Rouen sous la IIIe République
|Première partie. L'affirmation du fait culturel
Chapitre I. La naissance des politiques culturelles
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Géographique :
FranceTexte intégral
- Musées : 1. Musée des beaux-arts ; 2. Musée Le Secq des Tournelles ; 3. Muséum d’histoire naturelle ; 4. Musée départemental des Antiquités ; 5. Musée Corneille ; 6. Musée Flaubert.
- Bibliothèques : 1. Bibliothèque centrale ; 2. Bibliothèque populaire Saint-Sever 3. Bibliothèque de prêt des Capucins.
- Théâtres et music-halls : 1. Théâtre des arts ; 2. Théâtre français ; 3. Cirque ; 4. Folies-Bergères.
- Cinémas : 1. Normandy ; 2. Éden ; 3. Sélect ; 4. Cinédit ; 5. Studio 34 ; 6.Palace ; 7. Omnia ; 8. Beau - voisine ; 9. Renaissance ; 10. Olympia.
1De nos jours, la vie culturelle locale contemporaine semble indissociable des politiques mises en œuvre par les collectivités territoriales. On sait désormais que ces politiques se développent en amont des lois de décentralisation, à partir du milieu des années soixante-dix du xxe siècle. Mais si l’enjeu du développement culturel relève, pour les élus locaux, d’une prise de conscience somme toute récente, une véritable tradition d’intervention existe pour le secteur des beaux-arts. La iiie République apparaît ici doublement fondatrice. D’une part le régime creuse et systématise l’intervention culturelle de l’État. D’autre part, en renforçant la légitimité démocratique des conseils généraux et surtout des conseils municipaux, la République les encourage objectivement à étendre le champ de leurs compétences. Si le mot de politique culturelle n’est pas employé, la chose, elle, est bien en gestation et constitue le fait le plus marquant de l’époque.
La part de l’État
- 1 Sur les critères de définition et l’ambivalence des appellations utilisées par les historiens, on (...)
- 2 Poulot Dominique, Musée Nation Patrimoine. 1789-1815, Paris, Gallimard, 1997.
- 3 La meilleure synthèse disponible est celle de Poirrier Philippe, L’État et la culture en France au (...)
- 4 Cf. Genet-Delacroix Marie-Claude, Art et État sous la IIIe République 1870-1940, thèse d’État d’hi (...)
- 5 Arrêté du 29 mars 1882 réorganisant le service des Beaux-Arts, cité in Mesnard André-Hubert, Droit (...)
2La généalogie des politiques culturelles étatiques est complexe1. L’intervention des pouvoirs publics dans les affaires culturelles remonte à la Renaissance. La construction monarchique s’accompagne de la croissance d’un mécénat d’État et d’une centralisation qui est à l’origine des premières institutions culturelles (Collège de France, Bibliothèque royale, salon du Louvre). La Révolution française nationalise les biens du clergé et fonde une conception nationale du patrimoine2. Les régimes monarchiques et impériaux du xixe siècle hésiteront sur la place à donner à la culture et sur ses liens avec l’appareil d’État en expansion3. On sait désormais que la IIIe République, en dépit de ses velléités de construction d’une administration des Beaux-Arts (Conseil supérieur des beaux-arts en 1875, sous-secrétariat aux Beaux-Arts, Direction des beaux-arts), fut un régime libéral en matière culturelle4. L’État républicain entendait rompre avec une longue tradition d’esthétique officielle et « tenir école de tous arts sans parti pris ni despotisme5 ». Cette prudence, qui confina parfois jusqu’au désengagement, ne concernait pas néanmoins le patrimoine, élément culturel indissociable de la construction de la nation.
Les monuments historiques
- 6 Cf. Berce Françoise, Des monuments historiques au patrimoine, Paris, Flammarion, 2000.
3En matière de patrimoine, c’est-à-dire, pour l’époque qui nous concerne, de monuments historiques et de sites naturels6, l’historiographie traditionnelle souligne deux moments fondateurs. La Révolution française d’une part, qui place le patrimoine au cœur de sa démarche culturelle ; la monarchie de Juillet d’autre part, qui en 1830, créée un embryon d’administration avec l’Inspection des monuments historiques. On ne saurait pour autant considérer que les jeux sont faits dès cette époque. En effet, les moyens juridiques, financiers et humains d’une intervention étatique sur les monuments historiques sont très limités jusqu’à la IIIe République. De ce fait, le partage des tâches entre l’échelon local des sociétés savantes voire des communes et l’État est loin d’être explicite en 1870. Dans certains cas, et la Normandie est de ceux-là, le rôle du local dans la prise en charge du patrimoine est très important tout au long du xixe siècle. L’État ne peut raisonnablement se passer de l’activité de sociétés savantes comme la Commission départementale des antiquités, qu’il a contribué à fonder sous la Restauration. Cet équilibre est rompu sous la IIIe République pour deux raisons. D’une part l’État se donne de nouveaux moyens juridiques (lois de 1887 et de 1913 sur les monuments historiques, lois de 1906 et de 1930 sur les sites naturels), aux termes desquels il peut contraindre les propriétaires à protéger leur patrimoine (procédures d’inscription à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques puis de classement). D’autre part, les moyens administratifs se développent via la création en 1893 d’un concours de recrutement des architectes des monuments historiques, architectes qui s’organisent bientôt en corps professionnel (décrets de 1907 et 1913). Cette professionnalisation de la politique patrimoniale se traduit à Rouen par un renforcement indéniable des échelons centraux au détriment des commissions locales des antiquités ou des sites.
4L’État républicain intervient au premier titre comme propriétaire, notamment des édifices les plus prestigieux comme la cathédrale de Rouen, l’archevêché ou le palais de Justice. La plupart des édifices protégés appartiennent cependant à des propriétaires privés et aux communes, qui voient leurs responsabilités patrimoniales s’accroître avec la loi de Séparation de 1905. Les uns et les autres vont alors se tourner vers l’État, parfois contraints et forcés, mais le plus souvent aussi désireux d’obtenir des financements de restauration pouvant s’élever à hauteur de 50 % du coût total. Les dossiers de protection sont révélateurs de cet état de fait.
- 7 Il s’agit de l’actuel collège Barbey d’Aurevilly, 38, rue Saint-Patrice.
- 8 Il s’agit de l’ancienne Chambre des comptes, 14, rue des Carmes.
- 9 Les chiffres présentés ici proviennent du POS (1995) de la cité. La série 2R4 des archives municip (...)
5En dehors de l’ancien hôtel d’Arras7, classé monument historique en 1886 et de l’hôtel Romé8, aucun bâtiment civil ne fait l’objet d’un classement à Rouen avant le milieu des années vingt. Les classements et les inscriptions progressent ensuite par à coups, au fil des visites des inspecteurs des Monuments historiques. Pour les hôtels particuliers, on dénombre six interventions étatiques en 1924 et en 1937 (2 classements, 6 inscriptions). Pour les autres demeures, ce ne seront pas moins de 36 mesures de protection (3 classements et 35 inscriptions), toutes situées dans le centre historique. Là encore la progression se fait par paliers, 14 inscriptions en 1926, 16 en 1929. D’une manière générale, on peut opposer la crue patrimoniale de 1926-1930, consécutive aux tardifs décrets d’application de la loi de 1913, à l’étiage des années trente à un moment où la crise économique orienta l’État vers d’autres priorités culturelles9.
- 10 AMR, 2R4-10.
- 11 Dans l’entre-deux-guerres, le logis des Caradas, sis au 29-31 de la rue de la savonnerie est trans (...)
- 12 Dans l’entre-deux-guerres, le logis des Caradas, sis au 29-31 de la rue de la savonnerie est trans (...)
- 13 Arrêté d’inscription du 15 janvier 1927.
- 14 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 31 mars 1922.
- 15 Cette demeure, aujourd’hui encore orgueil des maisons à pans de bois rouennaise est classée monume (...)
6Ces classements ou inscriptions ne paraissent guère avoir soulevé de problèmes. La plupart des dossiers enregistrent les décisions ministérielles sans faire état de contestations de la part des propriétaires. Le plus souvent les sociétés savantes et les érudits locaux sont à l’origine du classement. C’est ainsi le commandant Quenedey, spécialiste des maisons à pans de bois, qui réclame en 1928 l’inscription du 51-61, rue Grand-Pont10. Ailleurs, comme dans le cas du Logis des Caradas de la rue de la Savonnerie, c’est le propriétaire qui réclame le classement afin de bénéficier des subventions étatiques pour ses travaux de restauration11. Dans le village de Mont-Saint-Aignan au sortir de la Première Guerre mondiale, le conseil municipal s’adresse aux érudits rouennais membres de la Commission départementale des antiquités pour rédiger une demande de classement de l’église Saint-Jacques du Mont-aux-Malades. Après instruction, l’édifice roman, qui « a conservé dans toute sa splendeur le cachet de ses fondateurs12 » est inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques13. L’inscription à l’inventaire supplémentaire et le classement des maisons particulières ne semble guère répondre, jusqu’aux années trente à un projet cohérent de la part de l’État. On continue à protéger des « curiosités » comme le 71, rue Grand-Pont14 ou encore la célèbre « vieille maison » du 11, rue Saint-Romain15. Dans ce dernier cas le ministère semble avoir voulu donner un gage aux sociétés savantes locales.
- 16 AMR, 2R4-10.
7Cette ligne de conduite, pragmatique, est abandonnée au début des années trente au profit du classement de rue. La rue de la Grosse Horloge, célèbre dans le monde entier par ses façades à pans de bois, montre ici l’exemple. Dès les années vingt, quelques façades et toitures remarquables avaient été classées (comme le numéro 99, le 25 août 1927) ou inscrites à l’Inventaire supplémentaire (24 numéros inscrits le 12 octobre 1929). En 1930 encore, un nouvel immeuble est inscrit, suivi de deux autres en 1933. L’arrêté du 22 mai 1937 va néanmoins beaucoup plus loin puisqu’il inscrit l’ensemble des toitures et façades à l’Inventaire supplémentaire des sites16. La politique patrimoniale de l’État franchit ici une étape décisive en consacrant l’idée de quartier protégé, préfigurant les secteurs sauvegardés de 1962. De son côté la ville peut enfin asseoir juridiquement le slogan touristique de « ville-musée ».
- 17 Berbho Lavenir Catherine, La roue et le stylo. Comment nous sommes devenus touristes, Paris, Odile (...)
- 18 Cf. Auduc Arlette, « La création de l’administration des Monuments historiques », Poirrier Philipp (...)
- 19 Leniaud Jean-Michel, Les archipels du passé. Le patrimoine et son histoire, Fayard, 2002, p. 213-22 (...)
- 20 ADSM, 4T121, extrait de la loi du 21 avril 1906.
- 21 ADSM, 4T121, arrêtés de nomination.
8Cette décision est contemporaine d’un premier élargissement de la notion de patrimoine, en direction des sites naturels. Un monument ou plus exactement comme à Rouen, un ensemble monumental, s’inscrit aussi dans un environnement. Née à la fin du xixe siècle sous l’impulsion des sociétés de propagandes touristiques17, la protection des sites est prise en charge très tôt par l’État. Mais celui ci hésite entre une gestion centralisée et une gestion décentralisée des sites18. Dans un premier temps, à la Belle Époque, il opte, de manière très neuve pour une gestion décentralisée. Le regain régionaliste19 n’est pas étranger à ce choix audacieux. La loi du 21 avril 1906 sur la protection des sites impose en effet la formation d’une « Commission départementale des sites », chargée de « dresser la liste des propriétés foncières dont la conservation peut avoir au point de vue artistique ou pittoresque un intérêt général20 ». Formée dès 1906, la Commission des sites de la Seine-Inférieure comprend trois fonctionnaires (le préfet, l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, le conservateur des Eaux et Forêts), deux conseillers généraux et cinq « notabilités » culturelles dont deux Rouennais (Georges Dubosc, Ernest Morel). D’autres personnalités de la vie culturelle rouennaise participeront à cette commission dans l’entre-deux-guerres, Henri Gadeau de Kerville tout d’abord, nommé en 1919, Fernand Guey et Raoul Brunon ensuite, nommés en 192821.
- 22 ADSM, 4T121-125.
- 23 ADSM, 4T121, rapport sur le fonctionnement de la Commission départementale des sites et monuments (...)
9Ce mode de gestion, qui préfigure les systèmes nés au moment de la décentralisation (COREPHAE, CRPS), ne semble guère avoir donné satisfaction aux autorités publiques. Les archives de la Commission départementale des sites et monuments de la Seine-Inférieure22 révèlent en effet des carences de fonctionnement. En 1925, un rapport au vitriol, rédigé en réponse à une circulaire ministérielle, accuse l’incurie de l’organe départemental : « La Commission départementale des sites et monuments de la Seine-Inférieure – et elle n’est pas la seule – a toujours été un organisme passif, animé d’une vie toute végétative. Rares sont les affaires dont elle a provoqué l’étude23. » Pourtant les besoins sont jugés importants. Au-delà même de l’inventaire des « propriétés foncières, artistiques ou pittoresques », il s’agit d’assurer la protection des sites (« vieux logis pittoresques », « ensemble d’arbres séculaires ») et de lutter contre « l’abondance de l’affichage et des panneaux réclames » voire de définir les conditions d’une « maîtrise de l’électrification rurale ».
- 24 ADSM, 4T121, Henri Gadeau de Kerville/préfet de la Seine-Inférieure, 5 mai 1930.
10Plus que la modération des actes de la commission c’est bien son mode de recrutement qui est mis en cause par ce rapporteur anonyme. Il n’hésite pas à dénoncer l’absentéisme des représentants de la société culturelle rouennaise (Dubosc, Destin) et l’insuffisance des réunions de la commission (une fois par an dans le meilleur des cas). Il réclame « une assemblée active dressant un plan d’action général, déterminant une méthode de travail, prenant des initiatives ». En dépit de la vigueur peu habituelle de ce rapport, rien ne semble avoir été fait dans l’entre-deux-guerres pour modifier cet état de fait. Dans une lettre adressée au préfet en 1930, le naturaliste Gadeau de Kerville s’en prend de nouveau au fonctionnement de la Commission départementale des sites et monuments de la Seine-Inférieure qui « ne s’est pas réunie depuis le mois de juillet 1929… La presse a fait parfois, non sans raison, certaines critiques au sujet du peu d’activité de la Commission24 ».
- 25 Cf. Mesnard André-Hubert, Droit et politique de la culture, op. cit., p. 438-440.
- 26 Loi du 2 mai 1930, article 4.
11D’où la nécessité pour l’État de refonder une politique de protection des sites, plus conforme au fonctionnement centralisé de l’administration patrimoniale. La loi du 2 mai 193025 entérine ce renversement de perspective. Calquée sur la loi de 1913, elle précise à la fois le caractère culturel des sites « naturels » et les modalités du classement ou de l’inscription des dits sites. L’article essentiel opte pour une définition élargie du site classé : « Il est établi dans chaque département une liste des monuments naturels et des sites dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général26. »
- 27 ADSM, 4T121, rapport du 4 mars 1925 sur la Commission départementale des sites de la Seine-Inférie (...)
- 28 ADSM, 4T121, préfet de la Seine-Inférieure/Henri Gadeau de Kerville, 6 mai 1930.
