéron critique cette attitude en précisant non sans ironie qu’« une fois sorti de la Ville revêtu du paludamentum, après avoir formé les vœux solennels pour l’exercice de son imperium et pour l’intérêt de la Res publica, il (Verrès) avait coutume, la nuit, de se faire ramener en ville dans sa litière pour vaquer à son commerce chez une femme mariée à un seul, livrée à tous et pour outrager ainsi la religion, les auspices, toutes les prescriptions divines et humaines85 ». Il faut s’entendre sur les raisons de cette indignation. Cicéron reproche à Verrès de franchir régulièrement le pomerium pour voir sa maîtresse et de violer ainsi les règles institutionnelles les plus élémentaires. La raison est bien connue de tout spécialiste des institutions romaines : tout titulaire de l’imperium militiae ayant quitté Rome revêtu du paludamentum perd un tel pouvoir aussitôt qu’il franchit à son retour le pomerium. C’est pour cette raison que le passage insiste sur l’outrage commis à l’encontre des institutions religieuses : les auspices de départ de Verrès ont été viciés, faute rituelle et originelle que Cicéron souligne de manière à entacher l’ensemble du gouvernement provincial et des opérations militaires de Verrès.
26Si l’on fait abstraction de l’arrière-plan polémique d’un passage qui entend critiquer le comportement présumé d’un Verrès dépourvu du moindre scrupule religieux, Cicéron livre une information intéressante sur les modalités de son départ, dont il faut se demander si elle peut être étendue à d’autres gouverneurs : Verrès ne partit pas pour la Sicile aussitôt après avoir accompli toutes les obligations liées au rituel de la profectio et demeura quelque temps aux environs de Rome. La pratique qui consistait pour le gouverneur à ne pas prendre la direction de sa province aussitôt après avoir franchi le pomerium n’est en soi pas condamnée par Cicéron, qui en dénonce plutôt les dérives lorsque le gouverneur est aussi mal intentionné. Elle est en outre attestée par ailleurs et était parfaitement légale pourvu qu’à l’inverse de Verrès, le gouverneur revêtu du paludamentum restât en dehors de l’Vrbs sans franchir le pomerium dans l’autre sens pour une raison ou une autre. On disait alors qu’il se trouvait ad Vrbem ou ad portas86. C’est ce qui se produisit avec César à l’issue de son premier consulat de 59, puisqu’il est établi qu’il ne partit pour la Gaule qu’à la fin du mois de mars 58 plusieurs mois après avoir franchi le pomerium et accompli les formalités de la profectio87. Le fait d’ajourner son voyage de quelques mois présenta pour César l’avantage de lui permettre de continuer à peser sur la vie politique après l’expiration de son premier consulat. Cette pratique fut réactivée par Pompée à l’issue de son deuxième consulat de 5588, mais elle se transforma en un mode de gouvernement des provinces à distance à partir du moment où celui-ci choisit de rester à Rome en permanence de 54 à 53 jusqu’à son troisième consulat de 52 également pour des raisons politiques et de faire administrer les Hispanies par ses légats89. Loin d’être limité aux gouverneurs sur le départ, le séjour aux portes de Rome concernait également les gouverneurs de retour de leur province qui attendaient que le Sénat leur décernât le triomphe.
27La situation que vécut Verrès sans doute dès la fin du mois de décembre 73 et en tout cas au début de l’année 74 ne doit pas être considérée a priori comme exceptionnelle, d’autres gouverneurs de rang consulaire et de rang prétorien pouvant être amenés à rester aux portes de Rome sans que les sources jugent utile de le signaler. Cette pratique permettait à des préteurs qui franchissaient le pomerium et revêtaient le paludamentum avant le 1er janvier de l’année suivant leur préture de rester à Rome, pourvu que ce fût en dehors du pomerium, au-delà de cette date sans rompre le principe de la continuité entre magistrature et promagistrature, et à la condition qu’il n’y eût aucune urgence dans leurs provinces. Klaus Martin Girardet a récemment avancé l’hypothèse selon laquelle Q. Tullius Cicero – et les autres préteurs de l’année 62 amenés à gouverner une province – avait agi de cette manière en franchissant le pomerium paludatus avant le 29 décembre 62 et en attendant ad Urbem qu’une province lui fût assignée par tirage au sort90. Une telle solution fait toutefois problème pour une raison institutionnelle : à la différence de Verrès et des autres préteurs de 74, les préteurs de l’année 62 ne surent pas avant le mois de février 61 quelles provinces extra-urbaines ils avaient chacun à gouverner, ce qui signifie qu’ils auraient activé un imperium militiae sans provincia en franchissant le pomerium. Or l’exercice d’un imperium ne peut se concevoir que dans le cadre d’une prouincia clairement définie, l’idée d’un imperium nudum (i.e. dépourvu de prouincia) étant une invention de l’historiographie contemporaine. Ceci étant dit, le départ des préteurs de l’année 62 envoyés gouverner une province à partir de février-mars 61 peut être reconstitué de deux manières différentes selon que l’on accepte ou non l’hypothèse de Girardet : ou bien il faut imaginer qu’ils quittèrent l’Vrbs avant la fin du mois de décembre 62 et attendirent aux portes de Rome – extra pomerium – qu’une prouincia leur fût confiée avant d’activer un imperium jusqu’alors dormant et d’être ainsi en mesure de partir rejoindre leurs provinces respectives ; ou bien on retient qu’ils ne quittèrent pas l’Vrbs avant la fin du mois de décembre et furent ainsi envoyés dans leurs provinces en février-mars 61 en tant que priuati cum imperio, en vertu d’une lex de imperio votée après le sénatus-consulte d’attribution résultant de la sortitio et nécessaire pour légaliser un tel statut considéré comme extra ordinem. Il est difficile de trancher entre ces deux solutions dans l’état actuel de nos connaissances.
Le discours de Cicéron sur les provinces consulaires
28Daté du mois de juin 56, le discours de Cicéron sur les provinces consulaires constitue le dernier document à exploiter dans le cadre de notre enquête sur la chronologie de la profectio. Le chapitre 17 fournit en particulier des informations directes sur le mode d’attribution des provinces prétoriennes avant la lex Pompeia de 52. Le contexte général est bien connu. Ce discours de Cicéron s’inscrit dans un débat qui porta en 56 sur la définition des provinces consulaires pour l’année 55 et qui eut lieu avant les élections des consuls de l’année à venir, conformément à une disposition de la lex Sempronia toujours en vigueur. À cette occasion, plusieurs sententiae furent émises, quatre en tout, dont plusieurs avaient en commun de faire de l’une et (ou) l’autre des Gaules des provinces consulaires et posaient le problème de la continuité du gouvernement de Jules César. Cicéron s’opposa à ces motions en défendant un double objectif qui n’était pas contradictoire : d’une part faire de la Macédoine et de la Syrie des provinces consulaires de manière à remplacer les actuels gouverneurs de ces provinces, L. Calpurnius Piso Caesoninus et A. Gabinius, auxquels il n’avait pas pardonné le comportement pendant leur consulat en 58 au moment de sa condamnation à l’exil ; d’autre part ne pas déclarer les deux Gaules comme provinces consulaires afin de ne pas gêner Jules César. La question des provinces prétoriennes fut directement évoquée au chapitre 17 lorsque Cicéron fit référence à une sententia qui proposait les attributions suivantes : faire des Gaules les provinces consulaires pour ramener César à Rome ; faire de la Macédoine et de la Syrie des provinces prétoriennes pour faire revenir à Rome Pison et Gabinius. Cicéron expose avec clarté l’inconvénient de cette solution en rappelant qu’au contraire des provinces consulaires, la définition des provinces prétoriennes peut faire l’objet d’une intercession tribunicienne91. Il défendit l’idée qu’il fallait faire de la Macédoine et de la Syrie à la fois des provinces consulaires à attribuer aux consuls de l’année 55 et des provinces prétoriennes à attribuer à des préteurs de l’année 5692. Cette solution présentait pour Cicéron tous les avantages en garantissant la continuité du gouvernement de César ainsi que le retour à Rome de Pison et de Gabinius : aucun veto ne pouvait être tout d’abord opposé par les tribuns de la plèbe pour ce qui touche aux provinces consulaires, conformément à une disposition de la lex Sempronia, ce qui signifiait que Pison et Gabinius seraient remplacés par les consuls de 55 quoi qu’il arrive93 ; la définition de la Macédoine et de la Syrie en provinces prétoriennes laissait ensuite espérer un retour rapide de Pison et de Gabinius, puisque leurs successeurs étaient choisis parmi les préteurs de l’année 56 – à la condition qu’il n’y eût aucune intercession.
