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Les villes de Bretagne au XVIIIe siècle

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Claude Nières

1re partie. Les villes bretonnes

Chapitre I. Les villes en Bretagne

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

1La compréhension de ce que pouvait être une ville au xviiie siècle conditionne toute étude concernant l'importance du fait urbain à cette époque dans cette province.

Qu'est-ce qu'une ville ?

Des définitions hésitantes et complémentaires

  • 1 M. - C. Saugrain, Dictionnaire Universel de la France, 1726.
  • 2 Expilly, Dictionnaire géographique, historique, 1762 - 1770.
  • 3 B. de Nointel, « Mémoire concernant la Province de Bretagne », J. Béranger et J. Meyer, La Bretagne (...)
  • 4 C.-P. Robien, Histoire ancienne..., 1756, é d. 1974.
  • 5 Bibliothèque Nationale, man. fr.265.
  • 6 Ogée, Dictionnaire historique et géographique de la Province de Bretagne, éd. 1845.
  • 7 Paroisse Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, à une vingtaine de Km au SSO de Nantes.

2D'Argentré consacrant le chapitre XIX de son Histoire de Bretagne écrite en 1618, au « nom ancien des villes et leur description », en recensait 30 dont Cancale et Poul-david et ajoutait à la fin de son énumération : « Au reste au pays de Bretagne, il y a villes et bourgs, les uns de juste grandeur [...] mériterait nom de ville si elles étaient closes, ce qu'elles ne sont, mais bien aucunes l'ont été autrefois, peu le sont aujourd'hui comme Guingamp, belle petite ville bien assise ». D'Argentré posait déjà le problème des critères de qualification et sa réponse ne le satisfaisait pas totalement. Les auteurs qui le suivirent se demandèrent aussi comment différencier un bourg d'une ville et les réponses qu'ils apportèrent furent loin d'être identiques. Saugrain dans son Dictionnaire1 dénombrait 34 villes en Bretagne, dont Bécherel et Lesneven mais pas Vannes, Auray, Audierne, Clisson, rien sur Pont-l'Abbé, sur Pornic et La Roche-Bernard consistait en un simple bourg. Expilly2, de son côté, séparant villes et bourgs, retint seulement 27 villes, ne donnait pas explicitement cette qualité à Nantes, La Roche-Bernard et Fougères, mais ajoutait Bécherel et Guémené et distinguait « villes » et « petites villes ». Alors que ces deux auteurs limitaient le nombre de villes à une trentaine, Béchameil de Nointel3 en 1698 en comptait 50, tout en considérant le Faou, Audierne, Pont-Croix, Pont-L'Abbé, Douarnenez comme de gros bourgs comparables à Crozon et Daoulas quant à Robien dans sa Description... de l'Armorique4, il voyait 79 villes sur les 87 agglomérations passées en revue, dont Saint-Servan partie de Saint-Malo qui « pourrait bien passer pour une autre ville ». A la Bibliothèque Nationale, un état non daté, sans introduction ni conclusion, inventorie les agglomérations bretonnes par ordre alphabétique5, spécifiant pour chacune s'il s'agit d'une ville, d'un bourg ou d'un village : 106 localités (en y ajoutant Rennes) sont qualifiées « villes ». L'ingénieur géographe Ogée dans son Dictionnaire [...] de Bretagne6, nous permet de mieux cerner la réalité urbaine bretonne telle que pouvaient la ressentir les contemporains. Complété au xixe siècle par Marteville et Varin, Ogée retient 100 villes et s'en explique dans son discours préliminaire : « Nous donnons indistinctement le nom de villes à tous les endroits qui ont ce titre par concession de nos princes ou rois, ou par usage de temps immémorial, quoique ces villes ne soient composées quelquefois que d'une seule paroisse et d'un très petit nombre d'habitants ; et que nous donnons en général le nom de bourg à tous les endroits où il y a une église, soit paroissiale, soit succursale [...] les villages [...] n'ont point d'église ». de la sorte, il prenait en compte toutes les villes qui députaient aux États mais aussi d'autres telles Baud, Bécherel, Belle-Isle-en-Terre, Blain, Callac, Cancale. Pour certaines cependant, il émettait quelques doutes : Loudéac cité reconnue alors qu'on « ne voit d'autres traces de fortifications que celles de son ancien château », Saint-Méen, bourg ou petite ville ? Il refuse Lohéac dont on prétendait qu'elle était autrefois une ville, mais où on ne voit d'autres traces de fortifications que celles de son ancien château. Il n'accepte pas le fort du Mindin bâti en 1754 « que plusieurs regardent comme une ville et qui n'est qu'un simple rocher ». Par contre, les 1 100 habitants de Belle-Isle-en-Terre, ses activités commerciales (quatre foires, un marché), judiciaires, charitables justifiaient son choix comme ville. Ogée citait encore, 14 villes d'autrefois et recueillait quelques traditions concernant Ys et Herbauge cités légendaires englouties, la seconde « jadis ville célèbre » punie d'après Albert de Morlaix pour les vices de ses habitants7. Il rappelait le passé supposé grandiose de Rézé qui aurait été la première cité des Nantais ou celui de Romazy dont l'importance expliquait le jeu de mot « Rome quasi ».

Députation aux États de Bretagne

Députation aux États de Bretagne
  • 8 AD. 35, 10 Fa 1, La Bretagne divisée en ses neuf évêchés..., 1706, Hubert Taillot, géographe du ro (...)

3Ainsi, les Bretons et quelques autres, estimaient le nombre des villes en Bretagne entre 30 et 100, fourchette trop importante qui résultait de divergences faisant d'une agglomération pour les uns une petite ville, un gros bourg pour les autres. Divergences que nous retrouvons chez les cartographes. Hubert Taillot, géographe du roi, distinguait 68 villes des bourgs8. Une carte postérieure (1720) à prétention élitaire et typologique, différenciait les urbes célèbres (11), les urbes simples (71) et les urbes minores. Brion mit en évidence les villes députant aux États, tout en encadrant sa carte d'un bandeau où il représentait les plus remarquables : Dol, Cancale, Saint-Malo, Tréguier, Morlaix, Saint- Pol-de-Léon, Brest, Quimper Corentin, Vannes, Lorient, Nantes, Paimboeuf, le Croisic et Rennes. Nous constatons l'absence étonnante de Vitré et Fougères.

