1Les années 2000 pourraient bien, dans quelques années, être reconnues, comme le moment où est née une école privée musulmane française sous contrat d’association. Il ne s’agit pas ici de traiter des écoles coraniques qui dispensent non un enseignement scolaire, mais un enseignement religieux2. Il ne s’agit pas non plus de traiter de l’enseignement dans les familles, autorisé par la loi et pour lequel des associations musulmanes formulent des recommandations. Il ne s’agit pas davantage de prendre en compte les crèches islamistes3. Il ne s’agit pas non plus de la mise en place des écoles du week-end, comme par exemple l’école El Amel à Aulnay-sous-Bois dont l’objectif est essentiellement l’apprentissage de la langue arabe et de la culture religieuse. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Il s’agit bien de création d’établissements scolaires au sens ordinaire du terme, avec toutes les contraintes inhérentes à un tel projet en matière d’hygiène, d’architecture, de recrutement de personnel et de contenu d’enseignement, de respect de la laïcité, dans le cadre des lois Goblet, Falloux, Dupanloup et Astier, Debré et plus largement des articles L 151-1 à L 151-6 du code de l’Éducation : désormais, en 2010, onze établissements autorisés sont en fonctionnement, deux étant sous contrat d’association.

2Certes, outre-mer, il existe depuis 1970 un établissement sous contrat simple à l’île de la Réunion. L’école franco-musulmane de Saint-Denis – la Médersa Taalim oul-Islam –, fondée en 19474. Elle est depuis 1990 sous contrat d’association. L’école qui comprend cinq institutrices aidées de cinq assistantes en maternelle dispose de trois classes maternelles et de deux classes primaires. Elle est fréquentée par environ 130 élèves. Ceux de confession musulmane peuvent bénéficier, à titre facultatif, de l’enseignement religieux en fin de journée, après 15h30.

3Toutefois, cette école a été jusqu’à une date récente une sorte d’hapax : seule de son espèce, elle répondait à un contexte spécifique et à une situation locale propre à l’île, proche des Comores où la population de religion musulmane est majoritaire. On trouve de ce fait à Mayotte (partie des Comores, restée française sous la dénomination de collectivité territoriale de la République française) une situation particulière : les enfants suivent le matin les cours de l’école coranique en swahili et poursuivent l’après-midi à l’école communale française – en revanche, il n’y a pas, là-bas, d’école privée musulmane.

4Désormais, il s’agit d’autre chose : en France métropolitaine, des établissements de confession musulmane ouvrent leurs portes. Le premier à Aubervillers, en septembre 2001, le second à Lille en 2003. C’est celui-là même qui en 2008 est devenu le premier lycée musulman sous contrat d’association conduisant 100 % de ses élèves au baccalauréat. Bref, le paysage éducatif change : une quatrième confession, certes minoritaire, mais en ascendance, parce que jeune, s’inscrit après les catholiques, les protestants5, les juifs, dans le paysage éducatif des établissements privés qui entendent construire une relation de partenariat avec l’État. Le mouvement a commencé timidement au début des années 2000, a légèrement cru à la fin de la décennie – création de sept établissements contre trois dans la période précédente (si l’on met à part le cas de La Réunion, plus ancien).

5Trois points seront l’objet de l’analyse de ce présent chapitre : un rappel du contexte, un état des lieux, un essai d’analyse de cette réorganisation, encore fort modeste, mais réelle, du paysage éducatif de l’enseignement privé en France.

Un contexte idéologiquement chargé

6Jusqu’au début des années 2000 et, il faut le dire, statistiquement, jusqu’à aujourd’hui encore, les enfants de confession musulmane fréquentent d’abord très massivement l’école publique, puis secondairement les écoles privées catholiques sous contrat6. Une étude de Michel Soëtard et Georges Diouf a pu montrer que les établissements catholiques concernés réagissaient de façon différente quant à l’intégration des élèves musulmans : soit en affirmant la catholicité, soit en appliquant une pédagogie culturelle à visée humaniste ou en appelant à l’ouverture spirituelle par le dialogue interreligieux7. Les organisations sous l’obédience du Maroc, telle la Fédération nationale des musulmans de France, préfère toutefois un accueil dans les établissements publics.