29L’argumentation technique assez serrée présentée par Cicéron est intéressante pour notre propos en ce qu’elle insiste à deux reprises sur la rapidité avec laquelle Pison et Gabinius seraient relevés de leurs gouvernements si leurs provinces devenaient prétoriennes. Il fait tout d’abord parler le sénateur qui avait émis l’idée de la transformation de la Macédoine et de la Syrie en provinces prétoriennes en lui faisant dire que cette solution présente l’avantage de remplacer Pison et Gabinius « aussitôt94 » ; il ajoute un peu plus loin qu’il votera lui-même leur transformation en provinces prétoriennes « pour que des préteurs puissent les gouverner pendant un an et qu’ainsi nous voyions au plus tôt ces gens que nous ne pouvons voir sans indignation95 ». L’emploi dans ces deux passages des adverbes temporels statim (« aussitôt ») et quam primum (« au plus tôt ») ne se comprend que si l’on admet que la profectio envisagée de deux préteurs de 56 a pu avoir lieu dans des délais pas trop éloignés de cette séance du Sénat du mois de juin, soit avant la fin de l’année 56 pendant qu’ils étaient toujours magistrats96. L’insistance avec laquelle Cicéron fait valoir que l’envoi de ces deux préteurs permettra une succession rapide à la tête de la Syrie et de la Macédoine constitue un argument qui renforce l’idée selon laquelle les gouverneurs de rang prétorien quittaient Rome durant l’année de leur préture.
30La proposition de Cicéron, qui reprenait en réalité la sententia de P. Servilius Isauricus, fut finalement adoptée. Il n’est pas question d’entrer ici dans le détail des péripéties qui touchèrent aux successions de Gabinius et de Pison à la tête de leurs provinces. On retiendra que tout ne se passa finalement pas comme l’avait souhaité Cicéron et recommandé le sénatusconsulte : Gabinius réussit avec l’appui de Pompée à être prorogé pour l’année 55 et resta en place à la tête de sa province jusqu’à l’arrivée de Crassus, le consul de 5597 ; quant à Pison, il fut remplacé comme prévu par un préteur de 56, Q. Ancharius98, mais son retour à Rome n’eut lieu que dans le courant de l’été 55. Nous savons qu’il tarda à rentrer à Rome99, mais nous ne sommes pas en mesure de savoir quand son successeur partit pour la Macédoine ou du moins quand eut lieu la profectio proprement dite qui conduisit Q. Ancharius à franchir le pomerium. Une date antérieure au 29 décembre n’est pas à exclure, ni non plus un franchissement du pomerium avant cette date et un séjour de quelques semaines ou de quelques mois ad portas. Mais nous ne pouvons pas aller au-delà de ces suppositions.
Bilan
31Les témoignages dont nous disposons sur la date de la profectio des gouverneurs de rang prétorien sont relativement peu nombreux et semblent à première vue s’équilibrer quand on s’intéresse à la question de la datation absolue de cette cérémonie : pour deux exemples sûrs de gouverneurs prétoriens partis après l’année de leur préture (César et Q. Cicéron en février/mars 61), nous connaissons deux autres exemples de préteurs partis en province pendant l’année de leur magistrature (Q. Caecilius Metellus Celer et Q. Pompeius Rufus en 63). La multitude des départs entre 81 et 52 ne laissa pour la très grande majorité aucune trace dans les sources dans la mesure où il s’agissait d’une cérémonie rituelle fréquente et concernant des magistrats qui n’étaient pas encore au sommet de leur carrière. Il ne faut pas déduire de ce silence qu’ils avaient pris l’habitude de partir après l’expiration de leur préture, comme on le lit chez Mommsen ou dans l’ouvrage récent de Brennan. La mise au point qui précède montre au contraire que la solution la plus vraisemblable et attestée directement ou indirectement à plusieurs reprises est de dater la profectio des gouverneurs de rang prétorien dans leurs provinces des derniers mois de l’année de leur préture. On pourra toujours rétorquer que les témoignages des sources qui vont dans ce sens sont peu nombreux et pas toujours assurés. Mais le fait est que nous n’avons trouvé qu’un seul exemple de gouverneurs prétoriens quittant Rome l’année suivant leur préture, celui des préteurs de 62 partis en février-mars 61, dont on a vu qu’il s’inscrivait dans un contexte politique troublé par l’affaire de la Bona Dea ; il est en outre possible, comme l’a proposé Girardet, qu’ils aient tout de même quitté l’Vrbs avant la fin du mois de décembre et soient restés plusieurs mois aux portes de Rome extra pomerium en attendant qu’une prouincia leur soit octroyée. Il n’est donc pas justifié d’ériger en règle institutionnelle ce qui a peut-être constitué l’exception à l’échelle de la pratique entre 81 et 52. Il est de meilleure méthode dans l’état de notre documentation de privilégier les cas, beaucoup plus nombreux, qui vont dans le sens d’une profectio antérieure au 29 décembre de l’année de la préture, d’autant qu’une telle datation répondait à des impératifs institutionnels de continuité entre magistrature et promagistrature. Ma conclusion est que la plupart des gouverneurs de province connus pour être partis ex praetura, à savoir Catilina, C. Octavius et P. Attius Varus, franchirent le pomerium revêtus du paludamentum avant le 29 décembre de l’année de leur magistrature. Quant aux autres gouverneurs de province en fonction entre 81 et 52 av. J.-C., rien n’empêche de penser qu’ils partirent pendant l’année d’exercice de leur préture, plutôt durant les derniers mois ou le dernier, si les circonstances politiques le permettaient.
Conclusions générales
32Comme l’a souligné Jérôme France, le risque quand on étudie l’administration de l’Empire romain est de vouloir « introduire une rationalité là où il y en avait peut-être une autre, et peut-être pas du tout100 ». Prisonnier de l’esprit même dans lequel a été conçu son Staatsrecht, Mommsen est tombé dans ce travers lorsqu’il a érigé en système de gouvernement provincial le principe selon lequel la réforme de Sylla contraignit chaque gouverneur à rejoindre sa province l’année après avoir exercé à Rome sa magistrature. Or il a été démontré que ce « System » reposait sur une prétendue loi syllanienne dont nous savons maintenant qu’elle est une pure invention de l’historiographie. Cette réalité aurait dû suffire pour disqualifier l’ensemble de la reconstruction mommsénienne. Il demeure que l’influence de Mommsen continue à se faire ressentir de nos jours, de façon parfois inconsciente et même chez les historiens qui nient l’existence d’une telle lex Cornelia. Il est remarquable que Brennan, dont la monographie sur la préture s’écarte à bien des égards des résultats de Mommsen, continue à parler à propos de l’administration provinciale romaine d’un « système syllanien » consistant à envoyer en province consuls et préteurs l’année suivant leur magistrature101. On ne manquera pas non plus de souligner en particulier que comme Mommsen, il reste sensible à l’équivalence qui semble s’être installée avec Sylla entre le nombre de magistrats supérieurs (2 consuls – 8 préteurs) et le chiffre de dix provinces fixes auquel on parvint en 81 ou peu avant 81102. Brennan a interprété un tel équilibre comme un signe de l’existence d’un roulement qui confiait le gouvernement des dix provinces aux dix anciens magistrats à peine sortis de charge, même s’il reconnaît dans le même temps le caractère purement théorique d’une règle à laquelle les Romains dérogeaient régulièrement103. Or il faut se garder de reconstruire un système de gouvernement provincial à partir d’une équivalence qui est loin d’être assurée (y eut-il réellement 10 provinces fixes en 81 ?), qui a pu être fortuite et qui fut de toute façon vite rendue caduque avec la provincialisation de la Bithynie-Pont, de la Crète, de la Cyrénaïque et de la Syrie. Parler pour le gouvernement provincial d’un système syllanien revient à plaquer sur l’Antiquité une vision anachronique de l’administration. Il apparaît au contraire que le fonctionnement du gouvernement provincial à l’époque républicaine résulte davantage de l’empirisme ou du pragmatisme des dirigeants romains que de l’application systématique de règles strictes dont on peut douter qu’elles furent mises en place par Sylla.
