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Les villes de Bretagne au XVIIIe siècle

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Claude Nières

4e partie. Ville et politique

Chapitre XVII. Une province maritime frontière

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France

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La protection du territoire

1L'État a pour fonction d'assurer la sécurité des sujets et l'intégrité du territoire sur lequel il exerce son autorité. Depuis le rattachement de la Bretagne à la France, la guerre de la Ligue, l'aventure de Vendôme, la politique acharnée de Richelieu avaient eu pour conséquences d'une part de modifier le système défensif mis en place par les ducs et d'autre part de faire de la Bretagne, une province frontière capable de résister aux menaces d'ennemis venus par la mer mais incapable de résister aux ordres du Roi. La mise en défense des côtes bretonnes devint un des soucis permanents des gouvernants dès lors que les conflits prirent des dimensions maritimes plus vastes. La lutte contre les Provinces-Unies pouvait certes être conduite sur terre, mais pas uniquement. Quant à la lutte contre l'Angleterre, elle exigeait un effort maritime constant qui ne fut jamais continu. Trop souvent amené par manque de moyens à trouver des solutions partielles, à régler au plus pressé des problèmes urgents, quelquefois de détail, l'État n'en chercha pas moins à traiter la question dans son ensemble. Politique d'autant plus indispensable qu'il ne s'agissait plus seulement d'empêcher les descentes ennemies mais aussi de donner une protection aux navires qui passaient de la Manche vers l'Atlantique ou l'inverse.

  • 1 Par exemple Mazin. R. Richelot, « la côte de Bretagne », ASHASM. 1967, p. 162-192.
  • 2 Rochefort inventé par Colbert en 1665, situé en un lieu « trop loin dans les terres, au bord d’une (...)
  • 3 Lacour-Gayet, La marine militaire en France sous le règne de Louis XV, 1902 p. 30. L’Angleterre ay (...)
  • 4 BN. man. fr. 1503.

2Le problème de la fortification des villes, de la hiérarchie de la défense s'inscrivit dès lors dans une perspective beaucoup plus vaste qui engloba tout le littoral de la Manche et de l'Atlantique et qui concerna l'ensemble de la Province. Les côtes bretonnes furent plusieurs fois visitées non seulement par des envoyés des ministres mais encore par des ingénieurs militaires. Tous apprécièrent ces rivages aux grèves aisées à défendre, « difficilement accessibles la plupart du temps aux grandes descentes1 ». La commission qui se réunit le 1er mai 1665 à Brouage, fit de Rochefort et non de Brest, le premier port du Ponant. Ce choix retarda la renaissance de Brest et à la veille de la guerre de Hollande l'aménagement de la côte atlantique laissait toujours à désirer2. Alors que tout le monde cherchait un port sur la côte nord et au mieux à l'ouest de la Bretagne, la solution méridionale fut décidée. La commission avait envisagé de renforcer Port-Louis crée par Louis XIII. Deshoulières poursuivant cette idée visita en 1674 Port-Louis et Belle-Île en Mer. Sur cette côte d'Argentré, avait admiré au xvie siècle, la situation et le site de Concarneau « forteresse et petite ville ». Seul point fortifié entre Brest et Lorient, Concarneau constituait surtout un port de relâche et un dépôt d'approvisionnement à l'importance très tôt perçue. Sa rade très belle s'ouvrait sur la mer par un goulet facile à fortifier, mais l'île très petite (400 t/250) ne permettait pas d'envisager qu'elle devînt un grand port de guerre que les ingénieurs désiraient toujours trouver sur les côtes de la Manche. Longtemps ils pensèrent à Dunkerque port stratégiquement important, d'accès plus facile que Brest, mais loin du passage maritime qu'il convenait de surveiller. Le Régent en ruina la destinée à la demande des Anglais3. Il fallait donc : « Pour réparer la disette que les côtes de Picardie et de Normandie ont de ports capables de retirer des navires de guerre [...] cultiver les dispositions de nature qui se trouvent à la côte de Bretagne, dans les rivières de Pontrieux, de Léon, Morlaix, Abernest, Abemerac (Aber wra'ch) et principalement dans celui de Pontrieux4 ». Il y avait en effet deux possibilités : soit créer un port et une ville nouvelle, soit s'appuyer sur un port déjà existant. Les auteurs du mémoire sur les ports de Bretagne envisagèrent la première solution. Face aux « trois des meilleurs havres d'Angleterre, ils proposèrent de construire un nouveau port à Pontrieux dont les quais et l'accès seraient protégés par des batteries et d'y « bâtir une ville et des magasins sur la péninsule appelée l'Isle à bois par où l'entrée de cette rivière serait entièrement assurée ». Il s'agissait en somme de refaire sur le littoral nord, une opération semblable à celle qui conduisit à créer Port-Louis. Ce projet n'aboutit point, sans doute par manque de moyens et les ingénieurs retournèrent à l'examen des ports déjà existant.

  • 5 Chertemps de Seuil était commissaire de la marine en 1661. Colbert de Terron rencontra Duquesne à (...)

3Deux ports les intéressèrent alors : Brest et Saint-Malo. Brest d'abord dont la guerre contre les Provinces-Unies, rendait la défense nécessaire. Colbert y envoya M. de Seuil pour des études préliminaires, et Abraham Duquesne fut investi de pouvoirs militaires et administratifs en 16655. Les travaux concernèrent alors beaucoup plus les approches de la ville que la ville elle-même, il s'agissait de protéger l'entrée du port, d'empêcher l'ennemi de franchir le goulet ou de lui en rendre l'accès particulièrement périlleux. S'inspirant peut être du rapport remis par Clerville en 1667, Colbert décida finalement le 17 juillet 1668 de faire de Brest le premier port de guerre atlantique, où seraient trois organismes distincts : le port proprement dit, l'arsenal et la ville. Les travaux immédiatement entrepris (1668), la guerre de la Ligue d'Augsbourg fournit le stimulant nécessaire pour réaliser les plans des fortifications dessinés par l'ingénieur Sainte-Colombe, approuvés mais modifiés par Vauban en 1683 et en 1685. Quand Vauban revint à Brest en 1694, l'enceinte n'était pas terminée. Il pensa alors que la défense du port et de la ville passait par le château « véritable forteresse de Brest et celle en quoi consistait la sûreté de cette ville et de son port ». Les remparts de Brest et de Recouvrance n'assuraient encore qu'une protection secondaire, les travaux commencés en 1681, ne furent terminés en 1695, mais la ville ne devint véritablement forte qu'en 1706. Pourtant, l'échec des Anglais montre la valeur des dispositions prises pour protéger ses abords. Débarqués à Camaret le 17 juin 1694, ils furent rejetés à la mer après avoir subi de lourdes pertes (800 tués sur la grève, 400 sur les vaisseaux, 466 prisonniers). Le projet, puis la décision de créer ou plutôt de tenter de créer, un ensemble homogène, citadelle, ville, port, semble une idée de Seignelay qui la présenta à son père. Arrivé le 10 mai 1683 à Brest pour rencontrer Vauban, il étudia avec ce dernier la ville. À cette date, le port de Brest suffisamment équipé pouvait accueillir dans de bonnes conditions les vaisseaux du roi. Il fallait simplement entreprendre quelques travaux complémentaires pour développer l'arsenal, construire un hôpital et creuser un bassin. C'est pourquoi il proposa toute une série de mesures qui créèrent véritablement la ville de Brest : construction d'une église paroissiale, rapatriement du siège de la justice royale transféré à Saint-Renan en 1592, faire de Brest et de Recouvrance une seule communauté « puisqu'il n'y aurait qu'une même enceinte de murailles » dont le tracé englobait un vaste territoire favorisant l'accroissement ultérieur de la ville. Seignelay, appuyé par Vauban voulait attirer le commerce en établissant des foires et des marchés. Ce fut un échec pour des raisons déjà analysées. Mais désormais, ces décisions, les avatars survenus aux autres ports militaires du Ponant, Brouage ensablé, Rochefort d'accès difficile, Dunkerque désarmé, scellèrent le destin militaire de Brest. Quelles que furent les transformations que la ville connut par la suite, elle resta jusqu'à la fin de l'Ancien régime et au-delà, la grande place militaire du Ponant. La côte septentrionale restait vulnérable, bordée de villes non fermées et de ce fait très exposées aux descentes anglaises. Pour protéger Saint-Brieuc, Paimpol, Pontrieux, Tréguier, Lannion, Morlaix, Saint-Pol, Roscoff, le Conquet et plusieurs autres gros lieux, Vauban préconisa l'installation de forts et de batteries tout le long de la côte, sur les falaises, dans les îles, auprès des ports, des rades, des goulets afin d'en surveiller l'approche et d'en empêcher l'accès.

  • 6 AD. 44 B 1320, Domaine royal. AD. C, 492. Dépense estimée à 37 418 L 10 s. pour les réparations le (...)
  • 7 AD. 44 B 2357, AG. Saint-Malo, art.8 carton 1. Lettre à Maurepas.
  • 8 AN. Mar, D2 22. Mémoire sur Saint-Malo, 1756.
  • 9 AG. Saint-Malo, art.8, section.1. AM. Saint-Malo, DD1, 2. S. Herpin, « Plan du Maréchal de Vauban. (...)
  • 10 AD. 44. B 2357. « États et mémoires par le détail des maisons, boutiques, échoppes, saillies et au (...)

4De la fin du xviie siècle à la Révolution, les villes bretonnes du littoral nord ou de l'intérieur subirent directement (pour les premières) ou indirectement (pour les secondes) les conséquences de cette politique. Dégagées de leurs obligations défensives, rares furent celles qui entretinrent encore avec soin leurs murailles ou qui furent l'objet d'attentions de la part de l'État. Guingamp fit exception qui non seulement répara mais encore agrandit son enceinte en 1673 afin que celle-ci fît le tour de la ville et englobât toute la population, ne laissant que les couvents à l'extérieur. La situation à Dinan conduisit Simon Garengeau à préconiser en 1693 des réparations indispensables « pour la mettre hors d'insulte et empêcher un coup dé main6 ». Reste que les événements militaires faisaient souhaiter un point fort sur la Manche pour servir d'abri aux vaisseaux menacés. Après avoir visité Dieppe, Le Havre, La Hougue, Cherbourg, Granville, Vauban choisit Saint-Malo où : « on peut très bien faire et à très peu de frais un bassin [.] capable de contenir tous les vaisseaux du Roi et ceux du commerce, sans se nuire les uns les autres et qui mettraient la ville à couvert des attaques de terre7 ». Du côté de la mer, des obstacles naturels rendaient l'approche de la ville difficile. Les remparts « bien bâtis en pierre et en fort bon état » avaient le double inconvénient de ne pas protéger l'ensemble de la conurbation Saint-Malo/Saint-Servan et de présenter un système de défense par trop linéaire8. Vauban présenta plusieurs plans successifs qui, au-delà de la protection lointaine ou rapprochée de la place, voulaient enserrer dans une même enceinte Saint-Malo et Saint-Servan à l'image de ce qui venait d'être fait pour Brest et Recouvrance. Il se heurta à l'opposition farouche des Malouins comme des Saint-Servannais et il ne put faire aboutir son projet9. Sur le littoral sud, l'enquête de 168110, montre à Vannes, non seulement des jardins et des logements établis le long des murs mais aussi dans l'éperon de la porte Notre-Dame et dans plusieurs bastions. La ville louait le corps de garde, des particuliers occupaient douves et fossés en partie comblés. Un cellier bouchait la Poterne dont une tour était louée à des particuliers. Les autres tours quand des locataires ne les occupaient pas, tombaient en ruines, sans couverture.

  • 11 L’Atlas des places fortes, 1824, t. VI ne retient que Port-Louis, Lo rient, Concarneau, Saint-Malo (...)

5À regarder l'œuvre de Vauban et de ses successeurs en Bretagne, on se rend compte que du règne de Louis XIV, sous la pression extérieure, date pour l'essentiel : « l'organisation générale des côtes de France ». Les villes s'inscrivaient dans une stratégie militaire atlantique, favorisant en Bretagne, la citadelle de Belle-Île, les fortifications des îles d'Houat, Hoëdic, du Pilier, le château de Nantes, Port-Louis, la « ville de Brest » et le Château, les batteries du Léon, de Cornouaille, les tours de Camaret, le château du Taureau, la ville et le château de Saint-Malo. Aucune de ces places de statuts divers n'était classée « à désarmer ou à raser en temps de paix ». En 1705, dans un nouvel « État général des places du Royaume », cinq villes, quatre citadelles, un fort, dix redoutes et deux réduits apparaissaient nécessaires en temps de paix : Nantes (ville avec un fort), Port-Louis (ville et citadelle), Concarneau (ville), Brest (ville, citadelle et quatre redoutes), Saint-Malo (ville, citadelle et redoutes), Belle-Isle (citadelle), La Latte et « l'île de Cesson ». Vauban jugeait alors sévèrement cette situation : « La Bretagne qui est pleine de ports, n'a pas un seul endroit qu'on puisse dire de bonne défense. » Jugement qui ne concernait pas la seule Bretagne puisque le maréchal déplorait en même temps que l'on ait rasé Boulogne, Dieppe, Cherbourg et Granville toutes places à portée des ennemis qui formaient les accès aux descentes où elles étaient le plus à craindre. Le classement des places fortes en Bretagne en 1724, résume fort bien la politique suivie dans cette province depuis Richelieu et surtout Vauban. Trois citadelles étaient alors considérées de première ligne : Belle-Île, Brest et Saint-Malo pour laquelle l'auteur ajoutait qu'elle « méritait » cette place. En deuxième ligne, Nantes « de peu d'importance militaire qu'il suffit de protéger pour la confiance, la sûreté et la police d'une grande ville de commerce », Port-Louis « très utile pour la défense de Lorient » qu'il suffit de mettre à l'abri d'un coup de main, Concarneau « place isolée » et le « Château du Taureau ». La défense militaire de Vannes se réduisait aux appointements d'un gouverneur inutile et Rennes « point militaire » se trouvait en troisième ligne11.

Défenses urbaines

Défenses urbaines
  • 12 Lacour-Gayet, op. cit.1902, p. 53. et 97.
  • 13 AN. Mar., B4 300 fol 27-37. Mémoires sur les moyens de faire la guerre à l’Angleterre. AG. art.4, (...)
  • 14 AN. Mar., D2 52, Mémoire de Boisbilly, on envisagea d’établir un feu à l’Île-aux-Moines et d’empêc (...)
  • 15 BG. Table des ordres du Roi, 25 mars 1743.
  • 16 J. Oury, « La guerre d’indépendance américaine et les défenses de Brest », Cahiers de l’Iroise, n° (...)

6Le royaume bénéficia après la mort de Louis XIV d'une longue période de paix pendant laquelle l'effort se relâcha sans pour autant s'interrompre totalement. La politique du Régent puis de Fleury, consistant à rechercher l'alliance anglaise eut bien des conséquences sur la flotte et sur le système défensif côtier. Pourtant, Maurepas, ministre de la marine de 1723 à 1749, ne perdit jamais de vue la nécessité de maintenir en état la capacité de la flotte et partant des ports sur lesquels elle pouvait s'appuyer. Aussi, prit-il des mesures de réorganisation, visita de nombreux ports dont Brest où il sentit « l'intérêt de développer cette grande position stratégique12 ». En même temps paraissait toute une série d'études, de mémoires qui prédisaient et préparaient la lutte contre l'Angleterre13. La guerre menaçant dès 1743, les forts et batteries protégeant Brest dont l'on remit en état les défenses celles des Sept-Îles et de l'Île-aux-Moines réexaminées14. En 1744, les ingénieurs visitèrent le château du Taureau, Nantes (en avril) et l'ensemble des îles, Groix, les Sept-Îles, Concarneau. On multiplia les postes de défense et finalement, poussé par les hostilités, de Frazier suggéra de mieux protéger Port-Louis du côté de la terre, en construisant des fortifications coupant l'isthme en avant de Loc Malo15. Les travaux commencèrent en 1749, mais, faute de moyens, la menace écartée, on les interrompit. Ils reprirent la guerre suivante pour s'achever seulement en 1758. Après la guerre de Sept Ans, des modifications nouvelles aux fortifications de Brest, les renforcèrent à la suite du rapport du lieutenant-général Filley. La guerre américaine entraîna, les travaux de Bouguen fin 178016. L'étude faite cette année, subdélégation par subdélégation permet de constater que tous les ports bretons capables de recevoir des navires de bon tonnage étaient défendus. Perros très fréquenté « aussi bien par les navires marchands que par les frégates », était tenu par deux batteries et son approche protégée par la batterie de la pointe de Tréléven et par le fort de l'Île-aux-Moines. Lannion située dans une baie se trouvait sous la batterie de Dourvin-Bihit. Quant aux autres cités bretonnes auxquelles les stratèges accordaient une importance, elles connurent quelques travaux d'aménagements sans plus. La grande majorité des villes bretonnes se trouvait libérée des sujétions militaires. Celles qui étaient encore remparées après les destructions imposées par Richelieu, purent désormais envisager l'utilisation pacifique de leurs tours et de leurs courtines, voire les supprimer, en tout ou partie, selon les besoins. Ce fut une chance pour l'urbanisme breton que bien des communautés saisirent ainsi que nous l'avons vu.

  • 17 Les Anglais avaient saccagé la ville en 1522 et la tour fut construite en 1525 « aux frais et dépe (...)
  • 18 AD. 35 C 987. 1730 : construction d’un parapet pour recevoir des affûts de canon. 1742 : construct (...)

7Pendant ces années réapparut une des préoccupations constantes des marins et des militaires : trouver un port sur la Manche. Tous les projets avaient échoué, soit parce qu'ils entraînaient trop de frais (Pontrieux), soit devant la résistance des habitants (Saint-Malo), M. de Boisbilly proposa un port militaire à Morlaix17. La ville située à l'intérieur des terres, entourée de hauteurs « à quatre lieues de la mer [était] ouverte et commandée de tous les côtés [par les éminences qui renfermaient le port et la ville] mais plus immédiatement par une qui s'élève dans le confluent des deux rivières [...] où on voit les ruines d'un château dont Sa Majesté a accordé la démolition à une dame particulière ». L'idée de Boisbilly présentait l'avantage d'être peu onéreuse et de satisfaire tout le monde. Il s'agissait de s'établir non directement à Morlaix où seulement des navires marchands de faible tonnage pouvaient remonter avec la marée, mais dans la baie « une des meilleures du royaume », là où se jette la rivière Dourdu. Deux projets furent présentés, un maximal et un minimal. Tenir Morlaix hors d'atteinte des attaques ennemies préoccupait ses habitants qui avaient obtenu en 1525, après le saccage de la ville par les Anglais, l'autorisation de construire un fort pour en défendre les approches. Le Roi décida de se rendre à son tour maître du château et d'y placer un gouverneur ce qui était la solution minimale. Toute une série de travaux le maintinrent plus ou moins en état au xviiie siècle18. Les projets de M. de Boisbilly étaient d'une ampleur autre puisqu'ils tendaient non seulement à transformer une partie de la ville mais plus encore à créer un ensemble portuaire remarquable pour la marine de guerre. Pour des raisons de finances ils n'aboutirent pas plus que les projets précédents. Le projet toujours renouvelé de trouver sur la Manche : « un abri sûr contre les vents de l'hiver et les forces supérieures de l'ennemi » aboutit mais hors de la Bretagne. Dunkerque fut remplacé mais par Cherbourg. La guerre d'Amérique en fut l'occasion et les travaux commencèrent en 1781.

  • 19 AN. Mar. B4 300 fol 57, « moyens proposés… », nd. ANAFIV. 1597, Idées d’un Français…, 1756 anonyme (...)
  • 20 AG, art.4, section 2 § 3 2e carton. Mémoire sur la Bretagne par M. de la Rozière, brigadier de dra (...)

8Il fallait défendre la Bretagne des descentes adverses mais aussi prévoir, attitude offensive, d'aller chercher l'adversaire chez lui. Après la mort de Fleury, de nombreuses études mirent en avant l'intérêt d'effectuer une descente en Angleterre19. En fait la situation en Bretagne ne changea pas jusqu'à la Révolution. La protection de son sol se faisait désormais moins par l'existence d'un grand nombre de places fortes que par un système plus complexe de protection rendant son attaque sinon illusoire, tout au moins sans grand intérêt. M. de la Rozière l'expliquait en 1772 : « je ne vois pas qu'il y eut le plus petit avantage pour l'Angleterre de risquer seulement cent hommes pour brûler une ville sans commerce, ou pour raser des villages dont les paysans se sont enfuis20«. Dans les quelques vingt années qui précédèrent la Révolution Française nous sommes arrivés en Bretagne au bout d'une évolution dont on peut dire que les axes essentiels avaient été mis en place au moins dès Richelieu. En Bretagne, le système défensif apparaissait parfait : on ne cherchait pas à empêcher un débarquement, mais à limiter ses avantages pour un ennemi qui ne pouvait piller que l'alentour des villes et brûler quelques granges avant d'être obligé à se rembarquer bien vite. Encore de tels coups de mains n'étaient-ils concevables que par de petites troupes, car Brest et Lorient, objectifs essentiels « bien protégés et mis en état de soutenir un siège régulier à l'aide de garnisons médiocres [.] il n'en fallait pas davantage pour les empêcher d'être pris, puisqu'ils ne peuvent être assiégés qu'avec des forces considérables qui ne peuvent venir que par mer et rien ne pouvait empêcher les secours de s'y porter de toutes les parties du royaume ». L'échec à Quiberon montre la pertinence de ce choix.