7De fait, eu égard aux chiffres disponibles par les établissements de confession musulmane eux-mêmes, dans les onze établissements concernés, on ne dépasse pas les 1 100 élèves scolarisés… c’est bien peu, eu égard au nombre de pratiquants évalués à 2,1 millions8, selon une enquête récente de l’INED. C’est peu, incontestablement, mais, ce qui est nouveau, c’est l’existence du phénomène, certes ultra-minoritaire, et du tournant qu’il manifeste. On ne saurait le réduire, pour autant, à une manifestation d’ordre religieux, même si cet aspect des choses est fondamental.

8La France, vieille nation colonisatrice, n’en finit pas de régler son contentieux avec ses anciennes colonies et à régler « le traumatisme de la guerre sans nom » pour reprendre le titre d’un ouvrage de Patrick Rotman et Bertrand Tavernier9 et éprouve les plus grandes difficultés à prendre en charge « la question musulmane » alors même que des revendications identitaires se font jour dans les communautés musulmanes depuis les années 1980. À tort ou à raison, certains ont l’impression que la France ne prend pas en compte de façon égalitaire la culture musulmane par la construction suffisante de lieux de culte10 ou la reconnaissance de l’organisation du culte, d’où la volonté, parmi les plus identitaires des religieux, de s’inscrire visiblement dans l’espace public : port du voile (sous des formes de plus en plus intégrales), construction de minarets (afin de rendre visible les mosquées), pratique de plus en plus explicite et publique du ramadan, etc. La loi sur le voile a, semble-t-il, joué un rôle non négligeable, si l’on croit la chronologie de l’ouverture des établissements (sept à la fin de la décennie). Il nous faut y revenir.

La loi sur le voile et la volonté de préserver un environnement religieux

9Depuis les premières revendications identitaires de 198911, dans le domaine éducatif, après diverses réglementations sur lesquelles, il n’est pas possible de revenir ici, on aboutira à des réactions qui conduiront, en particulier au vote consensuel de la loi du 15 mars 2004 « relative à l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics ». Cette loi ne sera pas sans conséquence sur la création d’établissements musulmans.

10La loi repose sur le principe constitutionnel de laïcité. Il est précisé deux choses. D’une part que ce principe est l’un des fondements de l’école publique, d’autre part qu’il se définit de la manière suivante : le respect de la liberté de conscience, l’affirmation de valeurs communes. Il s’agit ainsi de rendre possible le mariage du singulier et de l’universel. C’est une manière de décliner la devise républicaine : liberté, égalité et fraternité et de protéger l’école des revendications communautaires.

11Reste néanmoins à concilier ce principe avec la liberté de conscience : la réponse est la neutralité du service public. Par neutralité, il faut entendre le refus de toute pression d’ordre religieux sur la conscience des enfants. Cela ne remet pas en cause le droit dont disposent les parents de donner une instruction religieuse à leurs enfants, dans les conditions prévues par la loi. La neutralité, ce n’est pas non plus la passivité devant les discriminations de toutes sortes. La laïcité suppose aussi l’apprentissage de la connaissance d’autrui, de sa culture et donc en particulier du fait religieux.

12La loi interdit donc tout signe ou tenue qui entraîne une reconnaissance immédiate de l’appartenance religieuse : elle n’interdit pas de porter des signes discrets, mais interdit explicitement tout signe ostensible. Trois signes sont indiqués comme relevant de l’interdit : le voile islamique, la kippa ou une croix de dimension excessive. Par ailleurs, l’obligation d’assiduité à tous les cours doit être respectée, même si des dispenses sont admises lors de certaines fêtes religieuses. La loi concerne l’ensemble des établissements publics des premier et second degrés, y compris les classes post-baccalauréat. Elle ne concerne pas les agents publics qui ne peuvent porter aucun signe d’appartenance religieux, même discret, ni manifester leur opposition ou leur adhésion personnelle, mais ne concerne pas les parents d’élèves.

