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Comment sortir de la guerre ?

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Stéphane Tison

Deuxième partie. Traumatisme et commémoration nationale. Le monument, objet de transfert

Chapitre VI. Les monuments communaux

Texte intégral

1Alors que les municipalités avaient eu un rôle limité dans la construction des monuments commémoratifs après 1871, il en va tout autrement pour la Grande Guerre. L’ampleur du mouvement d’édification consécutif à 14-18 est sans précédent : ces modernes mégalithes, dressés dans chaque commune, témoignent dans l’espace la démesure de l’hécatombe. Ces monuments ne semblent pas exprimer en effet un deuil de la même nature que celui qui commanda avant 1914 la volonté d’ériger un monument commémoratif. Le deuil de 14-18 est moins celui, collectif, de la France humiliée, que celui d’une hécatombe, certes ressentie à l’échelle de la nation, mais d’abord dans le cercle de la famille ou du village, vécu en tant que corps civique ou comme paroisse. Ce ne sont plus alors les morts d’un régiment que l’on pleure et dont on cherche à inscrire durablement le souvenir, en même temps que la profondeur de la souffrance ressentie, mais ceux de toute une génération ; ce ne sont plus tout à fait des volontaires, mais des conscrits, des soldats-citoyens par raison et non par choix. Le deuil peut-il être le même ? Peut-il emprunter les mêmes formes d’expression ?

Les monuments de 14-18 : témoins de l’hécatombe

2Au cours de la Grande Guerre, quelques municipalités envisagent de rendre hommage de façon durable à ceux qui ont laissé leur vie sur les champs de bataille. Le mouvement de construction qui touche toutes les communes dans les deux départements est spontané et d’une ampleur qui dépasse largement tout ce qui avait été réalisé auparavant, pour quelque guerre que ce soit.

Un mouvement local encadré par l’État

  • 1 ADM, 2 Ø 2 014 (Francheville), 2 Ø 2 523 (Maisons-en-Champagne), et 2 Ø 3 149 (Pleurs).
  • 2 ADS, 2 Ø 212/8, Mont-Saint-Jean, (canton de Sillé-le-Guillaume), délibération du conseil municipal (...)
  • 3 Vavray-le-Grand, décide l’apposition d’une plaque dans une délibération du 15 décembre 1918 (ADM, (...)

3Les premières initiatives prises pour ériger un monument aux soldats morts apparaissent dès le temps de la guerre. Ce ne sont encore que de simples plaques, vouées à être complétées, dont les municipalités de Maisons-en-Champagne, Pleurs, Francheville, décident de faire l’acquisition1 entre septembre 1915 et août 1916. Dans la Sarthe, il ne s’agit encore que de projets ébauchés à la même époque, et qui demeurent de toute façon des exemples marginaux2. L’heure est la mobilisation pour vaincre l’ennemi, et le temps de pleurer n’est pas encore venu. Très rarement, une décision est prise à la fin de l’année 19183 en raison de l’incertitude que la guerre soit tout à fait terminée. C’est à partir de 1919 que le mouvement commémoratif commence à s’organiser et prend rapidement une ampleur considérable, à peu près au moment où l’État, les municipalités ont cherché à dresser le bilan des quatre années de guerre.

Les raisons de l’hommage

  • 4 ADS, Lamnay, 2 Ø 157/7.

4La motivation essentielle, souvent exprimée au tout début des délibérations des Conseils municipaux, est simple : le monument doit être érigé, « considérant qu’il est du devoir d’une commune de fixer d’une façon perpétuelle le souvenir, l’hommage de reconnaissance qui sont dus à nos héros tombés pour la sauvegarde de la Patrie, de nos libertés, de notre civilisation latine, […]4 ».

  • 5 ADM, Clesles, 2 Ø 1 235.
  • 6 ADS, 2 Ø 206/7 (Montbizot), 2 Ø 212/8 (Mont-Saint-Jean), 2 Ø 332/7 (Saint-Victeur).
  • 7 ADM, 2 Ø 5 128. Vroil.
  • 8 ADS, 2 Ø 336/7. Sarcé.

5À Clesles (Marne), lors de la réunion du Conseil municipal du 18 août 1919 pour décider de la nature de l’hommage, le maire « expose que nous venons de subir la guerre la plus effroyable que les temps civilisés aient connue. […] À ces malheureux qui sont morts pour que les France vive, à leurs familles… nous devons une reconnaissance éternelle5. » Nombreuses sont les affirmations de ce genre, utilisant à peu de choses près des expressions similaires. Il ne faut pas sous-estimer non plus un certain conformisme et un mimétisme qui a sans doute accéléré encore le mouvement d’édifications : les municipalités de Montbizot, de Mulsanne, de Saint-Victeur6, décident la construction d’un monument « à l’exemple des communes voisines » ; celle de Vroil, constate clairement « […] que de toute part et particulièrement dans les communes environnantes des monuments ont été élevés à la mémoire des soldats morts au champ d’honneur et [qu’elle ne veut] pas rester étrang [ère] à cette manifestation patriotique7. » Et si cela apparaît peu dans les archives, la pression des familles n’est pas négligeable dans la décision, comme l’exprime le maire de Sarcé, Alexandre Balleur, qui « donne connaissance au conseil d’un désir exprimé par plusieurs de ses administrés d’ériger sur la commune de Sarcé un monument pour commémorer le souvenir des enfants de Sarcé morts pour la France8. »

6La procédure est-elle du début à la fin respectée à la lettre, et qui, des familles évidemment exigeantes, de la municipalité gardienne d’un consensus entre les concitoyens, et de l’État supervisant finalement ces hommages, a le plus d’influence sur la réalisation du vœu collectif ?

Un mouvement commémoratif de l’immédiat après-guerre ?

7Tout va très vite en effet, et le moderne mégalithe vient souvent rompre la perspective tranquille d’une place publique ou dresser sa présence tutélaire et funèbre dans les cimetières avant 1924. Ici, une différence essentielle existe bien entre les deux départements.

  • 9 ADS, 2 R 43.
  • 10 LS, 15 août 1921.

8Dans la Sarthe en effet, 80 % des communes ont concrétisé leur hommage avant cette date. En juin 1924, le préfet adresse la liste des 79 communes sans monument à Henri Gouzien, statuaire de Lorient, en quête de dernières commandes9 : le renseignement n’est d’ailleurs pas tout à fait exact puisque certains bourgs cités ont déjà fait le nécessaire, comme Saint-Denis-d’Orques10 ; d’autres ont fait l’acquisition d’une plaque de marbre qui tient lieu de monument aux morts, à Courceboeufs ou Rouez par exemple. Les deux tiers de ces villages comptent 200 à 500 habitants seulement : en majorité (65 %) ils appartiennent à l’arrondissement de Mamers, le canton le moins empressé étant celui de La-Fresnaye-sur-Chedouet, avec 9 communes sur 13 sans édifice commémoratif. L’insuffisance des ressources sans doute les empêche d’assumer une dépense qui grèverait lourdement et durablement leur budget et ce, quelle que soit l’importance des pertes subies par la population. Faut-il avancer aussi l’hypothèse que ces communes très rurales, d’attitude très réservée, habituée à souffrir en silence, préfèrent conserver une douleur rentrée, parce qu’on ne doit pas exposer ainsi ses sentiments ? Ce n’est pas impossible. N’oublions pas que la région de Mamers resta longtemps enclavée par des moyens de transport difficiles et cela jusqu’à la fin du XIXe siècle, ce qui peut expliquer un maintien durable d’une mentalité close, celle d’un bocage mental impénétrable. Commerveil, avec ses 213 habitants au recensement de 1921, et malgré ses 6,12 % de tués n’a pas rapidement participé au mouvement d’ensemble. De plus, la diminution de la population déjà faible (245 habitants en 1911) depuis l’avant-guerre a dû réduire d’autant l’apport fiscal.

  • 11 ADS, dossiers de la série 2 Ø. Ce ne sont que des estimations pour certaines, à partir des dates d (...)

9Ainsi, la plupart des monuments sarthois sont érigés entre 1919 et 1924. Plus précisément sur 272 communes pour lesquelles l’initiative peut être datée11, la décision fut prise dans 70 % des cas en 1919 et 1920. Les inaugurations suivent une tendance similaire, avec bien sûr un décalage : 81 % des inaugurations relatées dans le journal départemental La Sarthe entre 1919 et 1922, furent organisées en 1920 et 1921. Comme dans l’Orne ou le Pas-de-Calais, le mouvement de construction s’échelonne sur quelques années, sans interruption véritable.

  • 12 ADM, Cormicy, 2 Ø 1 340.

10Dans la Marne, le mouvement commémoratif ne s’exprime pas dans des conditions semblables. Là aussi, le préfet est sollicité en août 1925 par un statuaire parisien, Marius Léon-Cladel, pour dresser la liste des communes qui n’ont pas encore présenté de projet : 30 noms lui sont adressés de communes appartenant à tous les arrondissements, sans concentration particulière dans l’un ou l’autre canton. Cette liste s’avère toutefois discutable, puisque la vingtaine de communes qui érigent leur monument après 1925, répertoriées dans la série 2 Ø des Archives départementales de la Marne, n’apparaissent pas dans cet état approximatif. À l’échelle de ce département, sur 421 communes pour lesquelles l’initiative peut être datée, la décision de réaliser un hommage monumental est prise dans 61,3 % d’entre elles entre 1920 et 1922, soit avec un an de décalage par rapport à la Sarthe, et seulement 30 municipalités s’engagent dans le mouvement commémoratif en 1919. Surtout, 112 communes (soit 26,6 % de l’échantillon), se chargent de ce projet entre 1923 et 1926. À partir de ce moment, restent 5 % de communes qui choisissent de payer leur dette aux morts entre 1927 et 1937. Le mouvement commémoratif s’étend ainsi sur une période relativement longue, certainement à cause de la reconstruction qui oblige les municipalités à privilégier les dépenses plus immédiatement nécessaires. Le maire de Cormicy, par exemple, justifie la décision tardive d’érection d’un monument : « Par suite de la destruction totale de Cormicy et du retard dans le déblaiement il était impossible d’agir plus tôt12. » Dans les deux arrondissements les plus touchés par les destructions (ceux de Reims et de Sainte-Ménehould), deux phases d’érection se distinguent clairement de part et d’autre de l’année 1923 : la première concernant les communes éloignées du front et qui ont la capacité d’ériger assez rapidement un monument, tandis que la seconde comprend les communes situées sur l’ancien front. Ce sont en effet dans les arrondissements de Reims et de Sainte-Ménehould, et plus précisément dans les cantons les plus ravagés par les combats, ceux de Beine, Bourgogne, Fismes, Ville-sur-Tourbe, que les monuments sont érigés le plus tardivement.

  • 13 ADM, 2 Ø 3 106 (Perthes-les-Hurlus), et 2 Ø 2 697 (Le-Mesnil-les-Hurlus).

11Dans l’arrondissement de Reims en particulier, 49,2 % des initiatives datent des années 1919-1922 et 46,3 % des années 1923-1926. 11 communes sur 15 dans le canton de Beine, 17 sur 21 dans le canton de Bourgogne, 9 sur 13 dans celui de Ville-sur-Tourbe décident d’ériger leur monument à partir de 1924. C’est là une tendance générale, et il serait exagéré de conclure rapidement que le souci des morts apparaisse seulement à cette date tardive. Peut-être différé, le désir d’ériger un édifice rappelant le sacrifice des hommes n’est pas absent, et même les villages martyrs rayés de la carte situés dans la zone dite rouge, zone interdite au public et réservée aux activités militaires, érigent leur monument, témoignage apparemment paradoxal que la vie habitait jadis ces lieux désormais désertés, vie du temps de la paix que seule cette référence aux morts vient rappeler. Le-Mesnil-les-Hurlus en 1930, ou encore Perthes-les-Hurlus en 1931, ne coupent pas à cette moderne tradition13, même si ces communes ne furent jamais reconstruites. Le monument aux morts signifiait pour elles, par un tragique paradoxe, la survivance de leur identité.

