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Les villes de Bretagne au XVIIIe siècle

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Claude Nières

3e partie. Villes et économie

Chapitre XII. L'industrie du bâtiment et des travaux publics

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

1Les travaux qui marquèrent les villes au cours du xviiie siècle, quelle que fut leur étendue, leur utilité et leur coût engagèrent des moyens humains et matériels et donnèrent aux industries du bâtiment et des travaux publics une place que d'aucuns ont jugé primordiale dans les industries urbaines.

Place de l'industrie du bâtiment

  • 1 C. Nières, La reconstruction, À Montpellier 3 à 4 % du capital investi en ville. 7 à 8 % dans les (...)
  • 2 AD. 22, C 2,12 et 14 octobre 1785.
  • 3 Claude Nières, idem.

2Peut-on considérer avec Pierre Chaunu que cette branche industrielle fut la première ou en tout cas parmi les plus importantes de cette période ? La demande, dans la plupart des villes bretonnes, se limitait au lent renouvellement du parc des bâtiments, rares furent les grands chantiers comme ceux de Rennes, de Lorient, de Brest ou de Nantes. Construire une maison pouvait impliquer des motivations diverses : se loger, placer des capitaux dans un système de rendement lent. Le loyer devait correspondre à 5 % du capital investi, règle appliquée pour indemniser des propriétaires expropriés à Fougères, Rennes et Dinan pour évaluer le montant des pertes après incendies. À Rennes, l'on assista à une brusque augmentation des prix locatifs ou de vente après l'incendie de 17201. Le prix du terrain fixé alors à 30 L, oscillait selon les emplacements de 18 à 48 L en 1728-1729, puis de 10 à 61 L en 1723-1724. Le jeu de l'offre et de la demande tenait davantage compte de la situation que du type de bâtiment. La volonté spéculative des promoteurs de Saint-Malo ou de Nantes se manifesta par la création de lotissements pour gens aisés ou par le développement de quartiers plus composites hors des limites du centre ville. Néanmoins ce type de placement produisait toujours une rentabilité lente et moyenne, avec des risques connus et acceptés. Bâtir demandait quelques certaines de livres pour une petite maison, moins encore pour des baraques et des dizaines de milliers pour un bel hôtel ou un immeuble de rapport. Il s'agissait alors d'un investissement lourd et réunir de telles sommes dépassait souvent les possibilités d'un seul. À Rennes, il fallut constituer des sociétés, premières formes de copropriété. Il convient aussi de distinguer le marché immobilier d'occasion du marché du neuf aux possibilités d'emprunter réduites dans la mesure ou le bien ne constituait pas un gage réel. Il fallait alors soit posséder d'autres biens, soit que l'on dérogeât à la règle, ce qui fut le cas à Rennes. La variation des taux d'intérêt gênait ou stimulait les investisseurs. À Rennes, au début du siècle on emprunta au denier 12 ou 16, loyer de l'argent attractif pour les préteurs mais dissuasif pour les emprunteurs. La décision, le 24 août 1720, de passer au denier 50 eut l'effet inverse. Le retour au denier 20 fut un compromis sage entre les deux partis. À Dinan, après l'incendie de 1781, on procéda comme d'habitude à l'estimation des pertes immobilières : 27 maisons détruites, dont 23 en bois et 4 en pierre. L'ensemble avait faible valeur, une seule maison atteignait 7 000 L, la moins chère seulement 500 L. A Châtelaudren (16 maisons détruites en 1783), à Lamballe (4 maisons en 1785),) le prix moyen, 1400 L, était semblable2. Seuls quelques hôtels dépassaient 10 000 L, telle cette propriété qui passa de 12 825 L à 20 000 L après contre-expertise. En ne tenant pas compte de cet édifice, le prix moyen des maisons incendiées à Fougères, 2 247 L (47 maisons) était nettement inférieur à celui des maisons incendiées à Rennes en 1720 (6 600 L). Les bâtiments plus importants de la capitale expliquent cette différence. Or, le remplacement de toutes ces maisons exigea que les propriétaires satisfassent à des règlements qui augmentaient le coût de remplacement, À Dinan, le rapport entre les deux variait de 1,5 à 7,1 avec une moyenne de 3,43.