12Dès lors la Commission départementale des sites se voit renforcée dans ses missions consultatives, au service de la Nation. Elle sert à la fois de lieu d’expertise (inventaire, proposition de classement) et d’interface entre la politique nationale des sites et le milieu local (maires, associations de protection). Il s’agit d’imposer la supériorité de l’intérêt général face aux intérêts locaux. La correspondance préfectorale le rappelle régulièrement : « La Commission départementale des sites se doit de faire au moins autant que les associations privées : Société pour la protection des paysages de France, Touring Club de France, syndicats d’initiatives27 » ; « ces questions attirent l’attention du public28 ». L’ambition manifestée par les autorités préfectorales ne doit cependant pas faire illusion. Privée de moyens réels d’intervention, l’action de l’État en la matière, se borna le plus souvent à sensibiliser les élus et les érudits à la question des paysages touristiques.
- 29 Cf. Claude Viviane et Saunier Pierre-Yves, « L’urbanisme au début du siècle. De la réforme urbaine (...)
- 30 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 juin 1919.
- 31 Edouard Delabarre (1871-1951) fut pendant 25 ans professeur et chef d’atelier à l’école régionale (...)
- 32 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, registre des délibérations du conseil municipal de Mont (...)
13On pourrait faire le même constat en ce qui concerne, les politiques voisines de l’architecture et de l’urbanisme. Là encore les intentions de l’État sont claires. La loi Cornudet du 14 mars 1919 impose en effet à toute ville de plus de 100 000 habitants d’établir un projet d’aménagement. Une seconde loi (19 juillet 1924), assortie d’une décision du conseil général de la Seine-Inférieure (23 mai 1925) étend ce principe d’aménagement aux petites communes, les contraignant à établir un plan d’aménagement pour 192829. La ville de Rouen prend acte de la première directive nationale en créant, en juin 1919, trois commissions municipales ; une commission chargée du centre-ville, une autre chargée de l’espace urbain périphérique (hors boulevards de ceinture) et une troisième chargée de l’extension urbaine sur les deux rives30. Dans la première commission, de loin la plus « patrimoniale », on trouve des représentations du monde savant local (Georges de Beaurepaire, le président de la Société des amis des monuments rouennais, Edouard Pelay, président de la Société du vieux Rouen, Georges Dubosc, Henri Labrosse, Lormier, président de la Société pour la défense des sites) et les plus grands architectes de la cité (Ruel, Delabarre, Chirol)31. Mais passé le moment de la fondation, ces commissions ne semblent guère avoir produit de travaux notables ni impulser un quelconque développement de l’urbanisme local. Certaines communes, comme Mont-Saint-Aignan, renoncent même à établir ce plan d’aménagement, compte tenu de son coût présumé32.
- 33 Ciculaire du 16 décembre 1935.
- 34 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal de Grand-Q (...)
- 35 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre des délibérations du conseil municipal de S (...)
- 36 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, registre des délibérations du conseil municipal de Mont (...)
14L’État réactive alors ces projets, dans le contexte du développement des travaux publics caractéristique de la politique de sortie de crise du milieu des années trente. Le décret-loi du 25 juillet 1935, assorti d’une circulaire préfectorale en Seine-Inférieure33, enjoint les communes à participer à un projet régional d’urbanisme. Un comité régional « Rouen-Elbeuf » est ainsi constitué, dans le but d’établir et de chiffrer un projet d’urbanisme et d’en répartir le coût entre les communes. Certaines communes de l’agglomération rouennaise souscrivent volontiers à ce projet, à l’instar de Grand-Quevilly, particulièrement sensible aux possibilités de développement local ouvertes par l’État à la fin des années trente34. D’autres, en revanche, plus soucieuse de leur identité et de leur indépendance, ne donnent leur adhésion que du bout des lèvres, craignant d’être entraînées dans de nouvelles dépenses. Ainsi du conseil municipal de Sotteville-lès-Rouen35, de celui de Notre-Dame-de-Bondeville ou de celui de Mont-Saint-Aignan36.
15Cette prise en charge laborieuse de l’urbanisme devait conduire l’État à se doter d’outils plus contraignants au cours des Trente Glorieuses (ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, ZUP, ZAD, établissements publics d’aménagement, Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action régionale). Pour l’heure le volontarisme et la coercition n’étaient pas à l’ordre du jour. Le contraste est ici saisissant avec la gestion des édifices classés qui signale la montée en puissance de l’administration centrale et le pouvoir acquis par ses grands commis.
- 37 ADSM, 4T239 à 4T246.
16Le fonds de l’architecte Paul Franchette, déposé aux archives départementales de la Seine-Maritime forme ici une source privilégiée37. De par ses fonctions d’architecte des Monuments historiques chargé de la Seine-Inférieure de 1935 à 1953, Paul Franchette permet tout d’abord de prendre la mesure quantitative et qualitative de l’intervention étatique. Il témoigne également de la hiérarchisation et de la professionnalisation du champ, depuis l’amont (Inspection des monuments historiques, architectes en chef des Monuments historiques) jusqu’à l’aval (entrepreneurs et artisans).
17Le travail de l’inspecteur Franchette comme celui des ses prédécesseurs (Lefort, Dacier) concerne exclusivement les grands chantiers, c’est-à-dire pour l’essentiel les principaux édifices cultuels rouennais : la cathédrale, Saint-Ouen, Saint-Maclou, Saint-Vivien, Saint-Vincent. La restauration de ces édifices ne constitue pas une nouveauté.
- 38 Foure abbé André, « Les abbayes normandes : Saint-Ouen de Rouen », Connaître Rouen, fasc. 6, Rouen, (...)
18Les premiers travaux de restauration de la cathédrale remontent à 1825, son grand portail ayant été endommagé à la suite de l’incendie de 1822. Au fur et à mesure que la législation sur les monuments historiques progresse, les interventions sur le patrimoine rouennais se multiplient. Deux nouvelles campagnes de restauration concernent la cathédrale, l’une sous la monarchie de Juillet (1840-1841), l’autre sous le Second Empire (1850-1875). Parallèlement à ce chantier, l’achèvement du portail de Saint-Ouen en 1845, par un émule de Viollet-le-Duc, l’architecte Grégoire suscite un scandale important. Un siècle après on évoque encore le « vandalisme de l’achèvement38 ».
- 39 Ces dernières campagnes de restauration avaient été menées par les architectes Sauvageot de 1894 à (...)
- 40 ADSM, 97J16, Lucien Dacier/Pierre Chirol, 9 octobre 1935.
- 41 La référence en la matière est constituée par la publication des fascicules archéologiques de la S (...)
19La loi de 1887 et surtout la Séparation de 1905, engendrent de nouveaux travaux. En 1889 la cathédrale est dégagée totalement, en 1895 (cliché 20) on restitue les bas-côtés nord et sud puis on restaure la tour Saint-Romain (1897-1898) et le grand portail (1909)39. Au milieu des années trente encore, l’architecte des Monuments historiques Lucien Dacier, dirige la restauration de la tour du Beffroi40. Les restaurations monumentales conduites par Paul Franchette à partir de 1936 ont cependant été totalement négligées par l’historiographie locale41. Cette carence historiographique révèle que pour les historiens contemporains, l’entre-deux-guerres rouennais forme une parenthèse patrimoniale, dominée par l’atonie des pouvoirs publics en matière de restauration. L’histoire du patrimoine architectural local est oblitérée par les destructions de 1940 et 1944 et le grand chantier qui s’ouvre à la Libération et qui culminera en 1956 avec la réouverture au culte de la cathédrale de Rouen. Or les acteurs de 1956 sont déjà présents à la fin des années trente. C’est à ce moment en effet que s’affirme avec plus de netteté qu’au xixe siècle la place de l’État dans la politique de restauration des monuments anciens.
- 42 Cf. L’Architecture et la construction dans l’Ouest, 1933-1935.
20Le magistère du Service des Monuments historiques s’exerce tant au niveau financier qu’au niveau scientifique. À l’heure où les choix culturels locaux se focalisent sur d’autres enjeux culturels (le Théâtre d’art lyrique, les musées, les bibliothèques de prêt), l’État apparaît comme la seule instance capable de prendre en charge les restaurations qui s’imposent. À l’époque un crédit annuel de 350 000 francs est voté. Dès 1933, sous la pression des architectes42 le crédit des restaurations passe à 500 000 francs, l’État assumant 50 % du financement. Les sommes créditées par le ministère de l’Instruction publique représentent l’équivalent du budget du Théâtre des arts à la fin des années trente. Plusieurs chantiers sont lancés simultanément sous l’égide de Paul Franchette. L’administration des Monuments historiques intervient en effet à Saint-Vivien (travaux de couverture et de terrassement effectués en 1936), à l’archevêché (réfection en 1937), à Saint-Maclou (décapage des portes de Saint-Maclou en 1939 et restauration de la flèche en 1939-1940) mais aussi au Bureau des finances (remise en état des sculptures en 1939) ainsi que dans la cour d’Albane (restauration du Bureau des architectes en 1939).
- 43 Composé essentiellement de devis et de factures, le fonds Franchette ne permet pas de mesurer préc (...)
- 44 ADSM, 4T241, délibération du conseil municipal du 20 octobre 1938, délibération du conseil général (...)
21Ces travaux entraînent des dépenses considérables, réparties sur plusieurs exercices budgétaires. Les prévisions annuelles de dépenses de restauration43 représentent ainsi 275 000 francs en 1936, 965 000 francs en 1937, 675 000 francs en 1938, 1 150 000 francs en 1939 et 325 000 francs en 1940. Les sommes sont créditées en règle générale par l’État (50 %) après accord de participation du département (25 %) et de la municipalité (25 %). La mise en place de ces financements croisés occasionne des délais d’intervention importants. Par exemple lors de la restauration de la tourelle de Saint-Maclou. Décidée en 1938, elle dut attendre cinq mois de délibération44 et les entrepreneurs ne seront réglés, partiellement, que le 1er juin 1941.
- 45 Cf. LENIAUD Jean-Michel, Chroniques patrimoniales, Norma éditions, 2001.
22Le circuit de gestion des monuments historiques, fondé sur un rythme d’exécution et de négociations spécifiques se révèle au détour des archives. La chronologie place en tête des délibérations la commune. Ce n’est pas elle cependant qui a l’initiative des travaux. Le dossier lui échappe en réalité d’un bout à l’autre de la chaîne. Décidé, mis en œuvre et contrôlé par l’État, il lui est imposé de surcroît par la loi sans que ses desiderata puissent être invoqués. De fait la commune apprend à entériner des choix effectués ailleurs, c’est-à-dire à créer une rubrique supplémentaire dans son budget de fonctionnement, sans que cette rubrique ne corresponde à l’expression d’une volonté politique autonome. L’idée qu’une commune puisse revendiquer son patrimoine architectural n’effleure d’ailleurs jamais les élus rouennais à cette époque. Alors que l’existence de « vieilles pierres » s’impose comme un argument touristique majeur, la ville laisse l’État s’occuper de ses monuments. Cette dépossession patrimoniale ne fut sans doute historiquement qu’un piètre avatar culturel de l’avantage comparatif et du principe de centralité administrative. L’État imposait en effet sa capacité financière et sa compétence archéologique au territoire45.
- 46 ADSM, 4T240, décision ministérielle du 10 septembre 1936.
- 47 ADSM, 4T239, décision ministérielle du 15 décembre 1937 et du 21 décembre 1938.
- 48 ADSM, 4T238, décision ministérielle du 26 octobre 1938.
- 49 ADSM, 4T238, décision ministérielle du 16 novembre 1937.
23La cathédrale de Rouen, plus que tout autre édifice, témoigne de cette ambivalence. Monument polymorphe et symbolique de l’histoire de la cité, la cathédrale forme aussi un chantier permanent qui concentre à la fin des années trente jusqu’à 56 % des dépenses de restaurations accréditées par l’État. Amorcé dès 1936 par les travaux de restauration des parements de la tour lanterne46, le chantier s’étend ensuite à la tour de Beurre, nettoyée et consolidée trois ans durant (1937 à 1939)47 puis à la tour Saint-Romain (aménagement du local des compteurs, électrification de la cathédrale) et à la cour d’Albane48. On refait également à neuf la toiture de la Maîtrise Saint-Evode49. L’interventionnisme d’État rompt ici avec l’inertie municipale caractéristique des années vingt. Les clichés d’époque témoignent de l’état déplorable des abords de la cathédrale de Rouen à l’époque ou Fernand Guey, le directeur du musée des beaux-arts, dégageait de la cour d’Albane les restes du jubé xviiie siècle de Clodion. À la fin des années trente les abords sont dégagés, tandis que les Rouennais s’habituent aux palissades perpétuelles. La restauration de la tour de Beurre nécessite à elle seule un échafaudage mobile de 60 mètres, accolé à la paroi de pierre pendant deux ans. Le chantier de la cathédrale symbolise ici le nouvel élan donné à la restauration des monuments historiques locaux.
- 50 LENIAUD Jean-Michel, L’utopie française. Essai sur le patrimoine, Paris, Mengès, 1992, p. 88.
- 51 Les travaux du docteur Coutan (Coup d’oeil sur la cathédrale de Rouen aux xie, xiie et xiiie siècl (...)
- 52 ADSM, 4T240, Collin /Lanfry, 1er mars 1940.
24Cette campagne de restauration est également caractérisée par une série d’exigences scientifiques. Là encore l’hégémonie d’un « État qui dispose des agents compétents, qui définit, seul, les méthodes de travail (vocabulaires, normes de description)50 » se met en place. Menés par le Service des Monuments historiques, les travaux de restauration s’accompagnent naturellement d’une mise à plat des connaissances archéologiques, faisant fi le plus souvent des études locales51. On photographie, on repère, on réinterprète les tracés anciens, mis à jour à la faveur des démolitions. Bref l’architecte des Monuments historiques se fait autant inspecteur qu’historien d’art. Au détour d’un bordereau spécifiant à l’entrepreneur le détail des travaux de maçonnerie à entreprendre, on peut ainsi lire : « D’autre part on aperçoit derrière le contrefort A, le contrefort primitif. Il serait intéressant d’en conserver le souvenir. Vous voudrez bien le faire photographier. En outre les échafaudages permettent de faire un bon relevé du plan de la tour lanterne à ce niveau. Je vous serais obligé d’en faire prendre un attachement52. »
- 53 La ville de Rouen adopte ce principe de rémunération de « son » architecte, Edmond Lair, dans les (...)
- 54 La création en 1946 du corps des Architectes des Bâtiments de France viendra préciser cette répart (...)
- 55 Sur l’histoire des étapes de l’industrialisation architecturale on renvoie à RAGON Michel, « L’inf (...)