13On le sait : la loi a été faite essentiellement parce qu’il y a eu débat autour du voile et non sur les deux autres signes religieux – croix et kippa. Cela n’a pas été sans conséquence sur la création d’établissements privés d’autant, qu’au nom du caractère propre, ils ne sont pas soumis à cette loi : certains, dans les projets qu’ils défendent, le disent d’ailleurs explicitement et font état de cette généalogie. C’est le cas, par exemple, du collège musulman Alif de Toulouse dont la création a été explicitement prévue pour permettre à des filles « exclues du système public de suivre un enseignement de qualité, tout en respectant leurs convictions religieuses ». Ainsi, dans le projet de création d’une école musulmane à Nancy, un des fondateurs précise que « l’interdiction du voile à l’école a été un mal pour un bien. Même si elle ne s’est pas faite sans douleur, elle a permis aux musulmans de prendre conscience de l’importance de disposer d’un système éducatif alternatif à l’Éducation nationale et ainsi préserver nos enfants12 ». Et de conclure : « L’enseignement religieux et la langue arabe constituent la raison d’être de ce projet, il est important de donner à nos enfants dès leur jeune âge les valeurs de l’Islam, l’apprentissage de l’aquida [croyance], l’apprentissage du Coran et de la langue arabe leur permettant d’ouvrir les portes du savoir. » Il s’agit donc clairement, là, d’un projet confessionnel.

La question de la langue

14Il est une question qui intervient dans ce contexte, alors même qu’il est souvent mis en arrière-plan et oublié. C’est l’apprentissage de la langue, en particulier de l’arabe : or, à la différence du chinois, la pratique de la langue arabe n’est pas à la mode dans les établissements publics – à peine 7000 lycéens et collégiens l’étudient en 2010 (30 000 pour le chinois), soit deux fois moins que dans les années 1970. Bref, on laisse désormais cet apprentissage aux mosquées, après l’avoir laissé, dans ces mêmes années 1970, d’abord entre les mains des Écoles en langue et culture d’origine – ELCO, c’est-à-dire des cours professés par des instituteurs des pays d’origine, sans véritable contrôle du Gouvernement français quant aux contenus dispensés13. Or, aujourd’hui, souvent les projets d’établissements privés sont issus des mosquées et offrent l’arabe comme seconde langue. Tous proposent un tel enseignement et insistent très fortement sur la nécessité de cet apprentissage, la plupart du temps comme seconde langue vivante. Bien souvent il est indiqué que la culture musulmane sera également enseignée.

Différenciation sociale et volonté de réussite

15Dernier aspect qui n’est pas le moindre et que souligne avec force Bernard Toulemonde14 et qu’avait également souligné Gabriel Langouët15 : une volonté de différenciation sociale de certaines familles qui ne souhaitent plus mettre leurs enfants dans des établissements publics car ils ne leur paraissent plus à la hauteur des ambitions sociales qu’ils ont pour leurs enfants.

16Significative à cet égard est l’appellation de l’un de ces établissements : « Collège La Réussite16 ». Tout un symbole : il s’agit bien là de trouver des établissements où l’excellence, la sécurité, la volonté de réussite, voire un certain conservatisme pédagogique sont mis en exergue. Le lycée AL Kindi porte significativement le nom d’un grand philosophe musulman de l’époque médiévale et le fondateur insiste sur la volonté de réussite scolaire des élèves, organisant même des stages intensifs de préparation aux examens pendant les vacances. Les valeurs revendiquées par l’établissement et mises en exergue ? Héritage, endurance et succès. Le lycée d’Aubervilliers n’hésite pas, pour sa part, à souligner qu’il vise d’abord les résultats scolaires avant la religion. Quant au lycée sous contrat Averroès, il précise que son projet éducatif peut se résumer en un seul mot : « réussite ». Et ce d’un triple point de vue : « réussite scolaire en conjuguant la rigueur, la qualité de l’enseignement et le goût de l’effort ; réussite de l’orientation et de la préparation du projet professionnel ; réussite citoyenne et spirituelle fruit d’une ouverture sur son environnement, d’une découverte des valeurs musulmanes et d’un développement harmonieux prenant en compte toutes les dimensions de la personne ».