3Les ouvriers du bâtiment vivaient de ce marché, mais peu pouvaient se vanter de vivre bien. Le prix de la main d'œuvre constituait le huitième ou le dixième du prix de l'ouvrage ou plutôt du gros oeuvre. Il convient d'ajouter le coût de l'aménagement intérieur. Terrassement, maçonnerie, charpente, toiture revenaient à 84 % du prix total, le reste, menuiserie, vitrerie, serrurerie, à 16 %. Menuisiers, peintres, serruriers intervenaient d'ailleurs à la fois dans la construction et dans la finition. Ensuite, entraient tous les objets indispensables à la vie des occupants et que les inventaires après saisies ou décès nous restituent : équipements très élémentaires, coffres à habits, quelques lits souvent clos, meubles plus diversifiés, plus nombreux, plus chers propriété des citadins plus aisés. La fourniture de ces objets, de ceux de cuisson, assurait la vie des artisans qui les fabriquaient ou qui les réparaient. Souvenons-nous que l'on estima leur perte à Rennes au quart ou au tiers du prix total de la maison. Toute ville possédait les corps de métiers indispensables à l'entretien et au renouvellement normal de son bâti. L'ouverture de multiples chantiers comme à Rennes, le changement des normes de construction obligeait de faire venir d'ailleurs les maçons, les plâtriers qui manquaient, des sculpteurs, des horlogers, des facteurs d'orgues pour les églises.

Les travaux publics

  • 4 AD. 35, C 4717-4719 ; 5493. Comptes des hors-fonds.
  • 5 AD. 35, C 4745. Ponts et chaussées, 1728-1762, 1er mai 1728, 29 mai 1729, 23 janvier 1735 trois ad (...)

4Marché d'une autre nature, celui des travaux publics dépendait des administrations de l'État, des États, des communautés, des généraux des paroisses. Architectes, ingénieurs du Génie ou des Ponts et Chaussées, entrepreneurs expérimentés en avaient souvent la direction. Des chantiers particuliers obligeaient à faire appel à des ouvriers qualifiés venus d'ailleurs. L'immense majorité des travailleurs se trouvait sur place, soit dans la ville et les paroisses voisines, soit dans la région. Pour les ouvrages d'art. la réfection des routes et des rues, l'on s'adressait à des entrepreneurs spécialistes qui utilisaient des ouvriers qualifiés pour encadrer les manœuvres, les « Lamballais » se déplaçaient d'un chantier à l'autre. On désignait ainsi les spécialistes du pavage souvent choisis pour être piqueurs. Parmi les entrepreneurs, les uns se tournaient exclusivement vers les travaux de voirie, les autres vers les ouvrages d'art, ponts, ponceaux, digues, môles, quais. Ainsi de 1729 à 1731, 14 entrepreneurs passèrent des marchés de voirie : huit conclurent pour la réparation ou la construction de ponts, deux (Le Saché et Jean Desnos) inclurent dans leurs contrats des travaux de réfection de routes et de rues. En 1785-1789, deux entrepreneurs sur 19, se spécialisaient dans les ouvrages d'art4. Leurs interventions avaient un caractère plus régional que local. Quelques familles s'emparaient des principaux chantiers : une vingtaine pour l'ensemble de Bretagne. Jean Béron décrocha en 1737, le chantier de la Madeleine à Rennes (28 700 L) et Louis celui de l'écluse de Joué (24 000 L). Quelques années plus tard, Jean intervint sur cinq chantiers ordonnés par les États5. Pierre et Julien Baudouin obtinrent plusieurs adjudications, Le Saché de même. On les soupçonnait d'ententes pour avoir des baux satisfaisants et ils se portaient cautions les uns les autres. Le marché des ouvrages militaires les intéressait aussi. L'État passait des baux d'entretien des bâtiments et quelquefois décidait la construction d'ouvrages nouveaux. Là encore, des maçons de qualité, en nombre réduit, confisquaient les marchés. L'examen des adjudications permet de distinguer les entrepreneurs d'entretien se chargeant des petits et moyens travaux de ceux intervenant dans les gros ouvrages. de 1705 à 1740, les marchés concernant le château du Taureau, oscillèrent entre 119 L (1723) et 1887 L (1717) avec une moyenne de 628 L. Quand la guerre de Succession d'Autriche obligea de renforcer le château, Jean Poterel remplaça Jean Lesneven pour un marché de 9000 L en 1741, de 15 113 L en 1742 et de 14 208 L en 1743.

  • 6 P Lelièvre, idem, 255 000 L pour aménager l’île Feydeau (1731-1737), AD. 35, C 664. Garengeau esti (...)

