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Les antijésuites

 | 
Pierre-Antoine Fabre
, 
Catherine Maire

Première partie. Iconographie

De la physiognomonie à la tératologie : les jésuites portraiturés ou les visages de l’antijésuitisme

Pierre Wachenheim

Texte intégral

  • 1 [Guillaume-Hyacinthe Bougeant, sj], Le Saint déniché ou la Banqueroute des marchands de miracles. (...)

Mais voici les plaisantes. C’est Escobar avec un air hideux et tétrique, son confrère Molina avec son nez retroussé et son bonnet à trois cornes.
Cela fait beaucoup rire (…)1.

1À l’aube des temps modernes, l’image, comme représentation visuelle, a été affectée par des bouleversements fondamentaux qui ont contribué à en faire un enjeu majeur au cœur de nombreuses controverses religieuses, politiques, ou philosophiques.

  • 2 Voir Werner Hofmann (dir.), Luther und die Folgen für die Kunst, Hamburger Kunsthalle, Munich, 198 (...)

2Si la Réforme l’a profondément remise en cause, notamment par le phénomène de l’iconoclasme, elle a par ailleurs exacerbé sa dimension médiatique, à travers l’usage de la gravure, comme instrument de propagande particulièrement efficace2.

3Ainsi, l’examen des formes de l’antijésuitisme en France au XVIIIe siècle, met en lumière de façon prégnante le rôle essentiel joué par les images dans la violente polémique dirigée contre la Compagnie et qui a eu pour conséquence son bannissement (1764) prélude à son extinction générale (1773).

  • 3 Sur le contexte et les enjeux de ce débat, voir Catherine Maire, De la cause de Dieu à la cause de (...)
  • 4 Entre 1710 et 1770, on peut estimer à environ 400 le nombre de planches en faveur des jansénistes (...)

4Le « traditionnel » antijésuitisme gallican continu depuis le XVIe siècle s’exacerbe en effet sous le règne de Louis XV à la suite de la résurgence de la querelle janséniste à partir de la publication en 1713 de la bulle Unigenitus3. Considérés comme les inspirateurs et les partisans les plus zélés de cette nouvelle condamnation de fait de la doctrine de Jansenius, les jésuites cristallisant de nombreuses rancœurs – dont celles des parlements –, constituent dès lors une cible privilégiée pour de multiples libelles et estampes satiriques4.

  • 5 Voir la cas exemplaire de Bernard Picart. Sur ce point particulier, nous nous permettons de renvoy (...)
  • 6 Voir Franz Funck-Brentano, Les Lettres de cachet à Paris (1659-1789), Paris, 1903.

5Ces planches sont pour la plupart des tailles-douces, c’est-à-dire des gravures sur cuivre réalisées au burin et/ou à l’eau-forte. Généralement anonymes, elles étaient produites clandestinement, essentiellement à Paris dans des ateliers de la rue Saint-Jacques, quartier professionnel fortement teinté de jansénisme, mais aussi en Hollande dans des milieux proches de Français réfugiés, jansénistes ou protestants5. Si les archives nous ont livré quelques noms de graveurs embastillés pour avoir réalisé de telles planches séditieuses6, on ne possède que très peu d’informations sur le détail de leur réalisation, leurs commanditaires précis et leurs concepteurs.

6Le cadre juridique et institutionnel régissant la métier de graveur sous l’Ancien Régime, fixé par l’arrêt de Saint-Jean-de-Luz (26 mai 1660), le reconnaît comme un art libre et garantit son autonomie à l’égard de toute sujétion corporatiste. Cette absence de contrôle interne, avec pour seul regard extérieur celui assez lâche du syndic de la librairie ainsi que le soin jaloux des graveurs à défendre de tout empiétement leurs privilèges (notamment leur droit, sans être imprimeur, de posséder une presse pour tirer leurs propres épreuves), créent les conditions favorables pour l’épanouissement d’une production clandestine.

7Pour leur diffusion, ces gravures sont parfois associées à des brochures, libelles et pamphlets, sous forme de frontispices, mais plus généralement, il semble qu’elles soient distribuées en feuilles volantes par des colporteurs, comme l’attestent correspondances et mémoires du temps.

La question du portrait

8Au cœur de la controverse suscitée par les images jansénistes, le portrait gravé occupe sans conteste un point nodal. Avant d’en examiner les spécificités, il convient de rappeler ce qui a favorisé la cristallisation de l’affrontement dans ce domaine.

  • 7 Voir David Beaurain, L’Art du portrait en France au dix-huitième siècle : l’image de la société et (...)
  • 8 Voir William McAllister-Johnson, Les morceaux de réception des graveurs à l’Académie royale des Be (...)
  • 9 Concernant les catalogues de ventes de gravures voir Frits Lugt, Répertoire des catalogues de vent (...)
  • 10 Voir Georges Wildenstein, « Le goût pour la peinture dans le cercle de la bourgeoisie parisienne a (...)
  • 11 Michel Melot a ainsi souligné que l’objet représenté aussi bien que le mode de représentation sont (...)

9Au XVIIIe siècle, le portrait tient une place centrale dans les usages artistiques et sociaux, sanctifiée par sa présence importante au Salon7. Mais davantage encore que peint, c’est gravé qu’il revendique un rang prééminent dans les arts visuels. Depuis 1704, le morceau de réception des graveurs à l’Académie consiste en effet en deux portraits8. De la gravure demi-fine produite en nombre rue Saint-Jacques à l’interprétation soignée au burin des œuvres des plus éminents peintres de ce genre, le portrait est largement diffusé et collectionné comme l’attestent les catalogues de ventes, les traités destinés aux amateurs ou les inventaires9. Il fait partie intégrante d’une culture où l’image est considérée, avant sa qualité artistique, selon la tradition de l’ars memoriae comme un appui pour la connaissance du passé, mais également le point d’ancrage de pratiques dévotionnelles post-tridentines, ainsi que la marque d’un attachement identitaire, – présence du portrait du roi, ou de certains ministres selon les milieux10. Parallèlement, s’est également développé un processus de contestation, si ce n’est du portrait lui-même, du moins à travers lui de certains de ses effets, grâce au phénomène essentiel de la caricature11.

10Nous examinerons donc tout d’abord les emplois de ce vocable, avant d’en observer les applications à travers plusieurs portraits polémiques des jésuites. Nous nous efforcerons de comprendre ce mécanisme séditieux qui, enrichi de la théorie de l’Expression des passions ou de la physiognomonie animale, fonde une véritable gravure infamante ; l’ensemble de ces manifestations de contestation plastique et politique du portrait relevant d’une dynamique issue d’une permanente tension interne entre représentation d’une individualité ou d’une entité générique.

Définitions

11Avant d’employer le terme de caricature, il importe d’être particulièrement attentif au sens des mots et de ne pas se laisser abuser par un qualificatif, aujourd’hui étendu sans mesure à toute production polémique tendant à stigmatiser de manière satirique un individu, un groupe, ou un concept.

  • 12 Mathieu Marais, Journal et mémoires de Mathieu Marais avocat au parlement de Paris sur la Régence (...)

12Or pour la période qui nous intéresse ici, les temps modernes, ce terme obéit à un usage précis. Les sources contemporaines ne parlent pas de caricatures pour définir les gravures globalement dirigées contre les jésuites mais d’estampes « emblématiques » ou « satiriques12 ». En effet, la plupart de ces tailles-douces développent des compositions complexes, mêlant figures types – « le noir jésuite » –, personnages réels – le roi, le pape –, symbolique religieuse, allégories, le tout combiné dans un sens didactique et polémique.

  • 13 Voir Werner Hofmann, La caricature de Vinci à Picasso, Paris, 1958, p. 16-17. On complétera cet ou (...)
  • 14 « La caricature correspond, chez les peintres et sculpteurs, à une méthode consistant à faire un p (...)
  • 15 « Personne n’entendait cela [un portrait chargé] ; j’ai dit au Roi que c’étaient des portraits que (...)

13Le terme de caricature apparaît pour la première fois en Italie en 1646 sous la plume de Mosini dans la préface de l’album des Cris de Bologne d’Annibal Carrache, gravés par Simon Guillain13. Signifiant portrait charge – ritrattino carico –, ce nouveau mot dérivait du verbe caricare – charger, exagérer. Le substantif caricatura fut ensuite défini pour la première fois dans le Dictionnaire de Baldinucci en 168114, et ce procédé artistique, né dans le milieu bolonais, aurait été importé en France par le Bernin lors de son séjour parisien en 166515.

  • 16 Dictionnaire universel François Latin ou Dictionnaire de Trévoux, Paris, 1743, 6 vol., t. I, ad vo (...)
  • 17 François-Marie Marsy, Dictionnaire abrégé de peinture et d’architecture, Paris, 1746, 2 vol., ad v (...)
  • 18 Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des (...)
  • 19 Antoine-Joseph Pernety, Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure ; avec un traité p (...)
  • 20 Ibid, p. 56, « Charge ».

14Au XVIIIe siècle, plusieurs dictionnaires français, généralistes ou spécialisés, ne possédent pas d’entrée spécifique pour le mot caricature, c’était ainsi le cas du Dictionnaire de Trévoux16, ou du Dictionnaire abrégé de peinture et d’architecture17. D’autres, comme l’Encyclopédie renvoient pour une explication plus détaillée, au substantif charge ou au verbe charger, occurrences également présentes dans les premiers ouvrages cités. Les définitions évoquent pêle-mêle des « figures grotesques et extrêmement disproportionnées18 », un « portrait chargé et dont les défauts naturels sont les traits principaux qui forment la ressemblance19 », ou encore une « exagération burlesque des parties les plus marquées20 ». Compte tenu de ces sources lexicographiques, l’usage du terme caricature nous semble donc bien devoir être réservé, d’une manière stricte, aux portraits charges qui furent réalisés contre les jésuites.

Application

15L’appréhension du portrait des jésuites par le truchement de la caricature nous place immédiatement face à ce paradoxe dialectique, selon nous essentiel : l’alternative type/individu.

16La caricature suppose en effet une charge à partir de traits individualisés, alors que d’autres approches du portrait, également utilisées dans la satire, telle la physiognomonie, s’orientent davantage vers une typologie. Ces deux visions ont cependant en commun de souligner les caractéristiques les plus remarquables d’un modèle. Les estampes diffusées contre les jésuites ont aussi joué sur cet élément inhérent à l’art de la gravure : l’association entre l’un et le multiple. Le portrait d’un individu, dûment identifiable, multiplié à l’envi, accède finalement au rang de type ; de même, une représentation typologique, devient pour celui qui en fait l’acquisition, un objet unique et dans une certaine mesure une individualité. Un portrait indéfini – un jésuite – se meut en un portrait défini : le Jésuite.

  • 21 « Pourrai-je donc faire une meilleure œuvre que de les démasquer, et de montrer évidemment à VE la (...)

17Le portrait permet de jouer sur un double registre : il individualise, fixe un visage réel et fonctionne concurremment comme un révélateur universel. Nous y retrouvons en permanence ce balancement : attaque ad hominem/dénonciation typologique. Cette tension trouve son aboutissement dans le mouvement dialectique propre à la caricature : charger/révéler21.

  • 22 [Anonyme], Portrait au naturel des jésuites et anciens et modernes ou image véritable du premier e (...)

18À cette dualité essentielle – type/individualité – s’en adjoint une seconde, non moins intéressante, instaurée par le rapport texte/image, et qu’il convient de prendre en compte concomitamment. On saisit une nouvelle fois la complémentarité du texte et de l’image, dans ce paradoxe apparent : au XVIIIe siècle, de nombreux titres de la littérature antijésuitique, retiennent le terme de portrait22. Pourtant ces pamphlets n’énumèrent que des caractéristiques typologiques, inventoriant les multiples vices de la Compagnie : négociants malhonnêtes, captateurs d’héritages, assassins des souverains, etc. L’image, ici plus particulièrement le portrait, possède donc à côté du texte – en frontispice ou feuille volante – une place à la fois autonome et complémentaire : elle donne corps à la construction intellectuelle du mythe jésuite. Elle est nécessaire à la conception et au développement de l’antijésuitisme, dont elle ne saurait être considérée comme la simple illustration, et doit donc en ce sens être spécifiquement prise en compte.

19Le processus de la caricature est particulièrement approprié aux jésuites puisqu’un des leitmotive du discours antijésuitique, dès le XVIe siècle, consiste précisément à insister sur leur caractère ambivalent, « ordre hermaphrodite » selon Étienne Pasquier, ou indéfinissable : ils s’étaient eux-mêmes présentés devant l’université sous l’expression des Tales quales – « tels que le parlement nous a nommés » –, un des multiples sobriquets qu’on leur appliqua dès lors par dérision. Face à cette dérobade des jésuites, rétifs à toute classification, – sont-ils réguliers ou séculiers ? à quelle de leurs opinions probables doit-on accorder foi ? –, le portrait charge apparaît comme la solution idoine, permettant, par l’accentuation de certains aspects physiques d’aller au-delà de l’apparence et de révéler leur essence véritable. La caricature affirme ainsi sa fonction essentielle : dévoiler ce qui est masqué.

