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Comment sortir de la guerre ?

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Stéphane Tison

Première partie. Deuil et traumatisme. La mort de masse et la personnalisation du deuil

Conclusion de la première partie

Texte intégral

1Le sentiment de rupture, que le travail de deuil contribue à réduire, puisqu’il est lié à la perte, entraîne cette volonté de mémoire dont la mort massive a dû accentuer la nécessité. Il fallait distinguer chaque mort : à la fois le distinguer dans la nation, comme « Mort pour la France » afin de donner un sens à sa disparition, et le distinguer parmi les autres morts, ce que permettent les tentatives de personnalisation par le recours à des monuments privés, familiaux, ou intimes. Le nouveau rapport à la mort causée par la guerre ne peut être compris que dans ce processus de construction d’une société de masse dont la Première Guerre mondiale représente une étape vraisemblable, en tout cas la première illustration tangible.

2Car la commémoration, bien entendu, se trouve à la charnière entre la communauté nationale – le groupe –, et le citoyen – l’individu. Et si la commémoration nationale offre une possibilité de sublimer la perte, celle-ci est bien sûr vécue en premier lieu dans la sphère privée et dans le cœur des endeuillés. Les formes de traumatisme concernant les individus sont d’une très grande diversité, car les pertes vécues tant humaines que sociales ou matérielles diffèrent d’une personne à l’autre, tandis que la façon de surmonter cette adversité extrême varie d’une personne à l’autre. Aucune lecture, aucun modèle ne prévaut. Il n’est possible que de proposer des moyens d’approcher, si faire se peut, les formes de traumatisme, à partir des représentations individuelles ou de ce que les endeuillés ont exprimé. Le deuil de guerre, s’il relève bien sûr des catégories cliniques observées par les praticiens, s’exprime dans un contexte particulier que l’historien ne doit jamais perdre de vue.

  • 1 Kantorowicz E., Les deux corps du roi, Paris, Gallimard, NRF, coll. « Bibliothèque des Histoires » (...)

3Toute la commémoration présente ainsi un subtil équilibre entre l’image imposée par la collectivité du citoyen-soldat mort pour la France et l’individu. On pourrait penser, à la suite des travaux d’Ernst Kantorowicz1, que le soldat défunt a bien deux corps lui aussi : d’une part, un corps réel et une identité que la famille essaie de sauvegarder comme elle peut, dont le souvenir est principalement entretenu dans la sphère privée, et d’autre part, un corps symbolique, résumé dans l’expression « mort pour la France », particulièrement représenté dans l’esthétique funéraire de la nécropole nationale. Entre ces deux réalités possibles viennent se placer toute une série de nuances qu’expriment les autres formes commémoratives, la fonction civique étant plus ou moins mise en valeur, de même que la personnalité du défunt. Cette distinction est plus que jamais mise en valeur par l’irruption de l’État dans la vie privée, largement accrue au cours du siècle précédent.

4Pour mesurer la réalité de cette dualité, il paraît nécessaire de poursuivre la réflexion en s’intéressant particulièrement à l’objet principal sur lequel les endeuillés ont pu transférer leurs souffrances : le monument aux morts, enjeu crucial dont la construction constitue un moment symbolique essentiel dans l’expression du traumatisme.

Notes

1 Kantorowicz E., Les deux corps du roi, Paris, Gallimard, NRF, coll. « Bibliothèque des Histoires », 638 p.

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