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Rouen sous la IIIe République

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Loïc Vadelorge

Deuxième partie. La culture en débats

Chapitre VI. Vers une démocratie culturelle ?

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Mounier Emmanuel, extrait du prospectus de présentation de la revue Esprit, 1932.
  • 2 Ory Pascal, « La culture pour tous », L’Histoire, 197, mars 1996, p. 84.
  • 3 Ritaine Evelyne, Les stratèges de la culture, Paris, Presses de la fondation nationale des science (...)

1Présentant la revue Esprit en 1932, Emmanuel Mounier écrivait : « L’art doit être arraché au snobisme fermé d’une minorité d’argent, pénétré d’humanité, rendu aux créateurs et, par eux, ouvert au plus grand nombre1 » On associe généralement le thème de la démocratisation culturelle au Front populaire, période ou le slogan de « popularisation de la culture » servit de moteur aux politiques des arts, des lettres et plus largement des loisirs2. On sait aussi que la Belle Époque, dans le sillage de l’affaire Dreyfus et des universités populaires préfigure largement ce souci de démocratisation, qui mobilisa aussi bien les intellectuels que le peuple3. En dehors de ces deux moments clés, l’histoire de la démocratisation culturelle semble plus terne, oscillant entre l’indifférence des élites au temps de la République conservatrice (1870-1890) et le retour à l’ordre caractéristique des années 1920. À l’échelle de Rouen, cette chronologie doit être nuancée. Si la Belle Époque et le Front populaire forment bien ici comme ailleurs des moments où « rendre la culture au peuple » s’avère comme une évidence pour les acteurs politiques et culturels, on ne saurait négliger l’importance des années 1870-1890 et surtout celle des années 1920-1935 qui nourrissent la question de la démocratisation culturelle.

2Reste à s’interroger d’emblée sur les limites programmatiques de la culture à démocratiser. S’agit-il de démocratiser les arts, c’est-à-dire de rendre accessible au plus grand nombre les musées, les théâtres et l’enseignement artistique ou musical ? S’agit-il de prolonger la politique ancienne d’éducation populaire, en utilisant des vecteurs culturels comme les bibliothèques, les universités populaires, les musées ? S’agit-il encore de déplacer la frontière qui sépare le monde des loisirs cultivés (théâtre lyrique ou dramatique, fréquentation des bibliothèques et des musées) des loisirs populaires (théâtre forain, fêtes urbaines) ? Quelle place tiennent les nouvelles formes de loisirs comme le sport ou le cinéma dans le processus de démocratisation ? Autant de questions qui invitent à une analyse chronologique où la banlieue, une fois n’est pas coutume, éclaire d’une lueur décisive l’histoire culturelle de la ville centre.

Un concept en pointillé, 1870-1914

3L’effervescence démocratique qui caractérise la Belle Époque doit être resituée dans une moyenne durée. Les épisodes fameux de la création d’une université populaire, le rôle d’Alain comme conférencier de cette université et comme rédacteur d’articles pour le compte de La Dépêche de Rouen marquent à la fois une rupture dans l’histoire culturelle locale, tout en constituant une forme d’aboutissement à des questions posées dès le Second Empire.

Les deux âges de la démocratisation culturelle : de l’instruction publique à l’éducation populaire

  • 4 Dewerpe Alain, Le monde du travail en France 1800-1950, Paris, Armand Colin, Cursus, 1989.
  • 5 Albertini Pierre, L’École en France, xixe-xxe siècle. De la maternelle à l’université, Paris, Hach (...)

4La frontière entre le domaine de l’instruction publique et celui de la démocratisation culturelle est étroite sous la IIIe République. L’un et l’autre domaine participent d’une politique qui se pense comme réponse à apporter à la question sociale. Sous la monarchie de Juillet et surtout sous le Second Empire, on encourage la prise en charge de l’instruction publique par les communes et secondairement par les employeurs. Dans les deux cas, c’est une conception paternaliste qui s’impose, visant à la fois à éduquer le peuple et à stabiliser le corps social. L’instruction publique n’était cependant destinée qu’aux enfants. Elle appelait un équivalent pour les adultes, ne serait-ce que pour répondre à la technicité croissante de la révolution industrielle4. La création de l’enseignement primaire supérieur (loi Guizot, 1833) puis de l’enseignement spécial (loi Duruy, 1865) ne permettait guère de toucher suffisamment de jeunes et d’adultes. Il s’agissait donc de créer des lieux et des structures susceptibles de former et d’éduquer le peuple, tout en le laissant en marge de l’école de la bourgeoisie5. Cette éducation dépasse cependant le cadre de ce que nous appellerions aujourd’hui la formation continue. Aux côtés des apprentissages techniques, on chercha très tôt à proposer au peuple l’apprentissage de l’histoire, de la géographie ou du chant. À l’échelle locale, cette politique releva tout d’abord du monde industriel, mélange de philanthropie incontestable et d’intérêt bien compris. Dans la plupart des cas, les initiatives municipales en faveur de l’éducation populaire sont liées à celles des industriels.

  • 6 Duchemin Pierre, Maromme et les communaux de la Muette, Pont-Audemer, Imprimerie administrative, 1 (...)
  • 7 Ibidem.
  • 8 Ibidem, p. 168.
  • 9 Ibidem, p. 145.

5À Maromme, Charles Besselièvre, dont la statue trôna longtemps sur la place de l’hôtel de ville, incarne parfaitement cette mainmise du paternalisme industriel, qui sut s’étendre de la protection sociale à l’éducation populaire. Propriétaire d’une entreprise d’imprimerie sur étoffe de 288 ouvriers, Charles Besselièvre y crée à la fois une caisse de secours (1869), une caisse de retraites (1869), une caisse d’épargne (1878) et deux écoles pour les garçons et les filles de ses employés. Il encourage une compagnie de gymnastique de 22 membres à la même époque. Élu maire sur une liste républicaine en 1877, il désigne une commission de cinq membres « pour rechercher toutes les améliorations à introduire dans les écoles et surtout la création d’une bibliothèque6 ». Le rapport de cette commission, rendu en mars 1878, constate l’insuffisance des crédits municipaux et propose de s’en rapporter à « l’initiative individuelle et au concours de l’État et du département7 ». Dix ans plus tard, un observateur constate l’absence de bibliothèque à Maromme, « cet outillage si utile pour la propagation de l’instruction8 ». Parallèlement à ce projet de bibliothèque, la famille Besselièvre (Charles, Émile, Louis) poursuit son œuvre en faveur de l’éducation populaire. En 1879, Charles Besselièvre fait organiser des cours d’enseignement primaire supérieur à Maromme, pour lesquels il met à disposition son laboratoire de chimie. En 1880, il fait voter par le conseil municipal la création d’un champ d’expériences agricoles. En 1882 enfin, une commission municipale est nommée « pour l’organisation à Maromme de lectures et conférences populaires » dont Besselièvre fait « ressortir toute l’utilité et l’importance9 ». On le voit, l’action de la famille Besselièvre relève autant d’un désir de stabiliser et de former la main-d’œuvre locale que d’un souci d’élever la culture générale d’une commune de 3400 habitants. À la même époque les besoins de l’industrie locale sont en effet importants. La ville compte en 1890, dix-neuf usines réparties aussi bien dans le textile (filature de coton, tissage mécanique du coton et du chanvre, imprimerie sur étoffe, fabricant de tresses, tannerie) que dans la mécanique et la chimie (fabrique d’huile, constructeur de machine, déchireur de déchet, chaudronnerie, etc.). Le maintien et l’expansion de ce tissu industriel passait nécessairement par la formation d’ouvriers qualifiés.

  • 10 Duchemin Pierre, Petit-Quevilly et le Prieuré de Saint-Julien, Pont-Audemer, Imprimerie administra (...)
  • 11 Duchemin Pierre, Histoire de Saint-Étienne-du-Rouvray, Rouen, Lestringant, 1892.

6Ce cas de figure se retrouve dans de nombreuses communes ouvrières de l’agglomération, de la vallée du Cailly (Déville, Malaunay, Le Houlme) à la vallée de l’Aubette et du Robec (Darnétal) ainsi que sur la rive gauche (Oissel, Saint-Étienne-du-Rouvray). À Petit-Quevilly, on ne rencontre pas d’opposition entre les initiatives patronales et municipales. En 1888, le maire Toussaint-Ducy et le directeur des Établissements chimiques Malétra, qui emploie plus de 800 ouvriers, s’entendent pour établir une bibliothèque communale. Elle ouvre ses portes le 1er octobre 1889, proposant 650 volumes au public10. Son comité d’administration réunit élus et notables locaux, dans la droite ligne des sociétés de secours mutuels du Second Empire. Même encadrement patronal à Saint-Étienne-du-Rouvray où la Société cotonnière, installée sous le Second Empire, établit entre 1870 et 1890, dans son enceinte même, deux écoles primaires, une crèche, une école maternelle ainsi qu’une société musicale11.

  • 12 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
  • 13 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
  • 14 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
  • 15 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)

7Face à cette prise en charge paternaliste, les alternatives sont rares avant la Belle Époque. Le volontarisme municipal est cependant notable dans certains cas, les villes relayant parfaitement la politique d’État qui de Guizot à Jules Ferry en passant par Victor Duruy les encourage à stimuler l’instruction populaire. À Notre-Dame-de-Bondeville, des cours pour adultes existent dès le Second Empire. La ville les met en place dans le sillage des lois du 15 mars 1850 et du 10 avril 1867. Ces cours, dispensés dans le cadre des deux écoles communales sont gratuits12. Cette forme d’éducation populaire tombe cependant en désuétude dans les années 1880. La commune se résout même à les supprimer à la fin de la décennie, car ils rassemblent moins de dix inscrits13. L’accent est alors mis sur l’instruction primaire, considérée comme le seul vecteur d’éducation populaire. La Ville fait édifier une école primaire de garçons (1876) puis une école de filles (1878) et établit leur gratuité absolue dès 1879, avant même la loi Ferry du 16 juin 1881. En 1879, une proposition municipale vise à établir localement une bibliothèque scolaire14. Écartée pour des raisons budgétaires, la question revient sur le tapis en 1886. Le conseil municipal accepte alors de fonder une « bibliothèque strictement scolaire » destinée aux seuls élèves des écoles primaires15.

  • 16 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 19 août 1878.
  • 17 AMR, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 30 décembre 1881.

8À Rouen même, la volonté de développer l’instruction publique est notable dès les débuts de la République. En 1876, un conseiller municipal réclame et obtient l’ouverture de la bibliothèque municipale le soir après 21 heures. En 1878, un autre conseiller, l’ouvrier typographe Robert, dénonce la fermeture d’un « établissement d’utilité publique16 » les jeudis, dimanches, fériés, et le mois d’août, soit l’équivalent de cinq mois par an. Ces revendications trouvent un certain écho au début des années 1880. Défendant les sections « Beaux-Arts et Instruction publique » de son budget prévisionnel pour 1882, le maire de Rouen, Louis Ricard, déclare qu’il s’agit de « non seulement donner satisfaction à tous les besoins matériels de la ville, mais également de fortifier toutes les institutions qui contribuent à son développement moral17 ». L’accent est mis sur la lecture publique et sur le développement de la nouvelle bibliothèque municipale :

  • 18 Ibidem.

« Il ne suffit pas de répandre libéralement l’instruction. Celle-ci n’est en quelque sorte que l’instrument dont nous avons besoin. Il est, en outre, nécessaire de mettre chacun à même d’utiliser ce qu’il a appris dans les écoles ; c’est ainsi, du reste que notre population le comprend, car, pendant l’année 1880-1881, plus de 12 000 lecteurs ont fréquenté la bibliothèque18. »

  • 19 Dans les années 1870, fonctionne ainsi à Rouen une bibliothèque dite du Cercle militaire, sans com (...)
  • 20 Annuaire de Rouen, 1890, p. 245. Les cours étaient dispensés dans l’une des salles de l’École d’ap (...)
  • 21 Ils n’apparaissent plus du moins dans les annuaires de Rouen.
  • 22 Duchemin Pierre, Sotteville-lès-Rouen et le faubourg Saint-Sever, Rouen, Lestringant, 1893, p. 313

9Le relais de ces louables intentions est souvent pris par le monde associatif19. La Société d’émulation de Rouen est sans doute l’une des plus actives à cet égard. En 1890, elle propose 24 cours hebdomadaires, balisant aussi bien le domaine des langues (anglais, allemand, espagnol) que le domaine scientifique (zoologie, chimie, astronomie, botanique, médecine usuelle) ou l’enseignement à visée professionnelle (comptabilité, législation commerciale, modelage, ornementation, etc.). À Rouen également, une Bibliothèque populaire de circulation est fondée en 1865 par la très active franc-maçonnerie locale. Installée au 12, rue d’Elbeuf, dans le faubourg ouvrier de Saint-Sever, elle fonctionne comme une bibliothèque de prêt, ouverte tous les jours de 9 heures à 16 heures, ainsi que les jours fériés jusqu’à 10 heures du matin. Elle dispose d’une succursale sur la rive droite, rue des Carmes. Deux bibliothécaires – dont Théodore Lebreton – sont affectés au service de prêt de livres, dont le bénéfice nécessite une modeste adhésion de 1 franc par an. Les loges maçonniques rouennaises organisent également dans les années 1880, des cours gratuits de mécanique et de géométrie appliquée, à destination du public populaire du faubourg Saint-Sever20. Ces cours semblent toutefois disparaître au début des années 189021. À Sotteville-lès-Rouen, il existe également une Bibliothèque populaire d’origine associative. Fondée en 1878 par « un groupe de travailleurs dévoués à la cause démocratique22 » et appartenant au Cercle républicain d’instruction et d’éducation populaire de Sotteville, elle couvre le canton de Sotteville et de Grand-Couronne. Son activité est importante jusqu’à la fondation, en 1889 d’une bibliothèque communale. Il faut relier cette volonté associative aux réseaux républicains nationaux comme la Ligue de l’enseignement, fondée par Jean Macé en 1866.

  • 23 Cette volonté d’édification se heurte bientôt au succès du roman, principal genre demandé par les (...)
  • 24 Cité dans Lyons Martyn, Le triomphe du livre. Une histoire sociologique de la lecture dans la Fran (...)
  • 25 Richter Noë, Introduction à l’histoire de la lecture publique, Bernay, Éditions de la Queue du Cha (...)
  • 26 Cf. Liste des syndicats d’ouvriers et d’employés à Rouen en 1894, établie par Marec Yannick, Bienf (...)
  • 27 Proposition du Comité d’inspection et d’achats, bulletin municipal de Rouen, décembre 1898.
  • 28 Ibidem.
  • 29 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 29 mars 1895.

10On le voit, la politique d’éducation populaire repose en grande partie sur la fondation de bibliothèques. Le livre semble en effet l’instrument privilégié par lequel la classe dirigeante entend diffuser l’instruction auprès du peuple. À la Société Franklin (1862) comme à la Ligue de l’enseignement, on privilégie cet outil, qui permet l’élévation morale et intellectuelle par l’effort personnel de l’ouvrier23. Avant même l’établissement des bibliothèques municipales, les cabinets de lectures et les librairies avaient contribué à la diffusion de la lecture. Rouen, comme l’ensemble de la Normandie furent des régions privilégiées à cet égard. Reste à s’interroger sur le public de ces institutions. Une enquête de la Société Franklin sur les bibliothèques rouennaises en 1865 note que 85 % des lecteurs sont des hommes, 20 % du public est d’origine bourgeoise (rentiers, propriétaires), 25 % appartiennent aux classes moyennes de la société (employés de bureaux), 10 % sont des écoliers. La part ouvrière s’établit entre 10 et 33 % selon les quartiers considérés24. Les années 1880-1890 ne semblent guère favorables au développement des bibliothèques populaires. Les ouvriers s’en détournent, préférant recourir aux bibliothèques organisées par les Bourses du travail et les premiers syndicats25. En 1894, treize syndicats d’ouvriers et d’employés rouennais proposent à leurs adhérents les services d’une bibliothèque. On peut évaluer à 800 le nombre de syndiqués ayant accès à ces bibliothèques26. En 1890, à l’exception de Sotteville et Petit-Quevilly aucune commune de l’agglomération ne dispose d’une bibliothèque publique. La ville de Rouen elle-même ne propose qu’une bibliothèque d’étude, dont le public appartient pour l’essentiel aux classes moyennes et supérieures. La volonté de démocratisation de la lecture publique, un temps manifestée à Rouen, sombre dans les années 1880 derrière les impératifs sécuritaires d’un fonds patrimonial. On envisage même de séparer le public savant du public populaire, en ouvrant une salle de lecture spéciale pour les ouvrages courants dans l’église Saint-Laurent27. Seul le surcoût aura raison de cette tentative de ségrégation culturelle. Les conservateurs parviennent cependant à restreindre le prêt et à ériger un règlement draconien, destiné à protéger le public « sérieux » de la présence de « certains lecteurs gênants28 ». Le bibliothécaire de la Ville de Rouen désigne alors sous le vocable de « travailleurs », les « étudiants, employés d’administration, d’industrie ou de commerce, médecins, avocats, magistrats, ingénieurs, militaires et bon nombre de personnes attachées à l’enseignement29 ».

11Ce paysage élitiste évolue à la Belle Époque, sous l’impulsion de l’État, des communes et surtout du mouvement associatif. À la veille de la guerre de 1914-1918, Darnétal dispose d’une bibliothèque communale de 1 700 volumes, tandis que la Bibliothèque populaire de Rouen Saint-Sever en propose plus de 5 000 à ses lecteurs ouvriers. Dans de nombreuses communes des projets de bibliothèques sont étudiés par les conseils municipaux. L’interprétation généralement avancée pour rendre compte de cet essor de la lecture publique met en avant le mouvement intellectuel consécutif à l’affaire Dreyfus.

  • 30 Caceres Benigno, Histoire de l’éducation populaire, Paris, Seuil, coll. « Peuple et Culture », 196 (...)
  • 31 Le Petit Rouennais, 6 février 1900.
  • 32 Cf. Chemin Marie-José, « La Coopération des idées, Université populaire de Rouen », Les cahiers d’ (...)

12La Coopération des idées, autre nom pour l’Université populaire de Rouen, constitue l’exemple abouti de ce mouvement et de ses ambiguïtés. Le terme même renvoie à la revue, créée à Paris en 1898 par Georges Deherme, le fondateur de l’Université populaire de Belleville30. Fondée en 1900, dans la lignée des universités dreyfusardes, elle poursuit un objectif d’éducation populaire, prétendant mettre les intellectuels au service du peuple : « Nous voulons éveiller les volontés, les diriger vers l’action sociale. C’est le peuple qui sauvera le peuple. Il faut lui donner des meneurs intelligents31. » La méthode repose sur des conférences publiques hebdomadaires, traitant de sujets philosophiques, politiques et plus rarement culturels. Sur les 665 conférences données par la Coopération des idées, le quart était consacré à des sujets politiques, 18 % à des sujets philosophiques ou religieux, autant à des sujets géographiques ou historiques, autant encore à des sujets scientifiques et simplement 10 % à des sujets artistiques32. Très rapidement, l’Université populaire de Rouen se calque sur le fonctionnement des sociétés savantes locales, qui à l’image de la Société d’émulation, de la Société des amis des monuments rouennais voire de l’Académie de Rouen proposent des conférences publiques. L’auditoire est pour l’essentiel composé d’employés et de fonctionnaires locaux qui soutiennent à cette époque l’expansion des associations d’éducation populaire.

  • 33 Cf. Marec Yannick, Bienfaisance communale et protection sociale sous la IIIe République : Le systè (...)

13Parmi les fondateurs de la Coopération des Idées, on trouve quelques militants socialistes (Fauconnet, Lopez) ou issus du mouvement coopératif (Lucas, Adeline), alors en plein développement33. La venue de conférenciers socialistes comme le maire de Sotteville, Eugène Tilloy accrédite l’ancrage à gauche de l’Université populaire de Rouen. Jamais sans doute la rive gauche n’aura pesé autant sur un projet culturel rouennais. Pourtant, ce sont les courants modérés qui prennent réellement en main les destinées de l’association. Au conseil d’administration, on trouve des radicaux comme Fernand Destin, fondateur de La Dépêche de Normandie, le conseiller municipal Lefort ou Émile Chartier (Alain) alors professeur de philosophie au lycée Corneille. La « République des professeurs » des années vingt est ici largement annoncée puisque l’Université populaire réunit dès ses débuts des enseignants de rhétorique, d’allemand et de littérature issus du Lycée. On trouve aussi des représentants des capacités comme le dentiste Crépieux-Jamin et de nombreux membres des classes moyennes (commerçants, employés, comptable, typographe, etc.). Parmi les conférenciers, plusieurs notables politiques (Louis Ricard, Marcel Cartier) ou médicaux (Charles Nicolle, Raoul Brunon) côtoient les fondateurs de l’association comme Brunschvicg ou Frédéric Millot. La présence d’élus modérés (Gustave Robert, Raoul Brunon) et d’industriels (Knieder, directeur des Établissements Malétra) interdit d’interpréter l’Université populaire comme une association apte à révolutionner la vie culturelle locale. En ce sens, elle n’est pas sans évoquer la Société populaire d’études diverses de Sotteville (SPED), qui adhère d’ailleurs à l’Université populaire de Rouen en 1900.

  • 34 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Associations », SPED, historique de Benard(...)
  • 35 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal, séan (...)

14Dès 1882, la SPED, fondée, rappelons-le en 1879, modifie ses statuts en décidant d’abandonner tout numerus clausus34. Délaissant la recherche, l’association se tourne vers la vulgarisation à destination de la population sottevillaise. En 1886 le pharmacien Lucas, pilier du mouvement coopératif rouennais, prend en main la société. Il crée une bibliothèque, organise des causeries scientifiques et développe les excursions. Le naturaliste rouennais Eugène Noël apporte son soutien à l’association, bientôt rejoint par Henri Gadeau de Kerville, autre figure scientifique locale. Dès 1888, la SPED agrémente ses conférences de projections (« lanterne magique ») et ouvre des cours gratuits de physique, chimie, astronomie, histoire naturelle, électricité, sténographie. Ces cours seront complétés à partir de 1900-1901 par d’autres de solfège, déclamation, littérature puis de géographie commerciale (1903). Dans le même temps, la société ouvre une salle de musée scientifique et organise un carré botanique pédagogique au bois de la Garenne35. À la veille de la guerre, la SPED compte 246 membres dont 162 auditeurs pour ses conférences, parfois agrémentées de morceaux symphoniques. Les membres visitent en 1911 les établissements Badin de Barentin, les verreries de Romilly-sur-Andelle ou la Sucrerie de Massandres. Là encore, la culture générale dispensée semble étroitement liée au projet d’une culture appliquée, susceptible d’augmenter la qualification de la main-d’œuvre ouvrière.

  • 36 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal, séan (...)
  • 37 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Associations », Esperanto Stelo.

15Les pouvoirs locaux acceptent d’autant plus cette montée en puissance de l’éducation populaire qu’elle leur semble participer d’une intégration à la République, parfaitement pressentie par Waldeck-Rousseau, père de la loi de 1884 sur les syndicats et de 1901 sur les associations. De fait, de nombreux employés et ouvriers qualifiés de l’agglomération s’engagent dans cette voie, que les socialistes qualifient parfois de collaboration de classe. L’Union philanthropique des employés de l’arrondissement de Rouen cherche ainsi en 1900 un local pour donner des cours d’anglais en soirée. La ville de Sotteville le lui accordera bien volontiers, d’autant qu’elle promet d’y accueillir gratuitement les jeunes sottevillais36. Dans le même esprit, on citera la fondation en 1905 par un groupe de cheminots sottevillais de l’Étoile espérantiste, association destinée à propager l’esperanto, la langue internationale à laquelle un instituteur de la cité les avait sensibilisés dans une conférence publique37. La Ville de Rouen ne pouvait rester indifférente à cette demande d’instruction. Sa principale contribution à l’éducation populaire avant la Grande Guerre fut la fondation en 1906 de la Bibliothèque populaire Saint-Sever.

  • 38 En 1907 Lille compte déjà 3 bibliothèques populaires, Reims en compte 6, Angers 5 et Calais 1 selo (...)

16À l’origine de cette fondation, qui n’est guère originale pour l’époque38, on trouve la volonté de décentralisation et de démocratisation de la lecture publique. Selon le rapport du docteur Fortin

  • 39 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 29 décembre 1905.

« […] ce qu’il faut c’est une bibliothèque qui puisse offrir dans un quartier de près de 30000 habitants, une salle de lecture, ouverte tous les soirs à tous ceux de nos concitoyens que leur travail absorbe pendant la durée de la journée. Il est du devoir des pouvoirs publics de favoriser dans la mesure des ressources dont ils disposent, l’extension de l’instruction populaire. La bibliothèque que nous vous proposons de créer répond à un besoin réel. Par la lecture des ouvrages qui seront mis à leur disposition, nos concitoyens y trouveront, en même temps qu’un champ d’étude et de culture d’esprit, les éléments pour poursuivre et parfaire leur instruction. Cette bibliothèque n’offrira pas seulement une salle de lecture ; elle sera aussi une bibliothèque de prêts. Il est à souhaiter que le prêt des volumes, gratuit et pratique dans une large mesure, fasse pénétrer le goût de la lecture dans toutes les familles ouvrières39. »

  • 40 AMR, bulletin municipal, février-mars 1905.

17Le climat politique semble alors propice à cette fondation. Le maire de Rouen, Auguste Leblond (1856-1934) est un républicain modéré, sensible aux questions mutualistes et ouvrières. Entrepreneur de peinture, il est aussi président du Syndicat général du bâtiment de l’arrondissement de Rouen (1893-1901), fondateur en 1896 d’une mutuelle patronale puis d’une société d’HBM locale, le Foyer ouvrier. Il profite du discrédit de Louis Ricard en 1902 pour s’emparer de la ville. Le projet de bibliothèque populaire de prêt, dont le besoin remontait aux années 1880, lui fournit l’occasion de démontrer que l’éducation populaire n’est pas un monopole radical. Autour de la bibliothèque de Saint-Sever, il sait fédérer un certain nombre de personnalités dont certaines comme Texcier avait participé à l’aventure de la Coopération des idées. D’autres, comme Gadeau de Kerville, De Beaurepaire, Dubosc, Garreta, Deglatigny appartiennent au monde des sociétés savantes locales. La plupart des institutions locales (Archives départementales, lycée Corneille, École supérieure des sciences et des lettres, École de médecine, Chambre de commerce, etc.) sont conviées à participer au Comité d’inspection et d’achat de la nouvelle bibliothèque40. Les premiers livres sont fournis par des donateurs privés. C’est dire que le projet s’inscrit bien dans le prolongement du paternalisme culturel des débuts de la IIIe République.

18Pour le maire de Rouen, cette bibliothèque doit d’abord être une œuvre morale :

  • 41 AMR, bulletin municipal, février-mars 1906.

« À côté du livre de lecture frivole qui, naturellement sera beaucoup demandé, la nouvelle bibliothèque municipale de Saint-Sever s’ingéniera à offrir aux personnes désireuses de s’instruire tous les éléments de leurs études favorites : histoire ancienne et moderne, géographie et voyage, économie politique et financière, commerce et colonisation, jurisprudence usuelle, questions sociales, philosophiques et religieuses, économie domestique, questions d’art, ouvrages techniques et de vulgarisation scientifique41. »

  • 42 AMR, bulletin municipal février-mars 1907, règlement intérieur, article 2.
  • 43 AMR, bulletin municipal février-mars 1907.
  • 44 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séances du 17 novembre 1905 et du 19 mai 1905

19De fait, l’organisation interne prévoit que seul le bibliothécaire, détaché de la bibliothèque d’étude de la rive droite, aura accès aux rayons42. La disposition de la salle est d’ailleurs conçue pour limiter le nombre de « lecteurs » à une quinzaine de personnes. Deux tables seulement leur sont réservées. Le contrôle social peut alors s’exprimer sans réserves. Le jour de l’inauguration, le maire n’hésite pas à détailler les buts de l’œuvre : « soustraire les hommes jeunes aux mauvaises fréquentations et aux stations trop longues et trop nombreuses dans les non moins nombreux cabarets », « écarter les produits frelatés que les publications à bon marché et les journaux pornographiques mettent à leur disposition », « mettre la jeunesse laborieuse en état de résister aux théories décevantes des pires ennemis de la société, prometteuses de bien-être sans travail, faisant un appel incessant aux mauvais instincts de l’homme et excitant chez lui les plus coupables passions ». Il conclut avec emphase « plus instruite et par conséquent plus avisée, elle sera plus forte pour résister aux entraînements de ceux qui se sont fait une spécialité de se dire ses seuls protecteurs et qui entretiennent avec soin une amitié qui n’est profitable qu’à eux-mêmes, au moyen de promesses qu’ils savent ne jamais réaliser43 ». C’est dire les limites très étroites dans lesquelles s’inscrit le projet de popularisation de la lecture publique à Rouen à la Belle Époque. La gratuité du prêt et les heures d’ouverture très favorables aux ouvriers – le soir jusqu’à 22 heures, le dimanche matin – dissimulent mal la volonté d’encadrement manifestée par la municipalité. Au demeurant, au regard des sommes qui lui sont consacrées (3 000 francs de travaux et 3000 francs d’achat de livres, compensés par une subvention de l’État de 6 000 francs) la bibliothèque populaire fait figure de parent pauvre. La même année, la bibliothèque centrale bénéficie d’un crédit spécial de 7 000 francs pour acquérir des manuscrits à la vente Lormier et d’un crédit complémentaire de 3 400 francs pour l’achat d’un coffre fort44. La logique patrimoniale, une fois encore, avait le dernier mot.

La popularisation des arts majeurs

20Avant même de songer à élever le niveau scolaire des classes populaires, les hommes de la IIIe République songèrent aux moyens de rendre accessible les œuvres d’art au plus grand nombre. Très logiquement, le discours sur la démocratisation des arts s’établit à Rouen autour de l’art lyrique, le Théâtre des arts constituant on l’a vu le fondement de la politique artistique locale.

21Dès 1875, Frédéric Deschamps utilise l’argument de la démocratisation pour justifier l’institutionnalisation d’une subvention municipale à l’art lyrique :

  • 45 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 22 janvier 1875.

« Par l’audition des grandes œuvres musicales l’homme s’élève au-dessus de lui-même, les mauvais sentiments se taisent et l’âme plane dans une région supérieure qui l’éloigne et la déshabitue des instincts matériels et grossiers. La musique dramatique, qui popularise ou les grands faits historiques ou les sentiments élevés du dévouement et du patriotisme, et, en un mot, de l’héroïsme sous toutes ses formes, est particulièrement goûtée par les masses ; c’est à cet instinct, si utile à développer que répondent les représentations lyriques45. »

  • 46 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 22 janvier 1875.
  • 47 Ibidem, intervention de Heduit.

22Derrière ce morceau de bravoure pointeront bientôt les craintes d’un débordement des loisirs populaires. Quinze ans plus tard en effet, à l’heure où le syndicalisme progresse au sein de la classe ouvrière, l’adjoint Lefort soutient la subvention municipale au lyrique en précisant qu’il s’agit « d’enlever aux attractions qui les appellent ailleurs, la jeunesse et les ouvriers46 ». Un autre conseiller explique qu’ » une grande partie de la jeunesse, on sait malheureusement où elle va : aux Folies-Bergères et dans les cafés chantants, où elle semble trouver plus de satisfaction qu’au Théâtre des arts47 ». Derrière ces points de vue, différentes craintes se font jour, à commencer par celle du déclassement du lyrique. Défendre le lyrique supposait alors d’établir une hiérarchie des spectacles et de l’ériger en manifestation artistique d’utilité publique. Mais les cafés-concerts ne sont évidemment pas les seuls visés dans l’argumentation. Dans la logique paternaliste, le peuple est désigné comme un grand enfant – l’association de la jeunesse à la classe ouvrière est révélateur – dont on doit sinon surveiller du moins orienter les loisirs.

  • 48 Ibidem.

23Reste que l’art lyrique demeurait sans doute dans les années 1870 un art populaire, le Théâtre des arts disposant d’une tarification suffisamment large pour permettre l’accès d’un public varié aux spectacles. L’ouvrier typographe Gustave Robert indique même que « les classes moyennes et ouvrières aiment le théâtre élevé48 ». En fait, l’argument de la popularisation de l’art lyrique devait bientôt servir les groupes de pression qui prétendaient définir le programme du Théâtre des arts. Le luxe avec lequel on réédifia la première scène rouennaise, comme la suppression de la tradition jugée trop bruyante des « débuts », témoigne des limites de la popularisation du lyrique à Rouen. Si l’art lyrique fut un temps populaire, on le devait sans doute plus au goût du peuple qu’à la volonté des élites.

  • 49 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 30 décembre 1881.

24On pourrait faire le même constat pour les musées, à commencer par le musée des beaux-arts de Rouen. Certes les élus ont beau jeu d’affirmer « qu’une ville se doit à elle-même de répandre le goût du beau49 ». Dans une envolée lyrique le conseiller municipal Lefort, professeur au lycée Corneille, pourra même prédire l’inéluctable démocratisation des arts :

  • 50 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 9 janvier 1885.