  • 9 RCV. Quimper, 13 nov. 1788, cahier de doléances, art.8. Ogée, idem, écrivait : « on compte dans le (...)
  • 10 J.-P. Goubert, Malades et médecins en Bretagne, 1770-1790, 1974, p. 16.
  • 11 AD. 35, C 1. « Loudéac n'est pas une ville municipale ».
  • 12 D'après M. S. Ropartz, Guingamp, études pour servir à l'Histoire du Tiers Etat en Bretagne, éd. 18 (...)
  • 13 John Gilissen, « Les villes en Belgique », La ville, Recueil de la société Jean Bodin, 1954, p. 53 (...)
  • 14 A. Dupuy, Étude de l'Administration municipale. 189, p. 2 et suiv. reprend une idée avancée par J. (...)
  • 15 AD. 2 9, Quimper. 2 E 1 5 0 3.
  • 16 AD. 35, Cl, 2371, Point de vue qui trouve confirmation dans un état des villes adressé à l'intenda (...)
  • 17 A. Joris, La notion de ville, 1964, p. 90.
  • 18 D’Argentré, Histoire de Bretagne..., 1618, le soulignait : « Au reste au pays de Bretagne il y a v (...)
  • 19 A. Jouvin de Rochefort, Le voyageur d'Europe..., 1762, t.4.
  • 20 L.-F. Tillette de Mautort, Mémoires du Chevalier de Mautort..., 1752-1802, publiées en 1816, p. 98
  • 21 Paul Lelièvre, La vie des cités..., éd. 1954, p. 6, ensuite elle est un centre de production et d' (...)

4Le mot ville recouvre tellement de situations différentes que son imprécision même le rend difficilement opératoire et l'on est tenté de ne jamais l'utiliser. Pourtant ce mot s'impose quand bien même historiens, géographes, sociologues, urbanistes se disputent encore sur ce qu'il recouvre. Les contemporains s'interrogeaient aussi et tentèrent d'avancer des critères qui s'empilèrent, aucun n'étant satisfaisant. La prise en compte d'un critère reconnaissant une originalité juridique à la ville serait dans une certaine mesure intéressant pendant la période moderne en France, au moment où la stratification de la société en ordres juridiquement définis a pris toute son importance, toute sa puissance. La ville participait à cet état de droit, expression de la volonté du prince sur le fait urbain. Volonté qui a pu d'ailleurs être suscitée voire imposée, mais peu importe. La ville, « agglomération privilégiée », il paraît facile de dresser la liste des villes bretonnes, de rechercher les actes ducaux ou royaux qui consacrent un des privilèges essentiels accordés aux villes dans un pays d'Etats : le droit de députer ou de percevoir des octrois. A la veille de la révolution française, 42 villes députaient aux États émergeant des 1446 corps politiques ou généraux de paroisses. Le champ de l'étude serait donc clairement défini, si les Bretons ne contestaient cette représentation. La communauté de Quimper demandait : « que les villes et lieux considérables qui jusqu'à présent n'ont pas eu de députés aux États de la province, soient autorisés à y envoyer en raison de leur population9 », revendication partagée par les habitants de Châteaugiron : « que plusieurs villes et grosses bourgades telles que celle-ci, plus peuplée du double et même du triple que d'autres villes qui députent aux États, et singulièrement intéressante par sa fabrique de toile à voile n'y sont point représentées ». Rennes, souhaitait l'admission de députés des villes ou lieux considérables jusque-là sans représentants. de 1614 à la fin du xviiie siècle, une quarantaine (40 en 1667, 42 fin xviiie ), députèrent, en majorité toujours les mêmes, 38 villes participèrent à toutes les sessions entre 1614 et 1789, mais Châtelaudren, la Roche-Derrien et Jugon que nous trouvons en 1352 n'envoyait plus de représentants depuis 1539. Antrain n'apparaît pas aux États de 1662, Machecoul disparaît en 1651, Clisson en 1626. Hédé par contre députe à partir de 1645, la Roche-Bernard de 1667, Lorient de 1738. Port-louis obtint la représentation le 16 juillet 1618, la perdit en 1661 et la retrouva après 1766. Or, dès le xviie siècle et toujours au xviiie siècle, certaines de ces villes, apparaissent comme de petites bourgades peu peuplées : Saint-Renan, Lesneven et même de Saint-Pol-de-Léon. Jean-Pierre Goubert estime que la représentation aux États comme critère de reconnaissance de la ville, écartait de véritables villes et faisait entrer dans la catégorie de simples « bourgades10 ». Mais, la notion de bourgade parait comme celle de ville souvent subjective, liée à l'image de ce que l'on pense être la ville. En Bretagne, députation aux États et présence d'une communauté urbaine ne coïncidant pas toujours, vouloir faire correspondre l'existence d'une ville et celle de la reconnaissance de son autonomie politique est un non-sens11 Des villes députant en 1352, seule Guingamp pouvait se targuer de posséder une communauté de ville12. Des possibilités de gestion « autonome » existaient. Cette préexistence de la ville avant la reconnaissance ne constitue pas un phénomène spécifiquement breton, un examen détaillé du statut des villes et des villages belges, amena John Gilissen à constater13 que « commune » et « ville » ne coïncidaient pas forcément, dès lors, l'existence de l'une n'entraînait pas l'existence de l'autre. Gilissen avait raison de rompre avec la facilité qui consistait à suivre l'ordonnance de 1358 pour distinguer entre villes et villages. S'il s'agit de constater l'existence d'un organisme gérant plus ou moins librement les affaires de la collectivité, il serait intéressant de s'interroger plus avant sur le rôle des généraux de paroisses qui sans aucun doute jouèrent en Bretagne un rôle considérable dévolu ailleurs aux municipalités. Antoine Dupuy écrivait en 1891 : « Au xviiie siècle, les généraux ne sont plus de simples conseils de fabrique : ils sont devenus de véritables municipalités14 ». L'administration royale s'adressait à eux pour asseoir et percevoir la capitation et les vingtièmes, organiser la corvée des grands chemins, préparer le tirage au sort des miliciens provinciaux. Les généraux s'occupaient aussi des travaux publics, des traverses, du logement des gens de guerre, des étapes, préoccupations semblables à celles des municipalités, mais leur budget, celui de la paroisse, s'alimentait à des sources différentes et ils ne participaient pas aux États. Douarnenez chassée des États en 1772, écrivit : « supplie humblement le général et corps politique de la ville de Douarnenez15 ». Lorient, installée dès la fin du xviie siècle ne reçut le titre de ville qu'en 1738. Dans un premier temps, les habitants disposèrent d'un conseil de Fabrique créé en 1702. Quand en 1733, le Roi vendit des offices municipaux provisoires et nomma un maire (M. Perrault), un procureur du Roi et un greffier, ceux-ci gérèrent la cité avec le conseil paroissial. Un mémoire manuscrit de 1731 consacré aux dettes « du général des habitants des villes, paroisses et trèves qui ne sont point érigées en communautés16 » mérite à cet égard notre attention. Précisant d'emblée : « Il y a en Bretagne deux manières d'assembler les peuples ou communes pour y traiter de leurs affaires, par assemblée de communauté ou par assemblée de paroisse », il distinguait : « les villes où il y a communauté » des « villes qui ne sont point communautés [et qui] traitent de leurs par assemblée du général de paroisse... ». Pour l'auteur, ces deux sortes de communautés ne différaient : « qu'en ce que les princes ont accordé aux premières des privilèges d'octrois ». Certes, les villes avaient obtenu des « privilèges particuliers, comme exemptions de fouages, logement de gens de guerre... », mais, il s'empressait d'ajouter : « il y a des villes et paroisses qui ne sont point des communautés qui ont les mêmes privilèges ». Fallait-il dès lors, faire de la reconnaissance historique la preuve suffisante : « une ville serait une ville dans la mesure où son rôle dans le passé lui conférerait ce titre17 ? » Vague, cette « reconnaissance historique » permettrait d'introduire dans la liste des cités celles qui, ne répondant à aucun autre caractère nettement spécifié, n'en étaient pas moins reconnues comme villes par les contemporains. La recherche de critères plus « objectifs », plus « intemporels », plus structurels en somme, conduisit à s'interroger encore. D'Argentré avait introduit dans son étude des villes bretonnes une notion qui s'avéra pour les contemporains sinon décisive tout au moins extrêmement importante : la ville constituait un monde clos, fermé de murailles18. Cette « définition » traduisait ce que les hommes ressentaient et recherchaient dans la ville : un lieu protégé, voire capable de défendre ses prérogatives. Le Dictionnaire universel de 1690, le Dictionnaire de l'Académie française de 1694, le Dictionnaire de Pierre Richelet, copié par le Dictionnaire des Arts et des Sciences (1732), le Dictionnaire du Commerce (1762), la reprirent de même que l'Encyclopédie de Diderot qui la précisa. La ville possédait ainsi un paysage spécifique où le mur, la terrasse (symbole de la fonction militaire) jouaient un rôle déterminant, en tout cas privilégié. Pourtant, le Dictionnaire dit de Trévoux (1743) ne manquait pas de souligner que la ville est bien un lieu « ordinairement fermé(e) de murailles ». Ordinairement, mais pas toujours, ainsi que le démontre la situation bretonne. Et que dire des gros bourgs et des villages murés ? Des faubourgs ? Jouvin de Rochefort les opposait à la ville de Vannes « elle-même19 ». Mautort soulignait la différence entre la ville « proprement dite » de Brest qui n'a pas « une enceinte considérable » et le faubourg20. À l'époque où nous sommes, maintenir cette exigence, faire de la ville un lieu clos, fortifié ne correspondait plus à la situation d'un grand nombre de villes en particulier en Bretagne où 26 villes n'étaient pas murées à l'origine dont Antrain, Auray, Brest, Carhaix, Jugon, Landerneau, la Roche-Bernard, le Croisic, Lesneven, Hédé, Tréguier pour ne parler que des villes qui députaient. Dans bon nombre d'endroits, là où ils existaient encore, ces fameux murs tombaient en ruine ou étaient détournés de leur objet. Ils devinrent alors le signe d'une importance passée, de privilèges, d'une fonction disparue. Les contemporains se rendant compte du côté artificiel, discutable d'un tel critère, avancèrent d'autres éléments du paysage urbain. Ils restaient attachés à ce qui se voit et pour quelques-uns à ce qui se compte : l'existence de maisons en nombre important (Richelet), disposées par rues (Dictionnaire de l'Académie, Trévoux et surtout les Encyclopédistes). En Basse-Bretagne, « était réputée ville l'agglomération qui offrait sur la rue des pignons et non des murs rectangulaires comme ceux des bourgs ». Cette réalité physique mise largement en avant au xviiie siècle a retenu l'attention de géographes et d'historiens de l'urbanisme, tel Paul Lelièvre21.

