Rouen sous la IIIe République
|Première partie. L'affirmation du fait culturel
Chapitre III. Les autres modes de prise en charge de la culture : la culture comme enjeu économique
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FranceTexte intégral
- 1 Benhamou Françoise, L’économie de la culture, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 1996.
- 2 Chartier Roger et Martin Henri-Jean (dir.), Le temps des éditeurs. Du Romantisme à la Belle Époque (...)
1Comprendre la manière dont se structure un espace culturel local, c’est aussi s’interroger sur ses dimensions économiques. Il s’agira ici à la fois de mesurer la place que tient la culture dans l’économie locale et d’évaluer la place du local dans l’économie générale. Deux pièges sont ici tendus à l’analyse historique. Le premier consiste à dénier aux affaires culturelles toute réalité économique avant l’ère des masses, qui caractérise le second xxe siècle. Pour de nombreux analystes, la culture reste jusqu’aux années Soixante une affaire d’esprits fins et d’artisans. L’économie de la culture est une discipline du temps présent, du moins en France1. On sait pourtant que certains secteurs culturels comme la presse ou l’édition sont entrés dans la production de masse dès le milieu du xixe siècle2. Le lien entre culture et technique (photographie, cinématographe, radio-diffusion) ne cesse de se renforcer au xixe siècle. C’est dire que les relations entre économie et culture ne sont pas négligeables sous la IIIe République.
- 3 Discours de M. Taulier, maire de Grenoble en 1850, cité par Daigle Jean-Guy, « La culture en parta (...)
- 4 Thiesse Anne-Marie, Écrire la France, Le mouvement littéraire régionaliste de langue française ent (...)
2Le second piège est de prendre pour argent comptant le discours convenu sur l’incurie culturelle de la province. À première vue en effet, les affaires culturelles locales se déploient dans un cadre modeste, volontiers nombriliste et se satisfaisant de son absence de notoriété. Tout porte à croire que la IIIe République renforce la dichotomie entre la capitale, seul lieu de consécration culturelle, et la province. Vers 1850 déjà, le premier magistrat de Grenoble s’étonnait d’ailleurs qu’« avec une naïveté étrange, la province accepte tout ce que Paris lui envoie, elle ne juge pas, elle admire sur parole3 ». Pourtant là encore, on ne saurait sous-estimer le cadre culturel local, qui à bien des égards apparaît comme un espace de réserves, susceptibles d’absorber un trop plein culturel, comme l’analyse de la production littéraire régionaliste l’a bien montré4.
3La question de l’économie culturelle locale est donc complexe et peut être divisée en trois problèmes complémentaires. Premièrement, quel est le poids économique de la culture à l’échelle locale ? Deuxièmement, en quoi la vie culturelle est-elle affectée par les mouvements économiques (crise, croissance, inflation) ? Troisièmement quelle est la place du local dans l’économie culturelle générale ? Ces questions on le voit ne peuvent qu’être approchées par l’historien, qui ne dispose pas de sources statistiques fiables avant les années soixante. Néanmoins, en croisant la totalité des sources on pressent l’importance de l’économie dans la production et la diffusion des biens symboliques.
Le poids économique de la culture
4La culture locale ne représente pas seulement un « supplément d’âme », indispensable aux loisirs éthérés d’une bonne bourgeoisie. Car lire, écouter, regarder, bref consommer des produits culturels, suppose en amont une armature économique. À l’instar de la vie culturelle nationale, qui a généré au xixe siècle un marché de l’art et plus généralement de la culture, la province entretient une gamme complète de métiers liés à la culture. L’histoire en est généralement peu connue pour deux raisons. D’une part, à la différence du secteur public, les industries et les artisanats de la culture ne déposent pas d’archives. D’autre part, la dimension économique de la culture est jugée secondaire par ceux qui, critiques, historiens, artistes, la produisent. Le détour par l’économie est cependant riche de sens. Il révèle l’étendue du secteur culturel local et sa constante expansion sous la IIIe République.
La place des « métiers » culturels : enseignement artistique, artisanat d’art, édition
5Le terme de « métier », appliqué aux professions culturelles sous la IIIe République est à la fois bien et mal choisi. S’il y a en effet incontestablement un anachronisme à évoquer une « professionnalisation » des arts à cette époque, on ne saurait en revanche négliger l’intégration de la culture à la vie économique locale. Le détour par l’économie, loin de diluer la réalité de la vie culturelle rouennaise, nous permet d’en préciser le sens. À cet égard, les annuaires constituent une bonne source pour analyser le système de représentation de l’époque. La culture ne constitue pas une catégorie en soit, même si les métiers qui lui sont objectivement liés (cours particuliers, fabrication d’instruments de musique, librairies, imprimeries, etc.) sont clairement identifiés et regroupés dans la présentation des annuaires. Les frontières entre l’art, l’artisanat d’art et l’industrie sont floues. Qu’on prenne par exemple le secteur de la gravure. Les annuaires distinguent ou réunissent selon les années, la gravure « d’images, estampes, tableaux, antiquités », la gravure « sur bois », la gravure « sur métaux », de la gravure « sur cylindres ». C’est dire qu’à la différence avec notre époque, les hommes de la IIIe République ne séparent pas l’activité intellectuelle de l’activité de production et que le mot « art » s’entend couramment au sens de « tour de main ». Présenter un graveur, un dessinateur ou un doreur comme un « artiste », c’est reconnaître qu’il maîtrise « sur le bout des doigts » son « art », c’est-à-dire son métier. Du même coup, les critères d’appréciation d’un dessin au fusain sont les mêmes que ceux qui concernent un dessin industriel.
- 5 Le chiffre est cité par Chaline Jean-Pierre, Une élite urbaine au xixe s. : les bourgeois de Rouen(...)
6Le monde de l’art dans une grande ville de province entre 1880 et 1940 ne saurait ainsi se limiter aux seuls artistes aujourd’hui reconnus par le marché de l’art. Si l’histoire de l’art identifie pour cette période et pour Rouen une vingtaine de noms (les principales figures de l’École de Rouen), l’histoire en recense beaucoup plus. Les Annuaires de Rouen comptabilisent ainsi un nombre d’artistes-peintres oscillant entre 24 (1914) et 41 (1939). Dans le même temps, on compte entre 10 et 20 professeurs de dessin et de peinture. On sait par ailleurs que la Société des artistes rouennais regroupait plus de 900 membres à la Belle Époque5. La contradiction apparente entre ces deux vérités, celle de l’histoire de l’art et celle de l’histoire tout court, pourrait être résolue en utilisant l’opposition entre l’artiste amateur ou occasionnel et l’artiste « professionnel ». Elle n’est cependant pas aussi valide que dans la capitale. À cette époque, le statut d’artiste vivant de son art en province est encore fragile.
- 6 Journal de Rouen, 4 février 1932. La maison Prouët était une maison d’ameublement, implantée à Rou (...)
- 7 Les Bonnes Nouvelles, 28 juillet-3 août 1959, p. 8-10.
- 8 Annuaire de Rouen et de la Seine-Inférieure, liste des commerçants de Rouen, 1868. Les appellation (...)
7Pierre le Trividic fournit un bon exemple de l’absence de frontières nettes au sein du microcosme artistique rouennais. Sa première exposition, à la galerie moderne en 1922, quoique remarquée, ne suffit pas à l’installer comme artiste peintre local. Il doit mettre son art au service de la presse locale pour survivre. On le trouve ainsi chroniqueur des audiences de la cour d’appel de Rouen pour La Dépêche de Normandie et portraitiste des célébrités théâtrales et littéraires pour Rouen-Gazette. Bien intégré au milieu artistique local, le peintre se fait bientôt illustrateur au service d’auteurs à succès comme Madeleine Chausson (À travers le pays de Caux), Marion Gilbert (Le berger et la mer), André Renaudin (Océanic Bar), Edward Montier (Les fontaines de Rouen) ou Jean de la Varende (Les contes sauvages). Progressivement le croquis l’emporta donc sur la peinture. Même trajectoire pour son aînée Juliette Billard (1889-1975). Première femme de France à être reçue dans la section d’architecture de l’École nationale des beaux-arts en 1914, Juliette Billard ne parvient cependant pas à vivre localement de son talent. Ses expositions de dessin de Rouen, chez Prouët en 19326, puis chez Legrip en 19377 ne lui apportent qu’un succès d’estime. De fait, c’est grâce à son réseau relationnel, ses amis radicaux-socialistes, l’éditeur Pierre-René Wolf, le directeur de la bibliothèque municipale Henri Labrosse, qu’elle pourra exercer son art, au prix d’une translation utilitaire. L’artiste devient en effet décoratrice, réalisant des murs d’école maternelle, dessinant pour le compte de la ville le cortège du Ve centenaire de la mort de Jeanne d’Arc ou illustrant, à partir de 1936, le livre d’or de la Ville de Rouen. Sans ces commandes publiques le « struggle for life8 » de cette femme artiste aurait été perdu d’avance.
8En ce sens, il est légitime d’intégrer – rétrospectivement – à l’analyse de l’économie culturelle, la sphère des « métiers d’art ». Les contours économiques ainsi dessinés laissent entrevoir un vaste secteur. Dès 1868, les annuaires de Rouen ne recensent pas moins de 40 métiers liés, de près ou de loin, à l’activité culturelle locale. Tous n’ont pas un poids équivalent.
- 9 Annuaire de Rouen et de la Seine-Inférieure, liste des commerçants de Rouen, 1868. Les appellation (...)
9La musique constitue un premier ensemble de professions, employant dès cette époque 8 accordeurs de piano, 68 professeurs indépendants, 6 luthiers et 5 marchands d’instruments et de partitions9, sans compter les musiciens et les choristes du Théâtre des arts et des diverses scènes locales. À la même date, le livre et plus largement l’imprimé, occupent 7 établissements d’affiches, 5 cabinets de lecture, 12 professeurs de langues étrangères, 17 professeurs de français, 2 écrivains publics, 12 imprimeurs, 20 imprimeurs-lithographes, 21 libraires, 5 bouquinistes, 12 relieurs. Un troisième secteur d’activité émerge autour de la production d’images. Il emploie 8 professeurs de dessin, 8 marchands de gravures, 17 artistes-peintres, 11 photographes professionnels, 9 statuaires, 4 peintres en vitrail. Un dernier secteur pourrait être identifié dès cette date de 1868, autour de la notion de loisirs. On y trouverait les 5 écoles de natation, 3 fabricants de billards, 15 marchands de jouets, 2 professeurs de danse et l’école de gymnastique que compte la ville. À ces quatre grands secteurs on pourrait aussi ajouter les architectes (41), les métiers liés au meuble ancien (6 antiquaires, 77 brocanteurs), les métiers liés au dessin industriel (6 dessinateurs en broderie, 13 dessinateurs pour indienne, 16 graveurs sur cylindres, métaux, bois, 1 peintre sur porcelaine) ainsi que les métiers d’art proprement dits (19 doreurs, argenteurs et encadreurs, 5 potiers d’étain) voire les 2 naturalistes, formés au Muséum d’histoire naturelle.
10Au total 511 adresses recensées dans l’Annuaire de 1868, dont certaines représentent des entreprises, donc un certain nombre d’employés. C’est dire que plus de trente ans avant l’adoption de la loi sur le droit d’auteurs (1902), la culture constitue déjà un secteur économique important à l’échelle d’une ville moyenne. Cette place ne va cesser de se renforcer. On compte en effet 496 adresses liées à la culture en 1883, 568 adresses en 1893, 679 en 1908, 715 en 1929.
- 10 Condemi Concetta, Les cafés-concerts. Histoire d’un divertissement (1849-1914), Paris, Quai Voltai (...)
11Cette croissance de l’économie culturelle locale s’explique d’abord par l’arrivée de nouvelles offres, liées à l’évolution générale de la société. Le développement de l’enseignement moderne génère ainsi l’apparition de professeurs indépendants de physique, de chimie et de mathématique. La diffusion des modes sportives engendre l’apparition de professeurs d’escrime, d’équitation et l’identification, à partir de la Belle Époque des premiers « magasins d’articles de sports » et des gymnases. Auxquels il faudrait ajouter, à partir des années 1900, les fabricants et diffuseurs de « vélocipèdes ». La mode des cafés-concerts10 et plus largement des divertissements collectifs (danses de salon, danses folkloriques) est à l’origine de la multiplication des salles de spectacle à partir de la Belle Époque ainsi que de l’apparition des premiers orchestres de salon. De même, la diffusion des techniques nouvelles dans le domaine de la reproduction du son, et de l’animation des images engendre immédiatement l’apparition de magasins de vente de phonographes (3 en 1908) ou de salles de cinéma. L’histoire du goût n’est pas en reste, qui témoigne de la perméabilité de la province aux nouveautés de l’époque. Ainsi l’orientalisme fin de siècle des romans de Pierre Loti et des intérieurs japonais, se traduit-il localement par l’apparition de deux magasins proposant des « articles d’orient, de chine et du Japon » à la Belle Époque.
12Le plus surprenant n’est cependant pas là. Si l’on observe en effet une croissance généralisée de l’offre culturelle c’est aussi que les secteurs traditionnels de l’économie culturelle comme l’enseignement particulier et des métiers d’art ne cessent de se renforcer.
13L’enseignement artistique témoigne de la croissance des besoins culturels locaux, entre les débuts de la IIIe République et la guerre de 1914 qui marque un premier apogée. L’éducation musicale (professeurs de piano, d’orgue, de violon pour l’essentiel, mais aussi professeurs de chant) constitue de loin le premier employeur culturel local. On comptait 68 professeurs de musique en 1868 ; ils seront 78 en 1883, 88 en 1893, 113 en 1908, 127 en 1914. Cette croissance régulière est ralentie par la guerre, mais repart nettement après guerre. On compte en effet 109 professeurs de musique et de chant en 1919, 124 dès 1925, 152 en 1935 et 146 en 1939. Cette liste de chiffres renvoie à plusieurs considérations. Elle témoigne tout d’abord de la vitalité d’une offre et sans doute d’une demande, insensibles aux crises économiques de 1873-1893 et de 1929-1939. Elle indique ensuite la hausse du niveau de vie des classes moyennes urbaines, hausse qui autorise une diffusion des pratiques artistiques, encore réservées à la bourgeoisie aux débuts de la IIIe République. Elle accompagne enfin une indéniable démocratisation des pratiques musicales, qui s’exprime dans la création d’écoles de musique associatives voire municipales.
14Cette situation exceptionnelle ne concerne pas tous les secteurs d’enseignement. Le dessin et la peinture observent une croissance modérée des débuts de la IIIe République (8 professeurs de dessin en 1883 comme en 1868) à la veille de la guerre de 14 (13 en 1893, 17 en 1908, 18 en 1914). En revanche l’entre-deux-guerres les voit décliner (12 en 1919, 9 en 1925, 7 en 1939). Cette situation renvoie, on le verra, à l’importance de la crise économique des années trente dans ce secteur. Elle s’explique aussi par l’existence d’écoles de dessin à Rouen et à Sotteville, qui pouvaient en partie répondre à la demande de formation dès la Belle Époque.
- 11 Albertini Pierre, L’École en France xixe-xxe siècle, de la maternelle à l’université, Paris, Hache (...)
15Si l’on se place enfin du point de vue de l’enseignement général (professeurs de français, de langues étrangères, de matières scientifiques, de comptabilité ou et de sténographie), on constate que l’expansion amorcée dans les années 1890 (36 professeurs au total en 1883, 69 en 1893) était sans doute disproportionnée par rapport aux besoins réels. La décrue commence dès la Belle Époque (58 professeurs en 1908) et se confirme dans l’entre-deux-guerres (40 professeurs en 1929). L’interprétation du mouvement est plus délicate. Elle confirme l’insuffisance de la démocratisation de l’enseignement « moderne » et du secondaire sous la IIIe République11. Mais elle peut aussi s’expliquer par les progrès du primaire supérieur et de l’enseignement technique en général (collège Marcel Sembat à Sotteville-lès-Rouen notamment), qui prennent en charge, surtout à partir des années vingt, un nombre croissant d’élèves.
16Les métiers d’art forment un autre secteur dynamique. Directement issu du monde des corporations médiévales, l’artisanat artistique ne fléchit pas à l’heure de l’industrialisation. Les métiers liés au dessin, à la gravure, à la sculpture, à la dorure, à l’encadrement ou au fer forgé se maintiennent ou se développent, témoignant d’une demande soutenue qui émane à la fois de la bourgeoisie traditionnelle et des classes moyennes en expansion (cadres du chemin de fer, du port, des sociétés d’assurance, employés de l’administration). À l’arrivée du célèbre ferronnier Marrou à Rouen en 1863, on ne comptait aucun « ferronnier d’art ». Ils seront 4 en 1908 et 5 en 1929.
- 12 Benoit-Cattin Renaud et Verdier Hélène, Ferdinand Marrou ferronnier. Itinéraires du Patrimoine, 6, (...)
17Ferdinand Marrou est surtout connu pour ses interventions sur les principaux monuments de Rouen. Son atelier, qui put réunir jusqu’à 16 compagnons12, réalise les quatre pinacles de cuivre et le coq qui achèvent la flèche de la cathédrale de Rouen (1875-1882), le clocher de Saint-Romain (1877) puis la ligne de faîtage et le couronnement de l’extension du Palais de justice (1880-1884), le décor du toit du Gros-Horloge (1892) et l’épi de faîtage de la tour Jeanne-d’Arc. Certaines communes de banlieue conservent des œuvres plus modestes, comme les épis en zinc de l’asile de quatre Mares (Sotteville-lès-Rouen), le décor en zinc du château d’Oissel, le campanile de la chapelle du Petit-Essart à Grand-Couronne, la grille du monument aux morts de Darnétal. Les réalisations de Marrou sur le site de Bonsecours (archange Saint-Michel surmontant le campanile du monument à Jeanne d’Arc en 1892, fonts baptismaux de la basilique Notre-Dame en 1886) n’ont cependant rien à envier aux réalisations rouennaises.
18Au demeurant, l’œuvre de l’atelier Marrou ne se limite pas au décor des monuments historiques. Son art servit amplement les besoins de la bourgeoisie locale, en quête de distinction. C’est un grand mécène rouennais, l’industriel François Depeaux, qui fait venir Marrou de Paris et l’aide à s’installer à Rouen. Parallèlement aux commandes publiques, Marrou réalise, en association avec des dessinateurs ou des sculpteurs des décors privés (grilles, impostes, balcons ouvragés, rampes), des tombeaux voire de petits objets décoratifs (cadres, luminaires). Si la commande la plus importante concerne Fécamp (distillerie de la Bénédictine pour le compte de son directeur Alexandre Legrand), certaines œuvres de Marrou sont aujourd’hui visibles dans l’agglomération rouennaise, à l’instar du puits de la maison d’Albert Lambert à la Bouille.
- 13 Lejard Alice et Wilfrid, Canteleu. Regards sur le passé, Canteleu, Edip, 1989 et Alexandre Alain, (...)
19Marrou lui-même ne négligea pas de mettre son art en valeur. Les façades de sa maison de la rue Verte et de son atelier de la rue Saint-Romain sont conçues comme de véritables catalogues à ciel ouvert. La profusion des décors (bois sculpté, fer forgé et repoussé) s’étale de la grille au faîtage du toit en fer de hache de la maison de la rue verte. Sans souci de cohérence stylistique, le travail du fer oscille entre la référence au xviiie siècle et la sensibilité aux arabesques de l’art nouveau. La composition est volontairement sacrifiée au profit du savoir-faire artisanal. Une imposte placée sous le balcon de la maison de la rue Verte représente la symbiose entre l’art du dessin et celui du fer forgé. Ici, l’originalité de la création, le statut artistique même du créateur, se conçoivent via le travail appliqué et la destination sociale de l’œuvre. L’artiste-artisan est aussi un entrepreneur dont le carnet de commande s’ouvre à l’ensemble de la Seine-Maritime, voire à d’autres régions (Eure, Calvados, Hautes-Alpes, Paris, Angleterre). La notoriété de Ferdinand Marrou, équivalent rouennais des artistes de l’École de Nancy, n’est toutefois pas isolée. À la faveur de la redécouverte récente du patrimoine du xixe siècle, on a ainsi révélé le rôle de certains artisans comme le charpentier Ernest Villette, entrepreneur installé à Canteleu vers 1850. Participant à la construction d’usines (Bénédictine de Fécamp) ou à la réfection de maisons bourgeoises (château de la Moissonnière à Canteleu), il contribua à la diffusion de l’architecture régionaliste (pans de bois, encorbellements, ferme débordante). Sa réalisation la plus célèbre est la maison normande, conçue pour l’exposition coloniale de 1896 et déplacée en 1897 à Déville-lès-Rouen13.
- 14 Lespinasse François, L’École de Rouen, Rouen, Fernandez, 1980.
- 15 Les autres galeries rouennaises sont peu connues. La revue Artistes et écrivains normands en recen (...)
20L’analyse d’archives d’entreprise révèle l’importance tenue par certains petits métiers, indispensables à la production artistique sous la IIIe République. Ainsi de la maison d’encadrement Legrip, dont un livre de factures, s’étalant sur la période 1909-1911, a été miraculeusement sauvé par l’historien André Dubuc en 1958. On connaît l’importance de Legrip14. La galerie, dénommée « À l’ami des arts », ouvre en 1807. Elle devient vers 1900 et pour environ un demi-siècle, l’un des lieux privilégiés de diffusion de l’École de Rouen. Là exposent la plupart des artistes, qui peignent à la manière impressionniste, à l’instar des maîtres des années 1870-1890 (Delattre, Bradberry, Thieulin, Tirvert, Madeleine, Mascart, Lemaître, Couchaux, etc.)15. On ne savait rien en revanche de la clientèle de Legrip. Le livre de factures permet d’approcher un peu mieux la réalité du commerce d’art à la Belle Époque. 687 clients y sont recensés, qui achètent aussi bien du matériel de peinture (clientèle des peintres amateurs ou « professionnels ») que des cadres, des gravures ou des toiles. La plupart des clients sont rouennais, mais les adresses d’envoi des factures dessinent une aire de notoriété en trois cercles concentriques. Le premier cercle est celui de l’agglomération. Legrip y a des clients dans la quasi totalité des communes. La commune de banlieue la plus citée est Sotteville. Un second cercle concerne assez nettement le pays de Caux et secondairement le pays de Bray. Legrip a des clients aussi bien à Fécamp qu’à Fleury-sur-Andelle, à Saint-Saëns aussi bien qu’à Valmont. Le troisième cercle s’ouvre sur les autres départements normands (Eure peu mentionnée, Calvados) et l’ouest de l’Île-de-France (Mantes, Paris).
21Le client « parisien » de Legrip le plus célèbre est Marcel Duchamp. On sera sans doute surpris d’apprendre que Duchamp, dont l’œuvre en gestation s’inscrit résolument dans les courants modernes qui animent la vie artistique de la capitale, continue à s’approvisionner à Rouen, chez Legrip, de 1909 à 1911. Client fidèle, Duchamp envoie six commandes en 1909, neuf en 1910 et huit en 1911, lors même qu’il pouvait manifestement utiliser les ressources des marchands de peinture ou des encadreurs parisiens. Les crayons, brosses, couleurs, albums à dessin comme les cadres font cependant le voyage de la province à la capitale. En juin 1911, Marcel Duchamp demande même à Legrip de lui louer des cadres pour une exposition à Paris. Souci d’économie ou fidélité aux habitudes familiales, cette pratique d’achat n’en éclaire pas moins l’attachement d’un artiste, pourtant hautement soucieux de rupture, à sa province natale.
22Parmi les professions des clients qui sont mentionnées dans le carnet de commandes, on note le grand nombre de prêtres. Le spectre de la clientèle bourgeoise est large, puisque Legrip touche aussi bien la bourgeoisie des capacités (pharmaciens, médecins, architectes, libraires, notaires) que la bourgeoisie d’industrie (les noms de Fromage, Delamare-Debouteville, Baron, Boniface, Barrette, Lanfry renvoient à des dynasties industrielles locales). La petite bourgeoisie de l’artisanat (menuisier, tapissier, imprimeur) n’est pas absente du cahier Legrip. Lui est associée un autre type de consommation artistique. Là où les notables collectionnent ou font encadrer des toiles impressionnistes, les petits bourgeois se tournent vers les reproductions photographiques d’œuvres célèbres : vierge de Botticelli, œuvres de Gérard David, Ingres ou Van Eyk que Legrip encadre pour eux. Bien malin cependant qui pourrait tracer une frontière étanche entre les deux modes de consommation. Tel collectionneur fortuné, à l’instar de M. Prêtre-Bertin fait aussi bien encadrer des toiles de Mascart, de Bergevin, Delattre que des lithographies de la cathédrale de Rouen, des natures mortes, des gravures d’après Fragonard, Rubens ou Boucher, voire sa collection d’assiettes !
- 16 On compte 25 libraires en 1908, 22 en 1919, 20 en 1925 et 26 en 1935.
- 17 Spalikowski Edmond, Ame et aspects de Rouen, op. cit., p. 129.
23Le monde du livre enfin constitue le dernier grand secteur de l’économie culturelle traditionnelle. Comme les autres, il confirme la fluidité des frontières de la culture locale sous la IIIe République, en présentant une configuration à la fois hiérarchisée et peu spécialisée et un profil régional marqué. On notera tout d’abord son importance quantitative. Dès 1868, on compte à Rouen 27 imprimeurs et imprimeurs lithographes, 21 libraires et libraires-papetiers auxquels il faudrait ajouter 5 bouquinistes et 5 cabinets de lecture. À la faveur d’un nouvel essor de la lecture dans les années 1880-1900 et notamment de la lecture de la presse, le nombre d’imprimeurs et de libraires croît, s’établissant respectivement à 37 imprimeurs en 1908 et à 42 libraires en 1883. Après un apparent tassement de la librairie entre la Belle Époque et le milieu des années trente16, le secteur connaît une nouvelle croissance pour atteindre 49 libraires en 1939. Ce développement, évident signe de démocratisation de la lecture, ne va pas sans inquiéter une partie de l’élite cultivée locale : « Il est vrai qu’aujourd’hui tout le monde vend des livres, même les buralistes qui tiennent le tabac… L’épicier ou le marchand de tabacs enfermant ses denrées et marchandises dans la littérature réduite en cornets ou paquets doit être rangé parmi les destructeurs inconscients du fruit des veilles de l’écrivain17. »
- 18 Cf. Imprimerie Lecerf. 1836-1986. 150 ans de passion pour l’imprimerie, Rouen, Imprimerie Lecerf, (...)
- 19 Cf. Sibout Cécile-Anne, « La naissance de Paris-Normandie. Une gestation conflictuelle », Études n (...)
- 20 Lucien Wolf fut médaillé aux Expositions de Rouen de 1884 et 1896 et à l’Exposition internationale (...)
24Au-delà des chiffres, le paysage de l’imprimerie et de la librairie rouennaise est fortement hiérarchisé et s’organise autour de quelques entreprises artisanales, dont le caractère principal est l’absence de spécialisation. Il n’est guère possible en effet de séparer ce qui relève de l’édition, de l’imprimerie et de la librairie. Création, production et diffusion de l’imprimé sont le plus souvent fortement imbriquées, rappelant l’usage ancien du mot « libraire » au cœur même du xxe siècle. Le terme même d’éditeur n’apparaît pas dans les annuaires de l’époque. Au fil des ans, de véritables dynasties d’imprimeurs ou de libraires se sont constituées à l’image des marchands de musique Verhaegen ou Dammame (installé à Rouen à la suite de la famille Sostène). Ainsi des imprimeries Brière (1829), Cagniard (1855), Megard (1860) qui dominent le secteur aux débuts de la IIIe République. Aujourd’hui disparue, l’imprimerie Discours-Noël, reprise en 1920 par M. Roussel, avait été fondée en 1858. De même l’imprimerie Lecerf, créée par Julien Lecerf en 1836 se transmettra jusqu’à nos jours de père en fils18. L’exemple le plus célèbre reste cependant celui de l’imprimerie Wolf de la rue de la Pie. Le futur directeur de Paris-Normandie, Pierre-René Wolf19 y succède, à la fin des années trente à son père Lucien Wolf, installé à Rouen un demi-siècle plus tôt20. Ces dynasties sont d’autant plus familières aux usagers de la culture locale qu’elles se comptent sur les doigts de la main dans chaque secteur.
- 21 Par ordre d’apparition, directeur du Muséum d’histoire naturelle de Rouen, biologiste et écrivain, (...)
25Ainsi, sur les 41 libraires recensés par l’Annuaire de Rouen en 1939, 5 au plus sont fréquentés par les élites cultivées de la cité. Il s’agit tout d’abord de la librairie Van Moé de la rue Thiers, institution séculaire, qui ne fermera ses portes qu’en 1995. On trouve ensuite, sa grande rivale, la Librairie normande (G.-A. Lepouzé) de la rue Saint-Lô, qui résistera jusqu’en l’an 2000, à la concurrence des « nouveaux libraires » (FNAC, Extrapole) et ne fermera que faute de repreneur. On trouve encore la librairie Jeanne-d’Arc, fondée en 1900 et reprise par Gaston Menuisement en 1926. Dès 1915, elle ouvre un salon qui permettra l’exposition et la vente de nombreuses estampes, eaux-fortes et même quelques toiles d’artistes régionaux. Vient ensuite la Librairie ancienne et moderne, fondée en 1702 et reprise à la Belle Époque par M. Lestringant. Cette librairie spécialisée dans le livre régional édite de nombreux travaux d’érudition comme la célèbre Nouvelle biographie normande de Mme Oursel. Enfin, la Librairie centrale de Normandie, tenue par Henri Defontaine, rue Grosse-Horloge et qui éditera dans l’entre-deux-guerres de nombreux ouvrages d’histoire et d’archéologie haut-normandes. Parmi les imprimeurs rouennais, la maison Lecerf se distingue. Son nom est associé aux ouvrages de la plupart des érudits locaux, sans discontinuer de la Belle Époque (Georges Pennetier, Charles Nicolle, Jules Adeline) jusqu’aux années quarante (Juliette Billard, Henri Geispitz, Georges Lanfry) en passant par les meilleures plumes de l’entre-deux-guerres rouennais (Georges Dubosc, Jean Lafond, Henri Gadeau de Kerville, Jean Revel, Raymond Quenedey, Pierre Chirol)21.