17Bien entendu, compte tenu des frais de scolarité (1500 à 4500 € selon les établissements par an), cela conduit de fait à un « entre-soi » social qui n’a rien à envier à certains établissements privés ou publics17. Beaucoup d’établissements offrent par ailleurs des cours de soutien scolaire, d’apprentissage de la langue arabe, voire de calligraphie, ou de formation de cadres associatifs (lycée AL Kindi) et parfois ce sont ses cours qui ont été à l’origine de la création de l’établissement – c’est le cas, en particulier de l’établissement Éduc’Active.

18Il y a donc bien là encore des raisons culturelles profondes que l’on ne saurait négliger, sauf à ne pas comprendre réellement le phénomène. Ces établissements ne se limitent donc pas à l’accueil des jeunes filles voilées, même s’ils en accueillent et parfois le revendiquent avec force, bien entendu et si la cause occasionnelle de la création de l’établissement de Lille a été l’expulsion de 19 jeunes filles voilées du lycée Faidherbe à Lille. Le lycée Al-Kindi de Décines dont l’ouverture fut fort controversée18 paraît, à lui seul rassembler, les ambitions de tels établissements : « Les dysfonctionnements pédagogiques, la baisse du niveau de l’éducation, la violence à l’école, l’absence d’alternative pédagogique privée née de la communauté musulmane, les effets de l’application abusive de la loi du 15 mars 2004, le décalage entre les diplômes et les réalités du monde du travail sont les éléments qui ont guidé les fondateurs de l’établissement19. » Il y a donc bien, à côté d’autres raisons, une affirmation religieuse souvent hautement revendiquée qui doit rendre, de fait, assez difficile l’accès de ces établissements à des non musulmans, même si les cours de religion sont dans presque tous les établissements facultatifs.

Une structuration nationale en construction

19À la différence de l’enseignement catholique qui, au bout de cinquante ans, il est vrai, a réussi à se doter d’une véritable organisation nationale relativement coordonnée, il n’en va pas ainsi pour les établissements musulmans, du moins encore pour le moment. La plupart en sont d’abord au balbutiement, ils sont révélateurs d’initiatives associatives foisonnantes, non réellement coordonnées, même si les mosquées jouent un rôle non négligeable et si l’organisation progresse rapidement. On peut tenter une typologie de ces établissements :

20Établissements issus d’une mosquée : il s’agit d’un projet créé par une communauté autour d’une mosquée. L’école est l’aboutissement du projet d’ensemble, un peu comme l’on avait jadis, dans l’Église catholique, par exemple, le « groupe paroissial », on dispose dans le cas présent d’un ensemble intégré. L’établissement scolaire lui-même est la plupart du temps à l’intérieur de l’enceinte de la mosquée. Toutefois, une telle situation n’est pas sans poser quelques difficultés eu égard au principe de laïcité et n’incite guère à l’accueil de non-musulmans : c’est ce qu’ont compris les responsables du lycée de Lille qui ont finalement quitté les locaux trop connotés religieusement lors de la passation du contrat d’association. Toutefois, on retrouve des courants variés au sein même des mosquées, ce qui donne une orientation aux établissements qui peut être sensiblement différente

