Les villes de Bretagne au XVIIIe siècle
|3e partie. Villes et économie
Chapitre XIII. Les commerces méditerranéen et interocéanique
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1Nous avons vu l'importance des ventes traditionnelles de la Bretagne que soutenaient toujours les anciens circuits, ici, en France et en Europe, même si ceux-ci connurent quelques bouleversements. Dans ce concert, l'Atlantique comme la Manche servait à relier les ports bretons aux autres ports européens comme ceux-ci participaient à des trafics méditerranéens même si Marseille détenait le monopole du commerce du Levant. Nous en parlons brièvement parce qu'il intéressait Nantes. Il n'était pas négligeable par les produits (savons, huile d'olive, droguerie, soufre, rocou et vins) et les volumes concernés.
- 1 Sur ces questions, outre les ouvrages déjà signalés on peut se reporter à l’excellente synthèse de (...)
2Mais depuis la fin du xve siècle, les progrès de la navigation permirent d'ajouter d'autres domaines à l'expansion commerciale bretonne dans le cadre de la politique de la monarchie1.
Les Îles et la prépondérance de Nantes
3Placée à l'extrémité occidentale de l'Europe, la Bretagne bénéficiait d'une situation exceptionnelle au débouché de la Manche, sur le passage des voies de circulation maritimes atlantiques et se trouvait bien placée pour que ses marins participent à la découverte de nouvelles routes transocéaniques et à l'exploitation des pays lointains. Cependant, les villes maritimes bretonnes n'en profitèrent pas pareillement, leurs armateurs et négociants n'investirent pas également et seuls quelques ports commencèrent à se spécialiser dans ces mondes et activités nouvelles. de Terre-Neuve au Canada, le chemin était court et les Bretons s'y retrouvèrent avec Jacques Cartier à partir de 1534, à défaut de l'or espéré, ils ramenèrent des peaux de castor en si grande quantité qu'ils connurent des difficultés d'écoulement entre 1670 et 1780. Les Bretons s'intéressèrent à d'autres régions du monde en Amérique aux îles, à l'Afrique, à l'Orient. Les principaux ports bretons se partagèrent ces domaines ou chacun occupa bientôt une position prééminente. Si la pêche à la morue avait commencé très tôt, il n'en fut pas de même du commerce avec les îles et le décalage eut son importance.
- 2 O. Levasseur, Les usages de la mer dans le Trégor du xviiie siècle, Thèse Rennes II, juin 2000.
4Le développement des cultures du café, de l'indigo et du coton dans de grandes plantations combiné à la politique de l'Exclusif, obligea d'importer à la fois le ravitaillement, les équipements et la main d'œuvre indispensable aux exploitations que l'extinction des indigènes obligeait à chercher ailleurs. Le commerce des Îles représentait 8 % des exportations en 1720 et 18 à 20 % en 1775. Il s'agissait de marchés très importants dont les négociants de quelques villes s'emparèrent. Ceux de Nantes d'abord, de Bordeaux ensuite. En avril 1717, Nantes, Saint-Malo, Brest et Rouen figuraient parmi les ports autorisés à trafiquer avec les Îles. Encore fallait-il qu'ils puissent en profiter ce qui n'était pas le cas de Morlaix dont les négociants ne se relevaient pas de la guerre2. Deux ports en Bretagne appartiennent au groupe des 8 ports qui assuraient 97 % des exportations en 1773 : Nantes dépassé par Bordeaux et Saint-Malo derrière Marseille et Le Havre. Lorient, Vannes, Brest, Morlaix, Saint-Brieuc ajoutèrent leur part à ce commerce.
- 3 J. Delumeau, Le Mouvement du port de Saint-Malo, 1966. P. Dardel. Commerce…, 1866, note l’envoi de (...)
- 4 AD. 56, E 2241. Mouvement du port de Lorient 1786.
5Le tabac, parmi les premiers produits importés à Saint-Malo disparaît en 1707. de 27,8 % des importations en 1686-1687, il tomba à 5,8 % dès 1699-17003. Nantes en reçut beaucoup mais pas des Îles, et en réexportait peu. En 1778, il en rentrait entre 1050000 L et 1264000 L. Ce produit intéressait l'État depuis 1674 quand sa vente devint un monopole royal. En Bretagne, il installa une manufacture. Il en vint des États-Unis à Lorient devenu après Dunkerque, un des ports américains depuis 1783. Pendant la mémé période, il en arrivait en quantités moindres de Grande-Bretagne et de Hollande, Glasgow et Swansea envoyèrent (mai 1784-mai 1787) quatre bâtiments4. Une partie de ce tabac allait dans les autres ports français en particulier à Bordeaux dont les navires venaient surtout apporter du vin à Lorient, ils repartaient avec des fûts vides mais il leur arrivait de charger des produits coloniaux ; dont du tabac.
- 5 P. Villiers, J.-P. Duteil, L’Europe, la mer et les colonies… 1997. Le principal producteur du sucr (...)
- 6 AD. 56 E 2356.
- 7 J. Meyer, « L’armement nantais au xviiie siècle… ». Actes du 91°, congrès national des Sociétés Sa (...)
- 8 1738/1739 : 55,5 %, 1751/1752 :42,2 %, 1764/1765 : 33,3 %.