25Ces exigences nouvelles soulignent l’évidente professionnalisation du secteur des Monuments historiques. Les architectes des Monuments historiques, qu’ils soient architectes en chef ou architectes délégués dans les départements jouissent d’un statut particulier. Recrutés sur concours comme les fonctionnaires normaux ils s’en différencient par une rémunération calculée au pourcentage suivant les principes des professions architecturales libérales53. De surcroît, ils forment à la fin des années trente un corps jeune. Constitué à la fin du xixe siècle, recruté au compte goutte, jaloux de ses prérogatives, ce corps est en voie de différenciation. Il s’agit à la fois de préciser la répartition des tâches (inventaire, inspection, maîtrise d’ouvrage) et la hiérarchisation (entre le centre et la périphérie)54. Paul Franchette, nommé architecte ordinaire des monuments historiques en 1936 occupe une position médiane entre l’inspecteur en chef des Monuments historiques, installé à Paris et seul maître d’œuvre des restaurations et l’environnement politique, administratif et professionnel local. Il dispose cependant d’une légitimité incontestée sur cet environnement. De fait on voit les architectes procéder à des relevés archéologiques, des inventaires photographiques, sans se soucier des contraintes de réalisation du chantier. Ce comportement curieux, passionné et scientifique dessine une scission durable entre l’architecture civile contemporaine, en passe d’industrialisation (emploi du béton armé et de la préfabrication) et l’architecture de restauration55.
- 56 Notamment le cahier des charges générales applicables aux travaux d’architecture du sous-secrétari (...)
26Les nombreux courriers de l’architecte (appel d’offre, devis, soumissions aux entrepreneurs) sont surchargés de références administratives qui définissent les bornes de l’intervention en matière monumentale. Les entreprises entrent dans la logique de cahiers des charges très précis, qui portent la marque de l’administration des Beaux-Arts56. Cette économie des exigences n’est d’ailleurs pas, comme on pourrait le croire, de pure forme. Les entrepreneurs locaux, peu habitués au pointillisme administratif se feront parfois rappeler à l’ordre de manière cinglante comme en témoigne cette lettre de l’architecte en chef Albert Chauvel à l’entrepreneur de maçonnerie Petit :
- 57 ADSM, 4T241, Albert Chauvel/M. Petit, 14 janvier 1940, termes soulignés par Chauvel.
« J’ai visité le samedi 13 janvier 1940 le chantier de Saint-Maclou à Rouen et ai constaté que vous employez de la roche ordinaire de Vernon en remplacement du Vernon gros lien que j’ai demandé et qui est indiqué sur le devis… En conséquence j’ai l’honneur de vous informer que JE REFUSE toutes les fournitures en Vernon ordinaire que les pierres soient brutes, taillées ou non et que J’EXIGE du Vernon gros lien57. »
- 58 CARMENT-LANFRY Anne-Marie, « La cathédrale de Rouen », Connaître Rouen, fasc. 5, Rouen, Lecerf, 19 (...)
27Le souci d’employer des matériaux nobles (pierre de taille, clous de cuivre, ardoises vieillies) et plus encore de les travailler « avec les techniques mêmes des tailleurs de pierre du Moyen Âge58 » rappellent le poids des conceptions de restauration à l’identique, développées par Viollet Le Duc et ses émules au xixe siècle.
- 59 ADSM, 4T239, maire de Rouen/Paul Franchette, 27 décembre 1937.
28L’insertion tatillonne du corps des architectes des monuments historiques dans le champ culturel local n’allait pas de soi. Leurs exigences et leurs prétentions se heurtaient aux intérêts locaux et plus particulièrement à ceux du négoce local. Ainsi, en décembre 1937, la mise en place d’une palissade de protection au pied de la tour de Beurre occasionna une fronde des commerçants riverains. Six de ces derniers signèrent même une pétition contre la palissade et exigèrent une indemnité59. Le maire de Rouen, ami personnel de l’un des commerçants, s’opposa en vain à l’architecte des Monuments historiques. Ce dernier fit valoir que le but n’était pas de dissimuler les travaux mais de protéger les passants des chutes de pierre. Quelques semaines plus tôt des chutes de pierre avaient détruit un kiosque à journaux et blessé des passants.
- 60 ABMR, 92N Paul Franchette.
- 61 Lefort André, Notes et souvenirs (1941-1961), plaquette, Rouen, Lecerf, s. d., p. 18. Cet oubli ne (...)
29On peut néanmoins s’interroger sur les capacités d’intégration des architectes délégués par l’État à la société culturelle locale. Si l’on trouve bien des architectes des monuments historiques (Dacier, Franchette) au sein de la Commission départementale des antiquités, on les cherche en vain à l’Académie de Rouen ou au bureau de la Société des amis des monuments rouennais. Paul Franchette est exemplaire de ce décalage culturel. Ce parisien diplômé de l’École des Arts décoratifs et de l’Institut d’urbanisme (1924) passe en 1936 le concours de recrutement des architectes des Monuments historiques. Reçu premier, il est nommé dans le département de la Seine-Inférieure auquel il restera attaché pendant 18 ans60. Malgré son courage et sa détermination au moment de la Seconde Guerre mondiale (protection et sauvetage de la cathédrale en 1940 et en 1944) il reste un personnage peu intégré à la société culturelle locale. Lui qui a conduit la restauration de la cathédrale de Rouen avant et après guerre n’est même pas mentionné dans l’anthologie que consacre André Lefort aux architectes rouennais de l’entre-deux-guerres61.
30On le voit, le secteur patrimonial constitue bien un secteur clé de l’intervention de l’État dans les affaires culturelles locales. Ce n’est cependant pas le seul. La logique patrimoniale déborde en effet le seul cadre des Monuments historiques et des sites, pour toucher le patrimoine artistique et littéraire. La IIIe République réactive ici le mythe révolutionnaire d’une culture nationale.
Les musées et les bibliothèques
- 62 Georgel Chantal, La jeunesse des musées, catalogue de l’exposition du musée d’Orsay, 7 février-8 ma (...)
- 63 Poulain Martine (dir.), Les bibliothèques au xxe siècle, 1914-1990, t. 4 de Histoire des bibliothèq (...)
31Le renforcement de la place culturelle de l’État sous la IIIe République est étroitement lié à la structuration des corps professionnels des conservateurs de musées et de bibliothèques. Malgré les intentions de nationalisation des collections au moment de la Révolution française, l’État avait dû déléguer aux communes la gestion des musées et des bibliothèques. Celles-ci devaient non seulement entretenir un bâtiment permettant de présenter au public les collections, mais aussi rémunérer un « gardien » qualifié, rapidement nommé conservateur ou directeur. De nombreuses communes étaient allées plus loin, édifiant progressivement de véritables musées62 ou bibliothèques63 entre 1815 et 1870. Bientôt des lignes budgétaires assurèrent à ces établissements des conditions normales de fonctionnement (nomination d’un personnel hiérarchisé, établissement de catalogues, crédits d’acquisition). L’intervention de l’État se limitait la plupart du temps à des envois de livres, de peintures ou de sculptures, étiquetées comme « dépôt ». C’est dire que la tutelle administrative était bien ténue et que le sentiment d’autonomie des musées et bibliothèques de province semblait effectif.
32Tout change sous la IIIe République, sous la pression des conservateurs désormais formés au sein de l’École du Louvre ou de l’École des Chartes. Une culture professionnelle se répand, qui met l’accent sur le caractère patrimonial des fonds, les insuffisances de la gestion municipale des collections et la nécessité du recours à des spécialistes pour tenir les établissements les plus prestigieux. La similitude avec le domaine des Monuments historiques est frappante. On parlera de « corps » de conservateurs, de bibliothèques ou de musées « classés ». Cette affirmation progressive de la professionnalisation doit s’interpréter comme un renouveau de la centralisation culturelle, s’exerçant au détriment de l’autonomie acquise par les villes et leurs musées tout au long du xixe siècle.
- 64 ADSM, 4T6, décret du 1er juillet 1897.
- 65 Ibidem, article 6.
- 66 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 janvier 1899.
33Les bibliothèques ouvrent le bal. Le premier maillon de cette chaîne juridique fut la création, par le décret du 1er juillet 1897 d’un « comité d’inspection et d’achat » de livres dans toutes les villes disposant d’une « bibliothèque publique municipale64 ». Derrière le souci affiché par l’État d’associer les élites culturelles locales à la gestion de la bibliothèque (comité d’achat), pointe celui de mieux contrôler les fonds et leur destination (comité d’inspection). Aux termes de ce décret fondateur en effet, « pour les bibliothèques classées, dont l’importance aura été signalée au ministre de l’Instruction publique par une Commission des bibliothèques nationales et municipales, les maires devront choisir les conservateurs parmi les élèves de l’École des Chartes ou les candidats dont l’aptitude à ces fonctions aura été constatée après examen65 ». Chaque remplacement d’un « ancien » conservateur, va dès lors donner lieu à une petite guerre d’influence entre l’État et les grandes villes de province. À Rouen, le cas de figure se présente en 1898, au moment du départ d’Eugène Noël, un de ces honnêtes érudits locaux qu’on plaçait, au seuil de la retraite, à la tête des bibliothèques ou des musées. La Ville souhaite organiser un jeu d’ascenseur pour gratifier le personnel municipal en place. Un successeur « naturel » à Eugène Noël paraît particulièrement indiqué « par ses longs services et sa vaste et solide érudition66 ». Il s’agit de Narcisse Beaurain, qui a gravi progressivement les échelons hiérarchiques au cours de ses 27 années de service à la bibliothèque municipale. Mais l’administration des Beaux-Arts rejette la logique locale, arguant du manque de diplômes de Beaurain. L’État impose à la Ville de Rouen le recrutement d’Henri Loriquet, chartiste et alors archiviste du département du Nord-Pas-de-Calais.
34Cette nomination constitue un tournant dans l’histoire de la bibliothèque municipale de Rouen. Dès la première année, Loriquet obtient de disposer librement du tiers du budget réservé à l’achat de livres. Il échappe ainsi partiellement au contrôle des érudits locaux, réunis au sein du comité d’inspection et d’achat. Très rapidement il crée une salle des périodiques (1899), une salle de réserve (1899) et une salle de bibliographie (1901) au sein de l’établissement. Il fait regrouper la collection Montbret, dont la municipalité exigeait en vain le classement depuis une vingtaine d’années. La rédaction d’un catalogue, autre serpent de mer de la bibliothèque de Rouen, progresse grâce à la fermeture de l’établissement le lundi, obtenue en 1901 par le conservateur.
- 67 ADSM, 4T6, décret du 6 juin 1912.
- 68 ABMR, registres d’ordres 1924-1931 et comité d’inspection et d’achat de livres.
35L’autre élément de tutelle instauré par le décret de 1897 était la composition du comité d’inspection. À la différence des commissions mises en place par la Ville, ce comité se voulait l’expression d’une politique nationale, reposant sur la primauté de l’Instruction publique et composé d’experts indépendants. Les membres de ce comité étaient nommés pour sept ans par arrêté du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, d’après une liste dressée par le préfet et avis du maire. En 191267 un conseiller municipal élu par ses collègues fut intégré au comité qui devait se réunir une fois par trimestre. Les archives de la bibliothèque municipale de Rouen montrent que cette fréquence fut souvent fictive. De 1924 à 1936 le comité de la bibliothèque municipale de Rouen ne se réunira que neuf fois, espaçant parfois ses séances de deux ans68. En revanche la tutelle de l’État fut bien effective. C’est lui qui imposa la représentation des professionnels de la culture au sein du comité (le directeur du musée des beaux-arts, Fernand Guey et l’inspecteur d’académie Jasinski en 1925). Le comité de 1933 comprend ainsi sept représentants de l’Instruction publique sur vingt membres.
- 69 Cf. Barnet G.-K., Histoire des bibliothèques publiques en France de la Révolution à 1939, Paris, P (...)
- 70 Notamment un rapport le 31 décembre 1922 et une conférence sur « 25 ans de lecture publique à Roue (...)
36Le changement de gestion du secteur des bibliothèques est d’autant plus évident que d’autres chartistes, désignés par l’État viennent renforcer l’autorité de Loriquet. Ainsi de Joseph Girard (1903) et surtout d’Henri Labrosse, qui le remplace en 1906. Né en 1880, nommé bibliothécaire adjoint à Rouen à sa sortie de l’École des Chartes, Henri Labrosse y demeure trois ans avant d’effectuer un stage à la Bibliothèque nationale (1909-1913). De retour à Rouen en 1913 il prend la tête de la bibliothèque municipale qu’il dirigera jusqu’en 1941. Henri Labrosse, à l’instar d’Henry Vendel à Châlons-sur-Marne, Paul Logié au Havre ou Charles Hirschauer à Versailles est un des principaux militants de la lecture publique dans l’entre-deux-guerres69. Membre actif, dès le début des années vingt, de l’Association des bibliothécaires français, il y présente de nombreuses conférences à partir de ses expériences rouennaises70. De fil en aiguille l’action d’Henri Labrosse prend bientôt une dimension nationale. En novembre 1929 il est nommé membre de la commission d’organisation de la lecture publique, récemment créée par le ministère de l’Instruction publique et en avril 1936 il est élu délégué des bibliothèques municipales classées à la Commission supérieure des bibliothèques.
- 71 ABMR, casier correspondance-associations, dossier « Syndicat des bibliothécaires nationaux de prov (...)
- 72 Henri Labrosse prononce les mêmes conférences à l’Association des bibliothécaires français et à l’ (...)
- 73 ABMR, rapport sur le service de la bibliothèque municipale de Rouen, 1921-1922.
37Ce militantisme débouche dans les années trente sur la création d’un Syndicat des bibliothécaires nationaux de province (1932), affilié dès décembre 1932 à la Fédération générale des fonctionnaires mais qui repoussera l’affiliation à la CGT en 193471. Cette structuration professionnelle va jouer un grand rôle dans la nationalisation des bibliothèques municipales. Bien relayée localement par les sociétés d’éducation populaire72, l’idée nationale fait son chemin. Les syndicats font aboutir puis appliquer une législation qui repose sur la nécessaire professionnalisation de la lecture publique. L’arrêté ministériel du 30 janvier 1919 réserve « le titre de bibliothécaire à des candidats munis de diplômes professionnels ou au moins de l’enseignement supérieur73 ». Le conseil municipal de Rouen entérine l’exigence nationale de qualité dans sa délibération du 4 juillet 1919 qui déclare que le conservateur de la bibliothèque municipale doit être pourvu du diplôme de l’École nationale des chartes.
38Il faut cependant attendre la loi du 20 juillet 1931, nationalisant les dépôts des plus grandes bibliothèques provinciales, pour que soient acceptées localement le contrôle de l’administration des Beaux-Arts. Désormais toutes les bibliothèques classées doivent être dirigées par un conservateur d’État, nommé par le ministre de l’Instruction publique, sur une liste de trois noms proposés par le maire. C’est l’État qui assumera, à hauteur de 50 %, le traitement de ce fonctionnaire. Le décret du 29 avril 1933, relatif au classement et au régime des bibliothèques publiques, et le décret du 23 juin sur les bibliothèques municipales étendent le contrôle de l’État aux bibliothécaires adjoints.
- 74 Cf. Poirrier Philippe, Municipalité et culture au XXe siècle : des Beaux-Arts à la politique cultu (...)
39À la fin des années trente les dernières résistances locales ont été vaincues ; les principales bibliothèques françaises sont désormais contrôlées par Paris. Ce transfert d’autorité, de bas en haut, s’est effectué sans heurts à Rouen, grâce à l’investissement personnel d’Henri Labrosse mais aussi grâce à la bonne volonté municipale qui adhère au projet de modernisation de la lecture publique qu’il lui propose. L’intérêt financier de la Ville – surtout en période de crise économique – ne semble pas avoir été la seule raison de cette adhésion. L’atonie dijonnaise à la même époque74, indique que la modernisation put se dérouler selon des rythmes différenciés.