- 22 Cf. Fons Claire, « Le fonds régional de la bibliothèque municipale de Rouen. Réalités et perspecti (...)
- 23 Dictionnaire biographique, industriel et commercial de la Seine-Inférieure, op. cit., p. 303. La g (...)
26La dernière caractéristique du monde de l’édition et de la librairie est son implication régionale, voire régionaliste. Les appellations de Librairie « normande » et de Librairie « centrale de Normandie » renvoient à cet esprit, développé à la même époque par Henri Labrosse, qui tente d’organiser un « fichier normand » au sein de la bibliothèque municipale22. On peut aussi rapprocher cette option régionaliste des grandes librairies de celle de certaines maisons d’ameublement qui à l’instar de la maison Prouët se veulent les « dignes héritiers des ymaigiers et des huchiers du Moyen Âge23 ». Installée à Rouen en 1871, la dynastie des Prouët fabrique et vend des meubles régionaux et contemporains. Le fils du fondateur, Maurice Prouët, élève de l’École des beaux-arts de Rouen, remporte dans le cadre de la participation de cette dernière à l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925, une médaille d’or pour sa « cabine de yacht ».
27La majeure partie de la production littéraire locale ne peut s’expliquer sans faire référence au soutien de quelques libraires et imprimeurs rouennais. Le poète Francis Yard et l’essayiste Edmond Spalikowski, deux écrivains parmi les plus célèbres de la période, ont clairement utilisé cette ressource.
- 24 Thiesse Anne-Marie, Écrire la France, Le mouvement littéraire régionaliste de langue française ent (...)
- 25 ABMR, 92N Francis Yard et fichiers de la bibliothèque municipale de Rouen.
- 26 Normandie, 1er mars 1947. La rue de la Rampe s’appelle d’ailleurs de nos jours la rue Francis Yar (...)
28Le renom de Francis Yard (1876-1947) dépasse la province qu’il a chantée. Son œuvre poétique alimente le fond courant des cahiers de récitation de l’école primaire entre 1910 et 194024. La consécration littéraire de cet instituteur rouennais s’effectue d’abord dans la capitale. Il publie ses premiers recueils (Dehors en 1900, L’An de la Terre en 1906, À l’Image de l’homme en 1910) chez des éditeurs parisiens (Vannier, Sansot, Grasset)25. Dès cette époque, il consacre son œuvre à la Normandie rurale (poèmes, contes, récits). Ses liens avec la ville de Rouen n’avaient donc rien de « naturel ». Pourtant, dès l’après-guerre, il publiera l’essentiel de sa production à Rouen, soit chez Defontaine (de La chanson des cloches en 1921 aux Légendes et histoires du beau pays de Normandie en 1933 en passant par ce best-seller que fut l’Almanach normand, 1930-1931-1932), soit chez Lucien Wolf. Plus encore, ce ruraliste farouche, consacrera deux ouvrages à la « ville-musée », Naïvetés sur Jeanne d’Arc (1931) et Sur le Robec (Wolf, 1933). Cet amoureux des villages du pays de Caux, très lié aux peintres de Blainville-Crevon, habitera cependant plus de trente ans à Rouen, rue de la Rampe26. Cet attachement à la ville centre peut s’expliquer de différentes manières. Déclin du succès parisien après la guerre, lien privilégié avec les médiateurs locaux comme Georges Dubosc, mais aussi souci de mieux contrôler l’édition de son œuvre, en misant sur la proximité des éditeurs.
29Le même enracinement caractérise l’œuvre de l’essayiste Edmond Spalikowski. Né à Rouen en 1874, ce dernier ne s’affirme en littérature qu’après la Première Guerre mondiale. Il abandonne en effet à cette époque ses études de médecine pour se consacrer à l’enseignement et à la littérature depuis son fief de Clères. Sa demeure des « Friquets », qu’il ne quittera qu’à sa mort en 1951, devient le lieu de rendez-vous du gotha littéraire normand dans l’entre-deux-guerres. Edmond Spalikowski préside la Société des écrivains normands durant cette période. Voyageur réputé, Spalikowski consacrera une cinquantaine de livres (essais, histoire, poèmes, récits de voyages, romans) à la Normandie entre 1897 et 1948. Mais s’il n’habitera jamais Rouen, son œuvre lui est fondamentalement liée. Sur les 49 ouvrages recensés aux fichiers de la bibliothèque de Rouen, 7 sont consacrés exclusivement à la ville, et 11 l’abordent au détour de leur contenu. L’évocation de la ville rythme la progression de l’œuvre, comme si, à dates fixes, l’auteur ressourçait sa création régionaliste par un tableau de la capitale normande. Citons cette succession : Silhouettes rouennaises (Lecerf, 1897), Ame et aspects de Rouen (Maugard, 1934), Rouen qui s’en va (Maugard, 1935), Rouen qui survit (Maugard, 1948). Cette production régulière de monographies rouennaises, au sein d’une œuvre consacrée à la Normandie rurale (Paysages et paysans normands en 1899, Bucoliques modernes en 1926, La Normandie rurale et ignorée en 1932), est révélatrice du rayonnement culturel de la ville. Plus encore que celle de Yard, la production de Spalikowski est étroitement liée aux réseaux éditoriaux rouennais. Si les premières œuvres paraissent à Paris, l’essentiel du fonds (28 ouvrages sur 49) est d’origine rouennaise (Defontaine, Lestringant, Desvages, Maugard, Laîné). Même les livres sur Yvetôt, Dieppe, Clères ou Le Havre seront publiés par des éditeurs rouennais.
- 27 Pessiot Guy, Histoire de Rouen de 1900 à 1939 en 800 photographies, op. cit., p. 196.
30Dans le même ordre d’idées, on peut s’arrêter sur la figure caractéristique de Gabriel Dervois. L’imprimerie-librairie Dervois, située au cœur de la rive droite, fait figure d’institution culturelle locale. Petite échoppe tenue par un « vieux bonhomme », elle vaut surtout par sa vitrine, régulièrement recomposée au gré de l’actualité régionale. L’imprimeur réalise en effet des vitrines à thèmes, commémorant les grands Rouennais au moment des centenaires (Géricault, Flaubert), ou illustrant l’actualité littéraire de l’époque. Ainsi en 1939, sa devanture s’orne de casques de poilus, de médailles et brevets militaires, pour célébrer la réception de René-Gustave Nobécourt à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen. Ce dernier avait en effet rédigé un discours intitulé Jeunes Fronts casqués. Ces vitrines surprenantes, pour lesquelles « les collectionneurs avec qui il était en relation de confiance n’hésitaient pas à lui prêter de précieux documents27 », permettent de qualifier la librairie Dervois de « musée de la rue ». Au-delà de cette métaphore, certains secteurs culturels n’ayant pas encore droit de cité au musée des beaux-arts relèvent d’une mise en scène, orchestrée par le secteur privé. Ainsi de la photographie. La maison Paul Valle, installée à Rouen en 1906 à l’emplacement du plus ancien atelier de photographie de la région (la maison Lesbos, fondée en 1849), conserve, à en croire le Dictionnaire biographique, industriel et commercial de la Seine-Inférieure une collection de 100 000 numéros « dans laquelle figurent la plupart des autorités religieuses, judiciaires, militaires et civiles, artistes et écrivains… » de la cité. Ce musée virtuel de la photographie anticipe durablement la fondation d’un lieu de mémoire photographique local et fournit à l’occasion des clichés pour les expositions de la bibliothèque municipale.
31On le voit, la frontière entre l’univers savant et l’univers marchand est plus que ténue. Pour le public cultivé rouennais, la culture ne se limitait pas aux lieux qui lui étaient explicitement consacrés. En devenant produit de consommation relativement courant, elle s’était distillée dans l’espace urbain quotidien. Les arts de la scène en fournissent un autre exemple, d’autant plus intéressant à étudier qu’ils subissent à cette époque des mutations quantitatives et qualitatives.
Des établissements de loisirs aux industries culturelles
32Peut-on limiter l’histoire de la diffusion culturelle aux seules institutions publiques reconnues et subventionnées, à l’instar du Théâtre des arts de Rouen ? À l’évidence non et l’approche économique de la culture conduit là encore à réviser les attendus de l’histoire des arts. Le public rouennais dispose en effet de très nombreux lieux pour satisfaire ses besoins en matière d’art, de spectacle ou de manifestations sportives. Certains sont reconnus (les musées, bibliothèques, théâtre lyrique), d’autres attendus (théâtres privés, salles des fêtes, cinémas), d’autres encore plus incongrus (cafés, restaurants). Tous ne proposent pas le même type de produit culturel, mais aucun pour autant n’est cantonné dans un seul registre. Les limites entre l’art et le divertissement sont souvent floues dans ces lieux, à commencer par le Théâtre des arts lui-même. Ainsi, en dehors de la saison réglementée par le cahier des charges, la scène lyrique accueille Jack Hilton et ses boys (1931), Ray Ventura et ses collégiens (1932 sqq.) ou encore la revue Harlem New York 1937 (1937). On se proposera ici de remonter la filière de la diffusion du spectacle, en commençant par les cafés-concerts, en continuant par les salles de spectacle déclarées et en achevant par l’émergence des salles de cinéma.
- 28 Cf. pour une vue générale Distel Anne, Les collectionneurs des impressionnistes, Düdingen, La Bibl (...)
- 29 La Dépêche de Normandie, 19 décembre 1936.
- 30 Cette pratique, répandue dans le milieu artistique local qui, rappelons-le, ne bénéficiera que tar (...)
- 31 Sur les cafés littéraires, cf. Bonet Correa Antonio, « Les cafés littéraires en Espagne du xviiie (...)
33Au degré zéro de la diffusion culturelle, on trouve des établissements commerciaux soucieux d’offrir à leur clientèle un décor ou une ambiance musicale. Cafés, tavernes et autres restaurants jouent un rôle non négligeable dans la vie culturelle locale, au point de devenir parfois de véritables institutions. Les artistes rouennais les fréquentent autant sinon plus, que les cimaises des musées ou des galeries d’art. Peintres, dessinateurs ou aquafortistes sont ici connus de tous. Ils hantent les cafés, les brasseries et les restaurants du centre-ville. On sait par exemple le rôle important tenu par le restaurateur Mürer, propriétaire de l’hôtel du Dauphin et d’Espagne dans la diffusion de l’impressionnisme en Normandie. Le restaurant, situé en face du pont Corneille exposa, entre 1880 et 1897 la plupart des maîtres de la nouvelle école, Claude Monet, Pissaro, Renoir, Sisley28. Cette tradition perdure dans l’entre-deux-guerres. Il est fréquent de voir les artistes exposer dans les cafés, les restaurants, les halls d’hôtel ou de gares. En 1936 par exemple, un groupe de seize peintres rouennais expose dans le hall de l’hôtel d’Angleterre29. D’autres, à l’image de Pierre le Trividic sont des piliers de bars, sortes de Vincent Van Gogh locaux, échangeant contre une assiette de soupe des croquis griffonnés sur des nappes en papier30. Les œuvres et les signatures circulent donc, non seulement au sein du microcosme culturel – artistes, écrivains, journalistes fréquentent les mêmes cafés31 – mais aussi, au sein des classes moyennes commerçantes qui ne réaliseront la valeur marchande de leurs acquisitions, « pour une bouchée de pain », que bien plus tard.
- 32 Décret du ministère de l’Intérieur du 5 août 1920.
- 33 Ibidem.
- 34 Cf. AMR, 1Q1, tableau des taux d’imposition d’État par catégorie de spectacle pour 1927. Étaient t (...)
- 35 ADSM, 4 T 81, enquête de 1928 sur la sécurité des théâtres et salles de spectacle, rapport, s. d., (...)
34Cafés et restaurants sont par ailleurs des lieux de choix pour la diffusion musicale ou théâtrale. L’administration fiscale ne s’y trompe d’ailleurs pas. La création en 1919-1920 d’une taxe municipale sur les spectacles, autorisée par la loi du 25 juin 1920, étend en effet très loin la catégorie des établissements concernés. Aux côtés des théâtres traditionnels et des cinémas, elle distingue deux autres secteurs. Les « cafés-concerts » tout d’abord, qui sont présentés comme « des débits ouverts d’une façon permanente durant la journée et dans lesquels est organisé accessoirement dans la même salle, à certaines heures, un concert vocal pendant lequel la vente des consommations continue32 ». Les « lieux de plaisir » ensuite, tels que « les restaurants, hôtels, cafés, brasseries, maisons de thé, dans lesquels un orchestre se fait entendre… et ceux dans lesquels un bal est organisé pendant ou à l’issue des réunions33 ». Cette disposition très large, permet de comptabiliser à Rouen à la fin des années vingt, six music-halls et cafés-concerts et autant de dancings bals34. Une enquête de 1928 sur la sécurité permet de jauger à la fois la capacité d’accueil des salles rouennaises et le type de programmation qu’elles proposaient35.
- 36 Condemi Concetta, Les cafés-concerts. Histoire d’un divertissement (1849-1914), Paris, Quai Voltai (...)
- 37 Mac Orlan Pierre, Villes. Rouen, Montmartre, Brest, Londres, villes rhénanes, Rome, Paris, Gallima (...)
- 38 Cf. Beltran Michel, Catalogue de l’exposition Georges Cyr-Pierre le Trividic, Galerie d’art et d’a (...)
35À Rouen comme ailleurs, la tradition des cafés-concerts remonte aux années 190036, mais elle perdure ici jusque dans l’entre-deux-guerres. Dans le quartier des plaisirs de la rue des Charrettes, décrit par André Renaudin après Pierre Mac Orlan37, on trouve des établissements au statut ambigu comme l’Océanic Bar, à mi chemin entre le café-concert (présence d’un accordéoniste) et la maison de passe. À l’occasion de soirées exceptionnelles comme les galas annuels de la presse locale, ces commerces pouvaient se transformer en véritables salles de théâtre comme en témoignent les croquis réalisés à chaud par Pierre le Trividic38. À quelques pas de l’Océanic Bar le très sélect Café de la Bourse organisait dans l’entre-deux-guerres des « saisons musicales », inspirées des saisons du Théâtre des arts voisin. On engageait pour l’occasion un petit orchestre de chambre. Un programme de 1931, signale le souci de qualité, à la fois par le choix des instrumentistes (membres de l’orchestre du Théâtre des arts) et par celui du répertoire choisi par le quintette (œuvres de Boieldieu, Weber, Berlioz, Schubert, Brahms, Massenet, etc.).
- 39 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, (...)
36On le voit cafés et restaurants rouennais s’ouvraient assez largement à la diffusion de spectacles variés. Ce faisant, ils répondaient certainement à une demande, les lieux de diffusion culturelle étant relativement limités jusqu’aux années 1920. Au détour de certaines archives publiques, on prend la mesure des difficultés rencontrées par certains groupes de musique populaire pour se produire en public. Par exemple, l’orchestre « Dédé et son jazz » réclame à la mairie de Notre-Dame-de-Bondeville une réduction du prix de location de la salle des fêtes pour y organiser des soirées dansantes. Le conseil municipal, arguant du flou juridique de l’entreprise non constituée en association loi 1901, rejette la demande, contraignant sans doute le groupe à rechercher des salles privées39.
- 40 Avant l’établissement de théâtres à Rouen, et avant même les jeux de Paume, on donnait des mystère (...)
- 41 Duchemin Pierre, Sotteville-lès-Rouen et le faubourg Saint-Sever, Rouen, Lestringant, 1893.
- 42 Archives municipales d’Oissel, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 24 févri (...)
- 43 Germain Fanny, Le patrimoine architectural du plateau est, Histoire(s) d’agglo, 15, 2001, p. 8.
37La carence de l’agglomération en salles de concert ou de spectacle devait conduire à la construction d’établissements spécifiques. Ces établissements, qu’on désigne dans l’entre-deux-guerres sous le nom de « music-hall » remontent souvent au premier xixe siècle. Ils sont à la fois les héritiers des jeux de Paume de l’Ancien Régime40 et l’aboutissement du développement des fêtes foraines, dont l’histoire reste à faire. À Rouen même, plusieurs théâtres privés jalonnent l’histoire du xixe siècle. De manière classique, leurs noms s’inspirent des grandes scènes parisiennes. Sont ainsi attestés un Théâtre des Variétés (1836-1871), situé quai d’Elbeuf, un Théâtre de la Gaité (1830), situé rue des Maillots-Sarrasins, un Théâtre du Cirque (1853), rue Lafayette ou encore un Théâtre des Bons-Enfants (1869) installé dans la rue du même nom. À Sotteville-lès-Rouen le Salon de Flore, dont l’origine on l’a vu remonte à la monarchie de Juillet, anime la vie musicale et théâtrale de la cité jusqu’en 1883. Essentiellement destinée aux bals, cette salle donne néanmoins des soirées concertantes à l’image du gala du 18 juillet 1875 organisé en faveur des inondés du Midi. Détruit en 1883, ce « théâtre » est remplacé trois ans plus tard par une nouvelle scène le Calypso Théâtre41. L’établissement est alors confié à un ancien directeur des Fantaisies lyriques de Rouen. Une nouvelle fois modernisée en 1890 la scène prend alors le nom d’Eldorado, se prêtant à tous les genres aussi bien comédies, vaudevilles, opérettes, concerts que bals ou réunions politiques. Fermé en 1893 en raison de difficultés financières, l’établissement passe ensuite on l’a dit, sous gestion municipale. À la périphérie de Rouen s’édifient également dès la fin du Second Empire une série de « casinos » qui proposent des spectacles divers : soirées concertantes, comédies, soirées dansantes. À Oissel en 1868, un entrepreneur de spectacle, Bergeret, établit sur un terrain municipal, le Champ de foire, un établissement en dur. Cette « salle à usage de bals, concerts, cafés-concerts, théâtre, noces, festins et autres réunions autorisées42 » fonctionne jusqu’en 1906, date à laquelle elle est rachetée par la Ville. À Bonsecours, un autre casino, dont l’architecture évoque les chalets alpins, est édifié en 1893 par deux ingénieurs suisses, Ludwig et Schopfer. Il fonctionne à ses débuts à la fois comme un restaurant, une salle de jeux et une salle de danse43, puis il est racheté en 1905 par un restaurateur.
- 44 Archives municipales de Rouen, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 9 décembr (...)
- 45 Pessiot Guy, Histoire de Rouen de 1900 à 1939 en 800 photographies, Rouen, Éd. du P’tit Normand, 1 (...)
38À Rouen même, en 1881, un entrepreneur forain, propriétaire d’une construction en bois dénommée le Cirque et utilisée lors de la foire Saint-Romain, demande à la Ville l’autorisation de s’installer définitivement, proposant d’organiser conférences, concerts et fêtes de bienfaisance44. L’Annuaire de Rouen, qui regroupe sous la rubrique « salles de spectacle », l’ensemble des théâtres, cinémas et music-halls compte 9 salles en 1914, 11 en 1919, 14 en 1921. Le chiffre ne variera plus jusqu’au milieu des années trente, pour revenir en 1938 à 11 salles. Il est difficile cependant de préciser leurs activités. Les sources traditionnelles (annuaires, presse) s’attardent peu sur ces établissements secondaires de la culture locale. La programmation, quand elle existe, mélange allégrement les genres. Le vélodrome de Rouen, situé à la périphérie ouest de la ville (barrières du Havre), dispose d’une salle de 800 places, où des concerts sont parfois présentés dans les années vingt. Mais l’essentiel réside dans son équipement sportif (courts de tennis et bien sûr piste vélocipédique). Sur le pourtour de cette piste des tribunes pouvaient accueillir 5 000 spectateurs. À notre connaissance, cette capacité ne fut jamais utilisée pour des manifestations artistiques. L’établissement lui-même ne résiste pas à la crise économique45.
- 46 Annuaire-Almanach de Rouen, 1921.
- 47 Ibidem, 1928. On admirera la graphie de « jaz » tout en précisant que l’appellation est alors extr (...)
39On sait la place culturelle tenue par les casinos de la côte normande de Trouville à Dieppe en passant par Le Havre. Dans l’entre-deux-guerres, ils organisent une saison d’été au cours de laquelle ils programment des opérettes et parfois quelques opéras. Le Casino rouennais n’est qu’un pâle émule de ses frères de la côte. Situé lui aussi à la périphérie urbaine (barrières de Caen), pourvu de 2 salles de bals, il affiche une capacité de 2 000 places et met en avant « un très brillant orchestre » jouant le « répertoire des grands établissements parisiens46 ». Dans les années vingt, il organise des concerts, revues et monte des opérettes. Très rapidement cependant, il abandonne le genre lyrique pour se consacrer à la danse en entretenant un « super-orchestre de jaz47 ». Le Casino rouennais cessera lui aussi ses activités au milieu des années trente.
40Aux côtés de ces lieux de divertissements, de véritables théâtres se sont établis dans la ville centre. Il existait avant 1914, cinq théâtres à Rouen : le Théâtre français (1 200 places), le Cirque de Rouen (3 000 places), les Folies-Bergères (1 400 places), l’Omnia (1 650 places) et le Gaumont-Théâtre. Au sortir de la guerre, l’espace théâtral rouennais fait rapidement office de peau de chagrin. En 1919, on ne compte plus que quatre théâtres, l’Omnia ayant été transformé en cinéma. Trois ans plus tard, c’est au tour du Gaumont, devenu entre temps le Tivoli, de fermer ses portes. Seuls le Cirque, le Français et les Folies-Bergères pourront traverser sans trop d’encombres l’entre-deux-guerres. L’enquête de 1928 évoquée plus haut permet de comparer les capacités d’accueil des principales scènes rouennaises.
- 48 AMR, 5M1, « Cirque de Rouen », baux de 1893, 1926, 1933.
41Cette survie ne doit cependant rien au hasard. Ce sont les institutions les plus anciennes, c’est-à-dire les mieux ancrées dans le paysage culturel rouennais qui ont pu et su résister à l’offensive des cinémas et à la concurrence des nouveaux loisirs de masse. Ainsi du doyen des théâtres rouennais, le Français, construit place du Vieux-Marché en 1793, quelques années seulement après le premier Théâtre des arts. Réédifié entièrement en 1887 (clichés 4 et 5), il sera dirigé de 1906 à 1933 par Louis Stréliski (1878-1961), acteur aux 200 rôles et coqueluche du public rouennais. Héritage encore que celui du Cirque de Rouen, dont l’origine était un manège d’équitation situé rue Duguay-Trouin. Remplacé en 1853 par un nouveau manège, situé rue Lafayette, l’établissement fut bientôt transformé en théâtre auquel on apporta les améliorations nécessaires pour permettre de jouer des féeries et pièces à grand spectacle. On lui donna alors le nom de théâtre du Cirque. Reconstruit en 1893, place du Boulingrin, le nouveau cirque est propriété de la ville de Rouen qui le loue à une société pour de très longues périodes (1893-1926, 1926-1958)48. Héritage enfin que celui des Folies-Bergères de Rouen, construites à la Belle Époque, haut lieu des plaisirs « légers » de la bourgeoisie.
- 49 AMR, 2R6, « Tivoli-Music-Hall-Skating rouennais », activités 1909-1922.
- 50 AMR, 2R6, « Folies-Bergères de Rouen ». Les titres entre parenthèses correspondent aux « tableaux (...)
- 51 AMR, 2R6, « Folies-Bergères de Rouen ». M. Baudry (directeur)/maire de Rouen, 20 décembre 1939.
42Dans le jeu de piste des origines des différentes scènes rouennaises, l’historien se heurte souvent au maquis de la taxinomie. Ainsi le Gaumont-Théâtre de 1914 s’est tour à tour dénommé le Grand Skating rouennais (1910), Rouen-Théâtre (1917), le Tivoli-Théâtre (1918), le Tivoli-Music-Hall (1919), et enfin le Tivoli-Oger (1921). Aux appellations successives correspondent des spectacles allant des « luttes libres » (1919) à l’exhibition de crocodiles (1920) en passant par le théâtre de revues, la patinoire (skating) et le cinéma49. La variété des genres, nécessitée par le caractère strictement commercial des établissements les différencie de la prestigieuse scène du Théâtre des arts. Il faut pourtant distinguer le Français et le Cirque, des Folies-Bergères et du Tivoli. Ces derniers se consacrent aux genres mineurs du music-hall et de la revue légère, n’hésitant pas à proposer spectacles de boxe ou séances de cinéma. La saison des Folies-Bergères ne comporte ainsi jamais de pièces lyriques ou dramatiques. La programmation repose pour l’essentiel sur des « revues », genre mixte qui oscille entre la comédie musicale et la satire politique ou sociale. Suivons ainsi le programme de la revue de la saison 1933-1934, tout bonnement dénommée : Aux Folies, on rit. À travers ses 22 tableaux, 20 décors et 150 costumes, le spectacle égrène les clichés de l’époque, évoquant la danse de société (Le bal de l’hôtel de ville, De la poudre et des bals, Acrobatic valses), le jeu (La Loterie nationale, Les Millionnaires, Pour gagner à la Loterie), la satire politique (Un Salut bien connu : Hitler I, Hitler II, Le Salut de la France), l’amour (Loin de toi, Les Dentelles), les grands sites rouennais (Sous la Grosse Horloge). La troupe incarne les « petits métiers » (meunier, chauffeur, régisseur, voyageur de commerce, facteur) et recompose à sa façon une société de Français moyens, parfaitement stéréotypée50. Ces revues sont souvent d’un intérêt purement local, le comique étant fondé sur des personnages ou des situations connues des seuls spectateurs rouennais. Une revue s’intitulera même en 1932 : « Rouen qui remue ». Le succès du genre permet à ces scènes de second rang d’entretenir, jusqu’au milieu des années trente, une troupe complète, au même titre que les autres théâtres. Les directeurs n’hésitent pas à mettre en avant ce trait commun : « Comme le Théâtre français, je fais travailler des artistes, des musiciens, des costumiers, des machinistes et électriciens, des ouvreuses, serveuses51… » La comparaison s’arrête cependant là. Seuls le Cirque et le Théâtre français sont à même de jouer le rôle de complément du Théâtre des arts.
- 52 AMR, 5M1, bail de 1926.
43La vocation du Cirque (cliché 17) est selon les termes du bail signé entre la Société et la ville de Rouen d’accueillir les spectacles en tous genres : « L’établissement sera affecté à des exercices équestres, concerts, bals, conférences, cinémas, réunions littéraires, scientifiques, politiques ou artistiques et toutes autres similaires52. » De fait, le Cirque fait office de salle de concert rivale du Théâtre des arts par sa capacité. La plupart des tournées symphoniques parisiennes se produiront ici dans l’entre-deux-guerres. Ainsi des concerts Lamoureux, l’une des trois formations les plus prestigieuses, avec les concerts du Conservatoire et les concerts Colonne. Dirigé par Paul Paray, ancien élève de la maîtrise Saint-Evode de Rouen, le grand orchestre remportera un succès régulier au Cirque. Au programme des ouvertures wagnériennes (Lohengrin, Tannhaüser) et des symphonies de Beethoven (dont la IXe en 1928 avec 300 choristes !).
- 53 Rose Cécile, Le théâtre lyrique en Normandie entre les deux guerres : 1918-1939, op. cit., p. 298, (...)
44Le Théâtre français s’avère encore plus avisé dans sa programmation. Tablant sur le succès persistant de l’opérette et de l’opéra comique, il entre régulièrement en conflit avec le Théâtre des arts. Louis Stréliski, directeur du Français, n’hésite pas en effet à créer des œuvres qui auraient dû l’être au Théâtre des arts comme l’opéra-comique Richard sans peur du Rouennais Chanoine-Davranches en 1920. L’essentiel cependant demeure l’opérette, dont Stréliski abreuve un public nombreux et fidèle jusqu’au milieu des années 1930. Cécile Rose, étudiant l’art lyrique en Normandie dénombre 44 reprises et 97 créations de 1919 au départ de Stréliski en 1933, puis 29 reprises et 26 créations sous la direction Dorly (1933-1939)53. On retrouve là les formes les plus classiques du genre depuis l’opérette viennoise (La Veuve joyeuse), jusqu’à l’opérette française (La Belle-Hélène, Véronique, Les Saltimbanques) en passant par le répertoire régional (Les cloches de Corneville). La comédie ou le drame font parfois leur apparition sur la scène du Français mais très rarement, le public boudant le genre aux dires du directeur. Il préfère ainsi compléter sa programmation de quelques « revues » comiques dont il assure lui-même les premiers rôles. Cette tendance sera accentuée par son successeur, Pierre Dorly, qui déplace la programmation du Théâtre français vers le répertoire des Folies-Bergères, profitant certainement de la fermeture de cet établissement entre 1935 et 1937.
- 54 AMR, 2R6, « Théâtres divers, théâtre français », subventions (1886-1926).
45Sous la direction Stréliski cependant, la renommée du Théâtre français était telle qu’on put un temps envisager de le transformer en seconde salle « municipale ». Aussi loin que permettent de remonter les archives, on trouve des traces de subvention pour le Théâtre français. Dès 1887, on lui accorde en effet une réduction sur le gaz, bientôt suivie d’une somme symbolique de 100 francs par mois d’exploitation (1889) et d’une exonération du droit des pauvres (1891). À partir de 1895 et jusqu’en 1914, le Théâtre bénéficie de la réduction sur le prix du gaz et d’une subvention de 500 francs par mois pendant les sept mois d’exploitation54. Cette subvention passe à 1 000 francs pendant la guerre (1917-1919). Au lendemain de la victoire, se pose la question de la régularisation d’une pratique devenue annuelle. Elle donne lieu à un débat très vif au sein du conseil municipal entre les partisans et les opposants du soutien au théâtre. Il reproduit pour l’essentiel les clivages déjà soulignés à propos du Théâtre des arts. Ici se joue la justification d’une véritable politique théâtrale municipale, embryon des politiques culturelles contemporaines.