5La construction d'un ou plusieurs édifices publics, l'établissement ou le rétablissement de la voirie, le remplacement d'un pont, l'édification de fortifications coûtaient cher. Plusieurs millions furent investis pour construire, améliorer, entretenir les fortifications bretonnes. Pour s'en tenir aux édifices civils à Rennes, Robelin prévoyait 348 000 L pour l'hôtel de ville, le présidial et la tour de l'horloge, Gabriel 561 704 L et il fallut débourser 929 203 L. de 1721 à 1760, dix chantiers principaux, non compris le pavage, revinrent à 1 247 594 L, on estimait le prix des fontaines à 123 954 L et la réfection des pavés valut au moins 257 543 L. À Quimper, la construction de l'auditoire prévue en 1757 devait coûter 80 000 L. À Nantes, l'on édifia la bourse, les théâtres, le pont du Pirmil, les quais6. Toutes ces commandes fournissaient du travail aux gens du bâtiment de la ville ou des alentours. Mais nous l'avons vu, ces travaux importants ne concernaient que peu de cités. La plupart du temps, les marchés des travaux publics n'entraînaient que l'engagement de quelques centaines de livres à la hauteur des capacités financières des communautés alors que le coût élevé de certains projets les firent abandonner ou retarder. Un des meilleurs exemple est celui du pont Saint-Nicolas de Redon dont la reconstruction montait à au moins 80 000 L. À Rennes, quand il fallut refaire le pont Saint-Martin, la première estimation (38 644 L) jugée trop forte, fit modifier le projet en passant de cinq, à trois arches pour abaisser le prix à 23 767 L. Il fut adjugé à 24 400 L.13 s. À titre de comparaison, le pont provisionnel mis en place par Bayonnais avait coûté 3 000 L. L'on comprend dès lors que des municipalités tentèrent la chance et se contentèrent de cette solution provisoire.

L'adjudication des marchés

6Tout chantier excédant 100 L entraînait obligatoirement une adjudication. Quand une communauté urbaine ou toute autre collectivité désirait entreprendre des travaux, elle commençait par en confier l'étude à un technicien, dans l'immense majorité des cas à un ingénieur des ponts et chaussée. Si le projet lui convenait, elle procédait ensuite à un appel d'offres par bannies partout où l'on pensait trouver des gens intéressés. L'ampleur du futur chantier déterminait le champ plus ou moins vaste d'information. Si, au contraire, la première étude ne convenait pas pour des raisons techniques et surtout financière, elle la faisait recommencer jusqu'à ce qu'elle estimât pouvoir entamer la procédure d'adjudication. Le jour dit, celle-ci se faisait à la chandelle et au moins disant sous la présidence ou la surveillance du subdélégué, des commissaires des États quand ils étaient concernés. Elle pouvait s'étendre sur plusieurs jours, sur plusieurs semaines, entraîner des bannies supplémentaires jusqu'à ce que le prix proposé parût convenable. Toute modification ultérieure justifiait l'ajustement du marché. Le dernier enchérisseur ne devenait adjudicataire qu'après avoir présenté sous 24 heures, sa ou ses cautions. Leur choix importait beaucoup aux maîtres de l'ouvrage pour lesquels ils représentaient la seule garantie en cas d'ennuis. Le chantier pouvait amener l'intervention de corps de métiers différents. Dans ce cas, soit un entrepreneur se portait adjudicataire de l'ensemble et sous-traitait ensuite, soit il se formait une société d'entrepreneurs solidaires, soit enfin, les marchés s'adjugeaient séparément. Nous avons trouvé les trois cas d'espèce en étudiant la reconstruction de Rennes. Ce système ne donna pas toujours de bons résultats, la qualité du travail effectué laissait quelquefois à désirer et les traitants n'en tiraient pas souvent les avantages escomptés. Il y eut des réussites remarquables. Il suffit pour s'en convaincre de visiter la place du Parlement ou de regarder l'histoire de quelques familles. Par exemple celle de Michel Lelièvre sieur de la Bessonnière, architecte à Redon de 1728 à 1784. Fils de Jacques, maître tailleur de pierre dans cette ville, gendre de Mathurin Jessé, maître menuisier, il laissa à ses héritiers une solide aisance où l'immobilier tenait une bonne place (23 pièces de terre, quatre maisons). Un de ses frères restait dans le bâtiment, l'autre, François, devint marchand de drap. À l'inverse, des entrepreneurs embarqués dans de mauvais chantiers firent faillite et le Rennais, Pierre Louis, obligé de vendre sa maison n'en tira que 300 L pour une mise à prix de 2 000 L. Ses créanciers ? Des boulangers (30 L à l'un, 400 à l'autre), un boucher. Venaient ensuite des créances chirographaires et des salaires non payés. Il devait de 10 à 24 L à sept charpentiers. 13 L à un maçon, 15 s à un couvreur, 40 s à un taillandier. Il expliquait sa faillite par de mauvaises estimations et par les retards de paiement de ses clients. Nous avons là, les deux raisons les plus communes des difficultés. Dans bien des cas, les artisans avaient du mal à se faire payer. Pendant des années, les héritiers d'un ouvrier serrurier rennais durent se battre pour être remboursés des avances qu'il avait faites. Toussainte Mallard, veuve de Vivier Huet entrepreneur à Hédé, réclama longtemps aux États les sommes dues à son mari. En 1748, les héritiers de Valette constructeur du pont du Pirmil en 1685 demandaient 20 225 L et la décision du 23 janvier 1762... rejeta leur requête.