- 75 Seuls deux articles lui sont consacrés, le premier dans Paris-Normandie du 30 janvier 1964, les se (...)
- 76 François Bergot, conservateur général du patrimoine chargé des musées de Rouen et directeur du mus (...)
- 77 Bergot François, « Musée retrouvé, musée inventé », Connaissance des arts, n° spécial « Musée des b (...)
40Le même processus se déroule pour les musées de province. Le cas rouennais est d’autant plus intéressant qu’il est ici fondateur à l’échelle nationale. La nomination à la tête du musée des beaux-arts de Rouen d’un nouveau conservateur, en 1922, constitue en effet une charnière décisive pour l’histoire culturelle locale et nationale. Paradoxalement, cet homme, Fernand Guey, n’a guère laissé de traces dans la mémoire locale (cliché 12). Ce conservateur du musée des beaux-arts de Rouen de 1922 à 1950, né à Vincennes en 1877, meurt à Paris en 1964 dans une quasi indifférence rouennaise75. Lui qui fut sans doute l’un des conservateurs de musées de province les plus célèbres de son temps, lui à qui la ville de Rouen doit le sauvetage de la plupart de ses collections artistiques, est aujourd’hui oublié par le musée des beaux-arts lui-même. On lui reproche, non sans raison, d’avoir négligé la peinture contemporaine à une époque où les Dufy, les Braque et les Picasso étaient accessibles76 et surtout d’avoir opté pour un bricolage muséographique aux antipodes des transformations contemporaines du musée des beaux-arts77.
- 78 78. AMBAR, correspondance générale 1930-1931, Fernand Guey/Charles Oulmont (commission des Beaux-A (...)
- 79 À la mort de Raphaël Garreta, directeur du musée départemental des Antiquités de la Seine-Inférieu (...)
41Au xixe siècle on avait coutume de choisir les directeurs des musées communaux ou départementaux au sein de l’élite cultivée locale. Cette prime à l’érudition ne disparaît pas dans l’entre-deux-guerres, qui apparaît de ce point de vue comme une période de transition. Fernand Guey le rappelle dans une lettre de 1931 : « Les municipalités ignorent tout de la conservation des œuvres et s’en remettent généralement à quelque retraité ou à quelque vieil artiste à qui l’on fait un secours d’extrême misère78. » De fait les conditions de nomination des directeurs de la plupart des musées municipaux secondaires (Le Secq des Tournelles, Corneille, Flaubert) et même du musée départemental des Antiquités obéissent encore à ce schéma. On favorise les érudits locaux qui présentent l’avantage de connaître le terrain scientifique, de fréquenter les amateurs et les collectionneurs locaux et surtout d’être reconnus par la société culturelle locale79.
- 80 ADSM, 4T221, ministre de l’Instruction publique/préfet de la Seine-Inférieure, 25 août 1921.
- 81 Le décret du 24 juillet 1910 impose une nomination concertée. La municipalité établit une liste cl (...)
42Des rentes de situation se créent ainsi, qu’on prolonge jusqu’aux limites du raisonnable. La situation du musée des beaux-arts de Rouen au sortir de la Première Guerre mondiale est caractéristique de ce mode de fonctionnement. Le conservateur, Émile Minet, âgé de 85 ans, n’est plus en mesure de s’occuper convenablement des collections. Les lettres de visiteurs indignés affluent sur le bureau du maire, du préfet et du sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts. La ville, sommée de « mettre en valeur les richesses artistiques qu’elle possède80 », accepte la mise à la retraite de Minet et engage une procédure de recrutement. La désignation d’un nouveau conservateur est cependant juridiquement ambivalente. Comme la plupart des musées créés par l’arrêté Chaptal de 1801, le musée des beaux-arts de Rouen est à la fois municipal et national. La désignation d’un directeur est donc le fruit des négociations entre deux instances publiques, la municipalité, propriétaire du musée et employeur de son directeur, et la Direction des beaux-arts, propriétaire des collections « déposées » par l’État au musée81. En 1922, la municipalité de Rouen propose deux artistes locaux pour remplacer Émile Minet, le graveur Gaston Le Meilleur, âgé de 61 ans et le peintre Eugène Delabarre, âgé de 57 ans. La Direction des beaux-arts, de son côté, suggère le nom de Fernand Guey, jeune conservateur de 45 ans, formé à l’École du Louvre et qui a fait ses preuves à la tête du musée de Quimper entre 1908 et 1921. Par définition il ne remplit pas les conditions habituelles d’intégration à la société culturelle rouennaise.
- 82 82. ADSM, 4T219, Marcel Nicolle/préfet de la Seine-Inférieure, 17 mai 1922.
- 83 ADSM, 4T219, maire de Rouen/préfet de la Seine-Inférieure, 3 juin 1922.
- 84 ADSM, 4T219, maire de Rouen/préfet de la Seine-Inférieure, 21 juillet 1922 : « Je me permets de vo (...)
43L’abondante correspondance relative à cette nomination, met en évidence l’opposition – en coulisses – de deux réseaux d’influence. Les candidats soutenus par la municipalité le sont aussi par les milieux cultivés locaux. Gaston Le Meilleur était le candidat officiel de la Société des artistes rouennais, ami personnel de son président, Marcel Delaunay. Eugène Delabarre, pour sa part, professeur à l’École régionale des beaux-arts était soutenu par le député Marcel Nicolle82. L’administration municipale, en choisissant le premier ne manque pas de rappeler au ministère son attachement au recrutement local : « La direction d’un établissement de cette importance ne peut être confiée qu’à une personnalité dont la réputation artistique est notoirement établie83. » Fernand Guey, proposé par la Direction des beaux-arts n’est classé par la ville de Rouen qu’en deuxième position. Le sous-secrétariat d’État aux Beaux-Arts rejette ce classement et impose, contre les vœux réitérés de la municipalité84, son choix le 29 juillet 1922. L’affaire pourrait passer pour un banal conflit de compétences entre pouvoirs locaux et pouvoirs centraux. Il n’en est rien.
- 85 AMBAR, correspondance 1921-1924, Paul Vitry/Fernand Guey, 31 mars 1922 : « Mon cher ami/L’éventual (...)
- 86 Nous devons cette précision capitale à l’amitié de Mme Chantal Georgel. Nous renvoyons ici à la pu (...)
44La correspondance privée de Fernand Guey révèle que le corps des conservateurs issus de l’École du Louvre engage à Rouen une partie d’échecs décisive. Une lettre de Paul Vitry, conservateur au musée du Louvre et ami personnel de Fernand Guey, datée de mars 1922 indique que la nomination était réglée à cette date, bien avant l’intervention des érudits locaux85. La désignation de Fernand Guey s’inscrit de fait dans un processus de mise sous tutelle des grandes collections publiques. À partir des années vingt en effet le cercle très fermé des conservateurs des musées nationaux commence à s’intéresser aux musées de province et à leurs collections prestigieuses. Premier conservateur formé à l’École du Louvre à avoir été nommé dans un musée de province, Fernand Guey est un éclaireur lancé en milieu local86. Après une nomination discrète au musée de Quimper, il appartenait au lobby des conservateurs des musées nationaux de propulser Fernand Guey à un poste plus emblématique. Le musée des beaux-arts de Rouen, par l’importance de ses collections de peinture et de céramique constituait le cadre rêvé pour la démonstration des compétences de l’École du Louvre.
- 87 La Dépêche de Normandie, 20 octobre 1923.
- 88 La Dépêche de Normandie, 29 juillet 1925.
- 89 Journal de Rouen, 11 mai 1926.
45De fait, dès son arrivée à Rouen, Fernand Guey affiche une volonté de rupture scientifique dans la gestion du musée des beaux-arts. Il procède à la réorganisation systématique des collections et engage une politique ambitieuse d’expositions temporaires que la presse nationale salue régulièrement. Ses « découvertes », dans les réserves du musée ou dans les bâtiments publics de la cité font l’effet de petites bombes dans le microcosme culturel. En 1923, il remonte des réserves du musée, deux bustes de Pajou, « couverts d’un hideux badigeon de peinture blanche87 ». En 1925, toujours dans les réserves, il découvre un retable du xvie siècle qu’il attribue à Coninxloo et qui apparaît « sous un enduit sacrilège88 ». En 1926 encore il restaure pour le compte de la chambre de commerce de Rouen, un tableau ancien et s’aperçoit à la fois qu’il provient de l’atelier de Rubens et qu’il est en fait propriété du musée des beaux-arts89. Ces coups d’éclat jettent le discrédit sur les politiques antérieures à son arrivée.
- 90 AN, F21-4734.
46La société culturelle rouennaise ne semble pas avoir pris la mesure du réseau d’influences patiemment tissé par Fernand Guey au cours de ses études à l’École des beaux-arts (ateliers de Bonnat, Gustave Moreau, Flameng et Cormon) puis à l’École du Louvre (1904-1908) et surtout à partir de sa nomination au musée de Quimper. Sa très riche correspondance, heureusement conservée au musée des beaux-arts de Rouen, révèle que la province est devenue un enjeu pour les milieux parisiens. On y trouve tout d’abord des représentants des différents cercles du pouvoir, financier, politique et artistique. Le duc de Trévise, devenu son ami à la suite d’une exposition rétrospective de l’œuvre de Théodore Géricault en 1924, l’introduit auprès des mécènes parisiens comme le banquier David Weill, le directeur du Printemps, Laguione ou leurs intermédiaires comme l’agent de la Compagnie lyonnaise d’assurances Mordret et l’avocat Georges Sortais. En 1928 c’est encore le duc de Trévise qui obtient à Fernand Guey une audience avec Edouard Herriot, alors ministre de l’Instruction publique. À la même époque, il correspond avec le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts André François Poncet et le directeur des Beaux-Arts Paul Léon. L’organisation d’expositions importantes dans les années trente, nécessitant des prêts d’œuvres des musées étrangers, le met en relation avec les ministres des Affaires étrangères et le garde des Sceaux90.
- 91 On ne trouve par contre aucune mention des courants novateurs de l’avant-guerre (fauves, cubistes, (...)
- 92 L’expression est de Pierre Varenne, L’OEuvre, 18 mars 1930. Varenne ajoute : « Monsieur Guey ne vo (...)
47Dès les années vingt Fernand Guey, désireux d’acquérir des objets d’art (mobilier, pendules, boiseries) pour exposer en situation les œuvres du musée de Rouen, entre en contact régulier avec les antiquaires et les collectionneurs parisiens. Il fréquente aussi un certain nombre d’artistes de son temps vivant à Paris. Il est ainsi l’ami personnel des peintres Zingg, Sporck et Rieunier91. Le contact le plus fructueux sera celui de Jacques-Émile Blanche (1861-1942). Dès 1923 en effet le peintre mondain donne à la Ville de Rouen une collection importante de portraits représentant les personnalités artistiques et littéraires de la Belle Époque. La condition de ce don était la fondation d’une salle Jacques-Émile Blanche. De fait, grâce au sens diplomatique aigu de Fernand Guey, la collection sera régulièrement enrichie dans l’entre-deux-guerres, le peintre procédant à des ajouts ou à des échanges susceptibles d’accentuer la cohérence documentaire du fonds. On put même croire à un moment que le musée des beaux-arts de Rouen était en passe de devenir « la maison Blanche » puisque trois pièces étaient consacrées à l’exposition de ses œuvres92.
48Autres connaissances très sollicitées par Fernand Guey, celles issues des grands musées parisiens. Les lettres répétées attestent les liens à la fois professionnels et amicaux qui se créent avec des personnages aussi importants que Julien Cain (administrateur général de la Bibliothèque nationale), Arsène Alexandre (inspecteur des musées nationaux), Gaston Brière (conservateur au musée de Versailles), Jean Robiquet (conservateur du musée Carnavalet) et surtout l’équipe du musée du Louvre (Jean Guiffrey, Marquet de Vasselot, Paul Vitry).
- 93 AMBAR, grâce à l’entregent de Jean Guiffrey, dossier « Jeanne d’Arc et ses compagnons », Jean Guif (...)
49Ces liens sont activés à l’occasion des affaires courantes (prêts d’œuvres du musée de Rouen aux expositions organisées par la Direction des musées de France et vice versa). Ils autorisent des passe-droits étonnants pour l’époque et aujourd’hui inimaginables comme ce prêt du Portrait de Charles VII par Fouquet appartenant au musée du Louvre à l’occasion de l’exposition Jeanne d’Arc et ses compagnons en 192993 ou en encore le prêt du Bonaparte franchissant le col du Grand Saint-Bernard de David, venu du musée de l’Armée pour l’exposition Napoléon et son temps de 1934.
- 94 Pascal Ory consacre des pages précieuses à cette question dans La Belle Illusion, Culture et polit (...)
50Ces échanges de service s’inscrivent dans un double mouvement historique, celui de la redécouverte des musées de province et celui de l’essor de la muséologie. Fernand Guey, par sa formation, sa position institutionnelle et par sa participation au réseau parisien des conservateurs est au cœur de ce phénomène qui a été longtemps négligé par l’historiographie contemporaine94.
- 95 Gonse Louis, Les chefs-d’oeuvre des Musées de France, Paris, Société d’édition d’art, 1900, t. 1, p (...)
- 96 Les chroniques seront réunies en volume en 1949, LECUYER Raymond, Regards sur les musées de provin (...)
51Jusqu’au milieu des années vingt en effet les musées de province sont considérés comme des musées secondaires, poussiéreux, éclectiques et mal gérés. L’élite parisienne les visite rarement, persuadée depuis la description célèbre de Clément de Ris en 1859 de leur manque d’intérêt. Le critique d’art Louis Gonse, qui réécrit en 1900 le livre de Clément de Ris, intitule son tableau : Les chefs-d’œuvre des musées de France, précisant au lecteur que le « mot France sonnait mieux aux oreilles que celui de province95 ». On trouve pourtant dans ce livre le topos attendu sur l’état déplorable des collections et les carences de leurs présentations en province. Ce discours, hérité du xixe siècle, va s’estomper dans les années vingt. À l’origine de cette redécouverte des musées de province, on trouve à la fois les critiques d’art et les conservateurs parisiens. Les premiers multiplient à partir des années trente les articles élogieux tant pour la presse spécialisée (Gazette des Beaux-Arts, Beaux-Arts) que pour la presse généraliste (Le Figaro, L’Illustration). Ainsi le journaliste Raymond Lécuyer entreprend pour le compte de L’Illustration, une vaste enquête sur les musées français. Il visite dans les années trente, 51 villes et 140 musées96. La correspondance de Fernand Guey révèle aussi l’intérêt des guides touristiques français et étrangers pour les musées de province. Mais l’essentiel du travail de réhabilitation est orchestré par les conservateurs eux-mêmes, entendons le milieu professionnel, lié à l’École du Louvre.
52Le biais choisi sera celui des expositions nationales des « trésors » provinciaux. La première de ces expositions, Les chefs-d’œuvre des musées de province a lieu en avril 1931 au musée de l’Orangerie. Elle regroupe 15 villes du Nord de la France, les bénéfices étant versés aux musées participants. Le succès de la manifestation incite à en étendre le principe. C’est chose faite deux ans plus tard au musée Carnavalet. Cette fois 33 musées sont présents venant de toute la France. Enfin, en 1937, l’exposition Les chefs-d’œuvre de l’art français constituera l’apogée de ce mouvement de redécouverte des collections provinciales. Fernand Guey participera directement à ces expositions.