- 55 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 décembre 1921.
- 56 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 6 octobre 1893.
46Les opposants développent une argumentation strictement libérale. Le théâtre est simplement qualifié de « spectacle », dont l’exploitation doit être laissée à l’initiative privée. Un conseiller considère ainsi « l’exploitation du Théâtre français comme une affaire commerciale55 ». L’argumentation n’est pas neuve. Dès les années 1890, elle apparaissait constituée au sein du conseil municipal. Rejetant une demande d’aide d’urgence venant du directeur du Français, le maire soulignait : « M. X a pris une affaire, de son plein gré ; il craint aujourd’hui de s’être trompé et vient demander au conseil de combler son déficit ; cela n’est pas rationnel… ou l’entreprise est bonne, ou elle est mauvaise56… »
47Face à cette objection libérale, les tenants de la subvention vont tenter d’assimiler le Théâtre français à un service public. Là encore les termes du débat sont posés très tôt. La comparaison entre les délibérations d’avant et d’après-guerre est ici éclairante. La justification d’une subvention au Théâtre français s’appuie sur quatre arguments réitérés :
- L’argument esthétique : « La comédie et le drame sont des genres aussi intéressants, aussi dignes de protection que l’opéra57. » « La question se pose de savoir si oui ou non, la ville de Rouen doit donner des subventions à des œuvres d’art, qu’elle que soit la forme de ces œuvres58. »
- L’argument éducatif : « Le théâtre est avant tout une école moralisatrice59. » « Vous direz si vous préférez que les écoliers aillent dans les rues le jeudi ou si vous préférez qu’ils aillent au Théâtre français entendre jouer des matinées classiques60. »
- L’argument de la décentralisation : il s’agit d’aider « la grande comédie moderne, la comédie gaie et le vaudeville, c’est-à-dire le répertoire de la Comédie française, du Vaudeville et du Gymnase, avec une troupe de premier ordre et des artistes en représentations61 ». « Au point de vue artistique et de la décentralisation la chose est capitale. Si nous voulons nous intéresser à une œuvre comme le théâtre d’art normand et à une personnalité comme M. Stréliski, le moment est venu de le faire62. » « Nous avons entendu de nouveau et toujours avec plaisir les vieilles opérettes françaises populaires qui forment actuellement le répertoire du Trianon-lyrique, théâtre subventionné par la Ville de Paris63. »
- L’argument du public : « Vous vous souviendrez que, depuis plus d’un siècle, la population rouennaise considère le Théâtre français en quelque sorte, comme une annexe du grand Théâtre et attache le plus grand prix à sa conservation ; que le commerce de tout un quartier est intéressé à son ouverture régulière64. » « Je crois avoir donné toutes satisfactions au public rouennais dont je m’honore d’avoir l’entière confiance65. »
- 66 AMR, comptes administratifs de la ville de Rouen, 1923-1940. En francs constants la subvention de (...)
48On le voit l’argumentaire parcouru ici mêle les hantises électorales (pression des classes moyennes qui constituent le public naturel du Théâtre français, pression des commerçants riverains) et l’affirmation d’une nécessaire politique artistique municipale, dont les enjeux sont parfaitement compris. De la mission traditionnelle d’éducation du peuple, qui agrège le théâtre aux musées et bibliothèques entretenus par la commune, à la définition d’un champ artistique très large, incluant des rubriques aussi inattendues que le vaudeville, les objectifs culturels des édiles apparaissent très clairs et sont précisés de manière précoce et récurrente. Dès 1923, la subvention au Théâtre français est multipliée par dix (10 000 francs par an) et est inscrite au budget. Elle sera ensuite régulièrement revalorisée, suivant en cela l’évolution de la subvention au Théâtre des arts66. Toutefois, le conseil déclare ne pas subventionner un théâtre mais une « gestion » et il accorde son aide à un « directeur » précis (Stréliski) en fonction d’un engagement tacite en faveur d’une programmation de qualité (opérette et art dramatique). Le politique se substituait là à l’économique, dérivant vers l’institutionnalisation du Théâtre français. La subvention était en effet décisive pour la survie de l’établissement, le théâtre étant de plus en plus soumis à la concurrence des cinémas, premières industries culturelles de l’ère des loisirs.
49Avec l’étude de la diffusion de l’industrie cinématographique l’analyse économique trouve à la fois sa raison d’être et ses limites. L’échelle locale n’a guère de sens pour qui veut rendre compte des progrès techniques ou de l’implantation d’un réseau de salles. L’histoire rouennaise du cinéma s’inscrit bien évidemment dans l’histoire générale du septième art. Ici comme ailleurs, au temps des inventions et du cinéma forain (1885-1900) va succéder celui des premières salles, généralement polyvalentes (1910-1930). Ici comme ailleurs l’avènement du parlant, au début des années trente constitue une rupture, amorçant le triomphe du cinéma. Ici comme ailleurs les films diffusés dépendent de structures de diffusions nationales (Pathé, Gaumont) et de politiques commerciales. On ne saurait pour autant négliger cette histoire, dans la mesure où elle va bouleverser durablement l’ordre culturel local.
- 67 Poupion Olivier, « Les débuts du cinéma à Rouen », Études normandes, 3, 1991, p. 46-60 et Grignoux(...)
- 68 Parment Roger, Le septième art à Rouen, Rouen, Pietrini et Cie, 1959.
50L’histoire de l’implantation locale du cinéma, longtemps laissée en friches, est aujourd’hui mieux connue67. Ses débuts sont datés de l’Exposition rouennaise de 1896, mais il ne s’agit alors que d’une attraction foraine. Il faut attendre le 13 décembre 1908 pour voir s’installer le cinéma sédentaire avec l’ouverture de l’Innovation, rue du Gros-Horloge68. Commence alors une expansion continue jusqu’aux années 1950, qui modifie en profondeur, non seulement le paysage culturel rouennais, mais aussi l’équilibre entre la ville et ses banlieues.
51À la différence des autres salles de spectacle et notamment des théâtres, les cinémas connaissent à la fois un développement rapide et un fort turn over. Le parc cinématographique rouennais de l’entre-deux-guerres n’est en effet que partiellement hérité de la Belle Époque. Sur les six cinémas que compte la ville en 1919, trois seulement existaient avant la guerre. Cinq autres salles seront créées entre 1920 et 1939, portant le nombre total de cinémas à dix en 1940. À l’échelle de l’agglomération la diffusion du cinéma est encore plus spectaculaire. En 1918, quatre communes (Oissel, Sotteville, Petit-Quevilly, Darnétal) sont équipées, certaines depuis 1914. Cependant, c’est l’entre-deux-guerres qui verra véritablement le décollage cinématographique de l’agglomération rouennaise. En effet, les villes de Saint-Étienne, Grand-Quevilly, Mont-Saint-Aignan, Le Houlme, Mesnil-Esnard vont s’équiper. Elles seront suivies dans les années trente, de Déville, Malaunay et Grand-Couronne. Au total treize nouvelles salles voient le jour entre 1918 et 1931. Ces salles sont généralement de capacité réduite comme l’indique l’enquête rouennaise de 1928.
- 69 Cf. Grignoux Yannick, « Un exemple d’archéologie du culture : les salles de cinéma dans l’agglomér (...)
52Le développement continu du cinéma fonde une nouvelle hiérarchie de l’espace culturel. Une forme d’autonomie culturelle se dégage rive gauche à la fin des années trente. La plupart des treize salles jouent en effet sur la polyvalence, proposant en alternance aux projections cinématographiques des concerts, des conférences voire des pièces de théâtre. La ville de Sotteville, qui bénéficie de six salles dans l’entre-deux-guerres, en est l’exemple abouti69. Les salles sottevillaises, spacieuses, bien reliées au réseau régional des tramways, n’avaient sûrement rien à envier à leurs homologues rouennaises. La rive droite (hors Rouen) et ses sept cinémas accuse encore un retard, qu’elle ne comblera qu’au moment de la Reconstruction.
- 70 Annuaire-Almanach de Rouen, 1905-1940.
53Dès la Belle Époque, les directeurs de cinéma jouent à la fois la carte de la nouveauté et celle de la tradition. Entreprises commerciales, les cinémas sont implantés avec soin dans le tissu urbain. En ce sens, le premier établissement rouennais, l’Innovation, qui s’ouvre en lieu et place d’un magasin de soieries est emblématique. Il garde jusqu’en 1922 le nom d’un magasin de mode, pour prendre ensuite, celui plus passe-partout de Select. Cette valse-hésitation des noms, qui calque précisément celle des raisons sociales et des directions, caractérise l’ensemble des salles rouennaises. Ainsi le Royal-Palace d’avant guerre devient-il le Royal-Palace-Cinéma-Music-Hall (1919), puis le Ciné-Opéra (1926). L’Alhambra (1906) devient de même l’Impérial Cinéma (1908), le Théâtre-Omnia (1910), le Théâtre-Omnia-Cinéma (1919), puis le Théâtre-Omnia-Pathé frères (1921)70.
54Mais en utilisant volontairement le nom de « théâtre » pour désigner une salle de cinéma, les directeurs entendaient moins abuser la clientèle que la rassurer sur la respectabilité du produit. Dans une large mesure les premières salles de cinéma singent les théâtres. La disposition à l’italienne (balcons de côté, galeries, promenoirs), le rideau de scène tout comme le luxe du décor et des sièges témoignent d’une recherche de statut artistique. À Rouen, l’exemple le plus abouti de cette ambivalence reste l’Omnia (cliché 19). Installé sur le lieu d’un théâtre, il conserve de son prédécesseur une façade monumentale, de style « art nouveau », où des allégories de la danse, sculptées par Alphonse Guilloux évoquent la destination noble de l’établissement. Dû à l’architecte Victorien Lelong, l’édifice s’impose aussi par sa décoration intérieure, notamment une grande verrière jugée érotique par les contemporains. Sa salle spacieuse (1 800 places) et luxueusement décorée en fait l’égal du Théâtre français voire du Théâtre des arts. De même, dans leurs publicités, les autres salles mettent en avant le confort des installations, qui veulent rappeler le « foyer » du Théâtre des arts : ici un « bar américain avec foyer » (Éden), là un « bar et orchestre » (Royal-Palace), là encore un « american bar » (Select).
- 71 Annuaire de Rouen, 1931, Sélect et Annuaire de Rouen, 1919 et 1922, Éden.
55Aussi ne doit-on pas s’étonner si dans leur quête de légitimité, les directeurs de cinéma adoptent des arguments propres aux spectacles plus traditionnels comme la moralité, la décence, le respect de la famille. Il s’agit pour eux d’incarner la continuité beaucoup plus que la rupture avec le siècle du théâtre. Soucieux de se ménager les bonnes grâces du public bourgeois comme de la municipalité, le Sélect axe en partie sa publicité sur la programmation de « spectacles de famille », l’Éden va plus loin, assurant « des matinées enfantines avec films instructifs » et se déclarant « établissement de premier ordre, le mieux fréquenté et renommé pour sa tenue et ses meilleurs films71 ». Ils emboîtent ainsi le pas au Cinéma-Beauvoisine, nom impropre donné à une salle de patronage catholique, sélectionnant ses films, comme ses conférences en vue de l’éducation morale d’un public familial.
56Ce soupçon d’infériorité qui pèse sur le développement du parc cinématographique rouennais ne doit pas cacher l’essentiel. Car si le cinéma n’est pas encore ce « septième art » que le second xxe siècle célébrera, il a néanmoins clairement gagné la bataille économique dans l’entre-deux-guerres. Le rapport scénique local, c’est-à-dire la répartition entre les salles dévolues aux formes traditionnelles du spectacle (art lyrique et dramatique) et les salles dévolues au cinéma est un bon indicateur de la mutation culturelle des années trente. Le théâtre lyrique traditionnel et le monde de l’opérette (Théâtre des arts, Théâtre français et Folies-Bergères de Rouen notamment) cédait déjà du terrain dans les années vingt. Il cède désormais la place au cinéma triomphant. Trois indices permettent ici de dater ce passage décisif : le mouvement continu de création de salles, la rentabilité effective du spectacle cinématographique, l’affirmation de la dimension artistique du genre.
- 72 AMR, 2R6, directeur des Folies-Bergères/maire de Rouen, 2 avril 1935 : « J’ai le regret de vous in (...)
- 73 Annuaire de Rouen, 1939.
- 74 Annuaire de Rouen, 1935-1939.
57Les années trente voient tout d’abord la création de nouvelles salles de cinéma, lors même que les salles du spectacle traditionnel peu ou non subventionnées (Théâtre français, Folies-Bergères de Rouen, Casino rouennais) connaissent des difficultés qui compromettent leur existence. En 1935, le Casino rouennais ferme ses portes, la même année que les Folies-Bergères de Rouen72. À l’issue de deux saisons de réorganisation les « Folies » rouvrent au public mais elles ont été transformées en « théâtre-cinéma73 ». Les cinémas rouennais au contraire se portent bien. En décembre 1935, un nouvel établissement est créé à Rouen, à l’avenir prestigieux, le Normandy (cliché 6). Situé rue Écuyère, près du cœur patrimonial de la cité, il dispose de 1250 places ce qui en fait l’équivalent des premiers grands cinémas rouennais, l’Éden et l’Omnia, fondés avant 1920. Le Normandy allait bientôt être suivi de deux nouvelles salles, le Cinédit, inauguré en janvier 1939 et le studio 34, en février 193974.
- 75 Cf. Grignoux Yannick, Les salles de cinéma de l’agglomération rouennaise : une tentative d’archéol (...)
- 76 Annuaire de Rouen, 1937.
58Le pari fou de l’ouverture de trois nouvelles salles de cinéma en pleine crise économique fut relevé par un couple de professionnels, Clément Leroy (1892-1972) et sa femme, qui dirigeront jusqu’à 28 cinémas en Normandie75. À la différence de leurs illustres prédécesseurs le Normandy, comme plus tard le cinédit ou le studio 34, furent d’emblée conçus pour la projection exclusive de films. Le Normandy se présente comme « l’établissement le plus moderne de Rouen, doté des derniers perfectionnements : acoustique parfait, longs dégagements, fauteuils confortables, air constamment renouvelé assurant ainsi une bonne ventilation de la salle, visibilité parfaite à toutes les places76 ». Ce faisant, il introduit une rupture fondamentale dans l’histoire locale de l’implantation du cinématographe. Pour la première fois en effet, le cinéma ose se présenter comme un spectacle – sinon comme un art – exigeant des conditions spécifiques et non plus comme l’occupant de locaux non adaptés à son usage. Les plans comparés de l’Omnia (modèle théâtre à l’italienne) et du Normandy (cinéma contemporain) éclairent cette évolution tardive des mentalités. L’alternative scénique théâtre/cinéma était désormais levée au profit du second. Signe des temps, l’annuaire de Rouen, publié par l’imprimerie du Journal de Rouen, distingue, à partir de 1937, une rubrique cinéma et une rubrique théâtre. En 1939, les cinémas adressent même, à l’instar du Théâtre des arts ou du Français, des plans de leur salle.
- 77 Cf. Fouquet Christophe, Le cinéma d’éducation populaire en Seine-Inférieure entre les deux guerres (...)
59Il faut resituer cette nouvelle phase d’implantation locale du cinéma à l’échelle de l’agglomération, voire même du département77.
60L’indicateur géographique ne serait cependant pas à lui seul suffisant. L’implantation des cinémas, qui alignent en 1939, dix salles à Rouen contre deux salles réservées au théâtre n’augurait pas forcément d’une réussite commerciale. Soumises aux lois du marché, à la différence du théâtre subventionné, les salles de cinéma étaient mortelles. Pourtant c’est bien là qu’elles démontrèrent leur supériorité. Là encore les archives fiscales permettent de prendre la véritable mesure de la mutation culturelle des années trente. Il y a bien ici substitution d’un mode de consommation culturelle – le cinéma – à un autre mode – le théâtre – et cette substitution date précisément de la crise économique.
- 78 AMR, 1Q1, 1929.
61En 1929, les six cinémas rouennais représentaient 39 % des recettes brutes imposables au titre du droit des pauvres78. Le chiffre passe à 45 % en 1930 puis à 52 % en 1931, année où la crise touche réellement la France. Dès lors, le magistère cinématographique semble établi, même si certaines années comme 1935 (49 %) attestent d’une possible récession. De 1936 à 1938, alors que la crise s’installe et ébranle les arts de la scène, les cinémas rouennais drainent toujours l’essentiel de la consommation culturelle locale : 55 % des recettes en 1936, 56 % en 1937, 61,4 % en 1938. Dans le détail toutes les salles semblent avoir profité de l’essor. La comparaison de recettes d’une petite salle, le Renaissance (800 places) et d’une grande salle, l’Omnia (1600 places) est ici révélatrice. Les recettes du cinéma Renaissance croissent régulièrement en francs constants jusqu’en 1931 avant de connaître une nette récession de 1932 à 1935. Les chiffres de 1936-1938 sont cependant nettement supérieurs à ceux de 1929, l’apogée de l’entre-deux-guerres étant atteint en 1936. L’Omnia connaît une évolution comparable, nette croissance entre 1929 et 1931, l’apogée de l’entre-deux-guerres étant atteint à cette date, puis stagnation à un niveau élevé toujours supérieur au niveau de 1929 et ponctuellement à celui de 1930. Les salles de cinéma à Rouen dégagent donc des profits. L’exemple du Normandy pour finir, indique que ce profit est bien lié au spectacle proposé et non à l’institutionnalisation des établissements. Dès 1937, ses bénéfices dépassent ceux de l’Éden et de l’Omnia les salles concurrentes. En 1936, il totalise à lui seul 11 % des recettes de spectacles imposables et le chiffre passe à 14,6 % en 1938. Il est alors la première institution culturelle locale par le chiffre d’affaires. À la même date, le Théâtre des arts ne représente plus que 9,4 % des recettes culturelles locales (saisons lyriques et dramatiques additionnées). Rappelons ici qu’il représentait 12 % des recettes culturelles locales en 1929 tandis qu’à cette époque le premier cinéma était à 10,7 %. Ce chassé-croisé peut être précisément daté de 1930, date à laquelle deux cinémas, l’Éden et l’Omnia passent devant le Théâtre des arts pour le chiffre d’affaires. Huit ans plus tard, le Théâtre des arts n’arrive qu’en quatrième position juste devant le Théâtre français.
- 79 Spalikowski Edmond, « Dix ans de littérature normande », Actes des assises littéraires, artistique (...)
62C’est donc bien l’économie qui décide, en temps de crise, de la hiérarchie culturelle locale. La société rouennaise se devait néanmoins d’entériner la rupture, c’est-à-dire de donner un statut artistique au cinéma. Cette légitimité esthétique tarda cependant à venir. Le rejet du « septième art » caractérise encore une partie de la société culturelle au début des années trente. En 1934 par exemple, l’écrivain Edmond Spalikowski déplore en ces termes la crise du théâtre littéraire : « N’en accusons pas seulement les auteurs comme on le fait trop souvent, mais aussi le public qui, très difficile soi-disant sur le choix des pièces, se contente des inepties filmées, préférant également les jeux du cirque, c’est-à-dire les rencontres sportives où le stade concurrence, et avec quel succès, nos meilleures salles79. » Plusieurs indices cependant témoignent de l’évolution des esprits dans les années trente.
- 80 Parment Roger, Le septième art à Rouen, Rouen, Pietrini et Cie, 1959.
- 81 Cité par Parment Roger, op. cit., sp.
- 82 ABMR, Norm m 1077, Photo-Club de Rouen.
63La presse commence à faire une place à la critique des films au même titre qu’aux pièces lyriques ou dramatiques. Un phénomène de génération peut sans doute se lire ici, les plus jeunes journalistes investissant davantage le cinéma que leurs aînés. Le rôle d’André Renaudin, directeur et rédacteur en chef de Rouen-Gazette et chroniqueur à La Dépêche de Rouen fut sans doute ici déterminant, au même titre que celui à la fin des années trente de Roger Parment80, futur directeur de Liberté-Dimanche. Porté par de jeunes militants comme le photographe Bernard Lefebvre ou Jean Davies, la cinéphilie locale se développe également à cette époque. Le cinéma amateur lui emboîte le pas, accueilli au coup par coup par les salles commerciales. Ainsi, en décembre 1937, le Normandy fête son second anniversaire en projetant un documentaire de Bernard Lefebvre sur l’Exposition internationale81. En 1937 encore, Jean Davies fonde la section rouennaise de ciné-liberté, annonçant le mouvement des ciné-clubs de l’après-guerre. En 1938 enfin, une section cinéma est instituée au sein du Photo-Club rouennais et affiliée au CACF82. À ce militantisme encore confidentiel, il faut ajouter la reconnaissance édilitaire. Outre la promotion des documentaires célébrant la cité (reportages sur les fêtes Jeanne d’Arc de 1931, films du Syndicat d’initiative) la municipalité Métayer accueille à l’hôtel de ville l’équipe de Jean Renoir, venu en 1933 tourner quelques scènes de Madame Bovary. La presse couvre abondamment l’événement.
- 83 Cheret Karine, La publicité à Rouen de 1900 à 1939, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Jean-Pier (...)
64Avec l’avènement du cinéma, qui dépasse dès le début des années trente sur le terrain des recettes l’ensemble des théâtres, la culture locale semble donc entrée dans l’ère culturelle moderne. Elle est devenue un secteur économique à part entière, secteur diversifié, s’adressant aussi bien à une clientèle bourgeoise (répétiteurs artistiques, métiers d’art) qu’aux classes moyennes (libraires, casinos) et populaires (cinéma, salles de bals et de sports). Grâce à une consommation en croissance constante depuis les années 1880, la culture fait vivre des centaines de personnes directement ou indirectement. La publicité constitue un témoignage supplémentaire de cette entrée de la culture dans la sphère économique. Dans le Journal de Rouen les produits culturels (théâtre, cinéma, bals, photographie, etc.) constituent 5 % des réclames en 1900 et jusqu’à 16 % en 191883. Si le chiffre tombe à 2 % en 1923, c’est que l’affiche a remplacé les réclames. Jusque sur les monuments historiques on peut voir les programmes des spectacles donnés aux Folies-Bergères ou à l’Éden.
- 84 Rioux Jean-Pierre et Sirinelli Jean-François (dir.), La culture de masse en France de la Belle Épo (...)
65On le voit la vie culturelle locale ne saurait être déconnectée de l’économie. Elle génère des activités marchandes, participe de modes, bref s’inscrit dans la loi de l’offre et de la demande, même si l’on ne peut encore parler de culture de masse au sens des années 196084. Si la culture participe à la vie économique, l’économie, par ses mouvements « naturels » (cycles longs de croissance et de crise, cycles courts de récession ou d’embellies), influence également la vie culturelle.
La culture dans les flux économiques
- 85 Beltran Alain et Griset Pascal, La croissance économique de la France 1815-1914, Paris, Armand Col (...)
- 86 Beltran Alain et Griset Pascal, L’économie française 1914-1945, Paris, Armand Colin, Cursus, 1994.
66Cité industrielle, Rouen subit les mouvements nationaux et généraux de l’économie capitaliste sous la IIIe République. Après une période de ralentissement et de stagnation de la croissance (1860-1896), le pays connaît une reprise marquée, suivie d’une croissance forte à la Belle Époque (1896-1914)85. La guerre de 1914-1918 n’interrompt pas cette croissance pour Rouen, les activités commerciales et portuaires étant dopées par la présence d’une importante base anglaise. En revanche la ville connaît une crise de reconversion importante au sortir de la guerre (1919-1922). L’entre-deux-guerres se partage en deux périodes bien tranchées. La phase de croissance des années vingt génère une consommation de loisirs pour les classes aisées, au point qu’on pourra les qualifier d’« années folles ». La crise mondiale de 1929, qui ne touche la France qu’à partir de 1931, inverse durablement la tendance86.
67L’impact de ces fluctuations économiques sur la vie culturelle locale est difficile à mesurer. Certaines tendances lourdes déjà mentionnées (développement des institutions culturelles municipales, croissance du fait associatif, naissance des industries culturelles) semblent indépendantes des renversements de tendance et disposer de leur propre rythme de croissance. Elles n’en sont pas pour autant déconnectées de leur environnement économique. On lit très bien par exemple sur la courbe des subventions municipales au Théâtre des arts, la phase nationale de camouflage de la crise monétaire (1919-1922), la crise du franc sous le Cartel (1924-1928) puis l’inversion des courbes à partir de l’arrivée au ministère des Finances de Raymond Poincaré et la prospérité relative de l’économie donc de la culture à la fin des années vingt.
68On tentera ici, à partir de l’exemple de l’entre-deux-guerres rouennais de démontrer l’impact des mouvements économiques sur la vie culturelle et ses représentations. Cette période n’est évidemment pas choisie par hasard, car la rupture qu’elle introduit dans l’équilibre monétaire séculaire fut clairement perçue par les contemporains. Pour la première fois sans doute, les acteurs de la vie culturelle locale prennent conscience de la variable économique, ce qui va susciter à la fois des craintes et des réactions. L’inflation structurelle engendre un sentiment de crise, qui fonctionne d’abord comme un leurre, entretenant le mythe du « déclin ». L’inflation représente aussi une sérieuse contrainte, voire une menace pour la production culturelle locale dans les années trente.
L’inflation : une réalité nouvelle, des conséquences notables
69L’inflation constitue incontestablement la grande nouveauté de l’entre-deux-guerres et le principal facteur de fragilité de l’économie culturelle locale. L’indice des prix de détail fixé à 100 en 1919 passe à 157 en 1925, 226 en 1929, 259 en 1938 et 328 en 1940. Cette croissance n’est évidemment pas régulière. La dévaluation du franc par Poincaré le 25 juin 1928 vient ralentir l’inflation à la fin des années vingt, de même que la crise des années trente qui contribue à inverser la tendance jusqu’en 1935. Mais le niveau des prix de 1919 ne sera jamais retrouvé, au grand regret des contemporains. Les témoignages sont ici nombreux, qui attestent de l’impossibilité d’un retour à la normale.
- 87 L’Architecture et la construction dans l’Ouest, n° 1, octobre 1923 et n° 4, janvier 1924.
- 88 L’Architecture et la construction dans l’Ouest, n° 1, octobre 1923, p. 1.
70À la Société des architectes de la Seine-Inférieure et de l’Eure par exemple, le bulletin mensuel, L’Architecture et la construction dans l’Ouest, instauré avant la guerre, reparaît l’espace de quelques numéros en 1918 puis est abandonné, faute de ressources suffisantes, jusqu’en octobre 1923. Au-delà de cette renaissance tardive c’est la forme du bulletin lui-même qui doit composer avec la nouvelle donne économique. Au mensuel de 12 pages dont une planche illustrée de 1914 on substitue un bulletin de 4 pages (1923) puis de 7 pages (1924). Il faut attendre 1924 pour que réapparaissent les planches illustrées, une fois par trimestre seulement87. La commission du bulletin reconnaît d’ailleurs les nouveaux impératifs économiques : « Le bulletin mensuel… est encore une victime de la terrible guerre. Son aspect général sera modifié momentanément et simplifié en raison du prix de revient ; nous ne pourrons pas toujours donner la planche hors texte ni les illustrations qui ornaient si bien notre ancien bulletin et le faisait rechercher par les bibliophiles88. »
- 89 Bulletin de la Société des amis des monuments rouennais 1920-1921, Rouen, Lecerf, 1923, p. 30.
71Même constat à la Société des amis des monuments rouennais. En données brutes, les recettes de la société croissent régulièrement dans les années vingt avant de connaître deux périodes de crise (1927-1930 et 1932-1934). Cependant la courbe des recettes corrigées par le mouvement de l’inflation montre combien la croissance – spectaculaire pour les dirigeants de la société qui n’hésitaient pas à annoncer le 500e adhérent – était factice en réalité. L’inflation annihilait progressivement la croissance des recettes. Dès 1921, le bureau prit la décision d’augmenter les cotisations ordinaires. Celles ci passent alors de 12 à 20 francs par an. Jean Lafond note : « Nous avons pris cette décision sans plaisir, car ce ne sont pas seulement les gens riches que nous devons appeler à nous, dans l’intérêt même de nos monuments89. » Ces cotisations passeront ensuite à 25 francs (1923) mais ne seront plus augmentées jusqu’à la fin des années trente ce qui contribuera à baisser les recettes réelles de la société.
- 90 Sources : Bulletin de la Société des amis des monuments rouennais.
72Là encore les projets éditoriaux furent les premières victimes de l’inflation. Les frais d’impression du bulletin annuel, qui se montaient à 5880 francs en 1921 s’élèvent à 13248 francs en 1927, 17 542 francs en 1930 puis 17925 francs en 193590. Sur l’ensemble de la période le coût d’impression, chez Lecerf a été multiplié par trois. À la fin des années trente, le trésorier s’inquiète même de la diminution des réserves de la société :
- 91 ADSM, 97J16, trésorier de la Société des amis des monuments rouennais/Pierre Chirol (président), 8 (...)
« Comment ne pas considérer que le coût du bulletin en préparation sera bien supérieur à la somme de 21 000 francs dont nous disposons actuellement et qui comprend intégralement les fonds déposés à la Caisse d’épargne, qui sont considérés comme la réserve de la société… J’avoue que je suis effrayé par la perspective de la disparition entière de cette réserve et sans doute d’un solde débiteur qu’il faudra acquitter sur le produit des exercices ultérieurs91. »
- 92 ADSM, 97J16, allocution du 15 mars 1935. Cette question du bulletin n’est pas sans évoquer celle, (...)
