Les villes de Bretagne au XVIIIe siècle
|2e partie. Villes et urbanisme
Chapitre VIII. Les hommes dans la ville1
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Géographique :
FranceTexte intégral
Les densités urbaines
- 1 M. Reinhard, « La population des villes, sa mesure sous la Révolution et l’Empire », Population, 1 (...)
- 2 J.-P. Bardet, Rouen…, 1979 ; 72 % de surface bâtie à Rouen centre. 55 % à l’Ouest, 40 % au Nord, 4 (...)
1Une bonne connaissance de la superficie d'une ville, de ses faubourgs permet de nos jours le calcul précis de la densité. Nous ne sommes pas dans cette situation au xviiie siècle. Aurions-nous la possibilité d'établir ce premier élément d'appréciation encore faudrait-il l'affiner en distinguant surfaces bâties et non bâties2. Les descriptions faites par la plupart des auteurs nous forcent la main, donnant l'image classique d'un bâti dans un espace restreint, image de beaucoup de villes médiévales corsetées par leurs murailles où la population s'entassait dans de hautes maisons. Or, en Bretagne, ce qui frappe le plus en regardant les plans des villes c'est, intra muros, l'inégale densité de constructions et l'existence de vastes espaces non bâtis. Non les surfaces consacrées à la voirie ou aux lieux publics, mais des jardins, des enclos appartenant à des particuliers et surtout à des communautés religieuses.
- 3 R. Mols, Introduction à la démographie…, t. II, p. 92.
2Quelques cités étonnent par l'importance de ces vides. À Dinan à la fin du Moyen Âge, l'espace bâti ne représentait que 3 ha sur 30, soit 1/10e de la superficie de la cité. Les enclos religieux s'étendaient sur un espace considérable : celui des Jacobins avait 7 hectares, des Cordeliers plus d'un hectare, des Ursulines, un, des Clarisses 85 ares, des Mathurins, 15 ares ; soit un total de 10 ha 10. À Quimper, la Terre-au-Duc couvrait 94 ha dont 40 occupés par les couvents (plus de 48 % de la superficie). À Guingamp, le tissu urbain était aussi extrêmement lâche ; non seulement il existait trois grands espaces découverts : la place neuve, le champ du roi et l'emplacement de l'ancien château, mais il y avait aussi beaucoup de potagers ; un tiers à peine de la cité était bâti. Hédé présentait surtout un alignement de maisons le long de la rue principale, maisons avec des jardins derrière. Très peu de bâtiments étaient construits le long des voies secondaires. À Montfort, l'espace urbain clos s'inscrivait dans une surface de 210 m sur 125 m. Or, malgré cette taille réduite, l'habitat n'était pas non plus particulièrement dense, même situation à Moncontour où les espaces non bâtis apparaissent très nettement sur le plan de 1809. R. Mols considérait que le seuil des 1 000 habitants à l'hectare constituait une limite rarement franchie3, c'est dire que Rennes avec 1 100 à 1 200 citadins/ha se plaçait parmi les villes à forte densité.
- 4 En utilisant les cadastres du début xixe siècle, les dénombrements partiels, les chiffres fournis (...)
- 5 Concarneau, Redon, Vannes, Quimper, Guingamp, Tréguier, Auray, Pont-Croix, Le Palais.
- 6 Quimper, Rennes, Lamballe, Pont-l’Abbé.
- 7 Morlaix, Pontivy, Quimperlé, Fougères, Dinan, Landerneau.
- 8 AD. 35, 1 B a, Châteaulin connut en 1750 une crise du logement qui fit chasser tous les misérables (...)