- 97 Chiffres donnés par Robiquet Jean, « Les musées de province et l’Association des conservateurs de (...)
- 98 Le duc de Trévise le rapporte dans un article du Figaro, 6 juillet 1927 : « Avant la fin de la gue (...)
- 99 AMBAR, correspondance générale, 1930-1931, Fernand Guey/Charles Oulmont, 17 février 1931.
- 100 Robiquet Jean, « Les musées de province et l’Association des conservateurs de France », op. cit., p (...)
- 101 AMBAR, copie de lettres, Fernand Guey/Raymond Regaurey, 29 décembre 1923.
- 102 AMBAR, correspondance générale, 1928-1929, Fernand Guey/M. Balher, 6 février 1928.
53Il soutient en effet un vaste mouvement de promotion des collections de province, orchestré par une jeune association professionnelle dont il est le secrétaire général : l’Association des conservateurs des collections publiques. Fondée en 1921, l’association passe de 20 membres à l’origine à 225 membres en 1931 et 300 en 193597. Dès l’origine, Fernand Guey est étroitement associé à cette société corporatiste, dont il semble avoir eu l’idée au moment de sa nomination à Quimper98. Dans les années vingt l’association, présidée par Jean Robiquet semble hésiter entre différentes appellations, « Associations des conservateurs de musées99 », « Association des conservateurs de France100 », « Association des conservateurs de province101 », « Association des conservateurs des collections publiques102 ». Mais au-delà des appellations ce sont les mêmes conservateurs qui agissent et Fernand Guey, secrétaire général pendant toute la période de l’entre-deux-guerres demeure la véritable cheville ouvrière de l’association tandis qu’à la présidence se succèdent Jean Robiquet, Paul Vitry et Louis Roule (directeur du Muséum national). Dès les années vingt l’Association des conservateurs organise des congrès annuels itinérants. En 1928, le congrès se déroule à Rouen et l’année suivante l’Association se dote d’un bulletin.
- 103 AMBAR, correspondance générale, 1930-1931, Fernand Guey/IICI, 12 juillet 1930.
54Outre la préparation des expositions nationales, l’Association des conservateurs se préoccupe de la réforme du statut des conservateurs de musée. Si on ne trouve pas trace de la participation de Fernand Guey aux travaux du Congrès international de muséographie organisé à Madrid en 1934, on trouve mention de sa collaboration aux études de l’Institut international de coopération intellectuelle et à l’Office international des musées. Il se rend au congrès de Rome d’octobre 1930 qui traite de la restauration et de la conservation des œuvres d’art103. Il participe également à l’autre volet de l’action des conservateurs : l’élaboration de statuts professionnels.
- 104 AMBAR, correspondance générale, 1930-1931, Cahiers de la République des lettres, sciences et arts/ (...)
- 105 AMBAR, correspondance générale, 1930-1931, Fernand Guey/Cahiers de la République des lettres, 22 j (...)
55Dans les congrès annuels comme dans les lettres intermédiaires on évoque la question des retraites, la création d’une caisse centrale des musées – ancêtre de l’actuelle Réunion des musées nationaux –, et surtout la nécessité d’une « centralisation plus forte encore104 ». Fernand Guey est chargé de l’« étude du fonctionnement des musées artistiques105 ». Cette discussion se fait en accord avec le ministère qui charge explicitement l’Association de proposer un texte de loi.
- 106 Pour une perspective comparatiste, cf. VADELORGE Loïc, « Musées, professionnalisation et élus loca (...)
56Les revendications n’aboutissent pas dans l’entre-deux-guerres. Les décrets présidentiels comme celui du 27 décembre 1928 qui oblige une inspection des collections nationales en dépôt dans les musées municipaux ou départementaux restent lettre morte, faute de moyens. Mais le débat engagé prépare la législation future, celle de la loi du 10 août 1941, reprise par l’ordonnance du 13 juillet 1945 qui crée la Direction des musées de France en lieu et place de l’ancienne direction des musées nationaux106.
- 107 ORY Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, Pa (...)
57Cette tendance à la professionnalisation, partie des bibliothèques et des musées, gagne aussi le secteur scientifique, à la fin des années trente. C’est en effet à cette époque, que sous la pression d’associations comme Jeune Science, on édifie les bases du Centre national de la recherche scientifique107. Cette centralisation entérine le déclin des grands établissements scientifiques de province. Le Muséum d’histoire naturelle de Rouen, pourtant dirigé par un zoologue confirmé depuis 1924, entre alors dans une phase de déclin dont il ne sortira jamais.
Les résistances locales
58Le processus d’étatisation de la culture ainsi décrit nous semble aujourd’hui relever de l’évidence. On peine même à croire que dans notre État jacobin, il eût pu en être autrement. Les inconditionnels de la centralisation pointent d’ailleurs que les villes furent les premières à souhaiter le renforcement de la tutelle culturelle de l’État. En échange elles obtenaient des crédits de fonctionnement et une certaine décharge de responsabilité. Force est de constater cependant que le passage d’un mode de fonctionnement autonome (xixe siècle) à un mode de fonctionnement contrôlé, ne fut pas aussi évident qu’on voudrait le croire. Là encore le secteur des bibliothèques et des musées est particulièrement révélateur. On y lit les différentes phases par lesquelles les communes sont passées pour accepter la mise sous tutelle des plus prestigieux de leurs établissements culturels.
- 108 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 22 mars 1889.
59La question du contrôle municipal sur les bibliothèques se pose dès les années 1880, une dizaine d’années avant le décret de 1897 créant les comités d’inspection. Jusqu’à cette date les relations entre la Ville de Rouen et l’État ne semblaient pas poser de problèmes. En 1876, la Ville a recours à une commission nationale, présidée par le marquis de Chennevières, directeur des Beaux-Arts, pour trancher entre différents projets concernant l’édification du musée-bibliothèque. La décoration de l’établissement, édifié de 1876 à 1882, s’était effectuée à la fin de la décennie avec l’aide de l’État qui avait imposé les artistes, Puvis de Chavannes et Paul Baudoin, en échange de sa participation. Un premier conflit apparaît toutefois en 1889, à l’occasion d’un échange de manuscrits, suggéré par Léopold Delisle, administrateur général de la Bibliothèque nationale. Le comité de la bibliothèque municipale de Rouen donne son accord de principe mais le conseil municipal rejette l’offre, après avoir fait expertiser un manuscrit rouennais (le Missale Rothomagense, un incunable très rare) et les manuscrits parisiens proposés à l’échange. L’argument avancé par les élus rouennais est d’ordre juridique et pose la question très moderne de l’inaliénabilité des collections locales : « Investis du mandat de conserver ce qui appartient à la commune, d’aliéner ses biens dans un intérêt général, d’échanger certaines choses dans les termes des règlements qui, dans l’espèce, n’admettent pas de soulte en argent, les mandataires de la Ville ne doivent et ne peuvent exercer ce mandat qu’avec la plus extrême prudence108. » L’affaire en reste là, Léopold Delisle retirant son offre, outré qu’on ait pu le soupçonner de vouloir détourner le patrimoine local.
- 109 Sur les 311 pièces dérobées, 112 sont rachetées par la Ville au début des années quatre-vingt-dix.
60Deux ans plus tard cependant la question de la propriété du patrimoine littéraire, déposé à la bibliothèque de Rouen rebondit. À la faveur d’une croissance du nombre de lecteurs, des vols répétés sont commis, qui soulèvent l’émoi de la population et des élus locaux. Ces vols ne sont pas propres à Rouen. Ils se répandent partout en France à cette époque et posent une question juridique de taille. Les objets dérobés sont en effet généralement retrouvés au bout de quelques années, mais ils ont à cette date déjà changé plusieurs fois de mains. Leurs détenteurs, se fondant sur l’article 2279 du Code civil, affirment alors la légitimité de leur droit de propriété et réclament une indemnité. Les villes sont donc dans l’obligation de racheter leurs propres collections à ceux qui montrent des factures en bonne et due forme ! La Ville de Rouen doit ainsi racheter, en novembre 1891, dix-neuf monnaies mérovingiennes dérobées en août 1890 et détenues par un collectionneur marseillais109. Pourtant à cette date, la législation patrimoniale aurait dû s’appliquer et protéger les collections de ce type. La loi du 30 mars 1887, qui est à l’origine du « classement des objets mobiliers appartenant aux communes », les rend en effet « imprescriptibles et inaliénables ». Mais ni les communes, ni l’État, ne se servent de cette loi au début des années quatre-vingt-dix. Il faut attendre l’arrêt de la Cour de cassation du 17 juin 1896, dans une affaire opposant la Ville de Mâcon et un propriétaire de miniatures détachées en 1850 d’un manuscrit de Saint-Augustin, pour que l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité s’appliquent aux collections municipales. Mais cette question de propriété culturelle ne progresse pas uniquement du fait de la jurisprudence. Entre la loi de 1887 et l’arrêt de 1896, l’État a renforcé son contrôle, en se présentant comme le seul garant de la protection des collections locales. Les archives municipales témoignent de ce glissement décisif.
- 110 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 3 juin 1892.
- 111 Ministre de l’Instruction publique/maire de Rouen, 22 janvier 1890, cité dans AMR, registre des dé (...)
- 112 Ibidem.
61En 1889 en effet, la Ville de Rouen adopte un nouveau règlement, destiné à mieux protéger les collections de la Bibliothèque. L’article 11 précise notamment que « les manuscrits étant la propriété de la Ville, nul ne peut les publier sans une autorisation expresse de la Mairie ». À la suite d’un rapport d’un inspecteur général des bibliothèques publiques, le ministre de l’Instruction publique exige que la Ville de Rouen retire de cet article l’expression « étant la propriété de la Ville110 ». Rouen ne se plie pas de bonne grâce à cette décision. Elle diligente un ancien Bâtonnier de l’Ordre, membre du comité d’inspection de la bibliothèque, et le charge d’une enquête juridique. On remonte alors jusqu’à la Révolution française, pour déterminer qui, de l’État ou de la Ville, est réellement propriétaire des collections municipales. Deux thèses s’affrontent ici ; d’un côté celle du ministère de l’Instruction publique, pour qui l’État a simplement « laissé aux villes la jouissance » des fonds déposés depuis l’époque révolutionnaire (décrets du 8 pluviose an II, du 8 pluviose an XI, et du 20 février 1809) mais « il ne s’en est pas déssaisi, ses droits restent entiers111 » ; de l’autre, celle de la Ville, invoquant une lettre du 25 pluviose an XI – au demeurant introuvable – par laquelle le conseiller d’État chargé de l’Instruction publique annonçait aux préfets que les bibliothèques des écoles centrales seraient remises entre les mains des maires. S’appuyant sur cette dernière lettre, le conseil municipal de Rouen considère « que la prétention du gouvernement constitue un danger pour les richesses artistiques et bibliographiques de la Ville » et que « l’État pourrait dépouiller, arbitrairement et sans indemnité, la Ville112 ». Le conseil municipal charge alors le maire de faire des démarches « pour obtenir que les Chambres soient saisies d’une demande tendant à l’attribution à titre de propriété communale au profit des villes, des collections artistiques ou bibliographiques remises aux municipalités, soit à l’époque de la Révolution, soit depuis ». On le voit, cette passe d’armes dépasse la simple querelle juridique, pour toucher aux fondements mêmes du régime politique, à travers la question des rapports de la Nation et des pouvoirs locaux. La réponse du gouvernement, via le décret de 1897 déjà cité, entérinait la primauté de l’optique de l’État sur celle des communes. Si le « domaine public communal » était bien reconnu, les collections déposées par l’État ne relevaient pas de la commune. Plus encore l’État était considéré comme le seul garant légitime des collections publiques locales comme nationales. Rouen, comme la plupart des autres villes de France, plia devant cette imposition, nouvelle, de l’autorité patrimoniale de la Nation.
- 113 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 29 mai 1925.
62Le musée des beaux-arts allait bientôt donner l’occasion d’autres affrontements, qui se cristallisèrent dans l’entre-deux-guerres, autour de deux « affaires » liées au célèbre tableau de Gérard David, La Vierge entre les saintes. Le 14 mars 1923 le directeur des Beaux-Arts demandait au musée de Rouen de prêter un de ses chefs-d’œuvre, la Vierge et les Saintes peint en 1509 par Gérard David pour une grande exposition d’art belge, organisée à Paris de mai à juillet. En droit la ville ne pouvait s’opposer au prêt de cette toile, déposée au musée de Rouen par l’État en 1803. Elle rechigna cependant, « en raison du principe qu’elle avait adopté dans l’intérêt de la conservation des collections de ne plus autoriser le déplacement d’aucune œuvre d’art113 ». Ce principe avait été établi en 1921 à la suite de détériorations consécutives au prêt de deux tableaux d’Hippolyte Sebron (Rue à New York et Les chutes du Niagara) pour une exposition se déroulant à San Francisco en 1914. Par la suite le refus s’était appliqué pour la Belle Zélie d’Ingres réclamé pour une exposition de l’Aide aux mutilés de la face à New York en 1921. La toile de Gérard David partit néanmoins pour Paris.
- 114 AMBAR, copies de lettres, Fernand Guey/Georges Sortais, 10 février 1924.
- 115 AMBAR, copies de lettres, Fernand Guey/Georges Sortais, 3 juillet 1923 : « On a déjà maintes fois (...)
63Visitant l’exposition d’art belge en juin 1923, Fernand Guey, le directeur du musée des beaux-arts de Rouen remarqua que la toile avait été endommagée, la surface étant matée et jaunie. Après une courte enquête on apprit que le tableau avait été brossé et lavé avec une éponge ! Dès lors une procédure administrative fut engagée par la Ville de Rouen contre l’administration des Beaux-Arts pour obtenir la restauration du tableau et sa restitution au musée. L’affaire était stratégiquement complexe. Rouen n’avait en effet aucun intérêt à ébruiter l’incident. Comme le rappelait Fernand Guey dans ses lettres à Georges Sortais, l’expert qui supervisait la procédure judiciaire, « l’administration a besoin sans cesse de se concilier celle des Beaux-Arts114 en raison des 300 immeubles classés monuments historiques que la ville possède ». D’autre part le tableau de Gérard David était à cette époque convoité par le musée du Louvre115 qui comptait profiter de la phase de restauration pour les annexer purement et simplement.
- 116 AMBAR, copies de lettres, Fernand Guey/M. de Chataigneux, 28 février 1925.
64La gestion purement administrative de l’affaire (1923-1924) ne résolut pratiquement rien. La susceptibilité du directeur de l’exposition parisienne, Léonce Beneditte, froissée par les propos de Fernand Guey accentua la dramatisation. En février 1924, Paul Léon, directeur des Beaux-Arts, assignait en correctionnelle Fernand Guey pour calomnie. Dès lors le maire de Rouen, Louis Dubreuil, décida de « prendre l’affaire en mains116 ». Un procès fut engagé par la ville contre l’administration des Beaux-Arts en 1925, au terme duquel le tableau fut récupéré par Rouen. L’anecdote révèle les capacités du local à s’ériger contre la tutelle culturelle nationale, l’État étant pourtant le propriétaire réel du tableau.