6Les Hollandais dominaient le marché du sucre jusqu'en 1664 et le redistribuaient en Europe. Nantes s'y intéressa et 50 navires faisaient alors le voyage, l'intérêt nantais s'accrut d'autant plus que le sucre de « 1715 à la guerre de Sept Ans domine les Antilles françaises5 ». Au début, on le raffinait sur place, mais les marchands de la métropole obtinrent que les Îles expédient des produits semi-ouvrés qu'ils transformèrent dans leur ville. Le sucre (et les noirs) assura pour bien des auteurs, la fortune de cette ville et sa réputation. Les chiffres du commerce décuplèrent entre 1698 et 1789, les chutes en 1745 et en1757 s'expliquent parfaitement par la guerre. En dehors de sucres « testes », brut et terrés, les Nantais écoulaient le « sirop des îles » (rhum), le fret portait sur quelques milliers de livres (record en 1778 : 52 800). Ils le vendaient en Hollande et dans le Nord (20 000 à 50 000 L en moyenne annuelle). Les Anglais, les Danois et les Suédois achetaient le sirop de mélasse (100 000 L). Enfin quelques barriques de tafia trouvaient amateurs ici ou là. Nantes en réexportait de 69,33 % en 1751 à 48,34 % en 1753. Ce commerce se faisait de plusieurs manières, soit en s'intégrant au commerce triangulaire, négrier, soit en « directe » ou en « droiture » en transportant des produits de la métropole aux Îles et en ramenant de l'argent et des produits coloniaux. de 1674 à 1792, ils armèrent ainsi 4988 navires. Mais, il arrivait qu'il se fasse (combien de fois ?) au tiers franc. Dans ce système, le tiers du profit seulement revenait aux armateurs et aux intéressés. Le reste allait au capitaine qui outre le tiers du « lestage et délestage, et le tiers des commissions », payait le tiers « des droits du fret du tonneau cas qu'ils soient exigés » et les « loyers et nourriture des équipages comme courtage », pilotages et frais d'amirautés6. Les armateurs recevaient en plus une prime de 2 s/L sur le produit du fret. Nantes armait ainsi la plupart de ses navires. Avant la guerre de Succession d'Autriche, le trafic nantais vers les Îles comprenait 57 % des navires, 68 % du tonnage. 7 % des équipages. Par la suite, il atteignit 90 % des navires et 97 % du tonnage en 1782. Les Nantais n'expédiaient plus de 1786 à 1792 que 40 à 49 % de leurs navires, soit 60 à 70 % du tonnage. En 1777, les entrées des Îles à Nantes montaient à 24.300.659 L (maximum) en 1780 elles tombaient à 3 927 504 L7. La ville jouait donc le double rôle de transformation et de réexpédition du produit bénéficiant à cet égard de la Loire. Saint-Malo traitait du sucre brut et terré, blanchi aux Îles. Ne constituant que 7.4 % à la fin du xviie siècle, le trafic du sucre atteignait 65,7 % à partir de 1735-1736. Le trafic était inégal, 8 bâtiments accostèrent en 1735 (1300 tx) et 9 l'année suivante (1480 tx), en 1750, 19 bateaux arrivèrent (5 170 tx), en 1773, 16 navires partirent de jaugeant 2740 tx. Trois ou quatre cargaisons amenaient des sucres, des mélasses dont une partie arrivait de Nantes : 203 tx en cargaisons complètes en 37 ans et 6 137 tx en cargaisons incomplètes. À partir de 1750, le commerce du sucre déclina8. À ce produit dominant, s'ajoutaient le café, l'indigo le coton, les bois de teinture et les cuirs secs.
7Les Européens exportaient vers les Antilles de la farine, du bœuf salé, du lard salé, des vins. Les Nantais apportaient aussi des ardoises, des feuillards, des merrains, des textiles, des produits d'équipement, ce qui ne remplissait que faiblement leur cale (15 %). L'arrière pays peu industrialisé et la concurrence des autres ports leur jouait un mauvais tour en la matière (Le Havre avait un coefficient de remplissage de 40 %, Bordeaux de 60 % grâce à ses vins et ses farines, Marseille avait le quasi monopole du savon et des huiles). Cette faiblesse nantaise explique en grande partie la traite, mais l'investissement en droiture était beaucoup plus faible, de 15000 L à 50 000 L contre 250 000 L (20 %). de leur côté, les Malouins, avaient un rôle second, malgré des investissements croissants de quelque 450 000 L par an de 1735 à 1739, puis de 550 000 L de 1772 à 1776 et de 882100 L (USA compris) de 1783 à 1787. Le commerce des Îles, commerce fragile soumis aux aléas des guerres, surtout celle de Sept Ans, ou de la conjoncture donnait, selon Jean Tarrade « l'impression d'une sorte d'essoufflement surtout à partir 1783 », mais il faisait entrer approximativement à Nantes 29 191 949 livres, chiffre supérieur à celui des marchandises fournies par Marseille à la même ville, 2 918 601 L.
- 9 P. Villiers, Traite des noirs et navires négriers au xviiie siècle, 1982. G Martin, L’ère des négr (...)
- 10 P. Villiers, Traite des noirs et navires négriers au xviiie siècle, 1982. G Martin, L’ère des négr (...)
- 11 Ph. D Curtin, The Atlantic Slave Trade, 1969 ; Deschamps, Histoire de la traite des Noirs. de 1763 (...)
8Fournir des hommes, essentiellement des noirs mais pas seulement, ouvrit un secteur commercial sinon tout à fait nouveau, tout au moins lucratif. Le besoin des Îles en travailleurs s'accrut au xviie siècle avec le développement des plantations exigeantes en main d'œuvre au moment où la main d'œuvre locale disparaissait. Une solution consistait à faire venir des blancs, des « engagés », mais outre que leur nombre ne suffisait point, cette « traite blanche » n'avait qu'un temps, l'engagé reprenant, en principe, sa liberté au bout de trois ans pour s'installer à son compte9. En 1642, la traite des noirs avait été autorisée, faible jusqu'en 1650, elle s'accrut ensuite avec plus de 24 000 noirs transportés par an à la fin du xviie siècle. En 25 ans, 602 500 noirs furent ainsi déportés. Au xviiie siècle, bien installé, ce commerce s'amplifia, avec un rythme de 60 000 par an. Dans ce trafic la part de la France de 11 % par an au xviie siècle, monta à 22 % au xviiie siècle. En Bretagne, ce commerce démarra surtout après 17151720 et atteint son apogée en 1792. Nantes en eut la plus grande part en armant 1427 négriers de 1674 à 1792, soit 45 % des armements français, Saint-Malo (216), Lorient (156), Vannes (12 ou 13), Brest (7), Morlaix et Saint-Brieuc (1) portèrent à 57.4 % la part bretonne10. Dans ces derniers ports la participation intermittente ne concerna que peu de navires au cours du siècle. Gaston Martin estime que Nantes traita après 1735, 350 000 noirs, que la ville arma jusqu'en 1793, 1127 négriers de 206 000 tx avec 30 000 hommes d'équipage, 134 navires entrèrent aux Antilles entre 1715 et 1728, 217 en revinrent entre 1764 et 1775. Nantes assurait les deux tiers de la traite négrière vers les années 1726-1736, mais n'en assumait plus qu'un tiers en 1780, tout en restant, avant Bordeaux, le premier port négrier. Reste que ce trafic ne venait à la veille de la guerre de Succession d'Autriche qu'au second rang des activités nantaises : 17 % de l'armement et 16 % du tonnage total, soit une moyenne de 26 négriers par an, 30 en 1740. Cela ne se produira plus que pour les toutes dernières années du siècle en 1786. 1789, 1790 et 179111. La Compagnie ne s'intéressa pas à la traite, mais après 1769, et la création de la 3e Compagnie, des négociants lorientais s'en préoccupèrent et ce dès 1770. Ils partaient surtout sur la côte de Juda chargés de pacotille, de la « rasade » et de cotonnades fabriquées â Rennes à cet usage depuis 1742. Il convient de souligner que la traite négrière concerna aussi l'Île de France base de la traite vers le Mozambique et qu'il fournit un substitut à ceux qui ne possédaient pas les capitaux nécessaires pour un commerce plus long vers les Indes orientales, cela constitua 12 % des navires (33 sur les 258 autorisés par la Cie), 14 % du tonnage (12450 tx/89 852) et surtout 22 armateurs. Saint-Malo sans avoir la renommée de Nantes, malgré les incitations de Colbert et l'obtention du monopole du transport de Guinée en 1707 ne put fournir assez d'esclaves à Cayenne et participa à ce trafic sans grands résultats. D'après Jean Delumeau, entre1698 et 1720, 18 bateaux seulement partirent vers la Guinée, dont 4 en1720. En ce début de siècle et après Utrecht, les négociants malouins investissaient ailleurs, en Asie jusqu'en 1719 grâce aux bénéfices américains. Ensuite, ils ne disputèrent pas le marché de la traite à Nantes. Ils possédaient pourtant des navires techniquement efficaces à l'armement peu onéreux.