« Ce n’est pas en vain que des millions ont été dépensés pour l’instruction nationale, le désir d’apprendre, la passion de savoir est descendue dans la masse populaire. En doutez-vous ? Visitez nos cours publics qui ont été multipliés. Tous ont des auditeurs de plus en plus nombreux, les salles sont trop petites pour les conférences. […] Or, ce ne sont pas les représentants des classes les plus riches qui sont là en majorité ; au désir de s’instruire, à l’amour de la science se sont joints peu à peu le goût du beau, et notre démocratie rouennaise arrive bientôt ainsi à un développement artistique, relatif sans doute, mais qu’il ne faut pas dédaigner. Tous les dimanches, chaque fois que le travail la laisse libre, elle remplit les salles de nos musées50. »

25Mais en dépit de ces affirmations progressistes, rien ne sera fait pour faciliter l’accès
du peuple, ni même de la jeunesse au musée des beaux-arts. Seuls les étudiants des Beaux-Arts bénéficient d’entrées gratuites, dans une perspective moins contemplative qu’utilitaire.

  • 51 Né à Rouen en 1836, Georges Pennetier dirigea le Muséum d’histoire naturelle de 1872 à sa mort en (...)
  • 52 Regnier Robert, « Georges Pennetier et son œuvre », Actes du muséum d’histoire naturelle de Rouen, (...)

26En revanche, une certaine forme de démocratisation est très tôt mise en œuvre au Muséum d’histoire naturelle. Cette vocation pédagogique locale, qu’on peut légitimement relier aux besoins industriels de la région, s’affirme à la Belle Époque à travers l’œuvre pionnière, en matière de muséologie de Georges Pennetier (1896-1923)51. Pour faciliter la visite de son petit muséum, Pennetier réalise en effet des décors factices (basse-cour normande, falaise) permettant de mettre en scène ses collections : « Le premier en France, il expose les animaux dans leurs habitats réels ou simulés, en relief et de grandeur naturelle […], sans tomber dans l’exhibition populaire, il avait su lui enlever cette raideur sévère qui la caractérise [la muséologie], pour la rendre aimable et mieux assimilable pour la masse52. »

  • 53 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 8 avril 1881.

27Cette ouverture au peuple caractérise d’ailleurs l’ensemble du secteur scientifique de l’époque. Rouen accueille en 1881 le congrès de l’Association nationale pour le développement des sciences dans un climat de progressisme caractéristique des premières années de la République : « Rouen est un centre industriel qui doit tenir à l’honneur d’inviter une association dont le but est de propager les connaissances utiles à la société. Le développement des sciences intéresse notre cité, dont l’industrie, le commerce et la navigation retirent chaque jour un si grand profit du labeur de nos savants53. »

  • 54 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 5 août 1881.
  • 55 Ibidem.
  • 56 Annuaire de Rouen, 1890, p. 222.

28Cette glorification des sciences appliquées conditionne le développement de la vulgarisation scientifique locale. Le Jardin des plantes dont l’état de dégradation (kiosque, orangerie) suscite des interrogations au début des années 1880 est ainsi sauvé grâce à l’intérêt que lui portent certains conseillers municipaux, à l’image une fois encore du typographe Gustave Robert. Celui-ci, soutenu par la Société centrale d’horticulture et par Geoffroy-Saint-Hilaire, le célèbre directeur du Jardin d’acclimatation de Paris, suggère même de créer un jardin zoologique et botanique d’utilité publique qu’il présente comme un « centre d’éducation populaire et de vulgarisation scientifique, agricole et horticole54 ». Le projet « vise un double résultat : instruire et récréer55 ». Malgré la désignation d’une commission d’étude le projet reste en l’état. La Ville continue cependant à soutenir le développement local de la botanique en subventionnant au Jardin des plantes des cours publics et gratuits d’arboriculture et de botanique. Ces enseignements, dispensés dans le cadre d’écoles municipales, sont effectués par des professeurs de sciences naturelles. L’ouverture des cours le dimanche matin et le dimanche après-midi permet la fréquentation ouvrière56.

  • 57 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 janvier 1899.
  • 58 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 15 juillet 1881.
  • 59 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 janvier 1899.

29La même logique conduit la politique d’enseignement artistique rouennaise, qui connaît un nouvel élan à la Belle Époque avec la réorganisation de l’École des beaux-arts en 1881 et la fondation d’une école d’architecture en 1904. On soulignera ici l’importance des cours de dessin, toujours placés en tête de la liste des enseignements à l’École des beaux-arts. Ils semblent répondre à cette injonction des édiles pour qui « il faut surtout faire de bons dessinateurs ; ce n’est qu’à cette condition que les élèves pourront, étant bien conseillés, en tenant compte des aptitudes, entrer dans les ateliers et devenir, dans leurs professions de véritables artistes57 ». Michel Fréchon, un des artistes les plus connus de l’École de Rouen, s’impose avant tout comme un dessinateur de tout premier plan, croquant au fusain la plupart des sites rouennais. Il a été formé à l’École régionale des beaux-arts de 1914 à 1919. L’enseignement du dessin n’a cependant pas pour unique objectif de former des dessinateurs, des graveurs ou des aquafortistes. Plus qu’à des artistes, les édiles songent à toute l’économie industrielle locale qu’il s’agit d’alimenter en techniciens précis. Le maire Louis Ricard indique en 1881 que « l’application des arts du dessin aux différentes professions et industries est l’objet principal de la Ville en entretenant son école58 ». Ce à quoi abonde la Société industrielle, qui réunit les principaux entrepreneurs de la région, soutient dès la fin du xixe siècle l’École régionale des beaux-arts et demande à la municipalité de participer activement aux décisions qui seront prises sur son avenir59. Dans le conseil de surveillance et de perfectionnement des deux écoles, institué par la municipalité, on trouve aux côtés des artistes et architectes locaux, le ferronnier d’art Marrou mais aussi un délégué de la Chambre de commerce, un représentant de l’École de médecine et de pharmacie, des industriels (comme Gaston Fromage) et le président du Syndicat du bâtiment. Leur présence indique la vocation première de l’enseignement « artistique » rouennais.

  • 60 Ibidem, rapport de 1919.

30Le directeur de l’école abonde en ce sens. En 1917, il met en place des « ateliers de pratique » où sont enseignées les façons de traiter les matières utilisées par l’industrie ou l’artisanat local : la céramique, le bois, la pierre, le fer. Les inspections officielles saluent cet effort et un enseignement qui garde « le très vif souci des besoins de notre époque60 ».

  • 61 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 9 novembre 1911.

31Cette option pratique de l’enseignement artistique local permet l’ouverture sociale du recrutement. Dès la Belle Époque, les rapports saluent son caractère ouvrier : « La classe ouvrière a compris les avantages que pouvait lui procurer cette institution, et, en raison de l’affluence des élèves lors de la rentrée, il est devenu nécessaire de dédoubler les cours de dessin industriel61. » L’utilitarisme commande donc la politique de démocratisation des arts. On comprend mieux dès lors que la politique mise en œuvre à l’École des beaux-arts ne déborde guère sur les musées, lieux de contemplation plus que d’étude et de loisir.

  • 62 Annuaire de Rouen, 1868, p. 207.
  • 63 Annuaire de Rouen, 1890, p. 277.

32Dans un certain sens, cet utilitarisme domine aussi la question de l’enseignement musical. Les besoins des villes sont nombreux à cet égard. Une chorale et surtout une harmonie sont indispensables pour agrémenter les fêtes républicaines ou tout simplement les fêtes locales. Reste que l’entretien d’une société musicale ne suffit généralement pas et qu’il faut bien se préoccuper de la formation des musiciens. Au début de la période, cette formation est assurée par quelques orphéons, en nombre très limités. À Rouen, trois sociétés musicales (l’Orphéon, la Société lyrique du Caveau normand et la Renaissance) offrent à la fin du Second Empire des cours de musique62. Les débuts de la République voient le nombre d’orphéons croître et avec eux l’œuvre de formation musicale. Ainsi à Rouen du Cercle Boieldieu, qui propose des cours de solfège en soirée, trois quarts d’heure avant la répétition d’ensemble des orphéonistes63. La Belle Époque marque cependant là encore une rupture. L’essor du monde orphéonique à l’échelle de l’agglomération dilate l’offre musicale et permet d’élargir socialement le recrutement.

33Les statuts de ces nouvelles sociétés musicales ne nous parlent que très rarement de l’art pour l’art. C’est que l’orphéon est labeur avant d’être contemplation. La fonction d’éducation est au cœur du fonctionnement de l’orphéon et de sa raison d’être. Madeleine Rebérioux note très justement :

  • 64 Reberioux Madeleine, préface à Gumplowicz Philippe, Les travaux d’Orphée (150 ans de vie musicale (...)

« L’orphéon se nourrit d’une certitude : la musique peut donner aux hommes des forces nouvelles. À condition qu’ils apprennent à jouer de la grande musique et non seulement à en écouter, qu’ils deviennent acteurs plus encore que consommateurs. Vu sous ce jour, l’orphéon devient une des voies par lesquelles le peuple est invité à sortir de sa nuit, à échapper non pas à la bourgeoisie mais à l’individualisme bourgeois, à se socialiser, toutes classes le plus souvent confondues, davantage encore, assurément qu’à contester64. »

34Les sociétés musicales qui ne s’occupent pas de former leurs musiciens forment l’exception. On en trouve parmi les cercles symphoniques, généralement plus « professionnalisés » ou para-professionnels.

35Ailleurs la pédagogie est la règle, régulièrement réaffirmée dans les statuts associatifs. Les termes employés pour désigner la formation musicale des orphéonistes ne sont pas indifférents. Ils renvoient, derrière le sens éducatif commun, à la diversité sociale des approches musicales. On parle ainsi d’« étude » au cercle orphéonique Boieldieu, chorale de notables, d’« instruction musicale » aux Volontaires de Rouen, société de préparation militaire, d’« éducation populaire » pour l’Harmonie de Rouen-Saint-Sever. À la Belle Époque, la plupart des orphéons se disent « sociétés musicales d’éducation populaire ».

36Cette volonté éducative s’incarne dans des formules différenciées, depuis la simple mise à disposition d’une documentation jusqu’à la création des premières écoles de musique. Pour former leurs membres les orphéons locaux disposent le plus souvent de moyens réduits. Ils mettent néanmoins un point d’honneur à concevoir leurs pratiques dans la durée. On choisit fréquemment d’acheter les partitions plutôt que de les louer. Ainsi un fonds documentaire important se crée, nécessitant parfois la nomination d’un archiviste. Certains orphéons vont plus loin en organisant une bibliothèque. À la Musique municipale de Rouen, sur les quelque 100 morceaux joués par an, 70 sont nouveaux, qui représentent 23 % du budget annuel de l’harmonie. On comprend dès lors l’exigence d’assistance aux répétitions, qui deviennent le rituel hebdomadaire auquel se ressourcent les sociabilités orphéoniques. Il en est d’autres comme les cours, qui complètent çà et là, la formation des jeunes. De fil en aiguille les sociétés musicales amateurs furent amenées à compenser les carences de l’enseignement public et à former leurs propres écoles de musique.

  • 65 AMR, 2R1, budgets fournis par les sociétés en 1929.
  • 66 AMR, 2R1, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 12 décembre 1925.

37Quelques associations, plus prospères et mieux subventionnées, créent des écoles de musique, associées financièrement à l’orphéon. La Musique municipale, fondée en 1894, se dote d’une « école de musique » en 1904, l’Harmonie de Rouen-Saint-Sever fondée en 1908 en crée une en 1911 (cours de cuivres) qu’elle réorganise en 1921 (cours de cordes). Dans les deux cas, l’enseignement, calqué sur celui d’un conservatoire ou d’une école nationale de musique, dépasse largement les besoins artistiques des harmonies. Le choix pédagogique entraîne une dépendance financière considérable nécessitant l’aide des pouvoirs publics. L’école de musique de Rouen-Saint-Sever représente 38 % des dépenses totales de l’harmonie, celle de la Musique municipale, 58 %65. La comparaison des effectifs souligne également le choix pédagogique. L’Harmonie de Rouen-Saint-Sever comprend 90 musiciens, l’école en aligne entre 200 et 400 selon les époques, tandis que la Musique municipale compte 106 musiciens pour 200 élèves. Les mêmes mots sont employés quelles que soient les sociétés pour présenter cette œuvre éducative comme une œuvre sociale. Un conseiller municipal de Rouen défendra par exemple une subvention à l’Harmonie de Rouen-Saint-Sever en ces termes : « L’œuvre d’éducation musicale, éminemment populaire entreprise par l’Harmonie de Rouen-Saint-Sever, suit donc une progression constante, pour le plus grand bien moral de la laborieuse population des quartiers Saint-Sever et Saint Clément66. »

  • 67 Statuts déposés en 1912, Archives départementales de la Seine-Maritime, 4M462, cité dans Germain F (...)
  • 68 Ibidem.
  • 69 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Association », Société musicale de Sottevi (...)
  • 70 Annuaire de Rouen, 1913, p. 365.

38La même association entre l’éducation populaire et le contrôle social se rencontre dans les sociétés musicales de banlieue. L’Avenir de Oissel, société de fanfare de trompette se donne pour but premier « d’enseigner aux jeunes gens l’art de sonner de cet instrument67 ». Enseignement que précise la Société musicale de la même cité ouvrière en ces termes : « développer le goût artistique, faciliter l’étude et la vulgarisation de la musique instrumentale68 ». À la Société musicale de Sotteville on préfère évoquer « l’étude et la propagation de la musique69 » tandis que l’Union musicale de Rouen se définit comme une « œuvre post-scolaire70 ». L’essentiel n’est cependant pas là mais dans la diffusion du phénomène. À la veille de la Grande Guerre, la quasi totalité des communes ouvrières de l’agglomération subventionnent des sociétés musicales qui proposent des cours. On trouve en effet deux sociétés à Darnétal (l’Étendard, l’Harmonie), une à Grand-Couronne (la Sainte-Cécile), deux à Petit-Quevilly (l’Harmonie, la Lyre), une à Grand-Quevilly (la Renaissance), trois à Sotteville (le Réveil, la Société musicale, la Société lyrique), deux à Oissel (la Société musicale, l’Avenir), une à Saint-Étienne-du-Rouvray (l’Union), trois à Maromme (la Rallye Saint-Hubert (cliché 22), la Fanfare municipale, la Symphonie), trois à Déville (l’Athénée, l’Union, les Amis réunis) et deux à Notre-Dame-de-Bondeville (les Enfants, la Fanfare). La liste permet de dégager des pôles (vallée du Cailly, sud-est de la rive gauche) où l’enseignement musical déborde du domaine strict de l’harmonie pour toucher au symphonique et au lyrique. Le rôle du paternalisme industriel (Plantrou à Oissel, Besselièvre à Maromme) est ici décisif.

39On le voit la musique constitue bien le principal vecteur de démocratisation culturelle avant la guerre de 14. La conjonction de l’essor associatif, de la naissance des politiques artistiques locales et du maintien d’une forte dose de paternalisme permet le développement de ce secteur. Reste à s’interroger sur l’évolution des pratiques populaires et sur la perception qu’en avaient les décideurs.

Les obstacles à la démocratisation des loisirs

40La période qui court de 1870 à 1914 est caractérisée par l’émergence de nouvelles formes de loisirs (sport, cinéma) et la résurgence d’autres (fêtes de quartier, théâtre populaire). Le développement de ces nouvelles pratiques est permis par l’extension de la liberté d’association et la quasi disparition de la censure. Il s’accompagne d’une évidente et rapide démocratisation, au point que certaines pratiques sportives ou de spectacle dites « populaires » à la Belle Époque le sont moins parce qu’elles plaisent avant tout au peuple que parce qu’elles réunissent l’ensemble de la cité. La hiérarchie culturelle n’en est pourtant guère affectée, tant les obstacles sont nombreux qui interdisent l’assimilation de ces pratiques nouvelles aux loisirs cultivés traditionnels.

  • 71 Annuaire de Rouen, 1868, p. 251-279.
  • 72 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 4 mars 1881.
  • 73 Annuaire de Rouen, 1883, p. 314.

41La société locale accueille en premier lieu avec une certaine circonspection l’émergence du sport. Le développement des associations sportives constitue pourtant le fait culturel le plus remarquable de la période. À la fin du Second Empire, on ne compte à Rouen que quelques sociétés liées aux activités nautiques et ouvertement bourgeoises comme la Société des régates rouennaises. D’autres sociétés, comme la Société des nageurs de la ville de Rouen (1865)71 ou la Société des sauveteurs médaillés, indiquent que la notion même de sport est anachronique pour cette période. L’apprentissage de la natation est en effet d’abord conçu comme une pratique utilitaire. L’agglomération ignore résolument ce type de sociétés avant la IIIe République. Dix ans plus tard pourtant, le paysage des associations « sportives » a déjà clairement changé. On peut alors parler de sport, même si les pratiques, plus diversifiées, ne concernent encore que les classes les plus aisées. Ainsi du Yole-Club (110 membres en 1881)72, du Veloce-Club rouennais ou encore de la Société des courses, qui répandent localement le goût de l’aristocratie anglaise pour les loisirs mondains de plein air. D’autres formes de sociétés apparaissent cependant, qui pour être plus démocratiques dans leur recrutement n’en demeurent pas moins strictement utilitaires : les sociétés de préparation militaire. À Rouen même, on trouve une Société de tir et une Société de gymnastique dont l’objet est clairement de constituer une élite de futurs soldats. La Société de tir de Rouen est d’ailleurs liée au 21e régiment territorial. Ses buts sont de « développer le goût du tir par la théorie et la pratique, avec toutes les armes, surtout les armes de guerre73 ». Cette conception étroite du sport est encouragée par l’État mais l’absence de liberté associative et de libertés communales avant 1884 en restreint encore la portée. La banlieue ne dispose pas en ce début des années 1880 de sociétés sportives.

  • 74 Annuaire de Rouen, 1890.
  • 75 Annuaire de Rouen, 1913.

42En 1890, c’est chose faite. Les annuaires entérinent l’évolution en créant une rubrique « sport74 » et qui deviendra bientôt « sports75 ». Rouen compte alors 14 sociétés sportives. Le cercle étroit des sociétés de tir (1 société) et de gymnastique (3 sociétés) s’est étendu à l’escrime (2 sociétés) et au vélocipède (3 sociétés). Les pratiques nautiques bourgeoises (3 sociétés) sont étendues à l’alpinisme (section rouennaise du Club alpin). À Sotteville, sont apparus un Comité de tir et une société de 70 gymnastes. Cette « Sottevillaise », à l’instar de la « Quevillaise » de Petit-Quevilly ou de la « Bondevillaise » de Notre-Dame-de-Bondeville, témoigne de la percée des sociétés sportives en banlieue à l’époque de la République radicale. Malgré l’optique militariste, ce développement augure d’une démocratisation sportive que la Belle Époque va réaliser.

  • 76 Annuaire de Rouen, 1908.
  • 77 Au même titre que l’athlétisme, Sotteville s’illustrera dans le cyclisme. Rappelons que la carrièr (...)
  • 78 Annuaire de Rouen, 1913.

43En 1908, Rouen compte 22 sociétés sportives76. De nouveaux domaines sont couverts comme l’hippisme, l’automobile, l’athlétisme, le patinage, le football voire les échecs, curieusement classés dans la rubrique sport. En banlieue, de nouvelles cités voient apparaître des sociétés de gymnastiques ou de tir. Ainsi à Darnétal, Bois-Guillaume, Grand-Couronne, Oissel ou Déville-lès-Rouen. Les premières sociétés de vélocipèdes s’installent à Saint-Étienne-du-Rouvray (le Guidon stéphanais), Notre-Dame-de-Bondeville (le Veloce-Club), Malaunay (La Joyeuse Pédale) et Sotteville77. Le développement est alors inexorable au point qu’à la veille de la Grande Guerre, on compte davantage de sociétés sportives que de sociétés musicales. La banlieue avec ses 35 sociétés en activité dépasse alors l’offre rouennaise, limitée à 33 groupements78. Certaines communes comme Petit-Quevilly (10 sociétés) ou Sotteville-lès-Rouen (8 sociétés) proposent une offre sportive remarquable.

44La fondation d’associations multisport augure d’une conception plus démocratique. L’Union sportive de Oissel (1909) entend ainsi

  • 79 ADSM, 4M 482, Union sportive d’Oissel, statuts du 15 juin 1909, cité dans Germain Fanny, Municipal (...)

« […] propager le sport en attirant dans son sein toutes les personnes capables et dévouées aux exercices sportifs ; en vulgarisant le goût du sport par les spectacles de courses et des fêtes destinées à stimuler le public en lui donnant une idée exacte de ce genre de sport ; par des promenades et excursions, courses pédestres vélocipédiques, parties et match de football destinées à distraire et instruire les membres de la société en leur offrant des avantages qu’ils ne pouvaient se procurer individuellement79. »

  • 80 Croguennec Michel, L’aviation dans l’agglomération rouennaise, Rouen, District de l’Agglomération (...)

45La démocratisation du sport se marque aussi par la multiplication des football-club (Rouen, Darnétal, Bihorel, Malaunay, Maromme, Sotteville-lès-Rouen) et des groupements cyclistes (Rouen, Petit-Quevilly, Sotteville-lès-Rouen, Déville). Le souci d’encadrement des jeunes est manifeste jusque dans le titre de certaines sociétés comme la Jeunesse sportive sottevillaise. De nouvelles formes de « sport » se répandent comme la boxe, l’aérostation80 mais aussi la marche, le dressage de chiens ou la pêche.

  • 81 Alexandre Alain, Malaunay. Images et documents du passé local, Malaunay, 1985, p. 99.
  • 82 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Associations », Société de gymnastique la (...)
  • 83 Alexandre Alain, Malaunay. Images et documents du passé local, Malaunay, 1985, p. 100.

46Reste qu’on peut s’interroger sur le sens de cette croissance spectaculaire des sociétés sportives entre 1890 et 1914. Les pratiques élitistes du sport (régates, courses, automobile, aérostation) se sont développées parallèlement à l’expansion associative. De nombreuses communes de banlieue disposent de sociétés de courses hippiques (Darnétal, Bihorel, Petit-Quevilly) sans qu’aucune ne propose d’école d’équitation. Le rôle des notables s’est par ailleurs renforcé dans l’organisation des sociétés. Significativement dans le bastion socialiste de Sotteville, on demande au marquis de Pomereu, député de la cité, d’accepter le titre de président d’honneur d’une des sociétés de gymnastique, les Touristes sottevillais. On ne peut pourtant considérer la pratique sportive à la Belle Époque comme une activité uniquement contrôlée par la bourgeoisie. L’Union sportive malaunaysienne, qui introduit dans la vallée du Cailly la pratique du football à la Belle Époque est fondée par des travailleurs anglais de l’industrie du textile81. À Sotteville-lès-Rouen, la société de gymnastique la Sottevillaise (1884) est dirigée en 1906 par un bureau de 12 personnes comprenant un commerçant, 4 ajusteurs, 2 employés, 4 tourneurs et 1 garçon-magazinier82. Au-delà de l’implication de certains secteurs ouvriers (cheminots), l’école primaire joue un rôle moteur dans la popularisation du sport, en suscitant la création des premières « amicales laïques ». À Malaunay, l’Amicale des anciens élèves de l’école de garçons (1906) absorbe l’Union sportive et s’intéresse à la pratique du football et de l’athlétisme83. À Maromme, c’est en 1909 qu’est fondée l’Amicale laïque, promise à une longue destinée dans l’organisation des loisirs populaires. À l’origine, on trouve des camarades d’école, désireux de pratiquer le football. Aidés par le directeur, qui accepte la présidence de la jeune association ils obtiennent des locaux de fortune pour satisfaire leur passion :

  • 84 Témoignage d’un membre fondateur de l’ALM, Maurice Delestre, recueilli oralement en 1987, in ALM, (...)

« Nous avions, avec beaucoup de difficultés, trouvé une prairie appartenant à M. Guéroult, qui voulut bien, pour un peu d’argent, nous la louer. Nous avions l’autorisation d’en disposer le dimanche – le bétail occupait toute la semaine. Le matin, quelques dévoués allaient ramasser la bouse de vache, puis nous tracions le terrain avec de la sciure de bois et montions les buts, sans filets. Bien entendu nous avions de petits moyens, notre vestiaire était une petite pièce que M. Caufourier, cafetier (face au terrain) nous prêtait gracieusement. La buanderie et la pompe de la cour nous servaient pour la toilette après le match. Puis on faisait la collation : un neufchâtel et un coup de cidre que nous réglions pour remercier le cafetier de ses gentillesses84. »

  • 85 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)

47Ces pratiques populaires du sport peuvent parfois déboucher sur un véritable projet culturel. Les amicales laïques, généralistes, n’hésitent pas à diversifier leurs offres de loisirs avant même la guerre de 14. À Malaunay, l’amicale propose des séances de cinéma. À Maromme, l’ALM créée un Groupe artistique en 1910 qui organise des « concerts de chant » ou joue des pièces de Labiche. En 1911, l’ALM trouve un foyer en louant un petit local commercial. On y organise des projections cinématographiques et de petits concerts. Mais ces expressions d’une culture populaire sont foncièrement ignorées des élites politiques et culturelles locales. Leur soutien modeste au développement des associations sportives est soumis à des objectifs étroits, qui n’ont rien de culturel. Le lien entre le développement du sport et la préparation de la revanche n’a cessé ainsi de se renforcer. Parmi les nouveaux secteurs couverts par les associations, nombreux sont ceux qui à l’instar de l’escrime ou de l’athlétisme sont directement liés à la préparation militaire. Leur croissance est parallèle à celle des sociétés colombophiles, elles aussi constituées dans un but militaire. L’implication de l’armée (Rouen, Saint-Étienne-du-Rouvray, Petit-Quevilly) est d’ailleurs manifeste dans les sociétés sportives de la Belle Époque. Les communes elles-mêmes, aident plus volontiers les sociétés « sportives » d’utilité militaire que les autres groupements. Au début des années 1880, Rouen accorde un terrain à la jeune Société de tir (1881) mais ne subventionne pas le Yole-Club qui organise des régates sur la Seine. Notre-Dame-de-Bondeville répond aux injonctions du préfet dès 1872 l’incitant à acheter des « instruments de gymnastique » (1872) puis à aider la jeune société la Bondevillaise (1887), mais rejette la subvention demandée par le Veloce-Club (1899)85. C’est dire que la démocratisation à l’œuvre est strictement encadrée et ne saurait entrer en concurrence avec les loisirs bourgeois traditionnels.

  • 86 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 décembre 1881.
  • 87 Fraigneau Amédée, Rouen bizarre, Rouen, Schneider Frères, 1888, rééd. Éditions du P’tit Normand, 1 (...)

48En ce sens, ce rejet relatif du sport n’est pas sans évoquer l’attitude circonspecte que les élites rouennaises adoptent par rapport au développement des spectacles populaires, qu’ils soient donnés dans la rue ou dans des salles de cafés-concert. Rouen, qui accepte on l’a vu de soutenir avec constance le développement de son Théâtre des arts, de ses bibliothèques et de ses musées, censure avec la plus extrême rigueur la culture populaire. Les joueurs d’orgue de barbarie se voient ainsi refuser l’autorisation de jouer sur la voie publique86, pour des raisons de sécurité publique. Les joueurs d’orgue sont assimilés par les arrêtés de police à ces errants et autres colporteurs que craignent les pouvoirs publics tout au long du xixe siècle. Significativement, les joueurs ambulants sont relégués aux périphéries de la cité. Ils se produisent le dimanche dans les cafés et les guinguettes installées sur les hauteurs de la cité, à Mont-Saint-Aignan, Bois-Guillaume ou Bihorel. Là, à en croire Fraigneau, on peut entendre du violon, de la guitare, des crécelles, des harpes parfois et de plus en plus de l’accordéon savoyard ou italien, mais « pas de piano car le piano ne fait pas assez de bruit87 ».

49La bourgeoisie urbaine accepte volontiers de s’encanailler au contact des cultures populaires. La jeunesse dorée fréquente ainsi les Folies-Bergères de l’île Lacroix, le Théâtre Lafayette et les multiples cafés-concerts des quartiers populaires. Le livre de Fraigneau, publié en 1888, témoigne même parfois d’une certaine sympathie pour les attractions de la foire Saint-Romain ou pour les figures pittoresques des quelques violoneux misérables qui égayent les rues de la cité. Avec condescendance, l’auteur regarde les défilés des ouvriers qui viennent le dimanche dépenser leurs maigres économies dans les restaurants de « la côte ». Mais ces descriptions pittoresques ne doivent pas faire illusion. Elles ne sont que l’envers d’une ligne de démarcation séparant la culture légitime des pratiques populaires de loisirs :

  • 88 Ibid., p. 77.

« Oh ! les cafés-concerts ! les bouis-bouis ! les beuglans, ils sont disséminés de toutes parts dans la ville, c’est là que disparaît une partie de la paye de quinzaine d’un grand nombre de nos ouvriers. Travailleurs infatigables qui font tomber goutte à goutte, pour ainsi dire, dans la soucoupe que leur présentent des demoiselles fanées vêtues de rose et de vert, les pièces de deux sous amassées péniblement par un labeur quotidien. Pour ce prix, ils rapportent tard, chez eux, la migraine des mauvais bocks et l’insanité de quelque refrain idiot. Il faut, pour se faire une idée exacte de ces “centres artistiques”, les visiter tous, les uns après les autres, depuis ceux qui s’étalent dans les quartiers les mieux fréquentés jusqu’à ceux qui se cachent dans les parages excentriques ; depuis ceux où l’on boit le kummel frelaté jusqu’à ceux où l’on sert le vin chaud dans les saladiers ; depuis ceux où l’on glapit jusqu’à ceux où l’on hurle. Le spectacle est quelquefois drôle, le plus souvent écœurant88. »

50On le voit, le rejet du café-concert procède moins d’une critique artistique que d’une critique sociale. La comédie humaine que donne à voir la salle est comme l’envers de celle, décrite par Flaubert au Théâtre des arts. Politiquement, cette critique sociale se traduit parfois par des mesures ségrégatives.

51Longtemps, les fêtes de quartier ont effrayé la petite bourgeoisie du conseil municipal de Rouen. Soucieuse d’ordre moral, les classes moyennes tentèrent à la Belle Époque de limiter l’extension des fêtes foraines. Ainsi, en 1897, le conseil municipal de Rouen décrète la suppression des fêtes de quartier et cette décision fera jurisprudence jusqu’à la fin des années vingt. Les raisons morales invoquées alors permettent de mettre à distance la périphérie de la cité comme ses habitants :

  • 89 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 avril 1897.

« Est-il sage de multiplier dans une ville industrielle les occasions de divertissements énervants qui ne laissent après eux que des regrets : temps mal employé, argent frivolement dépensé ? Sans même aller jusqu’à dire que les ressources de la famille y sont entièrement gaspillées et que l’assistance publique s’appauvrit, alors que les forains, étrangers pour la plupart, s’enrichissent, est-il humain de chercher à retenir les ouvriers, les jours de repos, dans les villes ? Pour les ouvriers enfermés pendant toute une semaine dans l’atmosphère lourde des ateliers, pour les ménagères retenues dans des chambres étroites, pour les enfants qui ont besoin de grand air, une journée en plein champ ne vaut-elle pas mieux que des heures péniblement usées dans la ville transformée en fournaise ?… L’air du boulevard n’est pas fortifiant comme l’air de la campagne ; on n’en revient pas dispos pour le travail du lendemain. Et la belle campagne de Normandie nous entoure de tous les côtés, à deux pas de la ville, accessible aux petites bourses et aux petites jambes89. »

  • 90 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
  • 91 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
  • 92 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
  • 93 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
  • 94 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)

52Cette mise à distance de la culture ouvrière apparaît à la Belle Époque de plus en plus anachronique. Le peuple réclame ouvertement des divertissements. Les archives de Notre-Dame-de-Bondeville témoignent par exemple de l’évolution des mentalités. Au début des années 1880, les fêtes locales (nationale et communale) ont peu d’éclat. On se contente de pavoiser et d’illuminer certains édifices et l’on refuse l’organisation de danses gratuites90. Danses et concerts sont organisés en 1881 mais un conseiller propose de les supprimer en 188391. Le climat évolue cependant au cours de la décennie 1880. En 1888, « une grande partie des habitants et notamment les jeunes gens qui font partie de la fanfare92 » envoient une pétition au maire, lui demandant de transférer une fête patronale, l’assemblée de Saint-Maurice, au dimanche et au lundi de Pentecôte, afin de lui donner plus d’éclat. Le conseil accepte cette proposition à l’unanimité. Trois ans plus tard, la ville décide d’augmenter ses subventions annuelles aux fêtes publiques « afin d’avoir recours à l’impôt pour ne plus mettre ces frais à la charge de personnes de bonne volonté qui ont bien voulu jusqu’ici par leur souscription couvrir les frais de ces fêtes populaires93 ». En 1903 encore94, la ville accepte de prendre à sa charge le montage et le démontage d’une petite scène de théâtre et de subventionner les décors utilisés par l’association amicale des anciens élèves de l’école.

  • 95 Archives municipales de Sotteville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 27 (...)
  • 96 La pratique de la danse engendre même la création de sociétés spécialisées. Déville-les-Rouen comp (...)
  • 97 La logique de répression et de contrôle social constitue le fil directeur des politiques sociales (...)