Un coût proportionnel à l’importance du préjudice subi

  • 14 Il s’agit là d’estimations réalisées à partir des devis proposés à la commission préfectorale.

12Pour les contemporains, le monument doit absolument être à la mesure du sacrifice. Aussi les communes n’hésitent pas à engager d’importantes sommes pour la réalisation de l’hommage commun. Dans les deux départements, le coût des monuments est connu14 pour 342 communes marnaises, et 262 communes sarthoises, et se répartit comme suit

Tableau 5. – Le coût des monuments aux morts.

13En général, les monuments champenois sont plus souvent coûteux que dans la Sarthe, avec 21,9 % de dépenses supérieures à 10 000 F, contre 14,8 %. Bien sûr, il faut considérer les richesses de chacun de ces départements et il est évident que souvent, les ressources financières des villages de la Marne n’ont rien à voir avec celles des communes sarthoises.

14En affinant l’analyse, et en étudiant le coût par arrondissement, deux critères peuvent avoir une influence notable. Tout d’abord, l’importance des ressources est confirmée par la présence d’édifices plus onéreux dans les arrondissements de Reims et d’Épernay, où sont situées la majorité des vignes les plus rentables et autour de Reims, les implantations industrielles. Dans la Sarthe, ce sont les arrondissements du Sud et de l’Est, autour de La Flèche et de Saint-Calais, aux terres semble-t-il plus riches, et dans les communes viticoles du canton de Château-du-Loir.

15Pour la Marne, il semble aussi que les villages situés sur le tracé de l’ancien front aient fait preuve d’un sacrifice financier plus important, d’où un pourcentage plus élevé de monuments dépassant les 10 000 F dans l’arrondissement de Reims (38,7 %), et celui relativement important (17,2 %), comparé aux ressources disponibles, de l’arrondissement de Sainte-Ménehould.

  • 15 ADM, 121 m 101 et 121 m 108.
  • 16 Il s’agit là d’estimations, car le coût de tous les monuments n’est pas connu. Les cantons pour le (...)

16Afin de vérifier cette hypothèse, le coût de chaque monument a été calculé par rapport au nombre de tués, quand ce chiffre est connu, et par rapport au chiffre de la population recensée en 192115 et une moyenne établie par canton (carte 6). Immédiatement plusieurs espaces se distinguent assez nettement : les cantons dans lesquels le coût du monument représente au moins 30 F/habitant sont tous situés, à l’exception de celui d’Esternay, au Nord du département, et suivent la ligne de l’ancien front. Parmi ceux-ci, celui de Ville-sur-Tourbe se distingue particulièrement avec 123,40 F/hab. de même que celui de Sainte-Ménehould avec 70 F/hab16. Un autre ensemble, les cantons pour lesquels le coût s’élève à 20-30 F/hab. regroupe une partie des cantons situés au Sud du département, à l’exception du canton de Vertus, ou à l’Ouest, soit sur les territoires touchés par la première bataille de la Marne en 1914 ou la deuxième bataille de la Marne en 1918. Ces observations ne recoupent-elles pas celles déjà faites sur la comparaison entre les recensements de 1911 et 1921 ? Ainsi, même dans les cantons où la population est bien plus faible qu’avant la guerre, il semble bien que l’effort financier ait été plus conséquent, comme pour pallier cette absence de ressources et ériger néanmoins un monument aussi imposant que celui de communes plus épargnées, sans que cette volonté soit nécessairement un choix conscient. Faut-il prêter aux maires des intentions uniquement mimétiques, dans la concurrence esthétique que se livrent les collectivités locales ? Ce serait sans doute réduire la portée de l’effort engagé. Celui-ci n’est-il pas plutôt l’expression matérialisée et perceptible du traumatisme vécu par les populations confrontées directement au passage de la guerre, à l’irruption brutale et durable de la violence ?

17Il est fort possible que dans les villages les plus touchés par le conflit, la dette envers les morts ait été ressentie comme un devoir encore plus irrépressible qu’ailleurs. Chacun pouvait juger, en regardant les nécropoles militaires, les ruines de la mairie ou de l’église ou à plus forte raison, les gravats de sa propre demeure anéantie, ou les champs défigurés qu’il faudrait rendre à la végétation, la chance d’être revenu et la dimension du sacrifice des combattants.

  • 17 ADS, 2 Ø 315/8, Saint-Paul-le-Gaultier.
  • 18 ADS, 2 Ø 251/7, La Quinte.

18Dans la Sarthe, les raisonnements sont sensiblement différents et aucune règle générale n’est valable pour expliquer pourquoi les municipalités dépensent plus ou moins d’argent. Il n’y a pas ici de correspondance entre le pourcentage de tués et le coût par habitant. Par exemple, là où 2,7 à 3 % de la population a été fauchée, le coût par habitant s’échelonne entre 2 et 10 F, et dans celles qui comptent 4 à 4,5 % de tués, chaque habitant donne en moyenne entre 2 et 19,50 F. Aucune logique n’apparaît de prime abord. En effet, comment expliquer, sinon par l’histoire la plus locale, qu’un village comme Saint-Georges-le-Gaultier17 (1 139 habitants en 1911) qui compte 75 tués à la guerre – soit 6,6 % de la population d’avant 1914 assume une dépense de 5,60 F seulement par habitant, tandis que La-Quinte18 (444 habitants), également très éprouvée par le conflit, avec 7,1 % de tués, dépense 11 580 F, soit 26 F/hab., la plus lourde charge parmi tous les projets étudiés. Dans d’autres cas, comme à Courceboeufs (5,3 % de tués), aucun monument n’est construit : une simple plaque est apposée sur celui que l’on avait érigé en 1878.

Carte 6. – Estimation du coût du monument par habitant dans la Marne (Francs de 1920).

Carte 7. – Estimation du coût moyen du monument par « Mort pour la France ».

  • 19 ADS, 2 Ø 63/7, Ruillé-en-Champagne.

19Il ne faut pas oublier que d’autres projets dispendieux ont pu être conduits quelque temps auparavant : il est évident que la somme allouée à l’érection du monument dépende en fait de l’état des ressources communales. Le maire de Ruillé, par exemple, explique cette nécessité d’équilibre budgétaire en justifiant le faible coût de l’hommage (525 F, soit 90 centimes par habitant) : « Par mesure d’économie, vu le peu de fonds disponibles, le monument consiste en une simple plaque de marbre blanc de 0,50 m au carré, posée sur le piédestal de la Croix centrale du cimetière qui a été réparée pour la circonstance19. » Un sondage réalisé en fonction des tendances politiques des municipalités lors des législatives de 1919 ne permet d’échafauder aucune grille de lecture logique.

20Une comparaison entre deux informations, d’une part le coût par habitant, et d’autre part le pourcentage de tués, réunis par paliers progressifs (2,5 à 3 % ; de 3 à 3,5 %, de 3,5 % à 4 %, et plus de 4 %) montre que la moyenne du coût par habitant en fonction du nombre de tués est croissante de façon relativement régulière, ce calcul étant réalisé pour un échantillon de 182 communes. Même s’il faut tenir compte de l’augmentation du coût des inscriptions qui surenchérit celui du monument et de la dépense par habitant, il semble malgré tout que l’effort financier serait proportionnel au degré du préjudice subi par la communauté locale, et ce, quelle que soit la taille de celle-ci. Cette observation conforte encore l’idée que le traumatisme ne prend son sens en partie que dans cette dimension collective et quasi communautaire. Et puis, ces chiffres tendraient à confirmer le rôle éminemment réparateur du monument aux morts et le lien entre dilapidation financière, décrite par les sociologues, comme poursuite d’un mouvement commencé pendant le conflit, et le traumatisme vécu collectivement. En revanche, plus le pourcentage de tués est élevé, plus le coût par soldat tué s’abaisse. Cela conforte l’hypothèse d’un hommage relativement conformiste.

  • 20 Dans cette commune, la dépense s’élève à 30 000 F, soit 24,60 F/hab., pour 4,4 % de tués. Elle con (...)

 % de tués

2,5 à 3 %

3 à 3,5 %

3,5 à 4 %

4 à 4,5 %

4,5 à 5,5 %

> 5,5 %

Nombre de communes

24

31

54

40

21

12

Moyenne du coût/hab.

5,80 F

6 F

6,40 F

7,30 F

7,40 F

9,20 F

Moyenne du coût/soldat tué

206 F

182 F

156 F

163 F (153 F sans Ste-Jamme20)

144 F

128F

Tableau 6. – Coût du monument par habitant et par Mort pour la France en fonction du pourcentage de tués dans la commune. (Estimations pour la Sarthe).

  • 21 ADS, 2 Ø 158/7 (Lavardin), 2 Ø 328/7 (Sainte-Sabine), 2 Ø 301/7 (Saint-Longis), 2 Ø 160/7 (Roullée (...)

21L’ensemble de la population a pu participer au sacrifice financier. Pour les communes dont le mode de financement est connu, la souscription publique représente un appoint non négligeable à la subvention votée par le Conseil municipal, et cela dans les deux départements. Qui donne et combien ? 9 listes nominatives sont conservées aux Archives départementales de la Sarthe, pour les villages de Lavardin, Sainte-Sabine, Saint-Longis, Roullée, Livet, Le Chevain, Peray, La chapelle-du-Bois, et Marolles-les-Braults21. En revanche, aucune liste de ce type n’a pu être découverte dans la série 2 Ø aux Archives départementales de la Marne. Les versements au comité d’érection sont inégaux selon les communes, comme le résume le tableau ci-dessous :

Tableau 7. – Analyse des listes de souscriptions présentes dans les archives sarthoises.

22Toutes les familles contribuent à la dépense, contrairement à ce que peut faire apparaître le nombre de souscripteurs sur l’ensemble de la population : c’est un individu qui verse la somme, au nom des siens. En considérant qu’une famille ou un feu, pour reprendre le vocabulaire de l’époque moderne compte environ 4 à 5 personnes, il faut convenir que des personnes étrangères à la commune apportent leur obole, ou que certains donnent plusieurs fois, ou que bien sûr plusieurs membres de la famille participent à l’effort commun. Une seule de ces listes permet de confirmer cette hypothèse, puisque dans le petit bourg du Chevain (canton de Saint-Paterne), 16 personnes sur les 90 qui participent à la souscription, déclarent résider à Alençon le plus souvent, ou Damigny, Monhoudou, voire Brest ou Paris… Par ailleurs, les notables, en tête maires et conseillers municipaux, se font une règle de montrer l’exemple en versant une somme supérieure à 50 F dans tous les cas étudiés. Ainsi, une minorité finance parfois une part non négligeable du projet, comme à Roullée (canton de La-Fresnaye-sur-Chedouet) où les dons faits par 18 personnes (soit 11,6 % des souscripteurs) représentent 71 % de l’ensemble des donations… Un élu local, souvent le conseiller général du canton, n’oublie pas de rappeler sa présence par le versement de quelques francs, comme Louis d’Aillières à Roullée (100 F) et Pierre Blin à Livet (20 F).

  • 22 L’État verse 60 336 F par l’intermédiaire de la préfecture, en trois fois : avril 1922, février et (...)
  • 23 ADM, 2 Ø 56.

23Les hiérarchies sociales ou politiques ont ainsi leur place dans l’édification du monument commun, et les réseaux de relation centrés sur la commune, communauté d’habitants dont faisaient partie les morts, sont ainsi comme virtuellement recomposées dans une œuvre commune, à laquelle chacun contribue parfois de façon symbolique, la plupart des dons s’avérant faibles. Cette reconstitution symbolique ne serait pas complète sans l’aide de l’Etat qui contribue pour une bonne part à rendre le projet réalisable, en accordant une subvention, lorsque la municipalité en exprime la demande, d’après la loi du 31 juillet 1920. 100 communes sarthoises ont recours à cette aide financière qui s’élève en moyenne à 13,4 % du crédit voté par le Conseil municipal22. Dans la Marne, 154 communes reçoivent une subvention ; près des deux tiers d’entre elles comptent moins de 400 habitants23. Ces chiffres confortent l’hypothèse d’une dépense proportionnelle au choc psychologique consécutif à la guerre. Certes, la loi de finances du 31 juillet 1920 favorise ce rapport puisque la subvention accordée par l’État est proportionnelle au nombre de combattants tués par rapport à la population de 1914 (recensement de 1911), et calculée en rapport inverse à la valeur du centime communal démographique de l’année où la subvention est accordée. Cependant, toutes toutes les communes n’en bénéficient pas. La carte du coût devrait recouper celle des pertes humaines, or cela ne semble pas être le cas.