- 12 Armes à feu, bassins de Cuivre, Cauris, Cordages, Couteaux, Toiles, Eaux-de-vie, Fers en barres, P (...)
9Ce commerce ne rapporta sans doute pas autant que la légende le fit croire, mais aucun des trois grands ports, Bordeaux, Nantes et Le Havre ne fit l'économie de sa pratique. La traite participait étroitement au commerce général des Îles et sous-tendait pour les détenteurs de capitaux, pour les armateurs, pour les marchands les plus divers, pour les matelots, un marché toujours plus important qui fit le bonheur financier non de quelques-uns mais de tout un groupe et donna du travail à davantage encore. Il fallait, outre la pacotille12 et des armes, surtout des étoffes, les guinées bleues, les guingans qui avaient là un débouché nouveau. La province en produisait une partie, en achetait d'autres, développant de vastes courants d'échanges qui convergeaient à Nantes et vers les grands ports négriers. Les besoins des Africains créaient un appel de marchandises les plus diverses, offraient des débouchés à des produits de moins bonne qualité que ceux qu'achèteraient les Européens du Nord ou l'Espagne. Tout ceci composait l'investissement essentiel. Le Duc de Laval avec ses fournitures ne coûta 20015 L 17 s 9 d, soit 3 % du capital investi. Dans une expédition précédente, Van Alstein commandait un vieux navire d'occasion le Pompée, appartenant à Pierre et Michel Portier de Lantimo qui avaient acquis le corps et les apparaux pour 9 500 L. Arrivé au Cap -Français, ce vieux rafiot ne put reprendre la mer. Le prix de la cargaison retournait dans le port négrier en lettres de change et en marchandises. Van Alstein dans l'entreprise du Duc de Laval, frais et dépenses du navire déduits, envoya 115 410 L 10 s 4 d à l'armateur, rapporta dans ses cales : 113 barriques, une demi barrique et un quart de sucre terré, cinq barriques un quart d'indigo et 67 balles de coton.
- 13 Y. Le Barh, Y. Delaye frères, 1983. Mémoire de maîtrise.
10Les marchands de La Rochelle, de Bordeaux, de Nantes se retrouvaient pour juger la traite favorable à l'économie en procurant de l'argent, des marchandises et du travail : « La traite des noirs est la seule branche du commerce qui présente des perspectives de bénéfices ». Pourtant l'aventure négrière apportait quelquefois bien des déboires. Par exemple, à la famille Cornic de Morlaix qui investit 120 000 L en 1765 et dont l'aventure finit tragiquement. Il n'y eut que deux survivants. Cette famille était en relations avec les frères Délaye, armateurs et négociants. Leur ville d'armement les orientait vers le commerce des Indes, et ils envoyaient surtout leurs navires dans l'Océan Indien. Ils investissaient aussi dans des expéditions organisées par d'autres armateurs, 1/80 dans l'Adèle, négrier frété par Magon la Forest en 1788. Ils participèrent à la traite sur les côtes occidentales africaines, Côte-d'Or, côte d'Angola, côte du Mozambique. Malchanceux, dans leurs derniers armements, les frères Delaye firent faillite. Ils accusèrent leur correspondant, leurs associés sur place, la malchance, mais pas la traite, car écrivaient-ils, alors qu'ils étaient en pleine déconfiture : « ce genre de commerce est celui [qui] enrichit le plus promptement13 ». Pourtant les difficultés étaient nombreuses et le soutien financier des banquiers indispensable, la faillite d'un banquier parisien, le peu d'ampleur de leur société explique aussi leur échec.
11Le commerce avec les Îles, la traite négrière constituaient des opportunités que pouvaient saisir aussi bien ceux qui disposaient de capitaux pour acheter des participations que ceux qui entreprenaient ces voyages grâce à leurs propres moyens. Les négociants, les armateurs, quelques aventuriers de Nantes s'en firent une spécialité. Il en fut de même à Saint-Malo et à Lorient mais à un niveau moindre. Des hommes qui ailleurs n'auraient pu embarquer y trouvaient leur place. Les villes où les armements se faisaient, les ports d'où les navires partaient en profitaient largement. Ce trafic appelait des investissements d'ailleurs, d'autres villes de Bretagne et du reste du royaume.
- 14 AN. G7, 172
- 15 AD, 35, C 3928, Remontrances, article 22, 1760. AD. 35, C 3170 : à Saint- Dominique le millier de (...)