  • 22 Moheau, Recherches et considérations sur la population de la France, 1778.
  • 23 Saugrain, Dictionnaire Universel..., 1726, crédite Bécherel de 193 habitants, Carhaix de 800, Hédé (...)
  • 24 AD. 35, C236 et C 3932, Edit du Roi contenant règlement., Compiègne, août 1764. E. Chenou, Histoir (...)
  • 25 Cité par A. Ramalho, « Des villes, bourgs et villages », Revue générale d'Administration, 1954, p. (...)

5Insatisfaits, des auteurs ajoutèrent aux autres critères sans les éliminer, le nombre des habitants. Comment fixer un seuil, sortir de l'imprécis Dictionnaire Universel : « habitation d'un peuple assez nombreux », ou du Dictionnaire du Commerce : « plusieurs habitants » ? En avançant un chiffre, la ville devait avoir au moins 2 500 âmes, Moheau22 éliminait : Bécherel, Carhaix, Hédé, Hennebont, Lamballe, Lesneven, Montfort, la Guerche, Josselin, Redon, Quimperlé et Quintin, villes historiquement reconnues23 et posait avec force le problème des petites villes auxquelles personne en Bretagne ne songeait à disputer ce titre. Néanmoins, la détermination d'un seuil a joué un rôle historique incontestable. L'administration le considéra comme un des moyens les plus simples de distinguer les différents types d'agglomérations. Lorsqu'il s'agit en 1764 de réformer les constitutions municipales, l'État distingua les villes suivant le nombre de leurs habitants. Voulant sortir de l'imbroglio des définitions et des prétentions, voulant abolir les privilèges, les administrateurs révolutionnaires, puis impériaux n'avaient d'abord voulu considérer que des communes. Ils n'en furent pas moins obligés d'introduire une distinction entre celles d'au moins 2 000 habitants agglomérés et les autres24. En 1820, la cour d'Appel de Rennes examina cette question et « considérant que le mot ville, dans son acception usuelle et commune, emporte l'idée d'une population nombreuse, à laquelle sont réunis des établissements publics pour l'harmonie de l'association générale et les besoins communaux », dénie ce titre à la ville de Pont-Scorff parce que celle-ci « n'excède pas 1 200 à 1 500 âmes et qu'elle ne possède pas d'autres établissements que ceux qui sont communs aux simples bourgs25 ».