3Le rapport entre le nombre des habitants et celui des maisons nous fournit une indication précieuse sur le type d'habitat ; ainsi Paris et Lyon avaient en moyenne 24 habitants par maison, Strasbourg, 13 ; Metz, 12,4 ; Nîmes, 9 ; Lille, 8 ; Marseille, 7,8 ; Orléans, 7,6 ; Bordeaux, 4,5 ; Valenciennes, 5,3 ; Douai, 54. Cinq à six personnes par maison correspondait à un habitat uni familial. Nous déduisons d'un chiffre bas, l'existence d'un bâti de faible volume, de petites maisons d'un ou deux niveaux. À l'inverse, un chiffre élevé est l'indice de bâtiments plus importants, d'immeubles. En croisant plusieurs sources, nous pouvons calculer cette densité pour 60 villes bretonnes. Pour 29 d'entre elles (48,33 %), elle était inférieure ou égale à 6. Vitré n'atteignait que 3,63, Rochefort 3,61, Rohan 3,92, Machecoul 3,97, Le Croisic 2,74, Josselin 4,2, Ploërmel 4,51, Clisson 4,52. Parmi ces villes, seule Ploërmel se développait, Guérande, la Guerche, le Faouët, Guémené, Gourin, stagnaient avec une tendance au déclin. L'on peut compter 20 cités, entre + 6 et 10 (33,33 %) ; neuf correspondaient à des cités en expansion5, quatre avaient une évolution inverse6, six se maintenaient plus ou moins bien7. Onze se trouvaient au dessus de 10 : Roscoff (10,64), Châteaulin (18,628), Châteauneuf (13,54), Lorient (12,38), Saint-Malo (autour de 10), Saint-Servan (10,4) 9 Dol (10,6), Malestroit (11,92), Brest (11,02), Nantes (17,40). Ces villes de taille de population très différentes, nous prouvent qu'une forte densité urbaine ne correspondait pas obligatoirement à la grande ville ce que corrobore la comparaison. entre Bordeaux et Marseille. Ces chiffres correspondent à une moyenne. Ils peuvent cacher des disparités à l'intérieur d'une ville, entre la ville intra-muros et ses faubourgs. Ils peuvent aussi cacher des situations particulières, des sous ou sur occupations des locaux d'habitation.
La répartition sociale et professionnelle
- 9 J’ai utilisé le même mode de représentation que P. Deyon pour Amiens.
4La séparation simple en quartiers populaires, aisés, voire riches, demande, ici comme ailleurs, à être nuancée9. L'examen de quelques rues rennaises permet de rappeler que la ville présentait, en 1750, trois ensembles différents : le centre (au nord de la Vilaine), la vieille ville et les faubourgs.
5Les quatre secteurs professionnels nous permettent de montrer les grandes répartitions sociales à l'intérieur de la ville. L'examen des divers métiers constituant chacun de ces secteurs, montre leur inégale disposition sur le sol urbain. Toujours à Rennes, les métiers les plus sales s'exerçaient le long ou au sud de la Vilaine où nous trouvons les tanneurs, les corroyeurs, les teinturiers, les métiers du feu refoulés aux portes de la ville. Bouchers, tripiers, lardiers se concentraient rue du Champ-Dolent, tandis que libraires et imprimeurs vivaient autour du Palais. D'autres métiers, en particulier celui de cordonnier, se répartissaient d'une manière plus uniforme dans la ville.

Légende : (I) % de la catégorie par rapport à la totalité de ses membres.
(II) % de la catégorie par rapport à l'activité des habitants de l'ensemble.
(III) % de la catégorie par rapport à l'activité des habitants du quartier
6La ville neuve comprenait 135 maisons, il en reste 110. Il s'agissait d'immeubles de rapport avec ou sans entresol, à deux ou trois étages (65 sur 110 avaient deux étages). Ils permettaient par leur taille une forte concentration, deux familles par niveau, plus l'occupation des combles. Les plus riches rennais habitaient les étages « nobles », mais officiers inférieurs, artisans, boutiquiers se partageaient les espaces supérieurs.
- 10 AD. 35, 4 B 4269. Établis sur tréteaux, fers, règles, ciseaux. Tous les inventaires des tailleurs (...)
7Sur 40 inventaires après décès, nous trouvons 19 mentions d'un habitant dans une pièce unique : une boutique, trois entresols, le reste comprenant des chambres sous les combles qui servaient d'ateliers à ceux ou celles qui les habitaient ainsi que le montrent les instruments de travail, souvent de couture que l'on y découvre10.
- 11 23, soit 27,05 % des officiers vivant dans la partie Est ; 10,5 % de ceux de la vieille ville (219 (...)
- 12 322 payaient l’impôt, en moyenne 5 L 18 s. 272 se trouvaient en dessous. 80 payaient 10 L et plus, (...)