12Le commerce lointain dépendait de la sécurité des mers, de la politique étrangère, des rivalités avec l'Espagne et surtout l'Angleterre et de la politique tarifaire de l'état. Ainsi le prélèvement de 3 % sur les marchandises américaines décidé par l'arrêt du conseil de 1717 et celui de 1 % à 3 % établi le 17 novembre 1727 sur le commerce des Îles et en particulier sur le sucre. En effet, le tarif de 1664, revu à la baisse était tombé à 2 L en 1670. de plus, l'arrêt du 4 juin 1671 exemptait de droits : « les marchandises chargées en ce royaume pour les dites îles » et réduisait à 3 °/ : au lieu de 5 % les droits perçus par la Compagnie sur toutes les marchandises. Nantes jouissait d'un droit particulier, l'arrêt du conseil du 18 décembre 1671 permettait à ses négociants de faire entrer les sucres raffinés par la Loire en payant seulement 4 L par 100 lp. La Compagnie, arguant des dépenses entraînées par la guerre, obtint la révision à la hausse par l'arrêt du 24 mai 1675. Elle perçut 40 sols en plus sur les mascouades et sucres importées. En principe, cet arrêt qui ne concernait pas la Bretagne, ne changeait rien pour Nantes sauf si le sucre raffiné sortait par Ingrandes où il en coûtait 12 L par 100 lp de sucre raffiné et 18 L de sucre royal. Les Nantais protestèrent quoique les 12 L aient été ramenées à 8 L par les fermiers (sans qu'un arrêt annulât les 12 livres). Ils craignaient que leur attitude changeât avec le renouvellement du bail et voulaient garder leur avantage sur Rouen14. Les tarifs de 1675 renversèrent la situation, le cent de sucre raffiné arrivant à Paris valait 39 L 10 s en provenance de Rouen et 39 L 15 s. de Nantes, différence faible mais désavantageuse pour la cité bretonne. Les tarifs sur les sucres, en particulier sur ceux des pays étrangers disparurent pour longtemps après Nimègue et Ryswick, mais la défense de réexpédier de France des sucres bruts eut pour conséquence la création de raffineries nouvelles. En même temps, l'augmentation de la production entraîna une baisse de la livre de sucre qui passa de 24 s en 1664, à 8 seulement en 1685. Période faste aux yeux des États en 1760 : « les raffineries de sucre de la province qui faisaient autrefois une tranche considérable du commerce sont presque entièrement tombées par les droits dont on a chargé les sucres ». En effet, à la fin du règne de Louis XV, plusieurs décisions prises en matière coloniale et douanière inquiétèrent les Bretons, en particulier les Nantais qui regrettaient les mesures adoptées dans les colonies où l'on admettait les étrangers sans difficultés et où des ports francs avaient été instaurés. Ils jugeaient exorbitantes les taxes nouvelles sur les produits en provenance de Saint-Dominique, tant sur les sucres blanc et terré que sur l'indigo et le café. Les Nantais demandèrent donc que les droits fussent rétablis sur le pied de 1770 et ne se firent pas faute de rappeler que : « les colonies [n'avaient] été établies, [n'avaient] été protégées et ne [l'étaient] encore que pour donner de l'extension au commerce, à l'agriculture, aux fabriques et à la navigation du Royaume, elles [devaient] donc constamment rester dans la dépendance de la métropole ». Opinion partagée par Michel Daumesnil, maire de Landerneau, qui demandait aux États en 1776, la liberté de commerce avec les îles françaises d'Amérique15.
Lorient et le commerce des Indes
- 16 Bourde de la Rogerie, idem, J. Conan, La dernière Compagnie des Indes, 1942.
13Ancien, prestigieux, nécessaire, le commerce des Indes restait entre les mains des compagnies étrangères en particulier hollandaise en Insulinde. La volonté de rares ministres, l'activité de quelques hommes qui comprenaient l'intérêt politique et commercial de la chose, aboutirent à la création de sociétés françaises, de compagnies dans le but avéré d'enlever aux étrangers le monopole du commerce des produits orientaux. La base de la conquête économique de Madagascar que l'on croyait riche on or, se révéla décevante. Après bien des tracas, l'île Dauphine devint possession du Roi de France qui choisit l'île Bourbon comme nouvelle escale. Elle suppléait en cas de conflit avec les Hollandais, l'escale du Cap fréquentée en temps de paix. La découverte du caféier sauvage ramena les hommes vers l'île et en fit la prospérité. Avec la création de comptoirs aux Indes, à Surate avec François Martin de 1683 à 1706, à Pondichéry où l'amitié d'un souverain local leur permit de s'installer, les Français commencèrent à se tailler une part du commerce indien en concurrence avec les Anglais qui s'implantèrent d'abord à Bombay, à Madras et sur la côte du Bengale. La Bretagne devint la base de départ de ce commerce avec les Indes, l'Océan indien, le Pacifique. La Compagnie des Indes voulue par Colbert installa son chantier dans les landes du Faouëdic. Elle vendit dans un premier temps ses marchandises à Nantes ou à Saint-Malo. Port-Louis recueillit provisoirement ses cadres. À bout de finances, la compagnie disparut en 1684 pour renaître en1685, favorisant Lorient qui s'appuyait encore sur Port-Louis pour loger ses officiers et sur Nantes pour vendre ses marchandises. Le trafic a peine repris, la guerre de Succession d'Espagne interrompit les efforts des Directeurs qui, avec les actionnaires, voulurent céder les biens de la compagnie au roi en 1702. L'arrêt du 1er avril 1704, en donna le contrôle au souverain. En1706, la déconfiture totale permit aux Malouins qui possédaient des capitaux accumulés grâce à l'aventure des mers du sud de prendre les affaires en main et d'acheter les derniers vaisseaux. Une partie des négociants avaient été convaincus de la richesse asiatique grâce à la course et à la Compagnie de Chine. Quand le 1er avril 1715, le privilège de la Compagnie fut renouvelé pour dix ans, elle devint la Cie des Indes orientales de Saint-Malo au détriment des Nantais eux aussi intéressés. Les Malouins, détenteurs de 25 % du capital, incités par Magon de la Balue, tout en faisant des bénéfices, payaient des redevances pour en jouir ce qui permettait d'honorer les créances et de verser des dividendes aux actionnaires. Pendant cette période, les bâtiments partaient (excepté le Curieux) de Brest et de Saint-Malo. Le retour se faisait essentiellement à Port-Louis (17), à Saint-Malo (7). Les Malouins élargissaient ainsi leur domaine d'intervention en parcourant la route des Indes. Ils gardèrent la haute main sur le commerce indien jusqu'en 1719, où ils durent céder la place à la Compagnie d'Occident créée en août 1717. La guerre de Sept Ans consacra ici comme au Canada la victoire des Anglais déjà installés au Bengale après Plassey. La Compagnie anglaise des Indes Orientales conquit et domina le pays jusqu'en 1850. Quant à la Compagnie française elle dura jusqu'en 1769. Après quelques années d'interruption, elle réapparut par l'arrêt du Conseil du 14 avril 178516. Lorient avait profondément changé. Il s'y faisait de grands armements vers les Indes, la Chine, les îles de France et de Bourbon, les États-Unis. Elle abritait 45 maisons d'armement privées sans compter les six firmes américaines qui s'y installèrent et de Lorient partaient les paquebots pour New York. Plusieurs facteurs avaient concouru en Bretagne au développement de la ville et à sa survie après 1769 : les équipements navals, le port en place dès le début du xviie siècle, la possibilité qu'avait eu le roi de les récupérer et de les transformer, l'implantation précoce d'une main d'œuvre et de gens qualifiés. Au moment où les guerres rendirent difficiles, mais non impossibles, les voyages en Orient, l'installation de la marine royale fixa ce qui existait déjà sur place.