  • 21 AD. 35, C 989, 990, 991. Correspondance, Lt. Binet, « Défense des côtes », Revue de Bretagne, 1910 (...)
  • 22 AG. art.4, sect.2, § 3, Mémoire de l’état actuel de la côte sud de Bretagne. Dumaine (6 avril 1734 (...)
  • 23 AG. art 4, sect.2, § 3. BN. Fr.11301, Lettres de l’intendant au Comte d’Argenson, en particulier c (...)
  • 24 B. Pocquet, Histoire de Bretagne, 1914, t. V, p. 260 donne d’abondants renseignements sur cette de (...)
  • 25 BN. Man. fr. 8290, t. I, A.C., f°150, idem 8291, 14 février 1759. Paroisses de Cancale, Pleudinec, (...)
  • 26 AG. art. 4, section 2, § 3, Dumaine.
  • 27 M. P. Bayaud, « Une version inédite de la bataille de Saint-Cast. », Actes des Sociétés savantes, (...)

9L'examen attentif des trois éléments fondamentaux qui assuraient la défense d'une ville, à savoir sa citadelle, ses remparts et ses alentours, montre que nous sommes arrivés à la fin du xviiie siècle au bout d'une longue évolution précipitée par la guerre contre les Anglais commencée dès la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Sans doute les idées des stratèges avaient-elles évolué, sans doute ne donnait-on plus aux forteresses l'importance qu'on leur accordait au xviie siècle et au début du xviiie siècle. Un des objectifs principaux des Anglais, affaiblir, sinon détruire la force maritime française et ses ports, les conduisit à tenter diverses attaques contre les villes maritimes. En Méditerranée, ils bombardèrent Toulon (1744) et Antibes (1744). En Bretagne renonçant à s'en prendre à Brest, ils cherchèrent à ruiner Lorient et Saint-Malo. Ils ne pouvaient attaquer Nantes enfoncée dans les terres qu'en mouillant dans la baie derrière Noirmoutier puis en s'en prenant à Pornic et à Bourgneuf peu protégées mais la remontée de la Loire défendue par des batteries et protégée par ses bancs de sable paraissait impossible. Morlaix pouvait aussi constituer « un des objets que l'ennemi pourrait avoir en vue », heureusement la nature et les quelques précautions prises rendaient la ville inattaquable. En 1744, les hostilités reprirent et les Anglais tournèrent d'abord leurs efforts vers Lorient, ville peuplée et riche entre les mains de la compagnie des Indes rivale dangereuse et heureuse de la compagnie anglaise. En 1719, un faible retranchement de terre défendait mal la ville et le port. En 1744, une médiocre enceinte crénelée défendait une partie de la ville21. Certes la citadelle de Port-Louis en rendait l'approche par mer très difficile, mais la muraille inachevée ne pouvait empêcher un corps de troupe adverse d'enlever la place22. Les Anglais débarquèrent le 31 septembre 1746 et seule l'impéritie du commandant anglais surpassant la faiblesse du commandant français explique l'échec d'un corps de débarquement fort de plusieurs milliers d'hommes repartant le 10 octobre sans avoir remporté de succès. Ils allèrent prendre pied et se barricader solidement dans la presqu'île de Quiberon mal protégée par trois batteries23. L'intendant craignait qu'ils ne prissent Port-Louis à revers. Ils préférèrent interrompre le trafic entre Bordeaux et la Manche, rendre le ravitaillement de Belle-Île très difficile, croiser devant Le Croisic (17 octobre) l'ouest de Belle-Île, de Groix, et prendre l'Île de Houat (21 octobre) où ils s'installèrent le 24 après avoir brûlé 20 des 26 villages de Quiberon, ainsi que les barques. L'île de Hoëdic tomba à son tour le même jour et la flotte anglaise s'installa à l'ouest de Houat (passage du Beriguet). Finalement, ils se retirèrent le 29 octobre après avoir incendié toutes les installations des deux îles. Douze ans plus tard, ils s'attaquèrent à Saint-Malo par l'Est. Débarqués le soir du 4 juin 1758, ils se retranchèrent très solidement et après avoir renforcé leur position, occupèrent tous les bourgs des alentours. Puis, ils installèrent une autre position forte à Paramé et atteignirent Saint-Servan qu'ils ruinèrent en partie, avant d'hésiter devant Saint-Malo et aller à Dol et à Pontorson. Cette expédition qui prenait l'allure des anciennes chevauchées se termina par leur retour à Paramé (10 juin), et à Cancale. Ils se rembarquèrent enfin le 17 juin24. Les deux expéditions, celle de Lorient comme celle de Saint-Malo avaient échoué dans leur objectif essentiel, mais les Anglais avaient pu sans grandes difficultés se promener sur le littoral breton et causer de grosses pertes25 sans pour autant surprendre les stratèges qui avaient perçu dès 1734 que Belle-Île et Houat et Hoëdic pouvaient être des objectifs26. Le désir de s'emparer de Saint-Malo n'en était que plus vif aussi, décidèrent-ils de monter une seconde expédition contre la ville qui s'acheva, pour eux, par le désastre de la bataille de Saint-Cast (11 septembre 1758). Cette fois, ils attaquèrent par l'Ouest bien que la ville fût protégée par la Rance. Les responsables de la défense avaient assimilé les événements de 1746 et d'Aiguillon avait organisé la parade. La concentration réussie des troupes françaises causa de très fortes pertes anglaises27. Néanmoins les abords de la Bretagne restaient encore fragiles. Les Anglais avaient la maîtrise de la mer après avoir détruit la flotte française à la bataille des Cardinaux, ils assaillirent les boulevards de la province, menaçant Rochefort, Le Croisic, surtout ils réussirent à s'emparer de Belle-Île. Le 7 avril 1761, l'île fut investie et la citadelle pourtant bien équipée tomba le 7 juin 1761 après un siège de 46 jours et resta aux mains des Anglais jusqu'au traité de Paris. La perte de cette position porta un coup très rude dans les dernières années du conflit parce que les liaisons maritimes devinrent très difficiles. Aussi après 1763, l'État affina la protection de la Bretagne : il renforça les défenses des villes sans en modifier l'organisation générale. Il obtint un système défensif qui mit la Bretagne à l'abri des surprises et des vastes entreprises concernant en particulier Saint-Malo.

  • 28 Plans de 1689, 1696, 1698 et 1702. La modernisation des remparts commencée en 1708, ne sera achevé (...)
  • 29 AC. Saint-Malo, art.8, sect.1, cart.3. AN. fonds Mar. D2 52. Marquis de Pezay, Mémoire militaire, (...)
  • 30 AG. art.4, sect.2, § 3.

10Les travaux exécutés à la fin du xviie siècle et au début du xviiie siècle, dans cette ville la protégeaient bien et la construction de forts, la mise en place de batteries sur les îlots devant le port, rendaient une attaque frontale par la mer périlleuse28. Par contre, l'échec du projet enserrant dans une même enceinte Saint-Malo et Saint-Servan avait laissé les deux cités, sans défenses sérieuses, si l'on excepte la tour Solidor. Après l'expérience de 1748, les Malouins cherchèrent à se protéger en assurant les abords des deux agglomérations du côté de la terre. de la Rozière en 1772, le marquis de Pézay en 177529, voulurent défendre la cité en tenant ses approches. Deux forts assurèrent désormais la défense éloignée de Saint-Malo : le fort des Rimains commencé en 1779, ferma la baie de Cancale et celui de Châteauneuf de quelques années plus ancien (1776) empêcha un ennemi éventuel de s'installer dans le clos Poulet. Défense d'autant plus nécessaire que l'accroissement que Saint-Servan en faisait « peut-être [...] la partie la plus essentielle de ce point à défendre », parce que les « négociants de Saint-Malo [y avaient construits] une quantité prodigieuse de maisons et l'on peut dire que le faubourg est sans nulle comparaison plus grand et peut-être plus riche que la ville ». de la Rozière proposait de fortifier l'Isle des Rimains par la construction d'un fort dont les feux pourraient se « répandre » sur le mouillage et écarter les corsaires. M. de Langeron pouvait écrire le 25 mai 1780 que ces travaux mettraient bientôt hors de danger la baie de Cancale et Saint-Malo30. À l'Ouest, le fort La Latte protégeait toujours la baie de la Frenaye où les bâtiments à destination de Saint-Malo pouvaient attendre ou chercher refuge.

  • 31 B.G., 2825, Atlas des places fortes, 1826, t. VI, Frontière de l’Océan et de 1a Manche.

11Le cas de Port-Louis parait plus complexe, construite pour des raisons militaires, la ville ne fut jamais une place capable de soutenir un siège. Créée en 1618, la ville en 1692 paraissait au marquis de Coëtlogon « entièrement insoutenable ». Port-Louis semblait collectionner toutes les erreurs condamnées par les manuels de fortifications d'alors. La situation de la place « si avantageuse d'elle-même qu'elle efface tous ces défauts et rien n'empêche qu'on puisse considérer Port-Louis comme une bonne place », procurait la seule satisfaction. La citadelle protégeait à la fois la ville et les approches de Lorient. La protection facile de la rade de la rivière d'Hennebont constituait son avantage essentiel, le goulet ne dépassait pas — entre la citadelle et le rocher de la jument — la portée d'un mousquet et les navires poursuivis par les corsaires pouvaient y chercher refuge. Les commerçants de la première compagnie qui avaient le privilège exclusif du commerce avec Madagascar et les Indes fréquentaient déjà la rade, quand, la compagnie créée par Colbert, chercha : « un port ou havre pour y faire l'armement de leurs flottes et le rendez-vous de leurs bâtiments ». L'alerte de 1746 ne fit point transformer cette dernière en véritable place-forte. Dès 1747 la lunette de Kerlin et la batterie du Fer à cheval furent mises en chantier, le mur de l'enceinte renforcé. En 1761, les ingénieurs fortifièrent la pointe de Kernevel. Enfin, deux nouveaux ouvrages proposés en 1768 virent leurs travaux interrompus au moment de la suppression de la compagnie. Encore en 1772, la seule ambition était de protéger la ville contre un bombardement31.

  • 32 BG. Brest, in fol. 33.
  • 33 AN. fonds mar. D2. 22. AG. St-Malo, cart.3, de la Rozière 1er mai 1770.
  • 34 BN, nlle acq. fr. 1491-1492 ou na 370-371. En 1759, le directeur des fortifications envisagea à no (...)

12Les Bretons, et aussi les militaires semblent avoir été convaincus de l'incompatibilité existant entre un port de commerce et un port de guerre. Trois exemples suffisent : Brest, Saint-Malo et Lorient. Vauban considérant que Brest : « très bien paré pour tous les lieux du monde ; reculé d'ailleurs dans un coin de terre où il ne peut être utile au commerce, auquel il n'est pas propre, à cause de la difficulté des voitures de terre et de l'éloignement de tous les lieux qui pourraient y convenir [...] plus on examine cette situation et plus on trouvera que le dessein de la nature a été d'en faire un port militaire, mais des plus excellents32. ». Les Malouins refusèrent toujours l'installation d'un port de guerre. Les négociants exposèrent plusieurs fois clairement leurs raisons en s'appuyant sur l'expérience de Port-Louis que ses commerçants quittaient pour Lorient. Leur hostilité ne désarma pas, même après le désastre de Saint-Vaast-la-Hougue. Pourtant de la Rozière33, Langeron quelque cent ans après Vauban, ou encore Piré avaient fini par être convaincus par les ingénieurs militaires34. Mais, ils ne purent persuader ceux qui accusaient aussi la marine royale de vouloir prendre la place qu'occupait « actuellement la commerçante au pied de ses murs sous la fenêtre et cela sans payer [.] de chercher à accaparer tout le personnel [qui] passera au service de la royale ». Les Malouins redoutaient enfin que : « la marine commerçante [ne puisse] compter sur rien que les besoins de la marine royale ne soient entièrement remplis ».

  • 35 Amiral Lepotier, Lorient porte des Indes, 1970.

13Le choix de Port-Louis, le débordement rapide du site firent, nous l'avons dit, naître Lorient, d'abord chantier couvert par la cité militaire, mais ville au départ commerçante. La guerre de la Ligue d'Augsbourg, amena Seignelay devenu « chef perpétuel de la compagnie », à lier guerre et commerce. Or l'utilisation répétée des chantiers et du port par la marine royale amenuisa les possibilités de la compagnie de fait chassée de chez elle et qui l'aurait été davantage si le Roi avait suivi l'avis de M. de Beau-jeu qui voulait en novembre 1690, « déloger les gens des grandes Indes qui n'ont que faire là [...] et faire des casernes de leurs logements pour les soldats et les officiers35 ». En 1690, la Royale s'installait dans le port et organisait en 1691 un arsenal royal. Les activités de Lorient s'en trouvaient complètement modifiées. Certes la compagnie protesta mais ne put convaincre le ministre qui tentait de faire coexister guerre et commerce : « Il faut donc se résoudre à faire au Port-Louis ou à Lorient assez de magasins pour y pouvoir laisser les vaisseaux de Sa Majesté sans interrompre le service de la compagnie [.] L'avantage que Sa Majesté en tire peut être facilement compensé par les pontons et autres bâtiments qu'on prête à la compagnie ». Le ministre avait beau dire, l'intérêt militaire dominait largement celui du commerce et les empiétements sur les bâtiments et terrains de la compagnie ne cessèrent point malgré les protestations. Pourtant toute cette activité eut pour Lorient un effet positif dans la mesure où l'afflux de population se heurta aux dimensions de l'enclos. La population s'installa en dehors et obligea à réfléchir, à organiser ce qui n'était encore qu'une « cohue » et qui devint une nouvelle ville. Il me semble que l'utilisation militaire de Lorient a eu sur le développement de cette ville un effet accélérant. Il n'en reste pas moins vrai que le commerce de la cité fut considérablement gêné jusqu'à la fin du règne de Louis XIV. Le retour à la paix pendant une longue période, la création en 1717 de la compagnie d'Occident renversèrent la tendance et firent alors de Lorient un grand port de commerce, en chassant les militaires (1720) qui s'établirent à Port-Louis. Le rôle essentiellement civil du port et de la ville de Lorient demeura jusqu'à la reprise des guerres du milieu du siècle. Cette fois encore Lorient fut mise à contribution par la monarchie, mais la situation différait du siècle précédent, il ne s'agissait plus d'un port et d'une ville naissants aux mains d'une compagnie assez faible. Lorient était devenue une ville importante, riche. La compagnie constituait une puissance, certains ont pu dire un état dans l'état mais, elle souffrit des empiétements incessants de la marine royale. Cette politique l'épuisa Quand le monopole qui assurait sa richesse fut remis en cause, le déclin de la compagnie eut pour résultat de transformer à nouveau Lorient en port militaire. Elle le resta à côté des installations civiles, de la nouvelle compagnie jusqu'à la révolution française et au delà.

  • 36 BG. 206 a. Registres des fonds des fortifications des places de terre et de mer. 1682-1757 (18 vol (...)
  • 37 AD. 35, C 988, 989.

14L'État ayant choisi, déterminé une stratégie militaire, le coût de l'opération allait bien au-delà des possibilités de la plupart des villes bretonnes et si l'on excepte Concarneau et Saint-Malo, aucune autre ville n'y était intéressée ; Port-Louis, puis Brest étaient des villes neuves et donc sans moyens financiers réels. L'État dut assumer le financement des travaux. Nous connaissons une partie de ces dépenses grâce aux « agenda des fonds des fortifications » conservés à la Bibliothèque du Génie36. Ils ne concernent pas toutes les années et ne sont pas toujours d'une lecture facile dans la mesure où nous ne savons pas si les chiffres correspondent aux projets, aux décisions ou aux dépenses réellement faites. Ces points sont précisés seulement pour quelques années. Heureusement nous pouvons recouper ces chiffres avec ceux que nous fournissent les fonds des fortifications tels que nous les ont conservés les archives d'Ille et Vilaine. Enfin les changements dans la direction des fortifications ajoutent quelques difficultés supplémentaires37.

15Les chiffres nous imposent deux premières constatations. La Bretagne ne devint un poste important de dépenses que tardivement au xviie siècle, Brest et Belle-Île apparaissant en premier. L'agenda, en 1682, concerne 18 places de terre et 19 places maritimes, 16 dans le Ponant et 3 au Levant. Sur l'ensemble des dépenses, Brest et Belle-Île ne représentaient que 3,6 % des fonds. Le Roi s'intéressait alors à Dunkerque (26,9 %), à Saint-Martin-de-Ré (25,8 %), à Brouage (16,55 %), et à Calais (8,78 %). Sur 1 990 090 L, les deux places bretonnes ne perçurent que 65 000 L en sept versements. L'année suivante, et sans que fussent disputées les priorités données à Saint-Martin-de-Ré et à Dunkerque, un nouveau poste breton apparaît, celui des batteries de Léon (57841 L), ce qui fit monter la part de la Bretagne à 10,28 %. À partir de cette date, l'effort en Bretagne augmenta pour atteindre plus de 15 % en 1685. La guerre de la Ligue d'Augsbourg en fit le premier poste de dépense des places maritimes.

Fonds des fortifications par années

Fonds des fortifications par années

Fonds des fortifications

Fonds des fortifications

Fonds pour les fortifications (1721-1784)

Fonds pour les fortifications (1721-1784)

16En valeur absolue les dépenses de 1691, 1692 et 1693 dépassèrent 350000 L et arrivent en 1692 à 523701 L. En pourcentage, la Bretagne reçut en 1691, 56,83 % des fonds destinés aux places maritimes. En dehors de Brest et des îles nous voyons apparaître successivement Port-Louis (1685), Saint-Malo (1690), Lorient, Concarneau, Nantes, Machecoul et le fort du Taureau (1691), Indret en 1692, Dinan et Dol en 1694. Quelles qu'elles fussent les caisses assurèrent régulièrement la construction ou l'entretien des fortifications de Brest, Port-Louis, Concarneau, Saint-Malo, Lorient et Nantes. Il en était de même à Belle-Île, au château du Taureau, à Houat et Hoëdic, objets de soins attentifs, pendant le règne de Louis XIV, après la destruction de leurs ouvrages défensifs par les Anglais. Quelques dépenses particulières marquent les étapes de la protection de la Bretagne : Machecoul (1691 et 1693), Dinan (1694), Dol (1694 et 1695), l'île du Pilier (1783), l'île d'Ouessant (1755), l'île aux Moines (1745) et, à la fin du xviiie siècle, Châteauneuf et l'île des Rimains (1780-1785).

  • 38 BG, Vauban, Brest, 1683 -1704, f° 33, f° 8, 151.
  • 39 BG. idem, 1685, f°168.

17D'une manière générale les comptes nous permettent de distinguer les travaux de construction ou de rénovation et les travaux d'entretien. Constructions ? Par exemple Brest. de 1682 à 1687, la ville n'est pas considérablement dotée (50 000 L par an), seules ses approches sont renforcées et en particulier les batteries de Léon. Pourtant en 1683, Vauban avait estimé à 327 312 L les premières dépenses indispensables38 : réparation du château, construction de quais (659 t) du côté de Brest, de deux magasins à poudre, d'une fosse aux mâts, d'une halle particulière et d'un hôpital, plus, la tour et les batteries de Camaret et du Mingan. En 1685, nouvelle estimation des bâtiments nécessaires à la marine de Brest. Encore une augmentation des quais, mais surtout côté Brest : des magasins pour les ancres, les câbles, les chanvres, les vaisseaux. Une corderie, une goudronnerie. Côté Recouvrance, aussi des magasins : pour les vivres, pour le bois, pour les munitions à poudre. Et des deux côtés mise en place d'une clôture. Le tout estimé à 616 647 L39. Or, ce ne fut qu'à partir de 1691 que des sommes importantes furent accordées à la place : 647 443 L en trois ans. L'effort fut repris à la veille de la guerre de succession d'Espagne, mais n'atteignit en sept ans que 614 960 L. Brest une fois construite et équipée, les dotations furent par la suite plus modestes puisqu'elles ne dépassèrent plus 20 000 L et furent même souvent inférieures à 10 000 L. Par contre, l'arsenal de Brest devint, petit à petit, le principal arsenal français. Il reçut 57144 L sur 301,974 L de 1693 à 1696 soit 18,92 %, 72 200 L sur 354,918 L en 1756 (20.34 %) et 43 926 L sur 115,068 L en 1758 (38,17 %). Construction aussi de Saint-Malo où de grands chantiers furent ouverts à la fin du xviie siècle, soit dans les îles avoisinantes soit à Saint-Malo (561,759 L de 1691 à 1696). Belle-Île, à part, ces deux cités laissaient loin derrière toutes les autres. Concarneau bénéficia d'une remise en état pendant les guerres de la Ligue d'Augsbourg et surtout de Succession d'Espagne (18 722 L dépensées en 1701). Par la suite, l'entretien dépassa rarement 2 000 L et fut très souvent inférieur à 1 000 L.