8La plupart des habitants de la vieille ville vivaient dans un bâti assez disparate dans les anciens quartiers, Est et Ouest intra-muros ayant échappé à l'incendie avaient une population ressemblant socialement à celle de la partie neuve. Mais cet habitat avait des caractères très différents comme nous le montre l'étude de la rue Saint-Georges (nord de la Vilaine). Le bâti plus complexe s'y étendait en profondeur avec plusieurs corps du logis. Nous pouvons ajouter trois hôtels : un à un étage, un à trois, un à cinq. Dans cette rue proche du palais du Parlement, il y avait une grande concentration d'officiers11. Nous en trouvons 19 place Sainte-Anne, 14, place du Champ-Jacquet, autant rue du Chapitre, toutes proches de l'ancien présidial et des prisons. La rue Saint-Georges abritait aussi 10 nobles et leur famille. Trois vivaient chacun dans une pièce, un dans trois, nous ne savons pas pour les six autres. Dans ces maisons, la répartition était plus homogène, moins contrastée que dans les bâtiments de la partie neuve. Ressortant toujours à un habitat ancien, la rue Vasselot au Sud de la Vilaine n'a guère changé au cours du xviiie siècle. de largeur très inégale, 24 maisons la bordaient au sud de la rue dont une grande partie appartenait aux Carmes. Au nord, 10 maisons de peu de valeur se succédaient de la rue Toussaints à la rue de Chalan, avec quelques échoppes et des espaces consacrés à des chantiers, puis 27 bâtiments longeaient ce côté jusqu'au pont Saint-Germain. Il s'agissait de maisons modestes, ne dépassant pas trois étages pour les plus importantes ; la plupart avaient deux niveaux. 88 chefs de famille occupaient un rez-de-chaussée, 47 un premier étage, 21 un second et 11 un troisième. 111 familles vivaient chacune dans une seule pièce, 31 dans deux et 7 seulement dans trois (famille d'officiers, de marchands, deux rentiers). Le Bourg l'Évêque s'étirait le long de la route allant vers l'Ouest et coupant l'Ille. 487 familles plus ou moins misérables se partageaient de petites maisons où elles s'entassaient (6,31 h/m12). Les plus riches (79 sur 80 payant plus de 10 livres) habitant chacun sa maison, les plus pauvres dans une seule pièce, tel le journalier Pellerin et ses trois enfants. Entre les deux, des artisans semblables à André Poussin avaient à leur disposition leur boutique, une arrière boutique et une chambre au-dessus.
9Nous connaissons la profession de 128 de ces gens, ils travaillaient pour la plupart dans le textile, l'habillement, l'alimentation, exerçaient de petits métiers, surtout les femmes qui, en majorité couturières, lingères, se retrouvaient parmi les pauvres. Les plus riches étaient des marchands, dont quatre négociants et un marchand fabricant (le plus imposé avec 20 L).
10D'un bout de la rue à l'autre, d'un côté à l'autre, nous n'avons pu discerner des différences sociales significatives. Il en est de même à l'opposé de la ville, faubourg Saint-Hélier où 277 foyers (fiscaux) vivaient sur 400 mètres ; petite population mêlant 97 journaliers, à 11 marchands, 10 débitants, 1 chirurgien, 23 travailleurs du textile et où les 21 jardiniers et les meuniers se trouvaient en nombre ; 67 % vivaient dans une pièce, 25 % dans deux, 5 % dans trois, 3 % dans une maison. Dans les villes en reconstruction (Rennes Fougères), nous constatons aussi des déplacements de population, jamais elles ne remettaient en cause le caractère hérité. Dans les villes à quartiers nouveaux, une partie des couches aisées s'y transportait quand il s'agissait de maisons confortables et de lotissements de prestige (agrandissements malouins, île Feydeau à Nantes), mais ces nouveaux bâtis prolongeaient les anciens quartiers aisés, comme les excroissances populaires se faisaient à partir des faubourgs peuplés d'artisans et de travailleurs.
11Autre exemple celui de Dinan où le centre gardait encore pendant la première moitié du xviiie siècle une population nombreuse et aisée, peu d'artisans (29,8 %), surtout des marchands (51 dénombrés) et des gens des services divers (ensemble 70 %). Il y avait là 88 % des domestiques de la ville. En 1788, la proportion des artisans avait augmenté (33 %), celle des marchands diminué, de même que celle des services (68 % en 1753, 67 % en 1788). Certes le quartier gardait sa physionomie traditionnelle, mais il s'était effectué un déplacement limité mais réel vers le Champ où s'installaient les marchands et leurs domestiques. En même temps, le quartier Saint-Sauveur voyait augmenter la proportion des gens riches, tandis que les quartiers Nord-Ouest non seulement restaient pauvres mais le devenaient de plus en plus.