  • 24 Ces chiffres concernent 182 communes de la Sarthe, et pour la Marne 270 communes pour le premier c (...)
  • 25 L’enquête originellement portait sur le seul arrondissement du Mans, pour lesquels le coût s’éleva (...)
  • 26 Pour Yves Pilven le Sevellec par exemple, le coût des monuments de la Loire-Atlantique s’élèverait (...)
  • 27 Plait A., Les monuments aux morts de la Grande Guerre dans la 3e circonscription électorale de la S (...)

24Finalement, l’investissement financier consenti par les populations semble dépendre de l’importance du traumatisme ressenti, même si des considérations locales, notamment budgétaires ou causées par l’histoire ou les relations socio-politiques de la commune jouent certainement un rôle et malgré le barème proposé par l’État. À – l’échelle départementale, la différence d’investissement entre la Marne et la Sarthe est manifeste. Alors qu’en moyenne, les Sarthois ont investi 6,70 F/habitant pour rendre hommage à leurs morts, la dépense des Marnais est presque cinq fois supérieure avec 31,70 F/habitant. La proportion suit la même tendance pour le calcul réalisé en fonction du nombre de soldats morts pour la France : le rapport est moindre, mais le coût s’élève à 160,60 F/soldat dans la Sarthe, et à 350,30 F/soldat pour la Marne24. Ce sont là des estimations. Cependant, elles tiennent compte d’un nombre suffisamment important de communes pour approcher de la réalité25. La différence entre département du front et département de l’arrière apparaît d’une façon évidente, tandis que les chiffres sarthois rappellent les estimations calculées pour d’autres départements dans une situation similaire26. Outre la différence de richesse entre les deux départements, qu’il ne faut pas omettre, ces chiffres peuvent fournir un moyen de mesurer l’ampleur du traumatisme. Quant aux monuments, leur fonction réparatrice prend un caractère indéniable, même s’il est difficile de considérer qu’une sorte d’économie du deuil, illustrée par le financement, existe, trop d’intérêts locaux étant partie en jeu dans l’édification du monument aux morts. Dans le Sud de la Sarthe, le canton de Saint-Calais, très éprouvé, la dépense est plus réduite, preuve que l’expression du deuil est aussi fonction de la culture des endeuillés27. Pour les contemporains, le résultat final, l’existence de ce monument, importe certainement davantage que son coût. Encore faut-il lui trouver un emplacement suffisamment consensuel et significatif pour que la mort des hommes, inscrite pour l’éternité sur un lieu devenu sacré, puisse prendre un sens.

L’emplacement révélateur des identités culturelles et politiques

  • 28 L’enquête a été fondée sur un croisement des sources avec la situation actuelle des monuments. Out (...)

25Le choix de l’emplacement suscite de nombreux débats et bien des conflits. Il doit refléter à la fois le sentiment de la population et inspirer le respect, ou encore susciter aux générations futures un moment de réflexion ou de méditation. Dans l’ensemble, les deux départements présentent le même profil, avec une majorité des monuments édifiés dans un espace à connotation religieuse. Le choix d’un espace laïque paraît faible, mais c’est oublier qu’une partie des places se situent au centre du bourg, parfois proche de la mairie. La place constitue aussi un choix neutre, puisqu’elle se situe souvent entre la mairie et l’église. En partant des déclarations imprécises des maires, les distinctions sont trop incertaines ; l’étude sur place des deux arrondissements de Châlons-sur-Marne et du Mans permet d’affiner l’analyse28.

Arrondissements

La-Flèche Ouest

Le-Mans Ouest et centre

Mamers Nord

Saint-Calais Est

TOTAL

Nombre de communes

58

108

68

27

261

Lieu religieux

72 %

66 %

77 %

22 %

67 %

Lieu laïque

14 %

4 %

7 %

4 %

7 %

Autres lieux (ostentation)

14 %

30 %

16 %

74 %

26 %

  • 29 Les pourcentages de l’arrondissement de Saint-Calais sont certainement exagérés, du fait du nombre (...)

Tableau 8. – Emplacement des monuments dans la Sarthe (estimations des tendances générales29).

  • 30 Aubin D., Les monuments aux morts paroissiaux de la Grande Guerre dans le Sud Sarthe, Master 1, (di (...)

26Dans la Sarthe, tout d’abord, la frontière de l’Ouest catholique se révèle distinctement : dans un arrondissement comme celui de La-Flèche, situé le plus à l’Ouest, près des deux tiers des monuments se dressent sur un lieu à caractère religieux, et le chiffre atteint 80 % pour les cantons occidentaux de Malicorne, Sablé, Brûlon. La frontière intègre les cantons de Loué, Conlie et Sillé-le-Guillaume, avec des chiffres similaires, voire plus élevés (93 % pour Conlie) dans l’arrondissement du Mans, puis une grande partie du Nord du département. En revanche, vers l’Est, les tendances s’inversent : l’étude de l’arrondissement de Saint-Calais, malgré le nombre de communes moins important, montre que la majorité des monuments aux morts se situe sur une place publique, en tout cas plus rarement sur un espace religieux. Les différences de pourcentage indiquées indiquent que certaines places se situent à proximité de l’église. On peut estimer que la moitié des monuments échappe à un choix d’inspiration religieuse. L’Est de l’arrondissement du Mans reflète parfaitement cette tendance : un canton comme celui de Montfort-le-Rotrou compte 8 communes sur 15 avec un monument proche de la mairie. C’est au Sud du département, vers Château-du-Loir notamment que les édifices commémoratifs se situent le plus souvent sur une place publique ou près de la mairie. Une étude récente réalisée par Delphine Aubin sur les monuments aux morts paroissiaux dans les cantons du Sud du département confirme ce constat : les espaces les plus déchristianisés à l’Est (cantons de Château-du-Loir et du Grand-Lucé) n’ont pas de plaques ou de monuments dans les églises, alors qu’à l’Ouest, la présence d’un hommage est plus systématique, certaines églises situées à la frontière culturelle contenant en revanche des monuments plus imposants (Mayet, Ecommoy) et même un retable commémoratif (Pontvallain)30.

Carte 8. – Emplacement des monuments dans l’arrondissement du Mans.

Arrondissement De l’Ouest vers l’Est

Épernay

Reims

Châlons

Sainte-Ménehould

Vitry-le-François

Nombre de communes

73

118

98

15

47

351

Lieu religieux

55 %

48 %

89 %

80 %

73 %

65 %

Lieu laïque

10 %

15 %

4 %

10 %

7 %

10 %

Autres lieux (ostentation)

35 %

37 %

7 %

10 %

20 %

25 %

Tableau 9. – Emplacement des monuments dans la Marne (estimations des tendances générales)

27Dans la Marne, d’une certaine manière, la cartographie culturelle s’inverse. De l’Ouest vers l’Est du département, les monuments commémoratifs sont situés de plus en plus dans un espace à connotation religieuse. En effet, si les communes des arrondissements de Châlons-sur-Marne, Vitry-le-François, et Sainte-Ménehould, privilégient ce choix, celles des arrondissements d’Épernay et Reims préfèrent largement le choix de la place publique, que celle-ci se situe non loin de la mairie ou pas. La Brie était considérée par le clergé, dès avant 1914, comme un terrain à reconquérir.

  • 31 Pour la pratique religieuse, plusieurs ouvrages donnent quelques indications : G. Clause, Le diocè (...)

28Ces observations recoupent presque parfaitement la pratique religieuse dans chaque département, surtout dans la Sarthe où le phénomène de déchristianisation à l’œuvre depuis la fin du XVIIIe siècle concerne particulièrement la partie orientale et méridionale du département. Pour la Marne cependant, le chiffre très important de l’implantation religieuse des monuments dans les arrondissements de Châlons-sur-Marne et Vitry-le-François semble exagéré par rapport aux habitudes religieuses des populations. Dans les cantons de Saint-Rémy-en-Bouzemont, ou de Thiéblemont-Faremond, ou encore d’Heiltz-le-Maurupt, l’emplacement ne semble pas correspondre à une pratique relativement réduite, quoique dans la période d’avant-guerre, un regain de dévotion ait concerné tout cet espace entourant Vitry-le-François31. L’analyse plus précise d’un arrondissement, voire d’exemples communaux, permet d’approcher les raisons de ces « anomalies ».

  • 32 Lorsque la place est située près de l’église ou de la mairie, l’emplacement est classé en fonction (...)

Tableau 10. – Comparaison de l’emplacement des monuments32.

29Le tableau ci-dessus confirme les remarques faites auparavant. Pour l’arrondissement du Mans, plus de 65 % des monuments se dressent dans un lieu à caractère religieux, voire funéraire. C’est à peu près la même proportion que dans le Morbihan, ou la Vendée ; c’est plus que dans l’Eure-et-Loir ou l’Eure. La Sarthe se trouve bien à la charnière de deux espaces, l’un déchristianisé ou profondément touché par ce phénomène, qui correspond au Bassin parisien, et l’autre, vers l’Ouest, dans lequel s’affirme encore une foi indiscutée. La Marne, quant à elle se situerait dans une situation similaire, mais à l’Est du Bassin parisien cette fois, quoique la déchristianisation soit avancée depuis le milieu du XIXe siècle, surtout dans les villes, en particulier à Châlons, Reims. La région ménéhildienne revient dans le giron catholique, poursuivant un mouvement perceptible avant 1914. Quant aux terres situées autour de Châlons, elles ne semblaient pas briller par un zèle religieux particulièrement actif.

  • 33 Les radicaux-socialistes font le meilleur score du département dans l’arrondissement de Châlons-su (...)
  • 34 ADM, 2 Ø 2 349.

30Alors pourquoi, sur cette terre radicale33, les monuments sont-ils situés de préférence dans le cimetière qui est bien souvent situé autour de l’église ? Le lieu est doublement sacré, puisque la réunion de l’église et du cimetière en fait un espace à la fois funéraire et catholique. Les notes envoyées aux municipalités par la commission préfectorale chargée de l’étude et de l’approbation des monuments aux morts donnent la réponse à cette énigme. Une note adressée au maire de Juvigny indique en effet que celui-ci « [vient] de recevoir une délibération du Conseil municipal […] autorisant à acquérir un terrain destiné à l’érection d’un monument commémoratif. À cette occasion, je me permets d’attirer votre attention sur le désir de la commission préfectorale d’obtenir le plus possible d’édifications dans les nécropoles34 ».

Carte 9. – Emplacement des monuments dans l’arrondissement de Châlons-sur-Marne, les cantons de Beine et Verzy.

  • 35 ADM, 2 Ø 5 109 (Vouzy), 2 Ø 837 (Chaintrix-Bierges), 2 Ø 1 493 (Courville).

31La préfecture aurait dès lors influencé le choix de l’emplacement, comme le montrent clairement des justifications émanant de plusieurs maires n’ayant pu respecter cette injonction, ceux de Vouzy, Chaintrix-Bierges, Courville, entre autres35. Nul doute que cette recommandation ait été suivie, notamment dans les communes proches du chef-lieu préfectoral, dans les régions où le christianisme semblait revigoré, comme dans l’arrondissement de Sainte-Ménehould, voire là où la guerre avait peutêtre ravivé une certaine religiosité, autour de Châlons-sur-Marne. Vers l’ouest du département, l’invitation est restée souvent lettre morte. À Cuisles (arrondissement de Reims), la population a recouru à une pétition pour imposer son point de vue, en décembre 1921. Le texte en était le suivant :

« Enfants du pays, nous vous honorons, nous voulons perpétuer votre souvenir par un monument digne de vous, de votre héroïsme, de votre dévouement ; dans un lieu où la veuve, l’orphelin, les parents, les amis, les passants pourront y déposer les fleurs du Souvenir.
Le Conseil municipal, par une délibération, en a décidé l’érection au cimetière, lieu désert, sans voie d’accès, à quatre cents mètres du village, où votre souvenir risque d’être oublié.
C’est sur la place de la Mairie, un terrain offert à cet effet, que ce monument peut-être raisonnablement érigé. Le respect dû à nos morts y sera sauvegardé.
Aussi nous prions les organisateurs de ce monument d’écouter notre demande et de décider favorablement en notre faveur. »

  • 36 ADM, 2 Ø 1 535 (Cuisles).