18De 1682 à 1705, la Bretagne reçut au moins 3 596 411 L. de 1716 à 1748, 1 456 112 L et de 1780 à 1786, 1 520 692 L. Nous n'avons hélas que des indications très fragmentaires pour les années de la guerre de Sept Ans. En 1756, au moins 602 000 L, ce qui est une forte somme comparée à la moyenne des années de paix : 34 514 L ou même à la moyenne de la guerre de succession d'Autriche : 78 471 L. Ces sommes fort importantes, au titre des places maritimes ou des places de terre, retournèrent des caisses royales vers la Bretagne alimentant les caisses des entreprises de travaux publics et du bâtiment qui reçurent la plus grande partie de cet argent, l'autre alla aux appointements des ingénieurs de la province qui restaient en place quelles que fussent les circonstances. La part respective des uns et des autres variait selon que la France fut en guerre ou en paix. Dans le premier cas, la part des appointements était à peu près de 11,7 % dans le second elle pouvait atteindre 36,7 % (1722).

19Cette politique défensive, menée par les souverains en Bretagne, ne se concevait point sans l'intervention des hommes, des soldats. Leur présence, l'existence de services très divers eurent, sans aucun doute une influence profonde sur le destin des Bretons au-delà de la simple modification des paysages urbains qu'entraînait l'érection, la transformation, la suppression des défenses.

Les armées bretonnes et les villes : des contingents traditionnels de valeur très inégale

Ban et arrière ban

  • 40 A. de Goué, Des charges et obligations militaires…, thèse 1906, p. 33 et 34. BN, Man. fr. 8290. Gr (...)

20La valeur militaire du ban et de l'arrière-ban devenue quasiment nulle depuis la fin du xve siècle ne concernait que la noblesse fieffée et entraînait force brocards. Pourtant convoqués à la fin du xviie et au début du xviiie siècle, ils contribuèrent à la mesure de leurs moyens — bien limités — à la défense de la Province. Nous les trouvons aux côtés de la milice à Camaret, présents en 1746 et les années suivantes, ils furent à Lorient et à Saint-Cast dix ans plus tard. Mais, simples survivants, grotesques quelquefois, courageux souvent, ils ne pouvaient prétendre défendre sérieusement quoi que ce soit40.

Une milice générale mal supportée

  • 41 Isambert, Recueil général…, t. 20, p. 66 et 84 Sur la milice, BN, 11297, Fonds Fr., Merlet, Recher (...)
  • 42 AG. vol. 836. Lettre du duc à Louvois (29 oct.1688). Isambert, t. 20 (1687-1715), p. 66. Kerorguen (...)
  • 43 AD, 35, C 2650. Greffe des États, 26 juillet 1621, f°113. BN. Man. Fr. 8291, 1636, 1638.
  • 44 AM. Saint-Malo, BB 53. Correspondance du maire Le Breton. Lettre du 9 mars 1773 au subdélégué de R (...)
  • 45 Ordonnances du 10 janvier 1742, 10 juillet et 10 octobre 1743. Ordonnance du 6 août 1748, art.33.
  • 46 B.H.G., vo1.905.
  • 47 Pontivy, Le Lay, Histoire de la ville…, 1911. AM. Monfort. BB 19 F. 59 v°. AM. Dol, RCV. 1742-1754 (...)

21La milice concernait les habitants des villes comme des campagnes qui combattaient au côté des troupes de métiers. Les Bretons fournissaient au Roi des corps mal organisés, indisciplinés et de faible valeur militaire. La mise en place d'un corps remplaçant à la fois l'appel des fieffés et des milices bourgeoises se fit d'une manière tâtonnante et sans que l'on ait supprimé les formes antérieures de mobilisation. Louvois en 1688 leva des « Régiments d'Infanterie de Milice41 » mais on ne peut prétendre qu'il s'agissait là d'une rupture totale avec les pratiques antérieures. Il les utilisa en général à la garde des places de terre et de mer et à des tâches de police. Dès novembre 1688, le duc de Chaulnes proposa de lever 4 000 hommes de milice en Bretagne42 et à partir de cette date, les villages d'abord puis par nécessité les villes fournirent de nouveaux régiments. Désormais, villes et campagnes partagèrent les charges du recrutement selon les formes décidées en 1719, 1726, 1767 pour le royaume. La Bretagne participa à cette mise en place, non sans réticences et protestations. Les États manifestaient déjà au xviie siècle une certaine opposition à la levée des francs-archers, en proposant en 1621 qu'elle ne se fasse qu'en urgente nécessité et suivant les privilèges de la province reconnus par les lettres patentes du roi Henri III (juin 1569). Le souverain accepta et limita leur service à sa défense. Les États maintinrent cette position par la suite43 et la création et le maintien plus ou moins permanent d'une milice rencontrèrent la mauvaise volonté voire l'hostilité des Bretons qui se manifesta tout au long du xviiie siècle pour aboutir à la demande de sa suppression largement exprimée dans les cahiers de doléances. Les rédacteurs de Moncontour firent exception en la jugeant nécessaire pour l'entretien des forces de l'État, encore pensaient-ils souhaitable une réforme du système de levée. Ils lui reprochaient de retirer des hommes au travail de la terre et de les répartir de façon inéquitable. Les ordonnances du 12 novembre 1733 et du 2 janvier 1734 contraignirent à nouveau les villes à fournir des milicien mais elles en dispensaient celles où siégeait une juridiction royale, une juridiction seigneuriale importante comme Landerneau, celles assujetties au service de la milice garde-côte si elles fournissaient le guet, enfin et c'était le cas de Saint-Malo, si elles se gardaient elles-mêmes. Le maire malouin Le Breton rappela d'ailleurs avec force que la ville avait toujours été exempte de tirer la milice, non seulement pour la raison invoquée mais encore à cause de l'envoi à Brest de matelots, d'ouvriers et même de maçons. Il soulignait le grand nombre d'hommes pris par la pêche ou par la course et la participation des habitants des faubourgs à la défense de « tous les forts extérieurs et avancés44 ». Dès 1701, Brest, Saint-Malo, Rhuys, Concarneau et Le Croisic qui se gardaient « eux-mêmes » furent dispensées. En 1742 et 1743, le Roi à court d'hommes décida de lever des miliciens dans toutes les grandes villes, y compris la capitale. Il demandait aux intendants d'établir : « un dénombrement exact [...] dans toutes les villes de tous les hommes non mariés, artisans, petits marchands et gens de travail », de fixer le nombre des miliciens que chaque ville devait fournir et de les choisir en priorité parmi les « vagabonds et les gens sans aveu et sans domicile fixe [qu'ils] soient déclarés miliciens de droit », quitte à les chasser la paix revenue. M. de Belle-Isle ordonna à nouveau le 25 août 1758, que les miliciens soient « levés de préférence dans les villes », (art. 2) et pris parmi les « artisans, fils d'artisans, petits marchands, gens de travail » (art.345). Les généraux ou corps de ville s'ingéniaient à empêcher la levée46. Quand la communauté de Pontivy apprit le 6 mars 1719 qu'elle devait fournir trois jeunes garçons pour servir dans la milice, elle refusa de fournir les hommes demandés en arguant de l'article 28 de l'édit de janvier qui dispensait de « tirement » les villes fournissant le guet et la garde-côte. L'intendant considéra que la ville située à 10 lieues de la mer ne participait pas effectivement au guet et â la garde des côtes, mais grâce à l'intervention du seigneur de la ville, le duc de Rohan, elle eut provisoirement satisfaction. L'intendant réussit en 1725 à tourner cette opposition en levant les hommes dans les « faubourgs d'outre l'eau » ; la ville mit trois ans à obtenir totalement gain de cause et elle resta ainsi tranquille jusqu'en 1744 où, le duc de Rohan disparu, elle retomba dans le droit commun. D'autres villes forcées d'établir des rôles se déclaraient incapable de le faire. La communauté de Montfort prétendit en 1736 ne pouvoir présenter que deux miliciens sur les six prévus et encore ne remplissaient ils pas les conditions requises, même situation à Dol en 1742 et 1743 ou à Quimperlé dont la communauté ne put fournir neuf jeunes gens et proposa pour éviter de prendre cinq hommes mariés d'enrôler cinq vagabonds arrêtés dont quatre avaient la taille convenable et bonne corpulence. Mais le cinquième ? La santé des Bretons entre 16 et 40 ans, surtout des non mariés devait être fort préoccupante si l'on en croît les communautés puisque bien peu d'entre eux pouvaient servir ! À Moncontour sur 72 garçons appelés au tirage en 1781, 55 furent exemptés ou réformés et, en 1784, 59 sur 7447. Inutile de développer davantage. Pourtant, si les hommes requis dans le royaume, 4 000 en 1688, passèrent à 8 850 en 1743, ces chiffres sont à comparer avec ceux du prélèvement réel. À partir de 1765, le contingent annuel fut de 12 425 miliciens, la Bretagne en fournit 770 (6,19 %). Quant au poids sur les citadins, il semble encore plus faible. Mais pour ceux là, le service pouvait poser des problèmes.

  • 48 AN. H 532.

22Tout concourt à montrer que les Bretons supportaient mal la milice générale et que les villes opposaient les moyens les plus variés aux demandes de l'État malgré un service peu contraignant en temps de paix. Convoqués une fois par an au mois de mai, les miliciens devaient se soumettre à des exercices pendant des stages de préparation militaire de huit à quinze jours qui se tenaient dans les villes servant de lieux de rassemblement, en 1735 à Vannes, Dinan, Pontivy, Carhaix, Redon, Rennes, Saint-Brieuc et Nantes. Mais leur sort en temps de guerre ne laissait pas d'inquiéter. D'abord parce que le temps de service pouvait être prolongé, la levée du 12 octobre 1730 le fut jusqu'au 1er janvier 1737, alors qu'en principe elle avait été levée pour quatre ans48. Ensuite, parce que les miliciens bretons qui participèrent largement aux opérations militaires en Bretagne quittaient aussi leur province pour renforcer les troupes aux frontières ou pour garder des places en pays conquis ou allié. Pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg quatre bataillons de la Province servirent sous Catinat. Lors de la guerre de Succession d'Espagne, le 17 janvier 1704, 200 hommes réunis à Rennes partirent par la Guerche vers Lyon et de là vers l'Italie, deux autres contingents suivirent le 24 et le 26 du même mois. En 1706 (du 17 au 31 décembre), 1 000 hommes par groupe de 200 allèrent rejoindre leurs régiments d'affectation. Le 28 décembre 1706 quatre sergents du régiment d'infanterie de Bigorre vinrent à Morlaix prendre « les milices destinées pour le dit régiment ». En 1708, 30 miliciens bretons passèrent du château de Fougères à l'Espagne. En 1719, 1727, 1733 on trouve des Bretons dans les places de Flandres, en 1735 en Italie, en 1745 au siège d'Ostende, en 1747, 1748 et jusqu'en 1762 aux Pays-Bas. Ces bataillons pouvaient rester longtemps à l'étranger. Celui de Saint-Brieuc parti en décembre 1733 stationna en Hainaut jusqu'en 1738. Bien sûr, il ne s'agissait que d'une partie des miliciens bretons, les autres continuaient à servir la Province à côté des miliciens d'autres provinces venus combler les vides laissés par les partants, ainsi ceux de Marmande, de Fontenay-le-Comte et de Saumur, de Mayenne et d'Angers en 1747-1748. Ces derniers revinrent en 1758 et 1759.

Une milice garde-côte acceptée

  • 49 BN. Man. Fr. 15387, Besoins des Places de Bretagne pendant la guerre d’Angleterre en… 1703.
  • 50 AN. 533. : 29, le 12 mars 1726, 30, le 17 novembre 1727, 31, le 24 janvier 1728 et le 4 juillet. 1 (...)

23La milice garde-côte qui concernait aussi, villes et campagnes, avait pour but unique, de surveiller et de défendre le littoral breton. Née au xvie siècle, déjà organisée en 1665, la milice fut l'objet d'une série d'ordonnances et de règlements de 1681 à 1716. Le service concernait les paroisses situées à une distance théorique de deux lieues de la côte, groupées en 15 capitaineries en 1686, 25 en 1701. Dès 1703, cela concernait 271 paroisses, 74 348 habitants servant 244 corps de garde. La grande ordonnance du 26 janvier 1716 couronna toute une série de dispositions et répartit la tâche entre 450 paroisses49. Le nombre des capitaineries garde-côtes fut ensuite encore modifié. Le recrutement de contingents importants qui touchait toutes les paroisses rurales et urbaines semble y avoir connu les mêmes abus mais paraît avoir été moins durement ressenti, sans doute en raison d'un service effectué sur place50. Machecoul, ville et campagne fournit 1625 hommes en décembre 1701, Le Croisic 312, La Roche Bernard 490, Sarzeau 152, Audierne 206, Pont-Croix 128, Saint-Pol-de-Léon deux compagnies de 158 et 194 miliciens, Roscoff, trois compagnies (295,196, 110). Lors de cette levée, particulièrement forte, 98 093 miliciens, les citadins n'en procurèrent que 3 866 soit 3,94 %. de plus, alors que toutes les villes ne participaient pas au service, les paroisses rurales concouraient à la défense des grandes cités. Les deux capitaineries les plus proches de Saint-Malo donnaient des canonniers et des rameurs, toutes les paroisses alentour de Brest, de Camaret, en partie de Saint-Renan et de Landerneau étaient entièrement affectées à la défense de la rade. En 1744, 2 000 miliciens « tirés par extraordinaire », formés en 20 compagnies partirent renforcer les garnisons de Brest et de Lorient. Les villes bénéficiaient ainsi de leur aide pour assurer leur protection et les paroisses proches des villes maritimes devaient au premier appel se porter à leur secours.

24Les auteurs de l'ordonnance de 1716, avaient créé une véritable cohue dont l'efficacité parut bientôt à tous, aux États de Bretagne en particulier, singulièrement douteuse. Il fallait une troupe moins nombreuse et opérationnelle qui pourrait répondre aux missions qui lui seraient confiées. Bien que tout le monde fut convaincu de cette nécessité, il fallut attendre le milieu du siècle pour dissocier le guet et la milice dont on ramena l'effectif à 10 000 hommes. Tous les habitants non incorporés constitueraient 505 compagnies de guet. On tirait au sort parmi les garçons célibataires non soumis aux classes ou tout au moins non embarqués, de 18 à 45 ans pour les compagnies détachées et de 18 à 60 ans pour les compagnies du guet. S'il manquait des hommes, les mariés seraient mis à contribution, enfin, depuis 1716, la construction des corps de garde se faisait par corvée des paroisses de la capitainerie où on les établissait. Ce système avait toujours une faible valeur militaire. Finalement, l'ordonnance du 13 décembre 1778 transforma les miliciens en canonniers et supprima les capitaineries. Désormais les 5 000 canonniers servirent 2 167 batteries, 236 canons et 17 mortiers (nombre théorique) installés pour défendre le littoral breton. Ils se rassemblaient en cas de nécessité dans les villes et les gros bourgs désignés comme rendez-vous généraux. Les hommes du guet signalaient aux navires marchands, les mouvements des bateaux adverses en particulier des corsaires. Ce service ne prenait son sens que lors des conflits où l'on appelait réellement les hommes et les années de guerre de la fin du règne de Louis XIV à la Révolution furent assez nombreuses pour que les hommes des villes et des campagnes en sentissent le poids.

  • 51 Quimperlé, RCV. 22 octobre 1730. AD. 35 C 3670.

25Service de la milice garde-côte et service de la milice générale étaient en principe incompatibles, tout au moins pour les villes. La réalité montre que ce n'était pas toujours le cas. Les édiles de Quimperlé firent remarquer en 1730 que : « quoique cette ville étant royale et sujette à la garde-côte du gouvernement de Belle-Île, Port-Louis [...] elle avait cependant été enrôlée dans l'état des villes et paroisses sujettes à la levée de la milice ». Lesneven tenta en vain d'être comprise au nombre des paroisses concernées51.

La milice bourgeoise

  • 52 Ogée, op. cit., 1853, t. II, p. 73. Opinion de Daumenil sur les miliciens morlaisiens. A. Corvisie (...)
  • 53 Larouze, Le régime municipal en Bretagne, p. 82, à son avis la milice bourgeoise n’est pas la fill (...)
  • 54 AD. 35, C 2651, f ’62, 17 oct. 162.

26Les villes possédaient leur propre force armée qui assurait leur défense et aussi le maintien de l'ordre public. Ces milices bourgeoises furent pendant longtemps les défenseurs efficaces des libertés urbaines, mais la plupart des auteurs constatent qu'elles tombaient en désuétude à la fin du xviie siècle. Non seulement ces milices devenues militairement inefficaces, sans être aussi ridicules que celle de la Kermesse héroïque, consommaient « plus de vin que de poudre52 », mais encore, elles pouvaient présenter un moyen de résistance aux volontés de l'État. L'attitude d'une partie des milices bourgeoises bretonnes lors de la révolte du papier timbré en donne un assez bon exemple. Aussi le Roi préféra souvent les désarmer ou ne leur laisser qu'un rôle d'apparat. Mais dans la mesure où ces milices constituaient l'expression armée d'une certaine autonomie municipale, l'on comprend que les villes se montrèrent particulièrement attachées à leur existence. En Bretagne, elles se maintinrent pendant tout le xviiie siècle dans un nombre de villes limité : 23 d'après de Goué. Nombre sous-estimé, le registre des étapes fournit la liste de 22 villes participant à la défense de Belle-Île, elle ne comprend ni les miliciens de Port-Louis, ni ceux du pays de Léon et d'une partie du Finistère (par exemple de Lesneven, de Landerneau et de Brest). La plupart des villes bretonnes de moyenne importance possédaient dès la fin du xve siècle, des milices crées par les ducs de Bretagne, surtout Jean IV et Jean V qui avaient reconnu aux habitants de 36 villes au moins, le droit de veiller à leur propre défense53. Elles les gardaient encore au xviiie siècle. Il est de fait souvent difficile de dater la création des milices, sauf pour les villes récentes comme Brest, Lorient, Port-Louis. À Lamballe, par exemple, nous n'en trouvons mention pour la première fois qu'en 1702, alors que bien des indices analysés par l'historien de la ville permettent de reporter cette création au milieu du xve siècle. À Pontivy, François 1er, permit le 1er mars 1536, la formation « d'une compagnie d'archers, d'arquebusiers et d'arbalétriers » pour défendre la ville menacée fréquemment par les descentes des Anglais et des Espagnols. Jules Lemare découvre l'existence d'une force armée bourgeoise à Saint-Brieuc en 1590. Les habitants de Quimper envoyèrent 100 hommes devant Port-Louis en 162554.

  • 55 Ch. Larouze, Essai sur le régime municipal…, 1890, p. 173.
  • 56 AD. 56, Sarzeau, RCV. BB 4 (1706-1709). Lettre du roi du 12 février. 1707 transcrite sur le regist (...)
  • 57 AM. Quimperlé, RCV.
  • 58 AM. Rennes, RCV. 1740, 67 r°, 74 r°. 1742, fol.27 v°. 1742, fol.31 v°.
  • 59 Y. Le Gallo, L’administration municipale de Rennes de 1715 à 1757, DES, 1942.
  • 60 A. Corvisier, idem. p. 258 et suiv.
  • 61 Mairie Hennebont, RCV. BB 15 24 avril 1732.
  • 62 Mairie Quimperlé, RCV. 4 août 1729.
  • 63 AD. 56, Sarzeau, RCV, BB 4 lettre du 1,5 oct. 1707. BB 6, 3 oct. 1744, 17 avril 1745.