12Pendant la même période, la population de Dinan s'était accrue de 22 %, elle s'était aussi appauvrie puisque 68 % ne payaient plus d'impôts contre seulement 30,5 % en 1753. La misère des quartiers populaires s'était donc fortement accrue. Simultanément, le nombre des ouvriers qualifiés avait diminué dans ces quartiers : 68 % d'artisans en 1753, 28 % en 1788. Seul Bourgneuf se développait, Nous constatons aussi que les travailleurs du bâtiment quittaient la ville vers les faubourgs (10 % en 1753, 40 % en 1788). Sur le port, les tanneurs, corroyeurs etc. représentaient 40,6 % des artisans qui y vivaient contre 25 %, et 23,8 % de ce secteur professionnel, contre 20,5 %.
- 13 AD. 35, C. 4217-4223.
13Malgré les répartitions sociales en grands ensembles, les rues des villes anciennes présentaient néanmoins de grandes différences d'une maison à une autre, surtout s'il s'agissait de maisons de taille petite ou moyenne, de type uni familial. Il y avait une hétérogénéité sociale, qui faisait se côtoyer dans la même rue, où sur un espace relativement réduit, des mondes opposés par la fortune et le rang. C'est très net à Roscoff où des négociants très fortunés vivaient à côté de misérables pêcheurs, de lingères, ou rue des dames à Rennes13. Quelquefois une partie de la rue était misérable, et l'autre aisée, ainsi à Lesneven, la rue Notre-Dame comprenait deux parties socialement distinctes : dans la première à peine trouvons-nous un domestique et un commis, auxquels il convient d'ajouter les trois servantes de l'auberge. En dehors de l'hôtesse qui payait 45 L, les 34 autres déclarants, formés de petits artisans, de cabaretiers, de travailleurs divers versaient une livre, trois seulement davantage, un laboureur (7 L), un marchand (8 L) et un chapelier/tailleur (5 L). Dans la seconde partie de la rue, sur 29 déclarants, quatre payaient plus de 20 L (une veuve 66 L), il y avait 23 domestiques, 3 clercs, 1 secrétaire. Trois personnes seulement capitaient à une livre. Dans une ville plus importante, Morlaix, nous trouvons des rues tout aussi composites.
14Parmi les maisons, les plus habitées, à gauche de la rue Notre-Dame, la première avec 22 personnes, là vivaient : un imprimeur libraire, sa femme, ses quatre enfants, deux garçons imprimeurs, un apprenti et un facteur ; ensuite, un procureur et notaire, avec un domestique et un clerc, un marchand de drap, un employé au tabac. Au numéro 12, même côté, 18 locataires : un maître tailleur, sa femme et leurs cinq enfants, six compagnons, un domestique ; un cordonnier et un compagnon ; un perruquier et un apprenti. À côté, des maisons faiblement peuplées et le niveau des déclarations montre les mêmes contrastes.
15Dans ces rues, il y avait donc une double répartition sociale, horizontale et verticale. À la première, la plus importante de maison à maison, répondait la seconde, celle des grands bâtiments plurifamiliaux. Avec la construction de grands immeubles de rapports dans des quartiers neufs, la composition horizontale devint beaucoup plus homogène, de niveau à niveau, sur rue et sur cour. Ici, en grimpant les escaliers, on « dégringolait » l'échelle sociale, en quittant la rue pour l'arrière aussi.
16Des rues restaient très liées à l'exercice d'une profession. Nous avons rencontré les bouchers à Rennes, rue du Champ Dolent, à Nantes existaient une rue de la boucherie avec 19 bouchers, 2 tripiers, le « trait de la Coquide » avec 36 bouchers, le Pont avec 15 bouchers et un faiseur de boyaux. Nous avons montré le même phénomène dans 4 autres cités, par exemple à Quimper. Il y avait aussi 18 tanneurs sur 23 déclarants à Bourg, 13 blatiers, rue de la Blaisterie, toujours à Nantes. À Quimper, à Saint-Brieuc, signalons des rues de jardiniers. S'il est vrai que bien des rues portaient des noms de métiers qui n'y étaient plus exercés depuis longtemps (rue aux Foulons, rue de la Poissonnerie...), il convient de remarquer des permanences professionnelles. de nos jours encore, la place du Palais de Rennes est le domaine des libraires, orfèvres, commerçants pour une clientèle aisée, comme elle l'était après la reconstruction. Dans cette ville, il a fallu attendre les bouleversements de ces vingt dernières années pour que fussent changés les rapports anciens entre le nord et le sud de la Vilaine.