  • 23 [G.-H. Bougeant], La femme docteur ou la théologie tombée en quenouille Comédie, La Haye, 1731. Vé (...)

20Une pièce de théâtre satirique à succès, La Femme docteur du Père Bougeant, l’une des rares plumes polémiques de la Compagnie qui n’ait pas récusé l’usage de la satire burlesque et ironique face aux polémistes jansénistes, nous permet d’appréhender la place centrale du portrait ou de la caricature dans le conflit religieux engendré par l’Unigenitus23.

21À la huitième scène du IVe acte, dans le salon de Madame Lucrèce, « la femme docteur », Cléante, archétype de l’honnête homme, s’interroge face à une dame janséniste l’accusant d’être moliniste : « Qu’est-ce que c’est d’être Moliniste ? », et s’entend répondre :

  • 24 [G.-H. Bougeant], op. cit., 1731, p. 107.

Fi donc, Monsieur. N’avez-vous point vu le portrait de Molina qu’on vend sur les quais ? O ciel ! qu’il est effroyable ! c’est la plus hideuse figure !… et vous êtes Moliniste24 ?

  • 25 Étienne Desrochers (1668-1741) a également gravé Jansenius ou saint Ignace.
  • 26 BnF, Est., 15 x 10, par Jean Crepy (1660-1739).

22L’estampe dont il est ici question est sans doute celle signée par le graveur Étienne Desrochers25 (fig. 1) ou par Jean Crépy26, tous deux spécialisés dans l’édition d’images demi-fines, essentiellement des portraits.

Figure 1. Etienne Desrochers, Portrait de Molina, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 14,4 x 10 cm.

23Ces représentations du théologien espagnol ne semblent pas avoir été originellement conçues comme des caricatures, mais relèvent des effigies de célébrités, de médiocre qualité esthétique, comme en produisaient en nombre les graveurs de la rue Saint-Jacques. Ces figures présentent des traits grossiers, avec certaines particularités ressortissant à une physiognomonie animale – un faciès porcin avec un nez retroussé et arrondi proche du groin, des yeux globuleux, des lèvres charnues et l’oreille tombante –, comme marques caricaturales.

  • 27 La référence au triomphe de la « grâce suffisante » dans le quatrain au bas de l’estampe pourrait (...)

24La question est donc de savoir s’il s’agit stricto sensu d’une caricature, c’est-à-dire s’il existe une intention polémique à l’origine de ces planches, ou si nous sommes simplement en présence de portraits grossiers27. Leur diffusion est-elle alors plutôt destinée à de véritables admirateurs de Molina ou bien utilisée comme instruments de dérision par les ennemis des jésuites ?

25L’exemple de Molina souligne le rôle essentiel attribué au portrait et à ses déformations, à ses ambivalences au sein de la controverse religieuse.

26L’utilisation détournée du portrait individualisé d’un jésuite, Molina, comme support à l’antijésuitisme consacre ici la nécessité pour les adversaires de la Compagnie, de dépasser la référence à des modèles types, tels qu’en véhiculait essentiellement la littérature partisane, afin d’en établir une incarnation concrète.

  • 28 Les tourniquets jansénistes se composaient d’une feuille de format carrée, généralement gravée, au (...)

27Cet habitus éristique nous semble ressortir à une influence janséniste. En effet, le développement du jansénisme au XVIIIe siècle s’est appuyé sur la mémoire du monastère détruit de Port-Royal, mémoire réanimée à travers les portraits des grandes figures du mouvement, notamment celles du siècle précédent largement diffusées. On voit bien là qu’il ne s’agissait pas de types mais bien d’individus. Or face à ces figures du jansénisme, il convenait d’exposer des contre-modèles répulsifs, des doubles négatifs. C’est sans doute ce qui a favorisé l’élaboration de portraits de jésuites individualisés, opposés de manière exemplaire, sous forme duale, dans les « tourniquets jansénistes » (fig. 2) où s’affrontent en couples antagonistes les effigies de célèbres port-royalistes face aux principaux représentants de la Compagnie de Jésus28.

Figure 2. Anonyme, Tourniquet janséniste, Bibliothèque de Port-Royal, 13 cm. diam.

  • 29 Jésuite accusé d’avoir fomenté l’attentat contre le roi de Portugal, à l’issue d’un procès visible (...)

28Au delà de l’exemple ambigu du portrait de Molina, le souci de la production séditieuse contre les jésuites de donner corps à des individualités s’illustre particulièrement à travers l’exemple du Père Malagrida29. Une estampe datée des premiers mois de 1764 montre dans un médaillon, accompagné d’un texte hagiographique, ce jésuite portugais accusé de l’attentat contre Joseph Ier (1758) (fig. 3). Cette gravure, Le Père Gabriel Malagrida, « fidèlement dessinée sur celle que les jésuites ont fait graver à Rome », se présente donc comme la copie d’un portrait qui célébrerait le jésuite exécuté en 1761. Le contexte de réalisation de cette planche et sa rocambolesque découverte sont rapportés par les Nouvelles ecclésiastiques : fin 1763, en Italie, à Belforte près de Tolentino, une malle volée à deux jésuites est retrouvée peu après mais devant l’empressement suspect alors manifesté par les Révérends Pères, le podestat soupçonneux fait examiner son contenu :

Figure 3. Anonyme, Le Père Gabriel Malagrida, vers 1764, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 22,5 x 14,5 cm au trait carré.

  • 30 Nouvelles ecclésiastiques, 6 février 1764, p. 24. Citées désormais NNEE.

L’on trouva donc dans cette malle les preuves les plus éclatantes de l’iniquité jésuitique et de leur diabolique manigance. […] On y trouva un millier d’exemplaires du portrait de Malagrida, qualifié homme à miracles,30 saint et martyr.

29Le « parricide » y était en effet représenté une croix et la palme du martyre en mains. Suivait un éloge dithyrambique, bien entendu fidèlement et complaisamment colligé par l’hebdomadaire janséniste.

  • 31 Cette taille-douce Sous le masque pieux… n’est ainsi pas sans évoquer le Scélérat Damiens gravé à (...)
  • 32 « Il y a eu plusieurs peintres, qui ont eu la fantaisie de faire des Portraits chargés, c’est-à-di (...)

30Il s’agit là, dans la forme, d’un jeu spéculaire de récupération récurrent dans la pratique de la polémique visuelle. Mais il est ici surtout question à nos yeux d’un récit apocryphe visant à légitimer la réalisation d’une caricature. Cette dernière trahit sa véritable dimension à travers l’identification de sa source originelle : Sous le masque pieux d’un zèle apostolique, un précédent portrait charge (fig. 4). Celui-ci constitue lui-même une mise en abyme du processus observé, car il s’inspire sans doute de la forme d’une réelle figuration hagiographique du jésuite supplicié, P. Gabriel Malagrida S. J. (fig. 5). La dimension caricaturale du premier de ces portraits (fig. 4) se révèle d’abord dans le quatrain inscrit sur le piédestal du médaillon, stigmatisant le « front orgueilleux » et l’« œil fanatique », mais aussi plastiquement avec la dureté du regard, les pommettes hautes, les lèvres charnues, autant de signes évoquant la violence et la scélératesse du personnage31. On observe ici, tout comme pour les portraits de Molina, l’ambiguïté entre estampe de qualité médiocre et caricature intentionnelle, dont les adversaires des jésuites ont su profiter pour faciliter le glissement de l’une vers l’autre. Il est intéressant de noter que les deux estampes clairement antijésuitiques, individualisent bien davantage les traits de Malagrida que leur modèle hagiographique. Ainsi, cet artifice entraîne l’image vers la caricature, qui postule le maintien de la ressemblance32, tout en ignorant concrètement cette dernière.

Figure 4. Anonyme, « Sous le masque pieux d’un zèle apostolique », Portrait du P. Malagrida, vers 1762, Bibliothèque de Port-Royal, 15,3 x 11 cm.

Figure 5. Anonyme, P. Gabriel Malagrida S. J., vers 1762, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 16,5 x 11,6 cm.

  • 33 [Duc d’Ayen ?], les Larmes de saint Ignace ou dialogue entre saint Thomas et saint Ignace l’an de (...)
  • 34 « Lettre de R.-F. Damiens au roi, 9 janvier 1757 », Pièces originales et procédures du procès fait (...)

31Le besoin de donner une figure à la dénonciation des jésuites se fait aussi jour, de manière récurrente, à travers certains pamphlets qui présentent les mêmes litanies de noms voués à l’exécration : « vous êtes tous des Girards, des Guignards, des Malagrida33 ». Le jésuite portugais était particulièrement « prisé » en France, car il offrait un visage concret à un des arguments les plus rebattus contre la Compagnie, et particulièrement après l’attentat de Damiens : le parricide des souverains qu’on l’accusait d’encourager. L’assassin du roi ne pouvait cependant être représenté en jésuite, et même si parlementaires et jansénistes le dénonçaient comme l’instrument de la Société, l’enquête avait montré que son geste s’inscrivait plutôt dans une tentative de toucher le roi pour qu’il entende enfin la voix des magistrats dans le conflit né du refus des sacrements34. La mise en relief du « régicide » portugais permettait ainsi de créer une échappatoire pour parler du meurtre d’un roi, en évoquant indirectement Louis XV.

32La caricature a permis de donner un visage au jésuite, l’Expression peut maintenant lui donner vie.

L’Expression des passions

  • 35 Cette gravure a également été utilisée comme frontispice sur certains exemplaires des Larmes de sa (...)

33Une estampe Religion des Jésuites parricide des rois, dont l’impact fut majeur, comme l’atteste sa diffusion visiblement importante sous différentes variantes, principalement dans les années 1760, représente Malagrida et ses deux complices présumés : Jean de Matos et Jean Alexandre (fig. 6)35.

Figure 6. Anonyme, Religion des jésuites parricide des rois, vers 1762, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 24 x 14,3 cm.

34Les trois principaux chefs de la « conspiration » contre Joseph Ier sont figurés dans une planche reprenant des codes du portrait gravé au XVIIIe siècle : en bustes au sein d’un médaillon de forme ovale, légende et cadre emblématique. Les profils dans ce médaillon évoquent formellement une conception numismatique, analogie que soulignent d’ailleurs, les quatre médailles dans les écoinçons du cadre. Cette idée ressortit à un processus visant à inscrire l’événement dans l’histoire, à pérenniser le souvenir de la forfaiture des jésuites.

35Cette gravure synthétise de manière originale des emprunts à la tradition d’un portrait-type du jésuite – barrette, collet, habit noir –, mêlés au désir patent de concevoir des effigies individualisées – accentuation différentes des linéaments, dessins du nez, sourcils, etc. Pourtant, si les traits des jésuites semblent de prime abord caractérisés, la question de la ressemblance est ici évacuée puisque, pour ne parler que de Malagrida, il était à l’époque des faits – 1758 – âgé de 69 ans ! Au visage attendu d’un vieillard, est ici substitué celui d’un homme jeune, déterminé, exhalant un sentiment de puissance redoutable. L’image au-delà des récits faisant de Malagrida l’instigateur de l’attentat, suggère bien davantage : le passage à l’acte même.

  • 36 « […] un peintre ne doit pas ignorer la physionomie pour bien connaître et bien peindre les différ (...)

36Mais l’attention ostensiblement accordée aux expressions des trois visages, ainsi qu’à leur inscription dans l’espace évoquent directement la pratique de la physiognomonie, c’est-à-dire de la connaissance du caractère humain par l’apparence physique, lue principalement dans les traits du visage36.

  • 37 Il bénéficia même d’une traduction : La Physionomie humaine de Jean Baptiste Porta neapolitain div (...)
  • 38 Voir Thomas Kirchner, L’Expression des passions, Mainz, 1991 ; Jennifer Montagu, The Expression of (...)
  • 39 Maxime Préaud, Sébastien Le Clerc, Inventaire du Fonds Français, Graveurs du XVIIe siècle, t. 8, P (...)