73Deux conséquences découlèrent de ce constat. La limitation tout d’abord des initiatives de renouvellement. Le bulletin mensuel lancé en 1935 cessera de paraître dès janvier 1938. L’espacement ensuite de la parution des bulletins annuels. Alors que la société avait fait paraître régulièrement ses bulletins annuels à la Belle Époque, elle adoptera dans l’entre-deux-guerres un comportement éditorial plus pragmatique : quatre bulletins vont paraître dans les années vingt, quatre autres dans les années trente, certains (1933, 1939) regroupant jusqu’à quatre années de vie associative. Cet espacement nuisait indéniablement à la dynamique associative. Outre le lien naturel d’information, le bulletin tenait lieu de tribune pour les membres les plus influents de la société patrimoniale locale. Les communications érudites présentées lors des séances ordinaires de la société devaient parfois attendre plusieurs années avant d’être publiées, d’où la lassitude des militants. Pierre Chirol déplore le comportement de certains sociétaires qui, en l’absence de ce bulletin « refusent le paiement de la cotisation92 ».
- 93 ABMR, casier correspondance, société des bibliophiles normands, compte rendu de la 106e assemblée (...)
- 94 Ibidem.
74Pour éviter le déclin, de nombreuses sociétés ont recours à des formules de replâtrage. Ainsi la Société des bibliophiles normands, reconstituée en 1920, traverse avec peine les années suivantes et doit se résoudre à l’augmentation du nombre des sociétaires (de 40 à 60) et de la cotisation93. Le bureau précise que ces solutions sont la dernière chance « pour assurer la vitalité de la société, qui ne peut subsister actuellement, étant donné la modicité de ses ressources et le prix très élevé des impressions94 ».
- 95 ADSM, 80J1, assemblée générale du 1er juillet 1922.
- 96 ADSM, 80J1, assemblée générale du 2 mars 1929.
75Même constat, mais autres modalités à la Société des artistes rouennais qui devant l’augmentation des frais de son salon annuel décide en 1922, que les artistes résidant à Paris « devront payer désormais emballage et transport » tandis que tous les autres « devront s’assurer eux-mêmes contre l’incendie95 ». L’édition d’un catalogue luxueux en 1928 ayant entraîné un nouveau déficit on décide « de solliciter à l’avenir la publicité des maisons de commerce se rattachant aux arts graphiques et plastiques96 ».
- 97 Les tarifs des places du Théâtre des arts sont donnés chaque année dans l’Annuaire-Almanach de la (...)
76Les conséquences de l’inflation touchent évidemment les institutions culturelles et les établissements privés. La hausse des charges (chauffage notamment) les contraint à réviser leurs tarifs et à rejeter certains usages de gratuité. Le Théâtre des arts donne l’exemple dès 1920. La fourchette des tarifs (quatrièmes/loges) passa ainsi de 0,60/5,50 francs à 0,75/8 francs (1920) puis 1,45/10,05 francs (1921), 1,50/12 francs (1923), 2,25/15,5 francs (1927) et 2,75/18 francs (1928). En douze ans le prix des places au Théâtre des arts avait été multiplié par cinq, soit deux fois plus que l’inflation durant la même période97. Au Théâtre français également, les tarifs des places sont relevés dès le début des années vingt. La fourchette passe ici de 0,80/7,15 francs (1919) à 1,50/10,05 francs (1921). Là encore la hausse est confirmée à partir du milieu des années vingt en 1927 (1,65/12 francs), 1929 (1,85/14,25 francs) puis en 1930 (2,25/14,25 francs). Les tarifs des troisièmes ont cette fois été multipliés par trois. On notera que la hausse frappe proportionnellement davantage le public modeste (troisièmes, quatrièmes) que les publics supposés aisés. Les premières n’ont fait que doubler en douze ans. Elles avaient triplé au Théâtre des arts. Les musées suivent également le mouvement en restreignant l’accès gratuit à la fin des années vingt. À partir de cette date les tarifs d’entrée au musée des beaux-arts et au Muséum doublent.
77Dernier exemple celui de la maîtrise Saint-Evode. Durement éprouvée par la guerre, la maîtrise de la cathédrale de Rouen dut, au début des années vingt, modifier la nature de ses recettes. L’Association Saint-Evode, créée après la séparation de l’Église et de l’État se révélait incapable de palier aux dépenses chaque jour plus élevées. L’archevêché fut mis à contribution, ainsi que la cathédrale. Ils apportèrent respectivement une subvention annuelle de 8000 et de 14 000 francs au début des années vingt. Ces sommes ne pouvaient cependant pas suffire à combler un déficit creusé par l’augmentation générale du coût de la vie (combustible, alimentation, partitions, etc.). Aussi, progressivement, l’institution décida de faire payer certaines de ses prestations. La pension fut augmentée et les cours particuliers de piano, violon et violoncelle, encore gratuits avant la guerre furent désormais payants à raison de 50 francs par enfant et par trimestre.
78On le voit, les activités culturelles, qu’elles soient d’origines associatives, publiques ou privées subissent et nourrissent à la fois l’inflation. On peut dès lors légitimement s’interroger sur les conséquences pour le public de cette hausse généralisée et régulière des tarifs. Tout porte à croire que jusqu’au milieu des années trente au moins, la hausse n’engendra aucune baisse de la fréquentation et que par conséquent elle était adaptée aux capacités financières du public.
- 98 Précis de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, Rouen, 1935, séance du 8 novem (...)
- 99 Cf. Schieb Pierre-Alain, L’école supérieure de commerce de Rouen. 1871-1991. Essai historique, Rou (...)
79L’exemple de la maîtrise Saint-Evode est ici explicite. L’organiste Henri Beaucamp, professeur à la maîtrise Saint-Evode et lui-même ancien maîtrisien, indique, dans son discours de réception à l’Académie de Rouen en 1935, que « l’accroissement des salaires et l’édification de nouvelles fortunes, surtout à la campagne, permirent le relèvement progressif du prix de la pension, sans grave préjudice pour le recrutement98 ». De fait, le recrutement est en hausse continuelle dans les années vingt, une nouvelle classe étant même ouverte au début des années trente. L’ouverture des cours de la maîtrise Saint-Evode aux externes dès le début des années vingt n’explique pas tout. Les disponibilités financières du public potentiel de l’institution (employés, commerçants, paysans aisés) étaient sans aucun doute réelles, les revenus de ces classes moyennes étant entraînés par la croissance générale de l’économie dans les années vingt. On peut mettre en parallèle la croissance des effectifs de la maîtrise Saint-Evode et celle de l’école supérieure de commerce de Rouen qui passe de 102 élèves (1916) à 120 (1925) puis 144 (1927)99.
80Même constat en ce qui concerne les théâtres rouennais. Les rares données disponibles en la matière attestent que l’augmentation du prix des places n’a pas été suivie d’une baisse de la fréquentation. Ainsi les taxes d’État enregistrées pour le Théâtre des arts et relevées par le compte administratif municipal se maintiennent en francs courants de 1921 à 1926 pour enregistrer ensuite une hausse régulière jusqu’en 1931. Certes l’inflation annihile largement le mouvement puisque le chiffre de 1931 est, en francs constants, inférieur à celui de 1921. Mais même en tenant compte de l’inflation, la hausse régulière des tarifs à partir de 1926 (plus de 65 centimes en 1927 et plus de 30 centimes en 1928 sur les seules quatrièmes) n’engendre aucune baisse des taxes donc des recettes qu’elles concernent.
- 100 AMR, 1Q1, recettes imposables des différentes salles rouennaises. Les pourcentages sont calculés s (...)
81Cette prospérité des établissements culturels caractéristique de la fin des « années folles », est d’ailleurs générale. Le mouvement des recettes brutes imposables concorde pour la plupart des lieux de spectacle rouennais. De 1928 à 1931, la recette du Théâtre français augmente de 30 %, celle du Cirque de 41 %, celle du cinéma l’Éden de 55 % et celle d’un autre cinéma, l’Omnia de 85 %100.
82Ainsi l’inflation est à la fois source de difficultés et synonyme de croissance pour la vie culturelle rouennaise dans l’entre-deux-guerres. En ce sens la période génère des représentations économiques ambiguës au sein du monde culturel qu’il faut étudier avant même d’envisager la rupture des années trente.
- 101 AMR, 2R6, MM. Taureaux et Briant/maire de Rouen, 2 mai 1921.
- 102 Ibidem.
83La « crise » ou ses équivalents « dépression », « difficultés » est un thème récurrent au sein du monde culturel rouennais du début des années 1920. Ainsi de ces directeurs du Tivoli-music-hall qui sollicitent en 1921 l’autorisation de transformer leur théâtre en dancing en raison de « la crise actuelle qui sévit sur les spectacles101 ». Ces exploitants, arrivés à Rouen au moment de la crise de reconversion de 1921, ajoutent : « Nous n’avons eu depuis nos débuts à Rouen que des déficits102. » Le vocable s’accorde ici au moins à la réalité d’une récession économique. Cependant, l’emploi du terme de « crise » ne se limite pas aux années effectives de crise.
84D’autres témoignages évoquent en effet des difficultés au moment même où les économies nationale et locale sont placées sous le signe de la croissance et de la prospérité. Le thème de la crise devient alors un de ces lieux communs qui caractérisent une époque sans que l’on puisse déceler la part de la dissimulation (noircir le tableau dans le dessein d’obtenir un renouvellement de subvention) de celle des difficultés conjoncturelles d’une institution culturelle donnée. Les demandes de subvention des sociétés musicales rouennaises fourmillent d’occurrences de ce type.
- 103 ADSM, 4T61, rapport de la commission départementale du 21 décembre 1923.
- 104 ADSM, 4T61, OEuvre de la chanson française/préfet de la Seine-Inférieure, 27 septembre 1926.
- 105 Cf. Berstein Serge et Rioux Jean-Pierre, La France de l’expansion. L’apogée Pompidou 1969-1974. No (...)
85Dès 1923 par exemple, l’harmonie de Rouen-Saint-Sever se plaint des « charges qu’elle supporte103 » tandis qu’une autre société, l’Œuvre de la chanson française écrit en 1926 en tête d’une demande de subvention : « Plus que jamais les temps sont durs104. » On ne trouve paradoxalement dans la correspondance des mêmes sociétés rien de similaire au début des années trente. Le parallèle s’impose ici avec les années 1960-1970 au cours desquelles tous les sondages d’opinion renvoyaient un sentiment de baisse du niveau de vie, lors même que les indices de consommation étaient au beau fixe105. Dans les deux cas, il y a confusion entre récession et inflation.
- 106 ADSM, 4T35, Société normande de gravure/préfet de la Seine-Inférieure, 11 mai 1928.
- 107 ADSM, 4T35, Société normande de gravure/préfet de la Seine-Inférieure, 19 mai 1926.
86Rares sont les acteurs qui identifient nettement la cause de leurs difficultés. C’est le cas de la Société normande de gravure, dont le président indique dans une demande de subvention en 1928 : « comme tout le monde, notre société est très éprouvée par la hausse continuelle des prix106 ». Deux ans plus tôt, le diagnostic était encore imprécis comme en témoigne le caractère vague de la formule utilisée : « Les temps sont bien difficiles pour tout le monde, particulièrement pour tout ce qui touche à l’art107. » Au risque de pousser un peu loin le paradoxe, on peut se demander si certains secteurs de la société culturelle locale, fondés sur le bénévolat et la sociabilité, ne supporteront pas mieux la chute de l’indice des prix au début des années trente que l’inflation de la prospérité.
- 108 ADSM, 4T61 Maurice Lenfant/préfet de la Seine-Inférieure, 5 février 1934.
- 109 ADSM, 4T61, dossier « Cours de musique populaire », 19 élèves en 1926, 44 en 1927, 58 en 1928, 109 (...)
87Ainsi, il est très rare de trouver dans les archives associatives, des traces de la crise économique qui s’abat sur la ville à partir de 1931. La Société des artistes rouennais, tout comme la Société des architectes de la Seine-Inférieure et de l’Eure ou encore la Société des amis des monuments rouennais semblent ainsi, sinon ignorer le retournement de conjoncture, du moins ne pas prendre la mesure de son ampleur et de sa spécificité. On cherche également en vain des traces de rupture dans l’histoire de certaines sociétés musicales locales (Œuvre de la chanson française, Cercle musical de Rouen par exemple) qui traversent la période sans faire mention de difficultés particulières dans les années trente. Ailleurs, comme aux Cours populaires de musique de Maurice Lenfant, la crise est même synonyme de prospérité. Ainsi quand le directeur de cette école de musique populaire se plaint des « charges qui deviennent plus lourdes108 », il faut lire le succès de la société dont le nombre d’élèves croît sans discontinuité de 1926 à 1934109.
- 110 ADSM, 80J1, assemblée générale du 26 novembre 1926.
88Au-delà du silence de certaines sources et de la confusion d’autres entre la crise et l’inflation, on doit s’interroger sur la dimension morale de la crise. Ne parvenant pas à expliquer la nature de leurs difficultés économiques, de nombreux acteurs culturels incriminent le déclin de la sociabilité. Le mouvement de séances de travail de la Société des artistes rouennais (assemblées générales, réunions du comité directeur, réunion du bureau) révèle que l’irrégularité s’instaure dès le milieu des années vingt opposant des années dynamiques (1931-1932 ou 1934-1938) à des années creuses (1926-1928 et 1933) où la société semble avoir cessé d’exister. Ce manque d’épaisseur de la sociabilité culturelle est durement ressenti par les contemporains et d’aucuns comme le peintre Blanchard appellent à « éviter les dissentiments, même peu graves », ajoutant « qu’il y aurait grand tors de briser un instrument déjà ancien, officiel, faisant partie de notre vie rouennaise110 ». À cette crise de la sociabilité, les sociétés les plus anciennes résistent cependant mieux que les nouvelles, la cotisation des premières jouissant d’une inertie qui manque aux secondes. Ainsi la Société des amis de la lithographie normande, fondée au début de l’année 1930, admet la fragilité de son socle associatif dès 1932 :
- 111 AN, F21-4897 et ABMR, Normg-397, Société des amis de la lithographie normande, bulletin de 1932, r (...)
« Ce n’est pas que la constitution de notre groupement ait été sans difficultés. Le recrutement des adhérents a été nécessairement très long, ce n’est pas une mince affaire que de recruter 150 membres d’un groupement dont les aspirations sont purement artistiques… Nous avons eu la déception de constater que les multiples appels que depuis 1929, nous avons adressés tant par la voie de la presse… que par des lettres personnelles, aux sociétés des amis des arts et aux sociétés d’encouragement aux arts de Normandie, sont restés sans écho et qu’aucune de ces vieilles sociétés n’a cru devoir répondre à notre appel111. »
89Reste que les causes morales ici invoquées ne font que dissimuler le marasme général dans lequel l’économie s’enfonce à partir de 1931. La réalité de la crise ne saurait être niée.
La crise des années trente : un révélateur
- 112 Le repérage des créations annuelles et des dissolutions plus ou moins déclarées permet de comparer (...)
90La récession des années trente se lit à la fois à l’échelle de la vie associative et à celle des institutions théâtrales qui subissent de plein fouet la chute de la demande en matière de loisirs culturels. Le secteur associatif, particulièrement exposé subit le premier les effets de la récession économique. La crise est ici nettement identifiable à travers l’évolution des créations et des dissolutions d’associations112.
- 113 Nous considérons ici le champ culturel au sens large incluant au domaine des Beaux-Arts et des soc (...)
91La comparaison des bilans associatifs de 1931 et de 1936 est en ce sens relativement trompeuse. À en croire les annuaires locaux, on comptait 81 associations à caractère culturel113 en 1931 et 87 en 1936. Les chiffres sont donc comparables comme le sont ceux du secteur immédiatement concurrent des loisirs sportifs (77 sociétés sportives en 1931 et 81 en 1936). Le nombre de disparitions à l’annuaire, des associations culturelles (12 entre 1931 et 1936) est inférieur à celui des créations (18 entre les mêmes dates). C’est dire que la crise ne peut s’apprécier que par comparaison avec les segments antérieurs (1926-1931) ou postérieurs (Front populaire). À cette aune-là les années 1931-1936 se caractérisent par deux phénomènes complémentaires : le ralentissement des créations associatives d’une part, l’augmentation des dissolutions d’autre part.
- 114 ADSM, 4M463. Les sources commerciales modèrent toutefois cette embellie du Front populaire rouenna (...)
92Alors que les dernières années de la décennie avaient vu un rythme soutenu de créations (4 par an en moyenne de 1928 à 1930 selon les sources préfectorales), les années trente s’ouvrent sur une crise des fondations. Les archives départementales ne recensent que 2 créations pour chacune des années 1931, 1933 et 1935, aucune pour 1934. Si le total des déclarations (créations ou mutations) des années trente (26 mentions) est comparable à celui des années vingt (29 mentions) la dynamique est postérieure à l’avènement du Front populaire (13 créations de 1936 à 1940 contre 9 de 1931 à 1935)114.
93Les annuaires confirment le mouvement des créations même si les nouveaux noms (28 au total de 1931 à 1936) sont plus nombreux que dans les sources officielles. De ce chiffre, relativement important, il faut d’abord déduire les associations simplement réactivées dans les années trente mais nées lors de la période de croissance comme le Boston-Club rouennais de 1920, Rouen music-hall de 1923, le Club artistique rouennais de 1925 ou le Cercle artistique régional et le Cercle Notre-Dame, nés en 1928. On peut ensuite noter la fréquence des mutations de société comme ce Club artistique de Rouen (1925-1932) devenu le Groupe artistique de bienfaisance de Rouen en 1933. On notera enfin le caractère éphémère et fragile de ces créations d’associations culturelles du début des années trente. Ainsi l’Association touristique des étudiants en droit de Rouen, fondée en 1931, disparaît l’année suivante de l’annuaire, tandis que la Société des artistes associés rouennais, fondée également en 1931, sombre l’année suivante pour renaître de ses cendres en 1936 sous l’impulsion d’un nouveau directeur musical, Cloérec-Maupas. Là encore les créations sont plus nombreuses à la fin de la période, les deux années 1935-1936 enregistrant 13 créations contre 15 aux quatre années précédentes.
- 115 Il s’agit vraisemblablement d’un artefact (enquête récapitulative des dissolutions).
94C’est cependant le mouvement des disparitions qui s’avère le plus révélateur d’une crise des associations culturelles locales. Le mouvement des dissolutions déclarées à la préfecture, qui avait été très intense au début des années vingt (1923-1925) s’interrompt quasiment de 1926 à 1935 (1 dissolution enregistrée). En revanche, à partir de 1936 les dissolutions sont nombreuses (14 cette année-là115, 5 en 1937, 4 en 1938, 2 en 1939). Les chiffres fournis par les annuaires précisent cette rupture surprenante du milieu des années trente, que les sources officielles enregistrent sans doute tardivement, c’est-à-dire après 1935. Selon les sources commerciales, on compte pour Rouen une seule disparition en 1930 mais entre trois et cinq dès 1931, le gros des disparitions étant postérieur à 1932. Dans le détail aux côtés des sociétés les plus récentes disparaissent des annuaires des sociétés ancrées dans la vie culturelle locale depuis de longues années comme le Cercle lyrique de Rouen en 1932, le comité rouennais du Souvenir normand en 1935 ou le Groupe artistique des concerts de Normandie, association musicale fondée en 1903 qui disparaît en 1936. Tous les secteurs subissent la crise, aussi bien les sociétés musicales (disparition des Présentations artistiques de Rouen en 1931) que les patronages (cercle Stella) et les œuvres péri-scolaires comme la colonie de santé de Mesnil-Esnard ou l’Enfance à la campagne.
95La dynamique associative est donc réellement affectée par la crise économique même si l’impact est différé de quelques mois (1932) voire de quelques années (1936) pour la plupart d’entre elles. Aux disparitions provisoires ou définitives, il faut ajouter aussi les difficultés de trésorerie de l’ensemble des associations culturelles locales. Pour n’être pas nouvelles au début des années trente elles acquièrent bientôt une acuité particulière et envahissent les archives des associations. Bilans financiers déficitaires à l’appui, ces dernières font le siège des pouvoirs publics, chaque subvention, même minime étant désormais vitale. Deux exemples peuvent ici servir d’éclairage, celui de la chorale Haumesser, l’une des principales sociétés musicales de la cité et celui de la Société des artistes rouennais, première société de peinture locale.
- 116 ADSM, 4T61, André Haumesser/préfet de la Seine-Inférieure, 10 avril 1934.
96La chorale Haumesser forme dans les années trente un orphéon comparable aux plus grandes sociétés musicales de la IIIe République comme le cercle Boieldieu, l’Accord parfait ou la Cantate. Dirigée par le chef d’orchestre le plus célèbre de la période, André Haumesser, elle exécute, le plus souvent au Théâtre des arts, des œuvres prestigieuses et difficiles comme le Chant de la cloche de Vincent d’Indy (avril 1933) ou le Prince Igor de Borodine (avril 1935). Chaque concert nécessite l’emploi d’un orchestre d’une cinquantaine de musiciens, augmenté de « solistes de marque116 ». Le prix de revient de la plupart de ces exécutions oscille entre 5 000 et 10 000 francs, somme largement supérieure au budget ordinaire des sociétés musicales de l’époque.
- 117 Ibidem.
- 118 ADSM, 4T61, séance du conseil général du 22 juin 1934.
97Au moment d’envoyer sa demande annuelle de subvention au conseil général, André Haumesser n’oublie jamais de faire état de ses comptes déficitaires. Le concert du 5 mars 1933 lui laisse ainsi un déficit de près de 5 000 francs sur 10 000 francs de dépenses engagées117. La même situation déficitaire se reproduit en 1934 et en 1935. Haumesser dénonce aussi bien l’importance des taxes sur les spectacles (municipales, étatiques, professionnelles) que la faiblesse des subventions publiques. En 1934, il doit renoncer à exécuter le Prince Igor dans les conditions prévues de décors, costumes et ballets russes. Les subventions départementales (250 francs pour l’année 1934)118 paraissent pour le moins déconnectées des conditions économiques de l’époque. L’exemple de la chorale Haumesser annonce déjà la mutation nécessaire du spectacle musical dans les années trente. La Société des artistes rouennais, doyenne des sociétés de peinture locales enregistre elle aussi des difficultés croissantes.
- 119 ADSM, 80J1, assemblée générale du 14 juin 1924.
98À cette époque, l’essentiel de son activité consiste à organiser et à financer une exposition annuelle de peinture et de sculpture. Celle-ci engendre des frais importants (publication d’un catalogue illustré, invitation d’artistes nationaux en vue, concerts ou banquets de galas). Elle occasionne par conséquent des déficits réguliers, repérables dès le milieu des années vingt mais alors compensés par les réserves importantes de la société. Le bilan de l’exercice comptable présenté à chaque assemblée générale reste positif tout au long des années vingt. Certaines années produisent même alors des bonis supérieurs de 25 % aux dépenses courantes119. La crise débute ici en 1929, première année où la société enregistre un déséquilibre entre ses recettes et ses dépenses. Le déficit s’élève brutalement en 1930-1931 (moins 2728 francs en 1929, moins 8 179 francs en 1930, moins 3 346 francs en 1931). La situation est rétablie ensuite de 1932 à 1935 puis le déficit réapparaît, cette fois plus modeste, en 1936 (moins 304 francs).
- 120 ADSM, 80J1, assemblée générale du 2 mars 1929.
- 121 ADSM, 80J1, assemblée générale du 22 novembre 1930.
- 122 ADSM, 80J1, réunion du bureau du 22 novembre 1931.
99Chaque bilan négatif engendre abandons de projets et repli, qui dépouillent progressivement la Société des artistes rouennais de ses oripeaux. En 1929, la société renonce ainsi à « une manifestation grandiose120 » pour célébrer son vingtième anniversaire et reporte la fête au vingt-cinquième. En 1930, on abandonne, provisoirement, l’idée d’une exposition d’art religieux moderne, qui devait faire pendant à l’exposition d’art religieux ancien de l’Aide aux familles nombreuses121. En 1931, pour éviter un nouveau déficit on décide de réduire le nombre des invités de marque au salon annuel à un seul artiste122. En 1936 enfin, on réduit le tirage du catalogue et on supprime l’un des deux concerts de gala, organisé chaque année.
- 123 ADSM, 80J1, assemblée générale du 2 mars 1929, intervention de Marcel Delaunay.
- 124 AMR, 3R2, président du Syndicat d’initiative/maire de Rouen, 22 octobre 1932.
100Par petites touches, on le voit, le prestige de la première société de peinture locale se réduit comme une peau de chagrin au point qu’un sociétaire s’indignera des « économies qui se retournent rapidement contre ceux qui les réalisent123 ». Les dirigeants associatifs n’avaient cependant guère le choix. La plupart étaient convaincus, comme les dirigeants politiques de l’époque, qu’en dehors de l’équilibre des comptes, il n’y avait guère de salut. La crise apparaissait à beaucoup comme une fatalité, à l’image de cette considération du président du Syndicat d’initiative de Rouen qui note en 1932 : « Malheureusement cette année, en raison de la crise, les rentrées ont été plus difficiles124. »
- 125 Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, op (...)
101La crise n’épargna pas davantage les institutions culturelles. Les théâtres lyriques furent touchés de plein fouet. À l’échelle nationale, le nombre des théâtres exploités en province passe de 380 en 1914 à 23 en 1935125. En Normandie même, le début des années trente est fatal aux saisons lyriques traditionnelles des casinos normands (Dieppe, Le Havre, Cabourg, Trouville, Deauville). Le Théâtre des arts de Rouen semble cependant connaître un répit, conservant un bon niveau de recettes au tout début de la décennie. Il est vrai que la programmation de qualité se maintient jusqu’en 1933 même si le tour de force consistant à donner l’intégrale de la Tétralogie de Wagner en 1927 demeure sans lendemain. Sous la direction Campocasso (1929-1933), on trouve toujours des artistes vedettes de haute qualité musicale et scénique comme les ténors Saint-Cricq et Romette ou la soprano Vifquain. Des soirées prestigieuses sont organisées à l’instar de celles célébrant, du 17 au 21 novembre 1932, le cinquantenaire du Théâtre des arts ou encore la célébration en 1935 du centenaire de la mort de Boieldieu et de la naissance de Saint-Saëns. Ces commémorations donnent lieu à des créations ambitieuses pour un théâtre de province, des opéras rares comme La Dame blanche, Le Calife de Bagdad, Les Voitures versées, Henry VIII étant montés pour l’occasion. Cette vitalité théâtrale locale, qui n’est d’ailleurs pas partagée par le Théâtre français, fait cependant long feu. Tous les indices concordent pour souligner l’importance de la crise des années trente : baisse des recettes globales, chute de la capacité de création, repli général de la programmation.
- 126 AMR, 1Q1, taxes municipales sur les spectacles.
- 127 AMR, 1Q1, 1933 : 852 297 francs ; 1931 : 860 660 francs.
102Les sources fiscales permettent de dater avec une relative précision la crise du spectacle local. Les recettes brutes imposables126, traduites ici en francs constants, suivent un trend à la baisse qui touche aussi bien le Théâtre des arts que le Théâtre français. Dans les deux cas, le chiffre de 1938 ne représente guère plus de la moitié de celui de 1930. Dans le détail cependant les évolutions divergent. Au Théâtre des arts, la crise ne date que de 1933, première année à enregistrer une baisse des recettes depuis 1929. À cette date, le recul est encore très relatif puisque le chiffre de 1933 n’est inférieur que de 1 % à celui de 1931127. Le véritable déclin date du milieu des années trente, l’année 1936 enregistrant une diminution de plus de 42 % par rapport à 1933. Avec 488436 francs de recettes imposables, le Théâtre des arts signe à l’époque du Front populaire sa plus mauvaise année de l’entre-deux-guerres. À cette évolution des recettes imposables, on peut joindre celle des abonnements, bon indice de la fidélité du public local. À une époque où le prix des places reste stable, voire diminue – la fourchette s’établissant à 2,75/18 francs en 1930 et à 2,50/12 francs en 1936 – les recettes des abonnements croissent régulièrement jusqu’à la saison 1934-1935 pour accuser ensuite une chute brutale, lors de la saison 1936-1937.
103Au Théâtre français, l’évolution est comparable bien que la crise soit plus précoce. Dès 1931 en effet, les recettes brutes imposables diminuent régulièrement pour s’établir en 1933 à 411836 francs soit une chute de 38 % par rapport à 1930. Le milieu des années trente semble esquisser un redressement à hauteur de 645 000 francs pour 1935 et 1936 avant que le déficit ne se creuse plus nettement en 1938. Le chiffre de cette année représente une chute de 43 % par rapport à celui de 1930. Le Théâtre français n’hésite pourtant pas à recourir à une nouvelle augmentation du prix des places, les premières passant de 14,25 francs en 1930 à 17 francs en 1939, soit une augmentation de près de 20 %.
- 128 On s’appuie ici sur les travaux de Rose Cécile, Le théâtre lyrique en Normandie entre les deux gue (...)
104À cette baisse absolue des recettes, accentuée à partir du milieu des années trente s’ajoute un évident déclin de la création théâtrale locale. Quels que soient les genres étudiés, depuis le lyrique (opéra, opéra-comique) jusqu’à l’opérette les courbes de création des deux premiers théâtres rouennais s’orientent à la baisse dans les années trente, même si les politiques locales de soutien à la création permettent de différer le déclin artistique de la cité. Alors que les théâtres de Cherbourg et de Caen ont renoncé à monter de nouveaux opéras dès le milieu des années vingt, que le Théâtre du Havre s’y résout en 1932, le Théâtre des arts de Rouen demeure un bastion lyrique atypique en Normandie128.