33Pour ce qui est plus spécifiquement de la date à laquelle les gouverneurs quittaient l’Vrbs, la seule logique qui prévalut en matière de gouvernement provincial de 81 à 52 fut celle qui avait toujours existé depuis l’institution de la prorogation et qui conduisait un gouverneur à quitter l’Vrbs si possible pendant l’année de sa magistrature. Il faut inverser la perspective choisie par Brennan et cesser de considérer comme Mommsen que le gouvernement de province était devenu avec Sylla un pouvoir autonome ou indépendant. Comme le rappelle Giovannini, « la promagistrature… n’est pas un principe fondamental de la république mais un compromis entre les principes institutionnels et les circonstances historiques104 ». Cela suppose qu’ait été maintenue entre la magistrature et la promagistrature une continuité qui imposait à un gouverneur de province de partir pendant qu’il était encore magistrat. La seule évolution notable attestée de façon assurée à la fin de la République tient dans la date assez tardive de leur départ : dans le courant du dernier trimestre de l’année de leur préture, voire à l’extrême fin de l’année dans le courant du mois de décembre. La raison est la même que celle qui a déjà été avancée pour les consuls : les préteurs étant davantage mobilisés par leurs fonctions urbaines, ils furent amenés à rester à Rome la plus grande partie de l’année pour remplir leurs obligations. L’évolution qui consista pour les préteurs – et les consuls – à partir tard dans l’année de leur magistrature et qui fut seulement renforcée par les réformes syllaniennes eut pour corollaire une plus grande visibilité des magistrats désignés dans la vie politique durant les derniers mois de l’année. Jules César fournit un exemple pour une fois représentatif des pratiques institutionnelles de son temps : élu durant l’été 63 pour devenir préteur en 62, il intervint en tant que préteur désigné durant la mémorable séance du Sénat des nones de décembre 63 en étant un des premiers sénateurs dont l’avis fut sollicité. Une telle priorité en matière de sententia à émettre au Sénat doit être replacée dans un contexte politique qui avait conduit la plupart des préteurs en fonction en 63 à quitter l’Vrbs avant le mois de décembre. Il faut donc imaginer une montée en puissance des magistrats désignés dans le dernier trimestre au fur et à mesure que les magistrats ordinaires rejoignaient leurs provinces extra-urbaines105.
34La continuité temporelle et auspiciale entre magistrature et gouvernement provincial constitua la pratique ordinaire jusqu’au vote de la lex Pompeia sur les provinces en 52 av. J.-C. C’est à partir de cette dernière date que les gouverneurs de province – prétoriens et consulaires – devinrent obligatoirement, mais momentanément en raison du contexte politique, des priuati cum imperio et que la promagistrature commença à s’émanciper de la magistrature. Telle était une des conséquences de la fixation d’un intervalle de cinq années entre l’exercice de la magistrature et le gouvernement d’une province. Cette nouvelle règle marqua une rupture forte qui ne s’imposa pas d’emblée – la lex Pompeia ne s’appliqua que peu de temps et fut vite remplacée par une lex Iulia de César –, mais qui préfigura les principes adoptés par Auguste à partir de sa réforme de janvier 27106. La date de la profectio des gouverneurs de province n’est pas qu’un simple problème de chronologie absolue. Elle est un critère institutionnel qui permet de différencier les pratiques républicaines des pratiques impériales ou proto-impériales selon que le gouverneur quitte l’Vrbs pendant l’année de sa magistrature ou après.
Annexe
Annexe. Titres et pouvoirs des gouverneurs de province de rang prétorien
Frédéric Hurlet et Frederik Vervaet
Un problème qui n’a pas encore été abordé est celui du titre porté par les gouverneurs de rang prétorien et de la nature de l’imperium dont ils étaient naturellement en possession. L’envoi à la tête de provinces de préteurs investis d’un imperium consulaire et qualifiés à ce titre de proconsuls est une pratique attestée par les sources à laquelle il est fait référence au moins depuis des travaux de Th. Mommsen ou de P. Willems, mais qui n’a jamais fait à notre connaissance l’objet de recherches approfondies. C’est cette lacune que nous voulons combler en coordonnant nos efforts pour consacrer aux proconsuls prétoriens deux études qui seront publiées prochainement : la première a réservé à cette question un traitement institutionnel étendu à l’ensemble de l’Empire (Fr. Vervaet), tandis que la seconde a pris le parti de s’intéresser aux gouverneurs de l’Afrique sous la République pour soumettre l’approche institutionnelle à l’épreuve des fastes de cette province (Fr. Hurlet). Cette annexe se donne pour objectif de résumer en français les principaux résultats d’études qui seront publiées en anglais et auxquelles nous réservons le détail de la démonstration ainsi que les références aux sources et à la bibliographie.
Reposant sur le précédent créé par la lex Metilia de 217 qui avait mis l’imperium du maître de cavalerie M. Minucius sur le même plan que celui du dictateur Q. Fabius Maximus, le principe de rehaussement de l’imperium fut très vite appliqué à deux préteurs envoyés en Espagne dans le contexte de la deuxième guerre punique à la suite des décès successifs de P. et Cn. Cornelius Scipio en 211 : C. Claudius Nero dès 211 et M. Iunius Silanus en 210. Il fut ensuite généralisé à partir de 197 avec la création des deux provinces fixes des Hispanies. Le meilleur témoignage du statut des gouverneurs des Hispanies est le passage de Plutarque dans lequel il est précisé que L. Aemilius Paullus partit en Hispanie Ultérieure en 191 accompagné de douze licteurs portant autant de faisceaux munis des haches (Vie de Paul Émile, 4, 1), chiffre attribué aux consuls et à ceux qui étaient investis d’un imperium consulaire en tant que proconsul. Il faut y voir la preuve que L. Aemilius Paullus portait le titre de proconsul. L’imperium consulaire était remis au gouverneur d’une province de rang prétorien au moment de son départ de Rome à un moment où il était encore préteur, conclusion qui vaut jusqu’à la dictature de Sylla et certainement aussi jusqu’à lex Pompeia de 52 si l’on accepte l’analyse développée supra. Les gouverneurs de rang prétorien sont qualifiés dans les sources littéraires soit de praetor, soit de pro consule. Cicéron utilise ces deux titres, mais on notera qu’il donne au terme praetor la signification générique de « gouverneur ». La formule pr(aetor) pro co(n)s(ule) est attestée par plusieurs inscriptions, mais son interprétation reste discutée : s’agit-il, comme le pensait Mommsen, d’un seul titre renvoyant à une seule fonction, qu’on appellerait la praetura pro consule ? Ou ne faut-il pas plutôt y voir une succession de deux titres et ajouter en conséquence une virgule entre pr(aetor) et pro co(n)s(ule), le praetor agissant pro co(n)s(ule) à partir du moment où sa préture avait expiré à la fin du mois de décembre de l’année de sa magistrature (c’est l’interprétation de Broughton, reprise par Linderski) ?