32Cette pétition a réuni 38 signatures, parmi lesquelles celles de 7 veuves de guerre, sur 172 habitants : la commission n’a pas demandé pour autant que la municipalité change son projet36. Il est impossible de savoir qui influença la décision préfectorale de privilégier les nécropoles pour ériger les monuments. En tout cas, il ne s’agit en aucun cas d’une directive provenant du ministère de l’Intérieur, sinon la Préfecture sarthoise aurait également tenté d’infléchir le choix des élus.

33Quelles autres raisons peuvent motiver le choix de tel ou tel emplacement ? Le Conseil municipal s’explique rarement sur ce point. Quelques remarques ici ou là en donnent une idée. Ériger un monument au cimetière, n’est-ce pas réduire sa signification à un seul fait inexorable : la mort des soldats, éclipsant toute connotation patriotique ? La mort de ces hommes serait-elle ici plus ressentie, moins acceptée ? Cet emplacement peut paradoxalement servir à dédramatiser la mort tragique des soldats : le monument placé au milieu des trépassés de la commune normalise en quelque sorte la mort des mobilisés, parce que celle-ci est insérée dans le processus naturel de succession des générations, processus organisateur de l’espace du cimetière. Le docteur Chevalier, à Marolles-les-Braults (Sarthe) le dit très clairement lors de l’inauguration du monument, en août 1921 :

  • 37 LS, 23 août 1921.

« Messieurs, le sol où s’élève notre monument, dû au concours de tous les habitants de Marolles, est vraiment destiné à le recevoir ; c’est celui de l’ancien cimetière qui, jadis, entourait l’église. Chaque coup de pioche creusant les fondations a remis au jour des ossements à peine consumés de nos ancêtres. Ce lieu sacré a, dans les temps anciens, été le témoin de la vie communale de nos pères37. »

  • 38 ADS, 2 Ø 171/7 (Saint-Biez-en-Belin), 2 Ø 15/7 (Bazouges), et 2 Ø 356/7 (Tassé).
  • 39 ADM, 2 Ø 5 128 (Vroil), et 2 Ø 4 692 (Verneuil).
  • 40 ADS, 2 Ø 212/8.

34De plus, leur mort se trouve valorisée par la position centrale du monument qui dépasse en hauteur les tombes et s’impose à la vue, au delà du champ de repos. Cette démarche, sans doute inconsciente, est plus significative encore lorsque l’édifice est construit sur l’emplacement de l’ancien cimetière, comme à Saint-Biez-en-Belin, Bazouges, ou Tassé dans la Sarthe38, ou Vroil, Verneuil, dans la Marne39. Mourir au combat reste une mort à part, lorsque dans le cimetière, les tombes des soldats dont le corps a été rapatrié sont rassemblées autour du monument, nécessitant parfois la création d’un espace réservé, comme à Mont-Saint-Jean40, dans l’arrondissement du Mans. Ou alors, des familles désirent associer l’espace privé de la tombe familiale à l’espace sacré entourant le monument au mort : à Sarry, dans le canton de Marson (Marne), les tombes les plus proches de l’édifice commémoratif sont celles, privées, de soldats ainsi revenus post mortem au pays.

  • 41 ADS, 2 Ø 251/7 (La-Quinte) et 2 Ø 352/7 (Souvigné-sur-Sarthe).

35Pour d’autres communes, le site choisi inscrit les Poilus de la Grande Guerre dans la continuité historique nationale. À La-Quinte ou Souvigné-sur-Sarthe (Sarthe)41, le monument est situé à proximité de l’arbre de la liberté : les soldats qui ont combattu pour le Droit seraient alors les héritiers de la Révolution. Pour Connantré (Marne), le chroniqueur local précise cette filiation historique en décrivant le monument à l’occasion de son inauguration :

  • 42 JDLM, 19 octobre 1922.

« Devant l’église, la place de l’ancien cimetière, face à l’école, est garnie de magnifiques tilleuls. L’arbre de la Liberté étend sa belle ramure ; une vieille croix au millésime de 1668, le tombeau de l’officier russe tombé le 25 mars 1814, se remarquaient déjà. Les dominant, une pyramide surmontée du coq gaulois, ornée de la Croix de Guerre et de la palme, rappelle les 18 enfants de Connantré morts au service de la France42. »

36Plus souvent, le souvenir des morts de 1914-1918 est associé à celui des morts de la guerre de 1870-1871 : le Conseil municipal décide simplement d’ajouter une plaque sur le monument existant, comme à Courceboeufs (Sarthe) ou d’inscrire les nouveaux noms à la suite de la liste précédente, à Thorigné-sur-Dué et Sougé-le-Ganelon (Sarthe) ou Verzy (Marne). Dans ce dernier exemple, le monument est tout de même déplacé à l’intérieur du cimetière afin de le rendre plus visible depuis la rue. Ou alors, l’édifice ancien est intégré dans un ensemble architectural plus élaboré : à Mourmelon-le-Grand, deux stèles sont ajoutées devant le monument érigé à la mémoire des soldats décédés au camp de Châlons.

37Enfin, la couleur politique de la municipalité semble influencer le choix de l’emplacement dans certains cas. Cette influence s’avère plus flagrante pour l’emplacement que dans le financement du monument, en tout cas pour la Sarthe. Au vu des résultats aux élections législatives de 1919, il semble que dans les communes de l’arrondissement du Mans, 54 % des communes de gauche auraient édifié leur monument sur un lieu laïque contre 20 % pour celles de droite, alors que le pourcentage serait respectivement de 37,5 % et 71 % sur un lieu de culte. Rien ne prouve d’ailleurs qu’il s’agisse ici d’un choix conscient. Parmi les cinq polémiques concernant les édifices sarthois, aucun argument politique n’est avancé.

38Dans la Marne en revanche, l’influence politique sur le choix de l’emplacement s’avère plus difficile à saisir, dans la mesure où l’injonction préfectorale, favorable au cimetière, réduit grandement le jeu des sensibilités locales. Certes, dans le cas de l’arrondissement de Châlons-sur-Marne, la décision d’ériger un monument sur une place ou près de la mairie n’existe que dans des communes ou la liste radicale-socialiste et la liste socialiste ont remporté de nombreux suffrages. À Vatry, dans le canton d’Écury-sur-Coole, les scores des deux listes atteignent 87,7 % et 3,2 % : le monument se trouve près de la mairie. Même constat dans la petite commune d’Omey (canton de Marson), où les radicaux-socialistes réunissent 66,6 % des suffrages, et les socialistes plus de 17 %. Cependant, il n’y a là aucun lien systématique entre la couleur politique de la commune et l’emplacement, comme l’indiquent de nombreux contre-exemples. Le monument de Condé-sur-Marne (canton de Châlons) se trouve dans le cimetière contiguë à l’église, malgré le 78 % de votes radicaux-socialistes, et 13 % de votes socialistes. Et cette remarque vaut pour Vésigneul-sur-Marne (canton de Marson), Loisy-en-Brie et Chaintrix-Bierges (canton de Vertus), etc.

39Cependant, il semble que l’influence politique dicte davantage les choix dans les arrondissements d’Épernay ou de Reims : est-ce parce que l’incitation préfectorale s’amenuise légèrement pour les communes qui les composent ?

  • 43 ADS, 2 Ø 98/7. Délibération du Conseil municipal du 23 mars 1921.

40En fait, il est souvent difficile de deviner les motivations obligatoirement subjectives de ceux qui décidèrent l’emplacement du monument aux morts. Ce choix dépend largement de l’histoire particulière de chaque commune, du degré d’implication de la population dans ce choix, ou du groupe auquel on demande un avis. Dans la commune de Coulongé (canton de Mayet, Sarthe), le maire « demande à ce que ce soient les parents des morts qui choisissent l’emplacement du monument qui leur sera érigé », à raison d’une voix par soldat mort pour la France, soit 6 voix, ajoutant une tacite condamnation morale pour les veuves remariées : « Dans le cas où cette voix serait pour échoir à une veuve remariée, elle serait donnée au père du mort43. » Il est évident ici que le deuil dicte le choix, alors que les considérations politiques s’effacent grandement.

41Finalement, dans les deux départements, l’État ne parvient pas à contrôler tout à fait la vague de construction des monuments aux morts. Malgré une réglementation précise, quoique différée, son influence demeure faible et mal assurée. La commune, en décidant d’ériger un monument, devient le cadre privilégié de l’expression du deuil, car la disparition de 30 000 Sarthois et Marnais n’est pas vécue au niveau départemental, et leur absence n’est ressentie que dans le réseau des connaissances dont le village est le centre. La commune revendique par le monument son rôle joué dans la guerre, et sa contribution à l’effort national. Dans l’ensemble, l’édifice commémoratif est la traduction dans l’espace d’un certain consensus, qui achève de conférer une valeur représentative de toute la communauté à l’hommage, le rendant plus encore apte à devenir le réceptacle de la douleur des individus, de la famille, de la collectivité.

La fonction du monument : l’héroïsation ou le traumatisme effacé ?

42Le monument et son enceinte résument en quelque sorte l’identité de la commune et son histoire, en même temps qu’un espace donné aux morts, confié à leurs mânes. C’est parce que le monument est une image même des relations sociales, politiques, économiques, et un véritable instantané de la réalité d’une petite communauté humaine à un moment donné de son existence, qu’il peut assumer la charge de tous les deuils individuels ici pris en charge par la collectivité restreinte de la commune. Il apparaît comme un objet sur lequel sont transférés émotions et sentiments et cette fonction est également constituée par la forme et le sens donné à l’édifice par la communauté de deuil.

Figures de deuil

  • 44 Dans le Sud du département, le nombre d’obélisques est plus réduit (60 %). On compte près de 10 % (...)

43Les monuments figuratifs sont relativement peu nombreux après la Grande Guerre, surtout dans la Sarthe. La communauté locale a voulu exprimer le plus exactement possible les sentiments communs à la majorité, mais l’aspect financier de telles entreprises a parfois réduit les aspirations à celle jugée le plus représentative de l’hommage. Les municipalités urbaines ont eu davantage de latitude, d’où des édifices au sens parfois très complexe. 77 % des monuments de l’arrondissement du Mans sont de simples obélisques44, 60 % dans le Sud du département, contre 58 % dans celui de Châlons et 53 % dans les cantons étudiés de l’ancien front.

44En comparant les deux arrondissements-témoins, il apparaît rapidement que c’est dans la Marne que les édifices les plus ouvragés furent réalisés. Hormis les quelques bustes de Poilu, très simples, et le Poilu des établissements Jacomet (Vaucluse), ou celui de Laigné-en-Belin, symbolisant la résistance à l’ennemi, aucune commune n’a eu les moyens financiers suffisants pour réaliser une œuvre d’art, ou alors elle n’en a pas ressenti la nécessité : avec 30 000 F, Sainte-Jamme pouvait envisager une réalisation de ce genre. Il y a bien l’édifice atypique de Grez (canton de Sillé-le-Guillaume), mais son interprétation s’avère difficile : l’amoncellement de morceaux de pierre de roussard figure peut-être un monceau de ruines…

45Dans l’arrondissement de Châlons-sur-Marne, et les cantons de Beine, Bourgogne et Verzy, les représentations figuratives se classent en trois groupes principaux : le Poilu, la victoire, la veuve.