27Dès lors qu'elles existaient, les villes en assuraient la charge, tendaient à les organiser et à les diriger selon leur gré. Théoriquement, les municipalités restaient maîtresses de leur milice et le maire de la cité en était le colonel de droit. Le maire de Morlaix portait l'épée aux États et ne cessait point « de prendre dans ses titres celui de colonel de la milice bourgeoise ». Dès 1598, le maire de Rennes ôtait aux connétables de la ville le commandement de la milice qui obéissait jusque-là au capitaine gouverneur, à ses lieutenants, aux deux connétables et en dernier ressort seulement aux capitaines bourgeois55. Au même moment une semblable évolution se produisait à Nantes. À Saint-Malo par contre, le connétable resta le chef de la milice, mais Monsieur de Montbarrot était en même temps maire de la cité. L'évolution générale aboutit plus ou moins vite à donner au maire la direction de la milice. À Port-Louis, le maire ne prit la tête des compagnies qu'en 1767. A Pontivy, le Sénéchal de Rohan garda le commandement, mais les Rohan administraient la ville que le maire en fut le chef n'aurait rien changé. Faire passer la milice sous commandement municipal n'a de sens que si les habitants élisent librement le maire et les édiles locaux et nous savons que dans nombre de cités il n'en était rien. L'édit de 1694 décidait que dans « toutes les villes où il y avait un évêché, un bureau de finance, ou un présidial », il y aurait un colonel, un major, huit capitaines et neuf lieutenants, dans les autres, le nombre des officiers dépendait de leur importance. Quand les grades de colonel, major et capitaine devinrent des offices, les communautés qui voulurent garder la main sur le commandement de la milice durent les acheter. Cet achat pesa lourdement sur les finances municipales, quelques-unes ne pouvant l'assurer restèrent sans officier. M. de Châteauneuf inquiet de cette situation, alerta le conseil et obtint qu'une lettre du roi ordonnât « qu'à l'avenir les communautés des villes et lieux de la province de Bretagne nomment les officiers des compagnies de milice bourgeoise, en la mesme manière qu'il s'est pratiqué avant l'édit de mars 169456 ». Mais cette élection donnait seulement une apparence d'autonomie car le comte de Toulouse, semblable à bien des gouverneurs de province, s'arrogea un droit de regard et se fit adresser la liste des candidats aux postes vacants. Il ne s'agissait pas d'une simple curiosité puisqu'en 1728, il cassa l'élection d'un gentilhomme, le seigneur de Penhouet, car : « les officiers de la milice ne sont que des bourgeois... », il ajoutait : « mettez-vous promptement en règle57 ». Quelques années plus tard, en 1738, son fils, le duc de Penthièvre, « guida » le choix de la communauté de Rennes pour la désignation au poste, ô combien modeste, de sous-lieutenant. L'intervention fréquente du Gouverneur transforma le droit de regard en droit de nomination. À Rennes, « de règle et d'usage », les places vacantes de capitaines et lieutenants revenaient aux échevins et à leurs enfants « préalablement aux étrangers », aussi la communauté protesta quand le gouverneur lui imposa son choix en 1741. En vain, elle dut délibérer une seconde fois pour satisfaire aux exigences du gouverneur et nommer son candidat, il la contraignit à barrer sa protestation sur le registre de délibération. À la suite de cette expérience, la ville de Rennes ne tenta plus d'ignorer « l'avis » du gouverneur et en 1742, élit sans difficultés les candidats qu'il présenta58. Attaché à ses prérogatives, le comte de Toulouse intervint peu de fois pour modifier un choix dans la mesure où la ville respectait les formes, mais son contrôle était constant et sa possibilité de faire prévaloir son point de vue totale. L'attitude du duc de Penthièvre parait plus nuancée : « Je sens qu'il est juste de favoriser les enfants et parents d'échevins, mais je ne pense pas qu'ils doivent être préférés absolument à l'exclusion des autres59 ». Les municipalités choisissaient les officiers dans les plus vieilles familles, les plus riches, laissant le service obscur de simple milicien aux personnes d'extraction plus populaire ou exerçant un métier sans prestige. Entre les officiers jouaient les mêmes distinctions sociales et qui était apte à devenir lieutenant ne l'était pas forcément à devenir capitaine. Ils jouissaient de privilèges non négligeables : exemption de fouages et d'impôts, du droit de franc-fief, des tutelles et curatelles, ils figuraient aux assemblées municipales, prenaient part aux délibérations et touchaient des gages versés par la municipalité60. En août 1715, le roi supprima toutes ces exemptions pour des raisons financières. Très mécontents, les officiers protestèrent et finirent par obtenir en 1725 à nouveau l'exemption de logement des gens de guerre et la jouissance des droits de tutelle, curatelle et « nominations à icelles ». Les lettres patentes et arrêts de 1726 élargirent ces privilèges aux enseignes de Nantes ce qui ne manqua pas d'entraîner jalousie et récriminations des Rennais. Malgré ces avantages, il n'était pas toujours facile de trouver des officiers ou de les obliger à assurer leur service. Les postes restaient vacants quelquefois assez longtemps. À Hennebont en 1738, la communauté déplorait que cinq places d'officiers de la 3e et 4e compagnies soient inoccupées depuis « quelques temps61 ». La concurrence de la milice garde-côte pourrait l'expliquer. La communauté de Quimperlé se plaignait le 4 août 1729 de manquer de volontaires : « parce que la plupart de ceux qui seraient en état d'occuper cet emploi se trouvent pourvus de commissions d'officiers [.] garde-côtes. ». Cette situation durait depuis six à sept ans et les édiles proposèrent que : « celui qui se [serait] soustrait au service de la milice bourgeoise serait châtié et que les gens des basses classes (perruquiers, maçons, chaudronniers) puissent être pris pour être les officiers subalternes des garde-côtes62 ». À Sarzeau, la confusion entre les deux milices entraîna bien des conflits de commandement jusqu'en 1727. Valuire vint « travailler à la distinction des deux milices bourgeoise et garde-côte » et présida en 1728 la réunion de la communauté de ville qui nomma les officiers de la milice bourgeoise d'une compagnie comprenant la ville, la frairie du Bourg et toute la frairie de Ruault63. Il ne régla pas la question pour autant, des incidents en 1737 et 1744 le prouvent. À Pont-L'Abbé, il existait aussi une confusion entre les deux milices qui aboutit à la formation d'une milice franche.

  • 64 Y. G. Garlan, C. Nières, op. cit, 1975.
  • 65 AD. 56, Sarzeau, BB 4.

28Les effectifs de la milice variaient d'une ville à une autre. En principe, l'édit de 1694 limitait les compagnies dans chacune des deux grandes villes bretonnes : Nantes et Rennes à neuf compagnies. Mais l'on constate l'existence de 15 compagnies dans la capitale et de 16 dans l'autre cité, de 14 compagnies à Saint-Malo à la fin du xviiie siècle et de 10 à Brest en 1772. Ailleurs, les chiffres dépendaient du nombre des habitants et de la richesse de la cité. À Landerneau, on passa ainsi de six à quatre compagnies. Pontivy n'en possédait que deux, chacune de 60 hommes. Non seulement le nombre de compagnies changeait d'une cité â une autre, mais le nombre d'hommes par compagnie aussi. Les quinze compagnies rennaises oscillaient entre 128 (1re Cie, commandée par le Maire) et 360 (7e compagnie64). Dans les grands ports de Nantes, Brest, Saint-Malo et Port-Louis, elles présentaient, comme à Rennes, des bataillons, des compagnies régulièrement constituées. Le nombre des compagnies dépendait de la population des quartiers et à Saint-Malo, les embarquements saisonniers provoquaient des variations dans les effectifs moins nombreux en été. La milice bourgeoise de Sarzeau se signalait par quelques particularités. Elle comprenait onze compagnies, dont celle de Sarzeau proprement dite avec sa trêve Ruault, les hommes du reste de la presqu'île de Rhuys mais aussi de l'île d'Ay et de l'île aux Moines composaient les autres. On réunit tout ce monde en 1707, « c'est-à-dire tous les habitants de la dite ville sans exception depuis l'âge de quinze ans jusqu'à soixante-dix ans, tous bien armés de fusils et d'épées, la barbe faite, les chapeaux retournés, les cheveux noués et avec des cravates et souliers ». On voulait en profiter pour établir les rôles des compagnies et surtout constituer deux compagnies franches de 100 hommes chacune65.

  • 66 Sauf à Lorient où une partie de la garde était assurée par les soldats de la compagnie. A.N., fond (...)
  • 67 Correspondance Vauban.
  • 68 AM, St.-Malo, BB 55 Lettre à l’intendant. Le nombre de 4000 miliciens qui apparaît dans les source (...)

29La milice bourgeoise assurait un triple service : militaire, de police et de prestige. Partout les miliciens assuraient d'abord la garde de leur cité. Ce devoir, les amenait aux portes et sur les remparts de leur ville66. En 1699, menacée par les Anglais, la ville de Brest vidée des soldats envoyés autour de la rade, n'avait que ses bourgeois pour la défendre. Vauban les passa en revue et les jugea « fort bien armés et il s'en trouvera toujours 12 à 1 300 d'assez bon service67. ». A Saint-Malo, ce service de garde paraît assez lourd, particulièrement en temps de guerre. À cela rien d'étonnant dans la mesure où la ville assurait sa propre sécurité, « Saint-Malo se garde et les citoyens en sont la seule garnison », écrivait le maire le 6 octobre 167768. Le service sur les remparts ou de garde au château durait une demi-journée pendant laquelle les « bourgeois qui étaient de garde ne [pouvaient] quitter leur poste, même pour aller prendre leur repas chez eux ».

  • 69 E. Pramprain, L’artillerie de Saint-Malo-, Lt G. de Bechillion, « Histoire militaire de St-Malo 17 (...)
  • 70 AD. 35 C 438, Mémoire du 17 juin 1767. Ch. Normand, Études…, 1881. À Saint-Quentin, les bourgeois (...)
  • 71 M. E. Monnier, « Instructions de Vauban… », ASHAStM, p. 76-86.
  • 72 AM. St-Malo, RCV. BB 36, 20 juillet 1762. Copie de la correspondance de M. Le Breton maire de la v (...)
  • 73 AD. 56, 2 E 1513. Lettre de M. de Bourbon au maire de Carhaix (7 juin 1744).

30Obligation sans doute moins terrible que les Malouins le prétendaient, elle correspondait à un service de guet établi depuis le xvie siècle. Les obligations militaires des Malouins en faisaient aussi des canonniers69. Une série de lettres laisse entendre qu'ils auraient eu l'habitude de se faire remplacer contre de l'argent ce que la communauté récusait tout au moins en partie : « Il n'est pas encore vrai que [.] tous préfèrent donner leurs douze sous. Il ne monte que quinze ou vingt locatifs par jour (sur soixante) [.] la pratique de se faire suppléer est généralement usitée dans les troupes réglées. Enfin il n'est pas vrai qu'en faisant des affaires on se procure des exemptions de garde70. ». Pourtant le reproche fait aux bourgeois n'était sans doute pas immérité si l'on en croit Vauban. Certes, il reconnaissait que les compagnies montaient régulièrement la garde aidées par les miliciens garde-côtes des trois paroisses de la banlieue mais, il reprochait aux miliciens malouins de ne pas trop se presser au service, de louer « les premiers qui se rencontrent pour monter la garde à leur place » et de s'imaginer que les exemptions s'étendaient « jusqu'à n'être pas obligés de prendre les armes quand il y a alarme ». Il voulait donc les réduire et même qu'elles fussent supprimées en cas de danger71. Les multiples et fréquents prétextes invoqués pour ne pas faire le service conduisaient la ville à demander à l'intendant de repousser les solliciteurs. Il en fut ainsi de la requête du sieur Burel qui arguait de son logement chez son beau-père, ou de celle de Jean Etienne Goupil qui habitait la ville depuis huit mois et demi en pension de famille, ou encore de cet autre qui avançait à 65 ans ses infirmités. La ville repoussa leurs demandes rappelant qu'il suffisait de six mois « pour être habitant et sujet aux charges [.] que l'on soit marié ou non, pensionnaire ou pas et que l'on n'était exempt de service qu'à soixante-dix ans ». Pour trouver grâce, il fallait connaître la situation pitoyable de ce fendeur de bois estropié d'une main ou encore de ce père de quatre enfants souffrant d'une hernie et de la goutte. Le Breton le rappelait avec force, il ne s'agissait pas d'un service de parade : « tous les hommes y (faisaient) le service militaire », ce n'était pas une « simple patrouille, mais un service assimilé [.] à celui qui font les troupes de S.M.72 ». Les hommes en état de porter les armes faisaient ainsi « jour et nuit le service à leur tour et rang ». Dans des villes au service moins lourd, les bourgeois cherchaient aussi à y échapper. À Carhaix, le maire exemptait ses concitoyens à la grande colère d'Henri de Bourbon : « si j'apprends qu'aucun habitant de votre ville ait été dispensé du service de la milice bourgeoise sans titre valable d'exemption, je ferai sévèrement châtier ceux qui les auront exemptés et puis celui qui se sera soustrait73 ».

  • 74 AM. Rennes, RCV. 1746, fol. 23 r° v°. Le procureur du roi mobilisa la milice de Rennes pour secour (...)
  • 75 A. de Goué, op. cit., 1906, p. 37.
  • 76 Ogée, op. cit., 1853, t. II, p. 73.
  • 77 AD. 35, 5 E 6, RCV, Hédé, 11 mai 1749.
  • 78 Ogée, op. cit., 1853, t. II, p. 73.
  • 79 AD. 5612 E 1501.

31On fit aussi appel aux milices bourgeoises pour prêter main forte à l'armée de ligne ou à la milice provinciale en 1674, en 1702, en 1746 et en 1780. Ce secours peu apprécié, souvent ridiculisé n'en était pas moins demandé, voire exigé. On n'hésita pas à les engager contre les Anglais qui débarquaient à Lorient ou à Saint-Cast. Ils prirent part à la garde de Belle-Île en 1704,1705 et 170674. À la même période, ils participèrent à la constitution des camps de Dol, Dinan, Plouer où leur regroupement permit la formation de bataillons comme celui constitué par les compagnies de Saint-Brieuc et de Lamballe75. Les Morlaisiens allèrent sur la côte de Brest quand Ruyter menaçait et à Lorient encore en 174476. À cette occasion, ils s'arrêtèrent à quatre lieues de leur ville et rebroussèrent chemin et il fallut les obliger à repartir vers leur affectation, bel exemple du peu d'empressement des miliciens bourgeois à aller combattre hors les murs de leur cité. Les officiers de la troupe de ligne se moquaient de leur équipement, de la prétention de leurs officiers et leurs reprochaient leur tenue au feu à leurs yeux répréhensible. Ils dénonçaient leur indiscipline, leur mauvaise connaissance du maniement des armes, l'absentéisme d'officiers tel cet enseigne de Hédé « absent depuis plusieurs années » que l'on songea à remplacer au moment de sa mort77 ! Cela n'empêchait pas de les réquisitionner pour faire au moins peur à l'ennemi par leur simple présence. Ils n'étaient pas responsables de leur mauvais équipement. Les trois-quarts des miliciens envoyés à Lamballe ou à Saint-Cast en 1746, n'avaient pas d'armes et les autres possédaient un armement hétéroclite fourni par des particuliers, de vieux fusils hâtivement réparés. On se contenta d'envisager l'achat de 40 fusils neufs. Au même moment les miliciens morlaisiens empruntaient des fusils aux corsaires du port78 et les miseurs de Carhaix dépensaient 1 125 L à l'achat de 50 fusils, baïonnettes et ceinturons79. À Rennes, la communauté proposa de retirer aux veuves des anciens capitaines « les fusils appartenant à la ville ». Quand l'ordre de marche arriva, il n'y avait que 131 fusils pour les 1 500 hommes requis.

  • 80 Ch. Larouze, Essai sur le régime municipal…, 1890, p. 188 et suiv. A. de Goué, op. cit., 1906, rap (...)
  • 81 AD. 35, C 101. Il fallait habiter la ville et être inscrit sur le rôle des impôts. AM. Saint-Malo, (...)
  • 82 Essentiellement le droit de vendre ou de faire vendre par un débitant un certain nombre de barriqu (...)
  • 83 A. Corvisier, Quelques aspects…, p. 248 cite le témoignage du sieur. Rue, notaire et procureur à L (...)
  • 84 AD. 35, C 474. La réparation des affûts coûta 638 L 2 s.

32Faut-il penser que leur faible capacité guerrière explique le peu d'empressement que l'on montrait à les équiper convenablement ? Pourtant, il fallait qu'ils puissent se battre. L'état ducal avait songé très tôt à les y exercer par l'institution du jeu de papegaut dont l'origine remonte peut-être au xive siècle pour « adrexter la jeunesse du dit pays à l'exercice des armes ». Il s'agissait d'un concours de tir à l'arc d'abord, à l'arbalète ensuite, à l'arquebuse enfin. Après la réunion, les rois de France maintinrent cette institution tout en exigeant sa justification par les villes bretonnes. 37 répondirent et obtinrent la confirmation de leurs droits et privilèges80. Cependant, l'évolution du papegaut (papegai) transforma en grande partie sa signification et par là son utilité. Au fur et à mesure que le temps passa, ce jeu devint un passe-temps de notables. Bientôt, dans presque toutes les villes bretonnes, il fallut être chevalier, c'est-à-dire faire partie de l'élite urbaine pour participer au concours81. Cette élite tenait d'autant plus à son maintien qu'il mettait en évidence le rang social du vainqueur doté de réels privilèges82. Les communautés les jugeant exorbitants renoncèrent à défendre leur droit de papegaut au cours du xviiie siècle. Les États de Bretagne lors de la délibération du 31 décembre 1768, demandèrent la suppression de ce jeu objet de dépense, de dissipation et de dérangement, occasion de querelles, de procès et d'accidents funestes. Finalement, l'arrêt du conseil du 7 mai 1770 l'abolit dans toute la province sauf à Saint-Malo où il fut maintenu afin que les habitants se perfectionnent dans le maniement des armes. Il restait les exercices de tir qui avaient lieu le dimanche et les jours de fête qui sans nul doute eussent été bénéfiques aux miliciens si ceux-ci y avaient participé83. Quant aux manœuvres spécifiques qui devaient leur apprendre à évoluer correctement au commandement, elles connurent peu de succès en période de paix voire de guerre obligeant le duc de Penthièvre en juin 1744, de menacer de peines sévères ceux qui s'exemptaient. Menaces sans grands effets car en 1763, le Sieur Rue constatait qu'elles avaient été « à peine assemblées » tous les dix ans. Toutes les milices bourgeoises ne présentaient pas les mêmes défauts, ni les mêmes qualités. Quelques villes possédaient encore au xviiie siècle des pièces d'artillerie mais la plupart perdirent leurs canons dès le xvie siècle au profit du souverain. La présence d'une artillerie ou plutôt d'un canon est attestée ici ou là : à Hennebont en 1721 à l'occasion de la Fête-Dieu on « fit tirer le canon », il tonna encore en 1732, à Quimperlé en 1725, à Saint-Brieuc, le budget de 1758 montre la présence d'un canonnier et d'un tireur de canon84, à Rennes encore. Ces pièces qui servaient lors des cérémonies officielles ou pour marquer un grand événement, sans valeur militaire, devenaient dangereuses pour leurs servants quand leur mauvais entretien, leur vétusté ou l'inexpérience voire l'imprudence des canonniers les faisait exploser. Saint-Malo, par contre possédait une artillerie en bon état, efficace, qui attirait l'envie des officiers du roi.

  • 85 A.M. Rennes, RCV., 1723 fol.29 r. J.-B. Quernest, Notion…, 1887.
  • 86 Mairie de Quimperlé, RCV, 23 juillet 1700.
  • 87 AD, 35, C1799. Bertrand de Molleville à Calonne, 3 janvier 1787. Cité par B. Pocquet, Histoire de (...)
  • 88 AM, Rennes, RCV, 1721, fo1.46 à 48.
  • 89 AD. 35, C 105. Une compagnie du guet de 200 hommes fut créée en 1786 (2 capitaines, 2 lieutenants (...)
  • 90 B. Pocquet, Histoire de Bretagne, 1913, TVI p. 380 et suiv. Il n’est dans ces lignes aucunement qu (...)