Quelle qu’en soit l’explication, le titre de pro consule fut étendu à coup sûr à d’autres promagistrats que les gouverneurs des Hispanies au fur et à mesure de la création de nouvelles provinces fixes à partir de 146. On a longtemps admis depuis Mommsen et Willems que la pratique d’investir les gouverneurs de rang prétorien d’un imperium consulaire et d’en faire automatiquement des proconsuls fut institutionnalisée par Sylla durant sa dictature et rendue ainsi obligatoire pour toutes les provinces. Là encore, conformément à une des conclusions de l’étude sur la profectio, il faut se garder de surévaluer la portée des réformes syllaniennes en matière de gouvernement provincial. Pour la question qui nous occupe ici, les sources montrent que si les provinces les plus importantes comme les Hispanies, l’Asie et l’Afrique eurent toujours des proconsuls à leur tête jusqu’à lex Pompeia de 52, les provinces plus petites et moins militarisées comme la Corse-Sardaigne ou la Sicile furent administrées à l’occasion par des (pro) préteurs tout court. C’est ce que laisse entendre Cicéron lorsqu’il qualifie l’imperium de Verrès de praetorium (2Verr., V, 40) – formule qu’il faut prendre ici au pied de la lettre, et non comme une référence au seul rang prétorien de ce gouverneur de Sicile – et précise que Verrès était escorté par six licteurs (2Verr., V, 142), chiffre qui contraste avec les douze licteurs octroyés à L. Aemilius Paullus en 191. Il demeure que l’octroi d’un imperium consulaire à un magistrat qui n’était que préteur devint une pratique courante à laquelle les Romains recoururent de plus en plus fréquemment au fur et à mesure des nombreuses créations de provinces au cours de la première moitié du Ier siècle av. J.-C.
La décision de rehausser un imperium prétorien en un imperium consulaire peut s’expliquer pour différentes raisons. Elle présentait tout d’abord l’avantage de donner à un préteur un pouvoir égal à celui d’un consul dans un contexte de forte concurrence aristocratique qui ne permettait pas à tous les préteurs de devenir consuls. Elle plaçait en outre un préteur en possession du plus haut pouvoir de commandement militaire et renforçait dès lors son auctoritas et sa dignitas au vu et au su de tous – soldats de Rome et leurs ennemis – dans la mesure où il apparaissait publiquement comme un général entouré de douze faisceaux tous munis des haches. On peut enfin y voir un moyen de permettre à un préteur investi d’un imperium consulaire de confier à un délégué un imperium inférieur sous la forme du praetorium imperium. Il faut se demander pour finir quel était l’organe habilité à rehausser un imperium. Il ressort d’un examen attentif des sources que si cette procédure requit au départ le vote par le peuple Romain d’une loi, elle se transforma très vite, dès la deuxième guerre punique, en une prérogative exclusive du Sénat.
La lex Pompeia de 52 mit fin à la pratique de rehaussement de l’imperium en donnant à tous les gouverneurs de rang prétorien le titre officiel de pro praetore, mais elle ne fut appliquée que peu de temps. Par la suite, la lex Iulia de 27 apparaît comme le résultat d’un compromis entre la lex Pompeia et la pratique préexistant à cette loi dans le sens où elle permit à tous les gouverneurs prétoriens des provinces publiques de porter le titre de proconsul et d’être investis d’un imperium (pro) consulaire sans leur donner pour autant douze faisceaux, désormais réservés aux proconsuls des provinces consulaires d’Afrique et d’Asie. La règle qui prévalut pendant tout le Haut-Empire était que les proconsuls prétoriens étaient escortés de six licteurs portant autant de faisceaux.
Notes de bas de page
1 Cicéron, Fam., XIII, 6, 1.
2 Sur les aspects rituels de la profectio à l’époque républicaine, cf. Rüpke J., Domi militiae : die religiöse Konstruktion des Krieges in Rom, Stuttgart, 1990, p. 125-143 et Marotta V., « Liturgia del potere. Documenti di nomina e ceremonie di investitura fra principato e tardo impero romano », Ostraka, no 8, 1999, p. 151-152 et 159-160.
3 Il est en tout cas très vraisemblable que les haches n’étaient pas ajoutées aux faisceaux avant le franchissement du pomerium ; il est en outre possible, mais non assuré, que le gouverneur ait revêtu le paludamentum sur le Capitole au moment des divers rituels célébrés sur cette colline au moment de son départ. Nous avons des indications plus précises sur ces questions techniques pour le Haut-Empire. On sait par Dion Cassius qu’à cette époque, le proconsul revêtait « les insignes de son pouvoir aussitôt après avoir franchi le pomerium » (LIII, 13, 4), ce qui signifie qu’il activait son imperium et se faisait accompagner par les licteurs portant les faisceaux au moment ou après le franchissement de cette limite sacrée ; il est également possible qu’il ait pris les auspices de départ au moment où il franchissait cette limite sacrée (cf. Hurlet Fr., Le proconsul et le prince d’Auguste à Dioclétien, Bordeaux, 2006, p. 174). On connaît également l’existence d’un mutatorium Caesaris, qui était un lieu faisant partie des domaines impériaux dans lequel l’empereur changeait de tenue pour revêtir le paludamentum (cf. Pisani Sartorio G., LTUR, III, 1996, p. 335 et Gros P., « La ville comme symbole. Le modèle central et ses limites », dans Inglebert H. (dir.), Histoire de la civilisation romaine, Paris, 2005, p. 160-161). Mais il y a de nombreuses différences entre l’époque impériale et l’époque républicaine pour ce qui touche au rituel de la profectio, les principales étant que le proconsul d’époque impériale semble ne plus avoir pris les auspices sur le Capitole dans la mesure où il ne pouvait en aucun cas être magistrat au moment de son départ ; il a en tout cas fini par ne plus porter de paludamentum (Dion Cassius, LIII, 13, 3), à une date précise qui reste difficile à déterminer.
4 Sur l’usage du substantif profectio pour un départ de Rome d’un magistrat ou d’un officiel romain pour sa province à l’époque républicaine, on renverra aux attestations dans l’œuvre de Cicéron : Att., V, 11, 5 et XII, 17 ; Lig., 4 ; Sull., 70 ; Brut., 227.
5 Le témoignage de Varron, LL, VII, 37 est significatif : mutarunt uestem et signa incinuerunt, paludatus dicitur proficisci. Cf. les nombreux passages de Tite-Live : XXXI, 14, 1 : tum P. Sulpicius secundum uota in Capitolio nuncupata paludatis lictoribus profectus ab Vrbe Brundisium uenit ; XLI, 10, 7 : cum… lictoribus paludatis profectus ab Vrbe esset ; XLII, 27, 8 : ad omnia praeparata Cn. Sicinius praetor, paludatus ex Vrbe profectus… ; XLII, 49, 1 : P. Licinius uotis in Capitolio nuncupatis paludatus ab Vrbe profectus est ; XLV, 39, 11 : consul proficiscens praetorue paludatis lictoribus in prouinciam et ad bellum uota in Capitolio nuncupat. Cf. aussi le témoignage de Cicéron : Fam., VIII, 10, 2 : ut paludati exeant ; Fam., XV, 17, 3 ; Fam., XV, 19, 2 ; Att., IV, 13, 2 ; Pis., 31 : an cum proficiscebamini paludati in prouincias uel emptas uel ereptas, consules uos quisquam putauit ? ; Sest., 71 ; 2Verr., V, 34 ; Prou., 37 ; Phil., 5, 24. Cf. aussi César, BC, I, 6, 6 ; Festus p. 253 ; Dion Cassius, XXXIX, 39, 6.
6 Sur l’emploi de paludatus comme « terme technique du langage constitutionnel romain », cf. Giovannini A., Consulare imperium, Bâle, 1983, p. 16-19. Cette nouvelle tenue vestimentaire n’était pas portée chaque fois qu’un magistrat franchissait le pomerium, par exemple pour aller présider les comices ou les féries latines, mais uniquement lorsqu’avait été confié au paludatus un gouvernement provincial qui présupposait la possession et l’usage de l’imperium militiae pour une longue durée.