  • 26 J. - C. Perrot, Genèse d'une ville moderne..., 1975, introduction, p. 9.

6Quoiqu'il en fut de ces difficultés, la cité au xviiie siècle, en particulier sous le règne de Louis XV, connut selon Jean-Claude Perrot26 une « intensité constructive, un essor démographique à l'occasion et une activité commerciale plus forte ». Il se produisit alors « une véritable découverte de la ville » et « l'invention de la question urbaine surplombe d'un siècle celle de la question sociale, ensuite elles ne se dissocient plus ». L'auteur situe la découverte de la fonction urbaine vers 1750 quand « les négociants, les ingénieurs, les médecins se mettent à parler [...] un même langage » et mettent en avant « la notion de fonction [qui] joue un rôle capital ». J - C. Perrot précise : « Le fonctionnalisme conduit à une autre découverte qui fonde véritablement la science urbaine. La méthode inclue en effet l'idée de co-variation, d'interdépendance [...]. Les observateurs du xviiie pensent à mettre en rapport commerce, industrie, population ». Moins méthodiques, l'Encyclopédie, le Dictionnaire des Arts et des Sciences, le Dictionnaire du Commerce, retinrent pêle-mêle toute une série de qualités, de fonctions, accolèrent près de trente caractéristiques au mot ville pour en cerner les réalités, mais sans séparer l'essentiel de l'accessoire, le permanent du conjoncturel, sans que les auteurs jugent utile de préciser que la ville pouvait avoir plusieurs qualifications. La représentation de la ville évolua dans l'esprit des gens. Administrateurs, praticiens-théoriciens, philosophes, s'évadèrent des représentations mythiques pour prendre en compte l'évolution de la société. Dans un monde essentiellement rural, où la majorité de la population travaillait la terre, où la noblesse occupait encore une place politiquement, socialement dominante (et pas seulement par l'intermédiaire de ses plus grandes familles), la ville apparaît au xviiie siècle en Bretagne « un théâtre où les lois récréatives sont manifestement celles de la Renaissance : promenades et jeux ». Cette idée de la ville où l'on trouvait les plaisirs des rencontres, la joie des salons, le réconfort des soupers et des spectacles semble normalement celle des propriétaires fonciers vivant une partie de l'année sur leurs terres, des nobles bretons se précipitant aux tenues des États et aussi, des moralistes qui y voyaient un lieu de débauche. Elle ne pouvait être ou ne plus être, celle de la bourgeoisie, des officiers, des banquiers pour qui la ville constituait l'endroit d'où ils dirigeaient leurs affaires, où ils exerçaient leurs fonctions. Les images fonctionnelles de la ville ne pouvaient être celles des couches populaires qui certes y trouvaient du travail, quelquefois un refuge mais aussi le chômage et la misère.

  • 27 C.-P. De Robien, Histoire ancienne et naturelle.1756, éd. 1974.

7Robien parmi les meilleurs analystes de son temps, proposa dans sa Description une méthode, une grille de connaissance de la réalité urbaine, chaque ville avait à ses yeux une existence géographique, une histoire, exerçait des fonctions multiples et présentait un paysage composé qu'il applique à 77 agglomérations, chiffre proche de celui que nous avons retenu27.

Des définitions récentes des ensembles urbains de la période moderne

  • 28 P. Clark, P. Slack, English Towns in Transition 1500-1700, 1976, C.W Chalklin, The provincial town (...)
  • 29 Respectivement : ville, pour les deux premiers, villages pour les seconds.

8Les historiens et géographes de nos jours ne semblent guère plus avancés que les théoriciens ou les « généralistes » auteurs de dictionnaires et mémoires. Dans leur étude des villes anglaises des xvie et xviiie siècles, Peter Clark et Paul Slack prennent en ligne de compte les agglomérations élémentaires à la population peu nombreuse des markets-towns (750 sous le règne d'Elisabeth, 600 en 1700 d'après Chalklin28 ). En Espagne, la hiérarchie entre ciudad, villa, aldéa et lugar29 parait davantage liée au niveau des privilèges. André Corvisier proposa de retenir les villes de juridiction, c'est-à-dire les sièges des diocèses, d'élection ou de circonscriptions comparables et de subdélégations. Il ajoutait les villes aux juridictions permanentes, complétait la liste suivant les indications contenues dans Saugrain et Expilly, et par les agglomérations comprenant 500 feux (2000 à 2 500 habitants). Une telle démarche appliquée à la Bretagne plaide pour la prise en considération la plus large possible de tous les éléments permettant de dessiner et donc de caractériser le tissu urbain.

  • 30 J-P. Goubert, Malades et médecins..., 1974.
  • 31 A. Croix, La Bretagne aux xvieet xviiesiècles, 1981.

9Jean-Pierre Leguay nous fournit une longue liste de 53 villes au xve siècle dont le Gavre, la Chèze, Rieux et Rochefort, confirmant le jugement d'Ogée, sauf pour la Chèze que le géographe qualifie seulement de paroisse. Jean-Pierre Coubert, pour la période 1770-179030, prend en compte et encore avec regret, les 42 cités députant aux États. Enfin Alain Croix a mené à bout des recherches qui ont grandement facilité ma tâche. Conduit à connaître « les critères du fait urbain », il décide de retenir « en fonction de la richesse des sources, un complexe englobant la présence d'un port, de halles ou marché, de foires. La présence plus ou moins complète du complexe permet d'éliminer les simples point d'échanges de marchandises, foires sans marché régulier, ports sans foire ni marché31 », et conclut à « la difficulté de dégager, en tout cas en Bretagne et au xviie siècle, une fonction véritablement caractéristique et propre à la ville. Celle-ci semble bien n'être qu'un lieu où l'on commerce un peu plus, où l'on fabrique un peu plus, et ce d'autant qu'elle est plus peuplée ». A ses yeux, les critères démographiques enfin se « révèlent eux aussi inaptes à une utilisation isolée » même s'ils permettent d'aboutir à de meilleures analyses des paroisses suburbaines. Il faut donc s'en remettre à « l'association de critères nombreux et diversifiés ». Alain Croix après avoir établi une liste de 253 centres, fait un tri et prend seulement en compte 39 villes qu'il classe en petites, moyennes, grandes et très grandes villes.

  • 32 Cf. bibliographie.