53À Sotteville, la municipalité favorise les réjouissances populaires dès le tournant du siècle. En 1899, à l’occasion de l’achat du Bois de la Garenne, la municipalité organise une grande fête « afin de faire connaître cette propriété à la population sottevillaise95 ». Les fêtes organisées au Bois de la Garenne proposent concerts, démonstrations de gymnastiques, jeu de football et bals nocturnes96. C’est dire que peu à peu la reconnaissance de l’utilité des distractions populaires se fait jour et que les pouvoirs publics commencent à assouplir l’attitude répressive qui avait caractérisé les politiques sociales, depuis le xixe siècle97.

54Au terme de l’analyse, on insistera donc sur le caractère inachevé de la démocratisation culturelle de la Belle Époque. L’ambition affichée par les pouvoirs publics ou le mouvement associatif ne parvient guère à éradiquer le fonctionnement paternaliste du système culturel local. Les hiérarchies culturelles forgées par la bourgeoisie dans le premier xixe siècle résistent parfaitement à la propagation des nouvelles formes de loisirs de la Belle Époque. La guerre interrompt le processus et le climat politique spécifique de l’après-guerre contribue à diluer les enjeux sociaux du développement culturel local.

La démocratisation culturelle
au temps du retour à l’ordre, 1919-1935

55Les années qui suivent la Première Guerre mondiale sont généralement négligées par les historiens de la démocratisation culturelle. Contrairement à la Belle Époque ou au Front populaire, la vie culturelle apparaît comme rentrée dans le rang, retrouvant son rythme de croisière traditionnel. Via le retour à l’ordre puis la crise économique, la société bourgeoise cadenasse la culture, non sans efficacité. À y regarder de plus près toutefois, il semble qu’il faille réhabiliter ce soi disant angle mort de l’histoire, non tant pour affirmer que les innovations du Front populaire prennent leur source dans les expériences des années vingt, que pour resituer le débat dans la longue durée. À cet égard, la séquence 1919-1935 apparaît comme une période où les avancées de la Belle Époque parviennent à s’institutionnaliser en profitant, du moins jusqu’en 1931, d’un essor généralisé de la consommation culturelle. Cet essor est aussi encouragé par les pouvoirs publics, en particulier à Rouen après la victoire aux municipales de 1929, de l’équipe radicale-socialiste de Georges Métayer.

Les institutions publiques face à l’impératif d’ouverture

  • 98 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 16 juin 1920.

56Dès le début des années vingt, la consommation culturelle, déjà forte avant la guerre, est à nouveau tirée vers le haut. Les premiers rapports des directeurs des musées et bibliothèques municipales insistent néanmoins sur la difficulté du retour à la normale. Ainsi, Henri Labrosse dressant le bilan de fréquentation de la bibliothèque municipale de Rouen sur la période 1914-1919 note-t-il le paradoxe de la reprise. Alors que le nombre de lecteurs par séances s’élève régulièrement pendant la guerre (40,61 en 1914 ; 56,66 en 1918) il fléchit nettement en 1919 (36,95)98. Les explications qu’il fournit attestent de sa perplexité :

  • 99 Ibidem.

« Fléchissement sensible par rapport aux années précédentes. S’explique par le départ de nombreux réfugiés, la réduction des loisirs, le fait que les séances du soir, rétablies après une longue interruption de quatre années, n’ont pas encore retrouvé leur clientèle habituelle, et aussi il faut l’avouer, par une sérieuse diminution de la curiosité intellectuelle99. »

  • 100 AMBAR, copie de lettres, Fernand Guey/maire de Lille, 2 mars 1926.
  • 101 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 16 juin 1920. Dans l’hypo (...)

57Une lettre de Fernand Guey indique qu’au milieu des années vingt, le musée des beaux-arts reçoit chaque année « une dizaine de mille de visiteurs payants et 15000 visiteurs non payants100 ». On pourra rapprocher ce chiffre des 23501 lecteurs annoncés par Henri Labrosse pour la bibliothèque municipale de Rouen101. D’autres indices attestent que la reprise culturelle relève d’abord et aussi de la demande, c’est-à-dire de la reconstitution voire de l’extension des publics culturels locaux. La création de nouveaux musées (Ferronnerie) et bibliothèques (Capucins) au cours de la décennie doit aussi se lire à cette aune. Les élus conservateurs des années vingt et plus encore les radicaux-socialistes qui prennent le pouvoir à Rouen en 1929, retrouvent les accents démocratiques de Louis Ricard pour saluer les besoins culturels du peuple.

  • 102 ABMR, « bibliothèque archives, bibliothèques de prêt », statistiques de fréquentation de la biblio (...)

58Le 14 avril 1929 en effet, est inaugurée la bibliothèque des Capucins, digne réplique sur la rive droite de la bibliothèque populaire Saint-Sever. L’implantation dans le quartier ouvrier de Martainville, situé à l’est de Rouen, d’une nouvelle bibliothèque, se justifie essentiellement par l’engorgement. Seule bibliothèque publique de prêt gratuit, Saint-Sever accueillait des lecteurs venus des fins fonds de la rive droite. Le nombre d’emprunteurs, stationnaire jusqu’au début des années vingt (722 en 1913, 800 en 1922), avait brusquement augmenté à partir de 1923, atteignant en 1926 le pic de 1613102. Il s’agissait donc de déconcentrer une activité victime de son succès.

  • 103 AMR, bulletin municipal de la ville de Rouen, mars-avril 1929.
  • 104 Ibidem.
  • 105 Selon Graham Keith Barnett des sections enfantines existaient à Albi (1937), Tours (1937), Soisson (...)
  • 106 Labrosse Henri, 25 ans de lecture publique à Rouen 1913-1938, Rouen, Laîné-Société libre d’émulati (...)
  • 107 ABMR, rapport annuel de 1926-1927.

59Les deux antennes de la bibliothèque centrale se partagent désormais la clientèle « populaire » de la ville. L’effort municipal se jauge ici à la nomination d’un « vrai bibliothécaire, et non d’un simple distributeur de livres103 ». Par ailleurs dans les bibliothèques de prêt, Henri Labrosse expérimente l’accès direct aux rayons. À la fin des années vingt, le directeur et la ville envisagent même la création d’une « bibliothèque enfantine104 » sur le modèle de l’Heure joyeuse fondée à Paris en 1924. Le projet, qui demeurera lettre morte, aurait placé la ville dans le peloton de tête des capitales régionales développant la lecture publique105. En 1938, Henri Labrosse dresse le bilan de « 25 ans de lecture publique à Rouen106 » notant que la bibliothèque centrale a communiqué dans l’année 41 000 ouvrages mais que les deux bibliothèques populaires réunies ont prêté 48000 livres. Dix ans plus tôt, il soulignait déjà le succès du prêt à domicile réalisé
par la bibliothèque populaire Saint-Sever (30 000 ouvrages prêtés en 1926) qui n’avait rien à envier à la bibliothèque centrale (35 000 ouvrages communiqués la même année)107.

  • 108 ABMR, dossier « Bibliothèque archives, bibliothèques de prêt », Henri Labrosse/maire de Rouen, 27 (...)
  • 109 Journal de Rouen, 14 avril 1929.

60Au premier abord, on pourrait souligner la nouveauté de ce développement de la lecture publique, intimement lié au militantisme du directeur de la bibliothèque municipale dans l’entre-deux-guerres. Pour ce dernier, la dénomination de « bibliothèque populaire » ne s’impose pas, dans la mesure où « aux yeux de beaucoup de personnes elle a pris un sens plutôt péjoratif108 ». Il lui préfère le titre de « bibliothèque de prêt gratuit », qui sera finalement retenu. Mais l’adhésion municipale, qui soutient ce mouvement est également manifeste : « Il fallait que la nouvelle bibliothèque fût créée dans un quartier populaire pour qu’elle pût répondre plus complètement à son programme : distraire, instruire et renseigner les personnes des conditions sociales les plus modestes, tout aussi bien que les autres109. »

  • 110 ABMR, dossier « Bibliothèque archives, bibliothèques de prêt », communiqué de la mairie de Rouen à (...)
  • 111 ABMR, dossier « Bibliothèque archives, bibliothèques de prêt », directrice de l’école des Sapins/m (...)

61Cette logique fut à nouveau appliquée quelques années plus tard lors de la mise en place d’une annexe de prêt à l’école Franklin, destinée à couvrir les besoins du quartier ouest du Mont-Riboudet. La politique municipale se définit alors clairement comme une volonté de décentralisation culturelle. Le maire de Rouen, dans un communiqué à la presse, indique que « l’administration municipale, désireuse de faciliter le prêt de livres aux personnes qui habitent loin des bibliothèques de prêt gratuit du quartier Saint-Sever et du quartier de la Croix-de-Pierre [Capucins] a décidé de créer à titre d’essai, un dépôt de livres dans le quartier du Mont-Riboudet110 ». Cet essai fonctionnera jusqu’en 1936. À partir de cette date s’amorce curieusement un déclin de la lecture publique. Une demande d’équipement pour le quartier des Sapins en 1934, restera sans suite111. En dépit de son impact limité, cette politique de fondation de bibliothèques publiques de prêt répondait à un souci de lutte contre les ségrégations culturelles. Corriger même symboliquement, l’inégalité de la distribution des institutions, c’était en effet refuser la formation de deux cultures antagonistes, celle du centre contre celle de la périphérie.

  • 112 ADSM, 4T224, procès-verbal des délibérations du conseil général de la Seine-Inférieure, séance du (...)

62Une même volonté d’ouverture caractérise les musées locaux, même s’il ne s’y rencontre guère de militant de la démocratisation culturelle de la trempe d’Henry Labrosse. On souligne néanmoins l’utilité pédagogique des musées. Au début des années vingt, le conservateur du musée des Antiquités indique ainsi, dans son rapport au préfet qu’« il serait désirable que les élèves des écoles primaires viennent en plus grand nombre, ne serait-ce que pour enlever à tous, maîtres et élèves, certaines théories nées de l’époque romantique et que les ouvrages de Seignobos n’ont pu encore faire disparaître112 ». Dix ans plus tard, la municipalité de Rouen assigne à son Muséum d’histoire naturelle le même rôle :

  • 113 Regnier Robert, « Le muséum de Rouen », La Terre et la Vie, janvier 1933, p. 16.

« Au début de chaque année scolaire, des conférences sont faites par le directeur aux membres de l’enseignement, pour leur indiquer la manière dont ils doivent montrer les collections à leurs élèves. Par ordre de la municipalité, toutes les écoles communales doivent visiter les galeries au moins une fois par an ; à la suite de ces visites des compositions sont données aux élèves sur des sujets d’histoire naturelle113. »

  • 114 AMDA, chemise « 1905-1960 », rapport de Jules Vernier au préfet de la Seine-Inférieure, s. d., 192 (...)
  • 115 Cette dernière fonctionnera jusqu’en 1970. Cf. Horticulteurs et jardins normands, supplément à Jar (...)

63Reste que cette démocratisation ne passe pas par hasard par le prisme scolaire. Si le peuple est accepté, c’est toujours en tant qu’enfant à éduquer, mais pas encore en tant que public, libre de ses pratiques culturelles. En témoigne, ce propos amer d’un conservateur en 1922 : « Le musée est toujours très fréquenté. On serait bien surpris d’ailleurs qu’il en fût autrement, à considérer le goût qui se développe de plus en plus dans les masses, par éducation ou par snobisme pour les antiquités114. » Dans un premier temps, les élus rouennais font la sourde oreille aux réclamations des conservateurs. Ainsi, les musées et bibliothèques reprennent-ils après la guerre les pratiques de gratuité instaurées à la Belle Époque. La gratuité est tantôt permanente (bibliothèques d’études et de prêts), tantôt périodique. L’entrée au musée des beaux-arts est par exemple libre les jeudis (publics scolaires), les dimanches et les jours fériés (publics populaires et ouvriers). Les étudiants de l’École régionale des beaux-arts en bénéficient les autres jours mais les autres visiteurs (rentiers, touristes) doivent acquitter une taxe de 1 franc. Cette libéralité est cependant abandonnée à partir de 1927, en raison, on l’a dit, de l’inflation (chapitre iii). Seuls les cours municipaux de botanique et d’horticulture conserveront le principe de la gratuité, témoignant une fois encore du lien privilégié de ce secteur avec l’éducation populaire115.

  • 116 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 6 mars 1925, rapport de F (...)
  • 117 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 29 mai 1921.

64C’est dire que la démocratisation artistique relève bien au début de l’entre-deux-guerres d’une tradition politique, entretenue aussi bien par les conservateurs que par les radicaux. C’est par exemple sous des administrations républicaines qu’on trouvera ces deux exemples de plaidoyers en faveur de l’ouverture sociale de la culture : « Il faut se prémunir contre la tentation que pourraient avoir certains de nos concitoyens de confisquer à leur profit ces paysages qui nous enchantent116 » déclare un conseiller républicain en 1925 à propos des sites panoramiques de la ville. « Le peuple se doit à lui-même de fêter noblement celle qui est sortie de son sein », déclare un autre conservateur en 1921, pour justifier l’organisation de fêtes johanniques municipales117.

65La rupture politique de 1929 est cependant notable et relance incontestablement la politique locale de démocratisation culturelle, au moment précis où la crise économique pouvait la mettre en péril.

  • 118 Cf. Eude Robert, « Les maires de Rouen 1800-1950 », Bulletin de la Société libre d’émulation de la (...)
  • 119 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 28 janvier 1931.
  • 120 Ibidem.
  • 121 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 26 janvier 1933.

66Pour la mémoire locale118, Georges Métayer reste associé aux aménagements urbains en faveur de la jeunesse. De fait, plusieurs de ses décisions politiques semblent esquisser un projet global jamais pour autant clairement exposé. La première d’entre elles concerne les jardins publics. Longtemps conçus comme des parcs-décors, musées végétaux et lapidaires à ciel ouvert, les jardins publics rouennais voient consacrer leur fonction récréative. Dès les années 1920, les médecins hygiénistes avaient souligné le caractère sanitaire de ces poumons verts du centre-ville où venaient se promener mères et nourrices. Rien n’avait pourtant été fait pour améliorer l’accueil de ce public spécifique. En janvier 1931, le conseiller Jules Bourdeaux remet un rapport sur la « création de salles de jeux » dans les jardins publics rouennais. L’ambition est modeste. Il s’agit d’aménager des aires ludiques (bacs à sable, bancs décoratifs, bancs d’enfants) dans trois jardins de Rouen, le square Verdrel (cliché 35), le square Martainville et l’école de plein air située rue de l’église119. La proposition est votée rapidement sans toutefois que les arguments culturels (éducation, péri-scolaire) soient développés. Le rapporteur au contraire insiste sur l’accueil des familles et la « possibilité pour les tous petits de se livrer sans danger à leurs jeux120 ». Deux ans plus tard, d’autres jardins font l’objet d’équipements sportifs. On décide d’aménager en effet des terrains de basket-ball, place du Boulingrin et au square des Capucins121. Là encore ce projet d’équipement, pour être destiné à la jeunesse et à ses loisirs, ne concerne pas directement la démocratisation culturelle. Il faut toutefois resituer ces décisions ponctuelles dans une dynamique d’ensemble dont témoigne par exemple la politique théâtrale de la cité.

  • 122 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 28 novembre 1935, interve (...)
  • 123 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 novembre 1936.

67Déjà de 1925 à 1929, alors que les radicaux se trouvaient dans l’opposition municipale, André Marie et Georges Métayer intervenaient pour obtenir des places gratuites au Théâtre des arts et au Français pour les familles nombreuses et les écoles publiques. Une fois au pouvoir, les radicaux imposeront la délivrance de billets scolaires en contrepartie de l’octroi de subvention. Dans leur esprit, la politique culturelle de la cité doit être liée à la politique de la jeunesse et à la politique scolaire. En 1935 par exemple, une subvention déguisée de 10 000 francs est accordée à la première scène rouennaise, à charge pour elle de fournir des « billets d’entrée au Théâtre des arts en faveur des élèves de nos établissements publics d’enseignement. De cette manière, ceux d’entre eux qui appartiennent à des familles peu fortunées, pourraient assister sans bourse déliée à des représentations lyriques122 ». La somme est prélevée au chapitre « provisions pour améliorations diverses relatives à l’enseignement » et non à celui du Théâtre des arts. En 1936, la ville ira jusqu’à acheter pour 30 000 francs de billets scolaires, dilatant tacitement la subvention au Théâtre des arts123.

  • 124 La Dépêche de Normandie, 30 mars 1929.

68Le volontarisme éducatif des radicaux-socialistes est donc patent. Ils n’hésitent pas à prolonger la politique de démocratisation artistique, impulsée tardivement par les conservateurs des années vingt (inauguration de la bibliothèque de prêt des Capucins en avril 1929). C’est en mars 1929, qu’est fondée à l’initiative du directeur du Théâtre des arts et de la ville de Rouen une « école de chœurs » réservée aux jeunes Rouennais. Les cours sont gratuits, professés par un grand ami des radicaux, le chef d’orchestre André Haumesser. Les élèves bénéficient d’une carte d’accès au Théâtre des arts124.

  • 125 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 31 mars 1932.
  • 126 Ibidem, discours de René Millot.

69Trois ans plus tard, c’est au tour de la rive gauche de bénéficier des attentions de la municipalité. Sur une proposition de Georges Néel, on installe au Jardin des plantes un terrain de jeu pour les enfants et un kiosque à musique. Le conseiller Néel ne défend pas ce dossier culturel par hasard. Élu du quartier, il est aussi auteur de pièces de théâtre et à ce titre fondateur de la Mutuelle des artistes lyriques et dramatiques rouennais. Après mise à l’étude et consultation du directeur artistique de la Musique municipale de Rouen, l’érection du kiosque est votée par le conseil municipal en 1932, entraînant une dépense conséquente de 57 000 francs à l’heure où les priorités sont avant tout sociales125. La volonté politique associe ici démocratisation et décentralisation culturelle : « Il était inadmissible que notre magnifique square de la rive gauche restât plus longtemps privé d’un kiosque qui lors des concerts ou festivals est appelé à rendre les plus grands services126. »

  • 127 Annuaire de Rouen, 1929-1939.

70Autre signe de démocratisation culturelle, celle qui concerne les tarifs d’accès aux principales institutions culturelles locales. Les années vingt avaient vu, on l’a dit, l’augmentation régulière des entrées aux musées et aux bibliothèques. Les radicaux des années trente stoppent cette inflation et bloquent les tarifs jusqu’à la guerre. Ils instaurent par ailleurs la gratuité des bibliothèques127.

  • 128 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 25 juillet 1929.
  • 129 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 26 mai 1930.
  • 130 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 11 juillet 1935.

71Dernier indice, la politique en faveur des abonnés du Théâtre des arts. Traditionnellement en effet, les abonnés du Théâtre des arts n’avaient pas droit de siège à la commission consultative du théâtre. Les radicaux rompent avec cette anomalie en instituant en 1929 une représentation des abonnés à hauteur de six sièges répartis entre les premières, les secondes et les troisièmes128. Le système privilégiait objectivement les premières (55 abonnés en 1929) au détriment des secondes (144 abonnés) et des troisièmes (120 abonnés) mais plus encore des quatrièmes non représentées car ces places ne pouvaient donner droit à un abonnement. Dans un souci de « justice sociale » explicite, le conseil municipal de Rouen reprend le dossier en mai 1930, pour donner aux quatrièmes la possibilité de s’abonner et donc de désigner un délégué129. La même délibération enlève aux premières un délégué tout en maintenant deux délégués pour les secondes et les troisièmes. Cette politique, généreuse sur le papier tourne cependant court. En 1935, lors du renouvellement de la commission consultative, on supprime les six postes des abonnés : « En effet, les abonnés pour beaucoup se désintéressent du choix de leurs délégués ; ainsi a-t-on vu à différentes reprises deux votants pour une catégorie130. »

  • 131 La comparaison avec la municipalité du radical Gaston Gérard, maire de Dijon dans les années vingt (...)

72Peut-on, à partir de ces exemples, parler de démocratisation culturelle ? La réponse n’est pas simple. À première vue, les interventions culturelles de la municipalité Métayer ne s’inscrivent pas dans un programme spécifique de popularisation de la culture. Il s’agit davantage d’une démocratisation pragmatique, s’exerçant au gré des opportunités ou des revendications. Pour autant, la rupture introduite dans l’histoire des politiques culturelles de la cité est bien réelle. L’ère Métayer forme bien un jalon essentiel entre l’époque où l’ouverture culturelle constituait un alibi pour les conservateurs et celle où elle deviendra une priorité du développement local (les années 1960-1970). Sans souhaiter ou pouvoir se donner les moyens d’une rupture politique, les radicaux prennent acte, plus que leurs prédécesseurs ne l’avaient fait, des mutations sociales et œuvrent aussi bien en direction de nouveaux publics (ouvriers, jeunes) qu’en direction de nouveaux acteurs (péri-scolaire, comités des fêtes, loisirs urbains). En ce sens, le radicalisme rouennais des années trente est bien culturellement tiré à gauche131 et se trouve ainsi en phase avec d’autres politiques de démocratisation culturelle, menées dans l’agglomération.

  • 132 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
  • 133 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
  • 134 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
  • 135 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)

73À Notre-Dame-de-Bondeville, dirigée de 1905 à 1935 par la bouillonnante personnalité de Ferdinand Cartier, le cadre laïque de l’école primaire est encore considéré comme un vecteur essentiel de l’éducation populaire. Dès le début des années vingt, l’instituteur réorganise les cours pour adultes, tombés en désuétude avant 1914. La formule rencontre un succès certain. La Ville soutient cette œuvre et finance les récompenses distribuées132. L’Association amicale des anciens élèves forme le bras armé de cette politique. Représentée au sein du conseil municipal, elle bénéficie du soutien constant du maire. En 1932, la Ville, à la demande de l’Amicale, décide de doter les écoles communales d’un appareil cinématographique133. La dépense, importante pour une commune de cette taille, indique à la fois le souci moderniste de la politique éducative et ses limites, l’usage du cinéma étant strictement scolaire. Dès 1934, la Ville accorde une subvention annuelle « pour assurer le bon fonctionnement régulier du cinéma éducateur et instructif qu’est le cinéma scolaire134 ». L’organisation des loisirs adultes n’est pas prise en compte à cette époque. La Ville se contente d’indiquer dans le règlement de sa salle des fêtes rénovée, que la location sera gratuite pour « une fête ou réunion publique ayant pour but la bienfaisance ou une conférence instructive135 ».

  • 136 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Associations », SPED, historique de Benard(...)
  • 137 Archives municipales de Sotteville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 24 (...)

74D’autres villes sont cependant allées plus loin dans leur réflexion sur l’éducation populaire. Constatant au début des années vingt qu’un nombre important de jeunes sottevillais suivaient les cours professionnels des écoles pratiques de Rouen, le maire Eugène Tilloy décide de mettre à l’étude la création d’une école pratique industrielle et commerciale locale. La Société populaire d’études diverses met parallèlement à ce projet, l’accent sur l’enseignement technique. En 1921, elle organise, avec la bénédiction de la cité, une grande exposition régionale du travail, à l’Eldorado, afin d’encourager l’apprentissage136. Profitant de la politique volontariste de l’État en direction de l’enseignement technique (loi d’Astier de 1920, création d’un sous-secrétariat à l’Ensei­gnement technique), la Ville transforme le groupe scolaire Marcel Sembat en construction, en école professionnelle de 18 classes pour les garçons et les filles137. Cette institution, promise à un grand avenir, ouvre ses portes en 1924, accueillant près de 300 élèves. L’investissement (construction d’ateliers, financement des cours) est considérable pour la Ville, même si l’État décide de l’aider à hauteur de 50 %.

  • 138 Cf. Fouquet Christophe, Le cinéma d’éducation populaire en Seine-Inférieure entre les deux guerres (...)
  • 139 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », SDP, statuts du 9 décembre 19 (...)

75De fait, le relais des politiques locales d’éducation populaire est clairement pris par l’État dans le courant des années vingt. En 1920, le conseil général de la Seine-Inférieure crée le Service départemental des conférences filmées, proposant aux petites communes urbaines ou rurales des projections éducatives ou récréatives138. Soutenu par le ministère de l’Agriculture et le ministère de l’Instruction publique dès 1921, ce service est refondé en 1926 sous le nom de Société départementale d’éducation populaire. La société est « chargée de poursuivre l’œuvre d’instruction et d’éducation professionnelle et sociale » en organisant des « séances instructives et récréatives absolument gratuites139 ». L’association réunit un grand nombre d’élites rouennaises. On y trouve des personnalités politiques, souvent proches des radicaux-socialistes – mais pas exclusivement – comme le député André Marie, le maire de Bois-Guillaume (Edmond Blondel), le maire de Notre-Dame-de-Bondeville (Ferdinand Cartier) ou les conseillers rouennais Jacques Toutain et Georges Métayer. On y trouve aussi des représentants de la société culturelle comme Crépieux-Jamin, fondateur de l’Université populaire de Rouen à la Belle Époque, Jules Malatiré, président de la Société normande de géographie ainsi qu’un certain nombre de médecins spécialisés dans les questions démographiques ou d’hygiène publique (Cauchois, Hue, Boucher). La présence de l’archevêque de Rouen, du général commandant du 3e corps d’armée et de l’inspecteur d’académie indique le souci étatique d’ériger l’éducation populaire en priorité nationale.

76Les communes de banlieue bénéficient de nombreuses conférences organisées par la SDEP tout au long des années vingt et trente. Mont-Saint-Aignan et Notre-Dame-de-Bondeville, entre autres, accueillent et subventionnent l’association. Les sujets abordés renvoient à la culture sanitaire du début des années vingt, à l’heure où l’État décrète la lutte contre le fléau de la tuberculose. L’association est le volet éducatif de l’État providence en construction (brevet d’infirmière visiteuse en 1922, brevet d’assistant de service social en 1932). Les sujets d’hygiène dominent (tuberculose, diphtérie, eau, cancer, péril vénérien) aux côtés des conférences consacrées à l’économie sociale (taudis et maison saine, HBM, placement familial, jardins ouvriers, infirmière sociale, mutualité, épargne) et de quelques conférences consacrées, dans la même optique au sport.

  • 140 ADSM, 4M450. L’association est déclarée le 28 février 1921.
  • 141 Annuaire de Rouen, 1919.

77Le vecteur cinématographique est couramment utilisé par les sociétés d’éducation populaire dans les années vingt, suscitant même la création en 1921, de l’Association cinématographique d’éducation populaire qui se fonde sur l’utilisation exclusive de ce média140. La Société normande de conférences, dirigée au sortir de la guerre par l’abbé Grosjean et qui se réunit à l’institution Bellefonds, utilise aussi dès 1919 des « projections et cinématographes141 ».

  • 142 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, W18, Bibliothèques, extrait de la délibération de la Co (...)

78Parallèlement à la SDEP, le département crée en 1921 une Bibliothèque départementale circulante qui préfigure la création en 1944 des bibliothèques centrales de prêt. Abritée par l’École normale d’instituteur de la rue Saint-Julien, la BDC est « financée par le département sur des crédits inscrits au budget pour subventions aux œuvres d’utilisation des loisirs des travailleurs142 ». Elle a pour but de « développer le goût de la lecture, de contribuer à l’éducation littéraire, scientifique, technique ou morale des populations du département, à leur culture, ou à leur délassement, de favoriser l’utilisation saine, agréable et utile des loisirs ». L’utilisation, très rare en 1921, des termes de « culture » et « loisirs » indique l’ambition de l’œuvre entreprise par le département de la Seine-Inférieure. Des comités de lecture cantonaux sont constitués pour bénéficier du prêt de livres. Ils sont soumis à un agrément départemental, confié pour l’essentiel aux services de l’Instruction publique.

  • 143 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, W18, Bibliothèques, maire de Mont-Saint-Aignan/préfet d (...)
  • 144 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, W18, Bibliothèques, procès-verbal de la réunion du comi (...)

79De nombreuses communes de l’agglomération voient dans la BDC, l’opportunité de se doter d’une bibliothèque, sans avoir à en supporter le coût. Mont-Saint-Aignan crée ainsi au début des années trente, trois dépôts de livres aux écoles Aroux, Berthelot et du Mont-aux-Malades. Un « comité communal de lecture » de 17 membres est organisé143, qui gère la répartition des trois caisses de livres que le département envoie à destination des adultes et des enfants de la commune. Un procès-verbal de réunion du comité atteste le succès de la formule déclarant que « la bibliothèque répond à un réel besoin144 ». Les contraintes de la Ville sont limitées au remplacement des livres manquants. Cependant, elle n’est pas en mesure d’impulser l’achat de nouveaux livres et ce sont les mêmes caisses qui circulent dans la commune pendant plus de dix ans !

80C’est dire que malgré l’investissement réel des pouvoirs publics, la démocratisation culturelle ne progresse que très lentement dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale. Il y a là un indéniable paradoxe, au vu de la croissance globale de la consommation culturelle.

Croissance et diversification de la consommation culturelle

81La réalité des années folles, qui se prolongent localement jusqu’au début des années trente, se lit moins dans l’adoption des modes venues de la capitale que dans la révélation d’une hausse continue de la consommation de loisirs. Deux secteurs peuvent servir à évaluer la teneur quantitative et qualitative de cette hausse : les salles de spectacle et les associations.

  • 145 AMR, 1Q1, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 mai 1919. La taxe (...)

82Le mouvement général des tarifs d’accès aux différents établissements culturels locaux témoigne, par défaut des disponibilités financières du public. Si les directeurs d’établissements culturels (théâtres, cinémas) ou les édiles engagent, dès le début des années vingt une politique de réajustement des tarifs et de création de taxes, c’est parce qu’ils pressentent qu’elle n’affectera pas la consommation culturelle. Défendant ainsi la création d’une taxe municipale sur les spectacles, un conseiller municipal fait remarquer que « cette taxe minime ne peut nuire à l’industrie des théâtres. Personne n’hésitera pour 0,10 ou 0,20 francs à se priver d’un spectacle145 ».

83On a vu (chapitre iii) que les années 1920 n’enregistrent effectivement aucune baisse de la fréquentation et qu’au contraire les recettes des spectacles étaient en hausse jusqu’en 1931. Certes cette croissance des recettes ne signifie pas pour autant que le public s’est diversifié. On peut néanmoins supposer que la bourgeoisie rouennaise n’a pas été la seule à utiliser les théâtres et surtout les cinémas qui se multiplient dans les faubourgs. Treize s’édifient entre 1919 et 1931 couvrant assez largement l’agglomération. Au demeurant ils ne sont pas les seuls à attirer le public populaire.

  • 146 Pour une mise en perspective historique cf. Gasnault François, Guinguettes et lorettes. Bals publi (...)

84Si les cafés-concerts de la Belle Époque ont quasiment disparu, ils sont assurément remplacés par les dancings et autres casinos qui fleurissent aux portes de la cité146. L’appréhension du phénomène est délicate pour deux raisons. La danse de société relève tout d’abord du secteur privé, ne délivrant par définition pas d’autres archives que les archives fiscales. Ensuite, certains établissements ne s’intéressent à la danse que de manière ponctuelle (soirées de galas, bals ponctuels) ne permettant guère, en dehors d’une analyse de presse serrée de les identifier. Malgré ces réserves, le développement de la danse de société, considéré ici comme signe de l’extension des loisirs aux couches moyennes et populaires, est patent. Il est plus difficile en revanche d’appréhender, en l’absence d’archives, le sens des pratiques associatives en matière de danse. Quasiment absentes de la vie culturelle au début des années vingt, les sociétés de danse s’épanouissent dans les années trente. La première du genre, le Club des danseurs vétérans, fondée en 1932 se présente comme un « cercle familial de danses ». Elle est suivie en 1933 par la Pavane, « cercle de danse pour jeunes filles » qui se consacre aux danses de salon et aux ballets du xviiie siècle. Viennent ensuite en 1934 la résurrection du Boston-Club rouennais, un cercle privé de danse fondé en 1920 mais tombé en désuétude à la fin de la décennie et la création de la Gavotte, cercle de ballerines amateurs, qui prétend « faire revivre les jolies danses de style ». On le voit, les créations ne s’inscrivent nullement dans un projet chorégraphique de rupture, qu’il passe par la danse dite contemporaine ou par les nouvelles danses de société de la période (java, tango, fox-trot). Elles participent au contraire d’un courant passéiste plus ou moins dérivé du régionalisme par ailleurs exalté par un Lucien Dorin, propriétaire de l’hôtel de la couronne et président de la Pavane. En revanche certaines communes ouvrières de banlieue voient apparaître des sociétés de danse comme les cercles « La Java », « La Farandole » de Sotteville-lès-Rouen ou « La Gavotte » de Déville-lès-Rouen.

  • 147 Contrairement aux sources commerciales comme les annuaires qui ignorent certaines salles de danse (...)
  • 148 AMR, 1Q1, recettes de 1927 : 133 878 francs, recettes de 1933 : 217 616 francs.