46Les représentations du Poilu sont assez simples dans cet espace. Là encore, la figure du Poilu au repos, restant sur ses gardes, maintenant son fusil posé devant lui, rejoint celle proposée en série par la fonderie Jacomet. Le buste de Saint-Germain-la-Ville constitue une œuvre intéressante, le visage du soldat emprunt de fierté et de résolution semblant tourné vers l’avenir. Voici comment l’interprète le président du comité du monument, Raymond Collard, lors de l’inauguration en novembre 1926 :

  • 45 JDLM, 18 novembre 1926.

« Aussi est-ce à dessein que le Comité du monument a choisi comme symbole ce Poilu à la physionomie si caractéristique de calme et de tranquillité mais empreinte d’une indomptable énergie morale. Son ferme regard se dirige vers le Nord-Est, d’où déferla la horde barbare qui devait fouler le sol sacré de notre patrie, souiller de sa présence cette rue, cette place même, nos maisons et nos monuments publics, poursuivre sa marche envahissante jusqu’aux confins de l’Aube, jusqu’à ce qu’au signal de Joffre la retraite française devant la mémorable victoire française de la Marne.
Pour longtemps son regard ferme restera figé dans cette attitude d’attente calme et résolue, nous enseignant par là-même de rester sur nos gardes45. »

  • 46 ADM, 2 Ø 2 476. Lettre du maire de Ludes au préfet de la Marne, datée du 9 juin 1922.

47À Germinon, le soldat sculpté par Dechain relâche son effort pour acclamer la victoire, tandis qu’à Ludes, le voici figé dans une posture de défense, barrant la route à l’ennemi. Cette dernière œuvre due au statuaire parisien Luigi Betti, marque l’attachement au sol défendu et s’intitule : « Le Poilu défendant le vignoble46 ». Et puis, c’est un Poilu défunt dont la dépouille est déposée sur un tombeau, recouvert d’un linceul qui laisse simplement deviner les lignes du corps, que la municipalité de Pontfaverger a décidé de représenter devant un obélisque massif, au sommet duquel le mot « PATRIE » rappelle le sens du sacrifice.

  • 47 ADM, 2 Ø 2 026. Marché de gré à gré signé le 27 juin 1925.

48Celui de Fresnes-les-Reims, « le cou entouré de son cache-nez, tenant dans ses doigts une victoire ailée, tendant à bout de bras une couronne laurée et cherchant à couronner le Poilu de son sacrifice glorieux à la Patrie47 » ne montre pas son visage, à tel point qu’on peut douter qu’il soit représenté vivant…

49Deux statues peuvent être interprétées comme des représentations de la Victoire : celle de Vertus, et celle qui se trouve au sommet du monument de Rilly-la-Montagne. Toutes deux dressent vers le ciel une ou des couronnes de laurier. Les ailes de la Victoire de Rilly sont travaillées de telle sorte qu’elles forment un V. Quant à la Victoire vertusienne, peut-être doit-on l’assimiler également à la France, comme le suggère la présence du coq sur ce monument éminemment patriotique. Les survivants, symbolisés par deux jeunes soldats, un couple, et deux enfants, tiennent une lourde guirlande de lauriers au-dessus des noms des défunts. L’homme a retroussé ses manches et tient la main de la femme situées un peu en retrait. La paix, le travail et l’union, doivent garantir les résultats de la victoire…

50Une autre figure vient confirmer le sentiment général qui a présidé à l’érection de bon nombre de monuments marnais : celle de la veuve, personnifiant la souffrance et le deuil. Elle apparaît à six reprises dans les cantons étudiés, trois fois sous la forme d’une statue, deux fois en relief sur une stèle, et une fois gravée sur une plaque de marbre noir. Trois d’entre elles sont des veuves abattues par le chagrin, pleurant et cachant leur visage derrière leurs mains, à Trépail, Saint-Thierry et Sillery. La veuve de Sillery donne à l’ensemble monumental une gravité particulièrement émouvante : celle-ci s’agenouille près de plusieurs croix symbolisant les croix de bois du front, sur lesquelles sont inscrits année après année la longue litanie des noms de ceux qui ne sont plus. La veuve de Trépail pleure sur le casque Adrian perçé d’une balle. Les trois autres se recueillent : l’une dans l’attitude de la pensée, à Époye ; la petite paysanne de Suippes semble prier sur une tombe ; la veuve de La-Cheppe, dépose un bouquet sur une tombe du front. Quatre d’entre elles sont vêtues à l’antique. La croix de bois, le casque, les blés fauchés (à Suippes), sont les seuls motifs représentant les défunts, de telles représentations accentuant le sentiment d’absence.

  • 48 ADM, 2 Ø 426. Baye.
  • 49 ADM, 2 Ø 1 133 (Chaumuzy) et 2 Ø 1 170 (Chenay).
  • 50 ADM, 2 Ø 3 663. Romigny.
  • 51 ADM, 2 Ø 1 869. Esternay, chef-lieu de canton.
  • 52 ADM, 2 Ø 739. Broyes.
  • 53 ADM, 2 Ø 4 542. Troissy.

51L’étude des dossiers de communes appartenant à d’autres arrondissements confirme l’existence de ces trois thèmes – le Poilu, la victoire, le deuil – dans le département de la Marne, et l’importance du sentiment de douleur et de deuil exprimé par maintes sculptures. Des veuves sont représentées sur au moins six monuments aux morts. Celle de Baye48 (arrondissement d’Épernay) est une copie de l’œuvre proposée par l’entreprise Rombaux-Roland (Nord) à Époye. Une autre, dans le même arrondissement, à Vinay, recouvre de son voile la stèle ébréchée qui porte les noms des défunts. Quatre autres représentations de veuves se trouvent dans l’arrondissement de Reims : celles de Chaumuzy et de Chenay49 sont des femmes au visage tendu par la douleur déposant une rose. La seconde s’appuie sur la stèle. À Romigny50, une femme agenouillée dresse devant elle un casque Adrian recouvert de lauriers. Enfin, la veuve de Jouy-lès-Reims, agenouillée, dépose en pleurant, un bouquet sur une tombe du front, sous le regard de son enfant. Cette figuration du deuil pourrait apparaître davantage dans les communes situées sur l’ancien front ou non loin. Cependant, leur nombre est trop réduit pour permettre de l’affirmer. Deux des thèmes sont liés de temps en temps. Celui du Poilu et de la victoire, comme on l’a vu avec l’exemple de Germinon. Le Poilu d’Esternay pourrait partir plein d’entrain, mais le casque percé situé sur le socle semble figer cet élan dans le passé51. Quant au Poilu de Broyes (arrondissement d’Épernay)52, au gardeà-vous, il ferme les yeux, et la capote ouverte sur le torse nu évoque la vision tragique du corps raidi et couché dans un cercueil. Il s’agit plutôt d’un fantôme, comme l’indique l’inscription située sous les pieds su soldat : « les morts présents ». Seul à poursuivre sa veille dans la tranchée, celui de Troissy invite peut-être à la vigilance53.

Les inscriptions d’un registre éternel

  • 54 Ecl. E, 2 juin 1930.

52Après que la forme générale du monument s’est imposée à la vue, la dédicace est le premier élément déchiffré immédiatement, puisqu’elle se situe, sauf exception, sur la face principale de l’édifice. Le monument aux morts est aussi et avant tout un registre sur lequel sont consignés les noms et prénoms, parfois la date de décès des soldats de la commune tués au combat. Les renseignements individuels et plus encore personnels s’effacent dans la liste qui constitue une preuve de la contribution de tous à l’effort commun, surtout lorsque cette liste, trop longue, ne peut être inscrite sur le monument, comme à Reims et au Mans Les noms des 2 269 Manceaux et des 5 308 Rémois (dont 740 civils) sont inscrits sur une liste et déposés à l’intérieur du monument54. Seuls les mobilisés qui ont perdu la vie pendant la guerre et reçu la mention « Mort pour la France » y figurent. Dans l’arrondissement du Mans, le nom de « Melle de Serry (infirmière) » est le seul nom civil ajouté sur le monument de Silléle-Philippe. Dans la Marne, bien sûr, la liste des victimes civiles, distinguée de la liste des soldats morts pour la France, vient allonger l’énumération. On en compte 126 dans l’arrondissement de Châlons, toutes ajoutées sous la liste des soldats, sans différence dans les caractères utilisés.

  • 55 JDLM, 24 septembre 1930. Inauguration du monument aux morts. Les deux derniers noms ont été inscrit (...)
  • 56 La tombe de Louis Servas (dernier nom inscrit sur le monument aux morts) se trouve dans le cimetiè (...)

53Parfois, la municipalité a voulu distinguer les disparus, soit en les indiquant à part, en dessous des autres noms, soit par l’ajout de la mention « disparu ». Il arrive aussi que tardivement, les noms des anciens combattants morts des suites des blessures reçues en temps de guerre soient inscrits sur le monument au morts : jusqu’en 1927 à Matougues55 et 1935, à Nuisement56, dans l’arrondissement de Châlons, jusqu’en 1934 à Téloché dans l’arrondissement du Mans.

54Les listes inscrites sur les monuments aux morts sont organisées de la manière suivante :

Liste des Morts pour la France

Arrondissement du Mans

Arrondissement de Châlons

Cantons de Beine et Verzy

Ordre alphabétique

33 %

26,3 %

28,2 %

Ordre de disparition

53,6 %

68,4 %

71,8 %

Ordre de grade

13,4 %

5,3 %

0 %

Précisions sur le sort des soldats

33 %(seulement l’année du décès)

39 %

38 %

Tableau 11. – Analyse des listes inscrites sur les monuments.

  • 57 Sur le monument proche n’apparaissent que les noms et prénoms par ordre de disparition et sans dat (...)

55Quelques différences apparaissent entre les deux arrondissements-témoins. Si l’ordre chronologique de disparition prévaut, il est utilisé très majoritairement dans l’arrondissement de Châlons, et semble-t-il, plus encore dans les cantons de l’ancien front, hypothèse qu’il conviendrait de vérifier sur une plus grande échelle. Ainsi, le temps rythmé par les morts successives se fige dans le marbre ou l’ardoise. Les étapes tragiques de la guerre se fixent, comme si la mémoire des deuils et des souffrances devait absolument demeurer dans leur temps de guerre suspendu, un temps arrêté de la douleur sans cesse revisitée. Dans la Sarthe, les années de guerre sont inscrites pour un tiers des monuments. Surtout, ce qui étonne, c’est la précision des indications présentes pour chaque soldat dans la Marne : sur près de 40 % des monuments, et cela sans différence entre le front et l’arrière immédiat, le sort des soldats est décliné avec détail. À Saint-Germain-la-Ville (canton de Marson) et Saint-Gibrien (canton de Châlons-sur-Marne), sur la plaque apposée sur le mur extérieur de l’église près de l’entrée, sont précisés le nom, le prénom, le grade, la classe, le régiment, la date du décès, le lieu de décès des soldats57. La destinée militaire est mise en valeur, comme une déclinaison de la mention « Mort pour la France », toutes indications capables de donner un sens à cette mort violente si difficile à accepter. Parfois les décorations obtenues sont inscrites.

56Dans la Sarthe, de telles précisions sont beaucoup plus rares. Le grade apparaît à côté du nom, et l’année du décès, mais de façon collective, les noms constituant une liste partielle sous le millésime, alors que dans la Marne, si l’année seule est inscrite, elle est apposée près du nom, quitte à l’inscrire plusieurs fois. L’identité du défunt, identité militaire avant tout, l’emporte ici sur la collectivité des morts à la guerre. En déduire que la souffrance fut vécue avec plus d’intensité dans la Marne serait exagérée. Cependant, il est possible que le travail de deuil ait été plus difficile, plus long. En tout cas, il est exprimé d’une façon très particulière.

  • 58 Dans l’Orne, autre département conservateur, les listes sont établies selon la hiérarchie des grad (...)