  • 7 François Chevalier fournit les plans d’un canal de Nantes à Rennes (1716), il fut l’un des adjudic (...)
  • 8 AD. 35, C 387, Le Roux et se plaignaient en 1787, de ne pas trouver de harnois pour transporter le (...)
  • 9 Chevalier avait estimé la toise cube de maçonnerie à 50 L. 8 s 8 d (27 juillet 1778) et Friquet à (...)

7Malchance, manque d'argent expliquent en partie ces déboires. Mais la lecture des dossiers montre l'engagement de certains dans des travaux au-delà de leurs facultés. Delouche, Pelé et Patrice de Dol se chargèrent de l'établissement d'une pompe publique, lors du renable, les ingénieurs décelèrent des défauts qu'ils signalèrent à la communauté qui paya néanmoins car : « les entrepreneurs (n'avaient) pas assez d'intelligence pour faire mieux et d'ailleurs ils (n'étaient) pas solvables », opinion partagée par les ingénieurs. Ils avaient eu de la chance. Les municipalités étaient d'habitude plus sévères, surtout quand, moins modestes ou plus imprudents, les hommes de l'art s'engageaient dans des travaux plus ambitieux. Chevalier peut figurer parmi eux, il installa de guingois la statue équestre de Louis XIV sur la place de Rennes, maïs il n'arrêta pas là ses prouesses et les erreurs de construction des conduits publics furent plus graves dans leurs effets7 L'on sait aussi les avatars du pont du Pirmil et de la bourse de Nantes. Mais, bien souvent, la responsabilité incombait davantage au système qu'aux hommes. Nous possédons pour nombre de chantiers, les études préliminaires, techniques et financières. Dans les deux tiers des cas, le prix de l'adjudication se trouvait sous le prix estimatif et quelquefois très au-dessous. Or la pertinence du calcul des ingénieurs se prouve aisément. À Antrain, le devis montait à 1600 L, le marché passé à 1 500 L, il fallut accorder 100 L supplémentaires une fois les travaux terminés. Les réparations du pont sur la Loysance, enlevées à 2860 L coûtèrent 3765 L 19 s, Deroche avait calculé 3796 L. À Saint-Brieuc, François Fortin obtint la traverse pour 24 000 L, soit 3481 L de moins que prévu. Bientôt, il demanda aux États 2025 L supplémentaires, il en reçut 400 ! D'une manière générale, bien conduites, les études des ingénieurs fournissaient une estimation convenable, communautés, États, Intendants, le savaient, ce qui leur permettait de résister aux récriminations des entrepreneurs. Il arrivait cependant des imprévus qui compliquaient les travaux et les enchérissaient. Outre un mauvais approvisionnement qui pouvait plonger les ouvriers en chômage technique, la nature, l'attitude des transporteurs, celle des propriétaires fonciers expliquait bien des difficultés. Les propriétaires s'opposaient quelquefois et malgré les règlements à la fouille de leurs terres. Goujaud, entrepreneur à Josselin subit en 1785 les violences du fermier et du procureur fiscal de l'abbé de Saint-Jean qui non seulement ne laissaient pas passer ses voitures mais encore lui volaient ses pierres et menaçaient ses ouvriers. Ceux qui passaient sans précaution, dégradaient les terres, enfonçaient les chemins entretenus par les paysans, faisaient des amas de matériaux, justifiant la grogne de leurs victimes qui les traînaient en justice et obtenaient des indemnités. Le sieur Péron de Guingamp dut en 1786, dédommager les paysans. En d'autres circonstances, le retard peut être imputé aux municipalités, à leurs hésitations, à leurs difficultés budgétaires. À Redon, la première adjudication du quai de la ville fut cassée pour ces raisons. On en fit une seconde, mais les travaux s'étendirent de 1762 à 1776. Travaux considérables pour cette ville, adjugés à Le Roux, 18 700 L, encore le pont Saint-Nicolas n'y était pas compris. En 1764, un autre projet étudié par Villemot remit en cause le premier. Sa soumission monta à 45 981 L dont 14 300 L dues à Le Roux pour ce qu'il avait réalisé. En même temps, la ville passait un marché pour le quai d'Aiguillon, un autre pour la banlieue de Vannes, un troisième pour le mur de la ville, puis en 1766, pour l'écurie du gouvernement. Le désordre fut tel et dura si longtemps que les travaux s'arrêtèrent en 17738. L'intendant reconnut qu'il ne pouvait obliger les adjudicataires à continuer des travaux sur la base de devis établis dix-huit ans plus tôt. Chevalier très hostile aux entrepreneurs fit de nouveaux calculs qu'examina l'ingénieur Friquet, lui même supervisé par l'ingénieur en chef Even. Le 3 décembre, Chevalier fut reconnu coupable de ne pas s'être rendu sur les lieux et d'avoir utilisé des profils et des notes fausses, « remplies » d'erreurs, les adjudicataires reçurent alors les 7929 L en litige9.