- 17 Sur l’aspect malouin de la compagnie. André Lespagnol, « Cargaisons et profits du commerce indien (...)
- 18 Le Musée de Rennes conserve de très belles pièces de porcelaine de la Compagnie des Indes, en part (...)
- 19 Nadine Gasc, La toile imprimée, une technique, un Art, Musée des Arts décoratifs de Paris, nd. Les (...)
14Lorient disposait d'un vaste domaine élargi ou rétréci au gré des péripéties, aux marchandises recherchées sur le marché européen. Les Bretons concurrencés par Marseille détenteur du marché du Levant, se procuraient par d'autres voies les mêmes produits. Pondichéry fournissait, surtout depuis François Martin, des toiles de coton recherchées. Surate, la côte de Malabar (Calicut), surtout le Bengale avec Chandernagor donnaient du poivre. Les Hollandais en bloquèrent les abords en 1697 et en 1713. Les Malouins, Mahé de la Bourbonnais17. ouvrirent le commerce de la Perse et développèrent le commerce d'Inde en Inde. Ils inventèrent le trafic de Moka en droiture, imités par les Anglais en 1711 et les Hollandais en 1712. Trois expéditions, plus ou moins bénéfiques, la prise de possession de l'île Maurice en 1714, avaient tenté d'obtenir des avantages tarifaires (passer de 5 % à 2 ? % de droits). L'imam de Moka en offrant en 1715, des plants de café à deux capitaines malouins, en laissant l’Auguste charger six autres plants, permit la culture du caféier dans l'île Bourbon. En 1723, le caféier implanté en Martinique profita de la destruction des cacaoyers en 1727 pour se répandre aux Antilles. L'édit de mai 1719, fit perdre aux Malouins le trafic oriental au profit de la nouvelle compagnie des Indes. La dissolution de 1769, le leur ouvrit à nouveau. En 1731, 470 000 lp en furent expédiées vers l'Île de France. Nous retrouvons un Malouin, Grandclos Meslè, lors de la tentative de commerce avec la Chine en 1783 (Canton avait été ouverte en 1780). Le 21 juillet 1783, fut créée une association pour activer le commerce chinois, lors de l'expédition de 1784, le capital s'élevait à 6 Ml en 1200 actions de 5000 L réparties entre Marseille (400), Bordeaux (320), La Rochelle (80), Le Havre (80) et Nantes (140) Lorient (90) et Saint-Malo (90). Deux vaisseaux furent armés à Brest et un à Toulon. L'amour des chinoiseries atteignait les Français amateurs de meubles et de porcelaines ainsi qu'en témoigne le musée de Rennes18, goût déjà ancien qui gagna des couches sociales plus larges. Les navires des compagnies des Indes Orientales ne cessèrent d'en approvisionner le marché. Au début du xviiie siècle, les navires ramenaient des « drogueries et épiceries » où le poivre dominait (17 cargaisons sur 25). Il s'agissait des épices traditionnelles : cannelle, girofle, muscade, benjoin et de dopants, café, thé. Les Malouins rapportèrent 4390000 lp de café et un peu de sucre, Nantes en importa. Les Anglais trouvaient là une partie de leur approvisionnement. de 1730 à 1743, les Nantais, en exportèrent en moyenne 250 000 à 300,000 L par an. L'arrivée en France des étoffes, en particulier des indiennes se heurta très rapidement à la réglementation. Le premier arrêt prohibitif 26 octobre 1686 ne concernait que : « les toiles de coton peintes aux Indes ou contrefaites dans le Royaume et autres étoffes de soie à fleurs d'or et d'argent de la Chine et des dites Indes » donc les toiles d'impression dans le royaume et les toiles peintes à l'importation. L'interdiction d'achat et de vente ne fut totale que le 1er janvier 1688. La Bretagne devint une des régions de contrebande des indiennes. En septembre 1759, le roi accorda l'autorisation d'imprimer sur toile19. Les guerres portèrent à ce trafic un coup funeste sauf en 1764 (73 000 L) et en 1774 (49 800 L). Parmi les produits importés venaient ensuite les matières premières les plus diverses, dominées par le salpêtre (569000 L) et le bois de teinture (290000 L), les cauris (227500 L). En échange, les Français apportaient quelques marchandises : du corail (54,6 %). des draps (37 %), un peu de fer (7,8 %) et des vins (0,3 %), suivaient le plomb et l'étain en quantités infimes. Il s'agissait donc de produits eux aussi importés : les draps d'Angleterre, le corail de Méditerranée, le fer de Biscaye. Seuls les vins provenaient du royaume, de Bordeaux. Perte des devises que les marchands emportaient ; les cargaisons comprenaient alors pour deux tiers des métaux précieux que les Malouins se procuraient au début du xviiie siècle sans grandes difficultés. Depuis ses origines, le commerce avec l'Orient concernait des produits chers importés. Il garda cette caractéristique tant que l'Inde resta intégrée à la zone commerciale orientale. Quand les Anglais dominèrent le pays, l'Inde passa dans la zone européenne et les paiements purent se faire alors par l'émission de lettre de change. Quant aux bénéfices attendus du commerce avec la Chine, ils dépendaient des coûts des marchandises achetées, le thé en particulier et des prix pratiqués en France, et les résultats furent décevants, les frères Delaye qui avaient acheté trois actions en espéraient un rapport de 6 %.