37Se fondant sur des sources antiques, cette « science » fut renouvelée à partir de la Renaissance, par divers traités, dont principalement celui de Giambattista della Porta publié en 1586, De Humane Physiognomonia. Cet ouvrage-clef bien connu en France37 fut le tuf à parti duquel, au siècle suivant, Charles Le Brun élabora ses propres réflexions, qu’il synthétisa dans une conférence prononcée à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1668, diffusée grâce à plusieurs éditions illustrées à partir de ses dessins38. Cette théorie de l’Expression des passions fondée sur la philosophie cartésienne des passions de l’âme – ayant pour siège la glande pinéale –, eut un impact déterminant dans la pratique artistique jusqu’au XIXe siècle. Le Premier peintre s’était appuyé pour sa démonstration sur des dessins, aujourd’hui conservés au Louvre, représentant 41 masques de passions simples et de leurs dérivés composés. Parmi les trois séries de gravures qui en furent tirées, l’édition de Sébastien Le Clerc en 1696, 20 planches comprenant 57 têtes, retiendra particulièrement notre attention39.

38En effet, le premier profil au sein du médaillon trin, celui de Malagrida, présente des analogies directes avec celui qui illustre chez Le Brun le mépris et la haine (fig. 7). On retrouve des éléments communs tels le bourrelet suborbital proéminent, la pupille tirée vers le coin externe de l’œil, le sillon naso-labial profondément marqué, la pommette saillante, jusqu’à l’accentuation du menton, ou la ride frontale. L’auteur du profil de Malagrida semble avoir été attentif au texte même de la conférence de Le Brun, évoquant à propos de la haine :

Figure 7. Sébastien Le Clerc, d’après Charles Le Brun, Le mépris et la haine, 1696 ; Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 7,7x14,9 cm.

  • 40 Alain Mérot (éd.), op. cit., 1996, p. 158.

[…] le front ridé, le sourcil abattu et froncé, l’œil étincelant, et la prunelle cachée sous le sourcil, […], les narines pâles, ouvertes et plus marquées qu’à l’ordinaire, et retirées en arrière, ce qui fait paraître des plis aux joues, la bouche pourra être fermée, et faire connaître que les dents sont serrées40.

39Le profil médian, parmi les trois jésuites, semble proche de la colère gravée par Le Clerc (fig. 8), quant au denier visage, il paraît s’inspirer de l’horreur comme en témoignent la même bouche entrouverte, le sourcil en accent circonflexe ou les sillons des rides verticales au-dessus du nez.

Figure 8. Sébastien Le Clerc, d’après Charles Le Brun, La colère, 1696, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 7,8 x 15 cm.

  • 41 L’Expression constituait pour les théoriciens de l’art des temps modernes une des parties essentie (...)
  • 42 Voir principalement Roger de Piles, op. cit., 1989, p. 92-93. Auparavant déjà Félibien avait relat (...)

40La concentration des effets plastiques de ces trois visages principalement dans les yeux, les sourcils et la bouche, ressortit pleinement à une approche du portrait fidèle à la théorie de l’expression des passions. La mise en évidence du lien direct unissant ainsi la représentation caricaturale des jésuites portugais avec la théorie de Le Brun nous permet d’éclairer le contexte de la création artistique d’une telle planche. à travers ces productions clandestines anonymes nous appréhendons les plus essentielles questions relatives à l’image aux temps modernes : l’appropriation et la contestation des formes visuelles, c’est-à-dire leur réception et leur l’usage. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’intérêt pour l’expression lato sensu, constitue un des critères majeurs proposés par la critique dans l’appréciation d’une œuvre41 et même si certains auteurs en ont souligné les limites42, la pensée de Le Brun demeure une des pierres de touche de la théorie de l’art en France et une pratique nécessaire dans la recherche des expressions justes. Réévaluée à l’aune de l’expression des passions, la gravure des jésuites portugais, peut être analysée différemment. En effet, la question de la non-ressemblance des visages est dépassée par l’existence d’une ressemblance morale, physiquement incarnée. Les physionomies des trois « parricides » correspondent à la représentation que l’on pouvait se faire d’eux.

  • 43 Thomas Kirchner, 1991, op. cit., p. 190-229 et 366-381.
  • 44 Voir Samuel Rocheblave, Essai sur le comte de Caylus l’homme-l’artiste-l’antiquaire, Paris, 1889. (...)
  • 45 Le catalogue de référence de l’artiste n’en fait nulle mention : voir Antoine Schnapper, Jean Jouv (...)

41Cette interprétation de la taille-douce Religion des jésuites… (fig. 6), doit en outre être rapprochée d’un événement parfaitement contemporain de sa diffusion : la fondation en 1759, par le comte de Caylus, à l’Académie royale de peinture et de sculpture du prix d’expression afin d’encourager les jeunes artistes43. Or Caylus, au-delà de ses passions d’antiquaire et de ses travaux académiques, s’était aussi intéressé à des formes de cultures différentes, comme l’écriture théâtrale en langage poissard, imitant le parler populaire, ou d’essence pornographique, tout comme sa correspondance avec le théatin antiquaire Paciaudi révèle sa connaissance des estampes satiriques antijésuitiques, mais aussi de l’ensemble de la littérature clandestine séditieuse, philosophique, politique et artistique44. Il avait lui-même pratiqué la taille-douce en amateur, et parmi son œuvre gravé conservé au département des estampes, on trouve deux planches représentant des portraits charges de jésuites frappées de son habituelle signature cursive C. sculp. (fig. 9 et 10). Il s’agit de multiples visages, le plus souvent de profils, qui semblent saisis sur le vif, juxtaposés à la manière des feuilles de dessins réalisées par les Carrache ou dans leur entourage. La lettre de la gravure attribue à Jouvenet l’invention de ces deux caricatures45. Il n’entre pas dans l’économie de ce travail de discuter cette identification ; l’artiste rouennais peut n’être ici qu’un prête-nom, même s’il s’insère lui-même dans un milieu de sensibilité janséniste. Caylus a su restituer par l’eau-forte le caractère spontané de ces études de têtes, délassement d’atelier sans doute originellement non destiné à la gravure.

  • 46 Charles Nisard (éd.), Correspondance inédite du comte de Caylus avec le P. Paciaudi théatin (1757- (...)
  • 47 Ibid, XC, 22 avril 1764, p. 465.

42La correspondance de Caylus avec le théatin Paciaudi révèle encore que le comte avait collectionné avec soin, si ce n’est pour lui, du moins pour son correspondant parmesan, les caricatures paraissant contre les jésuites et notamment celles concernant Malagrida. On peut ainsi identifier la fausse gravure hagiographique (fig. 3), « On m’apporte le portrait de saint Malagrida : on le dit gravé d’après celui d’Italie dont vous m’avez parlé […]46 », parmi d’autres mentions : « Si vous voulez des Malagrida, ne vous en faites pas faute ; ils ne sont ici ni chers ni rares, et l’on est bien aise de se défaire de cette marchandise47. » Mais c’est surtout la gravure de la Religion des Jésuites… (fig. 6), qui fait l’objet principal de la curiosité de Paciaudi :

  • 48 Lettres de Paciaudi au comte de Caylus, A. Sérieys (éd.), Paris, 1802, IX, 10 avril 1759, p. 43.

Y aurait-il un moyen d’avoir deux autres exemplaires des belles gravures des trois jésuites parricides ? J’en ferais un présent à une personne illustre qui en a grande envie. Ici c’est une véritable contrebande, et on emploie tous les moyens pour empêcher qu’elle ne se répande48.

Figure 9. Caylus d’après Jouvenet ( ?), Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 18,7 x 11,3 cm (au trait carré).

Figure 10. Caylus d’après Jouvenet ( ?), Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 18,7 x 11,1 cm (au trait carré).

43Curiosité à laquelle s’empresse de répondre Caylus :

  • 49 Correspondance inédite du comte de Caylus…, op. cit., 1877, t. I, XV, 30 avril 1759, p. 63 et 67.

Je suis charmé du succès […] de mes petits envois. Je vous ai promis de ne vous en pas laisser manquer. Je ferai mon possible pour avoir les deux épreuves que vous désirez. Ces sortes de choses n’ont qu’un moment à Paris ; si on ne le saisit pas d’abord, elles deviennent impossibles à retrouver.
J’ai eu trois des épreuves dont vous m’avez demandé deux ; je vous les envoie avec une autre estampe dont vous aurez deux autres, l’ordinaire prochain49.

44Or lorsque l’on compare les deux caricatures signées par Caylus, avec celle de la Religion des Jésuites…, nous sommes frappés par l’analogie qui les unit, notamment dans le principe des profils superposés et l’accentuation physiognomonique des visages.

  • 50 Recueil de Testes de caractère et de charges dessinées par Léonard de Vinci Florentin et gravées p (...)

45Cependant, la confrontation entre ces images nous semble devoir être poussée encore plus loin en raison d’une donnée complémentaire. En 1730, Pierre-Jean Mariette publia un Recueil de Testes de caractère et de charges gravées par Caylus d’après un album de dessins de Léonard, considérés à l’époque comme autographes50.

46Ce recueil présente 64 portraits chargés, pour la plupart inscrits de profils dans des médaillons. L’implication de Caylus dans cette publication confirme, s’il en était besoin, son intérêt pour les têtes d’expression. Or, au sein de cet ensemble, un tondo se détache immédiatement ; il porte le numéro 19 et constitue l’unique exemple de la réunion de trois visages juxtaposés (fig. 11). Trois profils numismatiques aux détails physionomi ques accentués, un même type de découpe des bustes, la présence de couvre-chefs, ainsi que la rotondité du cadre, autant de détails qui associent de manière patente l’invention léonardesque à l’estampe des jésuites portugais ; l’inversion de sens entre les deux gravures renforce encore l’idée que la planche satirique aurait été dessinée d’après la gravure contenue dans le recueil Mariette.

Figure 11. Caylus d’après Léonard de Vinci, Têtes de caractère no 19, 1730.

  • 51 On rappellera que les trois jésuites ont ainsi figurés en frontispice d’un pamphlet antijésuitique (...)

47Devant ce faisceau d’indices plus que troublants, il nous paraît donc pertinent d’envisager l’hypothèse selon laquelle celui qui a donné le modèle pour Malagrida et ses complices connaissait parfaitement les dessins de Léonard gravés par Caylus. Se dévoile ainsi une relation triangulaire des plus riches entre le médaillon réalisé d’après Léonard, les profils des jésuites d’après Jouvenet également gravés par Caylus ainsi que l’estampe anonyme des trois jésuites portugais. Or en plus de leurs points formels communs patents, à chacune de ces pièces est associé le nom de Caylus. S’il nous paraît établi que la gravure de Malagrida et de ses complices s’inspire directement de la composition de Léonard, qu’en est-il des deux eaux-fortes, gravées d’après Jouvenet, malheureusement non datées ? Caylus les a-t-il signées à une période proche de la réalisation du recueil Mariette (1730) ou bien les a-t-il exécutées plus tardivement ? Nous ne sommes pas en mesure de trancher cette question, mais il semble que Caylus fût peut-être davantage impliqué qu’il ne voulait bien le laisser accroire, à travers sa correspondance avec Paciaudi, dans la fabrique des pièces séditieuses antijésuitiques vers 1760. En tout état de cause, confronté à la gravure de la Religion des jésuites…, Caylus ne pouvait pas ne pas l’apprécier à l’aune de ses propres productions. Le célèbre antiquaire a peut-être inspiré « involontairement » la portrait de Malagrida et consorts, mais on peut envisager qu’il ait fait plus et qu’il ait pu guider cette réalisation séditieuse, dont le burin un peu lourd semble a priori exclure sa participation plus pratique51.

Caricature et Nature

  • 52 « C’est une espèce de genre burlesque que le mauvais goût, qui corrompt tous les Arts, a introduit (...)

48Pour appréhender pleinement les liens entre une production gravée séditieuse et un plus large contexte artistique contemporain, il convient de s’arrêter sur le texte de Mariette qui accompagnait son édition des dessins de Léonard. Dans cette Lettre sur Léonard de Vinci peintre florentin à Monsieur le comte de Caylus, Mariette donnait de très précieuses indications sur la considération dont jouissait au XVIIIe siècle l’art de Léonard et plus précisément ses études de têtes. On y lit une véritable « défense et illustration » de la caricature, généralement ravalée à la même époque au rang de vulgaire divertissement d’atelier et condamnée comme attentatoire52 à la bienséance et à la noblesse de l’art. Prenant le contre-pied de ces lieux communs propres à la théorie classique de l’art, Mariette envisageait les portraits charges de Léonard, légitimés par Caylus, comme une sorte de propédeutique indispensable dans la quête essentielle de l’artiste :

  • 53 Lettre sur Léonard de Vinci…, op. cit., p. 9.

C’est que la peinture n’a d’autre objet que l’imitation de la Nature, et que la Nature est immense dans ses variétés. Cette agréable diversité des formes qui est le principal ornement de la Nature, avait fait concevoir à Léonard, qu’en cela consistait l’essentiel de l’Art. Tout ouvrage qui péchait par trop d’uniformité lui était insupportable53.