10Ces interrogations des auteurs, leurs divergences traduisent bien la difficulté de nos jours de qualifier les « petites » agglomérations, de différencier les villes des bourgs. Sauf à employer un critère quantitatif critiquable. Je me suis reporté à l'opinion des contemporains connaissant la Bretagne, en croisant leurs avis, j'arrive à une liste de 72 villes. Ce nombre élevé a des conséquences sur la vision du fait urbain et permet de bien comprendre la place des petites villes en Bretagne, place que nous pouvons comparer à celle qu'elles occupaient en Bourgogne ou dans le Dauphiné à la suite des travaux de Christine Lamarre, de Jean Favier32.

Villes de Bretagne au xviiie siècle

Villes de Bretagne au xviiie siècle

La répartition des villes bretonnes

11Situer l'ensemble des villes sur une carte, figurer ce que les géographes appellent le semis urbain, constitue une première démarche indispensable. Au xviiie siècle, seule, la ville de Lorient s'ajoute aux villes des siècles précédents. 57 villes ou gros bourgs sont proches de la mer, mais au moins 40 agglomérations se situent à l'intérieur. Si nous considérons le nombre de villes et non celui des habitants quelques zones paraissent plus fortement urbanisées : la région au nord de Rennes, entre cette ville, la frontière de la Bretagne et la Rance (12 cités), l'estuaire de la Loire et la Loire jusqu'à Ancenis, tout autour de Saint-Brieuc, de Carhaix, les villes autour du Scorff et du Blavet. Par contre, le sud de Rennes, entre Rennes et Redon est moins urbanisé, de même que la région entre Rennes et Blain. Il existait peu de villes entre Morlaix et Carhaix et au nord de Vannes.

  • 33 A. Meynier, La Bretagne, 1976 p. 5 1. Sur les sites littoraux : le littoral breton.3. Les sites li (...)

12L'existence d'une côte de submersion explique que beaucoup de villes bretonnes se situent au fond d'une ria, là où la marée vient mourir, où les hommes ont établi le passage, le pont. Ces villes nombreuses ont été l'objet de travaux remarquables de géographes qui parlent à quelques-uns de villes fluviomaritimes. Suivant les travaux pertinents de Jean-Pierre Leguay, nous pouvons dire que : « les humains se regroupent au contact de [...] deux régions géographiques différentes (entre une côte encore sans grand intérêt et des plateaux intérieurs d'accès difficile) sur une courte section connue dès l'Antiquité et traversée par les grands axes routiers gallo-romains ». André Meynier faisait remarquer33 ; « qu'aujourd'hui une bande de quinze kilomètres le long de la mer représente 22  % du territoire breton, mais abrite 30  % de la population et même 62  % de la population urbaine ». Encore faut-il rappeler qu'aucun point de la Bretagne n'est distant de plus de 60 km de la mer et que les obstacles naturels vaincus de nos jours restaient à l'époque moderne de redoutables barrières à la circulation.

  • 34 Ogée, op. cit. Le littoral breton ; Les sites littoraux, l'Atelier régional de Bretagne, 1 9 7 5, (...)
  • 35 A. Guilcher, Histoire de Brest, 1976, p. 17. A. Meynier, op. cit., p. 178 et suivantes.

13Au sud de la Loire, la nature ne favorise pas l'installation humaine. Dans cette zone amphibie marquée par l'existence d'un marais de plus de 20 000 ha, milieu des marais salants et de la Grande Brière, si l'on omet le petit port de Piriac, deux villes s'établirent : le Croisic et Guérande. Clisson se trouve à la confluence de la Sèvre nantaise et de la Maine qui se rencontrent en face de son château. Les embouchures des deux grands fleuves : la Loire et la Vilaine permirent la naissance et le développement de Nantes, à la rencontre de l'Erdre et de la Loire, ville pont, protégée par les eaux, les marais de l'Erdre et des buttes à l'Est, au premier passage facile d'un fleuve encore large dont les îles facilitaient le franchissement et de la Roche-Bernard, installée en haut de berges à l'abri des inondations de la Vilaine, seul fleuve entièrement breton34. Au-delà de cette zone où deux grands axes fluviaux permettent une pénétration profonde, le littoral breton ne connaît que des rivières courtes à l'urbanisation isolée (sites de poche). La côte jusqu'à la presqu'île de Rhuys ne présente que des grèves de peu d'importance, faiblement occupées. La presqu'île par sa forme, son relief, alternant éperons, anses et grèves, concentre les hommes et s'y sont installées Sarzeau, et Port-Navalo. Au sud du golfe du Morbihan, la ville de Vannes est sise « sur plusieurs collines séparées par des bras de mer des vasières et des marécages ». Le Loch a fixé Auray en un lieu de franchissement. Continuant vers l'ouest, nous trouvons plusieurs fleuves, le Blavet, le Scorff et la Laita qui ont attiré les hommes et permis l'installation de villes : Hennebont, Lorient, Quimperlé, Pont-Aven et Riec. Entre ces fleuves, ces rias, la côte de grèves, de rochers, de marais ne favorise pas la présence humaine. Plus au nord, existent les sites très protégés de Concarneau, de Bénodet à l'embouchure de l'Odet, de Quimper au point de franchissement, de Pont-l'Abbé. Peu de possibilités intéressantes en pays bigouden jusqu'à la pointe de Penmarc'h. L'ouest de la Bretagne profondément découpé, envahi par la mer possède deux baies. Celle d'Audierne avec ses grèves sableuses n'autorise des villes que sur les rivières : là sont Audierne et Pont-Croix. La baie de Douarnenez plus profonde, n'a pas d'embouchure importante et la ville est en front de mer. La rade de Brest et les vallées de l'Aulne et de l'Elorn constituent la zone la plus intéressante. La première avec ses méandres entaillant le plateau, baigne Châteaulin et Port-Launay. La seconde, relie Brest au sud de la Bretagne et aux deux bassins agricoles de Châteaulin et du Léon. On y trouve Landerneau sur l'estuaire de l'Elorn et entre les deux baies, Crozon, Morgat et Camaret. Le site d'estuaire de la Penfeld, au cours « encaissé et sinueux », « propice à la réception et à l'abri des vaisseaux », frégates et caboteurs35, a fixé Brest.

14La côte nord de la Bretagne commence par la région des abers : Ildut, Benoit, Vrac'h. La difficulté des liaisons terrestres a placé les villes de Saint-Renan et de Lesneven en retrait (cinq à dix kilomètres). Des promontoires, des anses, un semis d'îlots, des rivières enserrées marquent jusqu'à Saint-Brieuc, le littoral bas, déchiqueté. La baie de Morlaix, dissymétrique (côte basse à l'Ouest, rocheuse à l'Est) fournit une zone de liaisons terrestres. Roscoff, Saint-Pol-de-Léon et surtout Morlaix au creux de la vallée y sont construites. La baie de Lannion, puis les vallées du Jaudy avec Tréguier, du Leff et du Trieux avec Lézardrieux, la petite vallée de Paimpol, précèdent la très vaste baie de Saint-Brieuc. Ce plan d'eau entouré d'une multitude d'anses sableuses, de grèves, dominé par un plateau, favorisa la naissance et le développement d'agglomérations. Plus à l'Est, Saint-Malo et Saint-Servan, se trouvent au débouché de la Rance et, en fond d'estuaire, Dinan. Cancale enfin, se développe dans un double site de vallée et de baie.