105Mais les chiffres ne laissent guère planer de doute sur le caractère de survie de cette création lyrique rouennaise. D’une part les œuvres nouvelles sont moins nombreuses (1,3 création par an en moyenne de 1931 à 1936 contre 4,1 de 1925 à 1930) ; d’autre part les créations deviennent irrégulières, certaines saisons (1930-1931 et 1932-1933) n’en produisant aucune, en contradiction évidente avec les attendus du cahier des charges signé par les directeurs du théâtre. De fait, il faut attendre les saisons 1937-1938 et 1938-1939 pour voir la création lyrique rouennaise retrouver le niveau des plus modestes saisons de la décennie précédente. De toute évidence, on est bien loin des années fastes, comme 1925-1926 qui autorisaient jusqu’à 11 créations locales.
- 129 Cf. Rose Cécile, Le théâtre lyrique en Normandie entre les deux guerre : 1918-1939, op. cit., p. 2 (...)
106On aurait tort cependant de croire que ce repli est limité au lyrique. Certes l’opérette se maintient mieux mais comme l’opéra elle accuse des saisons creuses. Ainsi au Théâtre des arts on ne monte aucune nouvelle opérette de 1930 à 1932 pas plus qu’au cours de la saison 1934-1935. En 1935-1936 une seule opérette est créée au Théâtre des arts de Rouen contre huit au Havre. Le Théâtre français, de son côté, temple dédié à l’opérette depuis la Belle Époque, ne peut guère proposer mieux dans les années trente. Les 10 créations de la saison 1931-1932 ne sont bientôt plus que 6 en 1932-1933 puis 3 en 1933-1934. Le lyrique proprement dit a disparu depuis longtemps de la programmation, la dernière création (Richard sans peur de Raymond Chanoine-Davranches) remontant à 1920129.
- 130 Ibidem, p. 356.
- 131 AMR, 2R6, Louis Stréliski/maire de Rouen, 15 janvier 1931.
107Il est aisé de rendre compte de ce déclin des créations lyriques, à une époque où se conjuguent une baisse de la consommation culturelle et une hausse du coût de revient des spectacles (costumes, décors, interprètes). Mais la récession s’applique plus largement à l’ensemble de la programmation, créations et reprises confondues. Ainsi, c’est bien le cœur de l’activité musicale des deux grands théâtres rouennais qui est mise en cause par la crise économique des années trente. Alors que le nombre moyen des représentations s’élevait à 154,6 par an dans la seconde moitié des années vingt (1925-1930), il tombe à 140,6 dans la première moitié des années trente (1930-1936) puis à 106 de 1936 à 1939. En dépit de quelques sursauts (saison 1933-1934 par exemple) le déclin quantitatif de la programmation lyrique ou affiliée, amorcé dès 1929 se creuse à la faveur de la crise des années trente et s’amplifie sous la législature de Front populaire. Dans le détail c’est bien le lyrique qui fait les frais de cette inversion de tendance. On programmait encore 130 soirées d’opéras à Rouen en 1930, le chiffre descend à 87 en 1934 et 40 en 1936130. Mais si l’opérette profite au Théâtre des arts de ce déclin du lyrique, la clientèle est de toute évidence prise au français. Dans le même temps en effet, le nombre des opérettes montées au Français ne cesse de diminuer. On en comptait 28 lors de la saison 1931-1932, il n’en reste que 15 en 1933-1934 et 10 en 1936-1937. Dès 1931, le directeur du Théâtre français perçoit le danger de détournement de sa clientèle par le Théâtre des arts soucieux de rentabiliser ses saisons en s’appuyant sur l’opérette. Il se plaint auprès du maire de Rouen des stratégies commerciales de Campocasso, le directeur du Théâtre des arts : « Il me semble que le répertoire d’opéra et d’opéra-comique est assez vaste pour suffire aux représentations du Théâtre des arts dans le genre pour lequel il est destiné131. »
108Il y a donc bien crise pour les premières scènes rouennaises au milieu des années trente et cette crise, pour être décalée de la crise économique nationale ne s’en prolonge pas moins, comme elle, jusqu’au seuil de la guerre. Les conséquences culturelles, on s’en doute furent loin d’être négligeables, la première scène rouennaise entrant dans une phase de perturbations durables. On ne peut, a posteriori, qu’être frappé par le défaut d’analyse des contemporains, spécialistes de l’art lyrique. Là où l’historien relève une crise majeure et structurelle, les amateurs rouennais ne voient que des crises répétées, épiphénomènes qu’ils attribuent à la personnalité des directeurs davantage qu’à la conjoncture économique. La grille d’analyse locale reste psychologique ce qui interdit à la société culturelle comme au pouvoir politique d’adopter une réelle stratégie de sortie de crise. La chronique annuelle des scènes rouennaises dans les années trente fourmille ainsi de scandales, sur le turn over souvent rocambolesque des directeurs du Théâtre des arts. À y regarder de plus près pourtant, ces départs successifs relèvent moins de la médiocrité des hommes de théâtre, artistes ou simples gestionnaires que de l’incapacité durable dans laquelle ils se trouvèrent à éviter la faillite d’exploitations, qu’on leur concédait sans les moyens nécessaires. La comparaison avec le Théâtre français, négligée par les différents chroniqueurs de l’histoire lyrique locale, est ici particulièrement éclairante.
- 132 ABMR, 92N, Louis Stréliski.
- 133 Rouen-Gazette, 1er juillet 1933.
109Dans les années vingt en effet le Théâtre français symbolise la stabilité scénique locale. Son directeur, le Marseillais Louis Stréliski est arrivé à Rouen en 1904132. Il assume la direction du Théâtre français à partir de 1906 et fait donc partie des piliers de la vie culturelle rouennaise, au même titre que le directeur de la bibliothèque municipale ou que le directeur du musée d’Art normand, arrivés à la même époque. Ses qualités d’acteur, de metteur en scène et d’administrateur en font un personnage reconnu et estimé du public comme des édiles. On a vu plus haut que la subvention municipale au Théâtre français s’institutionnalisait dans les années vingt sans que les changements politiques successifs ou les récessions ne la remettent en cause. C’est pourtant ce même Stréliski qui doit, en 1933, au terme de deux saisons médiocres renoncer à la direction du Théâtre français et se contenter, ironie du sort, d’un simple rôle d’acteur, sous la direction de l’un de ses anciens employés, Pierre Dorly133.
- 134 Geispitz Henri, Histoire du Théâtre des arts, t. 2 : 1913-1940, op. cit., p. 240 et AMR, registre (...)
110À cette démission symbolique, il faut comparer les multiples péripéties des directions du Théâtre des arts. Contrairement à la stabilité des années 1925-1932, incarnée par les directions de Loose (1925-1929) et Campocasso (1929-1932), les années trente seront celles des incertitudes et des faillites à répétition. Les rebondissements en tous genres abondent et nourrissent une chronique anecdotique du Théâtre des arts. Ainsi du remplacement du directeur Bonnemoy par Campocasso en 1934 au terme d’une procédure obscure relatée par Henri Geispitz en ces termes : « La municipalité ne déclara pas la vacance de la direction, car elle avait son idée… En effet, par un véritable tour de passe-passe, le conseil municipal réuni en comité secret nomma M. Campocasso, directeur par 15 voix contre 5134. » Cette confiance n’empêcha pas le même Campocasso de démissionner en octobre 1936 laissant le tribunal de commerce prononcer la liquidation du Théâtre des arts. Les repreneurs, Douai et Bresson ne seront guère plus heureux et le conseil municipal les évincera en 1938, en dépit de la sympathie manifestée à leur endroit, selon les chroniqueurs, par le public.
111Derrière les multiples anecdotes (faillites, pots de vins, pressions politiques ou médiatiques, scandales publics lors de certaines représentations) il faut lire le décalage croissant entre les intentions artistiques de la ville et les moyens dont elle peut disposer pour sa politique théâtrale. La valse des directions (6 au total entre 1931 et 1939) n’est que le reflet d’un phénomène bien plus important : la modification des conditions du spectacle.
- 135 Geispitz Henri, Histoire du Théâtre des arts, t. 2 : 1913-1940, op. cit., p. 228.
- 136 Ibidem, p. 240.
- 137 Ibidem, p. 274.
- 138 Ibidem, p. 285.
112La question de la troupe, donc des moyens, avait toujours été le point sensible de la discussion du cahier des charges. Mais contrairement aux années vingt, les années trente voient l’idée de la suppression d’une troupe permanente faire son chemin. Les édiles ne s’y résoudront cependant pas et l’entretien d’une troupe fut toujours inscrit sur le cahier des charges. La chronique d’Henri Geispitz ne laisse cependant pas planer de doute sur la réalité et la cohésion de cette troupe. Dès 1933, le Théâtre des arts n’engage plus de ténor à demeure, préférant des artistes temporaires135. En 1934, la troupe est dépourvue de soprano-dramatique et de baryton d’opéra136. Là encore le milieu de la décennie voit s’accentuer le déclin au-delà même de la faillite Campocasso en octobre 1936. Cette même année en effet, une étape est franchie par le biais de la suppression de la troupe d’opéra et du seul entretien d’une troupe d’opéra comique. Pour la saison 1937-1938, Henri Geispitz note : « La troupe n’existait que sur le papier car plusieurs des artistes qui en faisaient soi-disant partie, ne parurent guère, ou seulement pendant les premiers mois et ne revinrent plus137. » En 1938-1939 encore, les artistes sont qualifiés par le même auteur de « nomades138 ».
113Cette disparition progressive de la troupe, synonyme de baisse de qualité musicale, est accentuée en 1937 par le départ du chef d’orchestre Adolphe Lebot, arrivé à Rouen en 1926 et véritable coqueluche du public au même titre que les chanteurs ou le décorateur Charles Rambert. C’est la réduction de la saison à cinq mois en 1937 qui le contraint à quitter l’opéra de Rouen pour celui de Marseille. On le voit, les signes du déclin s’accumulent sur la vie lyrique locale, même si quelques soirées de galas masquent habilement la crise rouennaise. Pour avoir connu une crise différée dans le temps, les théâtres lyriques rouennais n’en ont pas moins vécu une crise réelle, modifiant profondément les modalités de la création musicale locale.
- 139 Cf. Rose Cécile, Le théâtre lyrique en Normandie entre les deux guerre : 1918-1939, op. cit., p. 3 (...)
- 140 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 27 février 1936.
- 141 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 avril 1931, rapport d’ (...)
114La crise lyrique est d’autant plus mal vécue à Rouen, qu’elle risque de nourrir un chômage déjà très important dans la cité. On l’oublie trop souvent, un théâtre lyrique subventionné est d’abord une entreprise culturelle, permettant de faire vivre et d’employer des artistes locaux à l’heure où les écoles de musique sont encore rares. De cinq à sept mois par an selon la durée de la saison, le Théâtre des arts de Rouen emploie un orchestre de 33 à 50 musiciens, 40 choristes et 16 danseurs pour le corps de ballet139 sans compter les régisseurs, décorateurs et manutentionnaires. D’où la « nécessité absolue de ne pas laisser le Théâtre des arts fermer ses portes, ce qui serait désastreux pour de très nombreuses personnes qui vivent du Théâtre ou autour de lui, et pour les finances municipales elles-mêmes qui auraient à supporter une aggravation importante du chômage140 ». Cette hantise du « chômage des masses » maintes fois répétées dans les délibérations de l’époque, conduit la municipalité Métayer à développer le recrutement local. Ainsi en 1931, le docteur Grasset propose-t-il « d’employer en dehors de la saison théâtrale c’est-à-dire d’avril à octobre les quatre brigadiers machinistes du Théâtre des arts. Cette mesure, qui facilitera le recrutement et la formation professionnelle d’un personnel spécialisé indispensable à la bonne marche du théâtre, permettra également de remettre en état le matériel théâtral ainsi que le matériel des fêtes141 ». Dans le même ordre d’idée, le conseil municipal s’indignera du recrutement de choristes belges par la direction Campocasso en 1931, souhaitant l’emploi d’artistes locaux.
115Cette tentation d’autarcie culturelle, réflexe caractéristique des sociétés en crise était évidemment peu compatible avec la prétention parallèlement affichée de qualité lyrique. À l’heure où la radio-diffusion mettait à la disposition des premières oreilles, les meilleures interprétations du moment (concerts diffusés en direct), la qualité de la programmation passait nécessairement par le recours aux tournées. L’argument permettait toutefois de justifier une série de chèques en blancs délivrés aux directions successives des années trente. Certains comme Campocasso en abusèrent sans vergogne.
116C’est dire que l’économie culturelle locale s’inscrit bien dans les fluctuations de l’économie générale. La création comme la diffusion culturelle sont sensibles aux périodes de croissance et plus encore aux périodes de crise. La situation monétaire particulière de l’entre-deux-guerres renforce cette dépendance et fait entrer la vie culturelle locale de plein pied dans le xxe siècle. On comprend dès lors un peu mieux le trend d’institutionnalisation de la culture, qui traverse la période. Confrontés au risque de faillite des principaux établissements culturels, les élus locaux acceptèrent de s’engager dans la formalisation d’une politique culturelle qui avait aussi pour objectif de sauver ce qui pouvait l’être. Reste que l’analyse de l’impact de l’économie sur la culture locale ne serait pas complète si l’on s’en tenait à la seule échelle rouennaise. L’économie culturelle ne fonctionne pas en cercle fermé. Elle participe d’échanges, non seulement avec son environnement régional – en terme de rayonnement culturel notamment – mais aussi avec la capitale, à la fois proche et lointaine.
La dialectique du centre et de la périphérie
- 142 Cette question intéresse beaucoup les historiens depuis une quinzaine d’années. Cf. Cohen Evelyne, (...)
- 143 C’est la thèse contenue dans l’ouvrage du géographe Jean-François Gravier, Paris et le désert fran (...)
- 144 Menger Pierre-Michel, Le paradoxe du musicien; le compositeur, le mélomane et l’état dans la socié (...)
- 145 Françoise Taliano décrit la trajectoire des écrivains bordelais de l’après-guerre qui, de Mauriac (...)
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- 147 Par les lois constitutionnelles de 1875 et l’épisode Mac-Mahon d’une part, par la loi municipale d (...)
- 148 Gasnier Thierry, « Le local. Une et divisible », Nora Pierre (dir.), Les Lieux de mémoire, III, Le (...)
- 149 Chanet Jean-François, L’école des petites patries, Paris, Aubier, 1996.
117Penser les relations culturelles entre Paris et la province142, suppose de se défaire d’un certain nombre de préjugés. Pour certains spécialistes, les rapports culturels entre le centre et la périphérie n’existent simplement pas143. Paris et la province forment alors les deux pôles d’une antithèse culturelle. D’un côté, la capitale, « seule aire de consécration culturelle véritable », de l’autre, la province, « aire de déréliction ou de relégation artistique pour un créateur144 ». Pour d’autres au contraire, le rapport est à sens unique, les artistes les plus novateurs ou les plus carriéristes étant irrésistiblement happés par la sphère parisienne145, et ce depuis l’époque moderne146. En acceptant la thèse des sphères hermétiques ou celle du système polarisé, les historiens classiques de l’art, de la littérature ou de la musique se privent de l’analyse des interactions fécondes et complexes entre le centre et la périphérie. Or, l’histoire politique récente de la IIIe République met justement l’accent sur l’originalité de la synthèse territoriale imaginée par le régime. La puissante affirmation démocratique des années 1875-1885 s’appuie conjointement sur la légitimité parlementaire – le centre – et municipale – la périphérie147. Le principe de l’indivisibilité du territoire, venu de la Révolution de 1789, est fondamentalement ressourcé sous la IIIe République. À bien des égards, la France est alors « une et divisible148 » et les « hussards noirs de la République » savent s’appuyer sur ses particularismes149. C’est dire que le mythe du jacobinisme politique, économique et culturel mérite d’être revisité. On se propose ici de contribuer à ce débat historiographique en interrogeant les motivations économiques sous-jacentes aux rapports culturels entre Paris et Rouen. Se faisant, on est amené à interpréter différemment les logiques de la décentralisation et du mécénat, qui constituent les formes classiques d’intervention du centre et de la périphérie.
La décentralisation artistique
- 150 Discours prononcé lors de l’inauguration de la Maison de la culture d’Amiens, le 19 mars 1966, pub (...)
- 151 White Harrison et Cynthia, Canvases and careers : Institutionnal change in the French painting wor (...)
- 152 Les indications biographiques suivantes sont tirées de Lespinasse François, L’École de Rouen, op. (...)
118Le thème de la « décentralisation artistique », perpétuellement réactivé des années 1880 au Front populaire doit se lire à l’aune économique. Il s’agit moins pour l’État de s’engager à faire disparaître « le mot hideux de province », comme le dira plus tard André Malraux150, que d’assurer des débouchés aux artistes et autres collectionneurs, que la capitale n’est plus capable de satisfaire. Le mouvement séculaire de centralisation de la vie culturelle, débouche sous la IIIe République sur un phénomène d’encombrement et de saturation du marché de l’art parisien151. Nombreux sont les artistes ou les écrivains locaux qui recherchent une consécration parisienne. Dès la Belle Époque, l’avant-garde rouennaise (Dumont, Duchamp, Villon, Hodé) participe au mouvement fauve et aux recherches cubistes menées à Paris. Si aucun artiste rouennais de l’entre-deux-guerres n’expose, à notre connaissance, au Salon des artistes français, ils sont nombreux en revanche à fréquenter les autres salons152. On en trouve ainsi au Salon d’automne (Pierre Hodé en 1919, Alfred Dunet, Georges Cyr et Eugène Tirvert en 1920, Robert-Antoine Pinchon en 1921, Madeleine Hue en 1922 et 1925), au Salon des indépendants (Georges Cyr et Pierre Hodé en 1920, Eugène Tirvert en 1921, Paul Mascart en 1937) et même à la Société nationale des beaux-arts (Paul Mascart en 1919, 1922 et 1923).
- 153 On y trouve également Robert-Antoine Pinchon, Eugène Tirvert, Madeleine Hue, Alfred Dunet.
119Plusieurs galeries parisiennes (Drouant, Sélection, H. Derbert, Druet, galerie d’art du Bûcheron) exposent des artistes de l’École de Rouen (Pierre Hodé, Michel Fréchon, Alfred Dunet, Robert-Antoine Pinchon, Maurice Louvrier). Rares sont en revanche les grandes galeries contemporaines qui, à l’instar d’un Durand-Ruel exposant en 1928 Pierre Dumont, s’intéresseront aux peintres rouennais. D’autres néanmoins, comme la galerie Simonson (19, rue Caumartin) réalisent des expositions de groupes comme le Salon des Normands de Paris en 1925, qui voit réunis des peintres habituellement ignorés des cimaises parisiennes comme Maurice Vaumousse, Narcisse Guilbert et Maurice Louvrier153. On le voit, la plupart des artistes rouennais, vivant et exposant à Rouen, ne négligent pas le détour parisien, surtout dans les années vingt, à l’heure où le marché de l’art était en plein essor. La consécration symbolique parisienne est souvent tenue pour essentielle dans la construction d’une carrière locale.
- 154 Benezit E., Dictionnaire des peintres, sculpteurs et graveurs, t. 5, p. 300.
- 155 Cf. fiche nécrologique dans Journal de Rouen, 22 novembre 1939.
- 156 Il réalisera une centaine de bustes entre 1880 et 1920, dont celui de Mabillon pour la Bibliothèqu (...)
- 157 Il faut attendre l’entre-deux-guerres pour que Guilloux rencontre à Rouen une réelle concurrence a (...)
120Il n’y avait néanmoins pas de la place pour tous. Si l’avant-garde a tout intérêt à s’expatrier, dans la mesure où elle occupe un créneau économique trop étroit pour une ville de province, les artistes les plus classiques peinent à se distinguer de la masse de leurs concurrents dans la capitale. Ils choisissent alors sciemment de s’installer et d’exercer en province. Le cas du statuaire Alphonse Guilloux (1852-1939) est ici exemplaire. Formé à l’École des beaux-arts de Rouen puis à l’École nationale des beaux-arts, où il fut l’élève de Falguière154, il participera dans les années 1880 à de nombreux concours et expositions. Il remportera même, en 1889, la grande médaille d’or de l’Exposition universelle de Paris, avec son Orphée expirant155. Cette œuvre, acquise par l’État permettait à Guilloux d’envisager une carrière nationale donc parisienne, répondant aux commandes publiques et privées156. Pourtant, Guilloux, statuaire académique par excellence, préfère s’installer à Rouen. Nommé professeur de sculpture à l’École des beaux-arts de Rouen, il y officiera pendant 53 ans, tout en immortalisant dans le bronze ou la pierre tout ce que la région compte de célébrités, de l’industriel Pouyer-Quertier (1894) à l’érudit Georges Dubosc (1929). La consécration parisienne permettait à l’artiste d’asseoir sa réputation à Rouen et d’établir ainsi une relative hégémonie sur un marché de la sculpture très étroit157.
121Cette trajectoire artistique individuelle participe d’une logique collective, dont rend bien compte l’économie du spectacle sous la IIIe République. On ne peut par exemple qu’être surpris par l’importance et la récurrence des « tournées » musicales ou théâtrales qui ponctuent la vie culturelle locale. La province joue ici le rôle de caisse de résonance pour certaines productions parisiennes. Théâtres lyriques et autres salles de spectacle et casinos de province accueillent régulièrement les tournées Baret (comédie, drame) ou les concerts Colonne, Lamoureux ou Pasdeloup. Dans l’entre-deux-guerres, les premiers grands orchestres de jazz français (Ray Ventura et ses collégiens) comme les revues américaines sillonnent une province sans laquelle aucune économie d’échelle du spectacle ne serait envisageable. Dans ce cas, il y a moins recherche de légitimité que plus prosaïquement de débouchés. La saturation des lieux de diffusion artistique de la capitale – musées, théâtres – comme l’impossibilité d’étendre le public, vont être à l’origine d’une « redécouverte » des bienfaits de la province. L’État, le monde associatif et les mécènes en sont les principaux acteurs. La décentralisation menée – d’ailleurs timidement – sous la IIIe République n’est finalement que la volonté d’effectuer une économie d’échelle, sans laquelle la nation aurait dû accepter son déclin culturel. On peut à cet égard aussi bien mentionner la politique de subvention lyrique que l’État mène dès les années 1890-1900 pour soutenir la création, que la politique de soutien aux arts plastiques au moment de la crise économique des années 1930. On s’arrêtera ici sur deux expériences soutenues par l’État dans les années trente.
- 158 L’itinéraire suivi conduira le train de Paris Saint-Lazare à Saint-Quentin en passant par Laval.
122La première se déroule en septembre 1935. Organisée à l’instigation de la Confédération des travailleurs intellectuels et patronnée par la Direction des beaux-arts, l’expérience du train-exposition des artistes, lancée en 1934 pour le Sud et le Sud-Ouest de la France, est réitérée en 1935 pour la Normandie et la Picardie158. Elle relève de deux objectifs complémentaires.
- 159 AMR, 2R5, Train exposition des artistes, dépliant publicitaire, s. d., 1935.
- 160 Selon les informations contenues dans le dépliant publicitaire de 1935, la moitié des oeuvres expo (...)
- 161 AMR, 2R5, Train exposition des artistes, Georges Huisman/maire de Rouen, 16 septembre 1935.
- 162 AMR, 2R5, Train exposition des artistes, communiqué officiel du 24 octobre 1935.
123Il s’agit tout d’abord d’apporter une réponse nationale à la crise artistique, de « venir en aide aux artistes si durement éprouvés en ces temps difficiles159 ». À cette fin, un train de six wagons, transformés en salles d’expositions, transporte dans une dizaine de villes, deux cents toiles et quatre-vingts sculptures. Cette exposition itinérante est inaugurée officiellement suivant le principe des salons ou des vernissages de galerie ; les œuvres de petit format pourront même être achetées par des particuliers160. Très impliqué dans cette expérience de décentralisation artistique, Georges Huisman, le directeur des Beaux-Arts sollicite l’appui des villes visitées, écrivant au maire de Rouen : « Je vous serais reconnaissant de vouloir bien continuer à manifester votre sympathie à cet organisme si intéressant en suscitant parmi vos concitoyens et si possible au profit de votre ville, l’acquisition de quelques-unes des œuvres qui vous sont présentées161. » L’administration municipale fait alors parvenir des communiqués officiels à la presse locale, incitant les Rouennais à visiter l’exposition et à acquérir des œuvres « qui ajouteront une note d’art au charme des demeures familiales162 » et achetant elle-même pour le musée des beaux-arts de Rouen quelques toiles. À en croire le directeur des Beaux-Arts, l’objectif économique n’était cependant pas une fin en soi.
- 163 AMR, 2R5, Train exposition des artistes, Guide du Train exposition, p. 5.
- 164 Rapport de Roger Ballu à Henri Roujon, directeur des Beaux-Arts, cité dans Genet-Delacroix Marie-C (...)
124Au-delà de l’aide aux artistes, le train-exposition veut aussi favoriser la diffusion de l’art contemporain. Dans la préface du catalogue de l’exposition itinérante le directeur des Beaux-Arts le dit nettement : « L’art et le rail vont collaborer à développer le goût public et à répandre le plus largement possible dans nos provinces, des œuvres de valeur et de qualité… [Il faut] rendre chaque jour plus étroite la collaboration artistique de Paris et des départements163. » Il concrétise ainsi un projet vieux de quarante ans, celui du Commissariat principal des expositions, créé en 1892 pour « encourager les expositions en province et donner un renouvellement d’activité et d’éclat aux manifestations artistiques afin de relever la valeur et d’assurer le succès de ces expositions de province trop dédaignées à Paris164 ».
125L’analyse du catalogue confirme cette décentralisation. 77 % des œuvres exposées proviennent d’artistes résidant à Paris ou sa proche banlieue, 12 % d’artistes non-normands (Nord, Pas-de-Calais, Sarthe) et 11 % d’artistes normands (dont seulement 4 % de Rouennais). Le train exposition offre donc la possibilité aux Rouennais de voir des œuvres plastiques contemporaines, en rupture avec l’esthétique et les genres locaux. On peut ainsi citer deux œuvres d’Othon Friesz, une d’Henri Matisse et deux gravures de Jacques Villon. Les membres de l’École de Rouen ne sont toutefois pas oubliés, les Tirvert, Vaumousse, Quibel, Pinchon, le Trividic, Delaunay, trouvent par le biais du train exposition une occasion supplémentaire de présenter leurs œuvres. On peut néanmoins s’interroger sur l’impact d’une telle manifestation. Séjournant trop rapidement localement (du 30 septembre au 2 octobre 1935) pour prétendre ébranler le regard sur l’art des contemporains, elle eut de surcroît la mauvaise chance d’atteindre la ville au moment du décès de son maire, Eugène Richard. L’investissement officiel (maire, adjoint aux Beaux-Arts, direction du musée) en fut d’autant réduit. L’expérience augurait toutefois de nouveaux rapports de médiation culturelle entre le marché national et les marchés locaux.
126Une autre manifestation témoignera, à la fin des années trente, de ce nouvel élan pris par la décentralisation artistique à la faveur du Front populaire. L’exposition Despiau qu’accueille le musée des beaux-arts de Rouen du 19 novembre au 4 décembre 1938 constitue le seul exemple d’exposition rouennaise d’art contemporain dans l’entre-deux-guerres. À l’origine de cette manifestation, initialement organisée à Lourdes puis transférée à Rouen, on trouve l’Association nationale des amis des beaux-arts et la revue Beaux-Arts. Ce sont donc les groupements parisiens qui concurrencent ici l’État sur le terrain de la décentralisation artistique.
- 165 Georges Wildenstein fut également directeur de Beaux-Arts. Il y défendait le projet d’un musée de (...)
- 166 AMBAR, catalogue de l’exposition Despiau, 1938, lettre ouverte de Georges Wildenstein, sp.
- 167 Charles Despiau (1874-1946) peut être considéré comme l’un des meilleurs exemples du retour à l’or (...)
- 168 AMBAR, catalogue de l’exposition Despiau, 1938, lettre ouverte de Georges Wildenstein, sp.
127Cet objectif est clairement affirmé par le directeur de la Gazette des Beaux-Arts, Georges Wildenstein165 : « Nous allons montrer dans les provinces françaises les œuvres des artistes que Paris a consacrés et dont le prestige rayonne dans le monde entier. Nous allons aussi montrer à Paris les œuvres des artistes qui restant dans leur pays natal ont su échapper aux influences cosmopolites de la capitale. Paris n’est pas toute la France166. » L’exposition Despiau, patronnée par Jean Zay et Paul Vitry, se veut l’expression de cette décentralisation artistique. Il faut aussi y voir un plaidoyer pour la statuaire figurative d’inspiration classique dont Despiau, valeur confirmée en 1938, fut l’un des chantres dès 1909167. En ce sens les 23 sculptures et les 24 dessins exposés forment un manifeste du bon goût, celui enseigné dans les lycées de province professant les humanités et la référence à l’antique : « Un buste ou un nu de Despiau [forment] une œuvre susceptible d’être confrontée avec les plus belles œuvres de tous les temps168. »
- 169 ABMR, casier correspondance-associations, dossier « Société des écrivains normands », statuts et l (...)
- 170 Pour être précis, le chiffre se décompose en 12 % (Rouen), 16 % (autres Seine-Maritime), 3 % (Eure (...)
- 171 Spalikowski Edmond, « Dix ans de littérature normande », Assises scientifiques, littéraires et art (...)