17Il y a des explications simples et connues à ces phénomènes. La valeur locative des maisons en est une. Place du Palais et rue de Toulouse une maison rapportait de 1 450 L à 1 500 L. en 1750, 1 720 L rue de Bourbon, 1 600 L. rue de la Monnaie, 2 318 L, rue Dauphine, mais seulement 142 L. en moyenne dans les faubourgs. Nous avons la même explication pour la répartition entre étages : trois exemples suffiront pour l'illustrer. Rue de Toulouse, une boutique, arrière-boutique, un cabinet, une cave, un grenier ou une mansarde rapportaient 200 L ; un appartement au premier étage comprenant six chambres, un cabinet, une mansarde, une cave 400 L, au deuxième, 310 L ; au troisième : 300 L. Nous trouvons les mêmes différences, rue du Champ-Jacquet : une chambre, un grenier, deux cabinets au premier se louaient 200 L, au second 75 L, au troisième 50 L. Faubourg l'Évêque, même chose, la location d'une chambre sur rue montait à 18 L au premier, contre 14 L sur cour, et au second, respectivement 14 L et 10 L. Les habitudes en constituaient une autre qu'il ne faut pas négliger. Les gens d'un même milieu, social, professionnel, tendaient à se rapprocher. Lorsqu'ils construisaient, ils essayaient de le faire dans des rues, des quartiers où ils retrouvaient leurs semblables. Mais tout ceci est bien connu des géographes et des sociologues : la permanence des solidarités, des mentalités, des préjugés.
18En conclusion et sans multiplier ici les exemples nous constatons que :
- La division sociale entre sous-ensembles se vérifie partout, quelle que soit la taille de la ville, et s'installa très tôt. Elle était déjà nettement établie à Lorient dès le début du xviiie siècle.
- Cette répartition, sans être fondamentalement bouleversée, pouvait connaître des modifications qui changeaient dans une certaine mesure les équilibres à l'intérieur de la ville aussi bien pour des raisons accidentelles (Rennes) qu'économiques (Dinan).
- Il se produisit néanmoins une évolution liée à la construction des immeubles de rapport qui se confirmera au cours des siècles suivants.
Dehors et dedans
- 14 AD. 35, C 354, ordonnance de police du 12 décembre, 11 771.
19Quoique nous ayons insisté sur les caractéristiques du bâti, sur le rôle économique des rues, il convient de se souvenir que les citadins avaient une vie sociale qui se tenait chez eux et au dehors. Nous ne pouvons consacrer beaucoup de place à cette question, il convient cependant de rappeler que les habitants, plus ou moins fortunés, recevaient dans leurs hôtels, dans leurs appartements, leurs salons qui se prêtaient à la vie de sociétés constituées, là se tenaient des discussions littéraires, scientifiques, on recevait les voyageurs, mais on y jouait aussi, écoutait des concerts et dansait comme chez madame Sérent où se retrouvaient à Rennes, élites bourgeoises et nobles. Moins prestigieux, les lieux de boissons recevaient prostituées et joueurs professionnels. Les premières accueillaient aussi chez elles depuis l'interdiction des bordereaux au milieu du xvie siècle. Les joueurs arrivaient nombreux à Lorient lors des ventes de la Compagnie pour tenter de « plumer » ceux qui arrivaient dans la ville avec l'argent indispensable à leurs affaires. Lors des sessions, les députés aux états, trouvaient quelquefois le gîte, souvent le couvert chez les principaux personnages qui avaient là le moyen par leur largesse, d'orienter leur attitude. Elites de talent et d'argent s'y rencontraient. Ils retrouvaient les couches populaires dans les rues, lors des promenades sur les mails, les places qui se multipliaient. Ils participaient au « spectacle des rues » décrit par Sébastien Mercier. Circulation des hommes, cavaliers, véhicules divers, chaises à porteurs, des animaux, travailleurs, bonimenteurs, animaient des espaces encombrés, boueux ou poussiéreux, malodorants. Ils s'y retrouvaient aussi à l'occasion des fêtes religieuses, des processions, ordinaires (5) ou extraordinaires, des diverses confréries des métiers, rappelons les 50 jours chomés, plus les dimanches, toutes avec leurs itinéraires, leurs tentures, leurs chapelles. Il existait aussi des marches civiles très nombreuses, de salutations, des premières entrées, des fêtes hommages comme en 1721, 1724, du papegaut. À Rennes, la reconstruction donna lieu à des fêtes inaugurales, en juillet 1726 pour la statue de Louis XIV, en 1734, pour la pose des médailles de fondation, en novembre 1754, pour celle de la dédicace de Louis XV, en juillet du premier regard des fontaines. Ces cérémonies organisées par les municipalités, quelquefois