57Enfin, environ 30 % des communes ont préféré que la liste soit inscrite dans l’ordre alphabétique, égalitaire, effaçant les individualités derrière la collectivité. L’engagement politique a pu jouer, mais ce n’est pas certain. Les différences entre les deux départements s’avèrent minimes de ce point de vue, et paradoxalement, cet ordre démocratique serait plus courant dans la Sarthe relativement plus conservatrice que dans la Marne radicale. Un dernier élément rétablit la logique des cultures politiques et sociales locales : l’ordre des grades apparaît plus souvent dans la Sarthe, où le respect du notable reste un trait dominant des mentalités58. En effet, des distinctions sociales sont parfois soulignées dans la Sarthe, qui n’ont pas d’équivalent dans l’arrondissement de Châlons. À Teillé (canton de Ballon), la mort du maire, Pierre Villedieu de Torcy, en 1916, a dû marquer profondément la population : le premier représentant de la commune est inscrit en premier sur le monument. Même constat à Saint-Symphorien (canton de Conlie), où le grade, l’arme, et les décorations du comte Amédée Pérusse des Cars sont mis en valeur.

58Quant aux dédicaces, les inscriptions les plus courantes sont les suivantes :

Tableau 12. – Dédicaces des monuments aux morts.

59Il n’existe pas de différence notable entre ces formules consacrées : toutes sont formées à partir de la mention accordée officiellement par l’État dès 1915. C’est dire la dimension officielle de l’hommage et l’importance pour les familles de la reconnaissance par l’État d’un statut à part qui donne sens à la mort de guerre. Ce qui frappe d’emblée, c’est la simplicité des dédicaces choisies dans la Sarthe, alors que dans le département de la Marne, les résultats sont ventilés sur une quantité plus grande de possibilités. Si 80 % des communes de l’arrondissement du Mans reprennent une inscription quasi officielle, seules 45 % environ des communes de l’échantillon marnais suivent la même idée – plus de la moitié des communes avec la référence à la « Patrie ».

60Dans la Sarthe, les autres dédicaces – 15 en tout – sont le plus souvent de faibles variantes des formules officielles, avec cependant une insistance sur la dette contractée envers les soldats défunts, par l’ajout des mots « hommage » ou/et « reconnaissance ». La reconnaissance est mise en valeur de façon relativement importante par plus de 11 % des communes, qui ajoutent même cette intention à la dédicace principale (à Joué-en-Charnie par exemple, Souillé, La Chapelle-Saint-Aubin…). Le pourcentage est identique dans l’arrondissement de Châlons-sur-Marne, alors que la proportion diminue fortement dans les communes de l’ancien front (4 %). Peut-être l’arrière était-il plus à même de manifester un sentiment de soulagement et de reconnaissance du fait qu’ils avaient été épargnés par les ravages matériels du conflit ?

61Quant au vocabulaire guerrier ou héroïque, issu de la culture du temps de la Revanche, il subsiste encore de façon relativement importante, s’exprimant de façon très différente d’un espace étudié à l’autre. Dans la Sarthe, un adjectif valorisant (« glorieux ») s’ajoute rarement. Au contraire, dans la Marne, l’héroïsation des défunts apparaît de façon importante, sur près de 20 % des édifices, et a priori davantage encore sur les monuments des communes du front, comme s’il fallait surenchérir pour donner un sens certain à la mort des soldats.

  • 59 Aubin D., Les monuments aux morts paroissiaux de la Grande Guerre dans le Sud Sarthe…, op. cit., p. (...)

62Il semble également que les différences culturelles apparaissent davantage lorsque l’on compare les inscriptions des monuments communaux et celles des hommages paroissiaux. La frontière culturelle du sud de la Sarthe est ainsi perceptible, avec des inscriptions très proches des édifices communaux à l’est et l’usage du latin, à des incitations à la prière et au salut des âmes plus courantes à l’ouest59.

63Enfin, certaines inscriptions prennent un sens funéraire prononcé, lorsque la collectivité locale a préféré une dédicace qui exprime autant que possible un rapport affectif au défunt : l’emploi d’un adjectif possessif comme « nos », qui implique plus profondément les dédicataires que l’adjectif très courant « ses » : « à nos morts », trouve-t-on régulièrement, sans ajout supplémentaire. Le caractère lapidaire de l’inscription, réduit à l’essence même de la dédicace, sans donner aucune explication à ce mot seul et nu – « mort » - exprime un deuil particulièrement ressenti à l’échelle locale. Le mot « Fils », plus précis que le mot « Enfant » permet d’insister autant sur le caractère collectif de l’hommage, tout en le personnalisant davantage. Surtout, les identités locales se découvrent clairement, avec une sorte de retenue dans la Sarthe où de telles dédicaces sont somme toute assez rares, tandis que dans la Marne, autour de Châlons-sur-Marne, le deuil se trouve exprimé un peu plus. Là encore, sur le front, cette expression s’estompe, l’héroïsation venant transcender en quelque sorte une souffrance qui n’est certainement pas moindre. Plus émouvantes peut-être sont les quelques inscriptions laconiques, 4 dans l’arrondissement de Châlons, 3 dans les cantons de la zone du front, exprimant simplement, et à l’inverse du deuil, quoique dans une identique pensée lapidaire, la seule raison de tant de douleur : « morts pour la france, 1914-1918 » (Vaudesincourt, canton de Beine) et « 1914-1918 » (Bétheniville). Ici, l’expérience de la guerre rejoint l’indicible.

Le traumatisme effacé

64Le monument aux morts joue un rôle majeur au lendemain de la Grande Guerre dans l’effacement difficile du traumatisme causé par la guerre. Les survivants paraissent se décharger de leurs angoisses par l’intermédiaire de cet édifice qui relie une dernière fois la communauté des vivants et celle des morts. Comment une telle fonction peutelle être conférée à cet édifice ?

Un édifice sacré

65Le monument aux morts est d’abord caractérisé par sa nature sacrée. Après l’église ou le cimetière, et bien avant la mairie, il devient un lieu sacré, en partie sécularisé. D’ailleurs, qu’il soit placé dans le cimetière ou exposé à la vue de tous au carrefour principal de la commune, cela importe peu. Dans tous les cas, il recueille les aspirations avortées et le chagrin d’une communauté ébranlée par la guerre. Certainement, l’aménagement d’un caveau sous l’édifice a pu accroître cette dimension sacrée. L’enquête sur place a révélé que le cénotaphe n’en est pas moins un pôle autour duquel l’organisation et la physionomie du cimetière ont pu se construire par la suite. Cette remarque vaut même dans le cas où la municipalité n’a pas décidé d’organiser une sorte de carré militaire autour de l’édifice, comme à Mont-Saint-Jean, ou Nuillé-le-Jalais dans la Sarthe. À Sarry (canton de Marson, Marne), la tombe de deux soldats natifs de la commune dont le corps a été rapatrié a été installée à proximité immédiate du monument aux morts. De même à Souain, où la tombe de Céleste Lardenois, tombé le 17 août 1918, dont le nom est inscrit sur le monument, se trouve tout près. Et ce ne sont pas là des exemples isolés. Certains anciens combattants ont dû manifester le désir d’être inhumés près du monument, à moins que leur famille y ait pensé.

66Pour les survivants, la dimension sacrée du monument ne fait pas de doute, comme l’atteste cet extrait du discours de Branjon, maire de Saint-Germain-la-Ville, prononcé lors de l’inauguration du monument en 1926 :

  • 60 JDLM, 9 novembre 1926.

« Que ces pierres soient pour nous sacrées. Si elles n’abritent pas les dépouilles de nos morts, elles gardent à jamais leur mémoire, elles symbolisent leurs vertus les plus hautes, ce qu’il y a de plus pur dans le cœur et dans l’esprit… Ici mères, sœurs, épouses désolées, vous pourrez venir vous recueillir et prier dans le calme, dans la paix, car le bruit de nos petites querelles n’arrivera pas jusqu’ici, et ici, nous communierons tous dans la même pensée fervente60. »

  • 61 Le Journal de Château-du-Loir, 8 octobre 1919.

67Le monument paraît d’autant plus sacré qu’il doit permettre la continuité d’une cohésion de la population communiant dans le souvenir. Lorsque l’emplacement choisi avait déjà cette connotation sacrée, tel le cimetière ou l’ancien cimetière, la nouvelle construction, d’une architecture souvent inédite, à la mesure de l’expérience de guerre elle-même inédite, confère au terrain qu’elle occupe cette dimension de lieu intouchable que l’on foule avec respect. Dans ce cas, la création d’un nouveau lieu sacré illustre deux faits perceptibles à cette époque : d’abord, la nécessité de trouver un espace sécularisé captant les aspirations sacrées auparavant dévolues au religieux et ensuite, la rupture occasionnée par la nature inédite de la Grande Guerre. Quelques propos donnent une idée assez juste de la première évolution, ceux du député ancien combattant Alain de Rougé, lors de l’inauguration du monument de Château-du-Loir, un des fiefs sarthois de la gauche : « Quand vous passerez devant ce monument, saluez-le comme le croyant se découvre en passant devant un calvaire61 […]. » Dans le second cas, l’espace du monument devient l’espace sacré de la rupture, recevant un objet qui pourrait servir de médiateur dans le travail de deuil et faciliter la renaissance.

Le symbole du deuil massif et de la renaissance

  • 62 Prost A., Les anciens combattants dans la société française…, op. cit., vol. 3, p. 41 sq.
  • 63 Certains édifices sont naturellement difficiles à classer : par exemple, les monuments atypiques, (...)

68Pour mieux saisir le sens général donné à ce mouvement commémoratif, il n’est pas inutile d’appliquer la grille de lecture proposée par Antoine Prost dans sa thèse sur les anciens combattants dans la société française62. Étant donné le nombre relativement faible de monuments étudiés, et surtout leur diversité esthétique réduite, cette classification peut être adaptée et simplifiée. Ainsi distinguera-t-on cinq groupes de monuments63, réunissant des caractéristiques différentes : 1) les monuments patriotiques : situés sur une place publique, et plutôt près de lieux civiques, avec comme motifs un coq, ou un drapeau, une inscription héroïsante ; 2) les monuments civiques : situés sur un place, ce sont les obélisques ou les stèles très simples, n’ayant pour décors que la croix de guerre, la palme, ou même aucune décoration. Leur inscription fait partie des plus courantes ; 3) les monuments funéraires-patriotiques : situé au cimetière, ou sur une place, ils portent des signes patriotiques évidents (inscription héroïsante, ou motifs décrits plus haut), mais évoquent aussi de façon ostensible la mort des soldats (portant une croix, ou un linceul), 4) les monuments funéraires-civiques : les obélisques décrits plus haut, auxquels une croix est ajoutée, ou se trouvant au cimetière ; 5) les monuments funéraires : situés au cimetière, parfois aussi sur une place publique, ils comportent une croix valorisée, une couronne funéraire, une urne funéraire, une représentation du deuil, ou une inscription lus précisément liée à la mort ou à l’expression du deuil. Une estimation de la répartition peut dès lors être tentée à l’échelle des arrondissements et cantons étudiés :

Type de monument

Arrondissement du Mans

Arrondissement de Châlons

Cantons de Beine et Verzy

Patriotique

8 %

5 %

29 %

Civique

37 %

11 %

29 %

Funéraire-patriotique

4 %

14 %

19,5 %

Funéraire-civique

20 %

17 %

2,5 %

Funéraire

29 %

45 %

19,5 %

Indéterminé

8 % (plaques et monuments récents)

Tableau 13. – Typologie des monuments aux morts de 1914-1918.

69Les remarques déjà faites précédemment se retrouvent ici. Les monuments simplement civiques, ou funéraires civiques sont les plus nombreux dans la Sarthe, avec près de 57 % du corpus, tandis que les monuments patriotiques demeurent minoritaires. Ceux-ci représentent un groupe important dans l’arrondissement de Châlons (28 %). La part des monuments patriotiques est toutefois plus élevée (19 %). Ces derniers l’emportent dans les cantons situés près de Reims et sur l’ancienne zone du front (près de 50 %). Quant aux monuments inspirés par le deuil, leur part est considérable dans le centre de la Marne (plus des trois-quarts), tandis qu’ils représentent à peu près la moitié du corpus manceau, et environ 40 % du corpus des cantons proches de Reims.