128Aux côtés de l’État, les associations d’envergure nationale se mobilisent également en faveur de la décentralisation. Il s’agit souvent de jouer sur les deux tableaux, celui de la légitimité donnée par la capitale et celui du terroir. Cette ambivalence est cultivée avec le plus grand soin par la Société des écrivains normands169. La plupart des écrivains affiliés à la dite société ne résident d’ailleurs pas en Normandie. En 1932, ils sont en effet 40 % à habiter Paris ou sa banlieue, à l’image des plus célèbres d’entre eux comme Colette Yver, Camille Cé, Lucie Delarue-Mardrus, Jacques Carton, René Fauchois voire Maurice Leblanc, André Maurois (Émile Herzog) ou Léon Lemonnier. D’autres, plus rares choisissent de rester à Rouen (12 % parmi lesquels René Trintzius, le Bourguignon Jean des Vignes Rouges, Pierre René-Wolf, Francis Yard) ou au Havre (Julien Guillemard, Céline Lhotte, Jehan le Povremoyne). Au total, les écrivains « normands » résidant en Normandie ne représentent que 49 % de l’association170. Chargé d’établir le bilan de la décennie littéraire 1923-1934, le président de la Société des écrivains normands note avec malice : « Les écrivains rouennais sont à demi lutéciens171. »
- 172 Dans son étude sur les rapports entre Jean-Baptiste Carpeaux et sa ville natale de Valenciennes, A (...)
- 173 Les archives du journaliste et critique littéraire René-Gustave Nobécourt ont été déposées en 1992 (...)
- 174 Cité par Spalikowski Edmond, « Dix ans de littérature normande », op. cit., p. 239.
129Pourtant, sous l’angle de la géographie culturelle, ces « écrivains normands » de Paris et d’ailleurs sont bien des écrivains rouennais tant leur attachement affectif ou économique à la capitale culturelle de la Haute-Normandie paraît essentiel. Les stratégies de carrière sont ici explicites qui associent en permanence la quête de consécration nationale – donc parisienne – au souci régulier d’entretenir les racines locales. Dans ce jeu de légitimation artistique, les grandes villes de province constituent des pièces maîtresses172. Les archives du critique littéraire René-Gustave Nobécourt révèlent, au détour de billets et de cartes de visite déposés au Journal de Rouen, le souci de tous les écrivains normands d’être salué par la presse locale173. Même les écrivains consacrés (Lucie Delarue-Mardrus, André Maurois ou Camille Cé par exemple) n’hésitent pas à soigner leurs relations publiques rouennaises, signe de la nécessité de ne pas négliger le marché local du livre. Ce souci semble bien caractériser le fonctionnement littéraire provincial de l’entre-deux-guerres puisque le IXe Congrès des écrivains de France, réuni en 1933 à Ajaccio souhaite « obtenir que les grands quotidiens régionaux consacrent au moins une fois par semaine, une page aux productions littéraires des écrivains de leur région174 ». C’est dire que Rouen s’impose comme un maillon indispensable de la chaîne commerciale du livre régional. En amont de la production le rôle des imprimeurs locaux (Defontaine, Maugard, Lecerf, Lestringant, Wolf) s’avère également déterminant. S’ils ne contrôlent pas – loin s’en faut – l’intégralité des productions littéraires du local, ils savent, par leurs collections régionales d’essais, de tableaux ou d’histoire, attirer les plumes les plus prestigieuses. Ni André Maurois ni Lucie-Delarue Mardrus ne rechigneront à décrire Rouen et à publier chez Defontaine.
130Cette pratique de séduction n’est pas exclusive au courant régionaliste, qui par nature joue sur l’ambivalence des échelles de reconnaissance. L’exemple de la Sauvegarde de l’art français, association majeure pour l’histoire du patrimoine au xxe siècle démontre que les relations du centre et de la périphérie ne furent pas toujours pratiquées à sens unique.
Un exemple d’interdépendance : la Sauvegarde de l’art français
- 175 Archives SAF, bulletin, La Sauvegarde de l’art français, 1, 1925, p. 1.
131À bien des égards, l’œuvre de la Sauvegarde de l’art français, association fondée en 1921 par le duc de Trévise, s’apparente à la redécouverte culturelle de la province. Face aux logiques patrimoniales de l’État, qui privilégiaient depuis la monarchie de Juillet les sites d’envergure nationale, le duc de Trévise donna à voir l’ampleur des trésors architecturaux abandonnés aux fins fonds des régions françaises. La Sauvegarde de l’art français eut en effet pour but de sauver les « édifices pittoresques » non encore protégés au titre de la loi de 1913 ainsi que les « richesses d’art publiques175 ». En ce sens, l’association se voulait une réponse au célèbre appel lancé en 1911 par Maurice Barrès et relatif à la « grande pitié des Églises de Frances ». Trévise, bien introduit dans les sphères du pouvoir, obtint rapidement l’appui du sous-secrétariat d’État aux Beaux-Arts, le haut patronage de la présidence de la République ainsi que celui du cardinal de Paris. L’association fut reconnue d’utilité publique dès 1925. Les moyens mis en œuvre étaient nombreux, le duc de Trévise possédant un sens « médiatique » hors du commun. Il organisa ainsi des expositions prestigieuses (Les Maréchaux de France en 1922 au palais de la Légion d’honneur, Géricault en 1924 à la galerie Charpentier), multiplia les conférences, établit des réseaux locaux dans toutes les grandes villes de France, organisa à l’étranger et principalement aux États-Unis des comités de soutien. Dès 1925, la Sauvegarde de l’art français apparaissait comme un acteur patrimonial, apte à réunir les fonds nécessaires au sauvetage d’édifices en péril. Rouen, « ville-musée » croulant sous le poids de son patrimoine devait fatalement croiser le chemin d’un tel mécène. La collaboration, amorcée au milieu des années vingt, devait s’étendre jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
- 176 Cf. Vadelorge Loïc, « Les rêveries d’un mécène solitaire. Le duc de Trévise, la Sauvegarde de l’ar (...)
- 177 Cette église, située au coeur du centre-ville, désaffectée depuis 1791, a servi de magasin tout au (...)
- 178 Journal de Rouen, 8 décembre 1922, « statues à vendre » et 9 décembre 1922 « lettre anonyme d’un a (...)
132Les premiers contacts de la Sauvegarde avec la ville de Rouen remontent à 1924176. L’association permet alors le sauvetage de quatre statues, provenant de l’église Saint-Pierre du Châtel. Il s’agit de quatre statues monumentales en pierre, d’époque Renaissance et représentant des pères de l’Église (Moïse, David, saint Paul, et un autre saint non identifié). Ces œuvres, installées sur les contreforts de l’église Saint-Pierre du Châtel177 avaient quitté Rouen, à la suite de la plainte d’un riverain. Les statues, jugées dangereuses pour le voisinage, avaient été sciées, déposées puis vendues en janvier 1923. L’affaire avait bien suscité un article enflammé de l’érudit Georges Dubosc dans le Journal de Rouen et une plainte de la Société des amis des monuments rouennais par le même canal178, mais le conseil municipal, réuni le 8 décembre 1922, se contenta de déclarer qu’il était « préoccupé ». Incapables de réunir les subsides nécessaires la ville et les associations patrimoniales durent se résigner à laisser partir les statues.
133Les choses auraient dû en rester là. Personne ne connaissait alors à Rouen, l’existence de la Sauvegarde de l’art français. De fait, c’est par pur hasard que le duc de Trévise, en promenade à Beauvais, au mois d’août 1924, repéra dans la cour d’un antiquaire les quatre statues rouennaises. Il proposa immédiatement de les racheter et de les restituer à la ville de Rouen. Pour se faire, il mit en relation la société culturelle rouennaise (en l’occurrence, le directeur du musée départemental des Antiquités ainsi que le journaliste Georges Dubosc) et des mécènes parisiens. L’acquisition des statues constituera un bel exemple de financement croisé associant, par l’intermédiaire de la Sauvegarde de l’art français, les grands mécènes parisiens (le financier David Weil fournissant plus de 50 % de la somme exigée) la Direction des beaux-arts et le département de la Seine-Inférieure.
134À l’occasion de ce premier « dossier » rouennais, le duc de Trévise imposa sa méthode, étrangère aux pratiques culturelles locales : constitution d’un dossier précis, par le biais notamment d’un déplacement à Rouen et d’une campagne photographique. Contacts tous azimuts dans la plus grande discrétion, la presse étant priée de taire les démarches entreprises. Montage financier caractérisé par sa rapidité (il se déroule 23 jours entre la visite à Beauvais et l’annonce du retour prochain des statues à Rouen dans la presse), la Sauvegarde avançant l’argent pour le département de la Seine-Inférieure ! Large publicité après coup et par voie de presse, insistant sur les mérites des mécènes et de l’association.
- 179 Journal de Rouen, 28 août 1924, article de Georges Dubosc intitulé « Tout arrive ».
- 180 Archives SAF, bulletin La Sauvegarde de l’art français, numéro spécial de 1926, p. 3.
135Plus encore, il imposa ici le principe d’une gestion patrimoniale localisée, ce en quoi il se démarquait des pratiques étatiques en matière de protection des monuments historiques. Sa conviction était en effet que le patrimoine devait être conservé sur place, si possible sur les lieux mêmes de sa provenance, éventuellement restaurés, sinon dans un musée de la ville d’origine. En l’occurrence, les statues seront remises au musée départemental des antiquités, présenté comme le « dernier asile et le dernier abri de tant de vestiges intéressants du passé179 ». La hantise du duc de Trévise était l’éparpillement de l’art aux quatre coins du monde et notamment aux États-Unis. La Sauvegarde de l’art français a été fondée après les scandales de la vente aux États-Unis de l’escalier d’Abbeville (1906) et du cloître de Marciac (1911). Dans un texte programme, rédigé en 1926, Trévise proclame : « Nous ne nous occupons que de garder en France les richesses d’art publiques…, de protéger les façades pittoresques de nos villes et de nos villages contre le dépeçage et l’exportation qui n’est qu’un acte de barbarie et non de commerce180. » Le sauvetage des statues de Saint-Pierre du Châtel est donc à la fois un événement rouennais et un événement parisien. Le patrimoine local se lie ainsi à l’histoire, très parisienne, de la Sauvegarde de l’art français.
- 181 Pour les références qui vont suivre, archives SAF, dossiers rouennais (1924-1937).
- 182 Archives SAF, chemise « Inscriptions à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques ». Il (...)
136Car, on s’en doute, l’affaire des statues ne fut que le premier épisode d’un feuilleton patrimonial aux multiples rebondissements. La Sauvegarde de l’art français, par l’intermédiaire du duc de Trévise, de son secrétaire Jaubert de Bénac ou encore de la vice-présidente, la marquise de Maillé, va privilégier l’intervention rouennaise181. On la retrouve ainsi associée en 1924, au déplacement de la statue en plâtre de Pierre Corneille, en 1926, au sauvetage d’une Pietà Renaissance de l’église Saint-Pierre du Châtel, en 1927, à un projet de transformation de l’église des Augustins en Institut d’études médiévales, en 1929, au classement de trois bâtiments civils182, et en 1937 encore, au classement de l’église Saint-Étienne-des-Tonneliers. Mais l’exemple le plus célèbre de cette imbrication progressive des affaires culturelles rouennaises et de la Sauvegarde de l’art français reste celui de l’acquisition de l’Aître-Saint-Maclou de Rouen (cliché 9).
- 183 L’Aître-Saint-Maclou, cimetière médiéval entouré de quatre bâtiments à galeries et étages (édifiés (...)
- 184 Journal de Rouen, 10 décembre 1925, « L’Aître-Saint-Maclou aux enchères ».
- 185 AMBAR, copies de lettres, mars 1926, p. 336.
- 186 AMBAR, copies de lettres, Fernand Guey/duc de Trévise, 22 janvier 1926.
137L’affaire de l’Aître-Saint-Maclou dure de 1925 à 1940. Elle révèle les capacités d’organisation de la Sauvegarde de l’art français, qui pour l’occasion n’hésite pas à chercher des mécènes de l’autre côté de l’Atlantique, mais aussi les divergences au sein de la société culturelle rouennaise. En tranchant nettement en faveur du projet de Trévise, la municipalité de Rouen démontre une fois encore son incapacité à prendre seule en charge l’intégralité des joyaux de son trésor patrimonial. L’événement était pourtant initialement purement rouennais. Georges Dubosc, l’infatigable défenseur du vieux Rouen, et Fernand Guey le jeune directeur du musée des beaux-arts, dévoilent en effet en décembre 1925, le projet de l’administration des Domaines, propriétaire de l’Aître-Saint-Maclou depuis la séparation des Églises et de l’État, de vendre publiquement le monument, à l’issue du bail en cours183. Dubosc dénonce cette « preuve d’irrespect bien inutile184 », tandis que Fernand Guey multiplie les rapports pour la municipalité185. Très rapidement cependant, Fernand Guey comprend qu’il faut faire intervenir la Sauvegarde de l’art français. Entre temps, la polémique est lancée sur le terrain national. L’Intransigeant, Le Havre Éclair ou Le Petit Bleu reprennent les manchettes du Journal de Rouen. Guey intéresse Trévise au projet et le met en contact avec la municipalité de Rouen. Mais celle ci, fidèle à son attentisme légendaire, fait la sourde oreille. Guey écrit à Trévise : « L’initiative que j’ai prise de vous demander d’intéresser la Sauvegarde à la conservation de l’Aître-Saint-Maclou n’a pas l’air de rencontrer ici beaucoup d’appui186. »
- 187 Archives SAF, lettre du président des Amis des monuments rouennais/duc de Trévise, 18 janvier 1926
- 188 Archives SAF, Fernand Guey/Mlle Baudry (secrétaire du duc de Trévise), 22 mai 1926.
- 189 Archives SAF, notice sur l’Aître-Saint-Maclou, mars 1926.
138Ces hésitations, au moment de sauvegarder une pièce essentielle du patrimoine local, s’expliquent pour des raisons politiques. Car Fernand Guey n’a pas le monopole du discours patrimonial. La société culturelle, incapable de trouver les 100 000 francs nécessaires au rachat de l’Aître, disserte cependant allégrement sur son emploi postérieur. Le curé de Saint-Maclou propose de transformer l’Aître en patronage scolaire, ce qui n’est pas pour déplaire à la municipalité conservatrice de 1926. Les Amis des monuments rouennais soutiennent également cette idée187. Cette proposition ne peut être soutenue par la Sauvegarde qui, c’est une autre de ses caractéristiques, associe sauvetage et fondation nouvelle. L’Aître ne sera acquise par le biais de la Sauvegarde que dans la mesure où elle abritera un musée. Fernand Guey, responsable des collections artistiques de la ville (en plus des collections de peintures et sculptures, il conserve celles de céramique et celles d’ethnologie normande), dont les locaux craquent sous les réserves, est le défenseur naturel du projet de Trévise. Il lui écrit en lui demandant de le rencontrer « avant les Rouennais188 », court-circuitant la négociation « locale ». Il plaide, avec l’aide de Trévise, la cause d’un remploi muséal auprès du conseil municipal à de nombreuses reprises : « Un tel monument ne saurait abriter autre chose que les reliques du passé. C’est un rapprochement censé de souvenirs parallèles, l’œuvre et le souvenir de ceux qui furent les artisans de la grandeur de la cité normande189. »
- 190 Archives SAF, René Morin/Trévise, 2 juin 1926.
139Le projet finit par emporter l’adhésion de René Morin, adjoint aux Beaux-Arts de la ville. Celui-ci va trancher en faveur du projet de musée, tout en faisant allégeance à la Sauvegarde de l’art français : « Vous trouverez dans le conseil municipal de la ville peu d’archéologues et d’amateurs très avertis ; mais vous pouvez être sûr d’y rencontrer une majorité d’amis du vieux Rouen : ceux ci ne demandent qu’à conserver, restaurer et mieux comprendre leur patrimoine190. » Fort de cet appui, le duc de Trévise va construire un montage financier original, fondé sur le « parrainage » de Rouen par San Francisco.
- 191 Le voyage effectué par Trévise aux États-Unis en 1926 avait pour but de « jumeler » des villes amé (...)
- 192 Archives SAF, bulletin, La Sauvegarde de l’art français, 1926, p. 3.
- 193 Ibidem, p. 24.
- 194 Nous avons retrouvé ce film dans les archives de la Sauvegarde de l’art français. Grâce à l’amabil (...)
- 195 Archives SAF, dossier « Aître-Saint-Maclou », respectivement, duc de Trévise/Fernand Guey, 2 juill (...)
- 196 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 juin 1926. Le président (...)
- 197 AMR, comptes administratifs, 1926-1935.
- 198 Liberté-Dimanche, 8 avril 1984.
140L’action américaine de la Sauvegarde s’inscrit dans une logique plus large dont l’histoire reste à faire191. L’idée germe au cours de l’année 1925. Le but de Trévise est de dissuader les Américains d’acheter des monuments en Europe, et plus particulièrement en France, de les démonter, puis de les transférer aux États-Unis. Il accrédite l’idée d’un musée mondial : « L’Univers est maintenant comme un petit musée, facile à visiter, dont chaque salle est formée par un pays192. » Pour défendre ses idées, il fera, dans le courant des années vingt, plusieurs voyages aux États-Unis. Le premier, de novembre 1925 à mai 1926, lui permet de fonder une série de comités de parrainages dans toutes les villes importantes. Le procédé employé est toujours le même : prise de contacts préalables auprès des mécènes, conférences avec projections de diapositives et de films, fondation d’un « comité de soutien » chargé de récolter les fonds. Pour l’Aître-Saint-Maclou, la ville de San Francisco a été pressentie. Trévise y séjourne du 4 au 14 avril 1926193. Il y présente un film de propagande, Rouen the Gothic City, tourné le 29 septembre 1925 à Rouen194. Rapidement le comité est formé, sous la présidence de Mrs W. H. Crocker. L’ambition est de réunir 60 000 francs, prix de la mise en vente par l’administration des Domaines. On suit très bien la progression, très rapide, du fonds : 38 000 francs en juillet 1926, 41 000 francs en décembre 1926, 53 000 francs en avril 1927195. La somme est remise en août 1928 à la ville de Rouen. Celle ci s’engage, aux termes d’une délibération du conseil municipal, à apporter le complément financier nécessaire à l’acquisition ainsi qu’à effectuer les travaux nécessaires à l’installation du musée d’Art normand aussitôt le bail de location échu196. De fait la ville, aiguillonnée par la spectaculaire campagne de la Sauvegarde de l’art français, décide, en 1928, d’acquérir par ses propres moyens l’Aître-Saint-Maclou et de consacrer la somme recueillie par le duc de Trévise à la fondation du musée d’Art normand. Deux ans plus tard cependant, les travaux ne sont toujours pas commencés. Le duc de Trévise s’en indigne et obtient du conseil municipal de Rouen un vote de principe : on débloquerait une somme de 600 000 francs en vue des travaux d’aménagement nécessaires. Mais le rejet par l’État d’une subvention, les impératifs de la crise économique qui touche la France à partir de 1931 et sans doute la résignation du duc de Trévise, vont contribuer à différer le projet. L’apport du mécène, régulièrement inscrit au budget supplémentaire de la ville, de 1927 à 1930, passe à partir de cette date dans un chapitre « prévisionnel » du budget avant de disparaître purement et simplement des documents financiers en 1932197. Le transfert du musée d’Art normand ne sera toujours pas réalisé en 1940, au moment où les bombes qui détruisent le quartier sud de la cathédrale de Rouen contraignent la municipalité à envisager une autre destination pour l’Aître-Saint-Maclou : l’École régionale des beaux-arts198.
141L’acquisition de l’Aître-Saint-Maclou révèle les capacités de la Sauvegarde de l’art français. Elle révèle aussi, l’incapacité financière de la cité rouennaise et plus encore son incapacité politique, à faire plier l’administration des Domaines. La leçon est bien vite intégrée par la société cultivée locale. Les associations de protection du patrimoine comme les directeurs de collections publiques feront désormais systématiquement le siège du bureau du duc de Trévise, qui s’impose comme un intermédiaire indispensable pour les affaires culturelles rouennaises.
142De 1926 à 1940, la correspondance rouennaise de la Sauvegarde de l’art français s’enfle régulièrement. Aux demandes légitimes de protection du patrimoine viennent bientôt se greffer des questions culturelles spécifiquement rouennaises comme le devenir du musée d’Art normand ou la construction d’un mausolée à Jeanne d’Arc. La plupart des « érudits locaux », désespérés de la mise en quarantaine de leurs projets par un conseil municipal peu disposé à dénouer les cordons de la bourse, s’adressent naturellement au duc de Trévise.
143Henri Paulme, infatigable défenseur du rétablissement de « son » musée d’Art normand, tente à de nombreuses reprises, d’y intéresser le duc de Trévise. Ce dernier cependant ne semble guère disposer à suivre les projets de Paulme et ce pour deux raisons. La première est que la collection ethnographique n’est pas gérée scientifiquement. Laissée aux soins des érudits et des sociétés savantes, elle s’accroît, on l’a vu, au jour le jour, sans catalogue, ni objectif déterminé. La Sauvegarde, en soutenant ce capharnaüm régionaliste risquait sa légitimité scientifique. Il est cependant une seconde raison aux réticences du duc de Trévise. Son interlocuteur, Henri Paulme, est un vieillard, âgé de 77 ans en 1926. Amateur averti sans doute, membre de l’Académie de Rouen de surcroît, mais aussi érudit dont l’étoffe intellectuelle ne dépasse pas l’aire culturelle locale. Trévise préfère traiter avec des interlocuteurs plus jeunes et surtout disposant d’une autre stature, que ce soit dans le champ politique (l’adjoint René Morin, le maire Louis Dubreuil) ou dans le champ culturel (le licencié ès lettres Jean Lafond, directeur du Journal de Rouen et surtout Fernand Guey, directeur du musée des beaux-arts, son premier contact rouennais). Les affaires du musée d’Art normand ou du musée Le Secq des Tournelles seront traitées par l’intermédiaire de Guey et non par celui d’Henri Paulme, pourtant directeur des deux musées. La Sauvegarde contribue ainsi à modeler le champ culturel local.
- 199 Archives SAF, dossier « Les Augustins », « Rouen », compte rendu du voyage à Rouen des 12-14 mars (...)
- 200 Archives SAF, dossier « Rouen » « Saint-Étienne des Tonneliers », Pierre Chirol/duc de Trévise, 20 (...)
- 201 Ibidem, Pierre Chirol/marquise de Maillé, 27 mai 1937.
144Cette réticence à l’égard des érudits locaux participe d’un discours de rejet du provincialisme culturel, bien caractéristique des sphères culturelles parisiennes. Trévise, en limitant volontairement ses contacts rouennais à quelques personnalités d’envergure régionales voire nationales, tente de se placer au-dessus de ce qu’il analyse comme une culture de clocher. À cet égard le portrait qu’il nous donne de la société culturelle locale est révélateur : « J’étais peu encouragé en me rendant à la salle des sociétés savantes, mais l’aimable accueil de M. Dubreuil me rasséréna. J’aime beaucoup mieux les réunions populaires que ces parlotes pour gratin provincial, mais les beaux messieurs figés en rang d’oignon dans la salle d’attente composaient un jeu de massacre très appréciable199. » En dépit de ces préventions cependant, le duc de Trévise ne peut totalement maîtriser le jeu culturel local. Il est ainsi entraîné par l’érudit Raoul Brunon dans la grande querelle des vespasiennes de la place du Vieux-Marché à la fin des années vingt (chapitre IV). Au fil du temps, les Rouennais se font d’ailleurs de plus en plus pressants, voire directifs envers le duc de Trévise. On le voit bien en 1937, au moment de l’affaire de l’église Saint-Étienne des Tonneliers. L’église, inscrite sur la liste supplémentaire des monuments historiques, est menacée de démolition, car son nouveau propriétaire projette d’installer à sa place une compagnie d’autobus. Le président des Amis des monuments rouennais, l’architecte Pierre Chirol, contacte alors la Sauvegarde de l’art français et lui suggère même un plan d’intervention : « Je compte sur vous pour alerter la presse artistique et la presse d’information et d’empêcher cette nouvelle abomination de s’accomplir200 », et plus tard : « Je croirais utile de continuer la campagne dans la presse parisienne avec photos à l’appui, car je vous expliquerai verbalement qu’il est indispensable que certains personnages locaux sentent l’opinion alertée, faute de quoi ils laisseraient s’endormir leurs bonnes intentions201. » La société culturelle laisse ici entendre toute sa capacité à se servir d’une association d’envergure nationale comme la Sauvegarde de l’art français pour régler ses propres problèmes.
- 202 Cf. Vadelorge Loïc, « Entre l’impossible et le nécessaire, les commémorations rouennaises de Géric (...)
145Reste que Trévise ne fut probablement pas dupe. S’il acceptait de se laisser si facilement entraîner dans ces questions rouennaises, c’est aussi parce qu’il y trouvait un intérêt bien compris. Le choix de Fernand Guey comme interlocuteur n’était pas fortuit. En effet si la Sauvegarde s’intéressait tant à la ville de Rouen dans l’entre-deux-guerres, c’est aussi parce que les collections du musée des beaux-arts étaient très chères à son président. La rencontre, en 1924 du duc de Trévise et de Fernand Guey, jeune directeur du musée des beaux-arts de Rouen, ne devait rien au hasard. Le duc de Trévise, qui organise alors une exposition rétrospective du peintre rouennais Théodore Géricault à la galerie Charpentier à Paris, a grand besoin des toiles du musée des beaux-arts de Rouen. Il passe alors avec le conservateur, Fernand Guey, un véritable accord de troc. Les toiles rouennaises viendront à Paris puis l’exposition se déplacera à Rouen (cliché 16). Ce cinquantenaire de la mort de Géricault en 1924, est un véritable événement rouennais, le premier d’une longue liste d’expositions artistiques caractéristiques de l’activité de Guey dans l’entre-deux-guerres202. L’échange indique bien le lien de dépendance qui unit la Sauvegarde et le musée des beaux-arts de Rouen. L’amitié, qui bientôt s’installe entre les deux hommes ne change rien à l’affaire : Trévise a autant besoin de Guey, pour ses expositions privées ou ses rétrospectives, que Guey a besoin de lui.
- 203 Théodore Géricault (1791-1824) est né à Rouen mais il semble avoir quitté la ville assez tôt, vers (...)
- 204 Archives SAF, dossiers « Rouen », « Musée » duc de Trévise/Fernand Guey, 28 avril 1924 et Fernand (...)
146Entre 1924 et 1927, le duc de Trévise apparaît en effet comme le spécialiste de Géricault. À l’époque, le peintre « rouennais203 » ne connaît pas encore la gloire dont il jouit aujourd’hui. Trévise l’impose dans la généalogie des grands romantiques aux côtés de Delacroix et de Gros. Pour ce faire, il multiplie les expositions publiques ou privées. On le voit ainsi demander à Guey, en 1927, le prêt du Portrait de Delacroix par Géricault pour une exposition privée. Chose étonnante au regard de l’histoire des collections municipales, il l’obtient facilement204. Il obtient également de la ville, l’autorisation d’édifier un buste à la mémoire de Géricault en 1927. La cérémonie officielle, qui se déroule le 13 mars 1927, constitue l’apogée de l’action de la Sauvegarde à Rouen. De la ville ou de l’association, il est alors bien difficile de savoir qui se sert de l’autre.
- 205 Archives SAF, dossier « Rouen » « Buste Géricault ». En février 1927, le duc de Trévise achète au (...)
- 206 La Dépêche de Normandie 3 août 1925.
- 207 Le film, Rouen, the Gothic City a d’ailleurs été tourné en partie au musée des beaux-arts dans ce (...)
- 208 Archives SAF, dossier « Rouen » « Musée ». Les colonnes du Jubé datent du xviiie siècle. Démontées (...)
147Le musée et Fernand Guey savent bien entendu retirer de larges bénéfices de cette imbrication culturelle. Après la période des donations directes de la Sauvegarde, de mobiliers notamment205, vient celle des projets plus ambitieux. Trévise est d’abord associé à la fondation d’une Société des amis du musée des beaux-arts en 1925 dont il devient le vice-président, après en avoir refusé la présidence206. Il intéresse ensuite son association à la création d’un centre de rentoilage, fondé au musée des beaux-arts en 1928207. Il participe également à l’aménagement de différentes salles et notamment à la salle du Jubé208. L’installation de ces colonnes de marbre au musée nécessitait de renforcer le plancher au moyen d’une dalle en béton (chapitre I). Le coût de l’opération – 40 000 francs – sera supporté aux trois quarts par la Ville et pour un quart par la Sauvegarde.
- 209 Archives SAF, dossier « Rouen » « Société les amis du musée », Fernand Guey/duc de Trévise, 3 mai (...)
- 210 Ibidem, duc de Trévise/Fernand Guey, 7 août 1925.
- 211 Ibidem, duc de Trévise/Fernand Guey, 30 juin 1925.
148On le voit, l’histoire du musée des beaux-arts de Rouen est indissociable, pour l’entre-deux-guerres, de celle de la Sauvegarde de l’art français. Pourtant, il est clair qu’au-delà de la dépendance financière de Rouen, la dépendance culturelle de la Sauvegarde se creuse. L’action du duc de Trévise demeure d’ailleurs en permanence discrète. Aucun triomphalisme n’accompagne les réussites du mécénat parisien à Rouen. Trévise insiste à de nombreuses reprises sur la nécessité de ne pas accréditer publiquement l’idée d’une tutelle culturelle. À un Fernand Guey qui le prévient que « le Rouennais est un peu défiant » et qu’il faut lui donner l’impression que tout vient de lui209, Trévise martèle : « le point de vue local, qui est le vôtre est le seul bon210 ». Son refus d’assumer la présidence de la Société des amis du musée des beaux-arts ne s’explique pas autrement. Selon lui, « les sociétés de province doivent être avant tout régionales211 ». Derrière la prudence ou le tact d’un grand médiateur culturel, on trouve ici l’expression d’un schéma géographique plus subtil et nuancé que l’image du « désert français » ne le laissait supposer.
- 212 Cf. georgel Chantal, « Collections privées/collections publiques : un dialogue permanent », Sociab (...)