85On mesure aisément le succès grandissant des salles de danse et autres bals organisés dans les années trente147. Les recettes imposables du Royal Dancing, traduites en francs constants, font apparaître une progression régulière de 1927 à 1933, équivalente à un taux de croissance de 62 % entre ses deux dates148. Cette croissance se produit en deux temps, entre 1927 et 1930 tout d’abord (+31 %), entre 1931 et 1933 ensuite (+24 %), l’année 1931 marquant une légère stagnation des profits. La seconde moitié des années trente sera toutefois moins favorable à l’établissement puisque ces recettes de 1938 accusent une baisse de 67 % par rapport à celles de 1933. Pour la salle Barette, la progression est comparable. Les recettes de 1933 représentent une croissance de 69 % par rapport à celles de 1927. La récession de 1931 est notable (–44%) mais la salle se maintient mieux dans les années trente, le chiffre de 1938 étant même supérieur à celui de 1933. Au total on compte, en francs constants une croissance de 91 % des recettes de 1927 à 1938. De quoi faire rêver les directeurs des théâtres traditionnels rouennais.

  • 149 Cf. Langlois Bernard, André Marie (1897-1974), l’homme politique pendant la IIIe République, mémoi (...)

86Cette insolente bonne santé des salles de danse conduit à laminer le discours élitiste de la bourgeoisie culturelle locale. Le Théâtre français de Rouen semble abandonner au début des années vingt l’opérette classique (viennoise) pour ce que les contemporains appellent le « genre moderne » (opérette moderne, vaudeville militaire). À propos d’une reprise de Tire au flanc en 1924, le critique théâtral de Rouen-Gazette note : « les mots et les types militaires devenus classiques portent toujours, quoique étant d’une autre ère et s’ils nous divertissent encore, c’est parce qu’on les sait de cette belle époque où l’on savait, où l’on pouvait rire » (Rouen-Gazette, 2 novembre 1924). Le théâtre populaire, qui fera les beaux jours du Théâtre français de Rouen et des Folies-Bergères de l’île Lacroix tout au long des années vingt, pour n’être pas canonisé par les pouvoirs publics (rares subventions) ou les principaux médias (rares articles critiques dans le Journal de Rouen au début des années vingt), n’en attirent pas moins les plus jeunes des médiateurs culturels. Le jeune avocat André Marie, critique dramatique à La Dépêche de Normandie, n’est que le plus célèbre des « revuistes » locaux. Ses revues, créées au début des années vingt pour l’Association générale des étudiants de Rouen (AGER) définissaient un nouveau ton pour le théâtre local : À la guerre comme à l’AGER, C’est assez tu ex.AGER149.

  • 150 Rob(ert) Del(amare) mais aussi anagramme de « bordel ». Signalons en outre les noms de Gontran Pai (...)

87Le barreau rouennais est d’ailleurs un grand fournisseur d’auteurs de revues. Sous le pseudonyme de Jacques Yveline, auteur à succès du Théâtre français, se cache par exemple l’avocat Le Crosnier. La Dépêche de Normandie délivre également son lot de dramaturges amateurs. Outre André Marie, Paul Girardeau et le critique Camy-Renoult, on signalera le rédacteur Robert Delamare, auteur de pièces sous les pseudonymes de Maître Bonzig ou de Robdel150. Entre l’équipe de La Dépêche de Normandie et les avocats radicaux-socialistes du barreau de Rouen se crée ainsi une sociabilité théâtrale singulière, foncièrement opposée aux cercles élitistes de l’art lyrique, et dont le siège privilégié se trouve au Théâtre français. L’Espalier rouennais de Kendall-Taylor et Camy-Renoult décrit ainsi le succès « populaire » des pièces montées par Louis Stréliski :

  • 151 Kendall-Taylor, L’espalier rouennais, Rouen, Henri Defontaine, 1922.

« On se précipite ! Aux guichets,
Du plus marmiteux au plus riche,
Tous se pressent, endimanchés :
Magistrats, Calicots, Mondaines,
Cousettes, Commerçants, Titis,
Bouchers et Bistrots à bedaines,
Traine-savate, Mercantis,
Devant eux, Tout-Rouen défile151. »

  • 152 Cf. Abirached Robert, « Des premières semailles aux premières réalisations. Les précurseurs : Jacq (...)
  • 153 Rouen Gazette, 18 février 1928.
  • 154 La Dépêche de Normandie, 18 février 1929.

88Ce renouveau théâtral fut également soutenu par un jeune journaliste, André Renaudin. En (re)fondant en 1924 l’hebdomadaire Rouen Gazette, il contribua à promouvoir de nouvelles formes de spectacle. De Rouen Gazette, qui durera jusqu’en 1938, on retient surtout aujourd’hui le caractère polémique, ponctuellement anarchisant, fréquemment anticlérical qui en fit une sorte de Canard enchaîné rouennais. Au-delà de cette fonction critique, qui ne fait que reprendre un genre journalistique très en vogue dans les années 1880-1890, certains articles de fond inaugurent un nouveau rapport à la culture. André Renaudin est d’abord un défenseur du théâtre sous ses différentes formes (comédie, drame). En ce sens, il est en phase avec les recherches menées dans les années vingt à la fois en Bourgogne (Jacques Copeau) et au Vieux Colombier152. Il rend d’ailleurs compte dans Rouen Gazette de la visite de Copeau à Rouen en 1928 et signale que sa causerie sur Romeo et Juliette de Shakespeare à la salle Beauvoisine rencontra un « vif succès153 ». On retrouve le même Renaudin défendant en 1929 la simplicité du décor du théâtre itinérant de la veuve Calvaire (« un petit cube grillagé par des barreaux de bois, sans fronton, sans grandeur154… »). Doit-on voir ici une préfiguration de « l’art des tréteaux » ou plus sûrement l’écho du Populisme ? Les articles, élogieux pour ce genre de spectacle, font clairement pendant aux chroniques autorisées d’un Henri Hie ou d’un Paul-Louis Robert décrivant en style ampoulé, les fastes des mises en scènes du Théâtre des arts. André Renaudin légitime par là même d’autres formes de spectacle.

  • 155 Renaudin André, Mémoires de presse, t. 1, p. 111.
  • 156 Rouen-Gazette, 2 novembre 1924, article de Paul Sorbier.

89Il fait de même pour le cirque dont il révèle aux Rouennais le caractère artistique dès le milieu des années vingt. C’est à l’initiative de Rouen-Gazette que le trio Fratellini vient à Rouen pour fêter le 100e numéro de l’hebdomadaire en 1926. Analysant le « succès énorme » de la représentation André Renaudin s’exclame : « N’est-ce pas un art profond que celui là155 ! » Toute une série d’articles développeront lors des passages des grands artistes de cirque de l’entre-deux-guerres (Grock, Dario-Bario, Antonet et Béby) les mécanismes de « l’art du cirque » qui n’a rien à envier selon Rouen-Gazette aux autres arts de la scène : « Il y a au cirque comme au théâtre un public des premières. D’abord des habitués si l’on peut dire ou plutôt ceux qui le deviendront156… »

  • 157 Le reliquat étant constitué de spectacles divers donnés dans des brasseries, dancings et de tourné (...)

90Les archives du droit des pauvres, disponibles seulement pour la fin des années vingt en raison de l’incendie de 1926, permettent de faire le lien entre ces prises de position et les réactions du public local. En 1930, les recettes du Théâtre des arts constituent 10,5 % du total des recettes imposables. Celles du Français (9,4 %), des Folies-Bergères (9,3 %) et celles du Cirque de Rouen (8,8 %) attestent de la vigueur de l’alternative scénique. Si le lyrique est donc sérieusement concurrencé par les spectacles plus légers (de l’opérette au music-hall 27,5 % du total), il l’est encore plus par les salles de cinéma (44,5 % du total)157. On le voit, les spectacles concurrents du lyrique confirment dans les années vingt leurs percées des années de guerre et d’avant-guerre. Désormais ils disposent de critiques spécifiques et d’un public conséquent et sans doute élargi. Progressivement le statut des théâtres secondaires change au sein de la société locale. Les pouvoirs publics entérinent le mouvement en tentant d’utiliser au mieux ces établissements qu’elles n’hésitent plus à subventionner à l’instar du Théâtre français.

  • 158 AMR, 2R6, Louis Stréliski/maire de Rouen, 23 décembre 1921.
  • 159 AMR, 2R6, Louis Stréliski/maire de Rouen, 28 avril 1930.
  • 160 ADSM, 4T111, Louis Stréliski/préfet de la Seine-Inférieure, 15 juillet 1932.
  • 161 AMR, 2R6, préfet de la Seine-Inférieure/maire de Rouen, 21 avril 1931 : « Il m’est agréable de sec (...)
  • 162 ADSM, 4T111, à hauteur de 600 francs par an en 1932, de 800 francs par an en 1934.
  • 163 AMR, 2R6, Pierre Dorly/maire de Rouen, 15 avril 1935.

91Au Théâtre français les années vingt avaient été placées sous le signe de la « décentralisation artistique158 », thème récurrent des demandes de subvention annuelle à la municipalité de Rouen. Cette vocation culturelle ne suffit plus semble-t-il dans les années trente, pour obtenir la générosité des édiles sollicités de toutes parts. En 1930 justement, le directeur du Théâtre français, Louis Stréliski, fonde les « cours du Théâtre français159 » destinés aux jeunes Rouennais désireux de s’initier à l’art dramatique. Ces cours publics consistent en leçons de « diction-comédie », professées par un artiste du Français et un enseignement « d’opéra-comique, opérette et mise en scène », dispensé par le régisseur du Français160. L’institution est immédiatement patronnée par la ville de Rouen. Dès 1930 en effet, l’adjoint aux affaires scolaires et aux Beaux-Arts, Eugène Richard, préside le jury chargé de récompenser les meilleurs élèves et la Ville remet trois plaquettes et une médaille. En 1931, la préfecture de la Seine-Inférieure appuie à son tour l’initiative, en envoyant deux médailles161 puis en la subventionnant symboliquement162. Le changement de direction de 1933, n’engendre pas la suppression des cours, bien au contraire. Pierre Dorly développe à son tour des « cours de diction163 » et organise un « concours de poésie », présidé par le maire ou l’adjoint aux Beaux-Arts.

  • 164 Annuaire de Rouen, 1932.
  • 165 ADSM, 4T111, commission départementale statuant sur l’utilisation des loisirs des travailleurs.

92Il est néanmoins permis de s’interroger sur les finalités de ce soutien municipal. De toute évidence la ville a tout intérêt à susciter l’investissement pédagogique des industries du spectacle qu’elles soient semi-publiques comme le Théâtre des arts ou privées comme le Français. Dans la même veine, on peut signaler la création de « cours d’enseignement technique (dessin, gravure industrielle) » par le musée industriel et commercial en 1932164. La ville se dote ici à bon compte – c’est-à-dire pour quelques milliers de francs de subventions – de structures d’enseignement artistique aussi performantes (car encadrées par des professionnels) que souples (car non dépendantes de lignes budgétaires fixes). Cette politique libérale a cependant ses limites. Seule école virtuelle d’enseignement de l’art dramatique à Rouen dans les années trente, les cours de diction du Théâtre français, dispensés gratuitement les dimanches après-midi, ne touchent qu’une quarantaine d’élèves par an. À en croire Louis Stréliski il s’agit « d’employés de commerce, de bureau et de banque165 ». La démocratisation artistique ne saurait être importante dans de telles conditions. L’absence de professionnalisation de la médiation éducative constitue la véritable limite du projet de développement culturel local dans les années trente. Si le volontarisme est indéniable, les moyens font encore défaut, la mise en scène anticipe ici trop largement la mise en œuvre. Ni le Théâtre français, ni les cours de diction ne résisteront à la guerre.

93Le mouvement associatif, une fois encore, sera donc appelé à palier le déficit d’interventions publiques en faveur de la démocratisation culturelle. Au dynamisme déjà évoqué des sociétés savantes, musicales et artistiques, on ajoutera ici celui des sociétés théâtrales, sportives et d’une nouvelle sorte d’associations organisant les loisirs, les comités de quartier.

  • 166 L’Association générale des étudiants de Rouen édite également dans l’entre-deux-guerres un bulleti (...)
  • 167 Les pièces écrites par Maurice Louvrier pour le Théâtre français ou André Marie pour l’AGER ont au (...)
  • 168 Assises artistiques, littéraires et scientifiques de Caumont, session de Rouen, 1923, intervention (...)

94Le développement des sociétés théâtrales amateurs constitue l’une des nouveautés de l’entre-deux-guerres. Ce secteur, encore mal connu, participe semble-t-il d’une volonté de popularisation du théâtre, qui passe par la décentralisation des scènes de spectacle. Selon les annuaires, on peut évaluer à 14 le nombre total de sociétés théâtrales et chorégraphiques rouennaises dans l’entre-deux-guerres mais le chiffre est sujet à caution pour au moins deux raisons. Il n’intègre pas en effet les patronages catholiques et laïques, qui jouent un rôle moteur dans la diffusion de ce type de théâtre. Il oublie par ailleurs les associations d’anciens élèves ou d’étudiants qui, à l’instar de la très dynamique AGER organisent des soirées de création théâtrale, généralement sous forme de revues annuelles166. Cette vie théâtrale locale, sur laquelle on manque cruellement d’archives167 est de surcroît polysémique. Le propre du secteur est en effet d’hésiter en permanence sur sa vocation. En 1923, Paul-Louis Robert, analysant le mouvement théâtral rouennais, en dresse un bilan sans doute trop sombre : « Le théâtre littéraire n’existe pas. L’opérette et la revue accaparent les scènes. La province est réduite aux tournées Baret168. » On ne peut guère souscrire à une présentation si « élitiste » dans sa formulation, même si la production dramatique semble reculer dans les années vingt. Derrière les termes de « sociétés théâtrales » ou de « théâtre et concerts » voire de « théâtre d’art normand », il faut en réalité entendre toute la palette des arts de la scène depuis la comédie jusqu’au drame lyrique en passant par les récitals (chanson française ou régionaliste, humour cauchois). Il est juste, en revanche, que la revue, sorte de pot-pourri fondé sur l’actualité et mêlant les genres, soit le spectacle le plus fréquemment proposé par les troupes associatives.

  • 169 Annuaire de Rouen, 1928, p. 424.

95C’est dire que l’un des traits qui unissent ces différentes sociétés est le souci de diffusion des pièces locales. Les sociétés théâtrales comme l’éphémère Théâtre populaire de Darnétal sont généralement composées d’amateurs. Elles puisent dans un répertoire expérimenté aux Folies-Bergères ou au Théâtre français de Rouen. Les auteurs fétiches comme Paul Girardeau ou René Fauchois seront joués à de nombreuses reprises. Le souci régionaliste est généralement mis en avant. Il s’agit moins de créer des œuvres contemporaines, que d’orchestrer un répertoire promis à l’oubli. Ainsi la société Théâtre et concerts artistiques de Rouen se propose « d’organiser des spectacles d’art Normand (Les chanteurs du moulin de Godicherville, Tournée la Chignole) et de faire connaître les œuvres d’auteurs et compositeurs normands, classiques et modernes169 ».

  • 170 Cf. ADSM, 4T112.
  • 171 AMR, 2R6, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 28 mars 1907.

96L’association la plus stable au sein de ce capharnaüm théâtral semble être le Théâtre d’art normand. Fondé en 1917, placé sous la prestigieuse présidence de l’écrivain Lucie Delarue-Mardrus, il se dévoue à l’opérette et au music-hall et sert à la diffusion des pièces écrites par son directeur-fondateur, le journaliste Camy-Renoult. L’idée n’est pas neuve. Un premier Théâtre d’art normand avait vu le jour à Rouen en 1905. Farouchement régionaliste, il ne semble pas avoir survécu au-delà de quelques années170. En 1907 encore, fut fondée une société nommée l’Âme normande, subventionnée par la ville de Rouen en échange de semaines de représentations « d’art régional normand » qu’elle donnait au Théâtre français171. Le Théâtre d’art normand calque ses pratiques sur son prédécesseur et définit ainsi les intentions de l’entreprise :

  • « Faire mieux connaître les jeunes et mieux aimer les anciens de chez Nous. »
  • « Resserrer les liens entre les auteurs, compositeurs, les artistes, professionnels et amateurs… normands d’origine, d’adoption ou de cœur… »
  • « Lutter contre le mauvais goût et la pornographie qui envahissent le théâtre, en offrant au public des spectacles sains, gais, variés et artistiques. »
  • « Faire de bonne et efficace décentralisation théâtrale172. »

97C’est à ce titre que la troupe, composée d’une vingtaine de membres amateurs, perçoit une subvention du conseil municipal de Rouen, ainsi justifiée en 1932 :

  • 173 AMR, 2R6, Théâtre d’art normand, maire de Rouen/préfet de la Seine-Inférieure, 9 janvier 1932.

« Ce groupement crée très souvent des pièces et opérettes d’auteurs de la région constituant des efforts de décentralisation artistique méritant d’être encouragés. D’une manière générale, son répertoire ne soulève aucune critique. La troupe est composée d’amateurs et possède une certaine vogue. Elle paraît sérieusement dirigée. Ses dirigeants eux-mêmes jouissent d’une certaine sympathie173. »

  • 174 Cf. Rab Sylvie, « Les municipalités ouvrières et le sport dans les années trente. L’exemple de tro (...)
  • 175 ADSM, 4M456.
  • 176 Le comité recevra 1 500 francs de subvention en 1919 et 3 000 francs en 1920. Cf. AMR, registres d (...)
  • 177 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 27 juillet 1919.
  • 178 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 22 octobre 1920.
  • 179 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 12 septembre 1919.
  • 180 AMR, bulletin municipal, novembre-décembre 1920. Cette plaque se trouve au stade des Bruyères, sit (...)

98L’immédiat après-guerre met aussi l’éducation physique à l’honneur ce qui pose la question de la filiation entre cette charnière chronologique et celle des années trente où le sport sera partie prenante du champ culturel174. Il peut sembler intéressant ici de prendre la mesure de l’engouement, notamment municipal, pour la culture physique au sortir de la guerre. Premier constat, les subventions et les encouragements sont destinés en majeure partie à des groupements préexistants à la guerre. Sur les douze sociétés de gymnastiques en activité à Rouen dans l’entre-deux-guerres, huit ont été créées avant guerre et les six sociétés de préparation militaire actives sont toutes originaires de la Belle Époque175. C’est dire d’emblée que la culture physique rouennaise de l’immédiat après-guerre a pour origine les sociétés nationalistes ou patriotiques des années 1880-1910. De nombreuses sociétés sont encore liées à la préparation militaire, la victoire de 1918, aidant à prolonger un climat nationaliste. Ainsi du comité rouennais d’encouragement à l’éducation physique, largement soutenu par la municipalité Valin en 1919 et en 1920176. S’il se présente comme association d’encouragement à « l’éducation physique de la jeunesse », se proposant de « rendre l’enfant plus résistant, plus fort, en même temps le distraire, l’occuper sainement177 », c’est moins dans l’optique de l’affirmation d’une culture physique, complémentaire des humanités que dans celle bien comprise, de la préparation d’une revanche éventuelle de l’ennemi héréditaire. Le comité travaille d’ailleurs en étroite liaison avec la section militaire d’entraînement physique de la 3e région. Dès 1920, l’option militariste prend le pas sur l’option éducative dans la présentation de l’association qui déclare « rendre un double service au pays en lui préparant une race plus forte et plus résistante et de futurs soldats entraînés à la fatigue178 ». C’est dire les précautions avec lesquelles il faut interpréter l’émergence de la notion de culture physique, présentée localement sous la forme d’une « école pratique de culture physique », fondée en 1913 par le docteur Grasset et réactivée en 1919179. Dans le même ordre d’idées, on signalera que la seule plaque officielle inaugurée le 11 novembre 1920, lors des fêtes du cinquantenaire de la République, sera dédiée aux membres du Football-Club de Rouen morts au combat180.

  • 181 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Société de tir, 1929-1936.
  • 182 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Associations », Société de gymnastique la (...)
  • 183 Ibidem, s. d., avril 1919.

99Même constat évidemment pour les sociétés de banlieue qui se constituent ou se reconstituent au début des années vingt. La Société de tir de Mont-Saint-Aignan181, fondée en 1921, obtient un stand sur le terrain communal situé près de l’école Aroux puis des subventions municipales, accordées lors de l’organisation de concours. Elle s’ouvre aux adultes mais aussi et surtout aux jeunes. En 1935, elle compte sept membres adultes, onze adolescents et trois enfants d’âge scolaire. La société de gymnastique la Sottevillaise qui se présentait en 1912 comme une association visant à « entraîner et fortifier les jeunes gens… tout en leur procurant les moyens de fraterniser et d’entretenir de bons rapports de camaraderie182 » se décrit après guerre comme « une société de gymnastique, d’escrime, de tir, d’éducation militaire et de sports athlétiques183 ». Elle inaugure en 1924, à l’occasion du quarantième anniversaire de sa fondation, un stand de tir et accueillera dans les années trente de nombreux concours.

100Le lien entre le sport et la préparation militaire n’est cependant plus le seul moteur du développement sportif local. Aux côtés des sociétés de gymnastiques, équitation, escrime et tir se multiplient en effet les clubs de football, les sociétés de « touristes » c’est-à-dire de cyclistes, tandis qu’apparaissent de nouvelles associations, dédiées au golf, au basket ou au tennis. En 1929, Rouen compte 56 sociétés sportives dont 8 clubs de football. La banlieue, avec 34 sociétés sportives n’a pas totalement reconstitué son potentiel d’avant-guerre. Mais elle s’ouvre à de nouvelles formes de sport comme la boxe (Boxing Club quevillais), la natation (club nautique de Sotteville, Saint-Étienne-du-Rouvray, Oissel) ou le tennis (Tennis Club sottevillais). Des sociétés généralistes (Union sportive de Petit Quevilly, Sotteville, Saint-Étienne-du-Rouvray) proposent football, athlétisme et cyclotourisme.

  • 184 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
  • 185 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
  • 186 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Association sportive de Mont- (...)
  • 187 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Amicale sportive de Mont-Sain (...)
  • 188 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Amicale sportive de Mont-Sain (...)

101L’encadrement des loisirs ouvriers et surtout ceux de la jeunesse populaire vont être à l’origine de nombreuses créations. Fréquemment, les communes soutiennent ces sociétés qu’elles imaginent comme des remparts face au péril syndicaliste (CGTU) ou communiste (Prolétarien Touriste Club de Petit-Quevilly, Union sportive prolétarienne de Sotteville-lès-Rouen) voire tout simplement pour prévenir le vandalisme juvénile. Le jeune Bondeville Football-Club devient ainsi en 1924 la première société sportive locale subventionnée184. L’aide municipale sera régulièrement réajustée pour tenir compte de l’inflation, mais aussi des besoins d’équipement de la société qui équipe un terrain en 1936185. En 1924, la création d’une Association sportive de Mont-Saint-Aignan vise également à canaliser la jeunesse locale, en lui proposant de s’exercer au football et à l’athlétisme. Le terrain communal de la rue Aroux lui est accordé, ainsi qu’un poids et un disque186. Des actes de vandalisme sont commis sur ce terrain, qui en font restreindre l’entrée à la société. Un nouveau groupement se forme au début des années trente, l’Amicale sportive de Mont-Saint-Aignan, immédiatement subventionné par la commune187. Un an plus tard cependant, la société est dissoute, incapable d’assurer l’encadrement social et sportif : « Nous avions accepté d’aider quelques jeunes gens dans le but de procurer une saine distraction à la jeunesse. Nous en avions suivant votre désir, assuré contre les accidents une grande partie. Mais quelques fricoteurs venus de Rouen, nous ont mis dans de sérieuses difficultés et les bons éléments sont maintenant insuffisants188. »

  • 189 ALM, Maromme, 1987, p. 261-268.

102Ailleurs, les sociétés sportives doivent s’organiser par leurs propres moyens. À Maromme, l’amicale laïque, durement éprouvée par la guerre se reconstitue au début des années vingt. Sans soutien municipal, les amicalistes « retapent » un terrain vague pour pratiquer le football. La section artistique a plus de chance puisqu’elle parvient, à la fin des années vingt à monter quelques vaudevilles et tournées de chant, à raison de deux concerts par an189.

  • 190 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Associations », Auto-Cycle sottevillais, 1 (...)
  • 191 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre des délibérations du conseil municipal, séa (...)

103À Sotteville-lès-Rouen, l’investissement municipal, déjà conséquent à la Belle Époque, se renforce dans l’entre-deux-guerres, la Ville structurant progressivement une politique sportive, autour du « stade sottevillais ». Dès 1923, la municipalité finance l’organisation annuelle de courses cyclistes et automobiles. Un « challenge Tilloy », du nom du premier élu est même créé190. L’organisation en 1925 d’un championnat national de vitesse amène à Sotteville 100000 visiteurs. Au début des années trente de gros travaux sont financés par la Ville au stade sottevillais. Les équipements (terrains, matériels sportifs) sont mis à la disposition des sociétés sportives locales. En 1933, un projet de piscine est mis à l’étude, comprenant deux bassins intérieur et extérieur : « Ce projet donnera satisfaction à la population ouvrière de la Ville qui pourra se livrer à un des sports les plus utiles sans craindre les dangers rencontrés en Seine191. » Derrière cet exemple perce la montée en puissance d’une revendication d’équipements qu’on retrouve aussi à Rouen au début des années vingt.

  • 192 Le concours de 1919 réunira par exemple 72 sociétés.
  • 193 Journal de Rouen, 21 avril 1925.
  • 194 Programme d’André Marie, Journal de Rouen, 2 mai 1925.
  • 195 Journal de Rouen, 21 avril 1935.

104En organisant les premiers concours d’éducation physique de l’entre-deux-guerres192, le comité rouennais d’encouragement à l’éducation physique accélère la prise de conscience du poids social du sport (cliché 23). Il est à l’origine des premières demandes d’installations spécifiques (terrains d’entraînement, stades, piscine). Les élus ne peuvent y rester insensibles. Les édiles de l’entre-deux-guerres vont progressivement abandonner aux ligues d’extrême droite, la référence militaire et adopter une position hygiéniste : « Soucieux d’assurer à notre population, la santé physique et morale, nous aideront de tous nos efforts les initiatives des sociétés de sports et de préparation militaire » déclare le candidat conservateur Louis Dubreuil en 1925193. Les radicaux dès cette date ne disent pas autre chose : « La santé publique est intimement liée au développement de la vie sportive et de la culture physique qui font une jeunesse vigoureuse et saine194. » « Le sport est la saine et vivifiante distraction d’une grande partie de la jeunesse » leur répondent les conservateurs en 1935195.

105Parmi les équipements revendiqués, la construction d’une piscine à Rouen fait bientôt figure d’arlésienne. Réclamée depuis 1925 par les groupements sportifs rouennais, point clé du programme électoral des radicaux aux élections de 1929, la construction d’une piscine publique devait symboliser la rupture politique introduite par le renversement de majorité municipale en 1929. Le champ culturel régi était d’emblée élargi aux sports par un investissement durable et conséquent.

  • 196 Il obtint à ce titre la médaille d’or de l’éducation physique et sportive en 1931.
  • 197 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 octobre 1929.

106Le dossier fut confié à un jeune adjoint, chargé notamment des sports, William Cornier. Mutilé de guerre, mais membre honoraire de nombreuses sociétés sportives196, William Cornier était l’un des conseillers les mieux à même de prendre en charge ce domaine. En moins de cinq mois, il monta un dossier spectaculaire. À l’issue d’un contrat passé avec un industriel de Neuilly, la mairie louerait moyennant une redevance symbolique, un terrain de 2 000 mètres carrés pour une durée de 50 ans. L’industriel déjà constructeur et exploitant de nombreuses piscines en région parisienne, se chargerait de l’édification et exploiterait pour son compte l’établissement pendant la durée du bail. Au terme de celui-ci, la Ville deviendrait propriétaire de la piscine197.

  • 198 Cf. sur ce point les précisions données par Pessiot Guy, Histoire de Rouen de 1900 à 1939 en 800 p (...)

107Bien évidemment, l’industriel laissa traîner les choses, dès lors qu’après le Krach boursier, la conjoncture économique s’inversait, devenant peu propice aux investissements. Deux ans plus tard, en novembre 1931, les travaux n’étaient toujours pas commencés. Un long procès s’ensuivit, qui permit à Rouen de récupérer… en 1934 !… 50 000 francs de dommages et intérêts, soit cent fois moins que la somme alors évaluée pour l’édification d’une piscine. À moins d’un an des élections municipales, la piscine promise devenait le serpent de mer de la politique locale des loisirs. À cette date pourtant, une soixantaine de piscines fonctionnaient en France, érigées à l’issue d’une campagne nationale de promotion de la natation, lancée en 1933198.

  • 199 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 31 mai 1934.

108En hâte un nouveau projet fut étudié, partageant les frais d’édification entre la Ville de Rouen (à hauteur de 1,5 millions de francs) et une société de gérance pour un bail de soixante ans199. Certains conseillers s’opposèrent à cette concession municipale, votant même contre le projet, préférant une piscine totalement municipale. Ce clivage entre libéraux et municipaux n’était sans doute plus à l’ordre du jour à cette date, la crise interdisant depuis trois ans, toute nouvelle institutionnalisation du culturel. Aux ambitions succédait une fois de plus le pragmatisme culturel local.

  • 200 Peu ambitieuse sous l’angle fonctionnel, le complexe initial ayant cédé la place à un simple équip (...)

109De fait, la conception architecturale de la piscine de 1934 est en retrait de celle de 1929. Les 500 cabines initiales sont réduites à 280. Une salle des fêtes, envisagée initialement sous le bassin, et des cabines de projection qui devaient faire de cette piscine un complexe sportif et culturel novateur sont finalement abandonnées. Seul gain, la réalisation effectuée à 80 % par la main-d’œuvre locale. Les travaux furent cette fois rapidement menés, sous la direction de l’architecte Georges Thaurin pendant l’hiver 1934-1935. La piscine Gambetta put ainsi s’inscrire de justesse au bilan d’une municipalité radicale en mal de réélection200.

  • 201 Journal de Rouen, 21 avril 1925.
  • 202 Cf. Rauch André, Histoire de la santé, Paris, Presses universitaires de France, 1995, p. 78-81.

110Le volontarisme local en faveur du sport s’inscrit aussi dans la mise en œuvre généralisée des politiques d’encadrement de la jeunesse. Ce domaine est abordé dans les programmes électoraux dès le début des années vingt. Dans le sillage des revendications familiales d’une partie de leur électorat, les droites locales, légitimistes, libérales ou catholiques prônent la « création de classes de plein air et de colonies de vacances201 ». Dix ans plus tard, la municipalité radicale soutiendra la même politique. Aux simples colonies de plein air caractéristiques de l’hygiénisme fin de siècle202 se substitue, à partir de la fin des années vingt la nébuleuse du péri-scolaire ciblant les publics jeunes par tranches d’âges de la petite enfance à la jeunesse étudiante. À Rouen comme ailleurs, le secteur est largement dominé par le militantisme catholique.

  • 203 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 mai 1933.
  • 204 Cf. Cointet Michèle, Histoire culturelle de la France 1918-1959, Paris, Sedes, 1988, p. 134-139.
  • 205 Première apparition commerciale dans l’Annuaire de Rouen de 1932.

111Sur les 21 œuvres péri-scolaires subventionnées par la ville de Rouen au milieu des années trente, les deux tiers sont d’origine confessionnelle203. On trouve là des fondations paroissiales (patronage Saint-Nicaise, Petites filles de Saint-Nicaise, Association des jeunes gens du quartier Saint-Vivien, Patronage Saint-Hilaire) mais aussi des œuvres congrégatives (Sœurs de la rue d’Elbeuf, Sœurs de la rue des Capucins, Sœurs de Saint-Vincent de Paul). Il faut évidemment lier ce socle clérical à la fondation des sections diocésaines de l’action catholique spécialisée204. On la liera également à la floraison de « cercles » de patronage qui, à l’instar du Cercle Notre-Dame installé passage Saint-Amand depuis sa fondation en 1928, développent une multitude d’activités de loisirs alliant culture intellectuelle (cercles d’études) et sport (scoutisme, basket-ball)205.

  • 206 Cf. Annuaire de Rouen, 1930.

112En cette période de crise économique et d’effervescence culturelle, il est d’ailleurs bien difficile de distinguer les frontières entre le culturel au sens strict et le péri-scolaire. Ainsi le patronage Saint-Vivien, réorganisé en 1923, regroupe dix groupements paroissiaux, couvrant à la fois la protection sociale (caisse familiale, bureau de placement), le péri-scolaire (colonie de vacance, scoutisme, louvetisme) et la culture (groupe artistique vivianais, cercles d’avant-garde)206.

  • 207 La subvention s’élève à environ 13 000 francs par an de 1931 à 1933.
  • 208 Il se distingue en cela de Maurice Poissant, l’un des plus farouches défenseurs de la laïcité. Réa (...)
  • 209 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 21 mai 1931, réponse à un (...)
  • 210 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 novembre 1932.