7 La profectio à l’époque républicaine et ses significations sont des domaines qui ont été peu étudiés, au contraire de l’aduentus, et en particulier du retour triomphal. On lira les quelques pages consacrées à la question du départ du gouverneur par Sumi G.S., Ceremony and Power. Performing Politics in Rome between Republic and Empire, Ann Arbor, 2005, p. 1-15 et 35-41.
8 Sur l’idée que la vie politique reposait à Rome autant sur un contenu que sur les formes d’expression du pouvoir, cf. Hölkeskamp K.-J., Rekonstruktionen einer Republik. Die politische Kultur des antiken Roms und die Forschung der letzten Jahrzente, Munich, 2004, p. 57-72 qui parle d’une « Inhaltsseite » et d’une « Ausdruckseite » (traduction française de ce livre parue en 2008 aux Éditions Maison).
9 Cicéron, Mur., 53 : praetura… ornata in prouincia ; cf. aussi Mur., 42 : L. Murenae prouincia multas bonas gratias cum optima existimatione attulit.
10 Cf. Cicéron, Pis., 31 qui indique à des fins polémiques que cette condition ne fut pas remplie au moment du départ pour sa province de Macédoine de son ennemi personnel, le consul de 58, Pison.
11 Cicéron, Red., 23.
12 Cicéron, Fam., XIII, 6, 1 : credo te memoria tenere me et coram P. Cuspio tecum locutum esse. Sur ce rituel de la recommandation, cf. Deniaux É., Clientèles et pouvoir à l’époque de Cicéron, Rome, 1993, p. 45 et 63 notamment.
13 À raison de deux consuls et de huit préteurs par an, le chiffre maximal de départ de gouverneurs de rang prétorien est de 300 pour les trente années qui s’écoulent entre l’augmentation par Sylla du nombre de préteurs et la mise en pratique de la lex Pompeia. Mais il faut tenir compte de la pratique de la prorogation et du fait que certains consuls et préteurs refusèrent de partir en province pendant ces trois décennies (le meilleur exemple étant Cicéron : Mur., 42 pour le refus par Cicéron d’un gouvernement de rang prétorien en 66). Les listes compilées par Broughton font état entre 81 et 52 d’une centaine de promagistrats différents parmi les prétoriens et les consulaires, pour lesquels une cérémonie a dû être nécessairement organisée au moment de chaque départ (97 à ma connaissance, chiffre d’autant plus important qu’il ne s’agit que des promagistrats attestés par les sources). On remarquera en particulier que sur les 10 personnes qui furent préteurs ou consuls en 57, huit exercèrent un gouvernement provincial, ce qui signifie qu’ils quittèrent solennellement Rome à un moment ou un autre – selon moi avant la fin de l’année 57, j’y reviendrai – pour rejoindre chacun la province qu’ils avaient tirée au sort.
14 Giovannini A., Consulare imperium, op. cit., p. 83-90.
15 Mommsen Th., « Die Rechtsfrage zwischen Caesar und dem Senat », dans Gesammelte Schriften, IV, Berlin 1906, p. 118-124 [Étude publiée à l’origine en 1857] ; Id., Le droit public romain, 3e éd., Berlin, 1887, I, p. 54-55 ; III, p. 108 et 245-251 (ouvrage cité d’après la pagination de sa traduction française par P. F. Girard, Paris, 1892-1896 [1984]).
16 Cf. sur ce point la démonstration de Giovannini A., Consulare imperium, op. cit, p. 83-90 ; cf. aussi dans ce sens Girardet Kl. M., « Imperia und provinciae des Pompeius », Chiron, no 31, 2001, p. 155-157 [ = id., Rom auf dem Weg von der Republik zum Prinzipat, Bonn, 2007, p. 3-6] où est rassemblée la bibliographie sur cette question. Tout récemment, Pina Polo Fr., The Consul at Rome : The Civil Tasks of the Consuls in the Roman Republic, Cambridge University Press, à paraître en 2010, s’est livré à la même enquête et est arrivé à un résultat identique.
17 Suétone, Cæs., 23, 1 et Ner., 2, 2 ; cf. aussi de manière allusive Cicéron, Sest., 40 ; Cicéron, Vat., 35. Je ne suis moi-même pas absolument sûr qu’il faille dater la profectio de César du tout début de l’année 58 plutôt que de l’extrême fin de l’année 59 et je me propose de revenir sur cette question dans une autre étude.
18 Sur cette question, cf. un bilan dans Hurlet Fr., « Le passage de la République à l’Empire : questions anciennes, nouvelles réponses. À propos du livre de Girardet Kl. M., Rom auf dem Weg von der Republik zum Principat », REA, no 110, 2008, p. 222-223 et 231-232.
19 Giovannini A., Consulare imperium, op. cit., p. 67. Il cite à cet endroit Mommsen Th., Droit Public Romain, III, p. 267.
20 Giovannini A., Consulare imperium, op. cit., p. 68 ; cf. aussi p. 95.
21 Cf. Brennan T.C., The Praetorship in the Roman Republic, Oxford, 2000, notamment p. 257, n. 153 où il réfute à juste titre selon moi l’analyse de Giovannini sur l’idée que les provinces prétoriennes étaient « des provinces administratives créées principalement pour la juridiction ». Cf. le compte rendu de Rowe Gr., BMCR, 2001.08.21 (http://ccat.sas.upenn.edu/bmcr/2001/2001-08-21.html) qui reproche précisément à l’ouvrage de Brennan de considérer les préteurs trop exclusivement comme des commandants et de ne pas accorder assez d’attention à leurs fonctions judiciaires.
22 Brennan T.C., Praetorship, op. cit., p. 251, n. 58; p. 256, n. 145; p. 257, n. 153.
23 Brennan T.C., Praetorship, op. cit., p. 396: « there is no trace of a lex Cornelia on this matter [i.e. the institutionalization of the promagistracy], and (as H. F. Pelham showed long ago) it is unlikely that there was one ».
24 Cf. Brennan T.C., Praetorship, op. cit., p. 394-396 qui précise avec le sous-titre « Institutionalization of Ex Magistratu Commands » que « a major Sullan development was that it was henceforth understood that both consuls and all praetors should normally remain in Rome for the year of their actual magistracy » et ajoute dans le même sens un peu plus loin que « the following year of office, these magistrates were to govern a territorial provincia »; cf. aussi dans le même sens p. 498, 588-590 et 630. Conclure ainsi à l’existence d’un tel principe apparaît d’autant plus incongru que Brennan enregistre lui-même à plusieurs reprises un nombre non négligeable d’exemples pour lesquels les préteurs pouvaient partir pendant l’année de leur magistrature (p. 591, 634-635 ; cf. aussi à ce sujet l’analyse développée infra). Il justifie ces écarts en expliquant que le système mis en place par Sylla n’était pas « overly rigid in this requirement » (p. 557). Cf. récemment, dans le même sens que Brennan, Richardson J., The Language of Empire. Rome and the Idea of Empire from the Third Century BC to the Second Century AD, Cambridge, 2008, p. 107-108.
25 Cf. Brennan T.C., Praetorship, op. cit., p. 396 qui est d’avis que « here Sulla merely had to validate the emerging mos maiorum through indirect means, namely, by increasing the number of praetors so that there were just as many holders of imperium as territorial provinciae ». Parmi les ouvrages récents qui continuent en dépit de la démonstration de Giovannini à attribuer à Sylla une réforme qui aurait conduit les préteurs – comme les consuls – à partir l’année suivant l’exercice de leur magistrature et contribué à rendre la promagistrature indépendante de la magistrature, on citera Kunkel W. et Wittmann R., Staatsordnung und Staatspraxis der römischen Republik, 2. Die Magistratur, Munich, 1995, p. 659, n. 381 et Schulz R., Herrschaft und Regierung. Roms Regiment in den Provinzen in der Zeit der Republik, Paderborn, 1997, p. 48-49.
26 C’est le sens qui ressort des nombreux passages où Brennan parle des commandements ou des provinces exercés ex magistratu ou ex praetura – qu’il différencie des commandements exercés in magistratu.