33Les miliciens avaient aussi un service de police, sans doute le plus important pour les citadins qui assuraient leur propre sécurité. La surveillance des portes tenait à la fois aux services militaire et policier. À Saint-Malo, les « capitaines du réveil » assistaient à la montée et à la descente de la garde, surveillaient les étrangers qui pénétraient dans la ville et sur les hostelleries qui les accueillaient. À Nantes, ils enregistraient ceux qui se présentaient aux portes de la ville. À Rennes, ils fouillaient les étrangers suspects. Bien sûr, la rigueur de ce contrôle dépendait de la situation, du contexte. Existait-il des difficultés économiques, des risques de troubles sociaux, des menaces d'épidémie ? Alors les portes se fermaient et les miliciens veillaient. La situation redevenait-elle normale ? Alors le service s'allégeait, voire disparaissait. Ce rôle sécuritaire se renforça au cours du xviiie siècle, surtout la nuit. En 1717, la milice bourgeoise fut assujettie au service de la patrouille. Mais la patrouille n'était permanente et régulière qu'à Rennes, Nantes, Brest et Saint-Malo. Le 27 décembre 1730, la ville de Lamballe déclara ne pas y être soumise « à cause du peu d'importance de la ville ». À Rennes, dès 1723, le major de la patrouille établit une brigade « durant les heures de promenade, avec ordre d'arrêter tous les écoliers qui jetteront des fusées en quelque lieu que se puisse être de la place, et de les conduire sur le champ en prison, et quant à ceux qui se trouveront saisis de bâtons cachés sous leurs habits, ils seront mis au cachot sans que les uns ni les autres en puissent être élargis que par son ordre85 ». Sans doute fallait-il organiser davantage le service puisque le comte de Toulouse dans son ordonnance de 1726, le régla pour toutes les villes bretonnes. Les miliciens devaient se retrouver en fin de journée au corps de garde : à dix-neuf heures, du 1er novembre au 1er mai, à vingt et une heures du 1er mai au dernier jour d'octobre. Nous trouvons les traces de cette organisation à Morlaix en 1727 où existait une patrouille fixe et journalière ou encore à Quimperlé. Cette dernière ville nous fournit d'ailleurs un bon exemple d'une patrouille organisée à la demande du gouverneur de la ville dès 1700. Il devait y avoir tous les soirs : « une escouade des dites milices pour faire la patrouille arrester les soldats et autres qui après la retraite courent, volent et battent les habitants ». Cette patrouille devait « avoir lieu même le jour lorsqu'il [y avait] des preuves de désordre » et le maire devait commander des détachements « pour arrêter les séditieux86 ». À la fin du siècle, l'accroissement de l'insécurité à Nantes qui devenait « un repaire de voleurs et de mauvais sujets de toutes espèces » conduisit l'intendant à y souhaiter l'établissement d'un guet87. Bien que la sécurité urbaine reposât sur eux, toute la ville n'était pas sous leur surveillance. À Rennes, la patrouille devait, en principe, circuler et intervenir dans toute la ville, mais les instructions la maintenaient à l'intérieur des murs et les miliciens habitant les faubourgs se plaignaient amèrement d'assurer le repos des bourgeois de la ville close pendant que leurs familles et leurs biens restaient à la merci des brigands88. Ils trouvaient anormal que la « portion misérable » de la cité fut chargée de veiller plus souvent que les autres. En principe, chaque milicien devait un service de quatre ou cinq nuits par an sur la base de 35 à 40 hommes par nuit. Or la situation au lieu de s'améliorer avec la croissance des effectifs, se dégradait. Les sergents se faisaient acheter et donnaient des billets de garde à des « créatures » qui ne se déplaçaient pas, les deux tiers des hommes se faisaient exempter et le dernier tiers ne comprenait que des manœuvres trop pauvres pour payer douze sous les billets de garde aux sergents, ni assez influents pour se faire dispenser. Situation sans doute noircie par les pétitionnaires mais sûrement pas totalement inventée. En tout cas, ils demandaient l'établissement d'un guet89. Le rôle des miliciens ne se limitait pas à la protection quotidienne des citadins. La municipalité faisait appel à eux lorsque des mouvements sociaux inquiétaient les élites, mais les événements de 1675 montrent qu'ils étaient beaucoup moins sûrs, quand il s'agissait de troubles plus profonds qui mettaient en cause les intérêts de la Province et en tout cas des citadins plus ou moins fortunés. En 1675, à Nantes : « Pas un habitant ne (voulut) obéir à son capitaine pour prendre les armes. », à Rennes les miliciens se révoltèrent à l'arrivée des soldats. Quand à la suite des troubles qu'avait connu la ville, le duc de Chaulnes, gouverneur de la Province voulut lui imposer la présence de trois compagnies de soldats, la milice bourgeoise se rebella. Ainsi, en cas de troubles graves, le roi ne pouvait compter que sur ses soldats. C'est ce que démontrent d'abondance les événements survenus en Bretagne en 1675 et 178890. La milice bourgeoise épousait les intérêts de sa ville tels que les comprenaient ses élites. À Morlaix, une longue bataille opposa les bourgeois de la municipalité et les juges royaux de la sénéchaussée. Elle déboucha en 1734 sur une bagarre mémorable entre les gens de la milice et ceux de la sénéchaussée pour une question de préséance lors d'un feu de joie allumé après la prise de Philipsbourg.

  • 91 Mairie d’Hennebont, BB 16. Renouvellement des caisses, des baguettes et des fournitures pour les t (...)

34La milice bourgeoise participait aux grandes cérémonies officielles leur donnant un éclat fort apprécié. À Rennes, la communauté présidait à cinq marches publiques ordinaires et à cinq extraordinaires. À toutes ces occasions, la milice apportait le chatoiement de ses enseignes, le roulement de ses tambours et le prestige de ses uniformes quand elle en portait91. En 1729, à l'occasion de la naissance du Dauphin, un bûcher fut préparé place du Palais à Rennes et la milice s'y rendit pour effectuer des décharges de mousqueterie et de canons, elle participa à la fête de la dédicace qui marqua l'érection de la statue de Louis XIV dont la gravure de Huguet nous garde le faste.

35Au cours du xviiie siècle, nous assistons à une sorte d'uniformisation des milices. Sous le règne de Louis XV, on portait l'habit écarlate à revers bleus ou l'inverse, veste et culotte de chamois avec épaulettes aux couleurs distinctives mais les miliciens de Hennebont et de Port-Louis endossaient un uniforme blanc aux parements et veste de velours noir, boutons dorés et un chapeau galonné d'or. Les miliciens de Pontivy connus pour la saleté de leur tenue ne portèrent pas de véritable uniforme avant 1747. Dans les principales villes, à Nantes, à Brest, à Saint-Malo, à Rennes, à Port-Louis, l'uniforme des officiers ressemblait à celui des officiers des troupes de ligne qui protestaient et les officiers de la milice de Dinan n'obtinrent un uniforme en 1754 qu'à la condition qu'il ne ressemblerait pas à celui des troupes réglées ni à celui de la milice provinciale. Ailleurs, ils étaient parés de costumes les plus martiaux possibles. Enfin, quelques milices possédaient des drapeaux. Celui de Morlaix en 1728 était blanc et timbré des armes de la ville.

36La garde bourgeoise des villes avait une réalité pendant tout le xviiie siècle. Son rôle, sa nécessité ne furent d'ailleurs pas remis en cause, tout au moins pour le service à l'intérieur des villes où elle garantissait l'ordre. Par contre, une partie des habitants pensait que son rôle social était si nettement défini qu'il fallait que cette milice soit composée de ceux qu'elle servait, les « nantis ». D'autres voulaient au contraire que tous deviennent miliciens et que la milice ne fût plus au service d'un ordre, d'une catégorie, d'une classe, mais de tous. C'est ce qui ressort du cahier de doléances de la sénéchaussée de Rennes : « Art. CCXIII. — Que la garde bourgeoise des villes ne soit plus rejetée sur les citoyens qui ont précisément le moins à conserver ; que tous les habitants, sans aucune exception et sans distinction de rang, de qualité, de profession, de sexe même, soient assujettis à la payer : qu'il soit fait sur cela une loi formelle qui ne permette plus à aucun citoyen, de quelque condition qu'il soit, de s'y soustraire. »

Les hommes de la marine royale

Une levée importante

  • 92 John Bromley, « La seconde guerre de Cent Ans », De Guillaume le conquérant au Marché Commun, 1979 (...)
  • 93 AN. Marine, B 4/13. M. Perrichet, « Contribution à l’histoire du xviiie siècle », RHES, 1959, p. 8 (...)
  • 94 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné…, t. V, 1765, art. Marine.

37La politique qui dota la France d'une force maritime militaire puissante eut pour conséquence d'amener les gouvernants à mettre sur pied un système de recrutement cohérent et efficace. Certes, ils eussent pu se contenter de garder le système ancien de la presse en l'améliorant, ils auraient en cela choisi le même parti que les Anglais. Mais ce rapt d'hommes qui obligeait à fermer les ports pour y trouver les matelots dont certains étaient tirés des bouges, ne fournissait pas que des marins de qualité et désorganisait la pêche et le commerce. Quel que fut le système adopté le service éloignait les hommes qui embarquaient quelquefois bien loin du lieu de leur recrutement. L'ordonnance du 4 septembre 1669, l'instruction qui suivit, les édits de janvier et de novembre 1670 concernaient uniquement la Bretagne qui devenait ainsi une région expérimentale. La volonté du ministre de sauver le commerce, de le rétablir et de l'augmenter s'accompagnait de la conviction qu'il fallait pour réussir une force maritime plus puissante servie par des matelots expérimentés. Les premiers édits furent complétés le 6 mai 1674 par un mémoire sur l'enrôlement des matelots92, d'autres ordonnances suivirent. Le système concernait tous les marins et les pêcheurs des paroisses riveraines, rurales ou urbaines qui devaient le service sur les vaisseaux du Roi et ceux qui avaient une profession paramaritime. Les hommes inscrits étaient divisés en classes appelées à servir à tour de rôle un an sur cinq93. En 1726, Maurepas sentit le besoin de revoir le système, la Marine disposait de trop d'hommes en temps de paix et n'en n'avaient pas assez en temps de guerre. En conséquence le nombre des marins requis fut fixé en fonction des armements prévus et l'on prit par priorité au moment des forts besoins, ceux qui n'avaient pas été enrôlés au moment où leur classe était de service. Le nouveau système beaucoup plus souple n'empêcha pas de nombreux abus. Choiseul en demandant aux officiers « de choisir les matelots non plus en fonction de l'ordre des classes, mais de l'ancienneté de leur temps de service abolit de fait la division des populations maritimes en classes telle qu'elle avait été conçue par Colbert et somme toute maintenue jusque-là ». Il ne subsista dès lors que l'enregistrement et on peut se demander s'il n'y eut pas crise de recrutement sous Louis XVI. Mais en dehors des difficultés rencontrées, le principe même de ce système trouva des opposants. À l'article « marine » de l'Encyclopédie, l'auteur proposait de remplacer cette sorte de milice matelote par l'enrégimentement et de recruter non plus les matelots seulement dans les provinces maritimes mais sur l'ensemble du royaume94.

  • 95 J. Meyer, La seconde guerre de Cent ans. 20 000 hommes pour une escadre fin xviie siècle, 30 000 f (...)
  • 96 AN. Marine, B 5/3, 5/21. C4 156.

38En Bretagne, dans les bureaux des classes de Saint-Malo, Dinan, Saint-Brieuc, Lannion et Tréguier, Morlaix, Brest, on inscrivait tous les pêcheurs en mer et en rivière, les matelots, les officiers. En 1704, l'on recensa 88 977 officiers et matelots en France dont 66 735 enrôlables. J.-T. Le Goff estime que l'effectif à la fin du xviiie siècle tournait autour de 55 000 hommes et Jean Meyer souligne avec force : « l'invraisemblable stabilité du corps de métiers que constituent les matelots français et bretons95 ». En 1760, l'équipage des 58 bâtiments de la flotte montait à 20 240 hommes théoriques. En 1776 et 1777, la Royale engagea seulement 10 616 et 13 946 officiers mariniers et matelots soit 23,41 % et 24,20 % des effectifs. En 1778 avec la guerre américaine, elle en appela 34 156 soit 59,30 %. La guerre explique ces variations et l'on sait par exemple que de 1778 à 1783, 380 bâtiments furent armés à Brest et 215 à Toulon. D'autres estimations donnent 320 vaisseaux armés â Brest pendant ces mêmes dates voire 724 bâtiments dont 210 vaisseaux et 139 frégates96.

39On peut expliquer le nombre des enrôlés à la fois par la conjoncture (guerre ou paix) et par la politique maritime de la monarchie. Celle-ci fixait le nombre et le type de bâtiments, le nombre aussi des hommes, variable selon les époques et en augmentation par navire dès 1765. Le 74 canons enrôla 750 hommes et le 100 canons plus de 1 000. Progression somme toutes assez faible, plus importante pour les navires de moindre tonnage que pour les plus puissants. Cette évolution à la hausse se poursuivit au xviiie siècle sans doute avec un coup d'arrêt en 1759-1760, puis une reprise jusqu'en 1765, ensuite elle connut une baisse jusqu'à la guerre américaine où les effectifs crûrent à nouveau. La Bretagne fournissait à peu près le tiers des équipages français. Proportion pratique pour imaginer le poids de l'effort mais qui ne doit pas cacher des variations dans le temps : en 1698, 30356 bretons sur 88977 gens de mer soit 34,10 %, en 1776, 19621 sur 45450 officiers mariniers et matelots classés, soit 41,98 %. Mais 28,60 % se trouvaient sur les bâtiments du Roi. Nous trouvons pour 1777, respectivement 33,92 % et 41,53 %, en 1778, 32,17 % et 30,61 % et en 1780, 33,09 % et 33,39 %. Là encore ces chiffres nous montrent une grande stabilité. Brest concentrait l'essentiel de la flotte du Ponant. Il n'est donc pas étonnant que les Bretons fournissent l'effort principal dès l'annonce de la guerre, pourtant ainsi que le souligne Jean Meyer : « Les possibilités d'armer les escadres devenaient de plus en plus problématiques ». Par exemple une lettre du ministre du 21 décembre 1756 demandait que l'on prévoie le rassemblement à Brest de 3 270 officiers mariniers et matelots pour le mois de mars suivant, il fallut prélever dès janvier 320 matelots de la compagnie des Indes. Sur la flotte engagée dans l'Atlantique les 10 444 Bretons enrôlés furent appelés rapidement.

  • 97 AN. Marine, B 3/13. Lettre de Narp, 13 janvier 1672. 10 février 1672, f°346. f°373. Les ouvriers e (...)

40D'une manière générale, le système n'obtint pas l'approbation que l'apparente justice de la répartition aurait pu entraîner. Il y eut dès l'origine méfiance, sentiment qui se manifesta de différentes façons et qui explique une opposition plus ou moins ouverte et même quelquefois le sabotage des mesures prises : surtout par des marchands et des armateurs. Narp s'en plaignait en juin 167197. Certains proposèrent pour pallier le manque d'hommes l'enrôlement général des gens inutiles, cadets de noblesse, fainéants, quelles que fussent leurs origines sociales. Le recrutement de ces gens aurait pour double avantage de coûter moins cher, simple avance d'une demi solde et de débarrasser leurs parents mais ils n'avaient pas les qualités techniques souhaitées. La fin du xviie siècle est riche en exemples de refus, d'atermoiements, de désertions. En 1683, sur 5 400 matelots inscrits : 3 500 étaient à la pêche, 800 déjà embarqués, 300 envoyés à Brest, 400 n'étaient pas encore rentrés de Provence. Il restait donc 400 hommes dont une bonne partie trop malade pour répondre à l'appel du Roi. Quant aux officiers mariniers, les meilleurs sur les navires marchands, il ne restait que le « rebut ». Les commissaires prévirent donc d'empêcher les plus capables d'embarquer à l'avenir. On peut imaginer le poids de la concurrence de la pêche et du commerce quand on sait que l'interdiction — en mars 1778— de commercer avec Terre-Neuve, libéra 5 000 officiers mariniers et matelots pour la Royale. Les hommes arrachés à la pêche ou au commerce percevaient une solde de 9 à 15 L par mois, puis à partir du 13 juin 1751 de 12 à 18 L. Les mousses de dix à douze ans perçurent 5 puis 7 L 10 s. Tous étaient quittes du service à partir de cinquante ou soixante ans. Les infirmes touchaient demi-solde et les intérêts des femmes et des enfants des morts, en partie pris en compte.

  • 98 AB. Marine, 3 P 3/7. Registre des classes de Quimper ville (1776 à 1787). A. Corvisier, « Une enqu (...)
  • 99 AB. Marine, 3 P 3/7. Registre des classes à Quimper.

41Aidés par ceux qui les employaient, les matelots cherchaient à ne pas partir justifiant leur attitude par les brutalités qu'ils subissaient de la part des officiers98. On peut comprendre l'attitude de ces gens qui non seulement couraient le risque de périr ou d'être estropiés, mais encore risquaient de rester longtemps sur les bateaux de la Royale. Un bosseman alla à Brest en 1778, y resta sept mois et 27 jours, y retourna en 1779 pour huit mois et vingt jours, se retrouva à Rochefort en 1780, où il tomba malade99. Mourir en se battant pouvait sembler normal mais la maladie touchait durement les équipages. Le 24 novembre 1757, l'escadre du Bois de la Motte arriva à Brest chargée de trois à quatre mille malades dont un millier fut hospitalisé tout de suite. Le 28, 3 800 places d'hôpitaux chez des particuliers étaient occupées et il restait encore à bord 700 à 800 malades. Un mois plus tard il y avait encore 2 600 malades. Ce ne fut qu'en avril 1758 que les « hôpitaux extraordinaires » furent évacués, mais six jours plus tard (le 14) on annonçait de nouveaux malades sur l'Alcyon, le Blonde et la Calypso. Le 11 août 1758, 2000 malades étaient à traiter. Pendant la guerre américaine, le simple hôpital royal de la Marine à Brest eut 881 morts en 1778 et 1671 en 1780. de la Michaudière expliquait que sur les 15 424 décès de plus que les naissances, 5 000 étaient imputables aux décès dans les hôpitaux. Jean-Pierre Goubert a longuement étudié la question, montrant parfaitement non seulement le poids des pertes parmi les marins mais aussi dans la population qu'ils contaminaient.

  • 100 Roncato, La guerre de course à Saint-Malo, 1956, thèse de l’École des Chartes (exemplaire dactylog (...)
  • 101 AN. Marine, B 4/87, f° 158. Lettre de Berryer au duc de Conflans (citée par Roncato, idem.).

42Au fur et à mesure que la Monarchie s'engageait dans des guerres maritimes, les besoins en hommes croissaient et il apparaissait clairement que la Bretagne ne pouvait fournir facilement tous les matelots demandés. Aussi y eut-il concurrence entre la Royale et les armements corsaires. Dès avril 1744, Guillot écrivait au ministre pour l'engager à limiter en nombre la levée afin que les bâtiments de course trouvent leurs équipages. Il ne fut pas écouté et en 1747, l'on manqua de marins100. La guerre de Sept Ans débuta par la perte de plusieurs milliers d'entre eux, aussi la Royale dut prendre des mesures de plus en plus sévères pour fournir ses navires, réquisitions, embargos, entraînant l'embarquement d'équipages étonnants par leur composition. Les équipages de 90 navires dont 14 corsaires, furent formés en grande partie grâce aux officiers de navires marchands qui en cette occasion firent le service de matelots, de novices et d'étrangers101. Autant qu'ils le pouvaient, les hommes jouaient de la concurrence entre la Royale et les particuliers. La rareté du personnel en faisait le prix. Au salaire normal perçu sur les bâtiments, aux parts de prises s'ajoutait la pratique des avances. Nous avons vu Narp l'utiliser pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg, les particuliers firent de même surtout après 1744. En avril, Beauvais le Fer trouvait dispendieuse une avance de 100 L, mais en octobre l'on donnait 300 L et même 400 L. En 1747, les armateurs auraient trouvé raisonnable de verser 80 L aux premiers matelots, 66 L. 13 s. 4 d aux seconds et 40 aux autres, tarifs bien au-dessous de ce qui se pratiquait. Pendant la guerre d'indépendance américaine, les avances grimpèrent à 450 L pour six semaines et pour un matelot médiocre. Le 16 janvier 1780, le Roi tenta de les limiter par ordonnance, sans doute sans grand effet.

  • 102 M. Pétard, « Les compagnies franches de la Marine », Gazette des Uniformes, n° 34, 1976, p. 20-27. (...)

43Il ne suffisait pas d'avoir un personnel navigant, encore fallait-il le faire accompagner de combattants. L'organisation d'un corps spécifique, le corps d'artillerie de la Marine eut lieu en 1692. Les artilleurs furent répartis entre Toulon, Rochefort et Brest. Choiseul réunit les artilleries de terre et de mer en un seul corps. Ce système dura jusqu'en 1769. Parmi ces artilleurs, les bombardiers engagés pour dix ans, constituaient l'élite de l'artillerie de marine. Les officiers de vaisseaux fournissaient le corps des officiers d'artillerie de marine (une cinquantaine). Ils pouvaient commencer leur carrière dans les Cent gardes de Marine supprimés par de Castries en 1786 et qui devinrent les élèves de la marine. Il s'agissait de jeunes gens de noblesse reconnue. Dès 1669, le Roi mit sur pied deux régiments d'infanterie de marine, le Royal marine et l'Amiral. La Marine forte de son développement, obtint le 16 décembre 1690 la création des compagnies Franches de la Marine102. La garde des arsenaux devint un service particulier assuré par des hommes qui lui furent spécialement affectés, ainsi des Suisses se trouvèrent à Brest. Le port rassemblait en 1677, 2 500 à 2 600 hommes. Un siècle plus tard, lors de la guerre américaine, 33 256 marins, 8 000 à 10 000 soldats embarquèrent la plupart en Bretagne dont un tiers des premiers, 3 % des seconds étaient bretons.

Les conséquences du service pour les hommes et pour les villes

  • 103 A. Lefèvre, Histoire du Service de la Santé, Paris. En 1731, fon dation de l’École de chirurgie na (...)
  • 104 D. Neuville, op. cit.