suscitées par l'état marquaient les grands événements de la cité, du royaume, les joies et les deuils de la famille royale, de grands seigneurs. Le duc de Rohan donna à Rennes en 1744 une fête à l'occasion de la guérison de Louis XV. Les plus belles festivités que la ville connut concernèrent en 1769, le rétablissement du Parlement. Toutes n'étaient pas semblables, elles dépendaient des moyens des municipalités, de leur empressement à marquer un événement, mais toutes tristes ou joyeuses donnaient l'occasion de se voir, de se montrer, aux corps constituées de défiler, à la milice de parader. Les joyeuses donnaient l'occasion d'agapes, de divertissements, on y voyait des chars fleuris, des fontaines de vin, des repas publics comme celui offert en 1744 par Rohan aux élites de la ville (1 000 couverts), des décors à l'antique, des Bacchus comme en 1769, place de l'hôtel de ville, quelquefois des comédies, des concerts publics, voire des feux d'artifice ou des feux de joie. Rues et places, recevaient aussi à l'occasion des bateleurs, danseurs de corde, sauteurs, équilibristes, pantomimes, automate, magiciens appartenant aux troupes foraines des sieurs Farfarelli, Scamagatti, Beaupré qui présentait des automates et des expériences électriques, Pelletier, Paltini qui assura à Rennes de 5 à 6 spectacles, Chiarnig, au total 18 spectacles de 1782 à 1786. Nous les trouvons ou d'autres assurant des spectacles identiques dans nombre de villes. Il se passait des réjouissances particulières comme le jeu de pot qui réunissait le dimanche de la Quasimodo, garçons et filles après les vêpres. Ces jeux, ceux de la jeunesse, des écoliers en particulier, quelques fois simples farces, d'autres fois moins innocents, inquiétaient les édiles qui tentaient comme à Quimper ou à Rennes de les contenir, voire de les interdire. de mauvais goût quand il s'agissait de jets d'immondices, de tapages, de charivari, ils pouvaient prendre un caractère de violence surtout en cas d'ivresse, ou de jeux à Saint-Malo. Alors les rues servaient de théâtre aux injures, aux bagarres relevées dans les registres des patrouilles et qui entraînaient de nombreuses arrestations. Le spectacle des exécutions, il y avait un bourreau par siège présidial, n'était pas nombreux, 4 en 1771, 2 en 1781 à Rennes (trois rompus, une pendue puis brûlée pour infanticide), celui de peines plus « légères », marque, mutilations, flagellations, pilori, exprimaient des pulsions violentes, fascinaient ceux qui s'assemblaient aussi pour voir passer les chaînes de forçats. La présence des gibets et des piloris rappelait à tous les dangers encourus pour des fautes quelquefois légères. La nuit, les rues vidées des citadins, les cabarets une fois fermés, les maisons closes à partir de 10 heures14, appartenaient aux « coureurs de nuit » dont la présence justifiait les patrouilles et les éclairages urbains. Les rues scènes de violences multiples, injures, bagarres, entre époux, voisins, concurrents, pouvaient aussi donner la place aux explosions de désespoir, de révolte et devenaient alors le lieu des tensions sociales dont les éclats suivants nous fournissent quelques exemples. En 1768 à Moncontour, une dizaine de personnes s'attroupèrent et allèrent piller l'hôpital, des troubles publics éclatèrent à Vitré en janvier 1775, à Fougères en 1777, avec outrages et violences lors de la vérification des pintes et des chopines. Plus graves les incidents à Dinan où trois personnes dont une femme s'en prirent à main armée à des juges dans une auberge, à Ploërmel en 1775, cinq personnes furent accusées de bris de prison, même attitude en 1782 à Auray, en 1784, à Lesneven, Saint-Brieuc, en 1787, encore à Ploërmel, à Quintin en 1788. S'y ajoutaient des troubles de nature économique, contre la réglementation des toiles à Fougères en 1742/1743, où dans la même ville la révolte des tisserands de 1782 contre les lettres patentes de 1780, contre l'emprisonnement d'un marionnettiste à Concarneau qui dans une chanson s'en était pris aux négociants marchands de rogue. Lorient aussi connut des grèves, la « mutinerie » des calfats en 1732, des rixes entre ouvriers et soldats en 1756, le soulèvement de charpentiers contre des congédiements en 1759. Ajoutons à ces exemples, les révoltes frumentaires à Lorient, Vannes, Auray en 1765, la troupe dut intervenir, à Hennebont en 1784 ou 6 personnes comparurent pour vol de farine, à Lamballe, à la Roche-Derrien, aux environs de Quimperlé en 1788. Enfin n'oublions pas les troubles de 1788, dont la journée des bricoles à Rennes.