113Face à cette domination évidente des œuvres religieuses, le secteur laïque tente de s’organiser à partir de l’institution scolaire. Le Patronage scolaire, installé rue Saint-Lô, constitue de loin la structure la plus importante. Il bénéficie à ce titre des largesses édilitaires des radicaux-socialistes207. Il gère à la fois des colonies de vacances, des associations sportives, des « causeries », une chorale et un cercle symphonique. En janvier 1931, Eugène Richard, adjoint aux affaires scolaires, fonde la Fédération locale des œuvres laïques, pour coordonner les fondations de colonies de vacances. Le volontarisme municipal s’arrête cependant là, signe de la modération des radicaux-socialistes. Refusant de rallumer la guerre cléricale208, Eugène Richard soutient, au début des années trente la nécessaire mixité des subventions municipales et rejette l’idée d’une mise sous tutelle politique du secteur : « Il serait nécessaire, avant tout, qu’il y ait l’initiative privée de ceux qui veulent développer ces œuvres laïques. C’est aux particuliers de les créer et à nous de les soutenir209. » En 1932 cependant, une colonie dite la Fraternité est fondée, vraisemblablement soutenue par les réseaux francs-maçons bien implantés au sein du conseil municipal. En avril 1933, le Congrès national des colonies de vacances et des œuvres de plein air se tient à Rouen et reçoit une subvention municipale de 20 000 francs210.

  • 211 Les Croix-de-Feu de Rouen et de Normandie, 15 juin 1935, cité in Vaillant-Domine Annie, Les ligues (...)

114C’est dire qu’à Rouen comme ailleurs, le péri-scolaire est devenu un enjeu politique voire idéologique. Ainsi la section locale des Croix-de-Feu, fondée par Maurice d’Hartoy en 1929 et dirigée par Joseph Levet, entretient-elle des camps de vacances à Saint-Pierre les Elbeuf et au château de la Haline. Il s’agit de « donner aux enfants de nos camarades de l’air pur, une éducation à la fois artistique, patriotique et morale211 ». Tout ce qui touche à l’éducation, on le voit, forme désormais une ardente obligation, qui irrigue, au-delà du péri-scolaire, l’ensemble du champ culturel.

  • 212 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 25 novembre 1926.
  • 213 Ibidem.

115Cette extension progressive de l’encadrement des loisirs touche aussi le domaine des fêtes. Aux côtés des fêtes officielles (14 juillet, 11 novembre, fêtes johanniques) et des commémorations historiques organisées par l’élite intellectuelle, les fêtes populaires prennent progressivement une place dans le paysage culturel, que le Front populaire révèlera. Ces fêtes sont permises par le développement constant des comités de quartiers. La Ville de Rouen ne les reconnaît guère avant la fin des années vingt et prolonge même les mesures de censure prises en 1897. La délibération du 25 novembre 1926 qui supprime les fêtes des quartiers Saint-Vivien, Saint-Paul et de la cité Jeanne d’Arc, reproduit les attendus sociaux du discours paternaliste : « Le devoir des administrateurs de la Ville semble être de collaborer à un changement si profitable à la santé de leurs concitoyens en favorisant tout ce qui peut attirer ceux ci vers la périphérie, et en écartant ce qui, dans la belle saison, les retiendrait, sans profit pour eux, dans le centre de la cité212. » La préoccupation de décentralisation culturelle se fait cependant jour, puisqu’on autorise, « par juste mesure d’équilibre, deux fêtes qui se tiendraient sur la rive gauche213 ».

  • 214 Rouen Rive Gauche, bulletin annuel des travaux de la Ligue de défense des intérêts de Rouen Rive G (...)
  • 215 Annuaire de Rouen, 1930, p. 417.
  • 216 ADSM, JPL-50.

116À cette date pourtant, les conservateurs ont déjà perdu la partie. Les comités de quartier se multiplient, à commencer par la rive gauche. Très tôt, cette dernière se dote d’associations de défense de ses intérêts, telles la Ligue de défense des intérêts de Rouen Rive Gauche (1923), ou la Société d’initiative de Rouen Rive Gauche (1927). Leur but est au départ assez vague. La Ligue de défense des intérêts de Rouen Rive Gauche vise à « obtenir les améliorations indispensables au constant développement d’un canton appelé à devenir le plus important de la ville de Rouen214 ». Ses préoccupations touchent davantage la voirie et l’aménagement des jardins publics que les problèmes culturels proprement dits. La ligue s’intéresse cependant au développement des comités des fêtes de quartier et organise même des concerts. La Société d’initiative de Rouen Rive Gauche, pour sa part, se propose « d’étudier et de favoriser toutes les initiatives propres à seconder l’action publique dans tous les domaines : commerce, administration, arts, sports, etc.215 ». En ce sens, elle se rapproche d’un syndicat d’initiative traditionnel. La formule « Ligue de défense » semble plus caractéristique d’un souci de marquer sa différence au sein de la cité. Elle s’appuie sur la création de quelques périodiques éphémères comme Rouen Rive Gauche, destiné à assurer la publicité d’une braderie en 1933 et qui ne comportera qu’un seul numéro216.

117D’autres comités développèrent des revendications ouvertement culturelles. Ainsi des quartiers ouvriers du nord-est et du sud de la cité. Loin de se contenter d’organiser des fêtes foraines, ils veulent assurer une animation artistique digne de ce nom, notamment musicale. Aux côtés de créations de comités généralistes comme celui des Sapins en 1933 ou du Jardin des plantes en 1935, on voit apparaître des sociétés artistiques comme la société bigophonique des Bons Enfants en 1930, pour le quartier du même nom.

  • 217 AMR, 1I4, comité du Jardin des plantes, président du comité/maire de Rouen, 2 avril 1936.
  • 218 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 31 août 1927 et du 26 mai (...)
  • 219 APSM, Bureau des associations de la préfecture de Seine-Maritime, dossier « Comité du Mont-Gargan  (...)
  • 220 Ibidem.
  • 221 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 26 février 1931, 25 févr (...)
  • 222 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 26 février 1931, propositi (...)

118Le comité du Jardin des plantes quant à lui réclame la mise à disposition du kiosque à musique municipal, installé dans le jardin public. Lors des fêtes qu’il organise en mai puis en septembre 1936, des concerts seront donnés par une société de musique. L’audition est gratuite pour les personnes debout217. Dans son sillage, le comité de la place Carnot, envisage la construction d’un kiosque à musique en 1930. Ce projet, comme celui d’édifier un buste au président Carnot en 1927, n’aura pas de suite218. Ils témoignaient pourtant du souci de participer à la vie culturelle de la cité, dans les mêmes termes que ceux formulés par le centre-ville et non pas en défendant une alternative « populaire ». La même démarche est menée dans l’entre-deux-guerres dans les quartiers du Mont-Gargan et des Sapins. Le comité permanent des fêtes populaires du Mont-Gargan ne déroge pas, en dépit de son appellation militante, aux principes de la culture légitime. Ses statuts, déposés en 1925, le présentent comme une société ayant pour but « de procurer des distractions saines et paisibles à la population laborieuse de ce quartier219 ». Pour ce faire, le comité crée une fanfare (La Populaire) et projette dès sa fondation de créer « une section de chant et concert dont le titre sera la Lyre du Mont-Gargan220 ». Il faut aussi lire la structuration culturelle du quartier des Sapins (fondation d’une fanfare en 1925, d’un comité des fêtes en 1932, d’un orphéon en 1937) derrière les demandes réitérées par Maurice Poissant, conseiller radical et futur maire de Rouen221, en faveur de « la construction d’une salle des fêtes222 ».

  • 223 AMR, 1I4, M. Palier/maire de Rouen, 28 août 1935.

119Derrière ces comités de quartier, auxquels il faudrait ajouter celui exceptionnel du Vieux Marché (chapitre ii), on trouve souvent l’expression des intérêts du petit commerce local. Comme l’indique un cafetier de Saint-Sever, président du comité des fêtes de la place des Emmurées : « Les commerçants trouvent en la création de nos fêtes une augmentation notoire du chiffre d’affaires et la foule qui s’y presse atteste leur faveur près du public, toujours heureux de manifestations récréatives223. »

  • 224 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)

120Le mouvement touche également la banlieue. À Sotteville-lès-Rouen des comités de quartier (place Voltaire notamment) sont attestés dès le début des années vingt. À la fin de la décennie fonctionne ici une Union sportive de la cité Bertel, tandis qu’à Grand-Quevilly, un comité du Bois Cany s’est constitué. Partout les commerçants s’organisent en comité des fêtes, ayant parfaitement intégré le bénéfice qu’ils pouvaient retirer dans le montage de réjouissances populaires. En 1925, Notre-Dame-de-Bondeville voit ainsi se constituer un comité commercial « ayant pour but, d’accord avec la municipalité, de mettre sur pied un petit festival de musique, un cortège fleuri ou les deux ensembles, décorations de façades, illumination, en un mot une fête locale susceptible d’attirer dans la commune et pendant une journée les visiteurs224 ». Dans les années trente, ce comité organise aussi bien des fêtes sportives (1933) que des kermesses avec défilés et concerts (1930). Il contribue à l’animation de quartiers excentrés comme celui des Longs Vallons (1931), répondant parfaitement à l’impératif d’intégration sociale qui préside aux politiques de démocratisation culturelle de l’époque.

Le Front populaire rouennais :
une rupture culturelle ?

  • 225 Chiffres donnés par Freulard Maryline, Le Front populaire à Rouen, mémoire de maîtrise d’histoire, (...)
  • 226 Ces manifestations sont parfois aussi spectaculaires qu’éphémères. À Darnétal où les grèves de jui (...)

121Cette lente et souterraine démocratisation ne demandait en définitive qu’une étincelle pour révéler au grand jour l’étendue des possibilités et des attentes. Le Front populaire fut, on le sait cette étincelle. Dans une agglomération majoritairement dédiée à l’industrie, l’époque rencontra un écho social évidemment important. Au cours du xxe siècle, la ville de Rouen fut rarement le cadre de mouvements de rue la paralysant presqu’entièrement. Le Front populaire inaugure une courte série complétée par le mouvement de mai 1968 et les grèves de décembre 1995. Ce sont 45 000 personnes qui défilent en septembre 1936 et 30 000 le 1er mai 1937. Le 26 juin 1937, un meeting réunit 6 000 personnes et le défilé du 14 juillet 1937 regroupe 8 000 participants. À l’annonce de la démission du gouvernement Chautemps, le 17 janvier 1938, ils sont encore 7 000 à défiler et le 13 mars 1938, 10 000 Rouennais soutiennent la formation du second gouvernement Blum225. L’agglomération compta jusqu’à 27 000 grévistes, les grèves étant très souvent assorties d’occupation d’usine comme chez Malétra à Petit-Quevilly226. Politiquement, les élections municipales de 1935 et législatives de 1936 ne modifièrent guère le rapport de force, même si elles contribuèrent à une radicalisation du débat et des positions. Reste la délicate question de la rupture culturelle. À Rouen comme ailleurs, on peut la jauger à la teneur du mouvement associatif.

L’effervescence associative

122À l’échelle de la IIIe République, la période 1935-1939 constitue une rupture. De nombreuses associations représentatives de l’ordre culturel ancien (sociétés savantes, sociétés de bibliophiles) connaissent de sérieuses difficultés, conséquences de la crise économique qui n’en finit pas de produire ses effets. Inversement, l’époque voit la création d’autres associations dont les appellations « maison de la culture », « auberge de jeunesse », « maison du peuple », semblent augurer d’une nouvelle époque de la démocratisation culturelle. À bien y regarder cependant, les créations du Front populaire rouennais ne font que prolonger le mouvement de fond amorcé à la Belle Époque et timidement ressourcé dans les années vingt.

  • 227 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Société de tir, recensement d (...)
  • 228 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
  • 229 Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, Pa (...)
  • 230 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal, séan (...)

123Le mouvement sportif est à cet égard éloquent. Mont-Saint-Aignan, qui ne compte officiellement aucun terrain de sport au recensement de 1930, en déclare six en 1941, permettant la pratique du tennis, du golf, du football et de l’athlétisme227. Mais ces « nouveaux » terrains ne le sont qu’en partie. Leur déclaration résulte le plus souvent d’un changement de statut (terrain de tennis ou de golf passant d’une gestion privée à une gestion associative) et de la réalisation d’aménagements. La période 1935-1939 est aussi caractérisée par la reconnaissance des associations sportives par les pouvoirs publics. Notre-Dame-de-Bondeville créée en 1939 un challenge pour son club de football, « à titre d’encouragement228 ». Le même Bondeville Football-Club avait vu sa subvention annuelle passer de 500 à 2000 francs de 1936 à 1938. L’État encourage fortement cet investissement municipal qui doit participer de la politique nationale de « popularisation » du sport. Le formidable développement des sociétés d’aviation au moment du Front populaire rouennais est intimement lié à la politique de Pierre Cot, le ministre de l’Air du gouvernement Blum229. L’Aéro-Club populaire de Rouen se propose ainsi de « développer l’aviation populaire et de la rendre accessible à toutes les classes de la société230 ». À Oissel, se crée en 1937 le Minéo-Club, situé à mi-chemin de l’aviation populaire et du modélisme. Le sport n’est que le bastion avancé et spectaculaire d’un vaste mouvement de créations associatives.

124De fait, c’est bien l’ensemble des loisirs qui sont à l’honneur sous le Front populaire. Des pratiques, jusqu’alors inconcevables en dehors de la bourgeoisie sont désormais proposées aux classes populaires. À Maromme par exemple, cité phare du Rassemblement populaire local, une société d’amateurs rosiéristes se crée en 1937. Le président déclare avoir eu l’intention

  • 231 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Les Amis des Roses, Société d (...)

« […] de réveiller dans notre région le goût de la culture de la rose et d’occuper d’une façon saine et intelligente les loisirs que les récentes lois accordent aux travailleurs. S’intéresser, s’occuper à son jardin procure, avec l’avantage d’avoir de bons légumes, des fruits superbes, des belles fleurs, la meilleure des distractions et nous voudrions que chaque ménagère ait à la belle saison, chaque jour sur sa table pour égayer sa demeure quelques jolies roses, apportées du jardin. La bonne humeur faite de concorde, de douce harmonie y gagnerait. Devant la grâce et l’élégance de la reine des fleurs, le front le plus soucieux, l’intérieur le plus morose s’en trouvent transformés tant il est vrai qu’à la beauté aucun cœur ne peut rester insensible231. »

125Cet exercice de style indique bien à la fois la rupture – ici la popularisation d’une pratique d’agrément bourgeoise et de son système de valeurs – et la continuité avec le paternalisme antérieur, accordant au peuple des jardins ouvriers, symboles d’épargne et d’ordre.

  • 232 APSM, Bureau des associations de la préfecture de Seine-Maritime, dossier « Société des artistes i (...)
  • 233 APSM, Bureau des associations de la préfecture de Seine-Maritime, dossier « Société des artistes i (...)

126Les nouvelles sociétés artistiques ou musicales pratiquent souvent la même ambivalence en conjuguant l’air du temps et le respect des traditions. La Société des artistes indépendants normands appartient semble-t-il à ce type d’association. Fondée le 6 février 1938, elle se déclare « ouverte à tous, amateurs ou professionnels, Français, habitant ou originaires de la Normandie, sans distinction d’école ou de tendance232 ». La nouvelle association est clairement dirigée contre la Société des artistes rouennais puisqu’elle précise que « tout sociétaire pourra exposer moyennant paiement de la cotisation et d’accrochage, sans examen de jury233 ». Au sein du premier bureau des « Indépendants », on trouve un instituteur, un ouvrier et un coiffeur. Ils sont pourtant en minorité face aux six artistes-peintres qui lancent l’association. On peut alors légitimement s’interroger sur le sens de la popularisation artistique proclamée. Recherche de débouchés pour un marché de l’art local en crise ou quête de renouvellement esthétique ?

  • 234 Sur la société mère, cf. Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Fron (...)
  • 235 AMR, 2R1, Section rouennaise des Fêtes du Peuple de Paris.
  • 236 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 12 décembre 1929, 500 fra (...)
  • 237 AMR, 2R1, section rouennaise des Fêtes du Peuple de Paris, O. Gallouen/maire de Rouen, s. d., débu (...)
  • 238 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 30 juillet 1937 (2000 fr (...)

127Dans le domaine musical, la section rouennaise de la Société des fêtes du peuple de Paris234 tient un rôle similaire, mais en participant directement cette fois au Rassemblement populaire235. Œuvre d’éducation et de démocratisation musicale, les Fêtes du Peuple de Paris, fondées par Albert Doyen, touchent localement à la formation (cours de solfèges et de violons gratuits), à la diffusion (formation d’une chorale mixte et d’un orchestre) et à la vulgarisation (organisation de concerts). À ce titre, la société est subventionnée symboliquement par la municipalité dès la fin des années vingt236. La section rouennaise des Fêtes du Peuple de Paris tombe toutefois en léthargie de 1933 à 1937. Redressée en juillet 1937, elle reprend ses activités et fonde même une « chorale enfantine » à la fin des années trente237. Elle est cette fois subventionnée très largement par la Ville238, le département et même le sous-secrétariat d’État aux Loisirs.

  • 239 AMR, 2R1, section rouennaise des Fêtes du Peuple de Paris, rapport de René Millot du 12 décembre 1 (...)
  • 240 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 7 juillet 1938.

128Au-delà d’un opportunisme politique évident, cette subvention ne va pas cependant sans poser problème. Il s’agit moins en effet d’aider comme à la fin des années vingt une « œuvre post-scolaire et l’accès à toutes les bourses de ses concerts239 » que de soutenir plus classiquement la création musicale. L’activité de formation de la section rouennaise des Fêtes du Peuple de Paris, qui en faisait une société musicale amateur au même titre que d’autres orphéons locaux, cède en effet le pas, à la fin des années trente, à une politique de créations de prestige. Quatre concerts sont montés par l’association de juillet 1937 à décembre 1938 qui programment tous des œuvres du répertoire savant (Obéron de Weber, Lohengrin de Wagner, l’Enfant prodigue de Debussy, l’École des Maris d’Emmanuel Bondeville, le Chant triomphal d’Albert Doyen). Les lieux choisis (Théâtre des arts le 22 juin et le 6 octobre 1938, Cirque de Rouen le 22 janvier 1939) ne laissent guère planer de doute sur le caractère élitiste de cette création orphéonique. Le Festival Albert Doyen, organisé pour le XXe anniversaire de la fondation, réunit des choristes de renom – dont le jeune baryton rouennais Camille Maurane – et 200 exécutants (chœurs et orchestre). La Ville ne s’y trompe pas qui pour justifier d’une subvention peu ordinaire pour un orphéon local, met en avant « un grand concert avec des artistes de premier plan » et la « haute tenue artistique » de l’ensemble240.

129La critique musicale dit autrement cette primauté de la création professionnelle sur la popularisation militante. Dans un article paru pour Rouen-Gazette au lendemain du festival Albert Doyen, André Haumesser note :

  • 241 Rouen-Gazette, 23 janvier 1939.

« En entendant le “chant triomphal” d’Albert Doyen… je retrouve l’atmosphère du final de la IXe Symphonie de Beethoven… Albert Doyen a fait chanter l’âme populaire et en a fait vibrer les cordes les plus caractéristiques… Il ne s’agit pas là de l’abolition des classes, mais de l’abolition des préjugés ce qui n’est point la même chose241. »

130C’est dire que l’intérêt local pour l’œuvre des Fêtes du Peuple de Paris ne réside pas dans leur capacité à populariser la musique mais bel et bien dans leur contribution à la sauvegarde et à l’enrichissement d’un répertoire et d’un patrimoine lyrique. Il faut donc chercher ailleurs la spécificité de la période. On la trouvera moins sur le fond – hypothétique révolution dans la conception des arts et de leur hiérarchie – que sur la forme. Sous le Front populaire, plus qu’à tout autre moment de la IIIe République, les associations se remarquent, occupant la rue et clamant leur engagement au service des loisirs populaires.

  • 242 Saint-Étienne-du-Rouvray, Citoyens de demain, brochure éducative, Éditions Franciade, 1996, p. 14.
  • 243 Tartakowski Danielle, « Manifestations, fêtes et rassemblements à Paris (juin 1936-novembre 1938)  (...)
  • 244 Cf. Fremont Armand, Ouvriers et ouvrières à Caen, Caen, université de Caen-CNRS, 1981.

131L’époque est celle de la fête, des défilés et des bals populaires. La mémoire locale ne retient souvent du Front populaire que cette conquête de la rue par « des concerts, des fêtes, des meetings, des bals242 ». Les pratiques de 1936 dessinent, on le sait243 une forme de réappropriation de l’espace urbain par les groupes exclus de la rue depuis le cycle haussmannien. À dire vrai, cette « culture dans la rue » n’est pas tout à fait neuve. À Rouen même, les premières manifestations (cortèges folkloriques ou historiques, commémorations diverses, carnavals de la mi-carême) sont réinventées dès la fin du xixe siècle. La pratique des concours sportifs (exhibitions de gymnastique notamment) ou musicaux, les rassemblements nautiques, l’institutionnalisation progressive des fêtes Jeanne d’Arc contribuent à faire de l’entre-deux-guerres le lieu de l’épanouissement d’une culture publique sans qu’il soit pour autant aisé de la délimiter socialement. Le Front populaire pourtant marque bien l’apogée et le dépassement du mouvement. D’une part, la fréquence des manifestations urbaines (grèves, manifestations syndicales, meetings, kermesses) est particulièrement notable. D’autre part, la politisation de la rue rompt avec les célébrations consensuelles et patrimoniales (Ve centenaire de la mort de Jeanne d’Arc en 1931, concours des fêtes musicales de 1932) du début des années trente. Si cette rupture classique de l’histoire contemporaine est moins marquée à Rouen qu’ailleurs244, elle n’en irradie pas moins la vie culturelle, comme en témoigne la vitalité des comités de quartiers.

  • 245 AMR, 1I4, Fédération des comités des fêtes de quartier de la ville de Rouen.
  • 246 AMR, 1I4, M. Éon/maire de Rouen, 21 mars 1935.
  • 247 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 septembre 1936.
  • 248 AMR, 1I4, comité des fêtes du Mont-Riboudet et de la Saint-Fiacre, compte rendu d’activité du 28 a (...)
  • 249 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 octobre 1936.
  • 250 AMR, 1I4, comité des fêtes de la place de la Rougemare, compte rendu d’activité du 23 septembre 19 (...)

132En 1936, le tissu des comités de quartier rouennais paraît homogène et cohérent. Certains quartiers (rue Beauvoisine, place de la Rougemare, place Saint-Marc, place de la Basse-Vieille-Tour), déjà pourvus de groupements de défense se dotent de comités des fêtes au début de la période (1935-1936). Une fédération des comités des fêtes de quartier pourra regrouper en 1939, 26 comités245. La séquence 1934-1939 marque une inflexion des pratiques festives qui peut se lire comme un écho de la popularisation culturelle prônée par le Rassemblement populaire. Le comité de la place Henri-IV (Basse-Vieille-Tour) organise en mars 1935 des « réjouissances se composant de fêtes foraines, concerts, jeux d’enfant et bal246 ». En septembre 1936, la fête de la place Henri-IV comporte une retraite aux flambeaux et des concerts247. Très souvent, au moment du Front populaire, le sport est à l’honneur dans les fêtes de quartier. Ainsi pour la fête de la Saint-Fiacre (Mont-Riboudet) en septembre 1935 et en septembre 1937 qui voient une « démonstration de gymnastique248 ». En octobre 1936, le comité des fêtes de la rue Beauvoisine organise « une fête sportive et un tournoi d’armes249 ». En septembre 1937, le comité de la place de la Rougemare renchérit en organisant des « matches de baskett et une course de cross250 ».

  • 251 AMR, 1I4, place des Emmurées, secrétaire du comité des fêtes/maire de Rouen, 28 août 1935.
  • 252 AMR, 1I4, procès-verbal du 28 août 1935.
  • 253 AMR, 1I4, place des Emmurées, J. et M. Aufière/Georges Métayer, 15 octobre 1938.

133Autre caractéristique du Front populaire, le développement des bals populaires. Ils sont mentionnés dans presque tous les comités à cette époque. Dans le quartier Saint-Clément par exemple, des « sociétés de musique » ou des « groupes de musiciens » donnent des bals annuels de 1935 à 1939. Place des Emmurées, deux grands bals gratuits sont organisés en août 1935251. Ils se renouvellent jusqu’en 1938. L’enthousiasme déborde parfois les comités. En septembre 1935, le maire de Rouen accorde aux restaurateurs et aux cafetiers du quartier du Mont-Riboudet le droit de « faire bal » sur leurs terrasses252. L’affaire prend suffisamment d’ampleur pour que les professionnels de la danse de société (hôtel Barette, Casino rouennais) s’inquiètent d’une concurrence déloyale. Au moment de la crise de Munich, un tenancier dénonce ainsi la gratuité des bals publics : « Ces bals qui régulièrement devraient être exceptionnels, vont être les 12e ou les 15e de cette saison. Il est de toute évidence qu’en raison des circonstances présentes (50 % des jeunes gens étant appelés) nous allons avec cette concurrence nous trouver à peu près déficitaires253. » Profitant de la retombée du Front populaire en 1938, le maire de Rouen restreindra les bals gratuits suscités par les comités de quartier et développés par les débits de boisson.

  • 254 AMR, 1I4, comité des fêtes du quartier Saint-Clément, 1935-1937.
  • 255 AMR, 1I4, comité des fêtes du quartier du Jardin des plantes, 2-3 mai 1936.
  • 256 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 29 août 1935.
  • 257 L’exemple, étudié plus haut, des pratiques patrimoniales de la fête du Ventre de Rouen entre 1935 (...)

134Cette dimension festive indéniable, à laquelle il faudrait joindre les nombreux défilés et feux d’artifice, s’accompagne cependant d’un hommage évident à la culture légitime. Les moyens musicaux mobilisés lors des fêtes de quartier le disent parfaitement. Parallèlement à l’usage de l’accordéon et à la pratique de la musique de bal, les comités déploient sous le Front populaire des pratiques concertantes héritées de la fin du xixe siècle. Le vocabulaire lui-même témoigne de cette recherche de légitimité. Les « aubades des sociétés de musique » de 1935 se transforment en « concert » en 1937 dans le quartier Saint-Clément254. De même, un concert sous kiosque, organisé au Jardin des plantes en mai 1936, séparera l’amateur (places assises payantes) du badaud (gratuité de la station debout), témoignant de la prégnance de la culture légitime255. Au Mont-Gargan, un an plus tôt, pour l’inauguration d’un groupe scolaire, le comité des fêtes avait organisé un « concert vocal256 ». Ces pratiques s’inscrivent moins dans une dynamique nouvelle (la culture de la rue) que dans la reproduction de modèles tombés en demi-sommeil à la faveur de la crise (festivals de musique, concerts orphéoniques et harmoniques)257. Au-delà des sons, la rue s’emplit aussi d’images, liant une fois encore tradition et commerce.

135L’exposition de peinture en plein air constitue l’une des plus surprenantes occupations culturelles de la rue dans l’entre-deux-guerres. À un système pourtant bien rodé depuis le début des années vingt (expositions privées dans les galeries, salons annuels au musée des beaux-arts) se superposent au milieu des années trente, des expositions artistiques de quelques jours, organisées par des artistes ou des sociétés de peinture. De novembre 1935 à juin 1939, on compte en effet 27 de ces manifestations. Les lieux choisis sont variés (quai de la Bourse, grilles du square d’Albane, cours Boieldieu) mais tous situés dans l’hyper-centre.

  • 258 AMR, 2R5, Les Combattants de la Palette/maire de Rouen, 20 août 1938.
  • 259 Ils exposent d’ailleurs dans les mêmes conditions à Lille, Tourcoing, Valenciennes, Douai, Arras, (...)

136Le mouvement est directement lié à la crise économique. La plupart des demandes d’autorisation témoignent du souci de trouver à la peinture des débouchés permettant la survie de la création individuelle. Ainsi, le peintre normand Raphaël Brault écrit en juillet 1938 : « la vie est dure pour ceux qui mangent de leurs peintures », rappelant que la récession fut parfois plus durement ressentie sous le Front populaire qu’au début des années trente. Le phénomène ne se limite d’ailleurs pas aux artistes haut-normands. Fait nouveau en cette fin des années trente, les sociétés ou les artistes parisiens font le siège des autorisations municipales. Les Combattants de la Palette, groupement professionnel d’artistes peintres anciens combattants, organiseront à Rouen, trois expositions de rue, de juin 1938 à juin 1939, « vu leur situation, bien difficile à supporter en cette crise exceptionnelle, qui les oblige à des efforts de plus en plus étendus258 ». L’exemple avait d’ailleurs été donné par un autre groupement parisien, les Passereaux, qui exposent deux fois par an à Rouen d’avril 1933 à avril 1939259.

  • 260 AMR, 2R5, maire de Rouen/M. Bellon et M. Larose, artistes peintres parisiens, 16 septembre 1938.
  • 261 AMR, 2R5, maire de Rouen/Les Peintres montmartrois, 5 juin 1936.
  • 262 C’est le cas du peintre rouennais Francisque Raberain, ami personnel de René Millot, en avril 1938
  • 263 AMR, 2R5, Palette rurale normande, Richard Dufour/maire de Rouen, 6 novembre 1935.

137Cette inflation oblige la municipalité de Rouen à restreindre les autorisations et à tenter de contrôler le mouvement. À partir de 1936, elle adopte le principe de « n’accorder l’autorisation d’exposer des tableaux sur la voie publique qu’à des sociétés dont les statuts ont été légalement déposés ou exceptionnellement à des artistes de notre région260 ». La préférence régionale est d’ailleurs souvent mise en avant comme dans ce refus d’autorisation apposé aux Peintres montmartrois et justifié par la restriction aux « sociétés locales261 ». L’entregent permet toutefois d’obtenir des autorisations individuelles262. Les restrictions municipales sont des facteurs de structuration du mouvement des expositions de plein air. Les artistes, regroupés en sociétés de peinture d’un nouveau genre, pourront plus aisément négocier avec les pouvoirs publics. Ainsi deux nouvelles sociétés de peinture naissent à Rouen sous le Front populaire, directement liées à la volonté de promotion économique de leurs membres. La première est la Palette rurale, fondée en 1935 par Richard Dufour pour la « diffusion de l’art normand » et l’autorisation d’expositions de plein air. La Palette rurale se joint à la plupart des manifestations de rue de l’époque (fêtes gastronomiques, fêtes des comités de quartier) escomptant sur l’affluence publique pour « faire quelques rentes263 ». Au total dix expositions seront réalisées jusqu’à la guerre, la plupart n’excédant pas trois jours. Un autre groupement local, l’Arc en ciel, vient bientôt relayer la Palette rurale. Fondée en juillet 1938, cette société qui regroupe une quinzaine de peintres haut-normands est animée par Raphaël Brault et Léon Lepillé. Avec l’appui de René Millot, l’Arc en ciel réalise deux expositions de plein air à Rouen en août 1938 et en avril 1939.

138Les artistes qui participent à ces manifestations artistiques de plein air (Paule Delaine, Richard Dufour, Raphaël Brault…) exposent pour la plupart depuis de longues années à Rouen. Certains sont membres de la Société des artistes rouennais ou de la Société des artistes normands. L’occupation ponctuelle de la rue ne se conçoit donc pas comme une rupture culturelle (nouveaux lieux pour nouveaux genres voire simplement nouvelle génération picturale) mais comme une simple recherche de débouchés. La rue est bien ici un prétexte à la reproduction culturelle, même si elle permet une diffusion plus importante à défaut d’une popularisation du régionalisme pictural ambiant.

  • 264 ADSM, 4M463, le Groupe d’étude cinématographique de la section rouennaise du parti communiste a ét (...)

139D’autres associations culturelles cependant vont développer des pratiques d’occupation et de revendications qui témoignent de la spécificité de l’époque. La dynamique culturelle locale ne reste pas en dehors de la dynamique sociale qui voit localement passer le nombre de travailleurs syndiqués de 26 000 en janvier 1936 à 45 000 en septembre 1936. Ils seront encore 30 000 en mai 1937, soucieux de mettre en avant leur identité et parfaitement relayés par leurs organisations. La CGT organise par exemple via son centre confédéral de l’éducation ouvrière, des émissions de radio à vocation pédagogique. La section rouennaise du parti communiste fonde, quant à elle, en 1938 un énigmatique Groupe d’étude cinématographique264. L’existence éphémère de ces groupes et associations, nés et disparus entre 1936 et 1938 pour la plupart, rend délicate le repérage et l’évaluation de leur rôle dans le développement culturel local. Rares sont celles qui, à l’image de la chorale populaire syndicale, fondée en janvier 1937 à l’initiative de la CGT et qui survivra à la chute du Front populaire, laisseront quelques archives. L’expérience tranche cependant suffisamment avec l’histoire culturelle locale pour mériter qu’on s’y arrête.

  • 265 AMR, 2R1, Chorale populaire syndicale, statuts, s. d., janvier 1937, article 1.
  • 266 Ibidem, article 5.

140Le premier signe de rupture tient dans le répertoire inhabituel aux sociétés chorales locales. Au terme de ses statuts la chorale populaire syndicale veut « éveiller et entretenir dans la classe ouvrière, le goût de la culture musicale par l’étude collective des œuvres les plus caractéristiques du répertoire populaire (chants révolutionnaires, chants de métiers, chants du folklore, etc.) 265 ». Lors des concerts donnés par la chorale, la cohésion culturelle est également recherchée : « Afin de s’assurer de la tenue artistique des manifestations auxquelles la chorale sera appelée à participer, le comité directeur devra être informé du programme et s’efforcera de faire éliminer de celui ci tout ce qu’il jugera incompatible de figurer à côté d’œuvres exécutées par la chorale266. »

  • 267 Ibidem, article 6.
  • 268 AMR, 2R1, Chorale populaire syndicale, commissaire de Police de Rouen/maire de Rouen, 25 février 1 (...)
  • 269 Ibidem.
  • 270 AMR, 2R1, Chorale populaire syndicale, Charles Enée/maire de Rouen, 13 novembre 1937.