21Les mosquées influencées par l’UOIF – union des organisations islamistes de France – à l’Islam conservateur, organisation hégémonique, proche de la ligue islamique mondiale et des Frères musulmans, ont une volonté d’ancrage dans la société française. Ils sont ainsi directement à l’initiative des établissements scolaires Averroès de Lille, Al Kindi de Lyon, de Toulouse, par exemple. C’est incontestablement le groupe dominant et qui souhaite unifier les pratiques en matière d’enseignement de l’Islam, du moins si l’on en croit son responsable à l’enseignement, Latifa Ait Taleb : « Ce projet d’enseignement de l’Islam s’inscrit dans une démarche qui vise à terme à unifier les programmes d’enseignement au sein des associations de l’UOIF ; et par là, à donner plus de visibilité unitaire de notre lecture de l’Islam et de ses textes fondateurs20. »

22Les mosquées sous l’égide de la Fédération nationale des musulmans de France, qui soutien le collège « la Réussite » d’Aubervillers. Elles sont minoritaires.

23Établissement directement issu d’une confrérie religieuse : c’est le cas du collège privé « Educ’Active » (Villeneuve-Saint-Georges) ouvert en septembre 2009. Il est sous la mouvance du penseur turc Fethullah Gülen, à la tête d’un réseau d’écoles implanté en Europe et dans le monde (2000 dans 110 pays) qui, selon la sociologue Nilüfer Göle, directrice de recherche à l’EHESS, est « le réseau musulman le plus puissant du monde21 ». C’est un mouvement conservateur, qui soutient l’actuel gouvernement turc du Premier ministre Erdogan. Cette mouvance prône le dialogue interreligieux, entretient des relations avec le monde intellectuel, en particulier avec la revue Esprit. L’école ouverte en France est le résultat d’un projet qui date de 2006 et a commencé par l’organisation de cours de français et de langues étrangères avant d’aboutir à la création d’un établissement scolaire dont le directeur… vient d’un collège catholique. La pédagogie pratiquée est traditionnelle : uniforme, discipline, contrôle étroit du travail des élèves. La volonté est de faire de cet établissement le meilleur du département en formant de bons citoyens. Pour ce faire, le projet pédagogique met l’accent sur une éducation multilingue, avec immersion en anglais, partenariat avec un collège anglais. Il favorise aussi l’éducation artistique et sportive et met l’accent sur le suivi personnalisé et une formation à la citoyenneté et à l’entraide (visite de maisons de retraite). Dans la présentation qu’il donne de lui-même (sur son site) rien ne renvoie à la culture musulmane, mais à une volonté d’excellence.

24La forme d’organisation la plus fréquente est donc l’association locale – ainsi, à Marseille, Le Rassemblement musulman pour la création des écoles (RMCE) fondé en 2001 tente de fédérer les initiatives locales et fait appel à souscription pour parvenir, à terme, à la création d’un lycée privé musulman : « L’objectif principal est d’aider la jeunesse musulmane à s’affirmer dans son identité religieuse dans un cadre ouvert à tous, tout en recevant un enseignement de qualité répondant avantageusement aux exigences de l’enseignement académique national. »

25Par ailleurs, indubitablement, l’UOIF essaie de plus en plus de fédérer l’ensemble en prenant différentes initiatives qui visent, toutes, à contrôler les créations d’établissement : elle dispose d’un responsable de l’enseignement, a créé un fonds de dotation AL-Kindi pour venir en aide aux projets de création d’établissement, a mis en place l’organisation de formation pour les porteurs de projets d’établissements grâce à la création de séminaire de formation dans le groupe scolaire Al-Kindi, véritable tête de pont de l’ensemble. Elle utilise aussi des techniques de marketing, fait appel aux dons, fait de la publicité et tient des stands lors de son rassemblement annuel au Bourget. Chefs d’entreprise, cadres, enseignants de l’Éducation nationale, responsables des mosquées sont les principaux maîtres d’œuvre de ces établissements dans les villes concernées. Par ailleurs, une formation religieuse et à la culture musulmane peut être assurée par l’Institut européen des sciences humaines (IESH) fondé par l’UOIF en 1992 à Saint-Léger-de-Fougeret (Nièvre) et dont une antenne a été ouverte en 2001 à Saint-Denis. Une formation des Imams est organisée par l’Institut catholique de Paris, après que plusieurs universités publiques aient refusé d’accéder à la demande22.