Conclusion
20L'évolution physique des villes en Bretagne au xviiie siècle, de leur voirie, de leur bâti, de leurs équipements, constitue un des signes, visibles, des évolutions qu'elles connurent au cours de la période moderne, du xviiie siècle en particulier. Changements contradictoires que nous avons constatés déjà en d'autres domaines étudiés au livre I, nombre d'habitants, aménagements des moyens de transport etc. Il convient désormais de les expliquer.
Notes
1 M. Reinhard, « La population des villes, sa mesure sous la Révolution et l’Empire », Population, 1954, p. 278-288. Deyon, Amiens…, 350 h/ha en 1967, 480 en 1710 (paroisse Saint-Sauveur), 165 h/ha, paroisse Saint-André pourvue d’espaces verts. Toulouse, 649 h/ha, Marseille 550 à 684, Le Havre 752, Meulan (Lachiver) 400.
2 J.-P. Bardet, Rouen…, 1979 ; 72 % de surface bâtie à Rouen centre. 55 % à l’Ouest, 40 % au Nord, 47,12 % à l’Est. Dans quelques villes (Rennes après l’incendie), nous pouvons nous appuyer sur un toisé.
3 R. Mols, Introduction à la démographie…, t. II, p. 92.
4 En utilisant les cadastres du début xixe siècle, les dénombrements partiels, les chiffres fournis par Expilly, Ogée. J’ai pris le chiffre le moins élevé pour le nombre des habitants.
5 Concarneau, Redon, Vannes, Quimper, Guingamp, Tréguier, Auray, Pont-Croix, Le Palais.
6 Quimper, Rennes, Lamballe, Pont-l’Abbé.
7 Morlaix, Pontivy, Quimperlé, Fougères, Dinan, Landerneau.
8 AD. 35, 1 B a, Châteaulin connut en 1750 une crise du logement qui fit chasser tous les misérables de la ville (L.R, 1758).
9 J’ai utilisé le même mode de représentation que P. Deyon pour Amiens.
10 AD. 35, 4 B 4269. Établis sur tréteaux, fers, règles, ciseaux. Tous les inventaires des tailleurs contiennent ces instruments (cf. celui de Gilles Augoumard, maître tailleur, rue Saint-Georges).
11 23, soit 27,05 % des officiers vivant dans la partie Est ; 10,5 % de ceux de la vieille ville (219).
12 322 payaient l’impôt, en moyenne 5 L 18 s. 272 se trouvaient en dessous. 80 payaient 10 L et plus, avec un maximum de 20 L. Il y avait 165 pauvres.
13 AD. 35, C. 4217-4223.
14 AD. 35, C 354, ordonnance de police du 12 décembre, 11 771.
Table des illustrations
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Légende | Légende : (I) % de la catégorie par rapport à la totalité de ses membres.(II) % de la catégorie par rapport à l'activité des habitants de l'ensemble.(III) % de la catégorie par rapport à l'activité des habitants du quartier |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/11022/img-1.png |
Fichier | image/png, 311k |
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Titre | Rues : Dauphine, Toulouse, Orléans, Foulons |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/11022/img-2.png |
Fichier | image/png, 340k |
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URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/11022/img-3.png |
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Titre | Répartition des imposés dans la ville de Rennes par quartiers |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/11022/img-4.png |
Fichier | image/png, 138k |
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Titre | Évolution de la population de Dinan et de ses faubourgs |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/11022/img-5.png |
Fichier | image/png, 132k |
© Presses universitaires de Rennes, 2004