15Lorient avait une place majeure dans ce commerce. Le mouvement portuaire intéressait, pour ce que nous en savons, 150 à 200 bâtiments par an de 1737 à 1747, et 300 entre 1748 et 1756. Après 1763, les entrées tombèrent à 200 en 1766-1767 et 1768. Au total, 5354 navires furent enregistrés, 4162 pour les trafics européens (77,73 %), France comprise. 574 venaient du nord de l'Europe, 310 de la Manche, 71 de la péninsule ibérique, 30 de la Méditerranée. Les autres arrivaient de Bretagne 904 du sud, 2181 de Nantes, 87 du Croisic. Pendant la guerre de Sept Ans, le trafic nantais crût de 337 %, celui du Croisic de 231 %, de La Rochelle de 135 % et de Bayonne de 80 % et Riga, pour les besoins de la flotte, de 100 %. Une partie de ce trafic s'opérait grâce à des prête-noms. Ainsi l'armateur Michel employait les Espagnols auxquels il fréta un navire de 200 tx. Les séries moins complètes pour la fin de l'Ancien Régime, nous laissent des renseignements pour la période de juillet 1775 à mars 1783 (sauf pour trois mois). Nous avons aussi des données sur 1784. Les entrées progressèrent en navires et en tonnage (+ 552 bâtiments et + 17 488 tx). La baisse légère entre mai 1788 et mai 1787 des navires, six, n'est pas significative, elle fut compensée par une hausse du tonnage (+ 2538 tx). Aux sorties : 3653 bâtiments, 187016 tx. 264 navires vinrent de l'étranger pour les trois années complètes, (59042 tx), 381 y allèrent (42 246 tx). Les entrées en provenance de l'étranger représentaient 10,9 % et 29,7 % du tonnage, les bateaux en provenance des ports français seulement 6 % des entrées et 9,7 % du tonnage. L'examen du trafic en 1786, montre une tendance nouvelle aussi bien aux entrées qu'aux sorties : 216 navires entrèrent dans le port, 65 venaient des États-Unis (25 %), 40 de France (18 %), 34 d'Irlande (15 %), 30 d'Angleterre (12 %), 23 des pays allemands (10 %) et 10 de Hollande (5 %). L'ordre différait pour le tonnage, la France venant en tête (10 692 tx, 39 %), puis les États-Unis (8 340 tx), l'Angleterre (3 600 tx, 13 %), les Allemands (2 580 tx, 9 %), les Hollandais (1 350 tx, 5 %) et les Irlandais (1 316 tx, 4 %). Lorient gagnait une sûreté supplémentaire en détachant, en partie du moins, le trafic de la ville de son marché indien. En ce sens, le secteur américain présentait pour elle de grands avantages même s'il déçut par la suite. Néanmoins, Lorient resta jusqu'à la fin du siècle en relations avec l'Océan indien. En regardant les registres des entrées (mai 1784 à mai 1787) et ceux des grands rapports des capitaines (1784 à 1790) nous trouvons toujours les voyages vers les îles de France et de Bourbon : une vingtaine de navires de tonnage moyen — entre 20 et 320 tx — qui n'appartenaient pas à la Compagnie. Ces îles n'entraient point dans son aire, ils avaient seulement pour obligation de revenir à Lorient dont la moitié provenaient tout au moins au début. Une quinzaine de bâtiments allèrent aux Indes.
16Au bout du compte, l'établissement des compagnies à Lorient eut une importance encore plus grande que ne le laissent apparaître les simples chiffres des mouvements des navires. La Compagnie : « consommait par an 5 600 000 L de denrées et de marchandises de la province », elle entretenait « sans interruption 3000 à 4000 ouvriers pour les travaux du port et ce nombre augmentait pendant quatre à cinq mois de 1000 à 1200 journaliers employés à déballer les marchandises [...] les ventes y attiraient un grand nombre d'étrangers qui y faisaient des dépenses considérables... ». Ce jugement porté en 1770 par les membres de la Commission du Commerce des États de Bretagne correspondait au sentiment général. En une centaine d'années, l'entrepôt qui avait permis la naissance d'une grande ville commerçante ne constituait plus qu'un des éléments, certes essentiel mais non unique du commerce lorientais. Trois problèmes se posaient, celui de l'installation du siège de la Compagnie, celui des ports d'arrivée, le règlement de 1685, l'avait été fixé pour les tissus, celui de la vente.
- 20 AM, Nantes HH 250. 270.272. AD. 35, C 1592. Lettre Mellier à de Brou, 21 octobre 172.5. A. Lespagn (...)
17À l'origine, Le Havre et Port-Louis se disputaient les deux sièges de la Compagnie. Port-Louis plus sûr, parce que plus éloigné des bases anglaises, devint le port de retour de tous les navires. Le danger fit décider, après la déclaration de guerre de 1688, que les marchandises importées par la Compagnie seraient vendues à Nantes, elle y acheta 12 000 L en avril 1693, un magasin au bas de la Fosse, à la Chèzine. Quand les Malouins prirent en main les destinées de la Compagnie, la vente d'une partie des cargaisons se passa chez eux ; en particulier celle du café, de moka et un peu des autres matières premières. Ventes souvent fictives, destinées au marché d'Amsterdam. Les poivres et les cotonnades allaient à Nantes (magasins de la Chèzine), les deux tiers des marchandises arrivaient à Port-Louis pour y être déchargées. Toutes ces ventes étaient soumises à des réglementations qui donnaient lieu à des contestations, en particulier en 1725, en 1730. Bien des acheteurs contrevenaient à l'obligation de la marque et la Régie des Fermes n'intervenait « que si les marchandises des Indes [étaient] saisies sur la rivière ou dans les passages par les bateaux des Fermes ». La Compagnie des Indes faisait payer un droit de 10 sous par lot de marchandises pour l'entretien de la chaussée de la Chèzine. Les marchandises de la Compagnie des Indes se vendaient par adjudication au plus offrant dès huit heures du matin. Le paiement se faisait au comptant ou par lettre de change soit à une usance (le 1er décembre), à deux usances (1er janvier 30) (pour une vente effectuée le 3 octobre 1728). Aucune lettre n'était émise pour moins de 1 000 L. On les émettait sur les principales places françaises et européennes. Pour Lyon, à deux usances, pour Madrid, Cadix, Amsterdam, Londres, Anvers. Hambourg, Gênes où il y avait un change établi, réglé au cours de Paris et les marchands choisissaient avant la livraison de la marchandise, si leur lettre devait être stipulée au cours du jour. L'escompte montait à 5 % pour les cafés et l'usance à 4 % ; deux usances à 3 %. Pourcentages qui passaient respectivement à 10 %, 9 % et 8 % pour les autres marchandises. Tous les droits d'entrée du Royaume pesaient sur ce trafic selon le tarif de 1664. Les 3 % du bureau de la Prévôté s'y ajoutaient à Nantes. Par contre le passage par les provinces ou pays réputés étrangers exemptait les marchandises sauf des droits locaux (le thé n'était pas concerné). Réexpédiées à l'étranger, elles jouissaient pendant six mois du privilège d'entrepôt à compter de la vente et ne payaient rien. Il était de même des soies crues de Tany et de Pékin sur lesquelles on ne prélevait que les 6 sols par livre. On levait 3 % sur le thé et 6 % sur la porcelaine20.
18Les rapports avec l'Extrême-Orient ne se limitaient pas aux Indes. Dès la fin du xviie siècle (après Nimègue) et jusqu'en 1688, des relations s'établirent avec le Siam, une des rues de Brest en garde le souvenir. Nous avons déjà parlé de l'intérêt porté à la Chine et au Japon. Ces régions attiraient les marchands ainsi que le prouve leur attitude de 1769 à 1785 : débarrassés du monopole de la Compagnie, ils armèrent 411 navires qui franchirent le cap de Bonne-Espérance. Quand fut créée la nouvelle Compagnie, les armements privés eurent un délai de 24 mois pour rentrer à partir de la date de sa création.