8Les communautés préféraient mettre les travaux en régie pour en avoir la responsabilité directe. Les ouvriers payés à la tâche, elle courait peu de risques. À l'inverse, les intendants y étaient hostiles car ils perdaient ainsi le moyen d'intervenir dans les affaires de la municipalité. Ils ne purent néanmoins les empêcher ici où là, mais ce système de travaux par économie resta minoritaire, trois sur 15 chantiers publics ouverts en 1769. Il s'agissait des ponts de la Roche-Derrien, de Redon (Saint-Nicolas) et de Malestroit. La position des États varia et connut quelques contradictions. En 1731, ils décidèrent que l'on procéderait par adjudication et par économie, or les députés de la commission des Étapes et Grands chemins ne suivirent pas totalement cette directive puisqu'ils consacrèrent 5662 L ce qui était très peu, à des travaux par économie. Ils justifièrent leur attitude par la meilleure qualité des travaux qui revenaient moins cher de 50 %, mais aussi par la difficulté de trouver des adjudicataires. Meilleur travail, économies, voilà deux arguments que nous retrouvons souvent dans la bouche des édiles. Dans ce système, les ingénieurs des ponts et chaussées outre leurs départements, devaient sans cesse répondre à de multiples sollicitations.

Les travaux publics et les secours aux miséreux

  • 10 AD. 35, C 1178. Lettre de Chocat de Grandmaison à l’intendant (12 avril1752), Aufray à l’intendant (...)
  • 11 AN. H 565 A M. Hennebont BB 26 913.
  • 12 AD. 35, C 346. Sur une dépense totale de 25 117 L.1 s 6 d. la main d’oeuvre ouvrière constitua 87. (...)