27 Le lien entre la création de nouvelles cours de justice par Sylla et l’augmentation du nombre de préteur est clairement établi par Pomponius, Digeste, I, 2, 2, 32 : deinde Cornelius Sulla quaestiones publicas constituit, ueluti de falso, de parricidio, de sicariis, et praetores quattuor adiecit. Cf. dans ce sens Giovannini A., Consulare imperium, op. cit., p. 94.
28 Il faut d’emblée renvoyer aux travaux de Magdelain A., Recherches sur l’« imperium », la loi curiate et les auspices d’investiture, Paris, 1968, p. 51-57 et Id., « Le pomerium archaïque et le mundus », REL, no 54, 1976-77, p. 97-99 [ = Id., Ius, imperium, auctoritas. Études de droit romain, Rome, 1990, p. 181-182], auxquels il y a peu à ajouter sur ce point. Le savant français a précisé à juste titre que le promagistrat continuait de combattre sous les auspices militaires qu’il détenait lorsqu’il était magistrat. On aura compris que ce principe n’est valable que si la profectio avait lieu au moment où le gouverneur de province était encore magistrat ; dans le cas contraire, le promagistrat était dans la même situation qu’un priuatus cum imperio. Cf. aussi dans ce sens Giovannini A., Consulare imperium, op. cit., p. 42, qui précise qu’« un chef d’armée qui a entrepris une guerre en qualité de consul garde exactement les mêmes compétences dans sa province s’il la poursuit en qualité de proconsul » et qui ajoute p. 43, n. 53 que « du fait que les auspicia valaient pour la totalité de l’action entreprise, un chef militaire continuait à mener les opérations suo auspicio même s’il arrivait au terme de sa magistrature et donc perdait les auspicia en cours de campagne ».
29 Varron, Apud Nonium Marcellum, 92 Müller (Nonii Marcelli compendiosa doctrina, Leipzig, 1888) = 131 Lindsay (Nonius Marcellus. De compendiosa doctrina, Leipzig, 1903).
30 Cf. Cicéron, Div., II, 76 et Nat., II, 9. Sur ces passages, cf. Hurlet Fr., « Les auspices d’Octavien/Auguste », CCG, no 12, 2001, p. 155-180 ; Id., Le proconsul et le prince, op. cit., p. 161-177 ; Tarpin M., « M. Licinius Crassus imperator, et les dépouilles opimes de la République », RPh, no 77, 2003, p. 275-311 ; Dalla Rosa A., « Augustus consul and the auspicia of the proconsuls », à paraître (je remercie A. Dalla Rosa de m’avoir fait parvenir une version de son article avant sa publication).
31 Un argument en faveur de cette thèse est que dans le passage du De natura deorum, Cicéron rappelle que « nos généraux commencent à faire la guerre quand ils ont déposé les auspices », la formule auspicia ponere ne pouvant faire référence qu’à l’expiration du droit de prendre les auspices résultant de l’expiration de la magistrature à la fin de l’année : il faut donc comprendre que les généraux visés par Cicéron quittaient Rome après la fin du mois de décembre de l’année de leur magistrature et qu’ils étaient donc des priuati cum imperio.
32 Dion Cassius, XXXVI, 33, 1-3.
33 Cf. Dion Cassius, XXXVI, 33, 1 où le pouvoir de Pompée est défini comme une καινή τις ἀρϰή ; 34,3 où il est question d’une καινὴ ἡυευοία ; 33,3 avec l’emploi de la périphrase ξένη δέ τις καὶ μηπώποτε γεγενημένη ήγεμονία
34 Cicéron, Phil., 11, 17-20.
35 Cicéron, Man., 60.
36 Giovannini A., Consulare imperium, op. cit., p. 63.
37 Asconius, In toga candida, 85 et 91 Stangl.
38 Suétone, Aug., 3, 1 : ex praetura Macedoniam sortitus… ; cf. aussi Velleius Paterculus, II, 59, 2 : ex eo honore ( = praetura) sortitus Macedoniam…
39 Suétone, Cæs., 18, 1 : ex praetura Ulteriorem sortitus Hispaniam…
40 César, BC, I, 22, 4 : quod prouinciam Hispaniam ex praetura habuerat ; I, 31, 2 :… quod paucis ante annis ex praetura eam prouinciam obtinuerat.
41 César, BC, I, 85, 9 : in se iura magistratuum commutari, ne ex praetura et consulatu, ut semper, sed per paucos probati et electi in prouincias mittantur.
42 Cicéron, Mur., 15 : pater, cum amplissime atque honestissime ex praetura triumphasset…
43 Cicéron, Leg., I, 53.
44 Cicéron, Att., XV, 11, 1.
45 L’idée que la formule ex praetura était un synonyme de post praeturam a déjà été exprimée par Mommsen Th., DPR, op. cit., III, p. 109, n. 3 et reprise par de nombreux auteurs, dont Brennan T.C., Praetorship, op. cit., passim après et en dépit de la démonstration de Giovannini.
46 Giovannini A., Consulare imperium, op. cit., p. 79-81 ; cf. aussi dans ce sens, Girardet Kl. M., « Die lex Iulia de prouinciis (46 v. Chr.). Vorgeschichte – Inhalt – Wirkungen », RhM, no 130, 1987, p. 293, n. 8 [ = Id., Rom auf dem Weg von der Republik zum Prinzipat, Bonn, 2007, p. 161, n. 8], où l’on trouvera une liste – non exhaustive comme le précise Girardet – de préteurs ayant quitté Rome avant l’expiration de leur imperium de magistrat.
47 Cicéron précise dans une lettre datée du 13 février que le Sénat avait décidé de ne pas encore s’occuper du partage des provinces (Att., I, 14, 5) ; il nous apprend dans une autre lettre datée du 15 mars que le tirage au sort des provinces prétoriennes a donné l’Asie à son frère (Att., I, 15, 1), ce qui signifie qu’il a eu lieu entre les ides de février et les ides de mars.
48 Cicéron, Att., I, 13, 5.
49 Cicéron, Att., I, 14, 5 : senatus et de prouinciis praetorum et de legationibus et de ceteris rebus decernebat ut ante quam rogatio lata esset ne quid ageretur.
50 Cf. Broughton T.R.S., MRR, II, op. cit., p. 176.
51 Cf. Broughton T.R.S., MRR, II, op. cit., p. 166.
52 Q. Caecilius Metellus Celer se trouvait en tout cas dans sa province au moins au début du mois de décembre 63. Il est possible qu’il soit arrivé en Gaule Cisalpine dans le courant de l’été ou au début de l’automne, entre juin-juillet et mi-octobre 63. Sur les questions de chronologie de la sortitio et de la profectio, cf. Allen W. Jr., « Cicero’s Provincial Governorship in 63 B.C. », TAPhA, no 83, 1952, p. 233-241 (sortitio des provinces prétoriennes en juin 63, mais intervention de Q. Caecilius Metellus Celer en Italie à la fin de l’année 63 en tant que préteur urbain et non en tant que proconsul) ; Badian E., « Notes on Provincia Gallia in the Late Republic », Chevallier R. (éd.), Mélanges Piganiol, II, Paris, 1966, p. 914-916 (tirage au sort tard dans le courant de l’année 63 et présence de Celer en Cisalpine au plus tard en décembre 63) et Spielvogel J., « Das Prokonsulat des Q. Caecilius Metellus Celer (praetor 63 v. Chr.) », Hermes, no 121, 1993, p. 244, n. 16 (sortitio des provinces prétoriennes en juin 63 et profectio de Celer au plus tard en octobre).
53 Mommsen Th., DPR, op. cit., III, p. 240, n. 1 ; Willems P., Le Sénat de la République romaine, II, Louvain, 1883, p. 575, n. 3.