Conclusion
- 21 Savary des Brûlons, Dictionnaire universel, éd.1726-1732. En 1717 ; la valeur du seul commerce bor (...)
- 22 P. Butel, Les Négociants bordelais, l’Europe et les îles…, 1967. En 1767-1780, Bordeaux assurait p (...)
- 23 P. Butel, idem, p.44-41. D’après B. Schnapper, op. cit. P. 333. Ce commerce portait sur 25 à 30 mi (...)
- 24 Ch. Carrière, ibid. P. Léon, « L’élan industriel… », Histoire économique t. II, p. 505 parlait d’u (...)
- 25 P. Jeulin, L’évolution du port de Nantes,1929.
- 26 AD. 35, C 1588.
19Savary des Brûlons estimait le commerce exportateur breton, fin du xviiie siècle, à 16375000 L en année commune21. Les produits textiles représentaient 81,83 % du total (13,4 ML), les toiles fournissant et de loin le poste le plus important (89,55 % des produits textiles, et 73,28 % de la valeur totale). Les chanvres, les suivaient, venaient ensuite les produits de l'agriculture et de l'élevage, les vins, la pêche et le sel. Ajoutons le fer, la papeterie et les bois. Il s'agit là d'un commerce classique dont la gamme des produits n'avait guère varié depuis le Moyen Âge, mais qui, entre 1640 et 1680, commençait a passer d'un type de commerce ancien, axé sur l'Europe, au grand commerce atlantique international et colonial. Nantes et Lorient jouaient en ce dernier domaine une partie intéressante tandis que Saint-Malo se cantonnait, pour l'essentiel, dans des activités fortement influencées par ses activités antérieures et surtout ses anciens clients : les pays méridionaux, l'Espagne, les pays du Nord. Les produits venant d'Europe représentaient seulement 6,92 % des importations françaises. En ce qui concernait le commerce des Îles, l'examen du commerce nantais montre son évolution. En 1730, il montait à 14248000 L quand Bordeaux atteignait seulement à 8,524 ML et Marseille à 2,547 ML. Cette suprématie nantaise fut mise en brèche par la croissance des autres ports français. de Bordeaux d'abord qui atteint 4 % par an de 1784 à l78 922 mais aussi de Rouen et du Havre où la part du commerce colonial passa de 2 % en 1730, à 15 % dès 1734. Dans ces villes, elle se maintint à peu près avec 13 % en 1753, ce qui les plaça au quatrième rang en 1777, après Bordeaux, Nantes et Marseille, pour arriver à 26 % en 1786. Le simple examen des importations dans les ports bretons, nous prouve qu'elles dépassaient largement les besoins de la province qui en redistribuait la plus grande part. Grâce à Lorient, le marché extrême-oriental, celui des Indes s'ouvrit largement. La liberté donnée en 1769 n'entraîna pas une modification immédiate de cette situation et il fallut attendre les années 1780 pour que les Bordelais s'y intéressent particulièrement23. Par contre, les Marseillais avaient le monopole du commerce du Levant24. Le hasard d'un litige entre les Fermiers des octrois de Nantes et la ville, nous fournit pour les années 1763-1787, les chiffres des importations marseillaises à Nantes25. Quatre produits, savons, huile d'olive, soufre et rocou, droguerie, arrivaient auxquels s'ajoutaient quelques barriques de vin. À la veille de la guerre d'indépendance américaine, nous possédons les chiffres des importations et des exportations des départements de Rennes et de Nantes26. La part du département de Rennes qui comprenait Saint-Malo et Morlaix, inférieure à celle de celui de Nantes, connut un déséquilibre entre 1770 et 1776. En 1770, Nantes avait des rapports importants avec la Hollande, le Nord, la Russie et les Flandres autrichiennes. En 1776, cette ville importait autant d'Espagne et Rennes la dépassait pour le Nord, la Russie, et le Danemark. En 1770 comme en 1776, les importations dépassèrent les exportations surtout en 1776, avec les arrivées massives des Îles et de l'Océan indien.
20Dans les années qui précèdent la crise de la fin du siècle, la Bretagne apparaît comme une province dont le commerce extérieur ne tranchait pas avec celui du commerce français mais où les fortes variations des arrivages d'outre atlantique jouaient sur les mouvements portuaires de Nantes et Lorient. En vingt ans, malgré des résultats inégaux selon les années, nous constatons la permanence du commerce des productions traditionnelles bretonnes dont le débouché naturel est la Bretagne elle-même pour une part impossible à chiffrer. Le surplus ou les manques provenaient soit du reste du royaume, soit des pays européens fournisseurs habituels. La source principale de l'expansion commerciale bretonne de l'enrichissement de ses élites, du développement de quelques villes se trouvait outre-mer, aux Îles, en Orient. Face aux difficultés, les individus impliqués, les communautés, la Province cherchaient dans plusieurs domaines à infléchir la politique de l'État au mieux de leurs intérêts.
Notes
1 Sur ces questions, outre les ouvrages déjà signalés on peut se reporter à l’excellente synthèse de J.-P. Leguay. « Ouverture de la Bretagne sur le grand commerce progrès et limites », Fastes et malheurs de la Bretagne ducale, 1213 -1532, J.-P. Leguay, H. Martin, chap. XIV.
2 O. Levasseur, Les usages de la mer dans le Trégor du xviiie siècle, Thèse Rennes II, juin 2000.
3 J. Delumeau, Le Mouvement du port de Saint-Malo, 1966. P. Dardel. Commerce…, 1866, note l’envoi de sucre, de café, de coton en faible quantité à Rouen au xviiie siècle. M. Delavalle, Le grand commerce malouin de 1681 à 1770, Mémoire, 1970. IARH. Le tabac antillais passait pour médiocre, les tabacs de Virginie, des Bermudes, des Antilles espagnoles et celui nouvellement implanté en Europe le concurrençait (M. Devèze, op. cit. p. 199). J. Tarrade, op. cit. p. 747.
4 AD. 56, E 2241. Mouvement du port de Lorient 1786.
5 P. Villiers, J.-P. Duteil, L’Europe, la mer et les colonies… 1997. Le principal producteur du sucre, Saint-Domingue en produisait 7000 tonnes en 1714, 43000 t. en 1742 et 80000 en 1778. J. Tarrade, Le commerce colonial, p. 747 : toutes quantités confondues : 1 324 733 q (1765). 1,871 280 q 1790). Au minimum : 1 297 116 q en 1767 (ou 1 116 618 en 1783 autre source), maximum 2 065 106 (1788) ou 2 370 340 (1778). Là dessus Nantes en réexportait (en valeur 15.2 %. Marseille 17,3 % et Bordeaux 67,4 %).