- 117 Cf. ADSM, 4T221.
65Tout au long des années vingt, la Ville refusera fermement le déplacement des œuvres de son musée des beaux-arts, faisant de la conservation sur place une question de principe. Les tableaux espagnols, réclamés par Paris en 1925 puis en 1929 par Barcelone, les objets de la collection Le Secq des Tournelles demandés par Liège en 1930 se verront opposer le même refus obstiné117.
- 118 AMBAR, Inv. 803.4 et musée des beaux-arts de Rouen, Guide des collections xvie-xviie siècle, Rouen (...)
- 119 ADSM, 4T220, note de conversation téléphonique du préfet de la Seine-Inférieure, 7 novembre 1935. (...)
66La question rebondit six mois avant la formation du gouvernement Blum. Une nouvelle fois La Vierge entre les vierges118 est au cœur de la polémique. Sollicitée par la Direction des beaux-arts pour une exposition d’art flamand organisée au Louvre, la ville de Rouen refuse catégoriquement de laisser sortir le tableau du musée. À moins de deux jours de l’inauguration, Georges Huisman, le directeur des Beaux-Arts, intervient avec une détermination inaccoutumée auprès du préfet de la Seine-Inférieure. Ce dernier note : « Mr Huisman a téléphoné pour une affaire très grave dit-il… On a demandé au musée de Rouen ce tableau magnifique. La municipalité a refusé. Elle n’en a pas le droit ! dit Mr Huisman, ce tableau n’ayant été que remis en dépôt. Si la municipalité persiste, les Beaux-Arts reprendront le tableau119. » Après un rapide échange téléphonique avec Georges Métayer, la municipalité plie sans conditions.
- 120 Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, op. (...)
67Derrière l’anecdote d’un « coup de gueule » de la Direction des beaux-arts, il faut sans doute déceler le signe d’une reprise en main des grandes institutions culturelles provinciales. En ce milieu des années trente, les musées des Beaux-Arts des grandes villes de province sont devenus de véritables lieux de pouvoir. Ils sont associés au développement régional des arts plastiques par le biais de la formation (liens étroits avec les écoles régionales des beaux-arts et d’architecture) comme par celui de la diffusion (salons des groupements artistiques locaux) à une époque où le marché privé de l’art (galeries d’art) accuse le contrecoup de la crise. Les contrôler devient alors un enjeu pour l’Administration centrale, qui dans le domaine culturel comme en d’autres vit une période de croissance sans précédent. Le Front populaire saura ainsi valoriser les expériences muséographiques de certains établissements (Arras, Douai, Nancy, Cambrai). Mais en deçà de la mise en avant de ces musées modèles, la politique artistique de l’État visait surtout à définir et à faire appliquer une réglementation. On voit bien comment l’affaire du Gérard David dans les années vingt s’oppose sur ce point à celle des années trente. Alors que dans le premier cas l’Administration centrale avait misé sur l’inertie d’un long procès pour tenter de récupérer l’œuvre, elle tranche nettement dans le second en ayant recours à l’autorité du préfet. Il y a bien ici imposition de légitimité culturelle et sujétion de la province à la capitale. Les archives du musée des beaux-arts ne conservent significativement aucune trace de conflit centre/périphérie au moment du Front populaire. En 1937 l’organisation de l’exposition du palais de Tokyo, « mise sur pied en moins de six mois120 » donnait pourtant objectivement des occasions de résistance tant sur les détails que sur l’organisation générale (sécurité, assistance). Tacitement à cette époque la concurrence symbolique semblait réglée, laissant Rouen soumise, trop satisfaite de pouvoir se positionner en annexe ferroviaire de l’Exposition internationale. Il est vrai que la ville avait bien compris l’intérêt qu’elle avait à se plier aux exigences culturelles de l’État.
- 121 La Dépêche de Normandie, 5 août 1937.
- 122 AMR, 2R5, Exposition d’art hollandais, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, s (...)
68Celui-ci en effet accepte quelques contreparties. Parallèlement à la montée à Paris des trésors français des musées de province s’effectue la descente en province d’une exposition d’œuvres flamandes du musée du Louvre. Patronnée par Huisman cette exposition d’art hollandais de 150 pièces, dont 26 toiles de maîtres, séjourne à Rouen en août 1937. La presse locale121 y voit à juste titre une « manifestation de décentralisation artistique ». Il s’agit aussi, plus simplement, d’un accord de troc. En échange du prêt des chefs-d’œuvre rouennais d’Ingres, Géricault et Corot la ville souhaitait l’envoi de toiles du Louvre susceptibles d’attirer des touristes122.
- 123 AN, F21-4915, préfet de la Seine-Inférieure/ministre de l’Éducation nationale, 16 janvier 1939.
69Cet intérêt pour les musées de province ne se limite d’ailleurs pas aux prêts d’œuvres. Sous le Front populaire les travaux de rénovation du musée des beaux-arts de Rouen, abandonnés depuis le début des années trente, reprennent, grâce aux subsides de la Direction des beaux-arts. L’incapacité municipale est ici patente. Évoqués dès 1936 en vue d’étendre les possibilités d’expositions temporaires (salons), les travaux de réfection du musée des beaux-arts de Rouen (établissement d’un velum vitré dans les cours couvertes, réfection des couvertures et des canalisations) ne seront effectués qu’en 1939123. La ville aurait de toute évidence été incapable de financer seule cette nouvelle tranche de travaux de 200000 francs. Les amitiés radicales-socialistes du maire Georges Métayer – pression probable d’André Marie sur Jean Zay – lui permettront d’obtenir une intervention directe du ministre dans ce dossier :
- 124 AN, F21-4915, Georges Métayer/Jean Zay, 29 décembre 1936.
« Vous avez bien voulu, Monsieur le ministre et cher collègue, faire examiner ces salles par Monsieur le directeur général des Beaux-Arts qui a reconnu lui-même combien elles nous sont précieuses pour l’organisation de nos expositions et nous serions très désireux, en hâtant les travaux indispensables, de les rendre au plus tôt à leur destination définitive124. »
- 125 Sa dernière lettre date du 7 juin 1937.
- 126 Dans les domaines lyriques et dramatiques spécialement mais aussi pour les questions relatives à l (...)
70Le dossier, régulièrement suivi par Jean Zay jusqu’à la chute du ministère Blum125 atteste d’un intérêt réel du ministère pour les musées de province et d’une volonté sans doute nouvelle pour l’État d’assumer ses responsabilités en matière d’équipements culturels. Son abandon au contraire entre juin 1937 et janvier 1939 traduit la fragilité de ce volontarisme étatique et son caractère prématuré. Au demeurant la réfection des musées de province intéressait sans doute moins le ministère que leur mise en scène. L’exposition itinérante d’art hollandais précédemment citée n’était ici que la manifestation officielle d’un projet autrement ambitieux de décentralisation des arts plastiques. Là encore la période du Front populaire, si elle n’est pas fondatrice d’une politique née sous le Second Empire, et redessinée au coup par coup par les républicains126, contribue à l’accélérer.
71Pour les musées comme pour les bibliothèques les années 1890-1940 apparaissent donc décisives. C’est là que se met en place un nouveau discours culturel, fondé sur la professionnalisation et le contrôle étatique. L’immédiat avant-guerre enfonce d’ailleurs le clou, via la question délicate de l’évacuation des collections.
- 127 Pour une perspective nationale cf. Musées et collections publiques, 210, 1996, n° spécial « Musées (...)
- 128 AMBAR, évacuations 1936-1942.
- 129 Cf. Duroselle Jean-Baptiste, Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, Paris, Dalloz, 1990, p. 19 (...)
- 130 AMBAR, évacuations 1936-1942, Fernand Guey/maire de Rouen, 4 avril 1936.
72Contrairement à la Première Guerre mondiale, le risque encouru par le patrimoine mobilier rouennais en cas de conflit avec l’Allemagne a été bien perçu et surtout bien préparé. La personnalité de Fernand Guey, mandaté par l’administration des Beaux-Arts, domine très largement cette période. Dès 1936 Fernand Guey se préoccupe de dresser un plan d’évacuation des trésors muséographiques menacés directement en cas d’invasion ou de bombardement127. Site industriel et portuaire de premier plan, point de passage obligé de la Seine pour les troupes et les blindés, la ville de Rouen constituait de toute évidence une cible privilégiée. Les Allemands en 1940 comme les Alliés en 1944 ne s’y tromperont pas. Le plan initial, rédigé par Fernand Guey en accord avec les autorités municipales et la Direction des beaux-arts date d’avril 1936128. Le contexte international (remilitarisation de la Rhénanie en mars 1936), quoique non évoqué dans les dossiers semble avoir été déterminant129. Dans son plan, Fernand Guey rejette l’idée d’une évacuation par la route et opte pour la solution fluviale : « Une péniche pourrait être immédiatement remorquée, soit dans un affluent, soit dans un petit bras inutilisé par la navigation courante où il me semble bien qu’elle serait parfaitement à l’abri130. » Ce plan initial, qui prévoyait l’évacuation des livres rares et des manuscrits de la bibliothèque municipale est abandonné en 1937.
73Le problème retrouve toute son acuité avec la crise de Munich. Une circulaire ministérielle datée du 9 septembre 1938 définit les mesures à prendre en cas de conflit. On y détaille les biais de fourniture des caisses, du sable, la manière de réquisitionner les véhicules, etc. Des exercices d’évacuation sont menés sur la Seine, un chaland, le Viala, étant même réquisitionné pendant deux jours. En 1939, le choix fluvial est cependant abandonné au profit d’une évacuation vers des sites abrités dont un pôle principal, le château de Carrouges dans l’Orne, propriété de l’administration des Monuments historiques.
74Le plan définitif d’évacuation est envoyé par Fernand Guey au maire de Rouen le 31 août 1939, la veille de l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht. Il prévoit l’évacuation du patrimoine rouennais vers Carrouges du 2 au 4 septembre. À cette date la bibliothèque municipale de Rouen a déjà préparé, sous la double autorité de son directeur et du directeur du musée des beaux-arts, 66 sacs d’archives et 11 caisses de manuscrits. Le musée des beaux-arts quant à lui a réuni 68 caisses dont 3 de 600 kilos. Au total 124 tableaux et 700 pièces de céramique quitteront dans l’ordre la ville de Rouen pour l’Orne. Le 8 septembre 1939, 20 tonnes d’objets d’art ont été déposées par Fernand Guey à Carrouges. L’évacuation, toujours sous l’autorité de Fernand Guey, s’étend ensuite aux autres musées rouennais. Les pièces les plus précieuses du musée départemental des Antiquités sont évacuées dès le 2 septembre 1939, celles du musée Le Secq des Tournelles attendront 1943. D’autres institutions culturelles comme l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen ou l’archevêché confieront leurs trésors (les fameuses toiles d’Hubert Robert de l’archevêché de Rouen) à Fernand Guey, respectivement en juin 1942 et entre 1939 et 1942. Il supervise également le transport des vitraux les plus précieux. Certaines évacuations seront particulièrement délicates, à l’image de la monumentale Justice de Trajan de Delacroix, transportée à dos d’ânes jusqu’à la cathédrale de Sées et manœuvrée par huit hommes lors de la réinstallation.
- 131 Nobecourt René-Gustave, Rouen désolée, op. cit., p. 34.
75Les Rouennais assistèrent donc bien, à partir de septembre 1939 à un exode spectaculaire de leur patrimoine, préfigurant par certains de ses aspects, l’exode tragique de la Campagne de France. Le témoignage d’un journaliste rouennais de l’époque, publié après la guerre en dit long sur le choc ressentit par la société culturelle locale : « Tout cela qui était le refuge de notre esprit, de notre contemplation, de notre joie, cherche un refuge à son tour ; car tout cela brusquement est devenu fragile131. »
76On peut toutefois être sceptique sur le sens patrimonial local de l’immédiat avant-guerre. L’évacuation des objets artistiques rouennais a été en effet moins l’affaire du local que de la Direction des beaux-arts, qui semble seule avoir pris la mesure du risque patrimonial encouru à Rouen.
- 132 AMBAR, évacuations 1936-1942, ministre de l’Éducation nationale/préfet de la Seine-Inférieure, 9 m (...)
77Dès 1938, l’État prend en main le dossier de l’évacuation. La Direction des beaux-arts précise les conditions de cette évacuation par deux fois (la circulaire du 9 septembre 1938 étant rappelée le 17 avril 1939) et surtout impose son intermédiaire spécifique, le directeur du musée des beaux-arts de Rouen, lors même que l’évacuation relevait, aux termes des circulaires des conservateurs des musées des Antiquités. La confiance de la Direction des beaux-arts en Fernand Guey, rappelons-le ancien élève de l’École du Louvre, est totale : « Il m’apparaît désirable que la protection de tous les musées de Rouen soit coordonnée par Monsieur Guey » écrit le ministre de l’Éducation nationale132.
78Le témoignage de Fernand Guey est également éclairant sur ses difficultés à faire accepter localement l’idée et les modalités de l’évacuation, tout comme sur la brusque accélération du contrôle professionnel sur la culture locale :
- 133 AMBAR, évacuations 1936-1942, Fernand Guey/directeur des Beaux-Arts, 12 octobre 1939.
« Je n’ai pas besoin de vous dire que si j’ai pu réaliser ces opérations c’est grâce aux mesures que j’avais prises bien avant septembre 1938 et que j’avais “forcé”, le mot n’est pas de trop, mes collègues à prendre après cette date. Ceux-ci sont hors d’état, l’un par l’âge, l’autre par la maladie, d’assurer la surveillance et l’organisation que réclament les évacuations et la conservation des objets déposés à Carrouges. Si l’on évacue des œuvres pour les retrouver irrémédiablement détériorées, la manœuvre est aussi inutile que coûteuse. En raison même des préoccupations de toutes sortes qui sollicitent l’attention des municipalités, il semble bien que les mesures nécessaires doivent émaner de votre direction qui seule peut les prescrire utilement et en obtenir l’exécution133. »
79Cette prise de position en dit long sur la défaite culturelle du local. À l’heure des crises les plus graves il se révèle incapable de protéger ce qu’il présentait quelques années plus tôt comme sa propre identité culturelle. De 1938 à 1946, l’histoire du musée des beaux-arts de Rouen et plus largement du patrimoine mobilier de la ville seront nationales avant d’être locales.
- 134 AMBAR, dons et legs, donation Barbet, rapport de Fernand Guey, s. d., 1949.
80La légitimité du professionnel de la culture que représente ici Fernand Guey s’en trouve indéniablement renforcée. À l’autorité conférée par la Direction des beaux-arts qui lui donne les coudées franches, Fernand Guey a su ajouter un sens aigu de l’intuition et une indéniable ingéniosité sur le terrain. Les céramiques les plus délicates ont été ici évacuées avant même la déclaration de la guerre, les 110 premières caisses étant acquises personnellement par le conservateur du musée134. Les œuvres déposées à Carrouges seront une nouvelle fois transférées, dans le Loir-et-Cher, au moment du débarquement de Normandie. Le professionnalisme et le dévouement de Fernand Guey, qui demeurera en poste pour assurer la réinstallation des collections entre 1945 et 1949, et ce malgré ses droits élémentaires à la retraite, contraste fortement avec l’atonie patrimoniale locale. La société culturelle, si fière de son patrimoine, ne semble guère s’être mobilisée pour le défendre en cette période d’avant-guerre. L’oubli dans lequel est aujourd’hui tombée la mémoire de Fernand Guey en est d’autant plus scandaleux.