49Et Mariette d’intégrer les études physionomiques de Léonard dans cette conception d’un art le plus respectueux de la nature :

  • 54 Ibid, p. 12.

Les physionomies singulières étant ce qui contribue le plus à caractériser les passions, Léonard n’était pas moins attentif à en faire une exacte recherche. Lorsqu’il en découvrait quelqu’une de son goût, qu’il voyait quelque tête bizarre, il la saisissait avec avidité ; il aurait suivi son objet tout un jour, plutôt que de le manquer. En les imitant, il entrait jusque dans les détails des moindres parties ; il en faisait des portraits auxquels il donnait un air frappant de ressemblance. Quelquefois il les chargeait dans les parties dont le ridicule était plus sensible, moins par jeu, que pour se les imprimer dans la mémoire avec des caractères inaltérables54.

50Afin d’ennoblir encore la pratique de Léonard, Mariette spécifiait la distinction qu’il convient d’établir avec les traditionnels amusements d’atelier :

  • 55 Ibid, p. 12-13.

Les Carraches et depuis eux plusieurs autres peintres, ne se sont guère exercés à faire des charges, que par un simple badinage. Léonard, dont les vues étaient beaucoup plus nobles, avait pour objet l’étude des passions. Or il est constant qu’il y a des physionomies qui désignent certains vices. Un homme colère, méprisant, stupide, a presque toujours son caractère peint sur le visage. Léonard, à la faveur de cette étude, était devenu grand physionomiste […]55.

  • 56 On notera ainsi que le recueil de Mariette et Caylus fut réédité chez Jombert en 1767, quelques an (...)
  • 57 Le Trattato de Léonard avait connu une première publication réalisée en 1651 par Raphaël Trichet d (...)

51Il ne nous semble dès lors pas fortuit que la caricature des jésuites portugais soit fondée sous l’égide léonardesque qui était à l’époque, parfaitement perceptible par une partie éduquée du public56. En effet, Mariette replace les têtes de l’artiste florentin dans le contexte d’une imitation parfaite de la nature. Ses portraits ne représentent pas de simples charges visant l’effet burlesque, mais constituent l’aboutissement réussi d’une recherche particulièrement fine pour saisir la nature sous sa plus grande et plus exacte diversité. Léonard de Vinci représentait en outre l’archétype du pictor doctus, cher à la doctrine académique, et son traité, où il exposait son approche de l’expression et de l’imitation de la nature constituait une référence de base dans les milieux artistiques français depuis le XVIIe siècle57.

52Ainsi donc les portraits des jésuites ne relèvent plus tant d’une exagération satirique, que d’une observation attentive de ce que la nature a produit de plus laid et de plus vil, des hommes portant tout simplement leurs vices sur leurs visages. Par le truchement léonardesque, cette gravure se rattache ainsi aux sources princeps de la caricature, originellement définie par Mosini en 1640 :

  • 58 Mosini, préface aux Cris de Bologne gravés par Simon Gillain d’après Annibal Carrache, cité par M. (...)

Lorsqu’un peintre de valeur fait bien un portrait charge (ritrattino carico),il imite Raphaël et les autres bons auteurs qui ne se contentent pas de la beauté naturelle et vont recueillir dans plusieurs objets ou dans les statues les plus parfaites pour faire une œuvre en tous points parfaite de sorte que faire un portrait-charge n’est pas autre chose que d’être un excellent connaisseur des intentions de la nature [nous soulignons], quand elle fait ce gros nez ou cette grande bouche afin de faire une belle difformité (una bella deformita) de cet objet, mais n’étant pas arrivé, elle, à altérer ce nez ou cette bouche, ou telle autre partie, au point que l’exigeait la beauté de la difformité (la belleza della deformita), l’artisan de valeur qui sait apporter aide à la nature, représente cette altération beaucoup plus expressément et place devant les yeux du spectateur le portrait-charge à la mesure qui convient le mieux à la difformité parfaite (perfetta deformita)58.

53Les nombreux exemples de manipulation et de déformation graphiques subies involontairement par les jésuites, à travers la gravure, tout au long du XVIIIe siècle, ont semble-t-il contribué à les associer durablement au langage de la physiognomonie. Ainsi, après leur expulsion de toutes les grandes monarchies occidentales catholiques et même après la suppression de leur première Compagnie (1773), les jésuites firent encore l’objet d’études de ce type, principalement à travers les travaux très largement diffusés de Lavater. Le théologien suisse publia entre 1775 et 1778 ses Physiognomische Fragmente, traduits peu après en français. L’objet de son cinquième fragment, « De la Religion et des physionomies religieuses » consacrait bien entendu un développement particulier aux jésuites :

  • 59 Johann Caspar Lavater, Essai sur la Physiognomonie, La Haye, 1781-1803, 4 vol., t. IV, p. 185.

De toutes les physionomies religieuses, il n’en est peut-être pas de plus reconnaissables, de plus frappantes, que celle des Jésuites. Les yeux de Jésuites ont passé en proverbe, et en effet je me ferais fort de les dessiner d’idée, et non seulement leurs yeux, mais presque leurs formes de tête. Sous quelque costume qu’un jésuite paraisse, il porte toujours sur soi la marque de son Ordre ; le physionomiste ordinaire les retrouvera dans le regard ; le physionomiste exercé, dans le contour de la tête. Ce contour est remarquable à l’égard du front, du nez et du menton. Le front sera presque toujours élevé en voûte et d’une grande capacité, sans être ni compact ni vigoureusement prononcé. La plupart du temps le nez est grand, courbé et très cartilagineux vers l’extrémité. Le menton est large, pas trop gras, mais relevé en bosse. Ajoutez à cela des yeux qui s’affaissent, et des lèvres bien marquées59.

54Ces propos étaient accompagnés de la représentation commentée de trois profils de jésuites ainsi que du visage d’Ignace de Loyola, qui, à la fin du siècle et après la disparition officielle de la Société, se présentaient comme une conclusion pseudo-scientifique qui légitimait a posteriori l’ensemble des caricatures antijésuitiques, tout en y puisant sa propre justification.

Physiognomonie animale

55L’estampe de la Religion des Jésuites… (fig. 6) constitue aussi, selon nous, un exemple des ambivalences inhérentes aux études d’expression et à leur héritière : la caricature. En effet, la filiation léonardesque patente des profils des jésuites laisserait supposer que nous sommes en présence de véritables portraits, saisis sur le vif. Mais l’impact sur cette même réalisation de la théorie physiognomonique provoque un nouveau glissement de l’individu vers des types codifiés. Cette construction érudite du portrait des jésuites correspond parfaitement à ses buts politiques attendus. Les traits caricaturaux de leurs visages ressortissent à la fois à une mise en lumière individuelle – Malagrida, le jésuite parricide – ainsi qu’à une présentation typologique des « ignaciens ». Cette dernière perception est accentuée par la composition qui unit étroitement les trois bustes ainsi que les trois barrettes, qui juxtaposées paraissent n’en constituer plus qu’une seule, coiffant ainsi « l’hydre » de la Société. On retrouve là une des critiques récurrentes formulées contre la Compagnie : la dissolution des individualités dans un tout insaisissable, l’abandon de soi à la discipline globale, le « syndrome » du perinde ac cadaver.

  • 60 Erwin Panofsky, « Signum triciput Un symbole cultuel hellénistique dans l’art de la Renaissance »,(...)
  • 61 Titien, Allégorie de la Prudence, vers 1565, Londres, National Gallery, 75, 6x68,6. Pour l’étude pr (...)
  • 62 Ces dessins furent gravés et édités sous la direction de Morel d’Arleux, à l’initiative de Dominiq (...)

56Cette approche est confirmée avec une autre estampe représentant les mêmes jésuites portugais, Principaux chefs de la conspiration (fig. 12). Cette composition adopte la forme du signum triciput dérivé lui-même, comme l’a montré Panofsky, d’un emblème égyptien de trois chefs d’animaux, associés à Sérapis60. Cette composition évoque ainsi directement l’Allégorie de la Prudence de Titien61, dans laquelle les visages humains sont superposés à trois animaux, le loup, le lion et le chien, symbolisant respectivement le passé, le présent et le futur. Pour le triciput jésuitique, les animaux sont absents, mais cette effigie pourrait cependant implicitement nous renvoyer à une telle physiognomonie animale. La mise en relation des visages humains et animaux procède d’une pratique traditionnelle, depuis l’antiquité qui a été réactualisée par le traité de della Porta, accompagné de planches gravées et particulièrement développée par Le Brun, dont de nombreux dessins témoignent de ces tentatives de rapprochement physique entre l’homme et l’animal et des rapports d’hybridation qui peuvent en naître (fig. 13)62.

Figure 12. Anonyme, Principaux chefs de la conspiration, vers 1762, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 18 x 12,5 cm.

Figure 13. André Legrand d’après Charles Le Brun, Trois têtes de corbeaux et trois têtes d’hommes en relation avec le corbeau, 24,5 x 33,2 cm, 1806, musée du Louvre.

  • 63 Sur la tradition du bestiaire antijésuitique, voir Michel Leroy, Le mythe jésuite de Béranger à Mi (...)

57Dès leur installation en France au milieu du XVIe siècle, les Jésuites avaient rencontré une très forte hostilité. Or depuis la Réforme, toute controverse, particulièrement en matière religieuse, avait pris pour habitude de convoquer le vocabulaire, iconographique et textuel, d’un bestiaire tantôt naturaliste, tantôt fantastique ou hybride63. Aussi, parmi toutes les images satiriques diffusées contre la Compagnie au XVIIIe siècle, un large courant relève de ce principe à l’efficacité éprouvée : l’animalisation. Ce procédé se fonde également sur le rapport dialectique masqué/révélé, accentuant les analogies entre l’animal et l’homme, et transposant ainsi une réalité donnée dans un monde symbolique en vue de la décrypter plus aisément.

  • 64 Voir Guillemette Andreu (dir.), Les Artistes de Pharaon Deir el-Médineh et la Vallée des Rois, cat (...)

58Au-delà de la source satirique populaire et ancienne d’une telle pratique – contes et ostraca égyptiens64, les fables d’Esope ou de La Fontaine en passant par les fabliaux médiévaux –, c’est la tradition physiognomonique qui retiendra ici toute notre attention. L’arme de la bestialisation adoptée dans tout combat polémique, permet de ravaler son adversaire en lui déniant son humanité, notamment par le recours à une effrayante zoologie. Les écrits et les estampes visant les jésuites ont usé et abusé de ce procédé, leur associant les bêtes fauves et redoutées, celles des mondes souterrain et nocturne, reflets des peurs archaïques : serpents, chauves-souris, rapaces, insectes, loups, renards, etc.

59La physiognomonie animale constitue donc un des Principes de caricature, ainsi que les a définis François Grose :

  • 65 François Grose, Principes de Caricature, suivis d’un Essai sur la peinture comique, traduit en fra (...)

Comme il se trouve quelquefois des visages, qui ont une ressemblance frappante avec certains animaux, il faut rechercher soigneusement les caractères distinctifs de chaque bête, se procurer ou se faire des dessins exacts de leurs têtes, esquisser ensuite la tête humaine, en conservant, autant qu’il est possible, le caractère dominant de la bête, qui ressemble au sujet que l’on dessine. On trouve plusieurs exemples de ce genre dans l’ouvrage que B. Porta a publié sur le physionomie humaine65.

  • 66 Les loups démasqués. Les lettres échangées par Caylus et Paciaudi témoignent du vif intérêt partag (...)
  • 67 Voir Rolf Reichardt, « Das reißende Untier von Gévaudan und seine Metamorphosen (1764-1767) », « K (...)
  • 68 Caylus lui-même en témoigne, écrivant à Paciaudi : « Vous avez […] dans ce paquet […] le portrait (...)