9Il n'existait pas de travaux publics, de constructions de bâtiments, sans l'intervention, modeste mais indispensable d'une foule de petites gens non qualifiés qui assuraient les fouilles, la manutention, apportaient de l'eau. En périodes de difficultés économiques, quand le pain manquait parce qu'il coûtait trop cher, quand la mévente chassait des ateliers la main d'œuvre la moins qualifiée, quand femmes et enfants ne trouvaient plus de petites occupations, quand enfin les paysans venaient chercher secours dans les villes, l'organisation traditionnelle de la charité, les distributions de soupe ne suffisaient plus et l'on organisait des ateliers des charités. Ils s'ouvraient, limités dans le temps, pour résoudre une situation particulière, locale ou plus générale. L'aide aux malheureux, hommes, femmes, enfants, ne se faisait pas sans contrepartie, pour éviter que la charité ne soit source de fainéantise, les salaires étaient les plus bas possible ce qui favorisait l'ouverture, à moindre frais, d'ouvrages d'intérêt collectif. Or, les travaux de voirie ou de remuement de terres paraissaient susceptibles d'occuper, des centaines de personnes, de force, d'âge, de qualifications différentes. Ainsi vit-on les pauvres travailler à Rennes en 1730, pour construire la promenade de la Motte. La région du Croisic atteinte par une crise du sel, bénéficia d'une aide de 3 000 L « pour le soulagement des pauvres ». En 1751, tout avait manqué : le sel, le vin, les grains. Commerçants, artisans, paludiers tous s'étaient endettés aussi les pauvres journaliers sans travail, leurs femmes, leurs enfants à partir de 10 ans, furent employés à la réparation de la jonchère en attendant que les travaux des marais salants reprennent. En 1770, l'ingénieur Aufray proposa la même solution à Lannion pour faire le quai10. En 1786, l'intendant accorda 1800 L à Malestroit pour des tâches utiles. En 1788, des ateliers furent ouverts a Ancenis où les pauvres se pressaient en « très grand nombre », à Châteaubriant, à Guingamp où « la quantité considérable de vagabonds valides » inquiétait, à Hennebont11, à Montfort, ailleurs encore. En 1790, la municipalité de Saint-Brieuc consacra 1 200 L à des remblayages au Légué. À Ancenis, en profond marasme, à Carhaix où la ville et sa campagne fourmillaient de pauvres, à Châteaubriant, à Dol, à Gourin, à Guingamp. à Paimpol où arrivaient en foule manœuvres et journaliers, l'on ne put pas faire grand-chose faute d'argent et de chantiers à ouvrir, malgré les risques sociaux, épidémiques que faisaient courir ces masses de gens entassés, mal logés, mal nourris. Une épidémie de choléra se déclara à Josselin. À l'inverse certaines villes plus malheureuses ou mieux protégées, en ouvrirent plusieurs : Hédé, Gué-mené, Redon en 1770-1773, 1784, 1785, 1786, 1789. La Guerche entre 1764 et 178912. Ces gens restaient sur les chantiers de quelques jours à plusieurs mois selon la nature du travail, la situation économique, les moyens financiers alloués par la ville par l'État. Des ouvriers qualifiés assuraient les parties techniques et l'encadrement.

Les salaires dans le bâtiment

  • 13 AD. 35 C 399, 404, 416, 459, 479.

10Il existait dans le bâtiment deux sortes de paiements, au temps ou à la tâche. Dans la plupart des petits métiers, les salaires étaient quotidiens, il en était ainsi pour les travaux de charité. Quand, le chantier de la Motte à Rennes s'ouvrit le 15 juin 1739, 286 personnes se présentèrent, il y en eut 469 le lendemain, 1219 le surlendemain. Les piqueurs prévoyant une augmentation d'un tiers au moins les jours suivants, s'inquiétèrent auprès de la municipalité. Le nombre des tâcherons, le manque d'outils, en particulier de hottes et de brouettes, retardait les travaux sur le chantier encombré. Une infinité d'enfants « sans force et de bas âge », compliquaient encore les choses. Dès lors, on décida de n'embaucher qu'à partir de 15 ans et de baisser le salaire de 10 à 8 s et de 8 à 6 s. Au total, il y eut selon les états 50 856 à 54 985 journées de travail qui coûtèrent 20 639 L (du 15 juin au 21 août 1739). À Morlaix, on distribua ainsi 4 428 journées du 2 janvier au 29 juillet 1786. À Sarzeau, la même année, 2480 journées payées à un taux très bas, 7 s pour les hommes, 1956 journées aux femmes et aux enfants à 5 s. Au Croisic ce fut pire, du 7 au 12 août, on partagea les pauvres en trois chantiers et l'on ne donna que 1 s 6 deniers aux hommes, 1 s aux femmes, 6 aux enfants pour quatre heures travail par jour. Nous pourrions donner d'autres exemples mais tous les cas rencontrés ressemblent à ceux-ci13.

11Les ouvriers venaient se faire engager sur le chantier, les piqueurs notaient leur présence et les rémunéraient en fin de journée, quelquefois en fin de semaine. Les conditions d'embauche pour les ouvriers spécialisés, les contrats, prévoyaient une durée de deux ans, durée normale pour la construction d'une grande maison à raison de 300 jours de travail par an. Ainsi que nous avons pu le constater en étudiant la reconstruction de Rennes, le travail payé à temps servait l'intérêt des ouvriers qui faisaient traîner les travaux. En principe, un ouvrier ne pouvait quitter son chantier mais le manque de main d'œuvre obligeait à rappeler les règlements et en particulier les interdictions de débauche, de désertion des chantiers. Quelques emplois qualifiés recevaient un salaire mensuel mais avec une vision de salaire annuel. Il s'agissait des piqueurs dans un certain nombre de cas, mais surtout des ingénieurs, architectes, dessinateurs, commis, travaillant sur les chantiers publics.