44La santé à bord des navires n'était pas toujours fameuse surtout quand les embarquements s'éternisaient et que le ravitaillement tardait. La promiscuité à bord des bâtiments, aggravée en période de conflit par l'entassement des hommes lié à l'arrivée des soldats, rendait redoutable toute maladie contagieuse dans ces navires chargés de malades au retour. Qu'une bataille éclate et des blessés nombreux, des hommes souvent mutilés exigeaient qu'il existât à bord des gens capables de les soigner, d'amputer, d'arrêter les hémorragies. Tous ne pouvaient pas attendre le retour à quai. L'ordonnance du 15 avril 1683, organisa le système de santé. Médecins et chirurgiens « entretenus », c'est-à-dire soldés, assistés d'aides, de garçons, d'infirmiers servaient par brevet ou par ordre du roi. Plus tard, les écoles de chirurgie de Rochefort (1722), de Brest (1731), enfin de Toulon (1755), les formèrent103. Les registres de la capitation attestent la présence de ce personnel dans les grands ports bretons dont les appointements n'étaient pas négligeables104.

45La santé morale de ses marins préoccupait tout autant le Roi que leur santé physique. Ces hommes qui partaient pour de longues périodes, qui risquaient leur vie, avaient besoin de l'assistance de prêtres. Il rendit bientôt leur présence obligatoire sur tout navire de 40 hommes et plus. Le 26 décembre 1685, un contrat conclu avec les jésuites à Paris, leur donna la direction du séminaire de Brest dans lequel ils nommeraient et entretiendraient vingt aumôniers qui recevraient 100 L de gages annuels. Ils s'installèrent dans des bâtiments construits pour eux. de plus neuf religieux et trois frères s'occuperaient de l'instruction et du service des jeunes prêtres, leur enseigneraient la théologie, les mathématiques. Ils devaient être capables de prêcher en français et en breton et visiteraient les malades. En échange, les jésuites obtenaient une église, une maison dont le revenu charges déduites, montait à 3 000 L, une rente de 7500 L payée en partie par le Roi et en partie par les États et des concessions de terrain. Les États ajoutaient un don de 40 000 L pour la construction de l'église et des bâtiments indispensables et le Roi, 10 000 L pour l'achat des ornements. Le même type de contrat exista pour Toulon (11 septembre 1686) et pour Rochefort (15 avril 1689). Les jésuites restèrent chargés de cette tâche jusqu'en 1764.

  • 105 J. Aman, Les officiers bleus dans la Marine française au xviiie siècle, 1976.

46Le passage dans la Royale obligatoire pour tous les gens mer, l'était encore plus pour tous ceux qui désiraient être pilotes lamaneurs, commander une simple barque ou faire carrière dans la marchande. Les ordonnances de la Marine d'août 1681, du 30 octobre 1683, enfin du 15 avril 1689, réglementèrent la carrière des gens de mer jusqu'à la Révolution Française. Elle ne fut suspendue que pendant une courte période qui alla de mai 1716 à août 1725. Sans pouvoir prétendre que les campagnes fussent toujours des écoles d'apprentissage, elles n'en étaient pas moins nécessaires pour espérer faire carrière. Nécessité d'ailleurs inégalement appréciée selon le type de navigation que les postulants désiraient entreprendre, les responsabilités qu'ils voulaient assumer. Pour être maître de barque ou pilote, il fallait justifier d'un temps de passage de trois mois au moins lors de deux campagnes sur un navire de la marine militaire et prouver une compétence. Le service sur les bâtiments de la Royale dépendait des circonstances. Après la mort de Louis XIV et dans la première partie du siècle, il fallut accorder un grand nombre de dérogations et reconnaître les embarquements à bord des navires de la compagnie des Indes. Les examinateurs s'appuyaient aussi sur le temps de service, certains postulants ayant commencé leur carrière dès l'âge de 12 ans comme mousse ou apprenti. Comme dans les corporations, la situation des fils de patrons possédant leurs barques n'était pas la même que celle des simples matelots et bien souvent le propriétaire avait la possibilité de commander sans avoir encore satisfait aux épreuves de l'examen. Les choses devenaient un peu plus sérieuses quand il fallait non plus accorder la maîtrise à des matelots ou à des pilotes côtiers, mais des lettres aux capitaines et aux pilotes hauturiers. Au-delà de l'expérience, du nombre de campagnes, les connaissances théoriques prenaient une plus grande part. Ceux qui avaient suivi des cours d'hydrographie devaient produire un « dossier scolaire » qui comprenait, avec le nom des examinateurs, le résultat aux examens contresigné par le lieutenant de l'Amirauté concernée. L'imbrication existant entre une carrière civile maritime quelle que fut son importance et le service dans la marine royale parait encore plus évidente quand on étudie la carrière des officiers bleus105.

47Dès la fin du xviie siècle, pour pallier le manque d'officiers recrutés dans le Grand Corps, le Roi fit procéder au recrutement d'auxiliaires. Pendant la guerre de Sept Ans et la guerre américaine, il fallut appeler des officiers de la marine marchande. Quelques-uns se trouvèrent cantonnés dans des emplois très subalternes et seuls les officiers marchands ayant rempli les fonctions de second capitaine ou de lieutenant, plus rarement d'enseigne, ou les anciens volontaires de la compagnie des Indes, furent admis comme officiers bleus. Promotion sociale qui ouvrait les portes de la Royale aux nobles pauvres qui faute d'avoir pu entrer dans le Grand Corps par la voie normale avaient entrepris une carrière dans la marine marchande. Jacques Aman nous apprend que sur 4 241 de ces officiers, 106 venaient de Bretagne. Les nobles constituaient un peu plus du vingtième des officiers bleus.

48Au bout du compte la Bretagne profitait à un double titre de cette situation. D'une part, la Royale fournissait un débouché et le contrôle d'une formation et d'autre part les ports militaires, Brest, Port-Louis et Lorient concentraient une population de marins qualifiés, aux salaires intéressants, aux plaisirs plus ou moins raffinés, qui faisant vivre plusieurs corps de métiers. Bien sûr la présence des officiers du Grand Corps renforçait le phénomène. En 1677, sur 416 officiers (248 embarqués), 87 servaient dans le Ponant (20,91 %). En 1785, sur 919, 162 se trouvaient à Brest et à Port-Louis, soit 23,61 % du personnel d'encadrement toutes catégories confondues. Enfin, les autres ports, les populations des villes portuaires profitaient de cette politique, les hommes trouvaient des débouchés et des possibilités de carrières.

Les armées du Roi en Bretagne

Présence de l'armée de ligne.

  • 106 AD. 35, C 2650. Greffe des États 1621, 3e art. du cahier de Remontrances. C 2652.
  • 107 AD. 35, C 3682 à 3701.
  • 108 AD. 35, C 3847, B.N. Man. fr. in fo1.202, Recueil de quelques mémoires…, 1788.
  • 109 Sur l’armée jusqu’à Choiseul, A. Corvisier, l’armée française de la fin du xviie siècle au ministè (...)
  • 110 A. de Goué, op. cit., 1906. Il y avait au xviie siècle deux régiments entretenus par les États de (...)
  • 111 AD. 35, C 928. Places où le Roi entretient des garnisons en temps de guerre seulement : Îles Dumet (...)
  • 112 BN. na 371, mémoire sur la défense de la rade de Brest.

49Les soldats venaient en Bretagne au triple titre d'hôtes, de garants de l'ordre royal, de défenseurs de la province et du royaume. Les États de Bretagne, ne montraient pas beaucoup d'empressement à laisser les gens du roi entrer dans la province et préféraient limiter au maximum leur présence. Ils prirent sur ce point une position très ferme lors de la tenue des États de 1632 et de 1634106, considérant que : « La province est suffisamment fournie d'hommes aguerris et pleins de courage [...] pour se garantir de quelques incursions de descentes ». Les guerres de Louis XIV furent l'occasion de l'installation de troupes en Bretagne venues à chaque reprise des hostilités des Flandres, du Rhin ou des Alpes. Pour Bourde de la Rogerie, il s'agissait de très faibles garnisons, quelques compagnies en 1702, vingt bataillons seulement en 1758. Il est vrai que les frontières du Nord et de l'Est mobilisaient la plus grande partie du potentiel militaire français. Les comptes du casernement qui nous permettent de suivre les mouvements des troupes tout au long du xviiie siècle107 et divers rapports, tel le rapport sur l'emplacement général des troupes sur la côte de Bretagne qui nous décrit toute l'organisation militaire en 1758, ou l'état des troupes en Bretagne de 1732 à 1752108, montrent d'une part l'importance de la cavalerie par rapport à l'infanterie et d'autre part les variations en temps de paix et en temps de guerre. À la veille de la Révolution, il y aurait eu en Bretagne seulement deux bataillons et sept compagnies d'infanterie sur les 278 bataillons que comptait l'armée royale. Un seul escadron de cavalerie sur 52 escadrons et aucun dragon109. En 1787, un nouveau projet de répartition des troupes fut mis au point par le Conseil de la guerre et en 1789 nous trouvons : sept régiments d'infanterie soit 8 218 hommes, 432 Chasseurs bretons, les Grenadiers royaux de Bretagne, la cavalerie, soit au total plus de 10 000 hommes de l'armée de ligne. Les stratèges pensaient alors que face à la menace anglaise, il fallait trente compagnies de fantassins et douze régiments de dragons avec en plus les troupes légères constituées par des corps semblables aux Volontaires bretons qui joignaient « à leur petite taille, une force peu commune, une marche extraordinaire, une nourriture succincte composée de pain noir, de beurre, de laitages » et dont les cavaliers disposaient des petits chevaux bas-bretons qui n'avaient pas leur pareil en bonté et en solidité110. Dans cette organisation, les invalides assuraient la garde des châteaux d'abord confiée à des vétérans appelés bientôt « invalides » et casernés dans les places fortes et les citadelles. En temps de paix à Belle-Île-en-Mer, à Port-Louis, aux châteaux de Saint-Malo, de Nantes, de Brest, du Taureau, dans le fort des Sept-Îles et à Lorient111.Au fur et à mesure que le xviiie siècle avançait le nombre des points ainsi tenus augmentait, permettant une meilleure articulation de la défense. Brest à la défense prioritaire concentrait l'essentiel des troupes. En 1760, 3 020 hommes défendaient la rade, seulement 790 en 1776, 2 180 en 1778 et 2 890 le 25 mars 1778112.

50Le nombre de ces divers soldats, le temps qu'il fallait pour les conduire à pied d'œuvre (de quatorze à dix-sept jours de Normandie, du Maine, du Poitou, d'Aunis, d'Anjou), le besoin de les loger, de les nourrir, de transporter leur matériel, posèrent aux Bretons des problèmes difficiles à résoudre et dont la solution leur coûta fort cher.

Etapes et logement des troupes

  • 113 M. Monier, « L’armée à Dinan », AHAAStM, 1973. AD. 35, C 3673.

51Il ne faut pas confondre la situation de troupes venant prendre position face à un adversaire éventuel avec celle de troupes traversant tout ou partie de la Bretagne pour s'embarquer à Brest, Lorient ou Nantes, ni avec celle de troupes qui prenaient leurs quartiers d'été ou d'hiver. Les troupes, en cas de danger, étaient concentrées en des lieux précis et limités. Le Royal-Corse caserna « en entier », à Auray pendant plusieurs mois des années 1751 et 1752. Le régiment Cambrésis trouva place dans la citadelle de Belle-Île mais une compagnie au moins dut chercher refuge ailleurs. Le régiment Forez plaça quatre de ses neuf compagnies en citadelle mais les autres durent aller en ville. Au moment de Saint-Cast, Dinan reçut les 4 000 hommes113. Le plus souvent, on répartissait les hommes entre plusieurs villes, bourgs et villages. Les huit compagnies du régiment Noailles qui arrivèrent en 1733, se logèrent à Lamballe, à Moncontour, à Saint-Méen, à Châteaubriant, à Guingamp, à Gourin et à Callac. Le mois suivant, les douze compagnies du régiment de cavalerie Anjou se dispersèrent en Basse-Bretagne (Léon et Cornouaille) : à Lesneven, à Landerneau, à Carhaix, à Quimper, à Rosporden et aux alentours de ces cités.

  • 114 A.D., 35, C 514.

52La plus grande partie des troupes séjournait en Bretagne pendant l'hiver, de novembre à avril et les villes de garnison, les villes d'étapes qui avaient l'habitude de les recevoir, s'organisaient en conséquence. Mais l'arrivée inopinée de militaires en grand nombre créait des difficultés considérables. Fin septembre 1755, quatre régiments de cavalerie, durent d'urgence quitter leur casernement, se regrouper à Rennes, Saint-Brieuc, Ancenis et Dinan pour sortir de la province entre le 2 et le 8 octobre. Un mouvement rapidement conçu qui lança sur les routes plusieurs centaines de soldats avec leur équipage, obligea à des solutions de fortune et mit les maires dans l'embarras. En janvier 1756, on annonça l'arrivée à Lamballe des 685 hommes du régiment Penthièvre. Immédiatement les édiles recensèrent les logements disponibles et sur 849 ménages, 211 se trouvaient « dans la dernière misère et hors d'état de loger114 ». Cette même année, la ville de Lamballe subit 48 passages de troupes et des milliers de soldats occupèrent ses lits. Quelques années plus tard, Quimper se défendait de pouvoir recevoir « plus d'un millier de soldats de passage » et Fougères dut louer plus de 600 maisons dans et hors la ville en 1788. La même année, Pontivy reçut deux escadrons supplémentaires qu'elle répartit difficilement dans quelques 500 maisons dont à peine un tiers de convenables. L'avatar de 1788 ne fut pas exceptionnel dans la vie de la cité qui accueillit en 1765 le régiment Lorraine et logea le 5 mai 1782, 400 hommes en plus. La ville de Nantes point d'embarquement des troupes n'échappait pas au soldat. Du mois de mai 1780 au mois de septembre 1786, 7862 hommes y passèrent avec leurs officiers et leur équipement. Certes peu résidèrent dans la ville mais ils n'en apportèrent pas moins une assez grande perturbation dans un port déjà encombré et dans une ville en expansion. Les déplacements des troupes se compliquaient du fait qu'elles restaient rarement au même endroit. Certes les deux bataillons du régiment d'infanterie Nice ne quittèrent pas leur quartier à Camaret, mais le régiment Quercy passa quelques mois à Paimbœuf, puis à Guingamp, à Tréguier et enfin à Lannion. À ces déplacements de masse concernant des régiments entiers qui se rendaient plus ou moins rapidement à leurs lieux d'affectations, s'ajoutaient ceux multiples, de soldats qui partaient de leurs corps ou cherchaient à le rejoindre, l'arrivée des recrues. Les comptes des dépenses des adjudicateurs des étapes de la province de Bretagne concernaient tous les déplacements. Les fantassins voyageaient le plus souvent par groupes de quinze accompagnés d'un sergent. Ils empruntaient des itinéraires judicieusement choisis qu'ils parcouraient par étapes de 25 à 30 kilomètres.

  • 115 Le maire déclarait alors l’« état de presse » ou « de foule ». Le cantonnement était une forme de (...)
  • 116 AD, 35, C 931. Lettres du ministre de la guerre à Messieurs les intendants, 28 mars 1751.
  • 117 AD. 35, C 3845. Duc de Choiseul, 13 décembre 1766. C 4700, Ordonnance du Roi portant rétablissemen (...)

53Les besoins de la troupe en matière de logement étaient à la fois permanents et extrêmement variables. Permanents, parce que la Bretagne possédait des garnisons régulières, abritait une partie des troupes royales en hiver. Variables, parce que la menace d'un conflit, l'éclatement de troubles, avaient pour résultat l'arrivée des soldats, le déplacement des milices. Toutes les villes ne présentaient pas les mêmes avantages, ni les mêmes inconvénients. Nous apprenons de deux enquêtes sur le logement de la cavalerie la bonne réputation de Fougères, Vitré et Antrain considérées comme de très bonnes villes pour loger les hommes et les chevaux. Vitré pouvait facilement abriter deux majors et leurs escadrons, Antrain et Fougères un seul. Pontrieux et Quintin satisfaisaient pour une étape pas davantage. Pontrieux était meilleure, Blain et Malestroit possédaient des fourrages avantageux de même que Redon qui se ravitaillait facilement par bateau. Ploërmel, Josselin et Guémené convenaient tandis que Saint-Aubin-du- Cormier ne pouvait nourrir plus de 100 chevaux. À Pontivy, les enquêteurs n'envisageaient de loger « qu'un petit escadron » dans une ville « trop enfoncée dans les terres », « favorisée d'aucune rivière ». Toutes ces considérations n'empêchaient point les soldats de s'y presser au-delà de toute mesure en cas de nécessité. Loger le militaire prenait différentes formes. Un système simple consistait à fournir des billets de logement dans un appartement, une maison, des écuries. En cas d'extrême nécessité, on logeait les soldats n'importe où, entassés dans tous les endroits disponibles y compris chez les privilégiés. Cette solution ne pouvait être que passagère, liée à des circonstances exceptionnelles. Dans ce cas le Maire faisait constater à la communauté qu'il y avait cas de foule. Dès lors les privilèges étaient suspendus et il était possible d'occuper tous les appartements vides115. Le ministre de la guerre jugeait qu'il était nécessaire d'utiliser de préférence les maisons non occupées, saines, en bon état puis celles « affermées à des locataires sujets à l'imposition, puis les propriétaires payant le casernement116 ». La plupart du temps il s'agissait de loger régulièrement tous les ans, les militaires de passage ou en garnison. Dans ces conditions les possibilités de logement se mesuraient certes en nombre de logis acceptables que l'on pouvait recenser, mais dépendaient aussi de la politique que la communauté suivait en la matière, politique tiraillée entre les exigences de l'armée et les revendications dé ses élites. L'instruction pour les correspondants de la Commission intermédiaire des Etats de Bretagne, sur le casernement des troupes de la Province117 précisait les mesures qu'une ville ou un village devaient prendre pour recevoir correctement un détachement.

54Le maire, ou le syndic de la paroisse, choisissait les maisons et à l'annonce de l'arrivée de la troupe faisait enlever les meubles et les effets des occupants s'il y en avait, mais leur laissait la libre dis position des greniers, jardins et vergers. Si les baies n'étaient pas closes par des vitres, mais seulement par des volets de bois (cas le plus fréquent), on les garnissait de « toiles ou de papier fort passé à l'huile pour donner de la clarté au soldat, garantir du vent et du froid ». Il fallait un lit pour deux soldats : simple couchette de bois avec une paillasse (dont la paille devait être renouvelée deux fois par an), une couette de plumes ou de balle. Le commandant avait une chambre donnant sur la place. Par régiment il fallait prévoir trois salles de discipline, une ou deux suffisant. Le lit faisait partie de l'ustensile avec une table, deux bancs, une planche suspendue pour le pain, des crochets pour l'équipage, un râtelier pour les armes. L'équipement des écuries pour 40 chevaux, comprenait une pelle, une fourche, un seau, une lanterne, un coffre par escadron pour l'avoine de quatre jours, cinq grands baquets pour faire boire les chevaux, des piquets. Le fonds de casernement payait l'achat de tout ce matériel au prix soigneusement tarifé. Quelquefois un entrepreneur se chargeait de le fournir. L'application de toutes ces mesures posait des problèmes au propriétaire même indemnisé à qui l'on imposait la présence d'un ou plusieurs hommes avec ou sans leur équipement, dont le locataire n'était que relogé et encore. On cherchait à éviter l'hébergement des soldats dans les auberges et les cabarets dont les tenanciers touchaient une indemnisation en fonction du nombre de jour d'utilisation. À Nantes en 1749, le tarif d'un colonel variait de 2 L à 6 L et celui d'un simple fantassin de 2 s à 10 sols. D'Argenson souhaitait que le soldat qui arrivait soit logé « par billet » chez l'habitant

  • 118 AD.35, C 2826. Les États dépensèrent sur les fonds de 1754, 209 824 L en deux temps égaux en 1755 (...)
  • 119 Le Lay, op. cit. 1911. Les besoins de Pontivy étaient en permanence de 70 à 72 lits.
  • 120 AD. 35, C 3847, Micault de Mainville traita le 7 déc. 1754. Il touchait un loyer de 540 L par an e (...)