149On le voit la province séduit à la fois l’État et les grandes associations nationales. Le marché de l’art lui-même ne pouvait demeurer indifférent à ses attraits manifestes. L’histoire des collections des musées locaux regorge ainsi d’exemples de legs d’exception, par lesquels tel mécène parisien dote un musée de sa ville natale. Cette pratique caractérise les musées du xixe siècle. Sur les 600 musées que compte la France en 1914, une centaine proviennent d’acquisition de collections privées212. À y regarder de plus prêt cependant le geste paternaliste relève souvent d’un intérêt bien compris pour le collectionneur. Le mécénat ne se dirige pas par hasard vers la province.
Les logiques du mécénat
150On ne peut ainsi qu’être frappé par l’importance des dons et legs dont bénéficient les musées de Rouen au cours des années vingt. Au total ce sont plusieurs centaines de pièces qui entrent dans les collections locales, modelant durablement leurs configurations. Les dons concernent des sujets aussi divers que la céramique (legs Gérus de 1912 réalisé après la guerre, legs Barbet de 1919), le mobilier d’époque (legs Lemaistre de 1927), la ferronnerie (don Le Secq des Tournelles de 1920) ou l’art contemporain (donation Jacques-Émile Blanche de 1923).
151Ces dons résultent d’une conjoncture spécifique, d’abord imputable au trop plein des musées parisiens. Aux débuts de la IIIe République la logique voulait que les dons les plus importants se dirigent vers le Louvre, le Petit Palais, le musée Carnavalet ou le pavillon de Marsan. Des collectionneurs locaux comme les Rouennais Dutuit, qui auraient pu ou dû faire la fortune muséographique de leur cité, préféraient léguer leurs collections aux musées parisiens, sans doute plus assurés que les lieux et les conservateurs qui y étaient affectés seraient à la hauteur de leur libéralité. À ce jeu-là, on comprend le risque évident de saturation des grands musées parisiens et leurs soucis de pratiquer très tôt une décentralisation muséographique bien comprise. Ce souci devint une exigence à partir des années vingt.
152Le refus que les grands musées parisiens opposent, à partir de l’entre-deux-guerres, à certaines collections en apparence prestigieuses tient à une série de facteurs complémentaires. Le manque de place doit évidemment être mis en avant. La plupart des dispositions testamentaires exigent l’exposition permanente des œuvres léguées. Cette contrainte est d’autant plus délicate à respecter que la muséologie naissante dans les années vingt met l’accent sur la qualité de présentation des collections, qui passe avant tout par la réduction du nombre des œuvres présentées au public. De surcroît, les réserves et les locaux ne sont pas extensibles à l’infini.
153Par ailleurs, qui dit don dit négociation, lente, patiente, attentive aux desiderata du légataire et de sa famille. Les conservateurs de musées doivent littéralement apprivoiser le collectionneur, l’inciter à renoncer à donner les pièces les moins intéressantes, à compléter de lui-même une collection, à déterminer des conditions acceptables pour les instances culturelles et politiques de tutelles appelées à donner un avis sur le don. Cette action de longue haleine mobilise les énergies et l’emploi du temps des conservateurs. Dans les années vingt, Fernand Guey, le directeur du musée des beaux-arts de Rouen se dépense ainsi sans compter pour les legs les plus prestigieux (Barbet, Lemaistre), multipliant les déplacements au domicile des collectionneurs, envoyant des dizaines de lettres, gérant des dossiers d’héritage qui courent sur deux décennies. Le conservateur se fait ici tantôt détective, tantôt archéologue, tantôt notaire, toujours diplomate. Le legs Lemaistre, engagé en 1913 ne sera ainsi réalisé par le musée de Rouen qu’en 1952 !
154Dernier argument en faveur de la décentralisation des dons et legs, leur impact financier. Dans la plupart des cas, le propriétaire du musée (État, département, ville) doit acquitter de lourds droits de succession puis d’installation et d’entretien des collections. Là encore la solution de facilité était de recentrer les dons locaux vers les musées de province. La mise en place d’un réseau professionnel via l’Association des conservateurs des musées de province facilitait grandement cette nouvelle stratégie patrimoniale. Une note de travail de Fernand Guey à propos du legs de madame veuve Lemaistre indique clairement le processus de transfert :
- 213 AMR, 2R3, legs veuve Lemaistre, note de Fernand Guey, s. d., 1927.
« Je fus mis en relation avec elle dès 1922. Madame Lemaistre devait à cette époque offrir au musée du Louvre divers objets et je fus chargé de la mettre en rapport avec mon ami Marquet de Vasselot, chef du département des objets d’art du Louvre. Marquet de Vasselot et M. Manchon invitèrent Mme Lemaistre à diriger ses libéralités sur le musée de Rouen. C’est ainsi que les belles commodes Louis XV, le bahut Renaissance en bois doré, les magnifiques porcelaines de la Compagnie des Indes nous furent donnés par elle en 1923213. »
- 214 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 29 décembre 1920, rapport (...)
155L’exemple de transfert le plus célèbre reste celui des collections de ferronnerie Le Secq des Tournelles. Initialement destinées au musée national des Arts décoratifs, les collections Le Secq des Tournelles, uniques en Europe à cette date, sont données à Rouen en 1920 « malgré les pressantes sollicitations qui lui venaient d’autre part214 ». Les archives de la bibliothèque municipale révèlent que les contacts avec Rouen avaient été pris dès 1917, bien avant le refus du prestigieux musée parisien. Il faut dire que les exigences du collectionneur étaient à la mesure de son legs exceptionnel. On tient dans l’acceptation de ces exigences par les musées provinciaux une autre clé de l’intérêt des mécènes pour la province. Si la philanthropie est en effet indissociable du mécénat culturel, il ne se résume que rarement à elle. Les collectionneurs des années vingt s’adressent aussi aux musées de province en raison de l’évident avantage comparatif qu’ils proposent implicitement. Le don d’une collection particulière à un établissement muséographique ne peut s’opérer que si les conditions de préservation de son exemplarité sont réunies. Une collection pourra rester éponyme si elle est assurée de ne pas entrer en concurrence avec d’autres collections de valeur équivalente. Dans ce jeu de l’offre et de la demande qui attache la valeur socioculturelle d’une collection d’art à sa rareté dans un périmètre donné, les musées de province paraissent avantagés. Les collectionneurs s’y dirigent d’autant plus volontiers qu’ils sont assurés d’être accueillis avec tous les honneurs qu’ils estiment nécessaires. Là où les conservateurs parisiens rechignent, les conservateurs provinciaux déroulent souvent le tapis rouge, trop heureux de l’aubaine qui les fait sortir de l’anecdotisme muséographique. Les collectionneurs en profitent de toute évidence.
156Ainsi Louis-Alexandre Barbet, ingénieur-conseil du sous-secrétariat aux Beaux-Arts, précise-t-il les conditions de son legs rouennais, exigeant que ses collections soient exposées dans
- 215 AMBAR, dossiers dons et legs, legs Barbet, testament du 10 juillet 1918.
« […] la salle du musée qui se trouve la seconde à droite en entrant dans le grand salon des porcelaines, ou, en cas de transformation de cette salle dans une salle équivalente. Ces installations et expositions auront un caractère perpétuel et les objets donnés ne pourront jamais être vendus ni échangés. Ils resteront toujours exposés… et feront l’objet d’un catalogue spécialement dressé par le conservateur et Barbet à ses frais215. »
- 216 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 29 décembre 1920.
- 217 Ibidem.
157Les exigences d’Henri Le Secq des Tournelles sont d’une autre ampleur. Dans ses tractations avec la ville de Rouen il réclame non plus une salle mais un musée entier, situé de surcroît dans le centre-ville. Après négociations, la ville décide de libérer l’ancienne église Saint-Laurent, occupée depuis 1911 par le musée d’Art normand, et de la transformer en musée de Ferronnerie portant le nom de son fondateur essentiel. Le rapporteur du projet au conseil municipal précise : « C’est même l’assurance de cette installation dans l’ancienne église Saint-Laurent qui a déterminé le donateur à choisir la ville de Rouen216. » Le collectionneur oblige également « la ville de Rouen à faire tous travaux pour l’exposition des dites œuvres et à les soigner et entretenir afin qu’elles soient toujours en parfait état217 ». Dès 1920, la ville de Rouen débourse ainsi 110 000 francs pour l’installation de la collection et 16 500 francs pour les frais d’enregistrement.
158On le voit, dans ce jeu du tout ou rien, qui conduit les collections privées vers les musées de province, les donateurs sont loin d’être perdants. Assurés de voir leurs collections obtenir des concessions perpétuelles dans les musées de province, ils s’assurent eux-mêmes une postérité sociale qu’ils auraient sans doute peiné à arracher à des institutions plus sûres de leur rayonnement comme le musée du Louvre. Ce transfert culturel n’allait cependant pas de soi. La correspondance de travail de Fernand Guey révèle la fragilité des négociations, sans cesse menacées par les tracasseries administratives dont la vie culturelle provinciale semble avoir le secret.
159Le premier risque de ratage tient dans la longueur des négociations. Entreprises généralement du vivant du légataire elles se prolongent souvent au-delà de son décès. Ainsi si le legs Lemaistre décidé en 1923 n’est réalisé on l’a dit qu’en 1952 et non en 1927 à la mort de Mme Lemaistre, c’est que sa fille, Suzanne Lemaistre gardait, aux termes du testament, l’usufruit des collections. Entre les deux dates, seul le conservateur c’est-à-dire l’institution culturelle peut assurer la continuité du dossier (dépôts ponctuels, redéfinition de la collection, ajouts, échanges…). Les municipalités successives ne peuvent qu’entériner les conclusions du directeur du musée.
- 218 AMBAR, dossiers dons et legs, legs Barbet, Fernand Guey/maire de Rouen, 5 décembre 1929.
160Celui ci aura parfois toutes les peines à convaincre une administration, peu informée de l’importance d’un legs en cours de définition, du minimum de diplomatie requis. Fernand Guey fit un jour remarquer au maire de Rouen l’inopportunité d’un rappel administratif pour une facture de transport de 2 000 francs, non acquittée par un donateur du musée des beaux-arts : « Monsieur Barbet a déjà été donateur pour des objets dont la valeur s’élève à plusieurs millions ; je suis toujours en relations avec lui et il m’a promis de donner au musée un lot important de céramiques précolombiennes. Cette collection que je connais bien est de toute rareté et Monsieur Barbet a reçu pour elle des offres déjà très élevées218. »
- 219 Ibidem, Fernand Guey/maire de Rouen, 17 février 1930.
161D’autres fois c’est la lassitude qui s’installe. En 1930 par exemple, Fernand Guey réclame des crédits d’urgence pour procéder à l’installation de la collection Barbet : « Il m’est impossible de rester avec lui plus longtemps sur la réserve. Monsieur Barbet se propose de faire de tels dons à la ville qu’il y a le plus grand intérêt à ne pas l’indisposer par des atermoiements dont son grand âge ne lui permettrait de voir la fin219. » En juin 1948 encore, les héritiers Barbet assignent en justice la ville de Rouen car les collections de céramique, évacuées dès 1938 n’avaient pas encore été réinstallées. En février 1955, ce sont les héritiers Gérus qui déposent une plainte similaire pour des collections d’antiquité et d’objets d’art.
162En dépit de ces ratages ponctuels, la dynamique des dons et legs, amorcée au début des années vingt ne s’interrompt pas. Les collections léguées au début des années vingt (Blanche, Barbet) s’enrichiront régulièrement dans l’entre-deux-guerres. L’ensemble des acteurs culturels locaux se mobilise en effet pour faciliter les échanges entre le centre et la périphérie. Si les donations apparaissent si conséquentes dans les années vingt c’est parce que les collectionneurs reçoivent les soutiens complémentaires de la société culturelle, des professionnels de la culture et des élus locaux, désormais conscients de l’intérêt économique des collections.
- 220 AMR, 2R3, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 10 novembre 1927, in (...)
163Les contacts fréquents entre les collectionneurs et les musées ou bibliothèques reposent sur des relations personnelles, qui finissent par former un réseau efficace d’interconnaissances. On trouve là les médiateurs classiques de la société culturelle, critiques d’art, historiens, conservateurs, bibliothécaires et surtout amateurs. Dans le legs Lemaistre on pourra ainsi voir apparaître au détour d’une lettre de Fernand Guey le personnage de Gaston Manchon, artiste peintre, actif militant de la Société des artistes rouennais dont il est membre régulier du bureau. C’est grâce à lui, cousin de Suzanne Lemaistre, que Fernand Guey, également membre de la Société des artistes rouennais, peut s’introduire dans la famille et être reçu à Bolbec après une entrevue parisienne. Son rôle sera opportunément rappelé lors de l’acceptation du legs par le conseil municipal en 1927, le rapporteur saluant « notre concitoyen, l’artiste connu de nous tous et qui est président de la Société des amis du musée220 ».
- 221 AMBAR, dossier dons et legs Gérus, note d’Olga Popovitch, 11 février 1955.
164Pour les donations Gérus et Barbet, le rôle du conseiller général Lormier paraît déterminant. C’est lui qui, profitant du refus du conseil municipal de Pont-Audemer d’échanger un poste de conservateur contre une collection de céramique, convainc Edouard Gérus (1849-1912) de léguer sa collection au musée des beaux-arts de Rouen. Au passage, Lormier, lui-même collectionneur, achète personnellement quelques céramiques de la collection Gérus. Les 145 pièces de la collection Gérus seront inaugurées le 12 mai 1923, le jour même de l’ouverture de la salle Jacques-Émile Blanche en présence de Paul Léon221. Le même Lormier, nommé en raison de ces services, conservateur du musée de céramique de Rouen, sera à l’origine de la donation Barbet de 1918.
- 222 Journal de Rouen, 27 juillet 1913. AMBAR, dossier dons et legs Lemaistre, testament Lemaistre du 1 (...)
165On retrouve ici le constat, fait par Fernand Guey lors de son arrivée à Rouen, de la nécessité de la médiation de la société culturelle locale. La mise en confiance des donateurs régionaux ou nationaux passe par la mobilisation de l’environnement savant. Toutefois le mécénat ne pouvait se satisfaire de la reconnaissance des seuls amateurs et érudits locaux. L’authenticité du legs dépendait de la valeur universelle de la collection que seul un expert comme le conservateur du musée de Rouen pouvait attester. Si le rôle de Lormier avait été essentiel dans la capture des dons Gérus et Barbet, c’est bien la compétence de Guey qui décide les collectionneurs à amplifier leurs dons. Le processus est très clair dans le cas du legs Lemaistre. Initialement limité à 48 pièces de porcelaine et 3 meubles (1913) le legs s’étoffe régulièrement, passant à 53 nouvelles céramiques en 1923, 72 pièces en 1927, sans compter le mobilier et les tableaux222. Dès 1926 par ailleurs, Lormier démissionne de son poste de conservateur du musée de Céramique, ce dernier passant sous la responsabilité exclusive de Fernand Guey. Dès lors le musée de Céramique prend réellement son essor, les collections léguées étant complètement installées en 1929-1930. Le développement de la section fut tel qu’un transfert dut même être envisagé en 1929 à l’Aître-Saint-Maclou puis, à la fin des années vingt, à l’hôtel d’Hocqueville.
- 223 AMR, 2R3, Fernand Guey/maire de Rouen, 22 mars 1927.
166C’est la dimension d’expert et de professionnel de Fernand Guey qui convainc les collectionneurs plus que ses évidents talents mondains. Au décès de madame veuve Lemaistre, sa fille, héritière du legs en usufruit confie à Guey l’expertise des collections223. Cette tâche l’occupera plus de six mois. Ces services ponctuels et « gratuits » ne sont pas tout. Fernand Guey ne propose pas seulement aux donateurs de recevoir leurs collections et de les exposer. Il leur présente également un véritable projet muséographique susceptible de recueillir leur adhésion.
- 224 AMR, 2R3, rapport de Fernand Guey au maire de Rouen, s. d., 1927.
167Dès le début des années vingt, Fernand Guey réorganise les salles du musée des beaux-arts en exposant les œuvres (porcelaines, tableaux, sculptures) dans leurs milieux « d’origine » (mobiliers et stucs d’époque). Il s’en ouvre très largement aux collectionneurs nationaux (Sortais, Trévise) ou locaux. Lors de sa première visite à Bolbec chez les Lemaistre il note ainsi que « la maison était munie de quantités d’objets » et manifeste le désir de « meubler le musée autant qu’il serait possible afin de restituer aux œuvres d’art, aux tableaux, le cadre qui leur était familier autrefois224 ». De fait, le mobilier et les objets de décoration (statuettes, éventails, terres cuites, coffres…) constitueront un élément important du testament en faveur du musée.
- 225 AMBAR, dossier dons et legs Barbet, hommage funèbre lu par Fernand Guey aux obsèques du donateur, (...)
168On comprend que cette conception muséographique déclenche l’enthousiasme des collectionneurs, qu’ils soient locaux ou nationaux. En léguant leurs meubles, ils transforment à bon compte leur goût privé en culture d’époque à vocation universelle. Fernand Guey a bien compris cette dimension psychologique et sociale du don privé. Il souligne par exemple lors de l’inhumation du collectionneur Barbet que « les collections offertes attesteront toujours son goût raffiné, sa délicatesse, son sentiment de l’art, sa haute culture ; elles demeureront parmi nous comme le témoignage des plus hautes qualités humaines225 ».
- 226 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 mai 1921.
169Rien n’aurait été possible cependant sans le concours financier et politique des municipalités rouennaises. Les frais d’installations, d’assurances voire d’enregistrement et de mutation nécessitaient de débloquer rapidement des sommes parfois conséquentes. On ne peut que souligner ici l’opportunisme des édiles au début des années vingt qui surent choisir nettement le développement patrimonial local, à l’heure où la conjoncture économique ne s’y prêtait guère. C’est ainsi grâce à l’entregent de Lucien Valin que la collection Le Secq des Tournelles fut léguée à Rouen. C’est encore grâce à lui qu’en 1919 la ville transféra un crédit destiné à l’amélioration du régime de stérilisation des eaux d’alimentation à l’ » achat de pièces en faïence de Rouen » lors de la célèbre vente de la collection Papillon à Paris. Son successeur, Louis Dubreuil, prolonge le mouvement en faisant voter les crédits d’installation du musée Le Secq des Tournelles, cas unique dans l’histoire locale, d’aménagement rapide d’un musée. Pour ce dernier exemple, le volontarisme budgétaire est évident puisque la ville accepte de résilier le bail de location qu’elle avait contracté avec l’État après la Séparation, pour l’église Saint-Laurent et d’acquérir l’édifice pour 60 000 francs226.
- 227 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 29 décembre 1920.
170L’action municipale passe aussi par le discours. Il en est de convenus comme ceux flattant les collectionneurs. Les propos de Louis Dubreuil saluant à travers le legs Le Secq des Tournelles « le geste généreux du donateur qui veut bien nous remettre les précieux objets que lui et son père ont réunis depuis plus de soixante ans avec la plus sûre critique et le plus fin discernement227 » sont de cette veine-là. La flatterie passe parfois par le rattachement plus ou moins fictif du donateur à la cité voire sa naturalisation. Ainsi du collectionneur Barbet dont le père avait été maire de Rouen sous la IIIe République ou de Le Secq des Tournelles dont la famille s’était installée en Normandie en… 1216 ! Dans ce dernier cas la ville naturalise le donateur, inscrivant son nom au tableau d’honneur des bienfaiteurs de la cité, installé dans l’escalier de l’hôtel de ville.
171Plus sérieusement cependant, l’adhésion des édiles s’inscrit au début des années vingt dans un projet culturel caractéristique sinon de la culture d’après-guerre, du moins de la conception que s’en font les élus Bleu-Horizon. Pour le conseiller Robert, défendant l’acquisition de céramiques à la vente Papillon de 1919, la tâche culturelle de la ville est
- 228 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 7 mars 1919.
« […] d’ajouter aux illustrations littéraires et artistiques qui ont fait sa gloire, les merveilles architecturales qui émaillent son sol, les richesses accumulées dans ses remarquables collections et ses bibliothèques… Vous comprendrez les devoirs qui vous incombent pour satisfaire les élèves de nos facultés, les artistes, les savants et surtout les visiteurs étrangers qui viendront, de plus en plus, y faire un stage d’étude ou y puiser de saines distractions228. »
- 229 Ibidem.
172Votant la somme demandée le conseil municipal évoque même « l’intérêt supérieur » de la ville229.
173C’est dire que la dynamique des dons et legs résulte bien de la somme d’intérêts particuliers. L’union du centre et de la périphérie réalisée à Rouen dans les années vingt peut clairement se lire comme une opportunité économique et symbolique à la fois. Les termes du contrat tacite ne semblent guère avantager l’un ou l’autre des partenaires. Chacun y trouve son compte, signifiant plus largement que la vie culturelle locale est désormais entrée dans l’âge des échanges.
Notes
1 Benhamou Françoise, L’économie de la culture, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 1996.
2 Chartier Roger et Martin Henri-Jean (dir.), Le temps des éditeurs. Du Romantisme à la Belle Époque. Histoire de l’édition française, t. 3, Paris, Fayard-Le Cercle de la librairie, 1990 et Mollier Jean-Yves (dir.), Où va le livre ?, Paris, La Dispute, 2000.
3 Discours de M. Taulier, maire de Grenoble en 1850, cité par Daigle Jean-Guy, « La culture en partage. Grenoble et son élite au milieu du xixe siècle », Études dauphinoises, 5, 1977, p. 78.
4 Thiesse Anne-Marie, Écrire la France, Le mouvement littéraire régionaliste de langue française entre la Belle Époque et la Libération, Paris, Presses universitaires de France, ethnologie, 1991.
5 Le chiffre est cité par Chaline Jean-Pierre, Une élite urbaine au xixe s. : les bourgeois de Rouen, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1982, p. 233.
6 Journal de Rouen, 4 février 1932. La maison Prouët était une maison d’ameublement, implantée à Rouen depuis 1871. L’exposition de dessins confirme ici le lien particulier qui unit le commerce et l’art localement (chapitre II).
7 Les Bonnes Nouvelles, 28 juillet-3 août 1959, p. 8-10.
8 Annuaire de Rouen et de la Seine-Inférieure, liste des commerçants de Rouen, 1868. Les appellations utilisées dans le texte sont celles de l’époque.
9 Annuaire de Rouen et de la Seine-Inférieure, liste des commerçants de Rouen, 1868. Les appellations utilisées dans le texte sont celles de l’époque.
10 Condemi Concetta, Les cafés-concerts. Histoire d’un divertissement (1849-1914), Paris, Quai Voltaire, 1992.
11 Albertini Pierre, L’École en France xixe-xxe siècle, de la maternelle à l’université, Paris, Hachette, Carré Histoire, 1992.
12 Benoit-Cattin Renaud et Verdier Hélène, Ferdinand Marrou ferronnier. Itinéraires du Patrimoine, 6, 1991, Rouen, Service régional de l’Inventaire général de Haute-Normandie, DRAC.
13 Lejard Alice et Wilfrid, Canteleu. Regards sur le passé, Canteleu, Edip, 1989 et Alexandre Alain, Déville-lès-Rouen. Un retour en arrière… de 70 années, Déville-lès-Rouen, Féré, 1983 ainsi que En suivant TEOR, Histoire(s) d’agglo, 16, 2001.
14 Lespinasse François, L’École de Rouen, Rouen, Fernandez, 1980.
15 Les autres galeries rouennaises sont peu connues. La revue Artistes et écrivains normands en recensait 11 en 1934 : Legrip, Menuisement, Barret, Lemonnier, l’Atelier, Cendret, Prouët, Ateliers d’art chrétien, Bréviaire, Grindelle, Hesse. Encore fallait-il sans doute défalquer de cette liste les maisons d’ameublement (Prouët, Bréviaire) et la Maison du dessin qui n’exposaient que de manière ponctuelle des artistes. Sur les dix galeries existantes à Rouen dans l’entre deux-guerres, seules deux, la Galerie moderne (rue Saint-Romain) et Legrip (rue de la République) vont exposer régulièrement des artistes néo-impressionnistes.
16 On compte 25 libraires en 1908, 22 en 1919, 20 en 1925 et 26 en 1935.
17 Spalikowski Edmond, Ame et aspects de Rouen, op. cit., p. 129.
18 Cf. Imprimerie Lecerf. 1836-1986. 150 ans de passion pour l’imprimerie, Rouen, Imprimerie Lecerf, 1986, p. 20.
19 Cf. Sibout Cécile-Anne, « La naissance de Paris-Normandie. Une gestation conflictuelle », Études normandes, 1, 1995, p. 53-78.
20 Lucien Wolf fut médaillé aux Expositions de Rouen de 1884 et 1896 et à l’Exposition internationale de 1900 pour ses travaux d’impression.
21 Par ordre d’apparition, directeur du Muséum d’histoire naturelle de Rouen, biologiste et écrivain, graveur, architecte, historien du Théâtre des arts, publiciste, archéologue, homme de science, écrivain, archéologue, architecte.
22 Cf. Fons Claire, « Le fonds régional de la bibliothèque municipale de Rouen. Réalités et perspectives », Congrès de l’association des bibliothèques françaises. Saint-Brieuc, 7-9 mai 1983, dans ABMR, dossier A/Z, bibliothèque municipale de Rouen.
23 Dictionnaire biographique, industriel et commercial de la Seine-Inférieure, op. cit., p. 303. La généalogie médiévale tacitement donnée par le Dictionnaire biographique, industriel et commercial de la Seine-Inférieure à la maison Prouët est accordée dans le même ouvrage à la librairie Aloye et Toutain de la rue de la Grosse-Horloge présentée comme « un commerce de jadis dans une maison d’autrefois ».
24 Thiesse Anne-Marie, Écrire la France, Le mouvement littéraire régionaliste de langue française entre la Belle Époque et la Libération, op. cit., p. 249.
25 ABMR, 92N Francis Yard et fichiers de la bibliothèque municipale de Rouen.
26 Normandie, 1er mars 1947. La rue de la Rampe s’appelle d’ailleurs de nos jours la rue Francis Yard.
27 Pessiot Guy, Histoire de Rouen de 1900 à 1939 en 800 photographies, op. cit., p. 196.
28 Cf. pour une vue générale Distel Anne, Les collectionneurs des impressionnistes, Düdingen, La Bibliothèque des arts, 1989.
29 La Dépêche de Normandie, 19 décembre 1936.
30 Cette pratique, répandue dans le milieu artistique local qui, rappelons-le, ne bénéficiera que tardivement du système de protection sociale français, est attestée pour de nombreux artistes. Des entretiens oraux avec des témoins de l’époque, en contact avec les milieux artistiques (Jacques Nobécourt, François Lespinasse, monsieur Debeauvet, madame Digeon) concordent sur ce point et évoquent des situations similaires pour les peintres Georges Bradberry, Michel Fréchon ou Léonard Bordes.
31 Sur les cafés littéraires, cf. Bonet Correa Antonio, « Les cafés littéraires en Espagne du xviiie au xxe siècle », Aurell Martin, Dumoulin Olivier et Thelamon Françoise (textes réunis par), La sociabilité à table. Commensalité et convivialité à travers les âges, actes du colloque de Rouen, 14-17 novembre 1990, Rouen, Presses universitaires de Rouen, n° 178, 1992, p. 293-300.
32 Décret du ministère de l’Intérieur du 5 août 1920.
33 Ibidem.
34 Cf. AMR, 1Q1, tableau des taux d’imposition d’État par catégorie de spectacle pour 1927. Étaient taxés alors comme « music-halls », les Folies-Bergères de Rouen, le Vélodrome, le Royal-dancing, le bar du Marché, la salle Barette et le salon des Familles et comme « bals et dancings », l’hôtel du Nord, l’hôtel de France, la Brasserie nationale, la brasserie Omnia, la salle Saint-Gervais et les « salles diverses ». Témoin parmi d’autres d’une taxinomie des plus fluctuante, dès 1928 une autre source (ADSM, 4T81) ne reconnaît plus la catégorie de cafés-concert mais distingue 2 salles de « cirque » (le Cirque de Rouen et le Vélodrome) et 14 salles de bals (brasserie alsacienne, salle Lefranc, salle Barette, hôtel du Nord, Brasserie nationale, Royal-dancing, hôtel de France, Excelsior, Société industrielle, Syndicat du bâtiment, Bourse de travail, salle du patronage scolaire, salle de la Fraternité, salle Saint-Gervais).
35 ADSM, 4 T 81, enquête de 1928 sur la sécurité des théâtres et salles de spectacle, rapport, s. d., 1929.
36 Condemi Concetta, Les cafés-concerts. Histoire d’un divertissement (1849-1914), Paris, Quai Voltaire, 1992.
37 Mac Orlan Pierre, Villes. Rouen, Montmartre, Brest, Londres, villes rhénanes, Rome, Paris, Gallimard, 1929. Renaudin André, Océanic Bar, Rouen, s. éd., 1984, rééd., illustrée de dessins de Pierre le Trividic.
38 Cf. Beltran Michel, Catalogue de l’exposition Georges Cyr-Pierre le Trividic, Galerie d’art et d’antiquité, été 1990, Rouen, Édition Michel Beltran, 1990. Au sein des archives de René-Gustave Nobécourt, consultées au domicile du journaliste, on a également retrouvé un programme de gala de la presse, décoré par Pierre le Trividic. Cette pièce a été restituée à la famille lors du dépôt des archives Nobécourt à la bibliothèque municipale de Rouen.
39 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal, séances du 26 novembre 1926 et du 24 février 1927.
40 Avant l’établissement de théâtres à Rouen, et avant même les jeux de Paume, on donnait des mystères, moralités, farces et joyeusetés dès le commencement du xve siècle. Les jeux de Paume servaient de salles de spectacle aux troupes ambulantes qui depuis le xvie siècle vinrent donner à Rouen des représentations théâtrales. Les principaux jeux de paume attestés à Rouen étaient appelés le Port du Salut (paroisse de Saint-Étienne) où parut en 1556 la première troupe ambulante. Également les Deux-Maures de la rue des Charrettes, en face de la rue Herbière ; les Bracques, au bas de la rue du Vieux-Palais ; les deux jeux de paume de Saint-Eustache (rue aux chevaux) ; celui de la place de la Rougemare, ceux de la Cornière (rue Dinanderie), du Signot (place du Vieux-Marché), du Patin (rue de la Seille), des Cochonnets (rue Notre-Dame). Ceci d’après Nicétas Periaux, Histoire des rues de Rouen, Rouen, 1819, p. 625-628.