  • 36 A. Meynier, op. cit., p. 3 1 6 et « Villes de Bretagne », A Géo, 1946.

15Au total, très peu de villes de front de mer, les cités s'enfoncent plus ou moins à l'intérieur. Trois villes îliennes : Saint-Malo, Concarneau, et le Palais constituent des exceptions remarquables. Presque partout, la ville se trouve là où le flux se fait encore sentir, où le fleuve côtier est encore franchissable, relativement à l'intérieur des terres, au contact entre la circulation terrestre et le débouché sur la mer. Cette situation générale concerne des sites fort différents selon les fleuves. Les Bretons ont utilisé toutes les possibilités naturelles d'implantation, se sont heurtés à des impératifs naturels plus ou moins favorables. Entre ces villes de franchissement et la mer, existent d'autres cités le long des axes fluviaux dont la situation, moins intéressante à l'origine, permit de trouver avec le développement des activités maritimes et le comblement des fleuves, les conditions d'un développement ultérieur, ainsi de Paimboeuf et Saint-Nazaire en aval de Nantes. La situation sur un fleuve dépend aussi des possibilités de pénétration à l'intérieur des terres. Inutile d'insister sur le rôle de la Loire et de la Vilaine à cet égard. Le Scorff, le Blavet ou même la Rance ne favorisent pas autant les villes qui les bordent. La présence d'une cité au lieu de franchissement ne signifie pas qu'elle tire sa richesse de la mer. Saint-Pol-de-Léon bâtie à un kilomètre des eaux marines était essentiellement une cité religieuse et son port Penpoul n'avait pas grande importance. Le port de Quimper : « n'a pas joué un très grand rôle dans le développement de la cité36 ». Saint- Brieuc placée sur un plateau encadré par les vallées profondes du Gouët et du Gouèdic, à 90 m d'altitude ne doit pas grand-chose à son port du Légué. Quatre agglomérations se partagent un site particulièrement surchargé : Port-Louis, Lorient, Pont-Scorff et Hennebont.

16Les situations et sites des villes intérieures différent. Le cœur de la Bretagne, pays de plateaux et de bassins, pays « âpre et peu peuplé », constituait les pays de Rohan, « berceau d'une prestigieuse famille », de Josselin dans la seigneurie de Porhoët, de Pontivy. La Bretagne orientale bien moins maritime que l'occidentale, possédait la capitale de la Bretagne : Rennes (carrefour naturel, Condate, c'est-à-dire confluent), centre d'un réseau routier étendu hérité de son passé gallo-romain, Moncontour à la limite de la plaine littorale, Bécherel très proche de la capitale. Nous avons ici, Montfort-sur-Meu, à la confluence du Meu et du Garum, Bain-de-Bretagne, Messac, Redon à la confluence des rivières Vilaine et Oust. Au nord, Dol domine les marais. À la frontière, Antrain, Fougères, Vitré, Marcillé-Robert, Martigné-Ferchaud, Châteaubriant, Ancenis et au-delà de la Loire, Clisson et Machecoul. Certaines se trouvent à des croisements importants de routes, sur les marches de Dol à Nantes, en particulier Antrain, Fougères, Vitré, la Guerche, Châteaubriant, et à l'intérieur, Malestroit, Ploërmel, Pontivy, Carhaix et Guingamp. Beaucoup juchées sur des hauteurs commandaient les environs dont Rennes. L'altitude peut y paraître dérisoire avec un point culminant à 55 mètres (au Thabor) alors que la vallée se trouve à 25 mètres, mais cette petite éminence, une des rares de la région, domine la confluence de l'Ille et de la Vilaine et des marécages rendent l'approche difficile par le sud et l'ouest. Ce site défensif, fit de la ville l'une des clefs de la Bretagne. Hédé perchée à 100 m sur une colline de granit, Bécherel à 180 m, les châteaux de Vitré et une partie de la ville, celui de Fougères protégeant une cité établie pendant la période médiévale sur la crête séparant le Nançon du Couesnon, se trouvent sur des sites défensifs, sur des hauteurs, comme d'ailleurs Ancenis, Dinan, Châteaugiron et autres villes intérieures. Guingamp « au bord de la route » surveillait les passages, ainsi que Lamballe sur la cluse du Gouessan, ou Moncontour à la croisée des chemins de Rennes à Saint-Brieuc et de Saint-Malo à Pontivy : Carhaix, Pontivy, Loudéac. Nous ne constatons pas pendant la période moderne d'abandon d'un site. Les implantations proches de Port-Louis et de Lorient, répondent à peu d'années de distance à des besoins différents : l'une voulue pour des raisons stratégiques mais mal adaptée au commerce, l'autre destinée au commerce mais de défense difficile. Les seuls changements de site constatés sont antérieurs à notre période et liés à la cassure provoquée par l'effondrement du monde romain. Lannion s'établit au xiie siècle à quelques kilomètres de la mer délaissant le site de Yaudet, cité romaine à l'extrémité aval de l'estuaire. La Quimper gallo-romaine au site trop vulnérable sur la rive gauche de l'Odet se transporta 500 m plus en amont au confluent de l'Odet et du Steir, Saint-Malo remplaça Alet pour des raisons de sécurité. Cependant, il ne suffit pas d'être à un croisement de routes pour devenir une ville : Saint-Méen, Plouay, Locminé restèrent des bourgs. Au-delà des conditions naturelles qui expliquent telle ou telle implantation, au-delà d'un certain « déterminisme géographique » cher autrefois aux géographes, l'histoire nous fournit l'essentiel des explications concernant le dessin du semis urbain breton.

Origines et ancienneté des villes bretonnes

  • 37 J. Bazin, « Fondation de la ville de Landerneau au Moyen Âge », BSAF, 1963, p.9 à 14.
  • 38 G. Peyronnet, Histoire de Brest, 1976, p. 39.