55Pour soulager les habitants, le Roi envisagea très tôt de mettre des « casernes » à la disposition de la troupe. Ce mot recouvrait des réalités bien différentes. Mettre le soldat « en caserne » voulait dire lui fournir le logement soit dans un bâtiment construit à cet effet pour l'armée, soit dans une maison que l'on vidait de ses occupants ou qui se trouvait être vide ; l'afflux inusité de militaires en un lieu donné obligeait souvent à combiner casernes et billets de logements. Il est inexact de prétendre que l'armée ne disposait pas de casernes en Bretagne. Les militaires en garnison logeaient dans les forts et citadelles ou des bâtiments » construits sur les fonds du Roi ou/et des États118. La communauté et plus souvent encore un particulier espérait tirer quelque bénéfice d'un bâtiment affecté en le louant ce qui obligeait au paiement de six mois de loyer. Bien que le système du billet de logement ne fut guère satisfaisant et dépendit essentiellement de l'intendant, les villes y tenaient tant qu'elles n'étaient pas persuadées de leur impuissance à éviter le casernement et le système coûtait moins que celui de la caserne (Lettre à l'intendant, 3 mars 1755). Aussi, les municipalités pour éviter que les soldats ne s'installent à demeure ce que les casernes auraient facilité, recherchaient les maisons inoccupées, vétustes de préférence qu'elles aménageaient a minima afin quelles ne soient trop attractives. À Tréguier, la caserne se trouvait à côté d'un cloaque. À Pontivy, deux grandes et vieilles bâtisses louées à l'hôpital servirent de casernes jusqu'en 1768, puis remplacées par une caserne et des écuries construites le long des douves119. Il existait une caserne à Redon en 1752, à Quimper en 1759. Le lieutenant-colonel du régiment Anhalt se plaignait en 1780 du logement à Hennebont. À Lamballe, la municipalité avait accepté en 1754 qu'un de ses anciens maires construisit des casernes dans le faubourg Saint-Martin. Ces casernes « Mainville », où les troupes de passage se logeaient en priorité déchargèrent en partie les habitants du logement mais pas totalement puisque l'arrivée en 1756 des régiments Saintonge et Orléans obligea à recenser toutes les maisons inoccupées, à diviser la ville en quartiers et à donner des billets de logement120. Guingamp et à Brest entreprirent en 1778 et en 1779, de semblables constructions. À Port-Louis, la communauté se décida à acheter des maisons pour les militaires qui eurent en 1770, 183 lits à leur disposition, nombre insuffisant puisqu'il fut porté à 240 en 1772. Trois ans plus tard, il fallut se résoudre à mettre trois hommes par lit. Dinan les affermait 120 L par an, Saint-Brieuc, 90 L, Carhaix, Morlaix, Vannes, 100 L. La fourniture du lit à la charge des habitants, les obligeait dans bien des villes à se mettre à plusieurs pour satisfaire cette exigence. de plus l'utilisation des bâtiments vacants forçait à les équiper. Aussi les communautés se résignèrent à acheter des lits, par exemple à Pontivy ou à Josselin en 1772. Quand il fallut loger pour la première fois deux brigades de gendarmerie à Quimperlé, la ville se trouva incapable de fournir des matelas et les contribuables d'en fournir dix car : « dans le pays l'usage des matelas est très rare [...] l'on se sert de couettes de balles d'avoine bien fraîche et de paillasses aussi fraîches ». Le subdélégué convaincu s'adressa aux deux paroisses de Sainte-Colombe et de Saint-Michel qui fournirent chacune 23 paires de draps et ce fut l'adjudicataire qui procura en septembre 36 matelas et traversins.

56Il était très difficile sinon impossible de ne pas répondre aux exigences de l'armée et très peu de cités aussi bien en France qu'en Bretagne étaient dispensées du casernement et de l'étape. Les rares villes qui, comme Lyon, Toulouse, Rennes, Saint-Malo possédaient ce privilège devaient le défendre avec acharnement. Encore cette dernière ne put éviter en 1675 la présence de soldats, mais il s'agissait d'une punition temporaire. La ville dut rappeler en 1734 quelle se gardait elle-même et ne contribuait pas au casernement. Mais ne pas contribuer au casernement, c'est à dire à un impôt spécifique, ne signifiait pas échapper toujours au logement. Quand les habitants dont les maisons s'adossaient au mur Saint-Vincent se plaignirent en 1759 de ce que la communauté les eût délogés pour caserner la troupe et rappelèrent leurs privilèges, celle-ci leur répondit que les troupes étaient entrées dans la ville par ordre du commandant pour sa défense et non comme garnison.

57L'exemption individuelle, véritable tare, aggravait le système. Il ne s'agit pas ici des sollicitations personnelles de tel ou tel individu cherchant à obtenir pour lui ou pour sa famille la faveur d'éviter le militaire mais bien du système général des exemptions. Loger le militaire, fardeau roturier inégalitaire, ne pesait pas également sur tous. Il existait de grandes différences entre les villes et les campagnes, les riches et les autres. Dans toute la mesure du possible, il ne fallait gêner ni le commerce, ni les aubergistes bien que ces derniers eussent pu se plaindre des incessantes réquisitions. Il fallait tenir compte des multiples exemptions qui protégeaient certaines catégories sociales, « on ne [délogeait] en aucun cas, les ecclésiastiques, les gentilshommes, ni les membres du Tiers-État exemptés de l'imposition du casernement ». Mettons à part les habitants des marches communes de Sainte-Croix et de La Trinité de Machecoul qui n'y étaient pas soumis. Le poids du casernement ne pesait donc qu'exceptionnellement sur les élites roturières qui, détentrices d'offices, faisaient parties des exemptés réglementaires. Le 9 juillet 1716, le Conseil de guerre « voulant remédier aux plaintes » qui lui arrivaient journellement décida que l'article 20 du règlement de Poitiers (1651) serait la base de tous les logements. Les « logements étant assis » ne pourraient être changés que par l'ordre du commissaire et le maire, les échevins, les principaux habitants donneraient leur avis mais ne décideraient pas. Quant aux offices nouveaux donnant les mêmes droits créés depuis 1651, l'intendant les ajouta en partie à la liste. L'application laborieuse de ces décisions, les plaintes nombreuses amenèrent le ministre de la guerre à intervenir à nouveau et à dresser la liste des officiers exemptés aboutissant à une liste impressionnante qui faisait retomber sur un petit nombre la charge si lourde de l'étape ou du casernement.

Les rapports complexes entre soldats et citadins

58Les relations entre les soldats et les habitants nous sont beaucoup plus connues par les litiges qu'elles entraînèrent que de tout autre manière, aussi n'est-il pas étonnant que nous en ayons une image négative. Théoriquement, règlements et édits protégeaient la population contre les exactions de la soldatesque. Antoine de Ville avait exprimé fort bien la position officielle : le soldat devait être tenu solidement, sévèrement. En cas de litige il fallait croire plutôt le bourgeois. Les dégâts devaient être réparés et l'adjudicataire des étapes était responsable de ce qui pouvait se passer. Les États demandèrent que les exactions des militaires fussent jugées par les juges royaux. C'est ainsi qu'un aubergiste de Rennes fut remboursé d'une enseigne détruite, qu'une pension fut versée aux orphelins d'une veuve assassinée. Mais outre l'exaspération que de tels agissements pouvaient créer, des exemples inverses de plaintes sans effets sont faciles à trouver. Quand en 1760, les officiers du régiment Bigorre amenèrent à Rennes pieds et mains liés le syndic de Bain qu'ils accusaient d'avoir mal entretenu le corps de garde, cet homme jugeat-il par la suite que la reconnaissance publique de son honnêteté suffisait à compenser l'outrage ? La communauté de Hennebont se plaignait en 1723 des « désordres considérables » occasionnés par des marins accusés de s'être rendus maîtres de la ville depuis 25 ans, d'insulter continuellement les bourgeois, voire de les maltraitaient et d'injurier le maire de « paroles âpres et piquantes ». Pour seule solution, ils proposèrent qu'ils aillent commettre leurs désordres à Brest. À toutes ces tracasseries, s'ajoutaient quelquefois des incidents plus graves comme la mutinerie qui secoua Josselin en 1781. À l'inverse, les habitants ne coopéraient pas toujours. À Tréguier, les soldats avaient à faire face à une hostilité à peine déguisée. L'eau de la fontaine leur fut coupée pendant la nuit et les miliciens empêchèrent les chevaux de s'abreuver, obligeant les cavaliers à parcourir deux lieues pour les faire boire. Le maire faisait dire qu'il était absent alors qu'il se promenait ostensiblement sur la place, aussi le colonel dut agir « militairement » pour procurer à ses soldats des appartements où ils fussent en sécurité.

Plan d'intervention des troupes en 1789

Plan d'intervention des troupes en 1789
  • 121 A.D. 56 Sarzeau, BB 6. La ville fut condamnée à payer par A.C. du 31 nov. 1735 et par arrêt rendu (...)

59La présence du soldat dans une ville ou dans un village ne pouvait être ressentie comme un bien dans la mesure où le gouvernement les envoyait en garnison pour châtier les populations. En Bretagne, les troubles de 1675 entraînèrent la venue de 6000 hommes pour rétablir l'ordre et pour punir les Bretons. L'hiver suivant, le roi envoya quelques 10 000 soldats caserner, heureusement les exigences de la guerre les fit partir plus tôt. Madame de Sévigné nous a laissé son témoignage : « Il est arrivé à Vitré huit cents cavaliers [...] il est vrai qu'ils passent ; mais ils vivent ma foi, comme dans un pays de conquête nonobstant notre bon mariage avec Charles VIII et Louis XII. » Elle ajoutait quelques jours plus tard : « il y a dix ou douze mille hommes qui vivent comme s'ils étaient encore au-delà du Rhin. Nous sommes tous ruinés. » Ce passage coûta fort cher, et fut l'occasion, malgré M. de Pomereu intendant d'armée en Bretagne, d'exactions épouvantables. Encore s'agissait-il d'une situation exceptionnelle. Par contre, l'envoi d'un petit détachement, pour punir telle ou telle collectivité ou pour obtenir plus d'empressement d'un mauvais payeur d'impôt, était pratique courante. En 1737, la communauté de Sarzeau devait de l'argent parce que Saint-Gildas et Arzon avaient refusé de payer leur quote-part. La ville fut condamnée à payer « faute de quoi, ils lui déclarent établir garnison en cette ville pour y séjourner jusqu'au parfait paiement ». Il ne s'agissait pas une simple menace puisque la communauté lors de sa réunion du 30 mai 1738, déplorait la venue par deux fois des soldats et leur présence « même encore actuellement depuis le 24 du mois d'avril dernier121 ».

60On pourrait donc s'attendre à une condamnation unanime de la présence des militaires. Or nous avons quelques indices qui nous montrent que tout le monde n'y était pas opposé. Il ne s'agit point des individus qui trouvaient dans le logement ou la fourniture des militaires de substantiels bénéfices, mais bien de l'avis de communautés ou de personnages plus publics. À Ploërmel, l'existence de casernes superbes pour la cavalerie permettait l'entretien de l'hôpital, et les habitants se plaignaient qu'elles fussent trop souvent vides, car leur ville « relevant du roi [n'avait] point de protecteurs intermédiaires qui [balanceraient] le crédit des seigneurs des villes voisines ». La position de Ploërmel infiniment avantageuse aux troupes, les fourrages bons et abondants, l'air sain, les logements commodes, expliquent la position de Ogée qui considérait que : « l'établissement d'un quartier de cavalerie y serait avantageux pour les troupes et nécessaire au pays qui n'a point d'autre débouché pour ses denrées ». M. Boullet trouvait Rennes à la fin du xviiie siècle « morne, triste et languissante ». Il écrivit plusieurs fois à l'intendant pour lui proposer l'établissement dans la cité d'une garnison permanente. Celui-ci ne s'y montrait pas opposé mais pensait que c'était à la communauté de le demander. Nous sommes loin ici des plaintes des habitants de Port-Louis qui quittaient la ville pour fuir le militaire.

  • 122 J. Gury, « La guerre… », Cahiers de l’Iroise, 1978, signale que les fortifications de Bouguen entr (...)
  • 123 AD. 35,1 F 1156. Paroisses à trois lieues autour de Brest et particulièrement : Quilbignon, Plouza (...)
  • 124 L. Munford, Technique et civilisation 1950, p. 87. L’ingénieur militaire combinait les fonctions d (...)

61La présence des soldats signifiait aussi présence de travailleurs potentiels. Ils participaient en priorité à tous les ouvrages militaires et nous les trouvons à Brest, à Concarneau, à Lorient, à Saint-Malo122. Mais l'État n'hésitait point à les employer à l'occasion à des ouvrages civils et même au soulagement de la corvée comme aux environs de Brest en 1777 sur instruction de Caze de la Bove. Dans ces cas, il fallait leur procurer les charrois indispensables123. Leur grande participation à la fin du siècle, fut liée aux travaux sur la Vilaine. Les régiments Penthièvre et Condé besognèrent à Pont-Réan en 1784-1785. Les ingénieurs militaires (mais aussi ceux des Ponts et Chaussées) dirigeaient ces manieurs de pelles et de pioches. Leur rôle en Bretagne, en matière de construction, de travaux publics fut loin d'être négligeable. Lewis Mumford qui donne à l'évolution militaire une grande importance souligne que : « la guerre fit naître un nouveau genre de chef d'industrie, qui n'était ni maçon, ni forgeron, ni maître artisan mais ingénieur militaire124 ».

  • 125 Ph. Petout, L’architecture civile… 1982, thèse dact. Rennes. D. MOIREZ, « Garengeau (1647-1741) », (...)
  • 126 A. Mussat, « La Bretagne pays frontière », Bretagne xviiie, État ou intendance ? 1980, p. 41.

62Vauban, ingénieur du Roi servait sous Clerville qu'il supplanta en 1667. Exerçant la fonction d'une sorte de Commissaire général, devenu maréchal de camp, brigadier d'infanterie, enfin Commissaire général des Fortifications, il devint de fait, le maître des places fortes françaises et donna, aidé de collaborateurs de talent, l'ensemble des fortifications que l'on sait. Il vint plusieurs fois en Bretagne où son rôle fut déterminant. Le Régent, le 4 novembre 1715, désigna Claude François Bidal d'Asfeld pour remplacer le Peletier de Souzy « Directeur général des Fortifications, des places de terre et de mer ». Poste qu'il garda jusqu'à sa mort, le 7 mars 1743. Dès le 10 mars, à l'instigation du comte d'Argenson, ministre de la Guerre, le service éclata. Les Fortifications de terre retournèrent au ministre de la Guerre tandis que celles des côtes passèrent au ministre de la Marine. D'Argenson expliqua à Poncarré de Viarmes, les conséquences pour la Bretagne d'une telle décision : « la réparation des arsenaux, quais, formes, bassins, écluses jetées, batteries, châteaux, redoutes, fortifications sur la côte, à l'embouchure des rivières, sur les îles de mer » revenaient à la Marine. Elle avait donc sous sa dépendance le fort et la ville de Saint-Malo, les Sept-Îles, le château du Taureau, toutes les batteries de Saint-Malo à Brest, l'île de Groix et les batteries jusqu'à la rivière de Nantes et de La Rochelle. Par contre, les citadelles et villes de Port-Louis, du Palais à Belle-Île, de Brest et de Recouvrance côté terre ressortissaient à la Guerre. Un tel partage mettant Concarneau et Saint-Malo d'un côté et Brest de l'autre avait une logique absurde. Les services se dressèrent les uns contre les autres au bénéfice, alternativement des uns et des autres, provoquant des retards, des distorsions dans les constructions militaires, faisant dépendre les constructeurs de caisses différentes. Les ports de commerce se trouvaient confondus avec les fortifications maritimes. Le duc de Choiseul, ministre de la Guerre et de la Marine organisa un nouveau partage à partir du 1er janvier 1762. Saint-Malo, Brest, Vannes, Port-Louis réunis à la direction des Fortifications dépendaient désormais de la même administration et tous les autres ports et villes maritimes du contrôleur général des Finances. Cette nouvelle répartition resta en place jusqu'en 1791. Dans ce système, la fortification des villes bretonnes échappait totalement aux Bretons, elle était le domaine du gouvernement, liée à ses conceptions et à ses moyens. Les employés de l'État, les ingénieurs du Roi, plus tard les ingénieurs du Génie avaient la main sur les travaux, pouvant même quelquefois, Vauban le fit, les prendre en régie. Ils ne se contentèrent pas de mettre en place, d'améliorer, d'entretenir les fortifications, ils intervinrent dans bien des chantiers civils. Un des meilleurs exemples que nous puissions donner est celui de Isaac Robelin. Nous le trouvons en 1702, Directeur des places de Bretagne ou plus exactement « Directeur des fortifications de Brest, des ports et batteries des côtes et rades de Concarneau, de Port-Louis, du port de Lorient, de Belle-Île et des Îles de Houat, Hoëdic et du Pilier ». Non seulement, il se préoccupa des chantiers ressortant à sa charge, mais aussi du plan directeur de la nouvelle ville de Rennes après l'incendie de 1720. Il participa à l'élaboration de nombreux plans de Lorient. Les projets qu'il nous a laissé, ses réalisations montrent à l'évidence combien cet ingénieur imprégnia une empreinte militaire dans les constructions bretonnes. Ce ne fut pas le cas des Gabriel qui le remplacèrent sur ces chantiers civils. Autre ingénieur, Simon Garengeau vint à Saint-Malo avec Vauban125, il travailla à Dinan, à Brest, à Saint-Malo dont il devint l'ingénieur. L'on sait la part qu'il prit lors des agrandissements, la largeur de ses vues, l'on sait aussi qu'il contrôla la construction des bâtiments civils de la ville ainsi que de Saint-Servan. Enfin la vague des malouinières, phénomène important du début du siècle, surtout de 1730 à 1740, correspondit à sa présence (il mourut en 1741). Il inspira, à moins qu'il ne construisit, l'on ne sait, les plans de quelques-unes d'entre-elles : le Bosc, la Chipaudière, la Ballue. Concepteur, bâtisseur, il joua un rôle important en Bretagne aussi bien sur le plan militaire que civil et religieux. Ces ingénieurs marquèrent le paysage architectural de la Bretagne, non seulement parce qu'ils construisirent ou modifièrent les remparts et forteresses, mais aussi parce qu'ils diffusèrent des modèles de bâtiments sobres et solides126. L'interpénétration entre chantiers civils et militaires présentait le danger d'une collusion entre les ingénieurs et les entrepreneurs, en particulier dans le choix des entrepreneurs chargés des grands travaux de fortifications. Vauban s'en inquiéta.

Notas

1 Par exemple Mazin. R. Richelot, « la côte de Bretagne », ASHASM. 1967, p. 162-192.

2 Rochefort inventé par Colbert en 1665, situé en un lieu « trop loin dans les terres, au bord d’une rivière sinueuse et inutilisable à marée basse » fut malgré ses défauts utilisé tout au long du xviiie siècle et abrita un nombre « considérable de bâtiments de tous rangs ». (Mérain, op. cit, 1936, XI).

3 Lacour-Gayet, La marine militaire en France sous le règne de Louis XV, 1902 p. 30. L’Angleterre ayant exigé le démantèlement de Dunkerque.

4 BN. man. fr. 1503.

5 Chertemps de Seuil était commissaire de la marine en 1661. Colbert de Terron rencontra Duquesne à Brest en 1671. Il constata qu’il serait plus difficile de trouver : « un lieu plus sûr […] qui par les ouvrages que S.M. y fait faire joints à ses dispositions se rendra la plus achevée toute l’Europe » (BN, Mél. Colbert, 157 lettre du 24 juillet 1671).

6 AD. 44 B 1320, Domaine royal. AD. C, 492. Dépense estimée à 37 418 L 10 s. pour les réparations les plus urgentes, ce qui n’était pas possible.

7 AD. 44 B 2357, AG. Saint-Malo, art.8 carton 1. Lettre à Maurepas.

8 AN. Mar, D2 22. Mémoire sur Saint-Malo, 1756.

9 AG. Saint-Malo, art.8, section.1. AM. Saint-Malo, DD1, 2. S. Herpin, « Plan du Maréchal de Vauban. », ASHAStM. 1982, p. 1 à 26.

10 AD. 44. B 2357. « États et mémoires par le détail des maisons, boutiques, échoppes, saillies et autres édifices bâtis sur les places ayant servi aux murailles, remparts, boulevards, fossés, contrescarpes et autres fortifications des villes de cette province et autres places vagues des di tes villes ensemble des terres, prés et marais qui ont été ou pourraient être réunis au Domaine de S.M., les dits états contenant la consistance et qualité des dits biens, l’estimation valeur des fonds et revenus d’iceux et à quels usages ils peuvent être destinés »

11 L’Atlas des places fortes, 1824, t. VI ne retient que Port-Louis, Lo rient, Concarneau, Saint-Malo et Brest. BG. V p. 882, Recueil de quelques mémoires, 1788.

12 Lacour-Gayet, op. cit.1902, p. 53. et 97.

13 AN. Mar., B4 300 fol 27-37. Mémoires sur les moyens de faire la guerre à l’Angleterre. AG. art.4, sect.2 51. Dumaine en même temps rédigeait un Mémoire sur les entreprises que les ennemis pourraient faire sur plusieurs places maritimes de Bretagne (6 avril 1734).

14 AN. Mar., D2 52, Mémoire de Boisbilly, on envisagea d’établir un feu à l’Île-aux-Moines et d’empêcher les corsaires de Jersey et Guernesey de l’utiliser comme ils en avaient l’habitude. Les deux mouillages de l’île pouvaient être défendus chacun par un corps de garde, et l’île par une garnison de 50 à 60 hommes qui seraient casernés sur les vestiges de l’ancien couvent des Récollets.

15 BG. Table des ordres du Roi, 25 mars 1743.

16 J. Oury, « La guerre d’indépendance américaine et les défenses de Brest », Cahiers de l’Iroise, n° 4, oct-déc.1978, p. 174 à 179. AD. 35, 1 F 1156. Ordonnance de Caze de la Bove du 15 mars 1777 à la suite des ordres du Roi portant « rétablissement et élargissement de la ville de Brest aux diverses forteresses construites dans les environs ».