41 Duchemin Pierre, Sotteville-lès-Rouen et le faubourg Saint-Sever, Rouen, Lestringant, 1893.
42 Archives municipales d’Oissel, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 24 février 1868, cité par Germain Fanny, Municipalité et associations : acteurs de la vie culturelle d’Oissel. 1900-1981, Rouen, mémoire de maîtrise, dir. Olivier Dumoulin et Loïc Vadelorge, université de Rouen, 1999, p. 39.
43 Germain Fanny, Le patrimoine architectural du plateau est, Histoire(s) d’agglo, 15, 2001, p. 8.
44 Archives municipales de Rouen, registre de délibérations du conseil municipal, séance du 9 décembre 1881.
45 Pessiot Guy, Histoire de Rouen de 1900 à 1939 en 800 photographies, Rouen, Éd. du P’tit Normand, 1982, p. 268. L’auteur signale que l’exploitation est abandonnée dès 1932.
46 Annuaire-Almanach de Rouen, 1921.
47 Ibidem, 1928. On admirera la graphie de « jaz » tout en précisant que l’appellation est alors extrêmement vague et ne saurait être confondue – contrairement à ce que font tous les historiens du jazz – avec le jazz tel qu’on l’entend dans les sphères parisiennes à cette époque (Hot-Club de France, Jazz-Hot). Sur ces questions voir Tournes Ludovic, Jazz en France (1944-1963) : histoire d’une acculturation à l’époque contemporaine, Saint-Quentin-en-Yvelines, thèse de doctorat, dir. Pascal Ory, 1997, multigr. Et New Orleans-sur-Seine. Histoire du jazz en France, Paris, Fayard, 1999.
48 AMR, 5M1, « Cirque de Rouen », baux de 1893, 1926, 1933.
49 AMR, 2R6, « Tivoli-Music-Hall-Skating rouennais », activités 1909-1922.
50 AMR, 2R6, « Folies-Bergères de Rouen ». Les titres entre parenthèses correspondent aux « tableaux » de la revue de 1933-1934.
51 AMR, 2R6, « Folies-Bergères de Rouen ». M. Baudry (directeur)/maire de Rouen, 20 décembre 1939.
52 AMR, 5M1, bail de 1926.
53 Rose Cécile, Le théâtre lyrique en Normandie entre les deux guerres : 1918-1939, op. cit., p. 298, 299 et 305.
54 AMR, 2R6, « Théâtres divers, théâtre français », subventions (1886-1926).
55 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 décembre 1921.
56 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 6 octobre 1893.
57 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 1er février 1889.
58 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 décembre 1921.
59 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 19 octobre 1900.
60 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 décembre 1921.
61 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 septembre 1895.
62 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 décembre 1921.
63 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 29 décembre 1922.
64 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 16 décembre 1892.
65 AMR, 2R6, « Théâtre français », M. Stréliski/maire de Rouen, 22 octobre 1920.
66 AMR, comptes administratifs de la ville de Rouen, 1923-1940. En francs constants la subvention de 1936 (19886 francs) est trois fois supérieure à celle de 1924 (6849 francs). Dans le même temps le Théâtre des arts passe de 157 467 francs à 419 216 francs (coefficient multiplicateur de 2,5).
67 Poupion Olivier, « Les débuts du cinéma à Rouen », Études normandes, 3, 1991, p. 46-60 et Grignoux Yannick, Les salles de cinéma de l’agglomération rouennaise : une tentative d’archéologie culturelle (1908-1975), mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Olivier Dumoulin, université de Rouen, 1992, multigr.
68 Parment Roger, Le septième art à Rouen, Rouen, Pietrini et Cie, 1959.
69 Cf. Grignoux Yannick, « Un exemple d’archéologie du culture : les salles de cinéma dans l’agglomération rouennaise (1908-1970) », Études normandes, 3, 1992, p. 19-34.
70 Annuaire-Almanach de Rouen, 1905-1940.
71 Annuaire de Rouen, 1931, Sélect et Annuaire de Rouen, 1919 et 1922, Éden.
72 AMR, 2R6, directeur des Folies-Bergères/maire de Rouen, 2 avril 1935 : « J’ai le regret de vous informer que les actionnaires de la société des Folies-Bergères ont décidé la fermeture de cet établissement. »
73 Annuaire de Rouen, 1939.
74 Annuaire de Rouen, 1935-1939.
75 Cf. Grignoux Yannick, Les salles de cinéma de l’agglomération rouennaise : une tentative d’archéologie culturelle (1908-1975), mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Olivier Dumoulin, université de Rouen, 1992, multigr., p. 96.
76 Annuaire de Rouen, 1937.
77 Cf. Fouquet Christophe, Le cinéma d’éducation populaire en Seine-Inférieure entre les deux guerres mondiales : Arme de la pédagogie et de la laïcité, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Olivier Dumoulin, université de Rouen, 1995.
78 AMR, 1Q1, 1929.
79 Spalikowski Edmond, « Dix ans de littérature normande », Actes des assises littéraires, artistiques et scientifiques de Caumont, Caen, 1934, p. 226.
80 Parment Roger, Le septième art à Rouen, Rouen, Pietrini et Cie, 1959.
81 Cité par Parment Roger, op. cit., sp.
82 ABMR, Norm m 1077, Photo-Club de Rouen.
83 Cheret Karine, La publicité à Rouen de 1900 à 1939, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Jean-Pierre Chaline, université de Rouen, 1988.
84 Rioux Jean-Pierre et Sirinelli Jean-François (dir.), La culture de masse en France de la Belle Époque à aujourd’hui, Paris, Fayard, 2002.
85 Beltran Alain et Griset Pascal, La croissance économique de la France 1815-1914, Paris, Armand Colin, Cursus, 1988.
86 Beltran Alain et Griset Pascal, L’économie française 1914-1945, Paris, Armand Colin, Cursus, 1994.
87 L’Architecture et la construction dans l’Ouest, n° 1, octobre 1923 et n° 4, janvier 1924.
88 L’Architecture et la construction dans l’Ouest, n° 1, octobre 1923, p. 1.
89 Bulletin de la Société des amis des monuments rouennais 1920-1921, Rouen, Lecerf, 1923, p. 30.
90 Sources : Bulletin de la Société des amis des monuments rouennais.
91 ADSM, 97J16, trésorier de la Société des amis des monuments rouennais/Pierre Chirol (président), 8 janvier 1938.
92 ADSM, 97J16, allocution du 15 mars 1935. Cette question du bulletin n’est pas sans évoquer celle, plus contemporaine, des catalogues d’expositions. La politique de la Réunion des musées nationaux est claire à cet égard. On ne serait concevoir aujourd’hui une exposition sans un catalogue « scientifique ». La culture contemporaine ne peut se débarrasser de son rapport à l’écrit et à l’objet « livre », si possible luxueux.
93 ABMR, casier correspondance, société des bibliophiles normands, compte rendu de la 106e assemblée générale, 26 mai 1928.
94 Ibidem.
95 ADSM, 80J1, assemblée générale du 1er juillet 1922.
96 ADSM, 80J1, assemblée générale du 2 mars 1929.
97 Les tarifs des places du Théâtre des arts sont donnés chaque année dans l’Annuaire-Almanach de la ville de Rouen. L’indice des prix de détail passe de 100 (1919, année de base) à 218 (1931).
98 Précis de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, Rouen, 1935, séance du 8 novembre 1935.
99 Cf. Schieb Pierre-Alain, L’école supérieure de commerce de Rouen. 1871-1991. Essai historique, Rouen, Lecerf, 1991, p. 58.
100 AMR, 1Q1, recettes imposables des différentes salles rouennaises. Les pourcentages sont calculés sur des chiffres non corrigés, l’indice des prix variant peu de 1928 (213) à 1931 (218).
101 AMR, 2R6, MM. Taureaux et Briant/maire de Rouen, 2 mai 1921.
102 Ibidem.
103 ADSM, 4T61, rapport de la commission départementale du 21 décembre 1923.
104 ADSM, 4T61, OEuvre de la chanson française/préfet de la Seine-Inférieure, 27 septembre 1926.
105 Cf. Berstein Serge et Rioux Jean-Pierre, La France de l’expansion. L’apogée Pompidou 1969-1974. Nouvelle Histoire de la France contemporaine, t. 18, Paris, Seuil, coll. « Points », 1995.
106 ADSM, 4T35, Société normande de gravure/préfet de la Seine-Inférieure, 11 mai 1928.
107 ADSM, 4T35, Société normande de gravure/préfet de la Seine-Inférieure, 19 mai 1926.
108 ADSM, 4T61 Maurice Lenfant/préfet de la Seine-Inférieure, 5 février 1934.
109 ADSM, 4T61, dossier « Cours de musique populaire », 19 élèves en 1926, 44 en 1927, 58 en 1928, 109 en 1929, 196 en 1930, 247 en 1931, 268 en 1932, 287 en 1933.
110 ADSM, 80J1, assemblée générale du 26 novembre 1926.
111 AN, F21-4897 et ABMR, Normg-397, Société des amis de la lithographie normande, bulletin de 1932, rapport moral et financier de l’assemblée générale du 27 juin 1932.
112 Le repérage des créations annuelles et des dissolutions plus ou moins déclarées permet de comparer la dynamique du champ culturel du début des années trente (1931-1936) avec celle de la période antérieure. Pour ce faire on a utilisé deux sources complémentaires. Les sources officielles du Bureau départemental des associations, qui enregistrent les dates de créations, les modifications de statut et ponctuellement les dates de dissolution, tout d’abord. Les sources commerciales des annuaires et almanachs locaux ensuite, qui mentionnent chaque année l’état du champ culturel, à condition de défalquer d’une année les disparitions et les créations. On ne peut toutefois déduire d’une disparition temporaire de l’annuaire une cessation d’activité. Il faut d’abord la vérifier dans le temps (disparition définitive) et dans l’espace (mutation de raison sociale éventuelle de l’association). De la même manière l’apparition à l’annuaire à la date t ne signifie pas automatiquement création de la dite association à la date t-1. La nouvelle société peut résulter d’une transformation d’appellation antérieure voire d’une création ancienne non enregistrée par l’annuaire. Ainsi la Rallye rouennaise, société de trompes de chasse apparue dans l’annuaire de Rouen en 1932 a été fondée en 1899. Les archives préfectorales ne sont cependant guère plus précises, n’enregistrant que les dates de déclaration au Journal officiel, alors que les fondations sont parfois bien antérieures. En cas de contradiction ou de doute entre ses deux sources on a privilégié les annuaires, en raison du volontarisme associatif auquel ils renvoient implicitement.
113 Nous considérons ici le champ culturel au sens large incluant au domaine des Beaux-Arts et des sociétés savantes celui des patronages, des cercles d’études du péri- et post-scolaire mais excluant les sociétés sportives d’ailleurs identifiées à part par les annuaires.
114 ADSM, 4M463. Les sources commerciales modèrent toutefois cette embellie du Front populaire rouennais.
115 Il s’agit vraisemblablement d’un artefact (enquête récapitulative des dissolutions).
116 ADSM, 4T61, André Haumesser/préfet de la Seine-Inférieure, 10 avril 1934.
117 Ibidem.
118 ADSM, 4T61, séance du conseil général du 22 juin 1934.
119 ADSM, 80J1, assemblée générale du 14 juin 1924.
120 ADSM, 80J1, assemblée générale du 2 mars 1929.
121 ADSM, 80J1, assemblée générale du 22 novembre 1930.
122 ADSM, 80J1, réunion du bureau du 22 novembre 1931.
123 ADSM, 80J1, assemblée générale du 2 mars 1929, intervention de Marcel Delaunay.
124 AMR, 3R2, président du Syndicat d’initiative/maire de Rouen, 22 octobre 1932.
125 Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, op. cit., p. 32.
126 AMR, 1Q1, taxes municipales sur les spectacles.
127 AMR, 1Q1, 1933 : 852 297 francs ; 1931 : 860 660 francs.
128 On s’appuie ici sur les travaux de Rose Cécile, Le théâtre lyrique en Normandie entre les deux guerres : 1918-1939, op. cit., p. 357 et ceux de Geispitz Henri, Histoire du Théâtre des arts, t. 2 : 1913-1940, Rouen, Lecerf, 1951.
129 Cf. Rose Cécile, Le théâtre lyrique en Normandie entre les deux guerre : 1918-1939, op. cit., p. 290.
130 Ibidem, p. 356.
131 AMR, 2R6, Louis Stréliski/maire de Rouen, 15 janvier 1931.
132 ABMR, 92N, Louis Stréliski.
133 Rouen-Gazette, 1er juillet 1933.
134 Geispitz Henri, Histoire du Théâtre des arts, t. 2 : 1913-1940, op. cit., p. 240 et AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 25 janvier 1934. La position d’Henri Geispitz n’est évidemment pas étrangère à ses convictions politiques, hostiles aux radicaux-socialistes alors au pouvoir. À la tête de cette cabale de sous-préfecture, on trouve Maurice Poissant, défenseur acharné de Campocasso pour qui il fait voter un cahier des charges sur mesure (réduction à 5 mois de la saison lyrique qui en comportait six, mise à la disposition du petit personnel du théâtre par la ville) (AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 25 janvier 1934). À bien y regarder l’affaire est préparée de longue date. Un an plus tôt en effet, Campocasso décidait de quitter Rouen pour Toulouse à l’issue d’une direction de quatre saisons lyriques (1929-1933). Les blocages du théâtre rouennais étaient à l’époque évidents. La saison était trop longue, la subvention insuffisante. Il s’agissait pour le réseau Campocasso de préparer les esprits à une mutation des conditions d’exploitation. Ce fut le rôle de la transition Bonemoy (saison 1933-1934) dont on ne peut s’empêcher de noter qu’elle s’ouvrit sur un panégyrique de la direction précédente prononcé par Maurice Poissant devant le conseil municipal de Rouen (AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 19 janvier 1933).
135 Geispitz Henri, Histoire du Théâtre des arts, t. 2 : 1913-1940, op. cit., p. 228.
136 Ibidem, p. 240.
137 Ibidem, p. 274.
138 Ibidem, p. 285.
139 Cf. Rose Cécile, Le théâtre lyrique en Normandie entre les deux guerre : 1918-1939, op. cit., p. 348 sqq.
140 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 27 février 1936.
141 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 avril 1931, rapport d’Hector Grasset.
142 Cette question intéresse beaucoup les historiens depuis une quinzaine d’années. Cf. Cohen Evelyne, Paris dans l’imaginaire national de l’entre-deux-guerres, Paris, La Sorbonne, « Histoire de la France xixe-xxe », 49, 1999; Pecout Gilles, « Le local et le national, le centre et la périphérie », Le Mouvement social, avril-juin 1999, n° 187, p. 3-10.
143 C’est la thèse contenue dans l’ouvrage du géographe Jean-François Gravier, Paris et le désert français, qui inspirera tant la décentralisation des années 1950 et la politique d’aménagement du territoire des années 1960.
144 Menger Pierre-Michel, Le paradoxe du musicien; le compositeur, le mélomane et l’état dans la société contemporaine, Paris, Flammarion, harmoniques, 1983, p. 336.
145 Françoise Taliano décrit la trajectoire des écrivains bordelais de l’après-guerre qui, de Mauriac à Sollers, choisissent de faire carrière à Paris ; Bordeaux, comme la plupart des métropoles régionales cultive « le complexe parisien ». In Taliano-Des Garets Françoise, La vie culturelle à Bordeaux. Les lettres et les arts, 1945-1975, thèse d’histoire, dir. Pierre Guillaume, université de Bordeaux, 1992, multigr., 3 vol., p. 556 sqq.
146 Heinich Nathalie, « Académisation et provincialisation des carrières de peintres en Provence au xviie siècle », Annales ESC, novembre-décembre 1990, p. 1301-1315.
147 Par les lois constitutionnelles de 1875 et l’épisode Mac-Mahon d’une part, par la loi municipale de 1884 d’autre part. Cf. Deyon Pierre, Paris et ses provinces. Le défi de la décentralisation 1770-1992, Paris, Armand Colin, 1992.
148 Gasnier Thierry, « Le local. Une et divisible », Nora Pierre (dir.), Les Lieux de mémoire, III, Les France, 2, Traditions, p. 462-525.
149 Chanet Jean-François, L’école des petites patries, Paris, Aubier, 1996.
150 Discours prononcé lors de l’inauguration de la Maison de la culture d’Amiens, le 19 mars 1966, publié dans Malraux André, La politique, la culture. Discours, articles, entretiens (1925-1975), Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1996, p. 330.
151 White Harrison et Cynthia, Canvases and careers : Institutionnal change in the French painting world, New York, 1965. Traduit en français sous le titre La carrière des peintres au xixe siècle, Paris, Flammarion, 1991 et Monnier Gérard, L’art et ses institutions en France. De la Révolution à nos jours, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », 1995. Pour les autres secteurs de la culture voir Thiesse Anne-Marie, Écrire la France, Le mouvement littéraire régionaliste de langue française entre la Belle Époque et la Libération, Paris, Presses universitaires de France, ethnologie, 1991 et Prochasson Christophe, Les années électriques. 1880-1910, Paris, La Découverte, 1991.
152 Les indications biographiques suivantes sont tirées de Lespinasse François, L’École de Rouen, op. cit., et ABMR, dossiers 92N.
153 On y trouve également Robert-Antoine Pinchon, Eugène Tirvert, Madeleine Hue, Alfred Dunet.
154 Benezit E., Dictionnaire des peintres, sculpteurs et graveurs, t. 5, p. 300.
155 Cf. fiche nécrologique dans Journal de Rouen, 22 novembre 1939.
156 Il réalisera une centaine de bustes entre 1880 et 1920, dont celui de Mabillon pour la Bibliothèque nationale.
157 Il faut attendre l’entre-deux-guerres pour que Guilloux rencontre à Rouen une réelle concurrence artistique derrière la personnalité de Richard Dufour. La véritable alternative statuaire passa cependant par le recours aux horsains (Lisch, Real del Sarte) à l’heure des monuments aux morts.
158 L’itinéraire suivi conduira le train de Paris Saint-Lazare à Saint-Quentin en passant par Laval.
159 AMR, 2R5, Train exposition des artistes, dépliant publicitaire, s. d., 1935.
160 Selon les informations contenues dans le dépliant publicitaire de 1935, la moitié des oeuvres exposées en 1934 furent achetées.
161 AMR, 2R5, Train exposition des artistes, Georges Huisman/maire de Rouen, 16 septembre 1935.
162 AMR, 2R5, Train exposition des artistes, communiqué officiel du 24 octobre 1935.
163 AMR, 2R5, Train exposition des artistes, Guide du Train exposition, p. 5.
164 Rapport de Roger Ballu à Henri Roujon, directeur des Beaux-Arts, cité dans Genet-Delacroix Marie-Claude, « La décentralisation artistique et culturelle sous la IIIe République (1870-1940) : à l’origine des politiques culturelles municipales », Jalons pour l’histoire des politiques culturelles locales, Paris, La Documentation française, 1995, p. 38.
165 Georges Wildenstein fut également directeur de Beaux-Arts. Il y défendait le projet d’un musée de l’Art français. Cf. Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire, 1935-1938, op. cit., p. 260.
166 AMBAR, catalogue de l’exposition Despiau, 1938, lettre ouverte de Georges Wildenstein, sp.
167 Charles Despiau (1874-1946) peut être considéré comme l’un des meilleurs exemples du retour à l’ordre caractéristique des arts plastiques de l’entre-deux-guerres. Son oeuvre, lancée avant la guerre (Bacchante, 1909) s’épanouit entre la fin des années vingt (Assia, Figure nue, 1927) et le Front populaire (Apollon, 1936-1946).
168 AMBAR, catalogue de l’exposition Despiau, 1938, lettre ouverte de Georges Wildenstein, sp.
169 ABMR, casier correspondance-associations, dossier « Société des écrivains normands », statuts et liste des membres pour 1932.
170 Pour être précis, le chiffre se décompose en 12 % (Rouen), 16 % (autres Seine-Maritime), 3 % (Eure), 4 % (Basse-Normandie).
171 Spalikowski Edmond, « Dix ans de littérature normande », Assises scientifiques, littéraires et artistiques de Caumont, compte rendu de la VIIe session, Caen, novembre 1934, p. 173.
172 Dans son étude sur les rapports entre Jean-Baptiste Carpeaux et sa ville natale de Valenciennes, Anne Wagner a bien montré comment la mémoire artistique locale de l’artiste se construit, de son vivant et avec son accord en fonction d’une « logique culturelle paternaliste ». Cf. Wagner Anne, « Paternalisme en province : la logique culturelle d’un fonds public », La sculpture au xixe siècle, une mémoire retrouvée. Les fonds de sculpture, Paris, École du Louvre-La Documentation française, 1986, p. 179-192.
173 Les archives du journaliste et critique littéraire René-Gustave Nobécourt ont été déposées en 1992 à la bibliothèque municipale de Rouen. Cf. inventaire en annexe.
174 Cité par Spalikowski Edmond, « Dix ans de littérature normande », op. cit., p. 239.
175 Archives SAF, bulletin, La Sauvegarde de l’art français, 1, 1925, p. 1.
176 Cf. Vadelorge Loïc, « Les rêveries d’un mécène solitaire. Le duc de Trévise, la Sauvegarde de l’art français et Rouen dans l’entre-deux-guerre », La Sauvegarde de l’art français, cahier 7, 1994, p. 7-18.
177 Cette église, située au coeur du centre-ville, désaffectée depuis 1791, a servi de magasin tout au long du xixe siècle. Elle sera détruite en grande partie au cours des bombardements de 1940-1944.
178 Journal de Rouen, 8 décembre 1922, « statues à vendre » et 9 décembre 1922 « lettre anonyme d’un ami des monuments rouennais ».
179 Journal de Rouen, 28 août 1924, article de Georges Dubosc intitulé « Tout arrive ».
180 Archives SAF, bulletin La Sauvegarde de l’art français, numéro spécial de 1926, p. 3.
181 Pour les références qui vont suivre, archives SAF, dossiers rouennais (1924-1937).
182 Archives SAF, chemise « Inscriptions à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques ». Il s’agit du Four banal (xvie siècle) de la rue Louis Brune, d’un immeuble de la rue Eau de Robec (xviiie siècle) et de la Halle aux grains (xiiie siècle) de la place de la Halle aux blés, chemise « Inscriptions à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques ».
183 L’Aître-Saint-Maclou, cimetière médiéval entouré de quatre bâtiments à galeries et étages (édifiés par tranches de À partir de 1911, l’État donne à bail le bâtiment à différentes institutions. De 1911 à 1934, l’Aître est ainsi occupée par un pensionnat de jeunes filles (11 classes et un réfectoire).1527 à 1749), passe en 1906 des mains de la fabrique de Saint-Maclou à celles de l’administration des Domaines.
184 Journal de Rouen, 10 décembre 1925, « L’Aître-Saint-Maclou aux enchères ».
185 AMBAR, copies de lettres, mars 1926, p. 336.
186 AMBAR, copies de lettres, Fernand Guey/duc de Trévise, 22 janvier 1926.
187 Archives SAF, lettre du président des Amis des monuments rouennais/duc de Trévise, 18 janvier 1926.
188 Archives SAF, Fernand Guey/Mlle Baudry (secrétaire du duc de Trévise), 22 mai 1926.
189 Archives SAF, notice sur l’Aître-Saint-Maclou, mars 1926.
190 Archives SAF, René Morin/Trévise, 2 juin 1926.
191 Le voyage effectué par Trévise aux États-Unis en 1926 avait pour but de « jumeler » des villes américaines et des villes françaises autour de projets précis de sauvegardes artistiques. Ainsi, de Buffalo et de Sens (Hôtel-Dieu), de New York et de Nevers (Porte de la ville), de Chicago et de Mont-Saint-Heray (L’Orangerie).
192 Archives SAF, bulletin, La Sauvegarde de l’art français, 1926, p. 3.
193 Ibidem, p. 24.
194 Nous avons retrouvé ce film dans les archives de la Sauvegarde de l’art français. Grâce à l’amabilité de Mme Hélène Pattyn, secrétaire de l’association, nous avons pu visionner ce film. Deux copies vidéo ont été effectuées. Elles sont déposées respectivement au musée des beaux-arts de Rouen et à la Sauvegarde de l’art français. Le 4 décembre 1993, nous avons projeté ce film lors d’une conférence sur la Sauvegarde et le musée des beaux-arts de Rouen.
195 Archives SAF, dossier « Aître-Saint-Maclou », respectivement, duc de Trévise/Fernand Guey, 2 juillet 1926, duc de Trévise/Fernand Guey, 14 décembre 1926, Journal de Rouen, 9 avril 1927.
196 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 juin 1926. Le président du conseil, après l’avis favorable du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts (28 juillet 1926), fixe le prix de vente à 90 000 francs (4 mars 1927). Quelques jours plus tard, le préfet de la Seine-Inférieure déclare d’utilité publique la création d’un musée d’Art à l’emplacement de l’Aître (15 mars 1927).
197 AMR, comptes administratifs, 1926-1935.
198 Liberté-Dimanche, 8 avril 1984.
199 Archives SAF, dossier « Les Augustins », « Rouen », compte rendu du voyage à Rouen des 12-14 mars 1927.
200 Archives SAF, dossier « Rouen » « Saint-Étienne des Tonneliers », Pierre Chirol/duc de Trévise, 20 mai 1937.
201 Ibidem, Pierre Chirol/marquise de Maillé, 27 mai 1937.
202 Cf. Vadelorge Loïc, « Entre l’impossible et le nécessaire, les commémorations rouennaises de Géricault », Michel Régis (dir.), Géricault, Paris, La Documentation française, 1996, Paris, t. II, p. 963-1003.
203 Théodore Géricault (1791-1824) est né à Rouen mais il semble avoir quitté la ville assez tôt, vers l’âge de cinq ans, pour ne plus y revenir. Sa biographie est cependant très obscure sur ce point. Cf. Chenique Bruno, « Géricault. Une vie », Michel Régis (dir.), Géricault, catalogue de l’exposition du Grand Palais, 10 octobre 1991-6 janvier 1992, Paris, Réunion des musées nationaux, 1991, p. 261-308.
204 Archives SAF, dossiers « Rouen », « Musée » duc de Trévise/Fernand Guey, 28 avril 1924 et Fernand Guey/duc de Trévise, 29 avril 1924.
205 Archives SAF, dossier « Rouen » « Buste Géricault ». En février 1927, le duc de Trévise achète au nom de deux mécènes américains, Mme Hélène Morton et Mme B. Hicklin, « deux pilastres de style Louis XVI » puis, en mars de la même année, « deux superbes colonnes Louis XV, en bois » destinées à encadrer des tableaux du xviie siècle au musée des beaux-arts de Rouen.
206 La Dépêche de Normandie 3 août 1925.
207 Le film, Rouen, the Gothic City a d’ailleurs été tourné en partie au musée des beaux-arts dans ce but. L’une des scènes se déroulait dans une salle vide du musée, chargée d’échafaudages.
208 Archives SAF, dossier « Rouen » « Musée ». Les colonnes du Jubé datent du xviiie siècle. Démontées dans le courant du xixe siècle, elles sont reléguées en 1873 dans le jardin de la cathédrale de Rouen. Fernand Guey les remarque et propose à la ville de les installer dans le musée des beaux-arts.
209 Archives SAF, dossier « Rouen » « Société les amis du musée », Fernand Guey/duc de Trévise, 3 mai 1925.
210 Ibidem, duc de Trévise/Fernand Guey, 7 août 1925.
211 Ibidem, duc de Trévise/Fernand Guey, 30 juin 1925.
212 Cf. georgel Chantal, « Collections privées/collections publiques : un dialogue permanent », Sociabilité, culture et patrimoine, Cahiers du GRHIS, 4, 1996, p. 23-39.
213 AMR, 2R3, legs veuve Lemaistre, note de Fernand Guey, s. d., 1927.
214 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 29 décembre 1920, rapport de Louis Dubreuil.
215 AMBAR, dossiers dons et legs, legs Barbet, testament du 10 juillet 1918.
216 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 29 décembre 1920.
217 Ibidem.
218 AMBAR, dossiers dons et legs, legs Barbet, Fernand Guey/maire de Rouen, 5 décembre 1929.
219 Ibidem, Fernand Guey/maire de Rouen, 17 février 1930.
220 AMR, 2R3, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 10 novembre 1927, intervention du docteur Brunon.
221 AMBAR, dossier dons et legs Gérus, note d’Olga Popovitch, 11 février 1955.
222 Journal de Rouen, 27 juillet 1913. AMBAR, dossier dons et legs Lemaistre, testament Lemaistre du 15 avril 1924, déposé le 17 mars 1927.
223 AMR, 2R3, Fernand Guey/maire de Rouen, 22 mars 1927.
224 AMR, 2R3, rapport de Fernand Guey au maire de Rouen, s. d., 1927.
225 AMBAR, dossier dons et legs Barbet, hommage funèbre lu par Fernand Guey aux obsèques du donateur, 26 mai 1931.
226 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 mai 1921.
227 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 29 décembre 1920.
228 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 7 mars 1919.
229 Ibidem.
Table des illustrations
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Légende | La subvention municipale au Théâtre français de Rouen dans l’entre-deux-guerres. |
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Légende | Le budget du Théâtre des arts de Rouen dans l’entre-deux-guerres. |
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© Presses universitaires de Rennes, 2005