12L'examen des marchés passés nous prouve l'existence de niveaux différents selon les villes. Prenons quatre chantiers ouverts en 1780 pour exemple.

Salaires en sols (1780)

Salaires en sols (1780)
  • 14 Par exemple, Le Traité d’architecture pratique de J.-F. Monroy ; ancien appareilleur, Inspecteur e (...)

13Nantes et Brest payaient davantage, il y avait là du travail et les ouvriers bénéficiaient d'un marché favorable. L'éventail des salaires mérite aussi notre attention. Un journalier recevait de 10 à 12 s dans la décennie 1720, de 9 à 20 s en 1782, de 18 s à 30 s en 1789. Pour la même catégorie de travailleurs, la différence entre les moins bien payés et les mieux payés de 2 s à 12 s et le taux de progression de 80 % à 150 %. Les rémunérations des maîtres variaient : en 1720, les maîtres maçons touchaient de 20 s à 30 s, de 30 s à 60 s en 1789, les maîtres charpentiers, 40 s en 1733, 40 à 60 en 1789. Ces chiffres obtenus à partir des marchés d'adjudications, des descriptifs, vérifiés par les ingénieurs, correspondent aux salaires à ces différentes périodes. Mais, il existait un autre système de paiement : à la tâche. Ici, les ouvriers avaient intérêt à accomplir le travail le plus vite possible ce qui faisait courir un risque non négligeable de malfaçons aussi les manuels d'architecture et surtout de construction calculaient le temps de travail nécessaire à l'accomplissement d'un travail14. Lors de la reconstruction de Rennes, Gabriel s'en préoccupa. Un bon travailleur déblayait une t3 de terre par jour, un médiocre 2/3 seulement, aussi évaluait-on le prix de la toise en fonction d'un temps moyen. Le maréchal d'Asfeld prévoyait 12 s par toise, soit le salaire journalier d'un terrassier ou d'un manœuvre en 1720, or un maçon faisait trois t2 par jour et un couvreur posait quatre toises d'ardoises. Un tailleur de pierre façonnait 15 pieds superficiels. Le prix suivit l'évolution générale, bientôt porté à 18 s, il atteint à 1 L 5 s en 1741 et même 2 L.

14Part de la main-d'œuvre, non compris l'entrepreneur : 37 % pour la pose des planchers, 46.8 % % par toise superficielle de plâtre, 28,05 % par toise pour une corniche en plâtre dans un appartement, par t2 de ravalement, 32 % par pied cube de pierre de taille de Saint-Leu, 28,05 % par toise superficielle de ravalement, 19.99 % par toise carré superficielle d'ardoise, 4.25 % par toise carré superficielle de pavé en gré.

  • 15 Vauban, 12 s ; Young en 1764 : 16 s., en 1777, 17 s : en 87-88, 19 s et en 1790, 20 s. (soit un ta (...)

15La rétribution des architectes, entrepreneurs et toiseurs correspondait à un pourcentage calculé sur le prix total de l'ouvrage : 5 % les premiers, 10 %, les seconds, 1 % les derniers nourris, logés, chauffés, remboursés de leurs déplacements (20 s par lieue en 1789). Comme pour le salaire au temps, l'examen des prix montre que la période 1730-1760 fut celle d'une relative stabilité, avec des variations dues à l'ouverture de grands chantiers. Le décrochage se produisit dans la décennie précédant la Révolution, comme le confirment les prix d'adjudication des pavages des rues qui revenaient, suivant la nature du travail demandé, de 3 L 10 s à 7 L, jusqu'en 1760, voire 1770 pour les pavés de blocage et qui passèrent de 6 L à 12 L dans la décennie 1780, Le pavage d'échantillon coûtait 12 L dès 1770. Les salaires n'ont de sens que comparés à l'évolution générale des prix. Problème bien connu et largement abordé depuis les travaux d'Ernest Labrousse. Ici l'évolution du prix du seigle, céréale largement utilisée par les milieux populaires, doit être prise en compte, sans oublier qu'une indexation existait entre le prix du pain et celui de la céréale15. Selon Turgot, les patrons payaient les ouvriers le meilleur marché possible en profitant de la concurrence entre un grand nombre de travailleurs disponibles. Nous savons qu'au cours du siècle, le taux de progression dans le royaume fut de 33,33 % avec 20 % de hausse salariale pour une hausse du coût de la vie de 50 à 60 %. En Bretagne, le taux de progression fut de 50 % entre le début du siècle et 1770, il fléchit ensuite à 33,33 % pour se retrouver à 50 %, entre 1780 à 1789, soit annuellement pendant ces trois périodes de 0,71 %. de 3,33 % et de 5,5 %. Ces taux placent la Bretagne, qui n'a pas connu une forte progression démographique parmi les pays aux bons salaires : un ouvrier nantais touchait en moyenne en 1780, 17 s 6 deniers, plus que dans d'autres villes, et au-dessus de la moyenne bretonne, 15 s. Atout supplémentaire pour la ville où les travailleurs s'installaient. À l'inverse, les ouvriers et les artisans de Brest souffraient, au moins certains d'entre eux, de la concurrence des bagnards. Ainsi en 1757, un ouvrier de l'arsenal ne coûtait que 5 s s'il était cordier à simple fil, moins encore s'il s'agissait d'une étoupière. Le coût du travail était inférieur de 10 à 20 % à celui pratiqué en ville. D'une manière générale, la faiblesse des rémunérations explique la tentation de quelques artisans de s'engager outre-mer pour le service de la Compagnie des Indes. En 1716, 468 personnes s'engagèrent pour l'île de France, l'île de Bourbon, le Sénégal, Pondichéry. Elles se répartissaient entre 64 professions. À ce moment-là, les salaires variaient en Bretagne de 10 à 12 s par jour pour les non qualifiés à 25 à 30 s pour les maîtres : or, sauf un apprenti qui gagnait 12 s 7 d, tous les autres salaires dépassaient une livre et les maîtres deux livres.