6 AD. 56 E 2356.
7 J. Meyer, « L’armement nantais au xviiie siècle… ». Actes du 91°, congrès national des Sociétés Savantes. Rennes, 56, publié en 1969, t. I, p. 152.
8 1738/1739 : 55,5 %, 1751/1752 :42,2 %, 1764/1765 : 33,3 %.
9 P. Villiers, Traite des noirs et navires négriers au xviiie siècle, 1982. G Martin, L’ère des négriers, J. Meyer qui place le sommet de la traite non en 1776, mais en1782. Gabriel Debien, Documents sur la Traite (xive-xixe siècles), Centre de Recherche sur l’Histoire de la traite atlantique, Université de Nantes, 1972, p 185 et suivantes.
10 P. Villiers, Traite des noirs et navires négriers au xviiie siècle, 1982. G Martin, L’ère des négriers, J. Meyer qui place le sommet de la traite non en 1776, mais en1782. Gabriel Debien, Documents sur la Traite (xive-xixe siècles), Centre de Recherche sur l’Histoire de la traite atlantique, Université de Nantes, 1972, p 185 et suivantes.
11 Ph. D Curtin, The Atlantic Slave Trade, 1969 ; Deschamps, Histoire de la traite des Noirs. de 1763 à 1770, les bâtiments nantais ont débarqué 50881 noirs (soit 6360 par an). de 1785 à 1789, 497 négriers français (586 tx en moyenne) ; ont transporté 151 879 noirs (30 376 par an). Nantes arma 195 négriers (40 ; 70 %). J. Meyer. Histoire de Nantes, p. 136. Le trafic nantais démarra lentement par l’intermédiaire de la Cie du Sénégal (9 négrières de 1702 à 1704), puis attente de 1707 à 1711, enfin essor lent, 7 en 1712, 14 en 1713, 20 en 1715, 2 en 1716… P. Villiers, rappelle que Nantes obtint en 1713 le droit d’envoyer 15 navires sur les côtes africaines, et qu’il faut attendre le 16 janvier 1716 pour que le privilège de la traite fut accordé à 5 ports : Rouen, St-Malo. Nantes, La Rochelle et Bordeaux. C’est à ce moment-là que les Montaudouin s’imposèrent. de 1715 à 1720, les Nantais achetaient partie des noirs aux Compagnies de Guinée et du Sénégal.
12 Armes à feu, bassins de Cuivre, Cauris, Cordages, Couteaux, Toiles, Eaux-de-vie, Fers en barres, Pipes et Vins (liste P. Jeulin).
13 Y. Le Barh, Y. Delaye frères, 1983. Mémoire de maîtrise.
14 AN. G7, 172
15 AD, 35, C 3928, Remontrances, article 22, 1760. AD. 35, C 3170 : à Saint- Dominique le millier de sucre brut valait12 L 1770, 15 L. en 1771 ; celui de sucre terré, 24 L et 30 L, la lp d’indigo 0 L.6 s.6 d, à 0 L.8 s.4 d, de café 8 d à 1 s.2 d. s’ajoutaient des droits de 30 % à 60 % en arrivant en France. Les taxes sur le café correspondaient au sixième du prix de îles, à 14 d la lp (5,83 %), passant à 9 et 10 s (11,66 %), elles devenaient exorbitantes.
16 Bourde de la Rogerie, idem, J. Conan, La dernière Compagnie des Indes, 1942.
17 Sur l’aspect malouin de la compagnie. André Lespagnol, « Cargaisons et profits du commerce indien au début du xviiie siècle », ABPO, 1982. n° 3. 313 et suiv. Bourde de la Rogerie, Les Malouins aux îles de France et de Bourbon. 1935.
18 Le Musée de Rennes conserve de très belles pièces de porcelaine de la Compagnie des Indes, en particulier un pot à eau avec une cuvette. L’inventaire de la vaisselle de l’intendant en 1771 (AD. 35, C 2) comprend 26 tasses à café avec leur soucoupe (valeur 26 L). une théière des Indes (3 L 10 s.), 12 petits pots des Indes pour la crème, 14 douzaines et 7 assiettes des Indes à 10 L la douzaine
19 Nadine Gasc, La toile imprimée, une technique, un Art, Musée des Arts décoratifs de Paris, nd. Les rideaux venaient de Sarah ou de Mazulipatam (Côte de Coromandel), les « fuses » des Indes arrivaient par l’intermédiaire du marché d’Ispahan.
20 AM, Nantes HH 250. 270.272. AD. 35, C 1592. Lettre Mellier à de Brou, 21 octobre 172.5. A. Lespagnol op. cit., p. 346. T. LE GOFF, Les ventes de la Compagnie des Indes à Nantes, 1722-1733, mémoire de maîtrise Rennes 2, 1984. AD. 35, C 1592. Arrêts du 27 janvier, 8 juillet 1722 du 28 septembre 1726 et 14 septembre 1728. C 1524 Les soies dites de Nankin et « venant de l’étranger » entraient par Rouen, Lorient, Nantes. Dunkerque et par les bureaux de Saint-Laurent-du-Var, Lille et Strasbourg. On percevait 14 sols par lp
21 Savary des Brûlons, Dictionnaire universel, éd.1726-1732. En 1717 ; la valeur du seul commerce bordelais était de 13 M L.
22 P. Butel, Les Négociants bordelais, l’Europe et les îles…, 1967. En 1767-1780, Bordeaux assurait plus de la moitié des importations françaises de ce marché. En 1751-1755, 68 navires partaient d’ici contre 55 à Nantes. Marseille est passé au second rang de ce commerce À la fin du xviiie siècle en valeur. la part des îles était de 23 % du commerce total du port (Ch. Carrière, idem p. 65).
23 P. Butel, idem, p.44-41. D’après B. Schnapper, op. cit. P. 333. Ce commerce portait sur 25 à 30 millions de livres par an, de 1763 à 1769 sur environ 45 ML en 1789 autour de 60 ML, soit 1/20 du commerce français.
24 Ch. Carrière, ibid. P. Léon, « L’élan industriel… », Histoire économique t. II, p. 505 parlait d’un trafic contrasté avec le Levant.
25 P. Jeulin, L’évolution du port de Nantes,1929.
26 AD. 35, C 1588.
Table des illustrations
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Titre | Entrées à Nantes des marchandises en provenance de Marseille |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/11028/img-1.png |
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Titre | Importations 1750-1751 |
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Titre | Exportations 1750-1751 |
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Titre | Traite à Nantes |
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Titre | Évolution du trafic |
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© Presses universitaires de Rennes, 2004