70Bien des paradoxes apparaissent, car il serait logique par exemple de constater la présence de monuments de deuil plus nombreux dans les espaces directement détruits et marqués par les traces visibles des combats et du passage de la mort. Or, c’est à l’arrière immédiat que cette proportion est le plus élevée. La construction tardive d’un certain nombre d’édifices dans les communes du front qui ont dû privilégier d’abord la reconstruction ne paraît pas expliquer ces tendances. On peut penser que les opinions politiques des municipalités ont joué un rôle, puisque ces cantons sont fortement favorables au radical-socialisme, voire au socialisme. Peut-être cette situation est-elle due également à l’importance du traumatisme, qui a nécessité en quelque sorte une surenchère de signification, l’héroïsation des défunts participant à redonner une signification tangible au monde alentour et à la reprise de la vie quotidienne. L’absence d’explication des projets de monument ne permet pas de confirmer cette hypothèse.

71Une telle classification constitue toujours une simplification des sentiments collectifs, quand bien même elle a le mérite de rendre plus lisible la signification des monuments. Tous ces édifices sont en effet en partie civiques et funéraires, tous symbolisent le devoir accompli et le sacrifice des mobilisés. Qu’un motif apparaisse ici ou là, il peut devoir son existence aux goûts de l’entrepreneur, à son style propre, plus qu’à un choix délibéré de la commune, ou simplement à l’état des finances communales.

  • 64 JDLM, 27 septembre 1922.

72Les Sarthois semblent discrets et pudiques, hésitant à exposer leurs sentiments de façon explicite. Rarement, dans les articles publiés par le journal La Sarthe après une cérémonie d’inauguration, un discours décrivant le monument ou justifiant sa vocation est cité. Cela arrive plus régulièrement dans la Marne, et le monument est présenté alors comme un catalyseur des vertus civiques, au premier rang desquelles se situe le devoir. Le maire de Chaudefontaine, Ambroise Seuillot, ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme en 1922 : « Si à une époque quelconque, le Germain orgueilleux, tentait de fouler aux pieds la terre sacrée où reposent ceux que nous pleurons, venez ici avant de prendre les armes, vous y puiserez le courage nécessaire pour être vous aussi des héros64. »

  • 65 AMR, SG 1919.
  • 66 Idem.
  • 67 Idem. Notice historique du monument aux morts.

73Finalement, sans doute facilite-t-il la renaissance de ces territoires anéantis par le conflit. Cette renaissance s’avère, à Reims, l’enjeu de débats assez tendus à propos du motif principal du monument aux morts de la ville, dont le sens dépasse le sort de la cité martyre. Reims veut incarner durablement comme durant le conflit le destin de l’humanité, ni plus ni moins, ce qui suscite des débats sur le devenir de la cathédrale. Cette opposition est ainsi résumée dans la notice historique rédigée sur le monument par Dourcy, secrétaire de l’œuvre en 1926 : « […] le comité se trouva en présence d’une forte opposition contre le sujet choisi par le statuaire Lefebvre pour sa statue en bronze. L’artiste, en effet, avait interprété le thème suivant : « L’humanité écrasée sous le poids des Evénements », alors que l’architecte [Royer], auteur du projet général, avait voulu personnifier « La Pensée », symbole du souvenir des morts65. » La correspondance conservée aux Archives municipales de Reims atteste le rejet du premier projet par une partie de la population. Un ancien combattant, Régnier, justifie ainsi ses critiques dans une lettre adressée au maire le 7 juin 1927 : « Vous avez voulu appelé ce monument l’« effondrement total » ; nous ne sommes pas encore un peuple totalement effondré. Quand à l’idée initiale de l’« Humanité souffrante », ce ne sont pas nos morts qui ont fait souffrir l’Humanité ; ce sont eux qui l’ont sauvée. [sic] » Le maire répond quinze jours plus tard qu’il « a indiqué à M. Lefebvre que, si dans sa partie architecturale, le monument pouvait et devait rappeler le martyr subi par Reims, les durs sacrifices consentis en vain et que de la résistance française et en particulier, de la résistance rémoise, étaient nées une énergie et une force nouvelle66. » En effet, « on reprochait au statuaire de vouloir laisser supposer par son sujet affaissé, que la Ville ne renaîtrait pas de ses cendres67. » Le penseur rémois fut dès lors relevé et la polémique cessa. Les autres groupes sculptés suggèrent aussi cette renaissance, et non pas l’effacement des malheurs du passé, mais bien plutôt leur transfiguration.

74Dans la Sarthe, l’édifice le plus complexe se dresse sur le square La Fayette au Mans, dédié aux morts du département, érigé en 1929. La polysémie des figures et ornementations mettent en valeur cette renaissance, tout en démontrant la contribution locale à l’effort national. Au sommet se tient une femme personnifiant la paix tenant un rameau d’olivier : celle-ci peut très bien représenter la France (nom d’ailleurs donné au projet originel du sculpteur Auban : « France »), ou la victoire. Dans le dossier conservé aux Archives municipales du Mans, ce monument est décrit de façon très précise :

  • 68 De nombreux officiers de plusieurs Etats européens ont assisté aux expériences de Wilbur Wright pr (...)
  • 69 AMM, dossier M. 1.16 Ø 603.

« […] pour décorer cette stèle et l’encadrer, apparaît en haut-relief, d’un côté un poilu au milieu des lauriers, de l’autre côté un aviateur pour rappeler que la Sarthe a été un des berceaux de l’armée de l’air, qui a tant contribué à la Victoire68.
Le poilu et l’aviateur sont adossés aux pilastres du Droit et de la Justice, à la base desquels prennent naissance les lauriers, symboles de leur triomphe.
Au milieu et en bas relief, sur la face principale, sont représentées des paysannes en costume du pays, occupées aux travaux des champs, en souvenir de la contribution que la femme française a apporté par son travail, son courage, son dévouement et son énergie au succès final.
Sur la face postérieure, apparaît l’autel de la Patrie avec une lampe symbolique, dont le feu éternel rappellera aux générations futures, la mémoire et le sacrifice des martyrs immolés pour la défense de leur pays et de la race latine.
Au pied de l’autel de la Patrie sont déposés les instruments de travail de diverses professions pour indiquer que toutes sont au service de la France.
Tous les éléments de sculpture ci-dessus énumérés, placés à un niveau élevé, feront le tour de la stèle centrale, de telle façon que cette stèle semble émerger de la décoration69. »

75Monument de deuil et monument de renaissance, le monument aux morts l’est tout à la fois, simplement parce qu’en symbolisant la guerre et tout ce qui s’y rattache, il devient un exutoire du sacré.

La mort éludée, dépassée ?

  • 70 JDLM, 20-21 octobre 1930.

« Ce monument, nous l’avons donc élevé comme un monument expiatoire ; nous l’avons élevé pour l’enseignement des générations qui viendront après nous. Car, pour nous, est-il besoin de vous le dire, le véritable monument aux morts est dans notre cœur, dans notre souvenir où demeurent gravés tous les noms de nos chers disparus70. »

76Ce témoignage très intéressant du maire de Suippes donne une idée, même lointaine, de la façon dont la douleur est ressentie face au monument aux morts. L’adjectif « expiatoire » semble inapproprié, et l’on voudrait y substituer plutôt celui d’« exutoire ». Peut-être d’ailleurs est-ce la signification qu’il voulait exprimer. Pourtant, l’orateur ne semble pas se tromper de sens, et sans doute ressent-il une sorte de faute qu’il ne parvient pas à définir réellement. Exprime-t-il cette sorte de culpabilité particulière d’avoir accepté, participé au déchaînement de la violence, d’avoir accepté la mort de ces hommes jeunes ? On ne peut l’affirmer. Néanmoins, il reconnaît que quelque chose est porté vers le monument aux morts. Et le véritable monument qui est dans le cœur, semble s’édifier plus facilement dès lors que l’on a confié cette part de soi à un objet extérieur.

  • 71 R. Otto, Le sacré, l’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel, (...)

77Le monument, sacré, semble bien être un exutoire du sacré, cet ordre du réel qui échappe à toute catégorisation, qui échappe à toute approche rationnelle, mais paraît en même temps profondément accordé à la réalité humaine, ce que Rudolf Otto, en 1917, appela le « numineux » dont l’expérience ressemble à une mise en abîme71. Cette numinosité, le sacré à l’état pur, violence pure, que la guerre a libéré et révélé, le monument semble en devenir, après la fin des hostilités, une sorte de réceptacle. Qu’il soit l’image symbolisée de la mort violente relève de cette opération.

  • 72 LS, 1er juin 1921.

78Dès lors, le monument aux morts est un objet où deuils et douleurs sont réunis, sur un espace qui devient, s’il ne l’était déjà, lieu de culte des morts. Focalisés en un lieu et un objet, deuil et douleurs sont comme rejetés de la réalité quotidienne, en tout cas, leur part la plus inacceptable, cette part violente qui recèle du sacré. Le monument apparaît aux yeux des contemporains, comme un « mausolée », expression utilisée plusieurs fois dans le journal La Sarthe et les dossiers communaux. C’est en fait le cénotaphe dans lequel sont refoulés les peurs, les angoisses, les terribles souvenirs, ou plus exactement, la part terrible de ces peurs, de ces angoisses, et de ces souvenirs. Plus qu’un symbole, le monument est un exutoire du numineux. Pour Gaudineau, à La-Chapelle-d’Aligné, c’est un « monument de deuil qui évoque l’abnégation et les souffrances de ceux qui sont tombés pour sauver la France de l’invasion72 ». Monument de deuil, où le plus souvent, la mort est évacuée…

  • 73 Vovelle M., La mort et l’Occident de 1 300 à nos jours…, op. cit, 793 p.
  • 74 Hélias Y., Les monuments aux morts ; essai de sémiologie du politique…, op. cit.
  • 75 LS, 18 février 1920.

79En effet, le monument représente une mort collective : cette représentation collective de la mort est difficilement concevable dans la mesure où elle s’oppose à la conception individuelle de la mort en Occident73. Ce décalage peut favoriser le travail de deuil. Comme l’a bien montré Yves Hélias, « ce qui est évacué, ce n’est pas la mort en général, mais la mort nommée, la mort explicite ». Il montre en effet que la croix, lorsqu’elle est présente, « signifie moins la mort en elle-même que la mort christianisée ». De même, les soldats inscrits sur le monument « sont refoulés en face postérieure ou latérale », comme « exclus du monument visible, de son espace lisible74. » Ces morts sont de plus immortalisés, comme le suggère dans une discours le vicomte de Monhoudou devant ses électeurs : « Nous disparaîtrons, les générations se succèderont, les noms seuls de nos héros survivront à jamais75. » D’où l’importance de l’emplacement, non seulement parce qu’il est symbolique, reflet des mentalités, mais aussi parce que le monument n’a pas vocation à changer de place : son espace est inamovible, sinon quel risque de voir se disperser de nouveau tout ce qu’il a engrangé d’images sacrées, d’essence numineuse ! L’immortalité lui confère l’éternité, qui est en soi transcendance de la mort.

*

80Dans l’ensemble, l’étude des deux arrondissements révèle des différences notables, en particulier dans la façon d’exprimer les raisons de la mort de tant d’hommes, et tout simplement dans la façon d’exprimer leur mort. Il semble que dans la Marne, le deuil soit plus ostensible, que l’héroïsation des défunts soit plus évidente. Est-ce l’effet de traits culturels locaux, ou la marque de bouleversements plus durement ressentis dès que l’on se rapproche de l’ancienne ligne de front ? De même, toujours dans le cas de la Marne, la volonté manifeste d’inscrire les noms en face principale, ce qui implique le choix d’une stèle plus que d’un obélisque, de même que la figuration plus courante de la mort, par la représentation des veuves, des tombes, tout cela signifie-t-il que le deuil soit plus difficile près du front ? Enfin, l’étude embryonnaire ici des hommages paroissiaux montre la prégnance des identités culturelles et politiques dans l’expression du deuil. Une telle hypothèse mériterait la comparaison avec d’autres zones de l’ancien front, aux caractéristiques culturelles différentes. Plus généralement, l’inscription du défunt dans un imaginaire héroïque, sinon dans l’éternité d’un Panthéon sécularisé, n’est-ce pas risquer de figer le travail de deuil dans sa première étape, celle de l’idéalisation du défunt et du refus de la mort ?