141La formulation explicite d’une culture de classe – « doter la classe laborieuse d’un mouvement musical en étroite communion avec le mouvement ouvrier » – débouche sur un projet musical global visant à court terme à la fondation d’une chorale enfantine, d’un orchestre symphonique, d’une harmonie et d’une fanfare267. Au-delà de l’utopie du programme, les pratiques mêmes de la chorale populaire syndicale témoignent d’un engagement culturel atypique. Là où d’autres orphéons s’inscrivent dans une logique patrimoniale (monter les œuvres du répertoire) ou philanthropique (concerts de bienfaisance) la chorale populaire syndicale se voue au seul public ouvrier. Les 90 exécutants de cet orphéon sont choisis parmi les syndiqués268 et aucune cotisation n’est perçue. Lors des six concerts donnés en 1937 – dont 4 à Rouen – la chorale populaire syndicale se produit gratuitement au bénéfice de « l’union des syndicats et d’autres manifestations prolétariennes se réclamant du Front populaire269 ». Ainsi, le concert du 1er mai 1937 à la Bourse du travail est donné pour les « petites réfugiées espagnoles », celui du 18 septembre 1937 pour la caisse de solidarité du Syndicat des pétroles, celui du 30 janvier 1938 au Cirque pour le Comité des chômeurs270.

  • 271 Ces termes sont repris par le secrétaire de l’association, Charles Enée dans sa lettre au maire de (...)
  • 272 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 31 mars 1938 et du 30 ma (...)
  • 273 Maryline Freulard mentionne l’existence d’une « musique du Front populaire » à l’occasion d’un bal (...)

142Au-delà de ce militantisme, l’association revendique son appartenance au Rassemblement populaire, s’inscrivant volontairement dans la politique « d’organisation des loisirs ouvriers » prônée par le gouvernement Blum271. Cette optique militante et solidaire – au répertoire, on ajoute des « œuvres » des grands maîtres classiques et modernes – permet à la chorale populaire syndicale de bénéficier, de 1938 à 1939 de subventions municipales conséquentes272. Là encore, cette adhésion municipale marque une claire rupture, même si elle n’est que tactique, avec l’époque précédente. La visibilité sociale et politique du vecteur syndical est telle que la municipalité doit accepter l’organisation d’une grande kermesse dans les jardins de l’hôtel de ville. Cet événement, qui a lieu le 6 septembre 1936, constitue l’un des temps forts de l’histoire culturelle du Front populaire rouennais. La kermesse participe d’un programme implicite de fêtes organisées dans les communes de banlieues à l’instigation du Rassemblement populaire (Saint-Étienne du Rouvray, Darnétal, Maromme) et animées par des « orchestres Front populaire273 ».

  • 274 La Dépêche de Normandie, 2 septembre 1936.
  • 275 La Dépêche de Normandie, 7 septembre 1936.

143Organisée conjointement par le Rassemblement populaire, la municipalité de Rouen et les sections locales de la CGT, la « grande fête syndicale » se veut une manifestation populaire et culturelle274. Le déplacement de M. Bécart, chef de cabinet de Léo Lagrange275 en constitue le point d’orgue. Son discours célèbre à la fois Jean Jaurès, La Marseillaise et l’œuvre en cours du sous-secrétariat d’État à l’Organisation des loisirs. Les jardins de l’hôtel de ville, habitués à des manifestations plus sobres (abjuration de Jeanne d’Arc devant le portail des Marmousets) sont pour l’occasion transformés en parc des expositions, les badauds allant d’un « stand » de métier à un autre.

  • 276 C’est-à-dire les musiciens syndiqués du Théâtre des arts.

144La part proprement artistique de la manifestation est assurée par des artistes proches du Rassemblement populaire comme Juliette Billard ou Pierre le Trividic, qui offrent des œuvres (toiles, dessins) pour une loterie. Ici encore, les sociétés musicales sont au cœur de la manifestation. Outre la chorale populaire syndicale, on pourra ici entendre l’orchestre du Syndicat des musiciens de Rouen276, dirigé par Jean Fournet. Bien entendu, le lyrique aura sa place puisqu’un concert réunit M. Paradera, basse du Capitole de Toulouse, Mademoiselle Salvadori, soprano à l’Opéra-comique et surtout Lucienne Vifquain, soprano vedette du Théâtre des arts.

  • 277 Cf. Rab Sylvie, « La commémoration du centenaire de la mort de Rouget de Lisle à Choisy le Roi en (...)
  • 278 La Dépêche de Normandie, 7 septembre 1936.
  • 279 Cf. sur ce point Zwirn Jacques, « Les représentations littéraires et artistiques de la classe ouvr (...)
  • 280 Poirrier Philippe, « Les “heures bourguignonnes”, une relecture communiste de l’histoire locale (1 (...)

145Le statut du lyrique dans une telle manifestation demeure cependant ambivalent. Certes la musique est mise au service d’une cause nationale et politique : coiffée d’un bonnet phrygien, Lucienne Vifquain chante quatre couplets de La Marseillaise, pour saluer, trois ans avant le 150e anniversaire de la Révolution française, le centenaire de la mort de Rouget de Lisle277. La foule, selon La Dépêche de Normandie reprendra en chœur l’hymne national… pour bientôt applaudir la cantatrice fétiche du Théâtre des arts dans un « pot-pourri de son répertoire278 ». L’anecdote laisse à penser sur la capacité d’inertie culturelle du local. Pour mettre en avant de nouveaux vecteurs (les syndicats) et de nouvelles pratiques (kermesses populaires et ouvrières) le Front populaire rouennais ne bouscule pas la hiérarchie implicite du champ culturel local. Les « cultures prolétariennes » (littérature populiste, théâtre prolétarien…) ne s’imposent guère à Rouen279. Comparant l’argumentaire folklorique du parti communiste dans les années trente, Philippe Poirrier note ainsi la résistance patrimoniale de Rouen, Le Prolétaire normand, organe local du parti lançant en effet une « étude historique des vieilles pierres de Rouen » là où L’Enchaîné du Nord se consacre aux « traditions révolutionnaires des vieilles cités » et La Voix du Midi à « Toulouse la Rouge à travers les âges280 ». On comprend dès lors que la rue s’impose moins comme le lieu où s’expérimente l’élargissement du champ culturel que comme celui où l’inertie culturelle se prolonge.

  • 281 Le Progrès social, 18 mai 1938.
  • 282 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Maison du Peuple de Maromme, (...)
  • 283 Ibidem.

146Et il faut souvent se rendre en banlieue pour rencontrer des formes de militantisme culturel plus abouties. Le comité du Front populaire de Mont-Saint-Aignan, qui réunit en 1938, 150 « citoyens » réclame « l’édification d’un foyer communal afin de permettre aux différents groupements existant ou à venir et se réclamant de toutes les activités (politiques, économiques, culturelles ou sportives) de disposer d’un local confortable281 ». Des comités similaires, à Malaunay, Le Houlme ou encore Saint-Étienne-du-Rouvray obtiennent le prêt gratuit de salles municipales. À Maromme, Paul Vauquelin fonde la Maison du Peuple, qu’il présente comme une « coopérative de production des loisirs ouvriers282 ». Patronnée par les organisations politiques de gauche et les syndicats ouvriers de la vallée du Cailly, cette œuvre vise à créer « le premier foyer populaire, outil indispensable à la culture générale de nos collectivités ouvrières283 ». On envisage d’acquérir un immeuble et d’y installer une salle de jeux (billard, ping-pong, jeux de sociétés), des salles de réunions pouvant accueillir des projections et un terrain sportif accompagné d’un tennis. La Maison du Peuple de Maromme, saluée à juste titre comme l’un des projets les plus ambitieux du Front populaire rouennais, préfigure les installations socioculturelles des années cinquante.

147Progressivement on le voit, le mouvement associatif glisse de la visibilité et de l’appropriation à la revendication et à la politisation. L’échec à court terme du Front populaire rouennais se lira aussi à cette aune-là. À de rares exceptions près (Maromme, Grand Quevilly) le militantisme associatif ne rencontre aucun écho de la part des politiques.

La tiédeur du politique

  • 284 Frangne Philippe, Origine et formation du Front populaire en Seine inférieure, mémoire de maîtrise (...)

148Le manque de dynamisme du Front populaire rouennais relève en premier lieu d’une conjoncture politique spécifique. Face à la puissance électorale du parti radical et radical-socialiste, le parti socialiste SFIO et le parti communiste ne réussissent guère à percer en dehors de quelques communes de banlieue. Aux législatives de mai 1936, ce sont encore les radicaux qui dominent la gauche coalisée, réussissant à Rouen à réélire leurs chefs de file (Métayer, Marie, Crutel) aux dépens d’une SFIO qui s’effondre en s’enfermant dans une politique d’exclusion de ces principaux leaders (Tilloy à Sotteville, Lebret à Rouen). La poussée communiste – dans la troisième circonscription de Rouen le candidat Courtade obtient 28 % des voix en mai 1936 – ne suffit pas à modifier le rapport de forces. Le Prolétaire normand ne compte que 1 600 abonnés au moment du Front populaire. Les Jeunesses communistes de Rouen ne réunissent que 40 adhérents. Ce profil spécifique du Front populaire haut-normand, dominé par un radicalisme de droite, est encore renforcé après les élections. La rupture des radicaux haut-normands avec le Front populaire précède d’un an le retrait national du parti. Dès le mois d’avril 1937, le député du Havre, Meyer, rompt avec les socialistes et les communistes. La fin de l’alliance est consommée depuis belle lurette à Rouen où la personnalité de Georges Métayer domine la scène politique. L’enthousiasme rouennais retombe dès la nomination du gouvernement Chautemps, le 21 juin 1937284. Maurice Thorez ne rassemble que 500 personnes lors de sa venue à Rouen le 27 janvier 1938 et une manifestation prévue à la chute du second gouvernement Blum est finalement annulée. Cette absence de mobilisation n’est guère propice à un renouvellement du débat culturel.

  • 285 Cf. Poirrier Philippe, « Politique culturelle et municipalité : un discours explicite ? L’exemple (...)
  • 286 La Dépêche de Normandie, 21 avril 1935.
  • 287 Journal de Rouen, 21 avril 1935.

149Alors que la campagne de 1929 avait réservé une place conséquente aux affaires de culture et de loisirs (questions sportives et patrimoniales notamment), celle de 1935 se signale par un silence paradoxal. En pleine période d’effervescence associative, à l’heure où d’autres villes (Dijon, Grenoble, Toulouse) s’interrogent sur le statut politique du théâtre ou des loisirs285, la municipalité sortante se retranche derrière ses acquis. Pour les radicaux-socialistes, il s’agit moins d’ailleurs de s’interroger sur la nécessité et les contours d’une politique culturelle que de s’attacher aux questions sociales de l’heure qui mobilisent – à juste titre ? – les énergies (création d’un restaurant de chômeurs, traitement du quartier insalubre du Robec, baisse des impôts)286. La liste conservatrice conduite par René Morin ne se distingue pas davantage par son projet culturel. Obsédée par la lutte contre le « drapeau rouge », elle propose une politique d’économie (dénonciation de la politique scolaire de Georges Métayer) et de développement – tardif – de l’« éducation physique287 ».

  • 288 Cf. Abirached Robert, « Des premières semailles aux premières réalisations. Les précurseurs : Jacq (...)

150Les problèmes culturels étaient pourtant nombreux à cette date : quelle politique lyrique adopter face au déficit chronique d’un Théâtre des arts de plus en plus déserté par le public ? Comment résoudre localement la carence de l’art dramatique et participer d’une décentralisation théâtrale en marche288 ? Comment obtenir du ministère de l’Instruction publique la création d’un conservatoire de musique ? Autant de questions d’actualité sans même évoquer les serpents de mer de l’entre-deux-guerres rouennais (monument à Jeanne d’Arc, extension du Muséum d’histoire naturelle, fondation d’un musée des arts et traditions populaires de Normandie, fondation d’un musée de céramique) qui ne sont même pas rappelés lors de la campagne de 1935.

  • 289 Les interventions culturelles de Raoul Brunon dans les années vingt démontrent justement le contra (...)

151Politiquement parlant, le conseil municipal élu en 1935 à Rouen ne diffère guère de celui de 1929. Sur les 36 conseillers municipaux désignés par le scrutin du 12 mai 1935, 12 appartenaient déjà à l’administration Métayer de 1929. La première conséquence de cette reconduction partielle est bien évidemment le vieillissement de l’équipe en place. La moyenne d’âge était de 47 ans en 1929, elle passe à 53 ans en 1935. Certes l’âge n’engendre pas nécessairement une baisse du dynamisme politique289 mais il incite, en temps de crise surtout, à la prudence et à la mesure. On préférera gérer, protéger plutôt qu’investir et bouleverser. À cette preuve par l’âge s’ajoute celle du recentrage. Contrairement au bloc de gauche élu en 1929, le conseil municipal de 1935 comporte deux candidats ayant appartenu à la majorité conservatrice et républicaine des années vingt. Un groupe, issu de l’Union républicaine normande de 1925, est en effet devenu la Liste républicaine d’union démocratique, affiliée au milieu des années trente au parti radical. Deux candidats de cette liste, le représentant de commerce Léon Bellet et l’ingénieur Frédéric Kopp seront élus sur la liste d’Eugène Richard en 1935, le premier devenant même adjoint au maire.

  • 290 Un conseiller, Gaston Péona élu en 1935 est membre honoraire de la Société des artistes rouennais. (...)
  • 291 Dont Jean Deflandre son vice-président. Né en 1873 Deflandre représente l’archétype du militant cu (...)

152Le manque de dynamisme des politiques culturelles rouennaises du Front populaire s’explique en dernière analyse par la composition socioculturelle du conseil municipal. Sur 36 conseillers élus en 1935, 14 (38 %) appartiennent à l’élite cultivée locale, le plus souvent comme membres fondateurs, actifs ou honoraires, d’associations culturelles. Vingt associations d’un large champ culturel sont ici représentées dont six appartiennent au secteur des Beaux-Arts. Par rapport au conseil municipal de 1929, le recentrage politique correspond donc bien à un recentrage culturel. La place du lyrique (Cercle lyrique de Sotteville, Mutuelle des artistes lyriques et dramatiques rouennais) comme celle des Beaux-Arts (Société des artistes rouennais)290 est ici révélatrice. Elle contribue au rééquilibrage entre culture populaire – deux conseillers appartiennent à la Musique municipale291 et cinq autres fréquentent l’Université populaire de Rouen – et culture savante.

  • 292 Source : AMR, dossiers biographiques et ABMR, 92N Eugène Richard.

153Cette forte représentation de la culture classique est encore renforcée par le nombre élevé de conférenciers. Cinq conseillers sur 36 sont connus pour leurs nombreuses conférences mondaines. Certes celles-ci privilégient, comme en 1929, les associations représentatives du militantisme de gauche donc proches du Rassemblement populaire (Université populaire, Patronage laïque, Ligue de l’enseignement) mais elles débordent aussi largement ce cadre pour investir les lieux légitimés de la culture locale (Cirque de Rouen, Théâtre des arts). C’est le signe du maintien d’une tradition lettrée et d’une conception bourgeoise de la culture. Très représentatifs de cette tradition culturelle de l’« honnête homme » est justement la tête de liste de 1935, Eugène Richard, licencié ès sciences, professeur de physique à l’école de médecine mais aussi orateur réputé, passant d’un sujet scientifique (Pasteur et Pouchet, Les précurseurs scientifiques de la révolution française) à des sujets littéraires ou musicaux (L’énigme de Madame Bovary, Les chefs-d’œuvre de l’art lyrique, La vie de Boieldieu)292. On comprend dès lors le déphasage entre les systèmes de représentation des élus rouennais et ceux du Rassemblement populaire portés par la société civile.

  • 293 Conseiller municipal depuis 1925, Eugène Richard était aussi conseiller général du 4e canton de Ro (...)

154Il est cependant une seconde raison qui explique l’échec politique du Front populaire à Rouen : le décès d’Eugène Richard, le 27 septembre 1935. Militant radical-socialiste actif293, membre du Rassemblement populaire, Eugène Richard avait démontré, de 1925 à 1935, ses capacités politiques, d’abord comme opposant « constructif » (à la différence de l’opportunisme politique d’un George Métayer et d’un André Marie), ensuite comme premier adjoint de la municipalité Métayer au sein d’une commission de l’Instruction publique, élargie aux Beaux-Arts. Sa mort prématurée, à 67 ans, l’empêche d’imprimer sa marque à la politique locale, le budget de 1936 étant voté par son successeur Georges Métayer. Dès lors, les rares éléments politiques en phase avec le Rassemblement populaire (représentation forte des comités de quartier, présence de militants laïques favorables au développement du péri-scolaire) devaient passer à la trappe.

  • 294 On se souvient ici que Pierre-Étienne Flandin tente en novembre 1934 de fonder, à partir de son pa (...)
  • 295 Cf. Freulard Maryline, Le Front populaire à Rouen, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Marcel Boi (...)

155Placé à la tête d’une municipalité radicale-socialiste volontariste en 1929, Georges Métayer ne rejoint pourtant pas le Rassemblement populaire en 1935. Plus radical que socialiste, cet avocat de 66 ans, conseiller général depuis 1923, conseiller municipal depuis 1925 et député de la première circonscription depuis 1932, refuse à la fois l’idée de Rassemblement populaire et celle de coalition avec la gauche locale socialiste et communiste. Plutôt Herriot que Daladier ou Pelletan semble dire Georges Métayer qui se rapproche en mai 1935 des républicains de gauche de Flandin294. En mai 1936, lorsqu’il se présente aux élections législatives, il ne fait aucune allusion au Front populaire dans ses professions de foi, éludant le plus souvent les questions de ses sympathisants sur son soutien à un éventuel gouvernement de gauche295. Cette tiédeur politique suscitera au sein même de son parti, un candidat Front populaire, éliminé au premier tour.

  • 296 Cf. Berstein Serge, Histoire du parti radical, Paris, Presses de la Fondation nationale des scienc (...)

156L’ambiguïté doctrinale de Georges Métayer, qui rappelle fort à propos celle du radicalisme dans l’entre-deux-guerres296 explique son refus de conduire aux municipales de 1935 la liste radicale-socialiste. Métayer est pourtant le seul homme politique capable, après le décès d’Eugène Richard, de s’imposer à Rouen. Ses amis radicaux-socialistes, qui n’oublient pas son statut de vice-président de la section locale du parti, le pressent d’accepter de se présenter à l’élection complémentaire du 27 octobre 1935. Il la remporte aisément et est élu maire de Rouen par le conseil municipal le 4 novembre 1935 par 35 voix sur 36.

157Son retour aux affaires signifie clairement une pause culturelle. Seul maire de Rouen on l’a vu à n’être pas directement impliqué dans la vie culturelle locale, Georges Métayer se préoccupe peu du développement culturel dont il laisse la charge à ses adjoints. Ses priorités politiques sont autres (lutte contre le chômage, réfection des quartiers insalubres de la cité). Le culturel viendra ensuite. Ce manque d’intérêt s’avérera déterminant à court terme. Si les projets existent, ils demeureront le plus souvent en l’état, tant le manque de conviction politique – apportée par Eugène Richard dans l’équipe de 1929 – est patent. On ne s’étonnera donc pas du bilan très mitigé de la politique culturelle locale entre 1935 et 1939.

  • 297 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 janvier 1936.
  • 298 ADSM, 4T140 et AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 janvier (...)

158La municipalité Métayer se contente de donner des gages au Rassemblement populaire sans participer réellement à la réflexion en cours. En témoigne par exemple la politique symbolique. À la création attendue d’une rue Eugène Richard en 1936297 on peut ajouter, en cette période de signature d’une plate-forme du Rassemblement populaire, une rue Pierre Renaudel, socialiste et disciple de Jean Jaurès. Le conseil municipal, sans doute embarrassé de cette dérive idéologique du panthéon local, aura beau jeu de dissimuler son opportunisme politique en rappelant que Pierre Renaudel était né en Seine-Inférieure et qu’il « incarnait la sincérité intellectuelle et le courage civique, ardent pacifiste, méprisant les honneurs et l’argent, sa vie entière fut vouée à l’action et à l’amélioration de la classe ouvrière298 ». Si le choix de Pierre Renaudel s’inscrit clairement dans une stratégie politique (commémoration jaurèssienne, antimilitarisme, pacifisme), celui d’Henri Barbusse, apparaît quelques semaines plus tard plus ambigu.

  • 299 ADSM, 4T140 et AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 octobre (...)

159En octobre 1936 en effet, le conseil municipal de Rouen débaptise une rue du quartier du Mont-Gargan, la rue Geoffroy, afin d’attribuer à une rue de Rouen, le nom d’Henri Barbusse. Cette fois la dénomination se veut clairement gage au Rassemblement populaire, sans signifier pour autant une adhésion. Le texte de la délibération neutralise la dimension idéologique de l’écrivain pacifiste et communiste, incompatible avec les options locales et municipales, au profit d’une célébration purement patrimoniale : « Henri Barbusse fut un romancier célèbre, auteur de Clarté, le Feu, prix Goncourt. Engagé volontaire pendant la guerre, décoré plusieurs fois, promu lieutenant, si ses opinions furent parfois discutées, sa valeur littéraire est indiscutable299. » Dans la même délibération, on donnait d’ailleurs à d’autres rues de Rouen les noms de Barbey d’Aurevilly, José Maria de Heredia, Georges Cuvier, Eugène Boudin et David Ferrand (poète rouennais du xviie siècle).

  • 300 AMR, 1M3, Victor Engler, s. d., 1936.
  • 301 La Dépêche de Normandie, 8 juin 1936.

160On le voit, la taxinomie urbaine ne participe au Rassemblement populaire qu’en apparence et de manière superficielle. Cette ambivalence est également caractéristique des commémorations statuaires des années 1935-1940. En 1936, la municipalité Métayer accepte de participer à l’érection d’un bas-relief en mémoire de Victor Engler, ouvrier syndicaliste du port de Rouen300. Non seulement la ville subventionne le Comité des amis de Victor Engler mais encore elle délègue deux conseillers municipaux (Deflandre et Péona) à l’inauguration du « monument », un médaillon sculpté par Richard Dufour, en juin 1936. Or la manifestation relève clairement d’une mobilisation frontiste. Sont en effet présents le vice-président du Rassemblement populaire rouennais, le secrétaire de la section locale de la SFIO, plusieurs maires ou députés (Gauthier, Tilloy, Gallouën) élus sur des listes Front populaire et les représentants des principaux syndicats locaux301. Ce type d’intervention apparaît cependant trop isolé dans le corpus pour constituer une rupture dans l’histoire des politiques statuaires locales. On pourrait sans doute en dire autant à propos de la participation de Rouen aux commémorations jaurèssiennes.

  • 302 Présidée par Jean Longuet et Léon Jouhaux, l’Association participe à l’important déploiement festi (...)
  • 303 AMR, 1M3, Georges Métayer/Jean Longuet, 30 juillet 1937.
  • 304 Évoquée dans la lettre de Georges Métayer à Longuet du 30 juillet, la « grande soirée Jaurès » du (...)

161Sollicitée par l’Association pour le maintien du souvenir de Jean Jaurès302 à propos de sa participation à une journée nationale de commémoration (31 juillet 1937) la municipalité Métayer élude l’engagement politique. Si le maire de Rouen autorise bien la vente publique de brochures et d’insignes dans les rues de la ville, il rejette la présidence de la section locale du comité Jaurès303. La ville ne participe pas officiellement à la manifestation. Une soirée spéciale, prévue au Théâtre des arts le 31 juillet échoue vraisemblablement304.

  • 305 Cité par Freulard Maryline, Le Front populaire à Rouen, op. cit., IIIe partie.
  • 306 La Dépêche de Normandie, 2-7 septembre 1936.
  • 307 ABMR, casier correspondance-associations, dossier « Aéro-Club de Normandie », Louis Antier/Henri L (...)
  • 308 AMR, 1I4, Auberge de jeunesse de Rouen

162C’est dire une fois encore le décalage qui s’instaure entre les attendus nationaux du Rassemblement populaire et les perceptions locales de ses enjeux culturels. Le hiatus n’est jamais aussi manifeste que lors des déplacements officiels à Rouen des ministres du premier gouvernement Blum. Comme la plupart des villes de France, Rouen reçoit de nombreuses visites politiques au cours de la période 1935-1940. Aux meetings de la période électorale (1935-1936) s’ajoutent les inaugurations des auberges de Jeunesse, les fêtes, les conférences (venue de Georges Lefranc à Rouen pour le 1er mai 1936, de Léon Jouhaux le 16 octobre 1936 et le 5 septembre 1937, de René Belin, le 31 janvier 1937)305. Lors de la grande fête syndicale du 6 septembre 1936, le chef de cabinet de Léo Lagrange rend hommage à Jaurès et présente l’œuvre de son sous-secrétariat d’État à l’Organisation des loisirs306. Le 31 janvier 1937, Pierre Cot, ministre de l’Air, vient participer à un meeting aéronautique au Cirque de Rouen307. La visite la plus importante de la période est cependant celle de Jean Zay, à l’occasion de l’inauguration d’une auberge de jeunesse dans le quartier Saint-Sever, le 13 janvier 1937308.

  • 309 Journal de Rouen, 14 janvier 1937.
  • 310 La Dépêche de Normandie, 14 janvier 1937.

163Reçu en grandes pompes à l’hôtel de ville (20000 spectateurs selon le Journal de Rouen opposé au Front populaire)309, accueilli par une chorale de 130 ajistes à Saint-Sever, Jean Zay prononcera deux discours politiques. Dans le premier, celui de l’hôtel de ville, il développe le projet de rénovation de l’Université (l’École unique) qu’il soutient. Dans le second, prononcé à l’Auberge de jeunesse, il présente la politique de la jeunesse et des loisirs du gouvernement de Léon Blum : « Il exprima l’espoir que bientôt les auberges de jeunesse tendraient un réseau joyeux et sympathique sur tout le territoire, et qu’elles constitueraient un des moyens d’utiliser les loisirs légitimes et salutaires donnés à la jeunesse310. »

  • 311 Il est de loin le plus cité à l’index nominal de La Belle Illusion. Culture et politique sous le s (...)
  • 312 Journal de Rouen, 14 janvier 1937.

164Là encore cependant, les réactions locales sont ambiguës. Si rien ne vient troubler le bon déroulement de cette inauguration, si l’adjoint à l’Instruction publique Maurice Poissant répond opportunément à Jean Zay, en soulignant le rôle actif de la municipalité en faveur des patronages et des colonies de vacances, le principal acteur de la politique locale, Georges Métayer, demeure en marge de la manifestation. Non seulement il n’assiste pas à l’inauguration de l’Auberge de jeunesse de la rive gauche, mais plus encore il prononce un discours proprement stupéfiant en réponse à celui de Jean Zay à l’hôtel de ville. Face à l’un des acteurs les plus importants du gouvernement Blum311, le maire de Rouen évoque, comme si de rien n’était, « Rouen, ville d’art, célèbre par ses monuments et dont le théâtre a créé Samson et Dalila et Lohengrin312 ». C’est dire les nombreuses limites qui bornent l’engagement culturel et politique municipal dans la dynamique du Rassemblement populaire. Sur deux dossiers symboliques enfin, celui de la Maison de la culture et celui de l’Auberge de jeunesse, la modestie des propositions municipales est manifeste.

  • 313 Il s’agit bien entendu d’un mouvement associatif qui n’a rien à voir avec les maisons de la cultur (...)
  • 314 Cf. Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938(...)
  • 315 Son existence même, attestée par Pascal Ory, nous a longtemps laissé sceptique jusqu’à la découver (...)

165L’association nationale Maison de la culture313 constitue une de ces institutions fétiches du Front populaire français. Elle témoigne tout à la fois de la nouvelle politique du parti communiste auquel elle est liée, de l’engagement des intellectuels et des artistes contemporains (Jean Cassou, Le Corbusier, Albert Camus, Aragon, Malraux, Renoir…) et d’une ambition culturelle nationale314. Issue de l’Association des artistes et écrivains révolutionnaires, la Maison de la culture de la rue de Navarin fonde des filiales en province à partir du printemps 1936. À la suite de la ville de Marseille (25 mars 1936), plus de soixante localités se doteront de maisons de la culture ou de cercles culturels entre mai 1936 et décembre 1937. Certaines maisons comme celle d’Alger animée par Albert Camus ou celle de Marseille dont le président d’honneur était Jean Giono furent très actives, préparant largement le débat culturel de la Libération. Rouen eut également sa Maison de la culture, lointain écho de la dynamique culturelle nationale. Cette institution, dont l’existence n’est pas même mentionnée dans les annuaires de la période, reste cependant une énigme tant sa mémoire a disparu de celle des Rouennais315.

  • 316 AMR, 2R1, section rouennaise de l’Association des maisons de la culture de France, fiche de rensei (...)

166La Maison de la culture de Rouen dépose ses statuts en septembre 1936 comme section rouennaise de l’Association des maisons de la culture de France. Cette fondation tardive l’affilie d’emblée à la seconde génération des Maisons de la culture, celles de la rue d’Anjou, la nouvelle adresse parisienne de l’association exprimant une volonté de dépolitisation. Significativement, c’est le dirigeant des Cercles de la Maison de la culture, René Blech, un communiste connu pour son hostilité de principe à l’affirmation d’une culture prolétarienne, qui préside le comité d’honneur de la section rouennaise, aux côtés de René Millot et de Georges Dubois316.

  • 317 AMR, 2R1, section rouennaise de l’Association des maisons de la culture de France, Georges Duchemi (...)
  • 318 Ibidem. La source ne précise pas s’il s’agit de cours complémentaires donnés aux enfants ou de cou (...)

167Le bureau de l’association ne comprend aucun membre de la société culturelle traditionnelle. On y trouve trois enseignants (Pierre Brasseul, R. Sadoc, Suzanne Costentin) et deux employés (Georges Duchemin, Paul Dedieu) ce qui semble renvoyer, au-delà de l’affiliation politique au parti communiste, au champ culturel occupé jusqu’alors par l’Université populaire de Rouen. De fait, le public comme les activités proposées par la Maison de la culture de Rouen évoquent la Coopération des idées. Lancés en 1937, les « cours populaires » de la Maison de la culture de Rouen sont dispensés par 17 professeurs et concernent 300 personnes en octobre 1937317. Selon le secrétaire de l’association, sur les 100 premiers « élèves » inscrits, 83 % ressortaient des « couches moyennes », les 17 % restant étant issus des milieux ouvriers318.

  • 319 Les cinq sections rouennaises font piètre figure en face des neuf sections nantaises et des quinze (...)

168Pour le reste, la Maison de la culture de Rouen décalque son organigramme sur celui de la Maison de la rue d’Anjou. En octobre 1937, cinq sections fonctionnent avec une certaine autonomie, le « cercle culturel », section littéraire regroupant 88 membres, « ciné-liberté », section cinématographique regroupant 413 membres, une section « arts plastiques » organisant des expositions de peinture et de sculpture et regroupant 23 membres, une section « musiciens et acteurs » de 18 membres et la section des « amis de la Maison de la culture de Rouen », qui comprend 24 membres319.

169Le nombre total d’adhérents (566 en 1937) ne paraît guère ridicule au regard d’autres villes françaises. La ville participe bien en apparence d’un mouvement national comme en témoigne le bilan des activités proposées au premier trimestre 1937. La culture Front populaire s’y déploie largement aussi bien par le biais d’expositions artistiques (« événements d’Espagne » en janvier-février 1937) que par celui du cinéma (projection du Crime de Mr. Lange et discussion avec Jean Renoir en mai 1937), des concerts (soirée « Eugène Pottier » en collaboration avec la CGT le 20 mai 1937) ou des conférences (« communisme et catholicisme » en juin 1937 par R. Honnert et Babit).

170Sur le papier encore, la Maison de la culture de Rouen paraît en mesure d’engager un débat de fond quant à la place de la culture dans la cité. Ne trouve-t-on pas en effet dans le programme des conférences une « ou va la peinture moderne ? » par le peintre P. Minne (mars 1937) suivie d’une « où va la poésie moderne ? » par G. Hyvernaud en mai 1937 ? Ces sujets neufs, non abordés par la société culturelle locale depuis la visite mythique de Guillaume Apollinaire en 1914, formaient incontestablement des provocations susceptibles d’éclairer localement les courants de la modernité plastique (cubisme, surréalisme, abstraction) ou littéraire (surréalisme). On sait que l’impact en fut limité.