17Le semis urbain existant au xviiie siècle hérite des périodes qui le précèdent. Sur l'ensemble des agglomérations, quatre naissent et se développent pendant la période moderne, deux sur des sites déjà habités (Brest et Port-Louis), seules Lorient et Le Palais à Belle-Ile-en-Mer sont des villes nouvelles. de très nombreux travaux érudits sur l'origine des villes bretonnes témoignent du manque criant de documents avant le xve siècle. Au-delà des cinq cités héritées de la période romaine : Condevicnum (Nantes), Condate (Rennes), Darioritum (Vannes), Vorgium (Carhaix). L'historien Bourde de la Rogerie et le géographe Le Lannou, s'accordent sur une urbanisation bretonne difficile et tardive. La plupart des villes bretonnes, une soixantaine avance prudemment Jean-Pierre Leguay, naquirent aux xie et xiie siècles au pied des châteaux seigneuriaux. En Bretagne, la forteresse fit naître le marché. Jean-Pierre Leguay remarque néanmoins que la « fixation de communautés monastiques près des châteaux [furent des] étapes capitales dans l'élaboration des villes » et que les prieurés se trouvent à l'origine de plusieurs paroisses, de la formation de « faubourgs aux moines » et de l'érection des premiers grands édifices religieux. Des villes naquirent pendant le Haut Moyen Âge breton de centres religieux établis par des émigrants, des monastères créés au vie siècle donnèrent naissance à des évêchés-monastères. Dol apparaît dans les sources en 994 quand le Normand Harold, prit la ville mais « Saint-Brieuc, Tréguier et Saint-Pol ne devinrent des centres urbains que beaucoup plus tard entre le xie et le xiiie siècle ». Quant à Redon, l'installation de la très riche abbaye bénédictine, les privilèges qu'elle obtint, entraînèrent un afflux de population justifiant la construction d'une église paroissiale dans la première moitié du xie siècle. Ainsi, Châteaubriant, Combourg, Machecoul, Ploërmel, Pont-Château et Vitré se développèrent là où se trouvait le chef-lieu de paroisses anciennes, mais Landerneau empêche de trop systématiser37. Pendant ce temps, « les anciennes villes gallo-romaines, en déclin depuis le iiie siècle, semblent se stabiliser après la conquête de la Gaule par les Francs et on note du vie au ixe siècle des indices de reprise de leurs activités que viennent, il est vrai, interrompre momentanément des hostilités et des sièges38 ». Les invasions normandes causèrent la construction de quelques forteresses dont l'une donna ensuite naissance à Rieux.

18Ainsi, donc la Bretagne serait une des régions où se trouverait confirmée l'opinion de ceux qui pensent que la fonction commerçante pour si importante qu'elle fut, suivit dans le temps la fonction militaire, que le marché, la foire fournirent des denrées à une population agglomérée autour d'un château et surtout à ses habitants. L'histoire urbaine bretonne infirmerait dès lors la théorie de Pirenne selon laquelle la cité est d'abord une communauté de marchands. Quoique le château de la Roche-Maurice n'a pas donné naissance à une ville castrale. La ville se bâtit autour du pont et du gué, le château apparut ensuite et aucune muraille n'entoura la cité. La coexistence du château et de la ville, la primauté du premier sur la seconde, l'alliance du « siège de l'autorité et du marché permanent » constituèrent le point de départ le plus fréquent du développement urbain médiéval en Bretagne. A partir du xiiie siècle, les fondations de villes devinrent très rares : à l'intérieur, Saint-Aubin-du-Cormier en 1223 et le Gâvre en 1225. Au même moment, les côtes se garnissent d'agglomérations, pour la plupart simples villages de pêcheurs. Petites agglomérations portuaires, déjà des abris fortifiés, points d'appui de la flotte et ports de commerce et de pêche, s'installent : Audierne, Bénodet, Blavet, Camaret, Concarneau, Paimpol, Penmarc'h, Roscoff, Concarneau et Brest. Il aurait existé une petite agglomération près du château de Brest au xiie siècle mais « aucun document ne mentionne d'activité commerciale importante avant le xive siècle ». Blavet construite par décision de François II, préfigure Port-Louis. Ainsi, le système urbain breton se trouve constitué à l'aube des temps modernes. Il constitue, un ensemble récent, relativement jeune si on le compare aux autres régions françaises, Trois villes maritimes, quatre avec Le Palais, ville en formation, viendront s'y ajouter : Port-Louis sous Louis XIII, Brest à la double naissance moderne (Richelieu et Colbert), enfin Lorient.

19Il n'y a rien d'anormal à constater que toutes les villes nées pendant une période donnée pour répondre à des besoins donnés, n'ont pas eu par la suite le même destin. Les villes de fond d'estuaire, les villes-ponts établies primitivement en des lieux de défense facile d'où elles pouvaient bloquer le passage de troupes ennemies, le danger extérieur éloigné, le commerce progressant, profitèrent de leur situation pour trouver dans le négoce une nouvelle source de richesse et de développement. Les transformations de l'Etat, la croissance à la fois de ses besoins et de ses possibilités, la part de plus en plus grande qu'il prit à la vie des cités, la politique qu'il suivit sur les plans intérieur et extérieur, constituèrent une des données essentielles de l'évolution urbaine du xvie au xviiie siècle.

  • 39 H. Martin, Les ordres mendiants en Bretagne, 1975. p. 1-27. À la fin du xiiie siècle sur 525 créat (...)

20Entre toutes ces cités, il existait des hiérarchies constituant la trame urbaine. À la fin du xviie siècle et à la fin du xviiie siècle, le semis urbain breton, était plus important, plus dense que certains ont jusque-là voulu le prétendre. Mais, la valeur de l'urbanisation de cette région n'est pas seulement liée au nombre de ses villes mais aussi à leur taille comme le montre le simple exemple de l'implantation des ordres mendiants au Moyen Âge 39.

Notes

1 M. - C. Saugrain, Dictionnaire Universel de la France, 1726.

2 Expilly, Dictionnaire géographique, historique, 1762 - 1770.

3 B. de Nointel, « Mémoire concernant la Province de Bretagne », J. Béranger et J. Meyer, La Bretagne à la fin du xviie siècle, 1976.

4 C.-P. Robien, Histoire ancienne..., 1756, é d. 1974.

5 Bibliothèque Nationale, man. fr.265.

6 Ogée, Dictionnaire historique et géographique de la Province de Bretagne, éd. 1845.

7 Paroisse Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, à une vingtaine de Km au SSO de Nantes.

8 AD. 35, 10 Fa 1, La Bretagne divisée en ses neuf évêchés..., 1706, Hubert Taillot, géographe du roi.

9 RCV. Quimper, 13 nov. 1788, cahier de doléances, art.8. Ogée, idem, écrivait : « on compte dans le diocèse de Quimper onze villes dont quatre députent aux États », t. II, p. 394. À l'inverse, P. Boissonnade, Essai. 1890. En Angoumois, le nom de ville s'appliquait à la plupart des chefs-lieux de châtellenies ou de grandes terres féodales et sur vingt villes députant, six au plus avaient une population suffisante pour mériter ce nom.