26Il semble que cela ne demeure pas sans effet : beaucoup d’établissements – il est malgré tout difficile de vérifier le bien-fondé de ces assertions – font état de demandes d’inscription qu’ils ne peuvent satisfaire. Par ailleurs, il semble qu’une dizaine de projets de création d’établissement plus ou moins avancés soient en cours : principalement dans la région parisienne – à La Courneuve, Pierrefitte, Saint-Quentin en Yveline, Montreuil, Argenteuil, Chelles, Corbeil, Vitry, Gonesse, mais également à Méru (Oise), à Marseille et à Nancy.

Établissements d’excellence ou établissements confessionnels ?

27Bien entendu, tant que la plupart des établissements ne sont pas régis par les règles du contrat d’association et dans la mesure où les règles de celui-ci sont respectées – mais on sait que l’État n’est pas toujours très regardant du côté de certains établissements du réseau juif, ni parfois du côté du réseau catholique dans un certain nombre de cas – il est difficile de se prononcer réellement et d’échapper aux interrogations.

28Il est vraisemblable que certains chefs d’établissements voudront faire du prosélytisme – les projets éducatifs annoncés sont parfois significatifs. Ainsi, le directeur de l’école Plume de Grenoble explique clairement que « l’école fut créée dans le dessein d’apporter à l’enfant un enseignement complet permettant le développement de sa personnalité, son intelligence et sa foi ». Il en va de même à Toulouse. On est là dans un projet confessionnel.

29Toutefois la réalité financière et le fragile équilibre des établissements risquent vite de rappeler le principe de réalité : ainsi le collège-lycée d’Aubervillers a dû un temps fermer ses classes de premières et de terminales, faute d’élèves, avant finalement de les rouvrir. Il connaît de façon répétée, mais il n’est pas le seul, des problèmes financiers, au risque de menacer sa survie. Véritable problème récurrent qui semble ralentir considérablement le développement de tels établissements qui ne sont que onze depuis une dizaine d’années : ce qui est très peu23 dont deux seulement ont franchi le seuil de la contractualisation. Comme le souligne Walid Mebarek, « l’enseignement privé catholique, solidement implanté depuis la fin du XIX^e siècle occupe la première place avec des milliers d’établissements privés catholiques. Les écoles juives sont au nombre de moins de 300. L’enseignement musulman, loin derrière, n’en est qu’à ses balbutiements, il devra faire face à un autre cas… d’école : la réalité économique de la rentabilité24 ». La raison en est assez facile à comprendre : les associations musulmanes sont relativement démunies financièrement, elles n’ont pas, jusqu’à présent, nécessairement la volonté de se distinguer et de s’isoler de la nation française à laquelle elle souhaite s’intégrer, même si des revendications identitaires, encore minoritaires se font désormais sentir et si semble-t-il quelques aides peuvent venir de l’extérieur.

30L’interrogation principale porte évidement sur l’orientation qui sera donnée à ces établissements : établissement confessionnel, offrant le programme de l’Éducation nationale (tous le proclament), mais ouvert à une élite de musulmans qui fuient les écoles publiques et qui veulent un entre soi religieux : en ce cas, ces établissements seront des établissements communautaristes, peu ouverts sur l’extérieur et peu susceptibles d’accéder au contrat d’association, proches des écoles évangéliques protestantes, juives ou des écoles hors contrat catholiques. Elles seront de par leur coût réservées à une élite sociale. Il s’agit d’une position identitaire forte, mais repliée sur elle-même, au fond assez craintive par rapport au monde sécularisé dans lequel nous vivons. On retrouvera, bien entendu, là un accueil privilégié fait aux jeunes filles voilées.