54 Cicéron, Fam., V, 2, 3-4 : nihil dico de sortitione uestra ; tantum te suspicari uolo, nihil in ea re per collegam meum me insciente esse factum. Recordare cetera, quam cito senatum illo die facta sortitione coegerim, quam multa de te uerba fecerim, cum tu ipse mihi dixisti orationem meam non solum in te honorificam sed etiam in collegas tuos contumeliosam fuisse. Iam illud senatus consultum quod eo die factum est ea praescriptione est…
55 Suétone, Aug., 3, 1 : ex praetura Macedoniam sortitus fugitiuos, residuam Spartaci et Catilinae manum, Thurinum agrum tenentis in itinere deleuit, negotio sibi in senatu extra ordinem dato ; 7, 1 :… quod regione Thurina recens eo nato pater Octauius aduersus fugitiuos rem prospere gesserat.
56 Dion Cassius, XXXVII, 41, 1 ; Orose, VI, 6, 7.
57 Cicéron, 2Verr., V, 39-42.
58 Cf. a contrario et par analogie le cas de Verrès avec le refus net des sénateurs de lui confier la mission d’éliminer les restes de l’armée de Spartacus réfugiés à Tempsa (Cicéron, 2Verr., V, 41).
59 Cf. dans ce sens Giovannini A., Consulare imperium, op. cit., p. 92-93, n. 46 pour qui « il n’y a pas de raison de penser […] que Metellus ait reçu la Gaule extra ordinem » et qui ajoute que « le terme sortitio utilisé par Cicéron désigne normalement la répartition des provinces par le Sénat » ; cf. aussi Stewart R., « Catiline and the Crisis of 63-60 B.C. : The Italian Perspective », Latomus, no 54, 1995, p. 62, qui va dans le bon sens en parlant très précisément de « special assignments in Italy in addition to their regular appointments » à propos des deux préteurs de 63, Q. Pompeius Rufus et Q. Caecilius Metellus Celer, envoyés en Italie dans le contexte de troubles liés à la conjuration de Catilina et qui précise que « that was unusual ». Tout y est bien dit : la mission en Italie de Q. Pompeius Rufus et Q. Caecilius Metellus Celer est « special », tandis que leur nomination à la tête de leurs provinces est « regular ».
60 Giovannini A., Consulare imperium, op. cit., p. 92-93.
61 Sur l’existence d’une double sortitio, cf. Schulz R., Herrschaft, op. cit., p. 49 et Vervaet Fr., « The Precise Scope of the ‘lex Sempronia de iure senatus prouinciarum consularium decernendi’ of 123 BCE », Athenaeum, no 94, 2006, p. 636-637 et n. 45.
62 Cette reconstitution de la procédure d’attribution des provinces prétoriennes urbaines et extraurbaines peut s’appuyer sur un autre exemple, celui de T. Vettius Sabinus, le préteur en 59 en charge de la quaestio jugeant les affaires de concussions (de repetundis) et amené pour cette raison à présider le procès de L. Valerius Flaccus daté du dernier trimestre de l’année 59. Dans le discours qu’il prononça en faveur de l’accusé, Cicéron fait savoir par une remarque allusive que l’on connaît la province que T. Vettius Sabinus sera amené à gouverner ex praetura et qui est l’Afrique (Cicéron, Flac., 85). Cette indication laisse ouvertes deux possibilités théoriques sur la chronologie de la sortitio : ou bien T. Vettius Sabinus tira au sort en tant que préteur ses deux provinces – urbaines et extra-urbaines – au tout début de l’année 59, ce qui serait étonnant dans la mesure où on a du mal à imaginer une même sortitio pour deux types différents de province ; ou bien il y eut deux tirages au sort, un premier au début de l’année pour les provinces urbaines et un second à la fin de l’année avant le procès de Flaccus pour les provinces extra-urbaines. La comparaison avec ce que nous savons de l’exemple de Q. Caecilius Metellus Celer en 63 laisse penser qu’il faut privilégier la seconde solution. Cf. aussi dans ce sens la lettre de Cicéron à son frère Quintus, datée de novembre 59, dans laquelle il écrit que son frère alors proconsul d’Asie a pour le gouvernement de sa province « un successeur », en l’occurrence T. Ampius Balbus, qu’il qualifie « d’homme très doux » (I, 2, 8 : habes successorem perblandum). Cette indication signifie que le tirage au sort s’était déjà déroulé à Rome au moment où cette lettre fut rédigée et qu’il avait eu lieu il y a peu de temps.
63 Cicéron, Cæl., 73. Cf. Broughton T.R.S., MRR, II, op. cit. p. 176, 181, 185 et 191.
64 Salluste, Cat., 30, 5.
65 Le seul témoignage du proconsulat de Q. Pompeius Rufus est Cicéron, Cæl., 73, qui se borne à rappeler que M. Caelius partit en Afrique « comme contubernalis [ = attaché à la personne d’un magistrat] du proconsul Q. Pompeius, un homme irréprochable et scrupuleux dans l’accomplissement de son devoir ».
66 Cicéron, Cat., 3, 5-14 ; Flac., 1, 5, 94-95 et 102 ; Pis., 54 ; Att., II, 25, 1 ; Salluste, Cat., 45 et 46, 6.
67 Sur le gouvernement provincial de Pomptinus et de Flaccus, cf. Broughton T.R.S., MRR, II, op. cit., p. 176-177, 181, 185, 191, 198, 204, 211, 219 et 225.
68 Comme l’a déjà souligné Badian E., « Notes on Provincia Gallia », op. cit., p. 917, n. 1.
69 Cf. Suétone, Cæs., 2 qui précise que César servit pour la première fois en Asie comme contubernalis de M. Minucius Thermus qualifié de praetor. Celui-ci fut un préteur élu à coup sûr pendant la dictature de Sylla. On sait qu’il prit la direction du siège de Rhodes (Suétone, Cæs., 2), à la suite de Lucullus chargé par intérim en tant que pro quaestore de cette opération par L. Licinius Murena au moment où ce dernier rentra à Rome pour y triompher ; sur la chronologie, cf. Brennan T.C., Praetorship, op. cit., p. 556-557.
70 C. Claudius Nero était gouverneur de l’Asie lorsqu’une délégation de Samos vint se plaindre auprès de lui du pillage par Verrès du temple d’Hera de cette cité (Cicéron, 2Verr., I, 50). Cet événement eut lieu au moment où Verrès traversait l’Asie pour rejoindre la province de Cilicie où il devait exercer les fonctions de légat du gouverneur Cn. Cornelius Dolabella, actif à Rome comme préteur en 81, ce qui signifie que le voyage de Verrès pour la Cilicie date de la fin de l’année 81 ou plus probablement du début de l’année 80.
71 Sur le gouvernement de l’Asie de C. Claudius Nero, outre la note précédente, cf. IGRRP, IV, 196 ( = OGIS, 443) et le témoignage de Cicéron sur l’affaire du jugement de Philodamos de Lampsaque (2Verr., I, 71-76 et 83 ; Ps. Asconius 236, 242-243 Stangl ; Schol. Gron. 345 Stangl).
72 Broughton, T.R.S., MRR, II, op. cit., II, p. 76 le range parmi les préteurs de 81, mais avec un point d’interrogation ; Brennan T.C., Praetorship, op. cit., p. 389, 557, 717, 750, 892 n. 87, 893 n. 93, 930 n. 498 et 947 le range parmi les préteurs de 81 également avec un point d’interrogation et sans exclure qu’il ait exercé la préture en 80.
73 Cf. Plutarque, Sert., 7 ; sur la documentation numismatique qui nous fait savoir que C. Annius avait deux questeurs, sans doute un par province, cf. Hinard Fr., Sullana varia. Aux sources de la première guerre civile romaine, Paris, 2008, p. 12-13.
74 Brennan T.C., Praetorship, op. cit., p. 389.
75 Plutarque, Sert., 12, 3-4 et 8; Salluste, Hist., I, 55, 22 M; I, 108 M; I, 111 M; Orose, V, 21, 3; Tite-Live, Per. liu., 90; Frontin, Strat., IV, 5, 19; Florus, II, 10, 7; Eutrope, VI, 1, 2.