10 J.-P. Goubert, Malades et médecins en Bretagne, 1770-1790, 1974, p. 16.

11 AD. 35, C 1. « Loudéac n'est pas une ville municipale ».

12 D'après M. S. Ropartz, Guingamp, études pour servir à l'Histoire du Tiers Etat en Bretagne, éd. 1859, t. 1, p. 247.

13 John Gilissen, « Les villes en Belgique », La ville, Recueil de la société Jean Bodin, 1954, p. 534.

14 A. Dupuy, Étude de l'Administration municipale. 189, p. 2 et suiv. reprend une idée avancée par J. Lamare, « Histoire de la ville de Saint-Brieuc ». SCEN 1884, TXXII, qui faisait remarquer que : « pendant longtemps, l'assemblée de ville ne paraît pas au premier abord distincte de celle de la paroisse », et qu'au xvie siècle, elle se réunissait dans l'église paroissiale. La séparation définitive entre les deux ne fut effectuée que le 1 8 juillet 1 7 4 2. A. Thierry, Essai sur l'Histoire de la formation et des progrès du Tiers-état, 1853 soulignait déjà le rôle essentiel en Bretagne de l'Église paroissiale avec son conseil de Fabrique. Il y voyait le Centre de l'administration et ne trouvait pas de trace de lutte de la bourgeoisie pour conquérir des droits politiques, ni de révolution communale. Il mettait à part Rennes et Nantes, Saint-Malo présentait le cas original d'avoir instauré une « République » (C. Nières, « Une ville de la modernité », Histoire de Saint-Malo et du Pays malouin, 1984, p. 174 ).

15 AD. 2 9, Quimper. 2 E 1 5 0 3.

16 AD. 35, Cl, 2371, Point de vue qui trouve confirmation dans un état des villes adressé à l'intendant : Corlay, Châteauneuf-du-Faou, Châteaulin et Gourin y sont qualifiées de « petites villes sans communauté et ne députant pas aux États ».

17 A. Joris, La notion de ville, 1964, p. 90.

18 D’Argentré, Histoire de Bretagne..., 1618, le soulignait : « Au reste au pays de Bretagne il y a ville et bourgs [...] qui mériterai nom de ville si elles étaient closes, ce qu'elles ne sont, mais bien aucunes l'ont été autrefois, peu le sont aujourd'hui ».

19 A. Jouvin de Rochefort, Le voyageur d'Europe..., 1762, t.4.

20 L.-F. Tillette de Mautort, Mémoires du Chevalier de Mautort..., 1752-1802, publiées en 1816, p. 98.

21 Paul Lelièvre, La vie des cités..., éd. 1954, p. 6, ensuite elle est un centre de production et d'échanges, éléments essentiels à ses débuts : un marché permanent, p. 7.

22 Moheau, Recherches et considérations sur la population de la France, 1778.

23 Saugrain, Dictionnaire Universel..., 1726, crédite Bécherel de 193 habitants, Carhaix de 800, Hédé de 208, Hennebont de 778, Lamballe de 775, Lesneven de 410, Montfort de 316, La Guerche de 560, Josselin de 368, Redon de 560, Quimperlé de 668, Quintin de 998, Saint-Aubin-du-Cormier de 247. J-P. Leguay, op. cit._1981, montre de son côté que la Bretagne du xve siècle a des paroisses rurales, des bourgs et des villages agglomérés plus peuplés que certaines villes.

24 AD. 35, C236 et C 3932, Edit du Roi contenant règlement., Compiègne, août 1764. E. Chenou, Histoire générale du droit public et privé des origines à 1815, 1929, t. II, p. 478 et suiv. Ministre de l'intérieur : lettre aux préfets (circulaire du 17 août 1813). Le 31 octobre 1793 (décret du 10 brumaire An II), le mot « commune » remplace les anciens termes.

25 Cité par A. Ramalho, « Des villes, bourgs et villages », Revue générale d'Administration, 1954, p. 2 9 1.

26 J. - C. Perrot, Genèse d'une ville moderne..., 1975, introduction, p. 9.

27 C.-P. De Robien, Histoire ancienne et naturelle.1756, éd. 1974.

28 P. Clark, P. Slack, English Towns in Transition 1500-1700, 1976, C.W Chalklin, The provincial towns of georgian england, 1974.

29 Respectivement : ville, pour les deux premiers, villages pour les seconds.

30 J-P. Goubert, Malades et médecins..., 1974.

31 A. Croix, La Bretagne aux xvie et xviie siècles, 1981.

32 Cf. bibliographie.

33 A. Meynier, La Bretagne, 1976 p. 5 1. Sur les sites littoraux : le littoral breton.3. Les sites littoraux, par l'Atelier régional de Bretagne, 1975.

34 Ogée, op. cit. Le littoral breton ; Les sites littoraux, l'Atelier régional de Bretagne, 1 9 7 5, p. 2 0 - 2 1.

35 A. Guilcher, Histoire de Brest, 1976, p. 17. A. Meynier, op. cit., p. 178 et suivantes.

36 A. Meynier, op. cit., p. 3 1 6 et « Villes de Bretagne », A Géo, 1946.

37 J. Bazin, « Fondation de la ville de Landerneau au Moyen Âge », BSAF, 1963, p.9 à 14.

38 G. Peyronnet, Histoire de Brest, 1976, p. 39.

39 H. Martin, Les ordres mendiants en Bretagne, 1975. p. 1-27. À la fin du xiiie siècle sur 525 créations, 14 concernaient la Bretagne réparties en 11 villes : Guingamp (2), Dinan (2), Nantes (2). Quimper, Rennes, Vannes, Quimperlé, Châteaubriant, Lamballe, Ploërmel et Morlaix, une chacune. Au début du xvie siècle, la présence mendiante se renforça : trois villes possédaient trois couvents (Nantes, Rennes, Dinan) ; trois, deux (Guingamp, Morlaix, Vannes) ; 27 un seul couvent.

Table des illustrations

Titre Députation aux États de Bretagne
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Titre Villes de Bretagne au xviiie siècle
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© Presses universitaires de Rennes, 2004

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