Notes

1 C. Nières, La reconstruction, À Montpellier 3 à 4 % du capital investi en ville. 7 à 8 % dans les faubourgs, « Aspectstaux et économiques », La Ville au xviiie siècle, p 161.

2 AD. 22, C 2,12 et 14 octobre 1785.

3 Claude Nières, idem.

4 AD. 35, C 4717-4719 ; 5493. Comptes des hors-fonds.

5 AD. 35, C 4745. Ponts et chaussées, 1728-1762, 1er mai 1728, 29 mai 1729, 23 janvier 1735 trois adjudications à cette date.

6 P Lelièvre, idem, 255 000 L pour aménager l’île Feydeau (1731-1737), AD. 35, C 664. Garengeau estima le coût des travaux de Morlaix à 112 508 L.

7 François Chevalier fournit les plans d’un canal de Nantes à Rennes (1716), il fut l’un des adjudicataires des conduits publics, de la construction de l’hôtel de la Monnaie. Malheureux dans ces trois entreprises, il se ruina. H. Vinsbourg, autre adjudicataire avait soumissionné les 28 juin et 15 septembre 1720, Les conduits durent être démolis et refaits (AD. 35, C 97).

8 AD. 35, C 387, Le Roux et se plaignaient en 1787, de ne pas trouver de harnois pour transporter les pierres, C 428, Entreprise Le Roux -Hédeux. C 4748, Premier devis. 26 février 1762, incomplet, second le 31 juillet 20 mai 1770 réparation par L. Rapé.

9 Chevalier avait estimé la toise cube de maçonnerie à 50 L. 8 s 8 d (27 juillet 1778) et Friquet à 69 L 10 s.

10 AD. 35, C 1178. Lettre de Chocat de Grandmaison à l’intendant (12 avril1752), Aufray à l’intendant, 29 mai 1770. On envoya de l’argent à Dol (4200 L pour la digue), Rennes et Saint-Brieuc.

11 AN. H 565 A M. Hennebont BB 26 913.

12 AD. 35, C 346. Sur une dépense totale de 25 117 L.1 s 6 d. la main d’oeuvre ouvrière constitua 87.17 % de la dépense, l’encadrement le reste (les piqueurs à 24 sous par jour effectuèrent 1062 journées de travail).

13 AD. 35 C 399, 404, 416, 459, 479.

14 Par exemple, Le Traité d’architecture pratique de J.-F. Monroy ; ancien appareilleur, Inspecteur et toiseur des Bâtiments Roi. 1789.

15 Vauban, 12 s ; Young en 1764 : 16 s., en 1777, 17 s : en 87-88, 19 s et en 1790, 20 s. (soit un taux de 33,33 %, 41,66 %, 58,33 %, 66.6 6 % par rapport au début du siècle ; par tranche de : 6.2 % ; 11.76 ; 5,26 %).

Table des illustrations

Titre Salaires en sols (1780)
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© Presses universitaires de Rennes, 2004

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