17 Les Anglais avaient saccagé la ville en 1522 et la tour fut construite en 1525 « aux frais et dépens des habitants ». François 1er leur octroya une levée de deniers pour l’entretenir et le commandement de la garde. I1 s’agissait du château du Taureau.

18 AD. 35 C 987. 1730 : construction d’un parapet pour recevoir des affûts de canon. 1742 : construction d’un corps de bâtiment et d’une plate-forme au-dessus. 1743, : ordre de terminer les ouvrages commencés l’année précédente. En 1761 le château paraît solide. Il fut pourtant réparé encore en 1762, 1763 et 1764. En 1780, nouvelle adaptation aux besoins de l’artillerie et au logement des hommes.

19 AN. Mar. B4 300 fol 57, « moyens proposés… », nd. ANAFIV. 1597, Idées d’un Français…, 1756 anonyme ; AN. Mar. B4 74 fol 2-10. Projet de Vincent de Maissagues.

20 AG, art.4, section 2 § 3 2e carton. Mémoire sur la Bretagne par M. de la Rozière, brigadier de dragons, 1772.

21 AD. 35, C 989, 990, 991. Correspondance, Lt. Binet, « Défense des côtes », Revue de Bretagne, 1910. Atlas des Places Fortes, 1824, t. VI. Louis de Chaumeil, Histoire de Lorient, 1934 p. 9 et suiv., H. Rivière, Histoire maritime…, 1855, t. II, p. 216.

22 AG. art.4, sect.2, § 3, Mémoire de l’état actuel de la côte sud de Bretagne. Dumaine (6 avril 1734) prévoyait déjà cette descente.

23 AG. art 4, sect.2, § 3. BN. Fr.11301, Lettres de l’intendant au Comte d’Argenson, en particulier celle du 16 octobre 1746.

24 B. Pocquet, Histoire de Bretagne, 1914, t. V, p. 260 donne d’abondants renseignements sur cette descente. Racontée par la suite par bien des auteurs cf. bibliographie.

25 BN. Man. fr. 8290, t. I, A.C., f°150, idem 8291, 14 février 1759. Paroisses de Cancale, Pleudinec, Saint-Cast, Trégen, Saint Briac, Saint -Lunaire, Tréhon, Saint-Ydeuc, Saint-Walon, Derroual, Gouray, Plouguenast… touchées par la descente anglaise reçurent l’aide du roi. 80 navires français détruits, 3 363 218 L de dommages B. Pocquet, idem. p. 261).

26 AG. art. 4, section 2, § 3, Dumaine.

27 M. P. Bayaud, « Une version inédite de la bataille de Saint-Cast. », Actes des Sociétés savantes, 1955, p. 99.

28 Plans de 1689, 1696, 1698 et 1702. La modernisation des remparts commencée en 1708, ne sera achevée par tranches successives qu’en 1708. Le fort Harbour en 1639, celui de la Conchée entre 1693 et 1704, du Petit Bé relevé de 1688 à 1694, de l’Ilette ou Fort Royal en 1689. Des batteries furent installées de 1689 à 1694 sur l’île de Cézembre, puis sur la pointe de la Varde et la pointe Duart.

29 AC. Saint-Malo, art.8, sect.1, cart.3. AN. fonds Mar. D2 52. Marquis de Pezay, Mémoire militaire, 1775. Pour protéger efficacement la ville contre les bombardements, il aurait fallu porter les enceintes à 1800 t au-delà de leurs limites, ce qui était impossible dans le cas de Saint-Malo, sauf en intégrant Paramé et Saint-Servan.

30 AG. art.4, sect.2, § 3.

31 B.G., 2825, Atlas des places fortes, 1826, t. VI, Frontière de l’Océan et de 1a Manche.

32 BG. Brest, in fol. 33.

33 AN. fonds mar. D2. 22. AG. St-Malo, cart.3, de la Rozière 1er mai 1770.

34 BN, nlle acq. fr. 1491-1492 ou na 370-371. En 1759, le directeur des fortifications envisagea à nouveau d’englober Saint-Servan. Cf. Atlas des places fortes, t. VI, 1824, art. Saint-Malo.

35 Amiral Lepotier, Lorient porte des Indes, 1970.

36 BG. 206 a. Registres des fonds des fortifications des places de terre et de mer. 1682-1757 (18 vol.) 206c, Registres des fonds ordonnés pour la fortification des places maritimes 1726-1752 (7 vol.). AG. art.2, Maté riel, sect.2, cart.1, 1679-1808.

37 AD. 35, C 988, 989.

38 BG, Vauban, Brest, 1683 -1704, f° 33, f° 8, 151.

39 BG. idem, 1685, f°168.

40 A. de Goué, Des charges et obligations militaires…, thèse 1906, p. 33 et 34. BN, Man. fr. 8290. Greffe des États, f° 92, 31 janv. 1637.

41 Isambert, Recueil général…, t. 20, p. 66 et 84 Sur la milice, BN, 11297, Fonds Fr., Merlet, Recherches analytiques et examen général des ordonnances du Roy concernant la milice…, 476 pages numérotées.

42 AG. vol. 836. Lettre du duc à Louvois (29 oct.1688). Isambert, t. 20 (1687-1715), p. 66. Kerorguen pensait que la Bretagne resta exempte de la levée des gens de guerre jusqu’en 1727.

43 AD, 35, C 2650. Greffe des États, 26 juillet 1621, f°113. BN. Man. Fr. 8291, 1636, 1638.

44 AM. Saint-Malo, BB 53. Correspondance du maire Le Breton. Lettre du 9 mars 1773 au subdélégué de Rennes.

45 Ordonnances du 10 janvier 1742, 10 juillet et 10 octobre 1743. Ordonnance du 6 août 1748, art.33.

46 B.H.G., vo1.905.

47 Pontivy, Le Lay, Histoire de la ville…, 1911. AM. Monfort. BB 19 F. 59 v°. AM. Dol, RCV. 1742-1754, fo 12 r°.

48 AN. H 532.

49 BN. Man. Fr. 15387, Besoins des Places de Bretagne pendant la guerre d’Angleterre en… 1703.

50 AN. 533. : 29, le 12 mars 1726, 30, le 17 novembre 1727, 31, le 24 janvier 1728 et le 4 juillet. 1732, 25, le 2 février. 1756, 20, le 25 février et le 10 août 1756, puis le 30 juin 1759. M. de Toumelin présenta, en vain, un mémoire aux États, fin 1768-début 1769, demandant le licenciement des compagnies en temps de paix. Les cahiers de doléances n’expriment pas d’hostilité envers la milice garde-côte.

51 Quimperlé, RCV. 22 octobre 1730. AD. 35 C 3670.

52 Ogée, op. cit., 1853, t. II, p. 73. Opinion de Daumenil sur les miliciens morlaisiens. A. Corvisier souligne le rôle militaire nul des milices qu’il étudie. E. Laurain, Les débuts de la milice provinciale dans le Bas-Maine, 1938, fait remarquer (p. 5) que les milices bourgeoises étaient mortes (comme d’ailleurs l’arrière-ban), alors qu’elles étaient « toutes prêtes avant la Ligue, avant la Fronde, pour l’insurrection et bonnes tout au plus après la Fronde à figurer […] dans les cérémonies publiques et pour le passage de quelque haut personnage ». R. Dupuy, La Garde Nationale…, 1972, les voit moribondes au moment de la Révolution.

53 Larouze, Le régime municipal en Bretagne, p. 82, à son avis la milice bourgeoise n’est pas la fille de la milice communale du xiie siècle, mais du guet du xvie siècle. À Paris, le guet royal subsiste et prend le nom de « garde de Paris » au xviie siècle.

54 AD. 35, C 2651, f ’62, 17 oct. 162.

55 Ch. Larouze, Essai sur le régime municipal…, 1890, p. 173.

56 AD. 56, Sarzeau, RCV. BB 4 (1706-1709). Lettre du roi du 12 février. 1707 transcrite sur le registre en décembre. A.M., Rennes. RCV. 1742, fol.31 v°. Ces offices créés d’abord sans attribution de gages furent rachetés 26000 L. Supprimés puis rétablis avec gages, ils entraînèrent une dépense supplémentaire de 17000 L.

57 AM. Quimperlé, RCV.

58 AM. Rennes, RCV. 1740, 67 r°, 74 r°. 1742, fol.27 v°. 1742, fol.31 v°.

59 Y. Le Gallo, L’administration municipale de Rennes de 1715 à 1757, DES, 1942.

60 A. Corvisier, idem. p. 258 et suiv.

61 Mairie Hennebont, RCV. BB 15 24 avril 1732.

62 Mairie Quimperlé, RCV. 4 août 1729.

63 AD. 56, Sarzeau, RCV, BB 4 lettre du 1,5 oct. 1707. BB 6, 3 oct. 1744, 17 avril 1745.

64 Y. G. Garlan, C. Nières, op. cit, 1975.

65 AD. 56, Sarzeau, BB 4.

66 Sauf à Lorient où une partie de la garde était assurée par les soldats de la compagnie. A.N., fonds mar. D2 28, 1762.

67 Correspondance Vauban.

68 AM, St.-Malo, BB 55 Lettre à l’intendant. Le nombre de 4000 miliciens qui apparaît dans les sources rapproché du chiffre de la population, souligne un recrutement qui dépassait les limites de la cité proprement dire.

69 E. Pramprain, L’artillerie de Saint-Malo-, Lt G. de Bechillion, « Histoire militaire de St-Malo 1789-1793 », ASASM, 1910, p. 207-258.

70 AD. 35 C 438, Mémoire du 17 juin 1767. Ch. Normand, Études…, 1881. À Saint-Quentin, les bourgeois aisés payaient des manoeuvres pour monter la garde à leur place.

71 M. E. Monnier, « Instructions de Vauban… », ASHAStM, p. 76-86.

72 AM. St-Malo, RCV. BB 36, 20 juillet 1762. Copie de la correspondance de M. Le Breton maire de la ville (26 octobre 1772 au 20 novembre 1774). BB 53, Lettre du 9 mars 1773.

73 AD. 56, 2 E 1513. Lettre de M. de Bourbon au maire de Carhaix (7 juin 1744).

74 AM. Rennes, RCV. 1746, fol. 23 r° v°. Le procureur du roi mobilisa la milice de Rennes pour secourir Lorient. A.D., 35, C 3685 Comptes des dépenses, 1704-1705, 1706.

75 A. de Goué, op. cit., 1906, p. 37.

76 Ogée, op. cit., 1853, t. II, p. 73.

77 AD. 35, 5 E 6, RCV, Hédé, 11 mai 1749.

78 Ogée, op. cit., 1853, t. II, p. 73.

79 AD. 5612 E 1501.

80 Ch. Larouze, Essai sur le régime municipal…, 1890, p. 188 et suiv. A. de Goué, op. cit., 1906, rappelle que le concours d’abord supprimé fut rétabli 1e 27 juillet 1671.

81 AD. 35, C 101. Il fallait habiter la ville et être inscrit sur le rôle des impôts. AM. Saint-Malo, BB 36 f°119 r°. 20 juillet 1702. La communauté repoussa la demande de participer au concours du sieur Baptiste parce qu’il n’était pas originaire.

82 Essentiellement le droit de vendre ou de faire vendre par un débitant un certain nombre de barriques de vin quittes des devoirs d’impôts et billots.

83 A. Corvisier, Quelques aspects…, p. 248 cite le témoignage du sieur. Rue, notaire et procureur à Landerneau, qui constatait que les dix-neuf vingtième des miliciens « ne reconnaissent pas la gauche de la droite. »

84 AD. 35, C 474. La réparation des affûts coûta 638 L 2 s.

85 A.M. Rennes, RCV., 1723 fol.29 r. J.-B. Quernest, Notion…, 1887.

86 Mairie de Quimperlé, RCV, 23 juillet 1700.

87 AD, 35, C1799. Bertrand de Molleville à Calonne, 3 janvier 1787. Cité par B. Pocquet, Histoire de Bretagne, t. V, p. 371

88 AM, Rennes, RCV, 1721, fo1.46 à 48.

89 AD. 35, C 105. Une compagnie du guet de 200 hommes fut créée en 1786 (2 capitaines, 2 lieutenants et 196 sous-officiers, caporaux et fusiliers). C 243. Supplique au duc de Penthièvre, n. d.

90 B. Pocquet, Histoire de Bretagne, 1913, TVI p. 380 et suiv. Il n’est dans ces lignes aucunement question de la milice. Le 10 mai 1788, l’ordre est assuré à Rennes par le régiment de Rohan- Montbazon, les jours suivants trois autres régiments sont appelés.

91 Mairie d’Hennebont, BB 16. Renouvellement des caisses, des baguettes et des fournitures pour les tambours des quatre compagnies (30 sept. 1739). À Saint-Brieuc, le budget de la ville en 1758 prévoyait les gages des fifres et des tambours.

92 John Bromley, « La seconde guerre de Cent Ans », De Guillaume le conquérant au Marché Commun, 1979, p. 181- 182. BN. Man. fr. 21432. Ordonnance du ler février 1658, adressée au sieur de la Meilleraye, gouverneur et maire de Saint-Malo.

93 AN. Marine, B 4/13. M. Perrichet, « Contribution à l’histoire du xviiie siècle », RHES, 1959, p. 89-112. G. Lacour-Gayet, La marine militaire de la France sous le règne de Louis XVI, 1905.

94 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné…, t. V, 1765, art. Marine.

95 J. Meyer, La seconde guerre de Cent ans. 20 000 hommes pour une escadre fin xviie siècle, 30 000 fin xviiie

96 AN. Marine, B 5/3, 5/21. C4 156.

97 AN. Marine, B 3/13. Lettre de Narp, 13 janvier 1672. 10 février 1672, f°346. f°373. Les ouvriers embarqués pour la pêche à la morue : décolleurs, ouvreurs, saleurs, caplaniers ne présentaient aucune qualification intéressante. Simples ouvriers qualifiés ils ne connaissaient rien, ou peu de choses à la navigation. Aussi Colbert écrivit-il à Narp de les exempter (Clément, op. cit., p. 217).

98 AB. Marine, 3 P 3/7. Registre des classes de Quimper ville (1776 à 1787). A. Corvisier, « Une enquête sur las inscrits maritimes au xviiie siècle, les pêcheurs havrais pendant la guerre de Sept Ans », Société de Haute-Normandie, souligne que à côté des 116 inscrits, 115 autorisations de pêche et 47 de commerce avaient été accordées.

99 AB. Marine, 3 P 3/7. Registre des classes à Quimper.

100 Roncato, La guerre de course à Saint-Malo, 1956, thèse de l’École des Chartes (exemplaire dactylographique, IARH).

101 AN. Marine, B 4/87, f° 158. Lettre de Berryer au duc de Conflans (citée par Roncato, idem.).

102 M. Pétard, « Les compagnies franches de la Marine », Gazette des Uniformes, n° 34, 1976, p. 20-27. À leur disparition en novembre 1761, les 23 régiments d’infanterie assurèrent leur service.

103 A. Lefèvre, Histoire du Service de la Santé, Paris. En 1731, fon dation de l’École de chirurgie navale à Brest, puis en septembre 1775 du Collège royal de chirurgie de la Marine. Lire les travaux de Jacques Léonard sur les officiers de santé et P.-M. Niaussat « Des médecins de la marine au xixe siècle », Actes du 103e congrès des Sociétés savantes, 1971, p. 397 et suiv.

104 D. Neuville, op. cit.

105 J. Aman, Les officiers bleus dans la Marine française au xviiie siècle, 1976.

106 AD. 35, C 2650. Greffe des États 1621, 3e art. du cahier de Remontrances. C 2652.

107 AD. 35, C 3682 à 3701.

108 AD. 35, C 3847, B.N. Man. fr. in fo1.202, Recueil de quelques mémoires…, 1788.

109 Sur l’armée jusqu’à Choiseul, A. Corvisier, l’armée française de la fin du xviie siècle au ministère de Choiseul, le Soldat, 1964, Les contrôles des troupes de l’ancien régime, 1968. M. de Roussel, l’état militaire de la France pour 1789, cité par A. de Goué, op. cit., 1906, p. 113.

110 A. de Goué, op. cit., 1906. Il y avait au xviie siècle deux régiments entretenus par les États de Bretagne : le Bretagne dragons et le Bretagne infanterie. En 1789, on trouvait les Chasseurs bretons et les Chasseurs de Bretagne.

111 AD. 35, C 928. Places où le Roi entretient des garnisons en temps de guerre seulement : Îles Dumet, d’Houat, d’Hoëdic, du Pilier, d’Ouessant, de Bréhat, de Groix, des Glenans.

112 BN. na 371, mémoire sur la défense de la rade de Brest.

113 M. Monier, « L’armée à Dinan », AHAAStM, 1973. AD. 35, C 3673.

114 A.D., 35, C 514.

115 Le maire déclarait alors l’« état de presse » ou « de foule ». Le cantonnement était une forme de logement qui concernait les troupes quand elles étaient très nombreuses. L’accueil était alors rudimentaire et le soldat couchait où il pouvait, sur la paille, sans draps ni couvertures. Ordonnances du 25 juin 1750, du 12 février 1753 et du 1er mars 1768. A. de Goué, op. cit. 1906, cite le cas de Lesneven où en 1768, les officiers du régiment Cambrésis furent hébergés chez Mr. de Poulpy et de Kervasdone gentilshommes.

116 AD, 35, C 931. Lettres du ministre de la guerre à Messieurs les intendants, 28 mars 1751.

117 AD. 35, C 3845. Duc de Choiseul, 13 décembre 1766. C 4700, Ordonnance du Roi portant rétablissement et nouveau règlement sur les étapes, Rennes, Vatar, 1744. Cet imprimé réunit les textes des édits du 13 juillet 1727, du 30 novembre 1729 et du 30 juin 1737 sur les étapes et le casernement. Les étapes (mais non le logement du militaire) avaient été sup primées en 1715 et rétablies en 1727.

118 AD.35, C 2826. Les États dépensèrent sur les fonds de 1754, 209 824 L en deux temps égaux en 1755 et 1756 pour « achever la construction des casernes de Brest » (déclaration des États du 26 nov. 1754). Jusque-là, la caserne dite de Plougastel qui se trouvait à l’intérieur de l’enceinte du château servait à loger la garnison. Elle était devenue insuffisante.

119 Le Lay, op. cit. 1911. Les besoins de Pontivy étaient en permanence de 70 à 72 lits.

120 AD. 35, C 3847, Micault de Mainville traita le 7 déc. 1754. Il touchait un loyer de 540 L par an et par compagnie de 30 hommes et de 30 chevaux (ses bâtiments avaient une contenance théorique de 2 compagnies) mais seulement pendant le temps d’occupation. RCV, Lamballe, 17 mai, 11 octobre. 1756. AD. 35, C 514.

121 A.D. 56 Sarzeau, BB 6. La ville fut condamnée à payer par A.C. du 31 nov. 1735 et par arrêt rendu le 7 février 1736. Le total de la dette mon tait à 4075 L, Sarzeau elle-même ne devait que 146 L. 4 s. 10 d.

122 J. Gury, « La guerre… », Cahiers de l’Iroise, 1978, signale que les fortifications de Bouguen entraînèrent le travail des régiments Condé en 1777-1778, Bourbonnais en 1779, Bassigny et Dietrich en 1780, Béarn en 1781.

123 AD. 35,1 F 1156. Paroisses à trois lieues autour de Brest et particulièrement : Quilbignon, Plouzané, Guiler, Lambezellec, Bohars, Saint-Renan, Milizac et Plougoumelin.

124 L. Munford, Technique et civilisation 1950, p. 87. L’ingénieur militaire combinait les fonctions d’ingénieur civil, de mécanicien et des mines et que ces trois fonctions ne se différencièrent qu’au xviiie siècle. A. Allent, Histoire du corps impérial du Génie, 1805, 1re partie. Ch. Lecomte, Les ingénieurs militaires en France pendant le règne de Louis XIV, 1904. Surtout A. Blanchard, Les ingénieurs du « Roy »…, 1979, complété par son dictionnaire biographique.

125 Ph. Petout, L’architecture civile… 1982, thèse dact. Rennes. D. MOIREZ, « Garengeau (1647-1741) », Les Malouinières, 1975, p. 9, cite : le plan de l’ancienne église Saint-Louis de Brest (1687), plans et devis pour les Récollets de Dinan (1700), l’église des Bénédictins de Saint-Malo (1705), le Petit Séminaire de Saint-Servan (1707), l’église de Cancale (1727), son projet de reconstruction – adopté – l’église Saint-Sauveur de Saint Malo (1734).

126 A. Mussat, « La Bretagne pays frontière », Bretagne xviiie, État ou intendance ? 1980, p. 41.

Índice de ilustraciones

Título Défenses urbaines
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Título Fonds des fortifications par années
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Título Fonds des fortifications
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Título Fonds pour les fortifications (1721-1784)
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Título Plan d'intervention des troupes en 1789
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