60Or la taille-douce Religion des jésuites… (fig. 6) comporte un encadrement emblématique mêlant trophées d’armes, cornes abondance, masques de la Tromperie, barrettes : autant d’instruments symbolisant traditionnellement la vilenie des jésuites. Au sein de ce décor, se distinguent de part et d’autre du grand médaillon ovale, à hauteur même des visages des jésuites, deux petits médaillons rocailles, accompagnés de cartouches. À gauche on identifie un sanglier aper de silva et à droite un des loups ravisseurs lupi rapaces. Cette juxtaposition directe d’animaux sauvages avec les profils humains obéit à un processus d’analogie physiognomonique. La taille réduite des bêtes ne permet pas un rapprochement immédiat, comme en proposent les planches de della Porta ou les dessins de Le Brun, mais ces représentations, fonctionnent comme des signes, suffisamment explicites pour inciter le spectateur à associer les traits des jésuites à ceux de ces prédateurs féroces. La comparaison des jésuites d’une part avec les loups constituait bien entendu un topos de la littérature antijésuitique comme l’illustre par exemple un célèbre pamphlet italien : I lupi smascherati66, qui avait très naturellement trouvé une incarnation gravée avec le Frontispice des Nouvelles ecclésiastiques pour l’année 1761 (fig. 14). On observe ainsi dans un des six médaillons ovales qui le composent, des jésuites, à qui la Vérité arrache leurs masques humains et qui laissent alors apparaître des gueules de loups. D’autre part, la seconde assimilation bestiale liant la Compagnie de Jésus à un sanglier se retrouve dans une estampe datée de 1764, Banissement [sic] des Jésuites en France (fig. 15), avec la même référence aux psaumes « aper de silva ». Cette composition montrant un sanglier piétinant férocement une femme étendue à terre, la Religion, procède directement de l’iconographie de la bête du Gévaudan, telle qu’elle avait été véhiculée par de nombreuses estampes populaires à travers toute l’Europe67. Ce lien ne pouvait échapper aux contemporains qui furent sensibles à de telles représentations68.

61À l’issue de nos premiers examens, plusieurs réflexions s’imposent déjà. La caricature a été associée avec succès aux jésuites, parce que traversée elle-même d’une tension dynamique interne, entre représentation d’une individualité ou d’une collectivité, elle rencontrait de manière pertinente les propres lignes de force contradictoires de la Société de Jésus. Du point de vue plastique, la caricature antijésuitique apparaît comme un véritable laboratoire des formes, synthétisant de manière exemplaire les réflexions sur l’essence du portrait charge, la théorie des expressions ou la physiognomonie humaine et animale. Et c’est à notre sens, en se fondant sur ce solide arrière plan, que la caricature contre les jésuites a pu se développer comme une pratique sociale et politique exemplaire.

Figure 14. De Montalais, Frontispice des Nouvelles ecclésiastiques pour l’année 1761, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 21,5 x 16,5 cm.

Figure 15. Anonyme, Banissement [sic] des jésuites en France, vers 1764, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 19 x 14 cm.

La gravure infamante

62L’impact de la Religion des jésuites… (fig. 6) fut sans conteste marquant dans l’élaboration d’une image séditieuse des jésuites. Nous en voulons pour preuve une taille-douce conçue en deux registres superposés, consacrée à l’exécution du Père Malagrida (fig. 16). La partie supérieure de cette gravure, Gabriel Malagrida Jésuite brulé à Lisbone…, montre son portrait inscrit dans un tondo, entouré de divers emblèmes : rapace nocturne déchirant les armes de Portugal, hydre jésuitique dilacérant l’Évangile ainsi que les vêtements dont étaient revêtues, lors d’un autodafé, les victimes de l’Inquisition. Quant à la partie inférieure de la feuille, elle représente le supplice du condamné.

Figure 16. Anonyme, Gabriel Malagrida jésuite brûlé à Lisbone, vers 1762, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 22 x 14,7 cm.

  • 69 Sur l’histoire et le statut de la peinture infamante, voir l’essai particulièrement stimulant de G (...)

63Quelques remarques liminaires s’imposent relativement au portrait du père jésuite. Son profil en médaillon dérive directement de celui montrant les trois « parricides » portugais. En outre, la juxtaposition du visage cantonné de deux figurations animales, relève encore d’une approche physiognomonique. Ainsi la barrette de Malagrida, son nez ici épointé, son regard torve souligné d’un sourcil froncé, jouent de manière analogique avec les aigrettes, le bec, et l’œil biais du hibou. En outre, les barrettes surmontant satiriquement les têtes de l’hydre viennent en contrepoint et de manière redondante, compléter ce dispositif d’hybridation animale, encore souligné par la légende de l’estampe. Mais au delà de cette première lecture confirmant nos précédentes observations, il convient d’examiner un point central au sein des caricatures contre les jésuites : leur dimension infamante69.

64Les historiens de l’art qui ont étudié la caricature, notamment Ernst Gombrich, l’ont liée à des pratiques antérieures d’envoûtement, apotropaïques et infamantes, tout en soulignant la distance existant entre les deux approches :

  • 70 E. H. Gombrich et E. Kris, op. cit., 1978, p. 236-237.

Il est un domaine où l’image agressive est devenue une véritable institution, bien avant l’invention de la caricature : à savoir la coutume de pendre des personnages en effigie […]. Ces peintures furent, en quelque sorte, les précurseurs de la caricature, mais dans un sens très restreint, car elles avaient pour but de porter atteinte à la dignité d’un individu. Du point de vue artistique, ces portraits étaient loin d’être des caricatures. […] les rares exemples qui nous sont parvenus […] ne comportent aucune déformation comique des visages mais, vraisemblablement, des tentatives élémentaires pour parvenir à une ressemblance. […] C’est seulement le contexte symbolique […] qui rabaisse la victime et non la réinterprétation de l’homme par l’artiste70.

65Il nous semble pourtant que cette analyse puisse être questionnée et dans cette démarche, il convient de se reporter aux textes contemporains, en l’occurrence à un des auteurs essentiels de la théorie de l’art en France à l’époque moderne : Félibien. Ce dernier remarquait ainsi à propos des peintures infamantes réalisées par Giottino à l’occasion de l’expulsion du duc d’Athènes de Florence en 1343 :

  • 71 A. Félibien, Entretiens…, op. cit., 1666-1688, t. I, p. 151, nous soulignons. Félibien se montre s (...)

Il représenta le duc d’Athènes ; et comme ce n’était pas une personne d’une taille avantageuse, ni d’une mine fort relevée, il lui fut bien facile d’en former une laide figure, sans s’éloigner beaucoup de la ressemblance. […] il le peignit d’une taille fort petite, le teint brun, la barbe longue et claire ; et pour le rendre plus difforme, il marqua davantage toutes les parties qui pouvaient contribuer à faire voir ses défauts71.

66À travers cet exemple ancien, Félibien brosse en fait une véritable définition du portrait charge tel qu’il se concevait aux XVIIe et XVIIIe siècles. Et notre théoricien va plus loin en soulignant même l’apport de la physiognomonie animale :

  • 72 Félibien, op. cit., 1987, p. 205.

Il [Giottino] ne se contenta pas de faire son portrait tel que je viens de dire, il voulut encore faire une image de son esprit, et représenter les qualités de son âme aussi bien que les traits de son visage. Pour cela il environna sa tête des animaux les plus cruels et dont les qualités pouvaient convenir aux mauvaises inclinations qu’on lui attribuait […]72.

67Une telle description évoque directement les portraits chargés de Malagrida. La seule réserve qui pourrait être recevable concerne les traits du jésuite qui ne relevaient sans doute pas, nous l’avons vu, d’une véritable ressemblance. Cependant, ces images étaient diffusées vers un public qui ne connaissait le condamné qu’à travers d’autres gravures, dont certaines étaient censées être des effigies véridiques, tel le vrai-faux portrait hagiographique trouvé en Italie (fig. 3). En ce sens, les profils caricaturaux des jésuites constituent donc bien des portraits charges.

  • 73 Sur le développement de la peinture infamante dans le contexte d’une affirmation du droit, voir G. (...)

68Un lien indissoluble unit encore, au XVIIIe siècle, l’usage polémique de l’image avec ses racines « surnaturelles », et cela apparaît de manière prégnante dans le cas Malagrida. Ici, le portrait caricatural s’intègre parfaitement dans la tradition de l’image infamante, originellement liée à une décision de justice et dont l’objet consistait à frapper l’individu dans sa dignité et son honneur, pour l’exposer à la dérision et au mépris de ses concitoyens73. Et c’est bien dans ce sillon que s’inscrivent les gravures diffusées contre les jésuites, particulièrement à partir de la fin des années 1750, dans le contexte d’une judiciarisation des attaques menées contre la Compagnie. La peinture infamante implique l’existence d’une opinion publique, postulat qui est au cœur de la diffusion des estampes politico-religieuses au XVIIIe siècle.

  • 74 L’abbé Morellet publia en français le Manuel des Inquisiteurs, précisément en 1762. Voir André Mor (...)

69La corrélation entre ces estampes et la peinture infamante est rappelée par les représentations de l’autodafé dont Malagrida fut la victime. En effet, à côté de son portrait, la planche Gabriel Malagrida jésuite brûlé à Lisbone (fig. 16), met en valeur le san-benito et le bonnet ou carocha dont étaient revêtus publiquement les condamnés. En France, les milieux éclairés s’étaient passionnés pour l’Inquisition, dénonçant ses pratiques médiévales et obscurantistes, mais a contrario, diffusant largement des informations autour de cette institution religieuse et judiciaire74.

  • 75 Voyages de Mr Dellon avec sa relation de l’Inquisition de Goa, augmentée de diverses pièces curieu (...)
  • 76 Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde dessinées par Bernard Picart, Amst (...)

70Parmi les écrits qui avaient vulgarisé les pratiques de l’Inquisition, les Voyages de Mr Dellon avec sa relation de l’Inquisition de Goa occupent une place importante75. À cette édition étaient associées des gravures peignant avec précision les habits portés par les condamnés du Saint-Office. Celles-ci furent largement diffusées au XVIIIe siècle, et ce également à travers les copies qu’en fit Bernard Picart pour les Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde76.

  • 77 Voyages de Mr Dellon…, op. cit., t. 2, p. 115-116.

71Les planches de l’ouvrage de Dellon étaient accompagnées de commentaires, où il était noté que ceux qui étaient brûlés portaient le samarra, tunique sur laquelle « le portrait du patient y est représenté au naturel devant et derrière posé sur des tisons embrasés, avec des flammes qui s’élèvent, et des démons tout à l’entour […]77 ». À la droite du tondo de Malagrida se trouve la tunique portée lors de son exécution sur laquelle est représenté son portrait en pied et non pas seulement son visage.

72L’auteur de la description des pratiques inquisitoriales à Goa précisait encore que :

  • 78 Ibid, p. 132 et 134.

Le lendemain de l’exécution, on porte dans les églises des Dominicains, les portraits de ceux que l’on a fait mourir. Leur tête seulement y est représentée au naturel, posée sur des tisons embrasés […]
Ces épouvantables représentations sont mises dans la nef, et au dessus de la grande porte de l’église, comme autant d’illustres trophées consacrés à la gloire du saint Office, et quand cette face de l’église est ainsi tapissée, on en met aussi sur les ailes près de la porte ; ceux qui ont été à Lisbonne dans la grande église des Dominicains, […], y auront pu remarquer plusieurs centaines de ces tristes peintures78.

  • 79 G. Ortalli, op. cit., 1994, p. 73 sq.

73Si ce visage d’infamie n’est pas représenté directement sur le san-benito de Malagrida, c’est sans doute que le portrait en médaillon du jésuite fait ici office de substitut à une telle image. La chaîne que le graveur a pris soin de représenter sous-entend que ce tondo était destiné à être suspendu – comme les peintures des suppliciés dans l’église des Dominicains – afin d’exposer le jésuite à une forme d’exécration publique. La diffusion des gravures antijésuitiques au moment du procès et de la condamnation de la Compagnie au Portugal puis en France, ressortit pleinement à une tradition de peinture infamante. L’abandon de cette pratique, sous les formes qu’elle avait connues en Italie entre les XIIIe et XVe siècles, a été lié à des changements sociétaux structurels79 ; cependant, on n’a, selon nous, peut-être pas encore suffisamment rapproché cette désaffection de l’apparition de la gravure et de sa rapide utilisation comme arme politique avec la Réforme. à travers certaines estampes séditieuses ces anciens procédés auraient ainsi pu réaliser leur mue vers la modernité.

  • 80 « Cette nouvelle [le verdict du procès du P. Girard] fit subitement allumer des feux de joie dans (...)
  • 81 Voir M. Melot, op. cit., 1975, p. 113.