171En outre, les signes abondent qui démontrent les limites de la Maison de la culture de Rouen. Elles relèvent tout d’abord d’un paradoxe géographique indéniable qui pose à nouveau la question du centre et de la périphérie. À l’image de la Maison de la culture de Marseille qui essaime dans la région (Aix, Avignon, Toulon…), l’institution rouennaise va rayonner sur une bonne partie de la Haute-Normandie actuelle. De nombreuses sociétés (Groupe artistique de la chanson de Rouen, Lyre populaire du Houlme, Groupe artistique de Petit-Quevilly, Comité de loisirs du Trait, Société d’études diverses de Lillebonne) sont affiliées à la section rouennaise de la Maison de la culture. Elle participera aussi à des concerts à Dieppe et à Grand Couronne. Les implantations dans ces sites industriels ne doivent rien au hasard. Elles reflètent le vide culturel que vient combler la Maison de la culture. Elles indiquent aussi par défaut la place réelle de la Maison de la culture dans la vie culturelle locale. Bien plus qu’une Université populaire académisée et intégrée par son système de conférences à la culture légitime, la Maison de la culture de Rouen occupe le secteur marginalisé de la culture et de l’éducation populaire. La recherche d’ancrages périphériques n’est qu’une métaphore géographique d’une position périphérique au sein du champ culturel local. Il en existe d’ailleurs un signe autrement probant, l’absence de local spécifique.

  • 320 Ibid., p. 119.
  • 321 4 petite rue Saint-Lô, dans l’hyper-centre.

172Contrairement à d’autres villes de province (Marseille en tête on l’a vu) la Maison de la culture de Rouen est une association sans adresse. Le paradoxe n’est pas moindre pour une association dont les bâtiments parisiens, rue de Navarin avaient précédé la constitution effective et engendrés l’appellation de « maison320 ». À Rouen, l’adresse officielle est et restera celle du secrétaire Georges Duchemin321. Les conférences ou les concerts sont organisés dans des salles privées (salle Barette, salle Lefranc, patronage laïque) louées pour l’occasion. Si les expositions de peinture reçoivent l’appui officiel de la municipalité qui prête l’Aître-Saint-Maclou en juin-juillet 1937, l’association plaide en vain la cause de l’implantation :

  • 322 AMR, 2R1, section rouennaise de l’Association des maisons de la culture de France, fiche de rensei (...)

« Les dépenses de location de salle pourraient être réduites dans une notable proportion si la Maison de la culture possédait un local. Au cas où les recettes seraient supérieures aux dépenses engagées, elle pourrait élargir son travail, donner des conférences, des séances de cinéma gratuites afin que la majorité de la population rouennaise puisse bénéficier de l’effort culturel poursuivi par notre association322. »

  • 323 AMR, 2R5, René Millot/Georges Duchemin, 26 mai 1937 et 9 juin 1937. Georges Métayer acceptera néan (...)

173Cet « effort culturel » – l’une des premières occurrences du vocable à Rouen – laisse de marbre la municipalité. La modestie des réalisations locales de la Maison de la culture doit d’abord être liée à ce refus d’engagement municipal. Malgré l’inauguration par Jean Cassou de l’exposition de peinture organisée par la Maison de la culture de Rouen à l’Aître-Saint-Maclou, la Ville rechigne à patronner la manifestation. Elle accorde chichement son appui moral en mai 1937, accepte de prêter des plantes en juin, mais laisse à la charge de l’association les frais d’assurance, de gardiennage et même de convoyage de fleurs323 ! Cette attitude mesquine s’explique aisément au regard de l’anticommunisme affiché par Georges Métayer et une grande partie de son équipe. Il est clair que la société culturelle locale partageait son hostilité par rapport à une association classée ouvertement à gauche. L’amnésie locale contemporaine sur l’histoire de la Maison de la culture d’avant-guerre est la trace d’une indifférence affichée alors.

  • 324 AMR, 2R5, Georges Duchemin/René Millot, 24 mai 1937.

174La Maison de la culture elle-même cependant n’entendait sans doute pas adopter des pratiques culturelles en rupture avec le milieu dans lequel elle se développait. L’organisation de concerts et de conférences ne dérogeait nullement aux habitudes locales. Les arts plastiques ne semblaient pas non plus à même de révolutionner l’esthétique locale. L’exposition de juin 1937 le dit bien. Si elle n’est pas organisée au musée des beaux-arts de Rouen elle occupe néanmoins un site patrimonial, l’Aître-Saint-Maclou, dont la transformation en musée d’Art normand est encore à l’étude sous le Front populaire. Le programme affiché par les organisateurs est pour le moins ambigu. Il s’agit en effet « d’organiser une exposition qui unira des œuvres d’artistes parisiens et d’artistes normands afin de faire connaître au grand public les peintures et les sculptures de cette région et dont le sort est si souvent précaire324 ». Rien ne permet ici de distinguer ce projet d’exposition de ceux organisés ailleurs pour le compte de l’Aide artistique, de la Société des artistes rouennais ou de la Société des artistes normands. Elles aussi souhaitaient on l’a dit soutenir les artistes accablés par la crise. Ce sont elles encore qui ont inventé la coutume de l’invitation d’artistes parisiens en vogue, faire-valoir des productions locales. En ce sens, la Maison de la culture de Rouen ne fait qu’organiser un nième salon des artistes locaux, au risque de saturer un marché de l’art déjà bien encombré. Là encore, on retrouve le syndrome de l’accompagnement sans engagement. Le Front populaire rouennais s’essouffle à peine lancé et se recale rapidement sur les us et coutumes culturelles locales. L’exemple des auberges de jeunesse en fournit une illustration supplémentaire.

  • 325 Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, op (...)
  • 326 Richez Jean-Claude et Strauss Léon, « Un temps nouveau pour les ouvriers : Les congés payés (1930- (...)

175Le mouvement des auberges de jeunesse symbolise durablement l’œuvre culturelle du Front populaire français. Les historiens y voient à juste titre l’apogée d’une époque où l’encadrement de la jeunesse constituait l’un des enjeux majeurs du politique et du culturel325. On souligne par ailleurs la « fécondité artistique du mouvement326 », qui ne se limitait pas à fournir une alternative au camping international. Les auberges de jeunesse, nées dans les pays germaniques, se répandent sur la majeure partie du territoire français jusqu’à l’époque du Front populaire. Rouen participe de cet essor.

  • 327 Les archives disponibles ne mentionnent pas cette affiliation au Centre laïque des auberges de jeu (...)
  • 328 Annuaire de Rouen, 1938.
  • 329 Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, op (...)

176À l’origine de la fondation de l’auberge de jeunesse de Rouen, on trouve l’Association rouennaise pour les auberges de jeunesse, créée le 8 février 1936 et vraisemblablement affiliée au CLAJ327. Le but de l’association rouennaise n’est pas directement artistique. Il s’agit « d’assurer la création et le fonctionnement à Rouen et dans la région, d’auberges de jeunesse destinées aux jeunes gens des deux sexes pour des séjours de courtes durées328 ». Le jour de l’inauguration de la première auberge de jeunesse de Rouen toutefois, une chorale ajiste fonctionnera, témoignant d’une conception culturelle en phase avec le « mythe unificateur de 36329 ».

  • 330 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 juillet 1936.

177Si le siège social de l’association se trouve rive droite, rue Saint-Lô, les auberges proprement dites sont situées à l’extérieur du centre-ville. Deux seront créées, l’une à La Bouille, dans la banlieue rouennaise, l’autre dans le quartier Saint-Sever, rue Blaise Pascal. Cette dernière adresse, surnommée l’Hermitage, comprend « un réfectoire, deux dortoirs, une cuisine, une salle de lecture et une toilette bains avec douches et baignoire330 ». Les auberges de jeunesse de Rouen sont étroitement liées au réseau laïque. Dans le bureau de l’association, on trouve trois instituteurs et un maître d’internat au lycée Corneille. Le président d’honneur n’est autre que Maurice Poissant, adjoint au maire et militant de la FOL. L’immeuble du 27, rue Blaise Pascal est par ailleurs partagé par l’auberge de jeunesse de Saint-Sever et le Patronage scolaire.

  • 331 Ibidem.
  • 332 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 28 janvier 1937.
  • 333 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 décembre 1937.

178À première vue, la municipalité Métayer soutient pleinement le mouvement local des auberges de jeunesse. Georges Métayer lui-même est président d’honneur de l’association et la première délibération du conseil municipal relative à cette affaire se veut sans ambivalence. Un conseiller municipal, défendant l’installation de l’« Hermitage » pourra même déclarer : « Ce projet répond aux intentions du gouvernement pour l’organisation des loisirs de la jeunesse scolaire. Une demande de subvention pour ces travaux sera faite à Mr. le sous-secrétaire d’État aux Loisirs et aux Sports331. » L’immeuble de la rue Blaise Pascal, propriété municipale sera loué pendant trois ans à l’association rouennaise des auberges de jeunesse pour un franc symbolique332 et les travaux d’aménagement, qui s’élèveront à 47 000 francs seront pris en charge par la ville333. L’inau­guration de l’Hermitage, le 13 juin 1937, s’effectue dans un climat de ferveur laïque.

179Les limites sont tout aussi évidentes. Au-delà de la cérémonie d’inauguration, la Ville se désintéresse totalement de l’auberge de jeunesse. Ses activités ne donnent lieu à aucune subvention et le personnel politique ne participe à aucune des manifestations qu’elle organise. Tout indique dans la politique municipale de 1936-1937, le souci opportuniste. L’administration Métayer donne les gages minimums de la démocratisation culturelle à l’heure où la ville connaît ses plus grandes manifestations. L’absence de discours comme de subventions de juillet 1937 à juin 1940 marque au contraire la prise de distance par rapport au volontarisme du Rassemblement populaire. De toute évidence, la définition d’une politique municipale de la jeunesse n’était pas à l’ordre du jour pour les radicaux rouennais. La Fête de la jeunesse, organisée depuis le début des années vingt, en fournit un exemple supplémentaire.

  • 334 AMR, 1I4, fête de la jeunesse, note du 2 juillet 1936 à l’usage du ministre de l’Éducation nationa (...)
  • 335 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 26 novembre 1936.
  • 336 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 27 mai 1937 et du 5 mai (...)

180Le 5 juillet 1936, Rouen organise sa vingtième fête de la jeunesse laïque. Là encore les signes extérieurs du militantisme culturel dissimulent mal les ambiguïtés politiques. Le discours officiel qui accompagne les fêtes annuelles de la jeunesse se veut volontariste. Il célèbre la symbiose entre la culture du corps et celle de l’esprit : « Les organisateurs de ces fêtes ont toujours eu le souci de développer des sentiments artistiques chez les jeunes enfants, l’harmonie des couleurs… de développer le rythme et l’harmonie des mouvements… de développer le goût du beau en favorisant les voyages des enfants334. » Au moment du Front populaire, la fête de la jeunesse prend de l’ampleur en investissant la rue et en ajoutant aux exhibitions gymniques traditionnelles des danses, des chants et même, en mai 1937, une démonstration nocturne. La mise en scène devient alors nécessaire et la place de l’hôtel de ville se transforme en salle de concert de plein air le temps d’une soirée (location de chaises, piano, hauts parleurs)335. Le développement de la fête est soutenu par l’investissement municipal. C’est la Ville de Rouen elle-même, qui organise en 1937 une grande exhibition gymnique avec rythmes et chants ; c’est encore elle qui prend en charge la confection des costumes pour les élèves de l’école normale de jeunes filles en 1938336 (cliché 24). Cet essor indéniable de la fête de la jeunesse semble toutefois s’exercer au détriment de son identité culturelle.

  • 337 La Dépêche de Normandie, 14 juin 1920.
  • 338 La Dépêche de Normandie, 23 juin 1924.
  • 339 La Dépêche de Normandie, 4 juin 1928.

181À resituer la manifestation dans la moyenne durée de son histoire rouennaise, on ne peut s’empêcher de noter le paradoxe de la séquence 1935-1939. Les premières fêtes de la jeunesse, organisées dans les années vingt affichaient très nettement leur militantisme culturel. Rejetant le lien établi par les conservateurs entre culture militaire et culture physique, les gauches locales considèrent la culture physique comme une fin en soi. La presse radicale développe depuis longtemps cette idée, non sans ambiguïté idéologique d’ailleurs. Ainsi en 1920 : « Nous sommes sûrs que cette nouvelle et grandiose manifestation populaire portera ses fruits et qu’elle contribuera puissamment à la solution du grand problème de la rénovation physique337. » De même en 1924 : « La jeunesse d’aujourd’hui a compris la beauté et la noblesse des exercices physiques et sait que le soleil, l’air pur et le mouvement sont indispensables à la formation d’un esprit sain338. » Ou encore en 1928 : « La belle, la réconfortante, la magnifique fête ! Toute cette jeunesse de nos écoles, sacrifiant à l’éducation physique, au soin de la « guénille », au culte de la beauté… spectacle qui eût enthousiasmé Jean-Jacques, qui, il y a deux siècles, demandait déjà des fêtes du peuple et des fêtes de la jeunesse339… »

  • 340 AMR, 1I4, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 5 juillet 1936.
  • 341 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 13 juin 1937.

182Au moment de leur arrivée au pouvoir en 1929, les radicaux traduisaient cette conception militante de la fête de la jeunesse jusque dans le graphisme des programmes. À l’iconographie patrimoniale des conservateurs, on substituait l’exaltation du souffle collectif de la jeunesse et de son encadrement laïque. On cherche en vain la trace de tels élans au moment du Front populaire rouennais. Tout indique au contraire la perte d’identité de la fête de la jeunesse qui ne se distingue plus par son contenu, son décorum et sa symbolique, des autres fêtes locales comme les cérémonies johanniques. La place de la musique est ici significative. Au début des années vingt, l’environnement musical de la fête de la jeunesse était assuré par des fanfares (harmonie de Rouen Saint-Sever, les Volontaires de Rouen, la Fraternelle de Rouen). Progressivement cependant, l’idée de concert se formalise. En juin 1931, à l’occasion du cinquantenaire de l’École laïque, des concerts sont organisés pour les enfants des écoles au Théâtre des arts et au Cirque de Rouen. La Musique municipale et le cercle Boieldieu donnent également des concerts gratuits au parc Gaillard-Loiselet et au jardin de l’hôtel de ville. Le concert permet d’assurer la tenue artistique de la fête de la jeunesse, c’est-à-dire de la légitimer comme manifestation culturelle locale. Elle y perd en dynamisme militant ce qu’elle y gagne en audience. Au moment du Front populaire, le processus d’institutionnalisation est achevé. En juillet 1936, on jouera ainsi des œuvres instrumentales et chorales de Gounod, Haydn ou Strauss comme on aurait pu le faire au Théâtre des arts, aux côtés d’œuvres de circonstances comme l’Ode à la Paix de Jean Ruault340. En 1937 encore, en parallèle d’une programmation célébrant la Pologne et d’un ballet au titre caractéristique de l’époque (En frac et sans fric), la Musique municipale de Rouen et les chœurs des enfants de la ville, joueront des œuvres de Brahms et de Grieg341.

  • 342 AMR, 1I4, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 5 juillet 1936.

183La fête de la jeunesse s’est donc indifférenciée, la mairie mettant d’ailleurs à la disposition du comité d’organisation, « podium, mâts, drapeaux, oriflammes, écussons et plantes vertes342 ». Des banquets municipaux d’une soixantaine de couverts achèveront au besoin d’intégrer la fête de la jeunesse aux cycles culturels et commémoratifs locaux. Rien ne permet plus à cette date de la distinguer d’une manifestation commémorative traditionnelle. Cette indéniable récupération culturelle du militantisme laïque des années vingt indique une fois de plus les limites idéologiques de la séquence rouennaise de Front populaire. La banlieue ne déroge pas fondamentalement à cette analyse. Si le mouvement social et le débat politique y sont incontestablement très vifs, ils ne débouchent pas pour autant sur des avancées culturelles significatives. Dans bien des cas, l’époque s’inscrit dans la continuité des politiques précédentes.

184À Sotteville-lès-Rouen, où le maire socialiste Eugène Tilloy est sévèrement critiqué par les militants communistes, le Front populaire semble curieusement en retrait par rapport aux spectaculaires réalisations des années 1900-1930. Certes, la période voit l’inauguration de deux groupes scolaires Marcel Sembat et Jean Jaurès, en présence de Jean Zay et surtout de la piscine le 18 avril 1937 en présence de Léo Lagrange. Mais ces projets remontent on l’a vu à la législature précédente. La ville ne profite pas du Front populaire pour impulser une nouvelle dynamique culturelle. Ainsi, la création d’un cours préparatoire à l’enseignement technique en mars 1936 se présente comme une simple mise en conformité avec la circulaire du 21 juin 1933. Les tarifs de l’École pratique industrielle et commerciale sont même relevés en 1938, ce qui ne va pas dans le sens de l’ambitieuse politique scolaire de Jean Zay (allongement de la scolarité, réalisation de l’école unique). En revanche, le soutien aux associations, déjà important à Sotteville, se renforce incontestablement de 1935 à 1936. L’effort budgétaire est considérable et privilégie quatre secteurs.

  • 343 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal, séan (...)
  • 344 La crise économique interdit cependant de parler d’une démocratisation touristique pour cette époq (...)

185L’éducation populaire tout d’abord qui via la Société populaire d’études diverses perpétue une désormais longue tradition de « matinées et soirées gratuites avec conférences, concerts ou comédies343 ». La même société organise des voyages à l’étranger (Espagne en 1935, Maghreb en 1936, Italie en 1937) et des séjours aux sports d’hiver en 1938344. La création et la formation musicale ensuite, que la commune sauve de toute évidence du naufrage financier au milieu des années trente, en accordant au Cercle lyrique sottevillais et à la Société musicale des subventions de plusieurs milliers de francs, chiffres exceptionnels pour l’époque. Les comités de quartiers encore, qui à l’instar du Comité des Quatre Mares, Béranger, Carnot se chargent de l’organisation de fêtes et bals durant les étés 1935 à 1938. Enfin et surtout, les sociétés sportives, désormais reconnues d’utilité publique et largement aidées pour l’organisation de challenges d’athlétisme, de courses cyclistes ou de matches de football. C’est dire que la municipalité Tilloy compte davantage sur la société civile que sur ses propres forces pour accompagner la démocratisation culturelle à l’époque du Front populaire. La ville ne créera pas d’institutions nouvelles (école de musique, musée, théâtre), pas plus qu’elle ne structurera de service culturel.

  • 345 Cité dans Germain Fanny, Municipalité et associations : acteurs de la vie culturelle d’Oissel. 190 (...)
  • 346 Pour deux raisons complémentaires : stagnation en francs constants et augmentation du nombre d’ass (...)
  • 347 Ibidem, p. 28-30.

186À Oissel, la période du Front populaire marque également l’approfondissement des politiques de soutien aux associations (sportives et musicales) et d’équipement (casino). En août 1937, la ville décide de créer une « maison des loisirs où les membres des sociétés et travailleurs trouveront des distractions saines et agréables345 ». Le budget des fêtes publiques double en francs courants entre 1935 et 1938, témoignant de la montée en puissance des loisirs populaires. En revanche, le volume des subventions aux associations musicales et sportives stagne sur la période346, le Front populaire ne se distinguant guère du début de la décennie347.

  • 348 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du (...)

187À Grand-Quevilly cependant, l’époque marque nettement une rupture. Elle coïncide avec l’élection en mai 1935 du socialiste Tony Larue à la tête de la municipalité, mais aussi avec l’extension de la ville qui se dote d’un nouveau centre. Dès les premiers jours de sa mandature, ce jeune élu, expert-comptable de formation, désigne une « commission travaux », chargée d’évaluer les moyens de mettre en œuvre une profonde transformation urbaine. Parmi les équipements envisagés, on trouve des constructions scolaires, des bains douches, un foyer communal et un terrain de sport. L’habileté de Tony Larue réside dans sa parfaite maîtrise des questions comptables. À la différence des autres politiques culturelles de l’agglomération, la politique mise en œuvre à Grand-Quevilly sous le Front populaire réside dans l’investissement public massif et le déficit budgétaire. Ce déficit sera financé de deux manières complémentaires. La création d’une taxe professionnelle tout d’abord, en juillet 1935, conformément à la loi de 1926348. L’utilisation des subventions d’État ensuite, via la récente loi sur les bonifications d’intérêt (1935) puis les subventions ciblées du gouvernement Blum.

  • 349 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du (...)
  • 350 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du (...)

188La loi de 1935 remplace les subventions d’État pour les travaux communaux par un système de bonifications d’intérêt, permettant aux communes d’emprunter des fonds importants en réduisant le coût de l’emprunt. Tony Larue comprend parfaitement le mécanisme complexe de la circulaire ministérielle et constitue rapidement un projet communal très ambitieux. Ce projet sera classé 12e au niveau national, permettant à la commune de bénéficier d’une aide considérable, l’effort communal étant réparti sur trente ans. Les travaux peuvent commencer dès novembre 1935. En 1937, on inaugure l’hôtel de ville et le foyer communal, ainsi que l’école primaire Jean Jaurès et le stade rénové. En 1938, deux écoles maternelles voient le jour. Certains aménagements bénéficient de subventions directes de l’État, à l’image du terrain de sport dont le tiers est financé par le ministère de la Santé publique et de l’Éducation physique349. Le sous-secrétariat d’État à l’Organisation des loisirs a d’ailleurs retenu le plan d’ensemble du terrain de sport (architecte Viviès), en vue de l’envoyer à l’Exposition internationale de 1937350.

  • 351 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du (...)
  • 352 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du (...)
  • 353 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du (...)

189Par leur architecture même en effet, ces réalisations témoignent d’un volontarisme rare dans l’agglomération. Recherche de monumentalité et ambition des conceptions s’allient ici pour signifier la volonté d’entrer dans un nouvel âge de conception du social. L’hôtel de ville, dû aux architectes Émile Thomas et Lucien Verdure, s’impose par sa verticalité. Édifié en béton armé, son décor se limite à un haut-relief républicain. Le beffroi majestueux témoigne de l’affirmation communale. Il s’agit d’édifier une mairie « répondant aux exigences de notre époque351 ». De même, la décision de construire un nouveau groupe scolaire procède du refus de colmater un groupe existant et d’édifier au contraire un établissement « répondant réellement aux besoins des enfants et si possible d’une superficie suffisante pour y adjoindre un terrain de sports352 ». La conception du nouveau terrain de sport relève d’une aspiration identique. Au terrain omni-sports, on adjoint une construction « comportant salle de réunion et gymnastique, vestiaires, douches et conçue pour servir également d’auberge de jeunesse353 ». On mesure le chemin parcouru entre ces équipements sportifs et le pré à bestiaux loué par les amicalistes marommais en 1909.

  • 354 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du (...)
  • 355 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du (...)
  • 356 Ibidem.
  • 357 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du (...)
  • 358 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du (...)
  • 359 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du (...)

190Parallèlement à cette politique de grands travaux, la ville de Grand-Quevilly soutient le développement des activités péri-scolaires, artistiques et sportives. Dès 1935, un conseiller municipal suggère que la Ville crée sa propre colonie de vacances, au lieu de subventionner des associations existantes. La commune met clairement en place une politique de l’enfance. Il s’agit « d’éduquer et de soigner de nombreux petits enfants appartenant à un habitat essentiellement ouvrier354 ». Dès le printemps 1936, la Ville loue annuellement une propriété à Dieppedale, petite commune située en face de Grand-Quevilly, pour y installer une colonie communale. En novembre 1936, la Ville décide l’édification d’un terrain communal de sports et de jeux d’enfants355. À la même date, on envisage la municipalisation de la Société musicale, afin « d’établir un statut de l’école municipale de musique356 ». On peut dès lors clairement évoquer la naissance d’une politique culturelle : « L’école de musique est un rouage municipal et conséquemment son organisation dépend de la commune sous le contrôle de laquelle elle doit fonctionner. Il est donc logique de l’incorporer dans le budget et de cesser de la faire figurer dans le chapitre des subventions357. » Le foyer municipal, inauguré par le ministre de l’Intérieur Marx Dormoy le 14 juillet 1937, est bientôt doté d’un piano, tandis que onze bourses sont créées à l’école de musique pour les plus nécessiteux358. La dislocation de la coalition de Front populaire ne freine pas les audaces de la municipalité Larue. En 1939 encore, on accepte la création de cours de danse et on décide de mettre en place une bibliothèque populaire, sous le régime du contrôle de l’État359.

  • 360 Ponsard Nathalie, Lectures ouvrières à Saint-Étienne-de-Rouvray, des années trente à nos jours, th (...)

191On le voit, Grand-Quevilly préfigure nettement les politiques de démocratisation culturelle qui seront mises en place après la guerre par les municipalités communistes ou socialistes de la rive gauche (Saint-Étienne-du-Rouvray, Petit-Quevilly)360.

192Dans le contexte du Front populaire rouennais le volontarisme de Tony Larue apparaît cependant comme atypique. L’époque n’a pas contribué fondamentalement à accélérer un processus de longue durée, amorcé à la fin des années 1880, mais dont la progression est somme toute assez lente. Si le paysage culturel, et notamment l’offre, a foncièrement changé entre le début et la fin de la République, force est de constater que les fondements de la culture ne sont guère remis en cause.

Notes

1 Mounier Emmanuel, extrait du prospectus de présentation de la revue Esprit, 1932.

2 Ory Pascal, « La culture pour tous », L’Histoire, 197, mars 1996, p. 84.

3 Ritaine Evelyne, Les stratèges de la culture, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1983 et Prochasson Christophe, Les intellectuels, le socialisme et la guerre 1900-1938, Paris, Seuil, L’Univers historique, 1993.

4 Dewerpe Alain, Le monde du travail en France 1800-1950, Paris, Armand Colin, Cursus, 1989.

5 Albertini Pierre, L’École en France, xixe-xxe siècle. De la maternelle à l’université, Paris, Hachette supérieur, coll. « Carré Histoire », 1992 et Prost Antoine, Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967, Paris, Armand Colin, 1968.

6 Duchemin Pierre, Maromme et les communaux de la Muette, Pont-Audemer, Imprimerie administrative, 1891, p. 143.

7 Ibidem.

8 Ibidem, p. 168.

9 Ibidem, p. 145.

10 Duchemin Pierre, Petit-Quevilly et le Prieuré de Saint-Julien, Pont-Audemer, Imprimerie administrative, 1890.

11 Duchemin Pierre, Histoire de Saint-Étienne-du-Rouvray, Rouen, Lestringant, 1892.

12 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 27 mai 1871.

13 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 15 mai 1894.

14 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 27 février 1879.

15 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 26 juin 1886.

16 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 19 août 1878.

17 AMR, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 30 décembre 1881.

18 Ibidem.

19 Dans les années 1870, fonctionne ainsi à Rouen une bibliothèque dite du Cercle militaire, sans compter les nombreuses bibliothèques liées aux sociétés savantes.

20 Annuaire de Rouen, 1890, p. 245. Les cours étaient dispensés dans l’une des salles de l’École d’apprentissage qui se trouvait rue du Pré, dans le quartier Saint-Sever.

21 Ils n’apparaissent plus du moins dans les annuaires de Rouen.

22 Duchemin Pierre, Sotteville-lès-Rouen et le faubourg Saint-Sever, Rouen, Lestringant, 1893, p. 313.

23 Cette volonté d’édification se heurte bientôt au succès du roman, principal genre demandé par les lecteurs des bibliothèques populaires.

24 Cité dans Lyons Martyn, Le triomphe du livre. Une histoire sociologique de la lecture dans la France du xixe siècle, Paris, Promodis, Cercle de la Librairie, 1987.

25 Richter Noë, Introduction à l’histoire de la lecture publique, Bernay, Éditions de la Queue du Chat, 1995.

26 Cf. Liste des syndicats d’ouvriers et d’employés à Rouen en 1894, établie par Marec Yannick, Bienfaisance communale et protection sociale sous la IIIe République : Le système rouennais d’assistance publique des années 1870 aux années 1920, Rouen, thèse d’État, dir. Michel Pigenet, 1999, annexe, p. 1393.

27 Proposition du Comité d’inspection et d’achats, bulletin municipal de Rouen, décembre 1898.

28 Ibidem.

29 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 29 mars 1895.

30 Caceres Benigno, Histoire de l’éducation populaire, Paris, Seuil, coll. « Peuple et Culture », 1964, p. 54.

31 Le Petit Rouennais, 6 février 1900.

32 Cf. Chemin Marie-José, « La Coopération des idées, Université populaire de Rouen », Les cahiers d’histoire de l’enseignement, 4, 1976, p. 5-63.

33 Cf. Marec Yannick, Bienfaisance communale et protection sociale sous la IIIe République : Le système rouennais d’assistance publique des années 1870 aux années 1920, Rouen, thèse d’État, dir. Michel Pigenet, 1999, p. 1081-1083.

34 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Associations », SPED, historique de Benard Serge, 1982, sp.

35 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 10 septembre 1901.

36 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 31 août 1900.

37 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Associations », Esperanto Stelo.

38 En 1907 Lille compte déjà 3 bibliothèques populaires, Reims en compte 6, Angers 5 et Calais 1 selon le bulletin municipal de Rouen, février-mars 1907.

39 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 29 décembre 1905.

40 AMR, bulletin municipal, février-mars 1905.

41 AMR, bulletin municipal, février-mars 1906.

42 AMR, bulletin municipal février-mars 1907, règlement intérieur, article 2.

43 AMR, bulletin municipal février-mars 1907.

44 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séances du 17 novembre 1905 et du 19 mai 1905.

45 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 22 janvier 1875.

46 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 22 janvier 1875.

47 Ibidem, intervention de Heduit.

48 Ibidem.

49 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 30 décembre 1881.

50 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 9 janvier 1885.

51 Né à Rouen en 1836, Georges Pennetier dirigea le Muséum d’histoire naturelle de 1872 à sa mort en 1923.

52 Regnier Robert, « Georges Pennetier et son œuvre », Actes du muséum d’histoire naturelle de Rouen, 2e série, t. 1, 1929, p. 9-10.

53 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 8 avril 1881.

54 AMR, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 5 août 1881.

55 Ibidem.

56 Annuaire de Rouen, 1890, p. 222.

57 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 janvier 1899.

58 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 15 juillet 1881.

59 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 janvier 1899.

60 Ibidem, rapport de 1919.

61 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 9 novembre 1911.

62 Annuaire de Rouen, 1868, p. 207.

63 Annuaire de Rouen, 1890, p. 277.

64 Reberioux Madeleine, préface à Gumplowicz Philippe, Les travaux d’Orphée (150 ans de vie musicale amateur en France, harmonies, chorales, fanfares), op. cit., p. 11.

65 AMR, 2R1, budgets fournis par les sociétés en 1929.

66 AMR, 2R1, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 12 décembre 1925.

67 Statuts déposés en 1912, Archives départementales de la Seine-Maritime, 4M462, cité dans Germain Fanny, Municipalité et associations : acteurs de la vie culturelle d’Oissel. 1900-1981, Rouen, mémoire de maîtrise, dir. Olivier Dumoulin et Loïc Vadelorge, université de Rouen, 1999, p. 68.

68 Ibidem.

69 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Association », Société musicale de Sotteville-lès-Rouen, statuts de 1906, article 3.

70 Annuaire de Rouen, 1913, p. 365.

71 Annuaire de Rouen, 1868, p. 251-279.

72 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 4 mars 1881.

73 Annuaire de Rouen, 1883, p. 314.

74 Annuaire de Rouen, 1890.

75 Annuaire de Rouen, 1913.

76 Annuaire de Rouen, 1908.

77 Au même titre que l’athlétisme, Sotteville s’illustrera dans le cyclisme. Rappelons que la carrière de Jacques Anquetil, né en 1934 à Mont-Saint-Aignan, et inscrit au collège technique Marcel Sembat de Sotteville en 1947, commença à l’Auto-Cycle sottevillais en 1950. Cf. Sibout Cécile-Anne, Un sportif normand exceptionnel. Jacques Anquetil. 1934-1987, Rouen, District de l’Agglomération rouennaise, Histoire(s) d’agglo, 18, 2002.

78 Annuaire de Rouen, 1913.

79 ADSM, 4M 482, Union sportive d’Oissel, statuts du 15 juin 1909, cité dans Germain Fanny, Municipalité et associations : acteurs de la vie culturelle d’Oissel. 1900-1981, Rouen, mémoire de maîtrise, dir. Olivier Dumoulin et Loïc Vadelorge, université de Rouen, 1999, p. 81.

80 Croguennec Michel, L’aviation dans l’agglomération rouennaise, Rouen, District de l’Agglomération rouennaise, Histoire(s) d’agglo, 19, 2002.

81 Alexandre Alain, Malaunay. Images et documents du passé local, Malaunay, 1985, p. 99.

82 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Associations », Société de gymnastique la Sottevillaise, liste des membres du bureau, 1906.

83 Alexandre Alain, Malaunay. Images et documents du passé local, Malaunay, 1985, p. 100.

84 Témoignage d’un membre fondateur de l’ALM, Maurice Delestre, recueilli oralement en 1987, in ALM, Maromme, 1987, p. 260.

85 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séances du 13 novembre 1872, 24 février 1887, 16 mai 1899.

86 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 décembre 1881.

87 Fraigneau Amédée, Rouen bizarre, Rouen, Schneider Frères, 1888, rééd. Éditions du P’tit Normand, 1980, p. 89. 88. Ibid., p. 77.

88 Ibid., p. 77.

89 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 avril 1897.

90 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 7 juillet 1880.