81On le voit l’intervention de l’État s’affirme au cours de la période, contribuant à retirer aux villes une part importante de leurs compétences culturelles. Ce mouvement de centralisation, dont la logique est clairement patrimoniale, ne concerne pas dans les mêmes proportions le secteur de la création et de la diffusion artistique. Là au contraire, les communes ont contribué à l’émergence des politiques culturelles contemporaines.
La part des communes
82À bien des égards la IIIe République voit la naissance des premières politiques culturelles municipales. Certes ces politiques ne s’affichent pas en tant que telles. On ne trouvera ni « programme culturel » ni « budget de la culture » au cours de la période. Dès cette époque cependant, les interventions municipales en direction des principaux secteurs culturels (beaux-arts, éducation populaire, tourisme et loisirs, sports) se multiplient. Plus encore, les communes tentent de se doter d’établissements culturels durables (musées, bibliothèques, salles de spectacle) et inscrivent à leur budget annuel des crédits de fonctionnement pour ces établissements.
Théâtres, musées et bibliothèques : la gestion de l’héritage
83L’institutionnalisation de la culture apparaît au premier regard comme un phénomène de longue durée. Tout au long du xixe siècle, les communes fondent des musées ou des bibliothèques, à destination d’un public cultivé mais aussi populaire. À Rouen même, chaque régime semble ajouter une pierre de plus à l’édifice institutionnel. Après les fondations révolutionnaires (musée des beaux-arts et bibliothèque) viennent celles de la Restauration (Muséum d’histoire naturelle en 1828), de la monarchie de Juillet (musée départemental des Antiquités en 1834) et du Second Empire (mise en place d’un contrat avec le Théâtre des arts en 1852). La IIIe République ne se contente cependant pas de compléter le catalogue culturel local. On assiste en effet à une accélération et à une systématisation des fondations d’établissements, tandis que le contrôle municipal sur les institutions existantes se renforce. Comment se produit cette municipalisation des beaux-arts ? Que signifie-t-elle pour la Ville ? En quoi participe-t-elle d’un mouvement plus général d’essor national ?
- 135 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 31 mai 1927, intervention (...)
84La première de ces institutions culturelles locales est sans conteste le Théâtre des arts (clichés 2 et 31), dont le fonctionnement et la renommée sont définitivement établis sous la IIIe République. En dépit des crises économiques qui le menacent par deux fois (vers 1885-1895 et vers 1930-1935), en dépit des nombreuses faillites de direction qui jalonnent son histoire, la première scène rouennaise conforte sa position au sein de l’échiquier culturel local. Cette réussite, unique à l’échelle de la Normandie, est sans conteste liée à l’investissement municipal. Un conseiller rouennais le formule ainsi en 1927 : « À l’heure actuelle, les destinées du Théâtre des arts sont plus entre les mains du conseil municipal que dans celles du directeur et le conseil municipal encourt une très grosse responsabilité en laissant tomber son Théâtre135. » Cette tradition de subvention municipale remonte au Second Empire, mais elle ne se formalise réellement qu’aux débuts de la IIIe République. En 1875 en effet, saisi d’une nouvelle demande de subvention par le Théâtre des arts, le conseil municipal de Rouen décide de l’instituer à l’avenir. Pour défendre cette proposition, le conseiller municipal Frédéric Deschamps, développe alors une argumentation d’une surprenante modernité :
- 136 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 22 janvier 1875, intervent (...)
« C’est une matière qui devient de plus en plus prépondérante, parmi celles qui touchent à l’intérêt public ; car au milieu de nos malheurs, l’art est resté notre supériorité et notre refuge. Ceci ne doit pas rester vrai seulement pour le grand foyer parisien. Réduite à ses propres forces, la capitale ne saurait suffire à cette haute mission ; la province est la pépinière obligée des célébrités qui sont appelées à faire briller la France d’un si vif éclat dans le monde des arts. Il faut entretenir dans nos départements le culte précieux des traditions qui en sont l’élément et la vie ; leur caractère civilisateur et moralisateur n’a plus besoin d’être démontré ; permettez-moi seulement de rappeler combien cette observation est applicable surtout à l’art lyrique136. »
85Cette argumentation pompeuse s’inscrit, on le voit, dans le courant patriotique, postérieur à la défaite de 1870, d’autant plus sensible à Rouen que la ville et ses environs ont beaucoup souffert de l’occupation prussienne. Il participe aussi d’une vieille revendication de décentralisation artistique, thème récurrent depuis la monarchie de Juillet, mais que la République va bientôt ressourcer en renforçant le pouvoir des conseils municipaux et généraux. De fait, quinze ans plus tard le discours culturel local apparaît tout à fait structuré autour du Théâtre des arts.
86En 1891 en effet, un conseiller municipal, libéral convaincu, demande la suppression de la subvention annuelle au Théâtre, arguant d’une période de restriction budgétaire. Cette proposition suscite une véritable levée de boucliers, permettant de repérer les principaux arguments qui militeront en faveur d’un soutien sans faille de l’administration. Pour les uns, « il faut y regarder en deux fois avant de faire descendre la Ville de Rouen du rang artistique qu’elle occupe ». D’autres se refusent à « priver la population rouennaise de la seule distraction élevée qu’elle ait à sa disposition », qualifiant même la subvention au Théâtre de « subvention démocratique ». D’autres encore mettent en avant les 200 personnes qui vivent directement de l’exploitation du Théâtre, et qui font vivre indirectement les commerces proches de lui. D’autres enfin, évoquent la tradition séculaire de la scène lyrique rouennaise, tradition ressourcée par la création récente de l’opéra de Camille Saint-Saëns, Samson et Dalila et celle de Lohengrin de Richard Wagner. Pour finir, un conseiller retrouve les accents lyriques de Frédéric Deschamps et s’exclame :
- 137 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 13 février 1891.
« Il y a un certain ordre de questions qui ne peuvent se résoudre par doit et avoir. L’exploitation d’un théâtre lyrique est à envisager comme les musées et les collections historiques. Les musées coûtent très cher à la Ville […] cela n’augmente pas les recettes d’octroi, et les musées ne sont pas fréquentés par un nombreux public ; il y a des choses qui s’imposent absolument aux grandes villes, et particulièrement à la nôtre, si elle veut dignement conserver son titre de chef-lieu137. »
87Cette fois la défense de la subvention mêle l’argument du rang artistique de la cité, celui de la démocratisation de l’art lyrique à celui de l’impact économique de l’établissement et à sa participation à une politique culturelle qui ne dit pas encore son nom, mais vers laquelle tend de toute évidence la Ville de Rouen. Reste à examiner la traduction concrète de ces belles déclarations, c’est-à-dire à prendre la mesure de l’investissement municipal et à comparer l’intention de départ et les réalisations.
- 138 La meilleure présentation du décor du théâtre des arts a été faite par GOUBAULT Christian, La musi (...)
- 139 On citerait volontiers les pages où Madame Bovary découvre la salle du Théâtre des arts de Rouen… (...)
- 140 Les dates entre parenthèses renvoient aux dates de naissance des artistes tous nés à Rouen à l’exc (...)
88Le volontarisme culturel rouennais n’attendit pas la loi de 1884 pour se manifester. L’incendie du premier Théâtre des arts, en 1876, allait donner l’occasion de réaliser une partie du programme dessiné en 1875 par Frédéric Deschamps. La Ville décide en effet, en décembre 1878, de reconstruire à ses frais le Théâtre des arts. Le projet, confié à l’architecte Sauvageot, ne sera achevé qu’en 1882. Il engage d’autant plus durablement la cité qu’à la même époque, le même Sauvageot réalise le musée-bibliothèque. Les deux édifices ne sont pourtant pas comparables. À la digne austérité du temple des arts et des lettres, répond un Théâtre dont les élus entendent faire la vitrine de la cité. Au prestige lyrique de l’établissement doit correspondre un bâtiment luxueux. Si l’extérieur est de style éclectique, l’intérieur affirme la volonté locale d’imiter les salles parisiennes138. Refusant d’économiser sur le décor, le conseil municipal choisit de faire confiance à l’architecte Louis Sauvageot, qui engage des peintres et des sculpteurs parisiens. Le Théâtre des arts fut sans doute l’une des rares institutions rouennaises où la fantaisie décorative put s’exprimer librement. Autour du lustre qui focalise l’attention139, des fresques recouvrent le plafond et de nombreux panneaux célèbrent les gloires culturelles rouennaises. Car le Théâtre des arts avant d’être voué à la création lyrique universelle doit fonctionner comme un panthéon local. Tous les grands natifs de Rouen sont représentés sur ses voûtes ou ses murs : Fontenelle (1657), Boieldieu (1775), Géricault (1791), Flaubert (1821), Bouilhet (1822) entourent la gloire parmi les gloires : Pierre Corneille (1606)140. L’escalier d’honneur célèbre pour sa part à la fois l’art dramatique et l’art lyrique, trois panneaux étant consacrés à Corneille et trois à Boieldieu, ce qui est loin de présager, on le verra, de l’usage du bâtiment.
- 141 Cf. Rose Cécile, Le théâtre lyrique en Normandie entre les deux guerres : 1918-1939, thèse de doct (...)
- 142 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 28 janvier, 30 mars, 30 a (...)
89Au-delà de l’aspect décoratif et patrimonial, les capacités de l’établissement (1535 places) autorisent la comparaison avec les plus grandes salles parisiennes141. Le souci de confort, qui fut la première manière d’assurer le maintien du rang de la première scène rouennaise sera permanent. Dès les premières années, on s’assure de la restitution du matériel de l’ancien théâtre. Décors, costumes, mobilier et bibliothèque sont restaurés ou reconstitués dès 1881. Un concierge est recruté à la même époque. Dès lors, le Théâtre des arts est considéré comme un élément essentiel du patrimoine de la cité, à la fois au sens immobilier et au sens artistique du terme. La Ville s’attachera à l’entretenir, plus que tout autre de ses bâtiments. Ainsi en 1931, les problèmes d’aménagement du théâtre (réfection des loges, installations électriques, remplacements de chaises, réglage de la ventilation, remplacement du monte-charge, installation de lavabos) feront l’objet de huit délibérations du conseil engageant à court terme 994602 francs soit une fois et demi le budget annuel du dit théâtre à cette date142 ! Certes le cas est limite, mais l’entretien courant du Théâtre des arts confine souvent à l’obsession. Il faut voir là le signe d’une priorité politique, traduisant une pression réelle du public du Théâtre des arts sur les édiles.
- 143 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, 1919-1940.
- 144 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 22 décembre 1925.
- 145 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 31 janvier 1914, intervent (...)
- 146 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 9 mai 1919.
90De fait, au-delà des réparations urgentes, des dépenses somptuaires sont régulièrement concédées au Théâtre des arts. Citons le remplacement des tapis des loges en 1919, l’agrandissement de la fosse d’orchestre en 1927, l’installation du chauffage central en 1929 complété par la « climatisation » en 1931, la création d’un appartement pour le directeur en 1929 et d’un foyer des artistes l’année suivante, l’installation d’un rideau de scène à l’italienne en 1932 ou encore le nettoyage des fresques en 1939143. Les sommes engagées, souvent considérables, ne peuvent être interprétées comme de simples crédits de fonctionnement. Les édiles ont très clairement conscience de l’obligation morale d’investissement, contractée envers le Théâtre des arts. S’exprimant sur la nécessité de rénover le foyer du Théâtre des arts dont le plafond était endommagé, un élu indique : « Notre foyer est magnifique, il appartient au patrimoine artistique de notre ville144. » Ce thème récurrent de la réfection, n’est pas uniquement lié au fantasme du « retour à la normale » de l’après Première Guerre mondiale. Il forme un lieu commun des politiques culturelles locales. Déjà en 1914, un conseiller réclamait le remplacement du mobilier du Théâtre des arts145, considéré comme la vitrine artistique de la cité. Lorsqu’il s’agit par exemple de remplacer des tapis usagés dans les loges, le sénateur Leblond rejettera l’emploi du « linoléum qui peut être proposé dans les cuisines, dans les couloirs, mais pas dans les loges de Théâtre146 ».
- 147 Masselon et Malaussena (1919-1921), Malaussena (1921-1922), Chabance (1922-1925), de Loose (1925-1 (...)
91Le symbole même de cet attachement au cadre du spectacle tient dans la position privilégiée tenue par le conservateur du matériel, Charles Rambert. Sur l’échelle des traitements des employés municipaux, il est assimilé au conservateur du musée des beaux-arts et devance le directeur du Muséum d’histoire naturelle. La presse rend régulièrement compte par ailleurs de la ferveur dont le régisseur jouit auprès du public. À l’inverse des directeurs dont le turn over est très élevé – ils seront neufs à se succéder en vingt ans147 – Charles Rambert occupera ce poste stratégique de 1894 à 1936.
- 148 GOUBAULT Christian, La musique, les acteurs et le public au Théâtre des arts de Rouen 1776-1914, o (...)
- 149 Symboliquement une loge est réservée au maire sur le plan des places du Théâtre.
- 150 Le terme de création est ambigu ; il désigne à la fois des créations nationales dans le cadre de l (...)
92L’érection puis l’entretien d’un théâtre auraient pu tenir lieu de politique artistique. En bons disciples du libéralisme politique, les élus rouennais, déléguèrent de fait la gestion et la programmation de leurs théâtres, à des directeurs désignés lors de chaque saison lyrique. Cette délégation ne signifiait pas pour autant un abandon. Dès 1881, un cahier des charges est établi pour définir les obligations réciproques de la Ville et du directeur qu’elle désigne148. À la Ville reviennent les charges d’entretien et une subvention dont le montant est fixé chaque année par le conseil municipal. Au directeur revient le choix de la programmation dans les limites budgétaires mais aussi esthétiques fixées par le cahier des charges. Très tôt ce document apparaît comme un leurre, les directeurs le contournant en permanence pour assurer la viabilité de leur exploitation. Certains n’hésitent pas à faire pression sur des conseillers municipaux pour obtenir la « réforme » sinon la refonte du cahier des charges, sans parvenir pour autant à couper le cordon ombilical qui lie la Ville à son Théâtre des arts149. En fait il sera perpétuellement amendé, définissant, saison après saison les conditions matérielles de la création. Le contrat passé est dans tous les cas réciproque. La municipalité prend l’engagement de verser une subvention directe (somme allouée) et indirecte (avantages en nature tels le règlement de l’électricité, des frais d’entretien ou de réparation ou encore l’achat de places scolaires) en échange de quoi la direction doit respecter un certain nombre de clauses quant à l’emploi de locaux (durée obligatoire de la saison lyrique, nombre minimum de pièces du répertoire à programmer, nombre fixé de « créations150 », prêt de la salle pour les festivités municipales, composition de la troupe).
- 151 AMR, bulletin municipal, juillet-août 1925.
- 152 L’inflation des représentants date de 1909 c’est-à-dire à l’époque où les débuts des artistes fure (...)
- 153 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 25 juillet 1929.