74Un examen pertinent de cette production gravée doit donc nécessairement, être envisagé dans un plus large champ, c’est-à-dire prendre conjointement en compte des pratiques n’entrant peut-être pas stricto sensu, dans la sphère artistique, mais qui en sont à la marge et peuvent nous apporter d’appréciables éclairages complémentaires. Nous pensons ainsi à certaines manifestations rapportées par les sources contemporaines, comme des effigies du jésuite Girard brûlées à Toulon à l’issue de sa relaxe, ou des figurines réalisées lors du procès de la Société de Jésus80. Le succès de la diffusion des gravures s’explique aussi par l’existence d’un tel tuf contestataire populaire. En outre les capillarités entre l’estampe séditieuse et ces manifestations publiques relevant des mascarades carnavalesques sont bien établies. Ainsi une planche réalisée à l’occasion du procès du Père Girard en 1731 (fig. 17), associe un médaillon biceps Icy est le portrait du docteur quilira, repris d’une estampe facétieuse du siècle précédent81, à une vignette satirique à connotation pornographique Girard par l’ardeur de sa flamme/Convertit la fille en femme/Mais le Parlement plus habile/à converti la femme en fille. Le jésuite sur un âne mingens – allusion crue au viol supposé de sa pénitente – semblerait conduit au bûcher par un magistrat l’enduisant de poix, si n’était le quatrain accompagnant la gravure, nous invitant dès lors à voir le juge plagiant satiriquement une aspersion d’eau bénite ! Un détail curieux permet de lier les deux images réunies sur la même feuille : la bourse attachée au col de la mule qui paraît s’affranchir des lois de Newton. Cette incongruité invite le spectateur à retourner la feuille. La tête satanique de l’âne se découvre alors, coiffée d’une barrette jésuitique, une bourse de condamné pendue à son cou. Il s’agit donc d’une adaptation du médaillon, qui à travers ce visage animal anamorphosé dévoile le portrait moral du jésuite, dans un nouvel usage de la physiognomonie.

75Les portraits d’infamie renouent avec la dimension magico-religieuse prêtée aux images. Cette ancestrale créance, dont se nourrissaient les caricatures attaquant les jésuites fut ainsi tournée en ridicule par le P. Bougeant dans une de ses satires théâtrales contre les jansénistes. Il présente ainsi dans La Femme docteur ce dialogue :

Figure 17. Anonyme, Girard par l’ardeur de sa flamme… Aha voilà mon portrait, Bibliothèque nationale de France, Nouvelles ecclésiastiques, 1731, 11 x 21 cm.

  • 82 [G. H. Bougeant], op. cit., 1731, p. 107.

Dorimène, dame janséniste :
– Molina a deux yeux, deux yeux ! Je voudrais que vous eussiez vu ces deux yeux là.
Mme Lucrèce :
– Et sa bouche, Madame, sa bouche ! ah quelle bouche !
Dorimène :
– Oh oui ; mais c’est surtout son nez, Madame ; c’est bien son nez le plus horrible, le plus horrible nez ! Pour moi je n’ose plus le regarder, surtout depuis que je suis grosse. Ah quel nez82 !

  • 83 G. Ortalli, op. cit., 1994, p. 15.

76Or si de nombreux cas de destruction de portraits gravés de jansénistes ont été rapportés, des occurrences inverses ne sont en revanche point mentionnées. Cette absence avérée d’iconoclasme janséniste – que n’auraient sans nul doute pas manqué de stigmatiser les jésuites – a trouvé précisément son palliatif dans la multiplication des gravures antijésuitiques. La destruction des images de l’autre n’est plus nécessaire quand la représentation satirique constitue une réaction bien supérieure : elle permet en effet non seulement la mise à distance, mais aussi la révélation. La réussite des gravures polémiques au XVIIIe siècle, procède de leur capacité à se réapproprier diverses sources, en l’occurrence, à travers l’image infamante, une forme de laïcisation de la représentation83, distincte des processus religieux également employés.

77Avant de conclure, nous pensons qu’il est ici nécessaire de nous arrêter un instant autour de cette question à nos yeux essentielle, sur le statut du portrait satirique entre caricature et pratique magique.

  • 84 E. H. Gombrich et E. Kris, op. cit., 1978, p. 249.

78Gombrich et Kris distinguent ainsi trois attitudes face à l’image magique. La plus élémentaire relevant de l’envoûtement dans laquelle « L’image et la personne ne font qu’un : transpercer une figurine de cire signifie détruire un ennemi84 ». À un deuxième stade se situerait la peinture infamante :

  • 85 Ibid.
    Cette interprétation oublie cependant le principe historique de la double peine (physique et (...)

[…] l’action hostile est perpétrée sur l’image au lieu de l’être sur la personne. […] ce n’est pas tant la personne qui est visée que son honneur. L’image sert à perpétuer et à répandre sous forme graphique une action hostile, un préjudice ou un avilissement. Elle est communication plutôt qu’action immédiate85.

79Enfin la dernière étape est celle de la caricature :

  • 86 Ibid.

[…] l’action hostile se borne à modifier la « ressemblance » de la personne. Grâce au pouvoir de l’artiste, la victime apparaît transformée, réinterprétée et seule cette interprétation contient une critique. L’agressivité est restée à l’intérieur de la sphère esthétique, ce qui nous permet de réagir non par l’hostilité, mais par le rire86.

80Sans remettre en cause des analyses par ailleurs souvent très fines, une telle lecture de la caricature nous apparaît cependant par trop restrictive. En effet, elle l’isole, comme un phénomène purement artistique, hors de son contexte de création polémique, judiciaire, populaire ou violent. Ainsi, pour emprunter un exemple non ambivalent, la caricature de Philippon Louis la poire, provoque sans doute le rire dans un premier temps, mais elle implique aussi (et surtout) une remise en cause fondamentale de la monarchie de juillet, dans le contexte particulier d’une censure de la presse, et a certainement aussi contribué aux événements de 1848.

81En outre, les analyses que nous avons menées à partir des portraits séditieux des jésuites prouvent qu’il n’y a pas de dichotomie entre une conception esthétique et juridico-morale de la représentation. Tout l’intérêt de ces gravures réside précisément dans leur richesse protéiforme qui a su avec réussite, emprunter aussi bien à des conceptions traditionnelles et archaïques de l’image qu’aux pratiques artistiques d’ordre académique, telles l’expression et la physiognomonie.

82Pour trancher provisoirement ce débat, il convient sans doute de changer de point de vue et de ne pas s’intéresser seulement à la réalisation de la caricature, mais à sa réception. Les représentations de Malagrida, ou d’autres jésuites, étaient certainement lues par un public populaire à l’aune de la dimension magique accordée à l’image. En revanche, une population plus bourgeoise et plus cultivée, comme pouvait l’être le milieu de la basoche parisienne, devait davantage être sensible à la dimension satirique, burlesque et distanciée de ces caricatures.

83En France, au XVIIIe siècle, la multiplication d’estampes satiriques – et particulièrement de caricatures – dirigées contre la Compagnie a joué un rôle singulier dans le développement de l’antijésuitisme. à travers ces portraits chargés, ces visages rémanents tout à la fois grossiers, ridicules ou effrayants de jésuites, se sont cristallisées toutes sortes d’exécrations, d’anathèmes, d’imprécations, de dénonciations, et de fantasmes.

84En mêlant aux ressorts traditionnels de l’image satirique et infamante, des références propres à la théorie esthétiques ou à la pratique artistique, ces gravures ont pu toucher un très vaste public et par là même contribuer de manière décisive à la mise en condition d’une opinion publique qui vint à considérer le disparition de la Société de Jésus comme nécessaire ou au moins inéluctable.

Notes

1 [Guillaume-Hyacinthe Bougeant, sj], Le Saint déniché ou la Banqueroute des marchands de miracles. Comédie, La Haye, 1732.

2 Voir Werner Hofmann (dir.), Luther und die Folgen für die Kunst, Hamburger Kunsthalle, Munich, 1983.

3 Sur le contexte et les enjeux de ce débat, voir Catherine Maire, De la cause de Dieu à la cause de la Nation : le jansénisme au XVIIIe siècle, Paris, 1998.

4 Entre 1710 et 1770, on peut estimer à environ 400 le nombre de planches en faveur des jansénistes et du parlement et pour la plupart dirigées contre la Compagnie, sans tenir compte des nombreux portraits d’ecclésiastiques ou de laïcs dont il est aujourd’hui difficile de déterminer la connotation proprement janséniste. Ce corpus est particulièrement bien représenté au département des estampes de la Bibliothèque nationale de France [BnF] (séries Qb1 et collection Hennin – Histoire de France – et N – portraits –), ainsi qu’à la Bibliothèque de Port-Royal [BPR].

5 Voir la cas exemplaire de Bernard Picart. Sur ce point particulier, nous nous permettons de renvoyer à notre article « Gravures antijésuites en Hollande et en France durant le premier tiers du XVIIIe siècle. Bernard Picart graveur des jansénistes, propositions pour un corpus séditieux », Interkulturelle Kommunikation in der europaïschen Druckgraphik im 18. und 19. Jahrhundert, sous la direction de Rolf Reichardt et Philippe Kaenel, Ascona (Suisse), 7-12 Avril 2002, Hildesheim, Zurich, New York, 2007.

6 Voir Franz Funck-Brentano, Les Lettres de cachet à Paris (1659-1789), Paris, 1903.

7 Voir David Beaurain, L’Art du portrait en France au dix-huitième siècle : l’image de la société et l’histoire d’un genre à travers la pratique, la critique et la diffusion, thèse de doctorat sous la direction de Daniel Rabreau, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, 2000.

8 Voir William McAllister-Johnson, Les morceaux de réception des graveurs à l’Académie royale des Beaux-Arts (1655-1789), Maxime Préaud (dir.), musée-galerie de la Seita, Paris, 1982, p. 6-8.

9 Concernant les catalogues de ventes de gravures voir Frits Lugt, Répertoire des catalogues de ventes publiques intéressant l’art ou la curiosité. Première période vers 1600-1825, La Haye, 1938. Sur la constitution d’une collection voir Carl Heinrich von Heinecken, Idée générale d’une collection complette d’estampes, Leipzic et Vienne, 1771 (rééd. Genève, 1973), p. 504-507. Sur les inventaires après décès, voir Jean Chatélus, « Thèmes picturaux dans les appartements de marchands et artisans parisiens au XVIIIe siècle », Dix-huitième siècle, no 6, 1974, p. 315-316.

10 Voir Georges Wildenstein, « Le goût pour la peinture dans le cercle de la bourgeoisie parisienne autour de 1700 », Gazette des Beaux Arts, 6e période, XLVIII, septembre 1956, p. 113-195 et Olivier Bonfait, « Les Collections des parlementaires parisiens du XVIIIe siècle », Revue de l’art, no 73, 1986, p. 28-42.

11 Michel Melot a ainsi souligné que l’objet représenté aussi bien que le mode de représentation sont attaqués par la caricature : « Qui est finalement visé : est-ce bien la personne, à travers le code, que l’on utilise et que, d’une certaine façon, on respecte, ou bien est-ce le code à travers la personne qui n’en serait que le symbole vivant […] », Michel Melot, « La Caricature ou l’imitation contrariée », L’Imitation aliénation ou source de liberté ? Rencontres de l’École du Louvre, 1984, Paris, 1985, p. 231.

12 Mathieu Marais, Journal et mémoires de Mathieu Marais avocat au parlement de Paris sur la Régence et le règne de Louis XV (1715-1737), M. de Lescure (éd.), Paris, 1863-1868, 4 vol., t. II, juillet 1721, p. 175 ; René-Louis Voyer, marquis d’Argenson, Journal et mémoires du marquis d’Argenson, J. B. Rathery (éd.), Paris, 1859-1867, 9 vol., t. V, 1er mars 1749, p. 402.

13 Voir Werner Hofmann, La caricature de Vinci à Picasso, Paris, 1958, p. 16-17. On complétera cet ouvrage essentiel sur la place de la caricature dans l’histoire de l’art par deux autres références : Ernst H. Gombrich et Ernst Kris, « Principes de la caricature », Psychanalyse de l’art, Paris, 1978 et Michel Melot, L’Œil qui rit, le pouvoir comique des images, Fribourg, 1975.

14 « La caricature correspond, chez les peintres et sculpteurs, à une méthode consistant à faire un portrait le plus ressemblant possible mais aussi pour s’amuser, ou parfois pour se moquer de leur modèle, à augmenter et à accentuer exagérément les défauts des traits qu’ils copient. Ainsi, le portrait, dans son ensemble, est parfaitement conforme au modèle, alors que les traits qui le composent sont modifiés ». Cité par E. H. Gombrich et E. Kris, op. cit., 1978, p. 232.

15 « Personne n’entendait cela [un portrait chargé] ; j’ai dit au Roi que c’étaient des portraits que l’on faisait ressembler dans le laid et le ridicule », Paul Fréart de Chantelou, Journal de voyage du cavalier Bernin en France, Milovan Stanic (éd.), Paris, 2001, p. 127. Voir aussi Irving Lavin, Bernin et l’art de la satire sociale, Paris, 1987.

16 Dictionnaire universel François Latin ou Dictionnaire de Trévoux, Paris, 1743, 6 vol., t. I, ad voc.

17 François-Marie Marsy, Dictionnaire abrégé de peinture et d’architecture, Paris, 1746, 2 vol., ad voc.

18 Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, 1751-1780, 35 vol., t. II, « caricature ».