91 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 7 août 1883.

92 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 27 novembre 1888.

93 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 4 juin 1891.

94 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séances du 24 août et 19 novembre 1903.

95 Archives municipales de Sotteville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 27 juillet 1899.

96 La pratique de la danse engendre même la création de sociétés spécialisées. Déville-les-Rouen comprend ainsi à la veille de la guerre de 14, deux cercles de danses, la Pavane et la Gavotte. Sotteville en entretient une, le Menuet.

97 La logique de répression et de contrôle social constitue le fil directeur des politiques sociales en France, de la révolte des canuts de Lyon (1833) jusqu’à la répression de la Commune de Paris (1871) en passant par la révolution de juin 1848. Sur ces questions classiques, voir par exemple : Lequin Yves (dir.), Histoire des Français, xixe-xxe siècles, 3 tomes : Un peuple et son pays, La société, Les citoyens et la démocratie, Paris, Armand Colin, 1983-1984.

98 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 16 juin 1920.

99 Ibidem.

100 AMBAR, copie de lettres, Fernand Guey/maire de Lille, 2 mars 1926.

101 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 16 juin 1920. Dans l’hypothèse absurde, que ces lecteurs et ces visiteurs soient distincts et tous rouennais (une visite par visiteur au cours de l’année), on aboutit à un taux de fréquentation du musée des beaux-arts de 13 % de la population et de 21 % pour la bibliothèque municipale.

102 ABMR, « bibliothèque archives, bibliothèques de prêt », statistiques de fréquentation de la bibliothèque populaire de Saint-Sever, 1913-1936.

103 AMR, bulletin municipal de la ville de Rouen, mars-avril 1929.

104 Ibidem.

105 Selon Graham Keith Barnett des sections enfantines existaient à Albi (1937), Tours (1937), Soisson (1937), Périgueux (1938), Arras, Sceaux (1938). Cf. Barnett Graham Keith, « La léthargie des bibliothèques municipales », Poulain Martine (dir.), Les bibliothèques au xxe siècle. 1914-1990, t. 4 de Histoire des bibliothèques françaises, Paris, Promodis-Le cercle de la librairie, 1992, p. 52-81. Il faudra attendre 1947 pour voir à Rouen la création d’une bibliothèque pour enfant, dite « l’Heure joyeuse » (place Restout). André Masson, inspecteur général des Bibliothèques de France l’inaugura le 28 juin 1947. Cf. l’Écho de Normandie, 29 juin 1947. À cette date, Rouen se situait encore à la pointe du développement de la lecture publique en France.

106 Labrosse Henri, 25 ans de lecture publique à Rouen 1913-1938, Rouen, Laîné-Société libre d’émulation, 1939, p. 16.

107 ABMR, rapport annuel de 1926-1927.

108 ABMR, dossier « Bibliothèque archives, bibliothèques de prêt », Henri Labrosse/maire de Rouen, 27 mars 1929.

109 Journal de Rouen, 14 avril 1929.

110 ABMR, dossier « Bibliothèque archives, bibliothèques de prêt », communiqué de la mairie de Rouen à la presse, 29 décembre 1933.

111 ABMR, dossier « Bibliothèque archives, bibliothèques de prêt », directrice de l’école des Sapins/maire de Rouen, 10 mars 1934.

112 ADSM, 4T224, procès-verbal des délibérations du conseil général de la Seine-Inférieure, séance du 27 septembre 1920.

113 Regnier Robert, « Le muséum de Rouen », La Terre et la Vie, janvier 1933, p. 16.

114 AMDA, chemise « 1905-1960 », rapport de Jules Vernier au préfet de la Seine-Inférieure, s. d., 1922.

115 Cette dernière fonctionnera jusqu’en 1970. Cf. Horticulteurs et jardins normands, supplément à Jardins de France, octobre-décembre 1970, p. 4-5.

116 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 6 mars 1925, rapport de Frédéric Kopp.

117 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 29 mai 1921.

118 Cf. Eude Robert, « Les maires de Rouen 1800-1950 », Bulletin de la Société libre d’émulation de la Seine-Inférieure, 1947-1948, p. 147-249.

119 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 28 janvier 1931.

120 Ibidem.

121 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 26 janvier 1933.

122 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 28 novembre 1935, intervention de Jean Deflandre.

123 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 novembre 1936.

124 La Dépêche de Normandie, 30 mars 1929.

125 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 31 mars 1932.

126 Ibidem, discours de René Millot.

127 Annuaire de Rouen, 1929-1939.

128 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 25 juillet 1929.

129 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 26 mai 1930.

130 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 11 juillet 1935.

131 La comparaison avec la municipalité du radical Gaston Gérard, maire de Dijon dans les années vingt, est ici éclairante. Par sa politique culturelle, l’administration Métayer se situe bien à gauche des radicaux dijonnais, tout en demeurant à droite du socialisme culturel d’un Robert Jardillier. Cf. Poirrier Philippe, « Politique culturelle et municipalité : un discours explicite ? L’exemple de Dijon (1919-1989) », Les cahiers de l’IHTP, 16, 1990, p. 18-19; « Une politique culturelle de Front populaire ? La municipalité Jardillier à Dijon 1935-1940 », Théâtre et spectacles, hier et aujourd’hui, Paris, Éd. du CTHS, 1991, p. 355-369 et Poirrier Philippe, Municipalité et culture au xxe siècle : Des Beaux-Arts à la politique culturelle. L’intervention de la Municipalité de Dijon dans les domaines artistiques et culturels. (1919-1995), Dijon, université de Bourgogne, 1995, thèse de doctorat d’histoire, dir. Pierre Lévêque, p. 37-54. C’est dire qu’au-delà des analyses sociologiques ou politologiques, c’est bien le lieu et le moment qui définissent la dimension et le sens des politiques culturelles.

132 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 2 juillet 1925.

133 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 16 juin 1932.

134 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 9 août 1934.

135 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 19 novembre 1925.

136 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Associations », SPED, historique de Benard Serge, 1982, sp.

137 Archives municipales de Sotteville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 24 janvier 1924.

138 Cf. Fouquet Christophe, Le cinéma d’éducation populaire en Seine-Inférieure entre les deux guerres mondiales : Arme de la pédagogie et de la laïcité, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Olivier Dumoulin, université de Rouen, 1995, p.7 sqq.

139 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », SDP, statuts du 9 décembre 1926, art. 1 et 6.

140 ADSM, 4M450. L’association est déclarée le 28 février 1921.

141 Annuaire de Rouen, 1919.

142 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, W18, Bibliothèques, extrait de la délibération de la Commission départementale du 27 janvier 1921.

143 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, W18, Bibliothèques, maire de Mont-Saint-Aignan/préfet de la Seine-Inférieure, 25 janvier 1930.

144 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, W18, Bibliothèques, procès-verbal de la réunion du comité de la bibliothèque circulante, réunion du 13 janvier 1932.

145 AMR, 1Q1, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 mai 1919. La taxe avait été créée initialement à Bordeaux. Sa mise à l’étude dans d’autres villes de province (dont Rouen) fut suspendue par le ministère de l’Intérieur qui préparait une loi sur le sujet, laquelle sera promulguée en 1920.

146 Pour une mise en perspective historique cf. Gasnault François, Guinguettes et lorettes. Bals publics à Paris au xixe siècle, Paris, Aubier, collection historique, 1986.

147 Contrairement aux sources commerciales comme les annuaires qui ignorent certaines salles de danse locales en raison de leur caractère éphémère de salle de bal (cafés, brasseries, salles des fêtes), l’administration du droit des pauvres les identifie avec précision. Ces salles appartiennent en effet à la 4e catégorie des salles de spectacle, taxées à hauteur de 5 % de leurs recettes brutes contre 2 % pour les théâtres.

148 AMR, 1Q1, recettes de 1927 : 133 878 francs, recettes de 1933 : 217 616 francs.

149 Cf. Langlois Bernard, André Marie (1897-1974), l’homme politique pendant la IIIe République, mémoire de maîtrise, dir. Marcel Boivin, université de Rouen, 1980, multigr., p. 3.

150 Rob(ert) Del(amare) mais aussi anagramme de « bordel ». Signalons en outre les noms de Gontran Pailhès et de J. A. Turpin parmi les auteurs de revues des années vingt.

151 Kendall-Taylor, L’espalier rouennais, Rouen, Henri Defontaine, 1922.

152 Cf. Abirached Robert, « Des premières semailles aux premières réalisations. Les précurseurs : Jacques Copeau et sa famille », Abirached Robert (dir.), La Décentralisation théâtrale, t. 1 : Le premier âge 1945-1958, Arles, Actes-Sud, cahier n° 5, Théâtre-Éducation, p. 14-21 et Goetschel Pascale, Renouveau et décentralisation du théâtre, 1945-1981, Paris, PUF, 2004.

153 Rouen Gazette, 18 février 1928.

154 La Dépêche de Normandie, 18 février 1929.

155 Renaudin André, Mémoires de presse, t. 1, p. 111.

156 Rouen-Gazette, 2 novembre 1924, article de Paul Sorbier.

157 Le reliquat étant constitué de spectacles divers donnés dans des brasseries, dancings et de tournées théâtrales comme les tournées Baret.

158 AMR, 2R6, Louis Stréliski/maire de Rouen, 23 décembre 1921.

159 AMR, 2R6, Louis Stréliski/maire de Rouen, 28 avril 1930.

160 ADSM, 4T111, Louis Stréliski/préfet de la Seine-Inférieure, 15 juillet 1932.

161 AMR, 2R6, préfet de la Seine-Inférieure/maire de Rouen, 21 avril 1931 : « Il m’est agréable de seconder ainsi l’intérêt que vous portez à l’effort entrepris par le sympathique directeur du Théâtre français en vue de développer chez les jeunes Rouennais et rouennaises le goût de l’art musical et dramatique. »

162 ADSM, 4T111, à hauteur de 600 francs par an en 1932, de 800 francs par an en 1934.

163 AMR, 2R6, Pierre Dorly/maire de Rouen, 15 avril 1935.

164 Annuaire de Rouen, 1932.

165 ADSM, 4T111, commission départementale statuant sur l’utilisation des loisirs des travailleurs.

166 L’Association générale des étudiants de Rouen édite également dans l’entre-deux-guerres un bulletin bi-mensuel, Rouen qui rit.

167 Les pièces écrites par Maurice Louvrier pour le Théâtre français ou André Marie pour l’AGER ont aujourd’hui disparu.

168 Assises artistiques, littéraires et scientifiques de Caumont, session de Rouen, 1923, intervention de P.-L. Robert, p. 225.

169 Annuaire de Rouen, 1928, p. 424.

170 Cf. ADSM, 4T112.

171 AMR, 2R6, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 28 mars 1907.

172 ADSM, 4T112, circulaire, s. d., 1918.

173 AMR, 2R6, Théâtre d’art normand, maire de Rouen/préfet de la Seine-Inférieure, 9 janvier 1932.

174 Cf. Rab Sylvie, « Les municipalités ouvrières et le sport dans les années trente. L’exemple de trois municipalités socialistes de banlieue (Boulogne, Puteaux et Suresnes) », Arnaud Pierre (dir.), Les origines du sport ouvrier en Europe, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 247-265.

175 ADSM, 4M456.

176 Le comité recevra 1 500 francs de subvention en 1919 et 3 000 francs en 1920. Cf. AMR, registres des délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 27 juillet 1919 et 22 octobre 1920.

177 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 27 juillet 1919.

178 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 22 octobre 1920.

179 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 12 septembre 1919.

180 AMR, bulletin municipal, novembre-décembre 1920. Cette plaque se trouve au stade des Bruyères, situé aux limites sud de la cité.

181 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Société de tir, 1929-1936.

182 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Associations », Société de gymnastique la Sottevillaise/maire de Sotteville, 24 juillet 1912.

183 Ibidem, s. d., avril 1919.

184 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 24 juillet 1924.

185 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 1er décembre 1932 et du 10 décembre 1936.

186 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Association sportive de Mont-Saint-Aignan, maire de Mont-Saint-Aignan/président de la Société, 28 mai 1925.

187 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Amicale sportive de Mont-Saint-Aignan, maire de Mont-Saint-Aignan/président de la Société, 24 janvier 1932.

188 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Amicale sportive de Mont-Saint-Aignan, président de la Société/maire de Mont-Saint-Aignan, 21 octobre 1933.

189 ALM, Maromme, 1987, p. 261-268.

190 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Associations », Auto-Cycle sottevillais, 1902-1936.

191 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 17 mars 1933.

192 Le concours de 1919 réunira par exemple 72 sociétés.

193 Journal de Rouen, 21 avril 1925.

194 Programme d’André Marie, Journal de Rouen, 2 mai 1925.

195 Journal de Rouen, 21 avril 1935.

196 Il obtint à ce titre la médaille d’or de l’éducation physique et sportive en 1931.

197 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 octobre 1929.

198 Cf. sur ce point les précisions données par Pessiot Guy, Histoire de Rouen de 1900 à 1939 en 800 photographies, Rouen, Éd. du P’tit Normand, 1982, p. 120.

199 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 31 mai 1934.

200 Peu ambitieuse sous l’angle fonctionnel, le complexe initial ayant cédé la place à un simple équipement sportif, la piscine Gambetta le fut néanmoins sous l’angle esthétique. Elle représentait jusqu’à sa destruction regrettable en février 1991 un des rares témoignages du courant moderniste à Rouen. Philippe Radigue note dans le catalogue Architectures à Rouen et dans l’agglomération 1900-1960 : « Les salles arrondies, les terrasses, le bastingage, la blancheur de l’enduit, la volumétrie générale, l’absence de décor extérieur et sa situation exceptionnelle procédaient directement de l’esthétique paquebot » (Association Paquebot Gambetta, Architectures à Rouen et dans l’agglomération 1900-1960, Rouen, 1992, p. 5-6).

201 Journal de Rouen, 21 avril 1925.

202 Cf. Rauch André, Histoire de la santé, Paris, Presses universitaires de France, 1995, p. 78-81.

203 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 mai 1933.

204 Cf. Cointet Michèle, Histoire culturelle de la France 1918-1959, Paris, Sedes, 1988, p. 134-139.

205 Première apparition commerciale dans l’Annuaire de Rouen de 1932.

206 Cf. Annuaire de Rouen, 1930.

207 La subvention s’élève à environ 13 000 francs par an de 1931 à 1933.

208 Il se distingue en cela de Maurice Poissant, l’un des plus farouches défenseurs de la laïcité. Réagissant à la suppression d’une représentation du Tartuffe de Molière par l’Inspection académique, il déclarait : « La ville a subi un préjudice et nos enfants ont été privés d’une représentation bien organisée. Je proteste contre l’immixtion de l’Inspection académique dans une question comme celle là » (AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 22 décembre 1932).

209 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 21 mai 1931, réponse à une intervention de Maurice Poissant.

210 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 novembre 1932.

211 Les Croix-de-Feu de Rouen et de Normandie, 15 juin 1935, cité in Vaillant-Domine Annie, Les ligues fascistes en Seine-Inférieure de 1924 à 1936, mémoire de maîtrise, sans dir., université de Rouen, 1981, multigr., p. 127.

212 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 25 novembre 1926.

213 Ibidem.

214 Rouen Rive Gauche, bulletin annuel des travaux de la Ligue de défense des intérêts de Rouen Rive Gauche, n° 1, mars 1925.

215 Annuaire de Rouen, 1930, p. 417.

216 ADSM, JPL-50.

217 AMR, 1I4, comité du Jardin des plantes, président du comité/maire de Rouen, 2 avril 1936.

218 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 31 août 1927 et du 26 mai 1930.

219 APSM, Bureau des associations de la préfecture de Seine-Maritime, dossier « Comité du Mont-Gargan », président du comité/préfet de la Seine-Inférieure, s. d., 1925.

220 Ibidem.

221 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 26 février 1931, 25 février 1932, 30 août 1932, 26 avril 1934.

222 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 26 février 1931, proposition d’initiative de Maurice Poissant.

223 AMR, 1I4, M. Palier/maire de Rouen, 28 août 1935.

224 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 19 novembre 1925.

225 Chiffres donnés par Freulard Maryline, Le Front populaire à Rouen, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Marcel Boivin, université de Rouen, 1976, multigr.

226 Ces manifestations sont parfois aussi spectaculaires qu’éphémères. À Darnétal où les grèves de juin 1936 s’accompagnent d’occupations d’usine au son du phonographe, et de cortèges décidés, la reprise s’amorce dès le 12 juin et les courses annuelles sont maintenues. Cf. Delsalle Lucien-René, Entre Robec et Aubette. Mille ans d’histoire à l’est de Rouen, Rouen, Éditions LRD, s. d., p. 464.

227 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Société de tir, recensement des terrains de sport (1930, 1941).

228 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 8 juin 1939.

229 Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, Paris, Plon, 1994, p. 743-745.

230 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 10 mai 1938.

231 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Les Amis des Roses, Société d’amateurs rosiéristes du canton de Maromme, président de la Société/maire de Mont-Saint-Aignan, 10 juin 1937.

232 APSM, Bureau des associations de la préfecture de Seine-Maritime, dossier « Société des artistes indépendants normands », statuts du 6 février 1938, article 3.

233 APSM, Bureau des associations de la préfecture de Seine-Maritime, dossier « Société des artistes indépendants normands », statuts du 6 février 1938, article 4, souligné par les auteurs.

234 Sur la société mère, cf. Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, op. cit., p. 295.

235 AMR, 2R1, Section rouennaise des Fêtes du Peuple de Paris.

236 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 12 décembre 1929, 500 francs accordés.

237 AMR, 2R1, section rouennaise des Fêtes du Peuple de Paris, O. Gallouen/maire de Rouen, s. d., début 1939.

238 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 30 juillet 1937 (2000 francs), 31 mars 1938 (1 500 francs), 30 janvier 1939 (1 000 francs) et 28 avril 1939 (1 500 francs).

239 AMR, 2R1, section rouennaise des Fêtes du Peuple de Paris, rapport de René Millot du 12 décembre 1929.

240 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 7 juillet 1938.

241 Rouen-Gazette, 23 janvier 1939.

242 Saint-Étienne-du-Rouvray, Citoyens de demain, brochure éducative, Éditions Franciade, 1996, p. 14.

243 Tartakowski Danielle, « Manifestations, fêtes et rassemblements à Paris (juin 1936-novembre 1938) », Vingtième siècle, revue d’histoire, juillet-septembre 1990, p. 43-53. Ory Pascal, « Théorie et pratique de l’art des fêtes sous le Front populaire », Corbin Alain, Gerome Noëlle et Tartakowski Danielle (dir.), Les usages politiques des fêtes aux xixe-xxe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, p. 277-289.

244 Cf. Fremont Armand, Ouvriers et ouvrières à Caen, Caen, université de Caen-CNRS, 1981.

245 AMR, 1I4, Fédération des comités des fêtes de quartier de la ville de Rouen.

246 AMR, 1I4, M. Éon/maire de Rouen, 21 mars 1935.

247 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 septembre 1936.

248 AMR, 1I4, comité des fêtes du Mont-Riboudet et de la Saint-Fiacre, compte rendu d’activité du 28 août 1935 et du 20 août 1937.

249 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 octobre 1936.

250 AMR, 1I4, comité des fêtes de la place de la Rougemare, compte rendu d’activité du 23 septembre 1937.

251 AMR, 1I4, place des Emmurées, secrétaire du comité des fêtes/maire de Rouen, 28 août 1935.

252 AMR, 1I4, procès-verbal du 28 août 1935.

253 AMR, 1I4, place des Emmurées, J. et M. Aufière/Georges Métayer, 15 octobre 1938.

254 AMR, 1I4, comité des fêtes du quartier Saint-Clément, 1935-1937.

255 AMR, 1I4, comité des fêtes du quartier du Jardin des plantes, 2-3 mai 1936.

256 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 29 août 1935.

257 L’exemple, étudié plus haut, des pratiques patrimoniales de la fête du Ventre de Rouen entre 1935 et 1937, indique que l’imposition de légitimité culturelle dépasse le champ musical.

258 AMR, 2R5, Les Combattants de la Palette/maire de Rouen, 20 août 1938.

259 Ils exposent d’ailleurs dans les mêmes conditions à Lille, Tourcoing, Valenciennes, Douai, Arras, Amiens, Orléans, Dinard.

260 AMR, 2R5, maire de Rouen/M. Bellon et M. Larose, artistes peintres parisiens, 16 septembre 1938.

261 AMR, 2R5, maire de Rouen/Les Peintres montmartrois, 5 juin 1936.

262 C’est le cas du peintre rouennais Francisque Raberain, ami personnel de René Millot, en avril 1938.

263 AMR, 2R5, Palette rurale normande, Richard Dufour/maire de Rouen, 6 novembre 1935.

264 ADSM, 4M463, le Groupe d’étude cinématographique de la section rouennaise du parti communiste a été déclaré le 14 janvier 1938. Aucune archive n’existe à notre connaissance sur cette section cinématographique.

265 AMR, 2R1, Chorale populaire syndicale, statuts, s. d., janvier 1937, article 1.

266 Ibidem, article 5.

267 Ibidem, article 6.

268 AMR, 2R1, Chorale populaire syndicale, commissaire de Police de Rouen/maire de Rouen, 25 février 1938.

269 Ibidem.

270 AMR, 2R1, Chorale populaire syndicale, Charles Enée/maire de Rouen, 13 novembre 1937.

271 Ces termes sont repris par le secrétaire de l’association, Charles Enée dans sa lettre au maire de Rouen précitée.

272 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 31 mars 1938 et du 30 mars 1939. À l’initiative de Jean Deflandre sont inscrits à chaque fois 500 francs au nom du « développement des loisirs ouvriers ».

273 Maryline Freulard mentionne l’existence d’une « musique du Front populaire » à l’occasion d’un bal populaire donné à Maromme le 26 septembre 1936. Nous n’avons pu en trouver trace.

274 La Dépêche de Normandie, 2 septembre 1936.

275 La Dépêche de Normandie, 7 septembre 1936.

276 C’est-à-dire les musiciens syndiqués du Théâtre des arts.

277 Cf. Rab Sylvie, « La commémoration du centenaire de la mort de Rouget de Lisle à Choisy le Roi en juin 1936 », Corbin Alain, Gerome Noëlle et Tartakowski Danielle (dir.), Les usages politiques des fêtes aux xixe-xxe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, p. 291-304.

278 La Dépêche de Normandie, 7 septembre 1936.

279 Cf. sur ce point Zwirn Jacques, « Les représentations littéraires et artistiques de la classe ouvrière », Willard Claude (dir.), La France ouvrière, t. 2 : 1920-1968, Paris, Éditions de l’Atelier, p. 123-138.

280 Poirrier Philippe, « Les “heures bourguignonnes”, une relecture communiste de l’histoire locale (1937-1939) », Baridon Laurent et Poirrier Philippe (dir.), Gothiques. Le Moyen Âge bourguignon et ses relectures modernes et contemporaines, Actes de la table ronde du 18 janvier 1992, Dijon, Éd. EUD-Histoire au présent, 1992, publiés dans Sources/travaux historiques, 27, 1991, p. 66.

281 Le Progrès social, 18 mai 1938.

282 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, dossier « Associations », Maison du Peuple de Maromme, tract de présentation, 3 février 1937.

283 Ibidem.

284 Frangne Philippe, Origine et formation du Front populaire en Seine inférieure, mémoire de maîtrise d’histoire, sans dir., université de Rouen, s. d., multigr., et Freulard Maryline, Le Front populaire à Rouen, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Marcel Boivin, université de Rouen, 1976, multigr.

285 Cf. Poirrier Philippe, « Politique culturelle et municipalité : un discours explicite ? L’exemple de Dijon (1919-1989) », Les cahiers de l’IHTP, 16, 1990, p. 11-40.

286 La Dépêche de Normandie, 21 avril 1935.

287 Journal de Rouen, 21 avril 1935.

288 Cf. Abirached Robert, « Des premières semailles aux premières réalisations. Les précurseurs : Jacques Copeau et sa famille », Abirached Robert (dir.), La Décentralisation théâtrale, t. 1 : Le premier âge 1945-1958, Arles, Actes-Sud, cahier n° 5, Théâtre-Éducation, p. 14-21 et Genet-Delacroix Marie-Claude, « La décentralisation artistique et culturelle sous la IIIe République (1870-1940) », Poirrier Philippe, RAB Sylvie, Reneau Serge et Vadelorge Loïc (dir.), Jalons pour l’histoire des politiques culturelles locales, Paris, ministère de la Culture, Comité d’histoire, Travaux et documents, n° 1, 1995, p. 31-50.

289 Les interventions culturelles de Raoul Brunon dans les années vingt démontrent justement le contraire (chapitre IV).

290 Un conseiller, Gaston Péona élu en 1935 est membre honoraire de la Société des artistes rouennais. Né en 1887 il exerce la profession de commerçant. Parmi les nouvelles figures du conseil de 1935 on trouve Ernest Petiteville, « sept fois lauréat de l’Académie de peinture de Rouen » (AMR, fichier biographique). Le terme énigmatique d’« Académie de peinture de Rouen » désigne vraisemblablement l’École régionale des beaux-arts voire le salon des Artistes rouennais.

291 Dont Jean Deflandre son vice-président. Né en 1873 Deflandre représente l’archétype du militant culturel de gauche. Ancien ouvrier typographe devenu maître-imprimeur, il présidera dans l’entre-deux-guerres l’harmonie l’Avenir du Prolétariat, sera président honoraire de l’école de la musique de la « Cipale » puis directeur honoraire de la maison de retraite Boieldieu, destinée à accueillir les anciens artistes du Théâtre des arts de Rouen.

292 Source : AMR, dossiers biographiques et ABMR, 92N Eugène Richard.

293 Conseiller municipal depuis 1925, Eugène Richard était aussi conseiller général du 4e canton de Rouen depuis 1928.

294 On se souvient ici que Pierre-Étienne Flandin tente en novembre 1934 de fonder, à partir de son parti, l’Alliance démocratique, une nouvelle coalition avec les radicaux, le Tiers Parti. Il préside un conseil d’union nationale de novembre 1934 à mai 1935. Cf. Berstein Serge, La France des années trente, Paris, Armand Colin, Cursus, 1988, p. 70.

295 Cf. Freulard Maryline, Le Front populaire à Rouen, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Marcel Boivin, université de Rouen, 1976, multigr., p. 69.

296 Cf. Berstein Serge, Histoire du parti radical, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1980-1982, 2 volumes.

297 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 janvier 1936.

298 ADSM, 4T140 et AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 janvier 1936.

299 ADSM, 4T140 et AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 octobre 1936.

300 AMR, 1M3, Victor Engler, s. d., 1936.

301 La Dépêche de Normandie, 8 juin 1936.

302 Présidée par Jean Longuet et Léon Jouhaux, l’Association participe à l’important déploiement festif et commémoratif propre au Front populaire. Sur cette question cf. Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, op. cit., p. 363 (théâtre) et p. 789 (fête). On sait par ailleurs que Jean Jaurès fut le personnage le plus représenté en statue de l’entre-deux-guerres (28 statues en France). Cf. Gardes Gilbert, Le monument public français, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1994, p. 77.

303 AMR, 1M3, Georges Métayer/Jean Longuet, 30 juillet 1937.

304 Évoquée dans la lettre de Georges Métayer à Longuet du 30 juillet, la « grande soirée Jaurès » du 31 juillet devait se dérouler dans le foyer du Théâtre des arts autour d’un buste de Jaurès et de divers souvenirs. Le déroulement de cette soirée et sa réalité effective demeurent problématiques. Ni le Journal de Rouen ni La Dépêche de Normandie, ni Rouen-Gazette ne mentionnent la commémoration, également ignorée des historiens du Théâtre des arts (Henri Geispitz, Robert Eude, Cécile Rose). Au-delà de cette énigme – la mauvaise foi du maire de Rouen n’est pas exclue ici – le silence de la presse en dit long sur l’impact local des manifestations frontistes, mal impulsées d’en haut ou mal relayées par la municipalité locale.

305 Cité par Freulard Maryline, Le Front populaire à Rouen, op. cit., IIIe partie.

306 La Dépêche de Normandie, 2-7 septembre 1936.

307 ABMR, casier correspondance-associations, dossier « Aéro-Club de Normandie », Louis Antier/Henri Labrosse, 28 janvier 1937.

308 AMR, 1I4, Auberge de jeunesse de Rouen

309 Journal de Rouen, 14 janvier 1937.

310 La Dépêche de Normandie, 14 janvier 1937.

311 Il est de loin le plus cité à l’index nominal de La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938 avec Léon Blum et Léo Lagrange ; voir plus précisément p. 145-147.

312 Journal de Rouen, 14 janvier 1937.

313 Il s’agit bien entendu d’un mouvement associatif qui n’a rien à voir avec les maisons de la culture du même nom instituées à partir de 1962 par André Malraux devenu ministre des Affaires culturelles.

314 Cf. Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, op. cit., p. 118-127.

315 Son existence même, attestée par Pascal Ory, nous a longtemps laissé sceptique jusqu’à la découverte par Mme Lebeltel d’une pièce d’archives l’authentifiant. L’analyse qui suit doit beaucoup à cette découverte d’avant dernière heure

316 AMR, 2R1, section rouennaise de l’Association des maisons de la culture de France, fiche de renseignement transmise par Georges Duchemin, secrétaire adjoint de l’association, s. d., octobre 1937.

317 AMR, 2R1, section rouennaise de l’Association des maisons de la culture de France, Georges Duchemin/maire de Rouen, 25 octobre 1937.

318 Ibidem. La source ne précise pas s’il s’agit de cours complémentaires donnés aux enfants ou de cours du soir donnés à un public d’adultes. Cette seconde option est la plus vraisemblable.

319 Les cinq sections rouennaises font piètre figure en face des neuf sections nantaises et des quinze sections lyonnaises à la même époque citées par Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, op. cit., p. 123. Il manque notamment à Rouen une section photographique, une section technique, une section architecture-décoration, une section camping et culture. La faible place de la musique, associée de surcroît au Théâtre montre clairement le refus local de ce type d’institution culturelle généraliste.

320 Ibid., p. 119.

321 4 petite rue Saint-Lô, dans l’hyper-centre.

322 AMR, 2R1, section rouennaise de l’Association des maisons de la culture de France, fiche de renseignement transmise par Georges Duchemin, secrétaire adjoint de l’association, s. d., octobre 1937.

323 AMR, 2R5, René Millot/Georges Duchemin, 26 mai 1937 et 9 juin 1937. Georges Métayer acceptera néanmoins de présider au vernissage.

324 AMR, 2R5, Georges Duchemin/René Millot, 24 mai 1937.

325 Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, op. cit., p. 776-787.

326 Richez Jean-Claude et Strauss Léon, « Un temps nouveau pour les ouvriers : Les congés payés (1930-1960) », Corbin Alain (dir.), L’avènement des loisirs 1850-1960, Paris, Aubier, 1995, p. 404.

327 Les archives disponibles ne mentionnent pas cette affiliation au Centre laïque des auberges de jeunesse, lui-même participant au Rassemblement populaire mais la composition du bureau ne laisse guère planer de doute.

328 Annuaire de Rouen, 1938.

329 Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, op. cit., p. 787.

330 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 juillet 1936.

331 Ibidem.

332 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 28 janvier 1937.

333 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 décembre 1937.

334 AMR, 1I4, fête de la jeunesse, note du 2 juillet 1936 à l’usage du ministre de l’Éducation nationale.

335 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 26 novembre 1936.

336 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 27 mai 1937 et du 5 mai 1938.

337 La Dépêche de Normandie, 14 juin 1920.

338 La Dépêche de Normandie, 23 juin 1924.

339 La Dépêche de Normandie, 4 juin 1928.

340 AMR, 1I4, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 5 juillet 1936.

341 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 13 juin 1937.

342 AMR, 1I4, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 5 juillet 1936.

343 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 28 juin 1936.

344 La crise économique interdit cependant de parler d’une démocratisation touristique pour cette époque. Les voyages de la fin des années trente ne rassemblent qu’une cinquantaine de personnes, lors même que ceux organisés au début de la décennie en comptaient près de 400. Chiffres donnés par Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, dossier « Associations », SPED, historique de Benard Serge, 1982, sp.

345 Cité dans Germain Fanny, Municipalité et associations : acteurs de la vie culturelle d’Oissel. 1900-1981, Rouen, mémoire de maîtrise, dir. Olivier Dumoulin et Loïc Vadelorge, université de Rouen, 1999, p. 59.

346 Pour deux raisons complémentaires : stagnation en francs constants et augmentation du nombre d’associations subventionnées, qui diminuent la taille des parts du gâteau.

347 Ibidem, p. 28-30.

348 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 30 juillet 1935.

349 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 5 mars 1937.

350 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 31 mai 1937.

351 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 11 octobre 1935.

352 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 15 octobre 1935.

353 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 5 mars 1937.

354 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 15 octobre 1935.

355 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 24 novembre 1936.

356 Ibidem.

357 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 28 décembre 1936.

358 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 30 décembre 1937.

359 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 13 mars 1939.

360 Ponsard Nathalie, Lectures ouvrières à Saint-Étienne-de-Rouvray, des années trente à nos jours, thèse de doctorat d’histoire, EHESS, dir. Roger Chartier, 1999, 3 tomes.

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