Notes

1 ADM, 2 Ø 2 014 (Francheville), 2 Ø 2 523 (Maisons-en-Champagne), et 2 Ø 3 149 (Pleurs).

2 ADS, 2 Ø 212/8, Mont-Saint-Jean, (canton de Sillé-le-Guillaume), délibération du conseil municipal du 18 juin 1915.

3 Vavray-le-Grand, décide l’apposition d’une plaque dans une délibération du 15 décembre 1918 (ADM, 2 Ø 4 642).

4 ADS, Lamnay, 2 Ø 157/7.

5 ADM, Clesles, 2 Ø 1 235.

6 ADS, 2 Ø 206/7 (Montbizot), 2 Ø 212/8 (Mont-Saint-Jean), 2 Ø 332/7 (Saint-Victeur).

7 ADM, 2 Ø 5 128. Vroil.

8 ADS, 2 Ø 336/7. Sarcé.

9 ADS, 2 R 43.

10 LS, 15 août 1921.

11 ADS, dossiers de la série 2 Ø. Ce ne sont que des estimations pour certaines, à partir des dates des premiers documents présents dans ces liasses.

12 ADM, Cormicy, 2 Ø 1 340.

13 ADM, 2 Ø 3 106 (Perthes-les-Hurlus), et 2 Ø 2 697 (Le-Mesnil-les-Hurlus).

14 Il s’agit là d’estimations réalisées à partir des devis proposés à la commission préfectorale.

15 ADM, 121 m 101 et 121 m 108.

16 Il s’agit là d’estimations, car le coût de tous les monuments n’est pas connu. Les cantons pour lesquels le chiffre est connu pour au moins 40 % des communes sont pris en compte. Ainsi, une tendance générale peut être approchée.

17 ADS, 2 Ø 315/8, Saint-Paul-le-Gaultier.

18 ADS, 2 Ø 251/7, La Quinte.

19 ADS, 2 Ø 63/7, Ruillé-en-Champagne.

20 Dans cette commune, la dépense s’élève à 30 000 F, soit 24,60 F/hab., pour 4,4 % de tués. Elle constitue une exception par rapport aux communes qui ont subi un préjudice semblable, en raison de la présence proche des prospères fonderies d’Antoigné. Le maire de Sainte-Jamme, Louis Chappée, dirige la fonderie d’Antoigné : il offre à la commune voisine de Saint-Jean-d’Assé le coq qui domine l’obélisque. Certainement a-t-il contribué largement au financement du monument aux morts de Sainte-Jamme. (ADS, 2 Ø 295/7 pour Sainte-Jamme et ADS, 2 Ø 296/7 pour Saint-Jean-d’Assé).

21 ADS, 2 Ø 158/7 (Lavardin), 2 Ø 328/7 (Sainte-Sabine), 2 Ø 301/7 (Saint-Longis), 2 Ø 160/7 (Roullée), 2 Ø 165/7 (Livet), 2 Ø 82/7 (Le-Chevain), 2 Ø 234/7 (Peray), 2 Ø 62/7 (La-Chapelle-du-Bois), 2 Ø 190/9 (Marolles-les-Braults).

22 L’État verse 60 336 F par l’intermédiaire de la préfecture, en trois fois : avril 1922, février et septembre 1924. ADS, 2 R 43.

23 ADM, 2 Ø 56.

24 Ces chiffres concernent 182 communes de la Sarthe, et pour la Marne 270 communes pour le premier chiffre (coût/hab.) et 218 communes pour le second (coût/soldat mort pour la France).

25 L’enquête originellement portait sur le seul arrondissement du Mans, pour lesquels le coût s’élevait à 7 F/hab. et 163,50 F/soldat : les différences s’avèrent minimes.

26 Pour Yves Pilven le Sevellec par exemple, le coût des monuments de la Loire-Atlantique s’élèverait à 6,50 F/hab. et 156,25 F/soldat mort pour la France. Cf. Y. Pilven Le Sevellec, « Les monuments aux morts de la Loire-Atlantique », in Visions contemporaines, no 4, mars 1990, p. 46.

27 Plait A., Les monuments aux morts de la Grande Guerre dans la 3e circonscription électorale de la Sarthe, Maîtrise, (dir.) M. Ménard, Université du Maine, 1993, p. 103.

28 L’enquête a été fondée sur un croisement des sources avec la situation actuelle des monuments. Outre les emplacements proposés à partir de l’analyse des dossiers conservés aux archives départementales, une enquête sur place a été réalisée, dans deux arrondissements témoins, l’un situé dans la Sarthe (l’arrondissement du Mans), et l’autre situé dans la Marne (l’arrondissement de Châlons-sur-Marne). Deux cantons, directement touchés par les combats, et plus proches de Reims, ceux de Beine et de Verzy, ont été ajoutés dans la Marne, afin de vérifier si le fait de se trouver sur l’ancienne ligne de front causait des particularités dans le choix de l’emplacement

29 Les pourcentages de l’arrondissement de Saint-Calais sont certainement exagérés, du fait du nombre réduit de communes. D’autre part, si beaucoup de monuments se trouvant sur une place publique, certains se situent non loin d’un édifice religieux (près d’un tiers du total des édifices).

30 Aubin D., Les monuments aux morts paroissiaux de la Grande Guerre dans le Sud Sarthe, Master 1, (dir.) S. Tison Université du Maine, 2010, p. 45.

31 Pour la pratique religieuse, plusieurs ouvrages donnent quelques indications : G. Clause, Le diocèse de Châlons, Paris, Beauchesne, coll. « Histoire des diocèses de France », 1989, 272 p. ; P. Foucault, Le diocèse du Mans-Laval, Paris, Beauchesne, coll. « Histoire des diocèses de France ».

32 Lorsque la place est située près de l’église ou de la mairie, l’emplacement est classé en fonction de ces deux édifices. La place publique est ici considérée comme un endroit relativement neutre, ou dont la proximité avec les deux autres édifices importants de la commune est difficile à indiquer. Le Mans : 5 emplacements difficiles à déterminer. Châlons : 1 indéterminé, 2 communes sans monument, 2 communes disparues, 3 communes partageant leur monument avec une autre. Verzy : 2 communes disparues.

33 Les radicaux-socialistes font le meilleur score du département dans l’arrondissement de Châlons-sur-Marne aux élections législatives de 1919, avec environ 50 % des voix, tandis que 11,7 % de l’électorat vote pour les candidats socialistes.

34 ADM, 2 Ø 2 349.

35 ADM, 2 Ø 5 109 (Vouzy), 2 Ø 837 (Chaintrix-Bierges), 2 Ø 1 493 (Courville).

36 ADM, 2 Ø 1 535 (Cuisles).

37 LS, 23 août 1921.

38 ADS, 2 Ø 171/7 (Saint-Biez-en-Belin), 2 Ø 15/7 (Bazouges), et 2 Ø 356/7 (Tassé).

39 ADM, 2 Ø 5 128 (Vroil), et 2 Ø 4 692 (Verneuil).

40 ADS, 2 Ø 212/8.

41 ADS, 2 Ø 251/7 (La-Quinte) et 2 Ø 352/7 (Souvigné-sur-Sarthe).

42 JDLM, 19 octobre 1922.

43 ADS, 2 Ø 98/7. Délibération du Conseil municipal du 23 mars 1921.

44 Dans le Sud du département, le nombre d’obélisques est plus réduit (60 %). On compte près de 10 % de statues, la plupart étant des Poilus, les plus coûteux s’élevant dans les cantons situées sur le petit vignoble de Jasnières (La-Chartre, Le-Lude, Château-du-Loir). Plait A., Les monuments aux morts de la Grande Guerre de la 3e circonscription électorale de la Sarthe…, op. cit., p. 65.

45 JDLM, 18 novembre 1926.

46 ADM, 2 Ø 2 476. Lettre du maire de Ludes au préfet de la Marne, datée du 9 juin 1922.

47 ADM, 2 Ø 2 026. Marché de gré à gré signé le 27 juin 1925.

48 ADM, 2 Ø 426. Baye.

49 ADM, 2 Ø 1 133 (Chaumuzy) et 2 Ø 1 170 (Chenay).

50 ADM, 2 Ø 3 663. Romigny.

51 ADM, 2 Ø 1 869. Esternay, chef-lieu de canton.

52 ADM, 2 Ø 739. Broyes.

53 ADM, 2 Ø 4 542. Troissy.

54 Ecl. E, 2 juin 1930.

55 JDLM, 24 septembre 1930. Inauguration du monument aux morts. Les deux derniers noms ont été inscrits en 1926 et 1927.

56 La tombe de Louis Servas (dernier nom inscrit sur le monument aux morts) se trouve dans le cimetière, à une dizaine de mètres. La famille a fait préciser sur la pierre tombale qu’il est « mort des suites de ses blessures » le 3 février 1935.

57 Sur le monument proche n’apparaissent que les noms et prénoms par ordre de disparition et sans date.

58 Dans l’Orne, autre département conservateur, les listes sont établies selon la hiérarchie des grades pour 8 % des monuments. Dans la Loire-Atlantique, c’est beaucoup plus rare.

59 Aubin D., Les monuments aux morts paroissiaux de la Grande Guerre dans le Sud Sarthe…, op. cit., p. 49.

60 JDLM, 9 novembre 1926.

61 Le Journal de Château-du-Loir, 8 octobre 1919.

62 Prost A., Les anciens combattants dans la société française…, op. cit., vol. 3, p. 41 sq.

63 Certains édifices sont naturellement difficiles à classer : par exemple, les monuments atypiques, voire les plaques. Il n’existe pas dans le corpus de monuments pacifistes. Les chiffres indiqués pour les cantons de l’ancien front sont approximatifs du fait du nombre réduit de monuments pris en compte (41 au total).

64 JDLM, 27 septembre 1922.

65 AMR, SG 1919.

66 Idem.

67 Idem. Notice historique du monument aux morts.

68 De nombreux officiers de plusieurs Etats européens ont assisté aux expériences de Wilbur Wright près du Mans entre août 1908 et janvier 1909, tandis que le sénateur sarthois Paul d’Estournelles de Constant invita pour la première fois les parlementaires à envisager l’usage de l’aéroplane par les États au Sénat le 5 décembre 1908. Cf. Tison S., La Belle Époque de la Conquête de l’Air… dans le sillage de Wilbur Wright, Le Mans, SHAM, 2010, 206 p.

69 AMM, dossier M. 1.16 Ø 603.

70 JDLM, 20-21 octobre 1930.

71 R. Otto, Le sacré, l’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », 1969, 240 p. (1ère éd., en Allemagne, 1917).

72 LS, 1er juin 1921.

73 Vovelle M., La mort et l’Occident de 1 300 à nos jours…, op. cit, 793 p.

74 Hélias Y., Les monuments aux morts ; essai de sémiologie du politique…, op. cit.

75 LS, 18 février 1920.

Table des illustrations

Légende Tableau 5. – Le coût des monuments aux morts.
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Légende Carte 6. – Estimation du coût du monument par habitant dans la Marne (Francs de 1920).
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Légende Carte 7. – Estimation du coût moyen du monument par « Mort pour la France ».
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Légende Tableau 7. – Analyse des listes de souscriptions présentes dans les archives sarthoises.
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Légende Carte 8. – Emplacement des monuments dans l’arrondissement du Mans.
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Légende Tableau 10. – Comparaison de l’emplacement des monuments32.
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Légende Carte 9. – Emplacement des monuments dans l’arrondissement de Châlons-sur-Marne, les cantons de Beine et Verzy.
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Légende Tableau 12. – Dédicaces des monuments aux morts.
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