19 Antoine-Joseph Pernety, Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure ; avec un traité pratique des différentes manières de peindre, dont la théorie est développée dans les articles qui en sont susceptibles. Ouvrage utile aux Artistes, aux Élèves et aux Amateurs, Paris, 1757 (rééd. Genève, 1972), p. 49, Carricature [sic].

20 Ibid, p. 56, « Charge ».

21 « Pourrai-je donc faire une meilleure œuvre que de les démasquer, et de montrer évidemment à VE la fourberie des plus grands fourbes des lumières ; […] Au reste, Monseigneur, le portrait que je prends la liberté de présenter à VE ; portrait qui démasque les jésuites […] », [Jacques Tailhé, abbé], Portrait des jésuites dont les traits sont tirés de la Constitution Unigenitus, adressée à son éminence Monseigneur le Cardinal de Fleury, premier Ministre de France, sl, 1735, p. 3 et 6.

22 [Anonyme], Portrait au naturel des jésuites et anciens et modernes ou image véritable du premier et du dernier siècle de la Société de Jésus, Amsterdam, 1731 ; [Jacques Tailhé, abbé], Portrait des jésuites dont les traits sont tirés de la Constitution Unigenitus, adressée à Son Éminence Monseigneur le Cardinal de Fleury, premier Ministre de France, sl, 1735 ; [Pierre-Olivier Pinault], Jugement porté sur les jésuites, par les grands hommes de l’Église et de l’État ; ou Portrait des jésuites fait d’après nature par les plus illustres catholiques, depuis l’an 1540, époque de leur établissement, jusqu’en l’année 1650 : c’est-à-dire avant les disputes qui se sont élevées sur le livre de Jansenius, Lisbonne, 1761 ; [Anonyme], Esquisse du portrait des pères jésuites, Rome, 1762.

23 [G.-H. Bougeant], La femme docteur ou la théologie tombée en quenouille Comédie, La Haye, 1731. Véritable succès, vingt-cinq éditions clandestines ont été dénombrées : voir Jean Sgard (dir.), Dictionnaire des journalistes 1600-1789, Oxford, 1999, 2 vol., t. I, p. 131-133.

24 [G.-H. Bougeant], op. cit., 1731, p. 107.

25 Étienne Desrochers (1668-1741) a également gravé Jansenius ou saint Ignace.

26 BnF, Est., 15 x 10, par Jean Crepy (1660-1739).

27 La référence au triomphe de la « grâce suffisante » dans le quatrain au bas de l’estampe pourrait nous conduire à penser qu’il s’agit bien là d’un portrait encomiastique, même s’il peut encore s’agir d’une anti-phrase.

28 Les tourniquets jansénistes se composaient d’une feuille de format carrée, généralement gravée, au sein de laquelle était ménagé une fenêtre de format triangulaire. Derrière cette feuille, on faisait tourner un cercle sur lequel était représentés, affrontés deux par deux une célébrité janséniste face à un adversaire constitutionnaire. L’ouverture ménagée ne pouvant mettre un jour qu’un seul personnage, le gagnant du jeu était celui qui réussissait à faire apparaître un janséniste !
Cette pratique janséniste d’opposer deux visages au sein d’une même image ressortit à une tradition polémique issue de la Réforme, celle des médailles biceps (pape/diable, cardinal/fou). Voir Étienne Cartier, « Recherches sur quelques médailles historiques du XVIe siècle », Revue numismatique, 1851, p. 36-58 ; Francis Pierrepont Barnard, Satirical and controversial Medals of the Reformation The Biceps or double-headed series, Oxford, 1927 et L’humour et la médaille à la Monnaie de Paris, Paris, 1981, p. 74-75.

29 Jésuite accusé d’avoir fomenté l’attentat contre le roi de Portugal, à l’issue d’un procès visiblement inique que dénonça Voltaire, il fut brûlé à Lisbonne en 1761.

30 Nouvelles ecclésiastiques, 6 février 1764, p. 24. Citées désormais NNEE.

31 Cette taille-douce Sous le masque pieux… n’est ainsi pas sans évoquer le Scélérat Damiens gravé à l’eau-forte par Gabriel de Saint-Aubin. Voir Gabriel de Saint-Aubin 1724-1780, Colin B. Bailey (dir.), Paris, 2007, no 19.

32 « Il y a eu plusieurs peintres, qui ont eu la fantaisie de faire des Portraits chargés, c’est-à-dire, d’exagérer les défauts d’un visage et d’en cacher la beauté ; sans cependant manquer d’y donner la ressemblance. », Jonathan Richardson, Traité de la peinture et de la sculpture, Amsterdam, 1728 (rééd. Genève, 1972), 2 vol., t.oI, p. 62.

33 [Duc d’Ayen ?], les Larmes de saint Ignace ou dialogue entre saint Thomas et saint Ignace l’an de la destruction du colosse de Rhodes 9999 par un cousin du prophète Malagrida, à Aravalo en Castille, sd.
Le Père Girard était ce jésuite de Toulon accusé d’avoir séduit puis fait avorter sa pénitente, la Cadière, jugé et finalement élargi en 1731 ; Guignard, bibliothécaire du collège de Clermont fut pendu en janvier 1595, à la suite de l’expulsion de la Compagnie après l’attentat de Jean Chastel contre Henri IV. Ces trois personnages identifiés avaient en commun d’avoir été jugés. Dans le contexte du procès des jésuites devant le parlement, cette énumération sous-entendait ainsi que seule la Justice était en mesure d’identifier clairement les membres de la Compagnie.

34 « Lettre de R.-F. Damiens au roi, 9 janvier 1757 », Pièces originales et procédures du procès fait à Robert-François Damiens, tant en la prévôté de l’hôtel qu’en la cour de Parlement, Paris, 1757, 4 vol., t. I, p. 69. Voir l’ouvrage essentiel sur ce thème : Pierre Rétat (dir.), L’Attentat de Damiens. Discours sur l’événement au XVIIIe siècle, Lyon, 1979 et Dale Van Kley, The Damiens Affair and the Unraveling of the Ancien Regime, 1750-1770, Princeton, 1984. Sur la lecture de ce geste comme appel au roi, voir Arlette Farge, Dire et mal dire, L’Opinion publique au XVIIIe siècle, Paris, 1992.

35 Cette gravure a également été utilisée comme frontispice sur certains exemplaires des Larmes de saint Ignace, op. cit.
L’impact de cette composition s’est affirmé au-delà même du XVIIIe siècle. Ainsi plus de soixante ans après sa première diffusion, et surtout après la césure révolutionnaire, elle était reprise dans une lithographie, les Jésuites régicides, – dont Malagrida – illustrant la réédition d’un célèbre pamphlet antijésuitique : D’Hénin de Cuvilliers (éd.), La Monarchie des Solipses, par Jules Clément Scotti, jésuite, sous le nom emprunté de Melchior Inchofer, Paris, 1824. La puissance séditieuse émanant de cette planche semblait demeurée intacte comme en témoigne une lettre manuscrite du baron d’Hénin de Cuvilliers, non datée, conservée dans un exemplaire du livre conservé à la BPR : « La police de la librairie a exigé la suppression des gravures », [BPR, LP 334].

36 « […] un peintre ne doit pas ignorer la physionomie pour bien connaître et bien peindre les différentes inclinations des hommes. […] des signes que la nature imprime sur le visage des hommes, et par lesquels on peut juger non seulement des passions qui les dominent, mais encore des vertus ou des vices auxquels ils sont portés. », André Félibien, Entretiens sur les vies et les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes, Paris, 1666-1688, 5 vol, t. V, p. 191.

37 Il bénéficia même d’une traduction : La Physionomie humaine de Jean Baptiste Porta neapolitain divisée en quatre livres, traduit par le sieur Rault, Rouen, 1655.

38 Voir Thomas Kirchner, L’Expression des passions, Mainz, 1991 ; Jennifer Montagu, The Expression of the Passions, New Haven et Londres, 1994 ; Alain Mérot (éd.), Les Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture au XVIIe siècle, Paris, 1996, p. 145-147.

39 Maxime Préaud, Sébastien Le Clerc, Inventaire du Fonds Français, Graveurs du XVIIe siècle, t. 8, Paris, 1980, p. 304-306 et J. Montagu, op. cit., 1994, p. 175 sq.

40 Alain Mérot (éd.), op. cit., 1996, p. 158.

41 L’Expression constituait pour les théoriciens de l’art des temps modernes une des parties essentielles de la peinture : voir par exemple Roland Fréart de Chambray, Idée de la perfection de la peinture, Le Mans, 1662, p. 10 et 13 à 17 ; J. Richardson, op. cit., Amsterdam, 1728, t. I, p. 27 et 69 à 94 ; Abbé Du Bos, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, Paris, 1993 (rééd. de l’éd. de 1755), p. 71. L’expression est un des critères essentiels de la « Balance des peintres » de Roger de Piles à la suite de son Cours de peinture par principes, Paris, 1708 (rééd. Paris, 1989).

42 Voir principalement Roger de Piles, op. cit., 1989, p. 92-93. Auparavant déjà Félibien avait relativisé l’application trop rigide d’une telle théorie, voir Entretiens…, op. cit., 1666-1688, t. V, p. 189-213.

43 Thomas Kirchner, 1991, op. cit., p. 190-229 et 366-381.

44 Voir Samuel Rocheblave, Essai sur le comte de Caylus l’homme-l’artiste-l’antiquaire, Paris, 1889. Il convient également de rappeler que le comte était le neveu de Mgr de Caylus évêque d’Auxerre (1669-1704), un des principaux chefs de file du mouvement janséniste.

45 Le catalogue de référence de l’artiste n’en fait nulle mention : voir Antoine Schnapper, Jean Jouvenet 1644-1717 et la peinture d’histoire à Paris, Paris, 1974.

46 Charles Nisard (éd.), Correspondance inédite du comte de Caylus avec le P. Paciaudi théatin (1757-1765) suivie de celles de l’abbé Barthélemy et de P. Mariette avec le même, Paris, 1877, 2 vol., t. I, LXXXVIII, 8 avril 1764, p. 457.

47 Ibid, XC, 22 avril 1764, p. 465.

48 Lettres de Paciaudi au comte de Caylus, A. Sérieys (éd.), Paris, 1802, IX, 10 avril 1759, p. 43.

49 Correspondance inédite du comte de Caylus…, op. cit., 1877, t. I, XV, 30 avril 1759, p. 63 et 67.

50 Recueil de Testes de caractère et de charges dessinées par Léonard de Vinci Florentin et gravées par M. le C. de C. [Caylus], Paris, 1730. Considérés comme des copies d’après Léonard dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, les dessins de l’album Mariette, aujourd’hui conservés au Louvre, ont fait dernièrement l’objets de propositions d’attributions : voir François Viatte et Varena Forcione, Léonard de Vinci Dessins et manuscrits, cat. exp., musée du Louvre, Paris, 2003, p. 206-236. Sur les dessins de Mariette, on consultera également Le cabinet d’un grand amateur P.-J. Mariette 1694-1774 Dessins du XVe siècle au XVIIIe siècle, cat. exp., musée du Louvre, Paris, 1967, p. 71-72 et Kate T. Steinitz, Pierre-Jean Mariette and the comte de Caylus and their concept of Leonardo da Vinci in the eighteenth century, Los Angeles, 1974.

51 On rappellera que les trois jésuites ont ainsi figurés en frontispice d’un pamphlet antijésuitique, Les Larmes de saint Ignace, op. cit., attribué au duc d’Ayen, avec qui Caylus a pu être en contact.

52 « C’est une espèce de genre burlesque que le mauvais goût, qui corrompt tous les Arts, a introduit dans la Peinture. « Ceux, dit Mr de Piles, qui ont une véritable idée de la correction, de la simplicité régulière, et de l’élégance de la nature, traiteront de superflues ces charges qui altèrent toujours la vérité ». Il pouvait ajouter qu’elles blessent aussi le bon sens, et que les gens de goût les traitent non seulement de superflues, mais de plates et ridicules ». François-Marie Marsy, op. cit., 1746, charge. « Figures grotesques et extrêmement disproportionnées […] qu’un peintre, un sculpteur ou un graveur fait exprès pour s’amuser, et pour faire rire. […] c’est une espèce de libertinage d’imagination qu’il ne faut se permettre tout au plus que par délassement ». Caricature, Encyclopédie, op. cit., 1780-1772, t. II, p. 684. « Les charges altèrent toujours la vérité, et sont contraires à la correction du dessein, à la simplicité régulière et à l’élégance de la nature ». Antoine-Joseph Pernety, op. cit., 1757, p. 56, charge.

53 Lettre sur Léonard de Vinci…, op. cit., p. 9.

54 Ibid, p. 12.

55 Ibid, p. 12-13.

56 On notera ainsi que le recueil de Mariette et Caylus fut réédité chez Jombert en 1767, quelques années seulement après la multi-diffusion de caricatures des jésuites, qui avaient sans doute contribué à relancer l’intérêt pour les portraits charges de Léonard.