31L’autre solution est de faire le choix d’une école qui, sur le modèle des écoles catholiques sous contrat, accepte en son sein de s’ouvrir à d’autres cultures, à partir certes d’une structure religieuse musulmane, mais en acceptant le principe de laïcité – c’est la condition même de l’entrée sous contrat d’association, c’est faire le choix aussi de l’échange culturel, de la confrontation avec la diversité de conceptions du monde, mettant en valeur la richesse de l’apport de la culture ou des cultures musulmanes, en acceptant le dialogue avec la modernité, les autres confessions et l’absence de religion : cela suppose une réflexion et une ouverture que certains n’ont pas encore nécessairement l’habitude de pratiquer. C’est, en tout cas, éviter de transformer ces établissements en refuge pour élite musulmane et se situer plutôt dans une perspective d’intégration. C’est la position adoptée par le président de l’association gestionnaire du lycée Averroès de Lille : ce dernier a précisé, en effet, lorsqu’il a été auditionné par la commission Debré en 2003, que le lycée « ne s’inscrit pas dans une logique d’alternative pour les jeunes filles voulant porter le voile. […] Nous essayons, au travers de cet établissement et de la mosquée de Lille, de comprendre la présence musulmane dans notre pays et d’accompagner cette mutation, ses transformations vers son intégration et sa sédentarisation dans notre pays25 ». De fait, le projet éducatif de l’établissement tel qu’il figure sur la brochure de présentation ne se présente pas comme un établissement confessionnel :

« L’élève est au cœur du projet éducatif. Ce projet peut être résumé en un seul mot “RÉUSSITE”. La réussite à Averroès se traduit par : Réussite scolaire en conjuguant la rigueur, la qualité de l’enseignement et le goût de l’effort ; Réussite de l’orientation et de la préparation du projet professionnel ; Réussite citoyenne et spirituelle fruit d’une ouverture sur son environnement, d’une découverte des valeurs musulmanes et d’un développement harmonieux prenant en compte toutes les dimensions de la personne. »

32Le choix du nom d’Averroès ne doit, bien entendu, rien au hasard : c’est le symbole de la rencontre fructueuse entre l’Islam et l’Europe et de sa très grande influence sur le monde occidental. Il s’agit donc bien d’un projet culturel qui peut ainsi se situer soit dans la perspective d’une conquête culturelle soit d’une greffe de l’héritage culturel musulman au sein de la société française. On ne serait pas loin, en changeant ce qui doit être changé, des établissements franco-musulmans, tel le célèbre lycée Sadiki de Tunis où l’on initiait à la langue et à la culture arabes26.

33On pourrait enfin envisager tout simplement, sans créer d’établissements sous contrat, une pleine utilisation de la loi Debré dans l’enseignement public, par la création d’aumônerie à l’intérieur des établissements scolaires.

Conclusion

34Depuis 2001, onze établissements effectivement créés scolarisant environ 1 100 élèves dont 270 sous contrat et, il y a autant semble-t-il de projets connus dont certains devraient aboutir dans les années à venir. On ne peut pas dire que l’on assiste, contrairement à ce que parfois l’on avance, à un mouvement de fond. Il y a certes des créations, celles-ci sont encore timides, modestes et fragiles ; elles hésitent entre une perspective strictement confessionnelle et une volonté d’intégration à la nation française. Pour ce faire, la réglementation du contrat d’association permet par sa souplesse de prendre en compte l’apport d’une tradition bimillénaire dans le respect des exigences de la laïcité française qui interdit l’enfermement dans une école confessionnelle. C’est à ce prix que la greffe prendra éventuellement. En effet, si les établissements publics et privés existants se montrent incapables de prendre réellement en compte l’apport des cultures musulmanes, ces établissements pourront alors apporter une part d’originalité au système éducatif français. Dans le cas inverse, le risque est grand d’une ghettoïsation et d’un enfermement dans un entre soi culturel et confessionnel qui n’enrichira personne mais creusera, au contraire, le fossé de l’incompréhension.