76 Brennan T.C., Praetorship, op. cit., p. 395, 505-506, 589, 709 et 751.
77 Parmi ceux qui furent à coup sûr préteur en 81, nous connaissons Cn. Cornelius Dolabella, M. Minucius Thermus, C. Annius et Sex. Nonius Sufenas. Il reste donc quatre autres préteurs à identifier. Parmi ceux dont on a conjecturé l’exercice d’une préture en 81, Broughton T.R.S., MRR, II, op. cit., p. 76 a proposé avec des points d’interrogation les six personnes suivantes : Mam. Aemilius Lepidus Livianus, M. Aemilius Lepidus, Q. Lutatius Catulus, C. Papirius Carbo, C. Claudius Nero, L. Fufidius (il a fait de Cn. Domitius Calvinus un préteur de l’année 80). Il y a donc trop de candidats pour les quatre postes restants.
78 Brennan T.C., Praetorship, op. cit., p. 510-511.
79 Cicéron, 2Verr., III, 215-216.
80 Cf. Hurlet Fr., Les collègues du prince sous Auguste et Tibère, Rome, 1997, p. 239 et 280.
81 Velleius Paterculus, II, 31, 3.
82 Dossier traité par Brennan T.C., Praetorship, op. cit., p. 431-432.
83 Brennan T.C., Praetorship, op. cit., p. 486.
84 Cicéron, 2Verr., I, 149 : nemo Habonius molestus est, neque Kalendis decembribus, neque nonis, neque idibus ; denique aliquanto ante in prouinciam iste proficiscitur quam opus effectum est.
85 Cicéron, 2Verr., V, 34 : cum paludatus exisset uotaque pro imperio suo communique re publica nuncupasset, noctu stupri causa lectica in Vrbem introferri solitus est ad mulierem nuptam uni, propositam omnibus contra fas, contra auspicia, contra monis diuinas atque humanas religiones.
86 Sur l’emploi de la formule ad Vrbem, cf. e.g. Cicéron, 2 Verr., II, 21. Sur l’emploi de ad portas, cf. CIL I2, 1529 ; Cicéron, Pis., 55 ; 74 et 97 ; Phil., 1, 11.
87 Cicéron, Sest., 41 et 52 ; Red., 32. Sur la présence de César ad portas de janvier à mars 58 et ses activités pendant cette période, cf. Gelzer M., Caesar, der Politiker und Staatsmann, Wiesbaden, 19606, p. 87-92.
88 Appien, BC, II, 65 ; Dion Cassius, XXXIX, 39, 4 ; Plutarque, Pomp., 53, 1.
89 Cf. Hurlet Fr., « Auguste et Pompée », Athenaeum, no 94, 2006, p. 474-475.
90 Girardet Kl. M., « Imperia und provinciae des Pompeius », Chiron, no 31, 2001, p. 182, n. 115 [ = Id., Rom auf dem Weg von der Republik zum Prinzipat, p. 35, n. 115].
91 Cicéron, Prou. cons., 17 : « Faciam, inquit, illas praetorias, ut Pisoni et Gabinio succedatur statim. » Si hic sinat ! Tum enim tribunus intercedere poterit, nunc non potest.
92 Cicéron, Prou. cons., 17 : Itaque ego idem, qui nunc consulibus iis, qui designati erunt, Syriam Macedoniamque decerno, decernam easdem praetorias, ut et praetores annuas prouincias habeant, et eos quam primum uideamus, quos animo aequo uidere non possumus.
93 Cicéron, Prou. cons., 17 : Sed mihi credite, numquam succedetur illis, nisi cum ea lege referetur, qua intercedi de prouinciis non licebit.
94 Cicéron, Prou. cons., 17 : Faciam, inquit, illas praetorias, ut Pisoni et Gabinio succedatur statim.
95 Cicéron, Prou. cons., 17 : decernam easdem praetorias, ut et praetores annuas prouincias habeant, et eos quam primum uideamus, quos animo aequo uidere non possumus.
96 Cf. dans ce sens Vervaet Fr., « The Precise Scope of the ‘lex Sempronia de iure senatus prouinciarum consularium decernendi’ of 123 BCE », Athenaeum, no 94, 2006, p. 636.
97 Cicéron, Pis., 88.
98 Sur Q. Ancharius comme successeur de Pison, cf. Cicéron, Fam., XIII, 40 et Pis., 89.
99 Le principal argument en faveur d’une datation tardive du retour de Pison à Rome est que le discours de Cicéron contre Pison (In Pisonem) fut prononcé d’après Asconius « peu de jours avant que Cn. Pompée ne donnât les jeux qui marquèrent l’inauguration du théâtre qu’il avait fait lui-même construire », soit vers la fin du mois de septembre (sur la date de l’inauguration du théâtre de Pompée – 29 septembre 55 ? –, cf. Coarelli F., Revixit ars. Arte e ideologia a Roma. Dai modelli ellenistici alla tradizione repubblicana, Rome, 1996, p. 360, n. 2). Or il est évident que ce discours est de peu postérieur au retour de Pison à Rome. On rappellera qu’en vertu de la lex Clodia de prouinciis consularibus de 58, Pison et Gabinius furent investis de leurs gouvernements provinciaux in triennium, c’est-à-dire jusqu’à l’été 55, ce qui peut expliquer pourquoi Q. Ancharius tarda tant à remplacer Pison (je remercie Fr. Vervaet d’avoir attiré mon attention sur ce point). Mais cette analyse n’infirme pas l’idée selon laquelle Q. Ancharius a pu quitter Rome avant la fin de l’année 56 en qualité de préteur.
100 France J., « Les personnels et la gestion des entrepôts impériaux dans le monde romain », REA, no 110, 2008, p. 507.
101 Cf., e.g., Brennan T.C., Praetorship, op. cit., p. 394-395, 589-596, 634-639, où il est question du « Sullan system » en liaison avec l’administration des provinces.
102 Mommsen Th., op. cit., III, p. 231 a parlé d’un « équilibre » entre le nombre de provinces de rang prétorien et de juridictions confiées à des préteurs tout en ajoutant que « cet équilibre n’a pas subsisté longtemps » ; cf. aussi Willems P., Sénat, op. cit., II, p. 570-571, dans le sens d’un « accord entre le nombre de provinces et celui des gouverneurs annuels ».
103 Brennan T.C., Praetorship, op. cit., p. 588-589, 630 et 636.
104 Giovannini A., Consulare imperium, op. cit., p. 41.
105 On citera comme témoignage possible de l’influence exercée par un magistrat désigné sur la sortitio des provinces prétoriennes le passage du De bello ciuili dans lequel Jules César rappelle que c’est grâce à lui que P. Cornelius Spinther, préteur en 60, obtint l’Espagne citérieure ex praetura (César, BC, I, 22, 4 ; cf. aussi Cicéron, Fam., I, 9, 13 qui permet d’identifier la province en question avec l’Espagne citérieure). On peut penser que Jules César influença le tirage au sort des provinces prétoriennes, non pas nécessairement en 59 lorsqu’il était consul ordinaire, mais dès 60 durant la seconde moitié de l’année à un moment où il était consul désigné. Aucune solution ne s’impose de toute évidence, d’autant que nous ne savons pas si les deux consuls de l’année 60 partirent en province et si oui quand, mais on ne peut en tout cas pas déduire de cette allusion que la formule ex praetura fait à coup sûr référence à un départ après l’expiration de la préture de P. Cornelius Spinther le 29 décembre 60.
106 Sur la lex Pompeia et la lex Iulia de César datée de 46, cf. Hurlet Fr., Le proconsul et le prince, op. cit., p. 26-27 (bibliographie).
Notes de fin
* Je remercie chaleureusement Frederik Vervaet pour avoir lu cet article et m’avoir envoyé à ce sujet quelques remarques complémentaires, toutes utiles, dont les plus importantes ont été intégrées. Je n’oublie pas non plus que mes travaux sur la profectio des gouverneurs de rang prétorien à l’époque républicaine s’inscrivent dans un projet plus large dont Fr. Vervaet a été l’instigateur et qui porte sur les proconsuls prétoriens d’époque républicaine (cf. l’annexe de cet article).
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008