57 Le Trattato de Léonard avait connu une première publication réalisée en 1651 par Raphaël Trichet du Fresne (voir Léonard de Vinci, Traité de la peinture, André Chastel (éd.), Paris, 1987, p. 24 sq.), elle-même immédiatement traduite par Roland Fréart de Chambray : Traitté [sic] de la peinture de Léonard de Vinci, Paris, 1651. Cet ouvrage avait fait partie de la bibliothèque de l’Académie et apparaissait notamment dans le Mémoire des livres fournis pour l’Académie de peinture par P.-J. Mariette, libraire, le 26 octobre 1747.

58 Mosini, préface aux Cris de Bologne gravés par Simon Gillain d’après Annibal Carrache, cité par M. Melot, op. cit., 1985, p. 233.

59 Johann Caspar Lavater, Essai sur la Physiognomonie, La Haye, 1781-1803, 4 vol., t. IV, p. 185.

60 Erwin Panofsky, « Signum triciput Un symbole cultuel hellénistique dans l’art de la Renaissance », Hercule à la croisée des chemins et autres matériaux figuratifs de l’Antiquité dans l’art plus récent, Paris, 1999 (1re éd. Leipzig, Berlin, 1930), p. 17-48.

61 Titien, Allégorie de la Prudence, vers 1565, Londres, National Gallery, 75, 6x68,6. Pour l’étude précise de cette œuvre, voir Erwin Panofsky, Le Titien : questions d’iconologie, Paris, 1990 (1re éd., New-York, 1969), p. 153-161.

62 Ces dessins furent gravés et édités sous la direction de Morel d’Arleux, à l’initiative de Dominique-Vivant Denon, directeur du musée Napoléon : Dissertation sur un traité de Charles Le Brun concernant le rapport de la physionomie humaine avec celle des animaux, Paris, 1806 (rééd., Paris, 2000). Sur la physiognomonie animale, voir Jurgis Baltrusaitis, Aberrations Essai sur la légende des formes. Les perspectives dépravées-I, Paris, 1995 (1re éd. Paris, 1983), p. 13-85.

63 Sur la tradition du bestiaire antijésuitique, voir Michel Leroy, Le mythe jésuite de Béranger à Michelet, Paris, 1992, p. 210 sq.

64 Voir Guillemette Andreu (dir.), Les Artistes de Pharaon Deir el-Médineh et la Vallée des Rois, cat. exp., Paris, 2002, p. 186 sq.

65 François Grose, Principes de Caricature, suivis d’un Essai sur la peinture comique, traduit en français, Leipzig, 1802, p. 12.

66 Les loups démasqués. Les lettres échangées par Caylus et Paciaudi témoignent du vif intérêt partagé par les deux correspondants pour ce libelle. Le théatin, considérant « qu’il faut être spectateur de cette pitoyable comédie ; mais qu’il ne faut y jouer aucun rôle », refusa cependant de le traduire comme l’y avait invité le comte. Voir Lettres de Paciaudi au comte de Caylus, op. cit., 1802, LV, 31 mars 1761, p. 226 et LVIII, 20 mai 1761, p. 239.

67 Voir Rolf Reichardt, « Das reißende Untier von Gévaudan und seine Metamorphosen (1764-1767) », « Kauft schöne Bilder, Kupferstiche… ». Illustrierte Flugblätter und französisch-deutscher Kulturtransfer 1600-1830, Hans-Jürgen Lüsebrink et Rolf Reichardt (dir.), Mainz, 1996, p. 65-70.

68 Caylus lui-même en témoigne, écrivant à Paciaudi : « Vous avez […] dans ce paquet […] le portrait de cette hyène ou de cet animal qui fait tant de ravages. Son portrait, vrai ou faux, pourra amuser l’Infant. Quant à moi, j’avoue que ces sortes dessins me paraissent toujours difficiles à comprendre, et quiconque a le temps de dessiner un pareil animal, a constamment le temps de le tirer et celui de le tuer. », Correspondance inédite du comte de Caylus…, op. cit., 1877, t. II, CXXII, 3 mars 1765, p. 97.

69 Sur l’histoire et le statut de la peinture infamante, voir l’essai particulièrement stimulant de Gherardo Ortalli, La Peinture infamante du XIIIe au XVIe siècle, Paris, 1994 (1re éd. 1979).

70 E. H. Gombrich et E. Kris, op. cit., 1978, p. 236-237.

71 A. Félibien, Entretiens…, op. cit., 1666-1688, t. I, p. 151, nous soulignons. Félibien se montre sur cette peinture beaucoup plus disert que Vasari qui mentionne simplement à propos du duc que sa tête était entourée « d’animaux rapaces et cruels, symboles de son caractère ». Voir Giorgio Vasari, Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, André Chastel (éd.), Paris, 1981-1988, 11 vol., t. II, p. 257.
Par ailleurs considérer que les peintures infamantes ne relèvent pas de l’art (E. Gombrich et E. Kris, op. cit., 1978, p. 236) ne nous semble pas un argument recevable. Ce sont certes des pratiques judiciaires et sociales, mais réalisées par Giottino, Andrea del Castagno, Botticelli et bien d’autres, elles nous paraissent ressortir pour le moins à une dimension artistique, même si elles ne visent pas originellement le beau, au même titre que certains décors emblématiques éphémères, peintures de bannières ou de carrosses.

72 Félibien, op. cit., 1987, p. 205.

73 Sur le développement de la peinture infamante dans le contexte d’une affirmation du droit, voir G. Ortalli, op. cit., 1994, p. 17. Ces représentations étaient circonscrites à des lieux publics et symboliques précis – par exemple le palais du podestat à Florence – alors que les estampes à la gloire des magistrats ou déprisant les jésuites étaient précisément distribuées autour du Palais de Justice.

74 L’abbé Morellet publia en français le Manuel des Inquisiteurs, précisément en 1762. Voir André Morellet, Mémoires sur le dix-huitième siècle et sur la Révolution, Paris, 2000 (1re éd. 1821), p. 90-91.

75 Voyages de Mr Dellon avec sa relation de l’Inquisition de Goa, augmentée de diverses pièces curieuses et l’Histoire des dieux qu’adorent les Gentils des Indes, 3 t. en 2 vol., Cologne, 1709 (1re éd. 1687).

76 Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde dessinées par Bernard Picart, Amsterdam, 1723-1743, 9 vol.

77 Voyages de Mr Dellon…, op. cit., t. 2, p. 115-116.

78 Ibid, p. 132 et 134.

79 G. Ortalli, op. cit., 1994, p. 73 sq.

80 « Cette nouvelle [le verdict du procès du P. Girard] fit subitement allumer des feux de joie dans tous les quartiers. […]. Quelques uns brûlaient un fagot couvert d’un drap noir qu’ils appelaient le P. Girard ; d’autres traînaient une autre espèce d’effigie sur le pavé. Le garde envoyé […] pour barrer une rue qui vient du quartier vieux aux jésuites, se saisit d’un grand drôle enveloppé dans un manteau noir et poursuivi par d’autres gens de sa sorte avec des torches ardentes à la main. […] Quelques uns osèrent lui [le commandant] demander la permission de brûler le P. Girard en effigie. On laisse à penser comment ils furent reçus. Ils ne laissèrent pas néanmoins d’exécuter leur projet au milieu de la place Saint-Pierre […]. On vient de brûler une seconde effigie dans une barrique de goudron, à laquelle on a fait faire auparavant le tour de la place. […] On n’avait point encore cessé le 21 octobre de représenter en public les figures d’une exécution dont le peuple convaincu de l’injustice de l’arrêt, ne cesse de regretter la réalité. Toutes ces représentations étaient des critiques publiques du jugement, et des insultes faites au P. Girard et à la Société. […] il serait effectivement difficile de représenter jusqu’où a été porté l’excès de ce soulèvement populaire. Pendant trois jours on a promené par toute la ville au bout d’une perche un sac de paille, couvert d’une soutane, avec une tête de bois surmontée d’un trépied triangulaire renversé, dont chaque pied était garni d’une corne repliée, à peu près comme celles que les peintres donnent au démon », NNEE, 10 décembre 1731, p. 238-239.
« Des marchands de le foire saint Ovide ont imaginé de faire de petites figures de cire, habillées en jésuites, qui ont pour base une coquille d’escargot ; cela a pris comme les pantins : à l’aide d’une ficelle ont fait sortir et rentrer le jésuite dans sa coquille. C’est une fureur. Il n’y a point de maison qui n’ait son jésuite. », [Mathieu-François Pidansat de Mairobert], Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France, depuis mdcclxii jusqu’à nos jours, Londres, 1777-1789, 36 vol., t. I, 7 septembre 1762, p. 140.

81 Voir M. Melot, op. cit., 1975, p. 113.

82 [G. H. Bougeant], op. cit., 1731, p. 107.

83 G. Ortalli, op. cit., 1994, p. 15.

84 E. H. Gombrich et E. Kris, op. cit., 1978, p. 249.

85 Ibid.
Cette interprétation oublie cependant le principe historique de la double peine (physique et morale) comme en témoigne entre autre l’exemple de la conjuration des Pazzi en 1478. Les assassins de Julien de Médicis furent physiquement pendus avant de l’être en peinture par Botticelli.

86 Ibid.

Table des illustrations

Légende Figure 1. Etienne Desrochers, Portrait de Molina, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 14,4 x 10 cm.
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Légende Figure 2. Anonyme, Tourniquet janséniste, Bibliothèque de Port-Royal, 13 cm. diam.
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Légende Figure 3. Anonyme, Le Père Gabriel Malagrida, vers 1764, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 22,5 x 14,5 cm au trait carré.
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Légende Figure 4. Anonyme, « Sous le masque pieux d’un zèle apostolique », Portrait du P. Malagrida, vers 1762, Bibliothèque de Port-Royal, 15,3 x 11 cm.
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Légende Figure 5. Anonyme, P. Gabriel Malagrida S. J., vers 1762, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 16,5 x 11,6 cm.
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Légende Figure 6. Anonyme, Religion des jésuites parricide des rois, vers 1762, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 24 x 14,3 cm.
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Légende Figure 7. Sébastien Le Clerc, d’après Charles Le Brun, Le mépris et la haine, 1696 ; Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 7,7x14,9 cm.
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Légende Figure 8. Sébastien Le Clerc, d’après Charles Le Brun, La colère, 1696, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 7,8 x 15 cm.
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Légende Figure 9. Caylus d’après Jouvenet ( ?), Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 18,7 x 11,3 cm (au trait carré).
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Légende Figure 10. Caylus d’après Jouvenet ( ?), Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 18,7 x 11,1 cm (au trait carré).
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Légende Figure 11. Caylus d’après Léonard de Vinci, Têtes de caractère no 19, 1730.
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Légende Figure 12. Anonyme, Principaux chefs de la conspiration, vers 1762, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 18 x 12,5 cm.
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Légende Figure 13. André Legrand d’après Charles Le Brun, Trois têtes de corbeaux et trois têtes d’hommes en relation avec le corbeau, 24,5 x 33,2 cm, 1806, musée du Louvre.
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Légende Figure 14. De Montalais, Frontispice des Nouvelles ecclésiastiques pour l’année 1761, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 21,5 x 16,5 cm.
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Légende Figure 15. Anonyme, Banissement [sic] des jésuites en France, vers 1764, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 19 x 14 cm.
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Légende Figure 16. Anonyme, Gabriel Malagrida jésuite brûlé à Lisbone, vers 1762, Bibliothèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, 22 x 14,7 cm.
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Légende Figure 17. Anonyme, Girard par l’ardeur de sa flamme… Aha voilà mon portrait, Bibliothèque nationale de France, Nouvelles ecclésiastiques, 1731, 11 x 21 cm.
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Auteur

Maître de conférences en histoire de l’art à l’université de Nancy 2 ; sa thèse de doctorat à paraître a porté sur Art et politique, langage pictural et sédition dans l’estampe sous le règne de Louis XV. Ses recherches concernent principalement les imaginaires politiques, religieux et satiriques, ainsi que la gravure à l’époque moderne. Il a récemment codirigé le tome VII des Annales du Centre Ledoux, Paris I Panthéon-Sorbonne, « La gravure : quelles problématiques pour les Temps modernes ? », éd. William Blake & co., 2009. Il a publié avec Christine Vogel, « Histoire de l’art et histoire culturelle : regards croisés sur la gravure d’actualité au XVIIIe siècle », in Quelle place pour les images en histoire ?, Paris, 2008 et a également participé au Dictionnaire mondial des images, Nouveau monde, 2006.

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