93En apparence le contrat laisse une grande liberté artistique au directeur. En réalité, toute une série d’interférences viennent perturber la bipolarité municipalité-direction. La première de ces interférences est d’ailleurs instituée : il s’agit de la commission consultative du Théâtre des arts dont l’origine remonte à 1882. Elle a pour objet de « seconder l’administration municipale dans l’application du cahier des charges concernant l’exploitation151 ». Les conseillers municipaux émettent en amont des avis au directeur et en aval des critiques. Renouvelée à chaque changement de municipalité, la commission voit progressivement sa composition croître. De 6 membres en 1882 elle passe en effet à 37 membres en 1925152, avant d’être ramenée à 18, en 1929153. Elle parvient à imposer, contre vents et marées, une certaine idée du rôle du Théâtre des arts. De 1881 à 1940, les mêmes voix s’élèvent pour demander le respect du cahier des charges et le maintien de la destination lyrique de l’établissement. Cet impératif esthétique, qui tient incontestablement lieu de politique artistique, supposait la mise en œuvre de moyens appropriés.
94La primauté du lyrique s’éprouve avant tout par la place qu’il occupe au sein des dépenses culturelles de la cité. Cette ponction budgétaire se veut le signe de la capacité d’une ville de 120000 habitants à entretenir une scène et une création de niveau régional. La courbe des dépenses lyriques, établie d’après les comptes administratifs de la cité, indique que la place du Théâtre des arts, loin de diminuer, se renforce nettement sur la longue durée. La période de l’entre-deux-guerres en témoigne amplement. En 1930 les dépenses lyriques sont deux fois plus élevées en francs constants qu’en 1919. La tendance à la hausse ne se ralentira, on le verra, qu’à la fin des années trente. Cette croissance quantitative dissimule cependant un certain tassement en valeur relative. Le Théâtre des arts représente 39 % du budget ordinaire des Beaux-Arts en 1920, 35 % en 1930 et seulement 33 % en 1939. Ces chiffres rapportés aux dépenses totales de la cité situent le poste budgétaire du Théâtre des arts entre 0,75 % (1920) et 0,50 % (1939) du total.
- 154 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 janvier 1922.
- 155 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 3 février 1927.
95Toutefois de 1919 à 1940 le Théâtre des arts demeure le premier poste culturel local, loin devant le musée des beaux-arts, la bibliothèque municipale ou l’École régionale des beaux-arts. En 1939 encore, la ville dépense deux fois plus pour son théâtre que pour son musée ou sa bibliothèque. Ce sont ces dépenses massives et disproportionnées qui frappent les contemporains beaucoup plus que la baisse relative de la part du Théâtre dans les dépenses culturelles de la cité. Certes, on trouvera de tout temps des adversaires résolus de la subvention municipale. Par exemple le tonitruant Raoul Brunon, personnage haut-en-couleur et acteur infatigable de la vie culturelle locale de la Belle Époque à la fin des années vingt : « Le peuple manque de pain et vous voulez lui donner de la brioche154 ! » L’argument développé ici met directement en cause la nécessité d’une politique lyrique. Pour une partie des conseillers municipaux, les priorités politiques sont ailleurs (gestion de la pauvreté, éradication des taudis urbains). Ainsi du docteur Guerbet, émule de Brunon en 1927 : « Quand un ménage est dans une situation difficile, il ne va pas au théâtre ; quand une ville est dans une situation difficile, elle ne subventionne pas un théâtre. Laissez ceux qui veulent y aller payer leurs places155. » Pourtant les détracteurs du Théâtre des arts demeureront minoritaires, en dépit des scandales et des faillites successives.
96L’art lyrique constitue pour Rouen sous la IIIe République un symbole qu’il faut préserver par tous les moyens, des aléas économiques ou artistiques. En s’engageant résolument dans le soutien au lyrique, la Ville mettait le pied à l’étrier des politiques culturelles. Dès 1880, l’idée que le développement local des beaux-arts revenait de plein droit à la commune progressait dans les esprits. Dans le sillage de son théâtre, Rouen entretenait d’ailleurs un nombre croissant de musées et de bibliothèques, à commencer par les plus prestigieux d’entre eux, le musée des beaux-arts et la Bibliothèque centrale de prêt.
- 156 Daniel Sherman note que la période 1860-1880 est celle de la construction des grands musées comme (...)
- 157 Selon Raymond Labourie, les premières bibliothèques scolaires en France datent de 1862 et les bibl (...)
- 158 AMR, 4M1, Louis Dubreuil/Paul Baudouin, 22 octobre 1927 et registre de délibérations du conseil mu (...)
- 159 ABMR, registre d’ordres 1924-1931, et Réveil normand, 20 juin 1924, à propos de la fresque Le Sign (...)
97Splendide héritage de l’urbanisme haussmannien, le musée-bibliothèque (cliché 34) a sans doute constitué, dans les années 1870-1880, le projet culturel le plus ambitieux qu’ait jamais connu la ville de Rouen. Certes le cas n’est pas unique et de nombreuses villes ont vécu la même fièvre d’ » institutionnalisation de la culture156 » impulsées qu’elles étaient par le ministère de l’Instruction publique157. Il n’empêche, la dépense fut de taille, obérant pour de nombreuses années le budget culturel de la cité. L’édifice coûtera à la Ville, 3,5 millions de francs, sans compter les 2 millions de francs nécessaires aux expropriations. Comme pour le Théâtre des arts, il s’agit d’édifier un bâtiment durable, un « temple des arts » digne de la cité. Dans les escaliers du musée et de la bibliothèque, les allégories se répondent invitant un public « éclairé » à la pratique des arts. Ces fresques murales, Inter artes et naturam de Puvis de Chavannes pour le musée des beaux-arts et La Lecture et La Chasse de Paul Baudouin pour la bibliothèque font l’objet de soins réguliers158. Au besoin les habitués de la bibliothèque sauront réclamer le retour de telle fresque envoyée au nettoyage159. Eux aussi vont contribuer à sacraliser l’établissement. Il n’est qu’à relire la description qu’en donne Edmond Spalikowski, un de ses usagers, dans un exercice de style caractérisé :
- 160 SPALIKOWSKI Edmond, Ame et aspects de Rouen, op. cit., p. 55. On aura noté le pastiche de Correspo (...)
« Il est un temple dont les fidèles, toujours respectueux et décents, ne foulent jamais le seuil sans laisser au dehors ou au vestiaire, avec leur canne ou parapluie, l’indifférence ou la frivolité… car la bibliothèque de Rouen, l’une des plus riches de province est l’établissement le plus délicieux que la ville ait offert à ceux qui estiment que la vie sans effort d’intelligence n’est pas complète160. »
- 161 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 26 juillet 1934.
- 162 Journal de Rouen, 20 juin 1922, article de Fernand Guey.
- 163 Ce sont ses propres mots prononcés lors de l’inauguration le 14 juillet 1929. Cf. AMBAR, dossier « (...)
98Les directeurs des deux établissements contribueront d’ailleurs à en renforcer l’apparat. À la bibliothèque municipale, on installe en 1885 une galerie d’estampes et en 1934 un casier pour exposer en permanence la collection Jeanne d’Arc161. Mais les travaux les plus importants sont effectués au musée après la nomination de Fernand Guey. Il met véritablement en scène les collections, en ayant recours à un mobilier d’époque (meubles, tapisseries, boiseries). Sont ainsi progressivement inaugurées une salle Jacques-Émile Blanche (1923), un petit salon Louis XVI (cliché 15), une galerie Louis XV, un salon Régence (1925-1928) puis un salon Empire (1932). Le principe est simple. On décroche et on restaure les toiles en opérant au passage les reclassements puis on réinstalle le tout dans une pièce rénovée et décorée. Il s’agit de « créer autour de certaines pièces un décor gracieux qui les place dans leur milieu162 ». Cette scénographie culmine en 1929 avec la nouvelle salle du Jubé. Fernand Guey a en effet l’idée de « doter les œuvres les plus marquantes d’une présentation exceptionnelle163 » en récupérant, dans la cour d’Albane attenante à la cathédrale, les débris de l’ancien Jubé, datant du xviiie siècle. En les faisant installer dans la salle de peinture moderne, Fernand Guey réalise un encadrement de rêve pour ce qui à l’époque est considéré comme le chef-d’œuvre du musée : La Justice de Trajan de Delacroix.
- 164 Les dates entre parenthèses indiquent l’entrée et la sortie de la bibliothèque municipale.
99Ces transformations, qui sont de portée financière limitée, sont généralement soutenues par les conseils municipaux successifs. Si la Ville rechigne à investir sans l’aide de l’État (absence de restructuration du musée des beaux-arts, blocage des réinstallations de certains musées), elle n’hésite pas en revanche à accroître le budget de fonctionnement des établissements dont elle a la charge. Aux petits aménagements du musée des beaux-arts correspond l’augmentation du personnel des bibliothèques publiques. Dès 1880, le directeur de la Bibliothèque obtient la création de deux postes (un second sous-bibliothécaire et un troisième garçon de salle). Ces postes, attribués généralement à des Rouennais, sont d’autant plus précieux qu’ils contribuent à stabiliser un personnel spécialisé. Le chartiste Henri Labrosse dirige la bibliothèque municipale de 1913 jusqu’à sa mise en retraite en 1941. Il faut rapprocher la longévité de Labrosse de celle de ses premiers collaborateurs, les bibliothécaires Robert Pinchon (1889-1928), Raoul Aubé (1882-1921), Gabriel Donnadieu (1922-1936), René Rouault de la Vigne (1922-1928) et ou encore Jeanne Dupic (1928-1940) qui succède à Labrosse en 1941164.
- 165 ADSM, 4T221.
- 166 ADSM, 4T221, rapport de la commission des Beaux-Arts, 17 octobre 1921.
100Des critiques sont cependant parfois adressées à la gestion du musée et de la bibliothèque. Les dépenses de fonctionnement sont en effet écrasantes et ne laissent guère de place aux rénovations rendues de plus en plus nécessaires par le vieillissement des installations. L’opinion publique s’en mêle à grands renforts de lettres ouvertes aux pouvoirs publics, locaux ou nationaux. Ainsi de cet anonyme qui écrit au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts pour dénoncer l’état de saleté du musée et la présentation inadéquate de ses chefs-d’œuvre165. Après s’être fait rappelé à l’ordre par le préfet, la ville accepte « le nettoyage de quelques carreaux166 ».
- 167 Sur Georges Dubosc, VADELORGE Loïc, « Culture patrimoniale et commémoration. L’exemple de Georges (...)
- 168 Journal de Rouen, 19 mars 1922, Georges Dubosc, « Par-ci, par-là : À propos du musée de peinture »
- 169 On trouve cependant trace d’une lettre de protestation en 1938.
101La presse se fait naturellement l’écho des revendications. Georges Dubosc, alors critique artistique du Journal de Rouen dénonce dans un long article le délabrement du musée des beaux-arts167. Selon lui « il y a une question du musée de peinture » et de passer en revue « la lumière absolument pitoyable » de l’aile sud ou « les sous-sols inutilisables, véritables hypogées égyptiennes et cryptes de débarras168 ». On pourrait multiplier les exemples de dénonciations, très fréquents dans l’immédiat après-guerre (1919-1922), plus rares ensuite169.
- 170 Journal de Rouen, 17 novembre 1922.
- 171 La Dépêche de Normandie, 16 novembre 1922.
- 172 ABMR, règlement de la bibliothèque municipale de Rouen, arrêté municipal du 25 septembre 1925, art (...)
102La bibliothèque municipale n’échappe pas aux plaintes. Au début des années vingt la presse locale ironise sur l’insuffisance du chauffage des salles : « Ceux qui jusqu’ici avaient eu la chance de résister au rhume et à la bronchite réclamaient à corps et à cris quelques degrés de chaleur de plus dans les salles170 », « Quand la Bibliothèque sera réchauffée nous y retournerons171 ». Pour éviter ces « canard à la Rouennaise » la municipalité a fait déposer un registre de réclamations, « placé ostensiblement sur le bureau du bibliothécaire de service pour recevoir les observations du public172 ». Au-delà des anecdotes souvent savoureuses, la cohorte des grincheux soulève un problème de fond.
- 173 ABMR, rapport annuel de 1926-1927 et réponse au questionnaire lancé par l’Association des biblioth (...)
- 174 Le projet Guiffrey a disparu dans l’incendie de l’hôtel de ville en décembre 1926. Il est mentionn (...)
- 175 Journal de Rouen, 19 octobre 1922.
103Le délabrement, le vieillissement et l’encombrement constituent avant tout des problèmes structurels auxquels se heurtent en permanence les municipalités successives. La prise de conscience de ces problèmes est bien réelle et ce dès l’avant 1914 mais le joug financier est sans appel. Le directeur de la bibliothèque municipale de Rouen dénoncera en vain dans ses rapports annuels au maire le manque de crédits, tant pour les livres (acquisitions, abonnements) que pour le matériel. « Nous devons souvent nous contenter d’organisations de fortune » écrit-il par exemple en réponse à un questionnaire national sur les conditions de travail dans les bibliothèques173. L’écho est parfait au musée des beaux-arts voisin. Au projet de rénovation, établi par Jean Guiffrey, alors conservateur en chef au musée du Louvre, à la demande du maire de Rouen en 1920174, la municipalité préférera la prudence : « Petit à petit, et à peu de frais, le nouveau conservateur, Monsieur Guey apportera dans le musée des améliorations successives et on évitera ainsi des crédits supplémentaires175. »
- 176 AMBAR, dossier « Correspondance générale, 1929 », rapport de Fernand Guey, s. d.
- 177 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 16 janvier 1925, 31 août (...)
104Cette pratique des interventions au coup par coup, le plus souvent nécessitées par l’urgence se prolongera jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. On a peine à imaginer, à notre époque de sacralisation du patrimoine, les œuvres (tableaux et livres) menacées par l’humidité permanente ou « les plâtres se détachant peu à peu de leur support à 25 mètres de hauteurs au-dessus des salles176 ». L’essentiel des dépenses engagées au musée-bibliothèque sera consacré à éviter l’irréparable : travaux de couverture en 1925, installation du chauffage central joint au procédé d’aération Knapen après assèchement des murs en 1927, installation de détecteurs d’incendie en 1932 suivi de la réfection de l’électricité, assèchement progressif des façades l’année suivante, etc.177.
- 178 On ne peut que suivre ici les conclusions de Noë Richter, même si l’action d’Henri Labrosse en fav (...)
- 179 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 31 mai 1934. Cette collect (...)
105En réalité la situation délicate des institutions culturelles rouennaises ne relève pas simplement d’une question de gestion. Certes, les budgets ne correspondent plus aux exigences culturelles de la République et ce dès la Belle Époque. Mais le problème tient aussi à la conception que se font les élus et les directeurs successifs du musée et de la bibliothèque. L’optique dominante est en effet patrimoniale178. Il s’agit avant tout d’administrer un fonds hérité du xixe siècle, c’est-à-dire de conserver au mieux des objets de valeurs (manuscrits, toiles anciennes). Aussi, dès lors que la Ville s’est engagée à édifier un palais des Beaux-Arts, elle considère qu’elle a réalisé l’essentiel de ses objectifs artistiques. Significativement, les dépenses exceptionnelles consenties par l’administration municipale au musée ou à la bibliothèque, concernent des acquisitions susceptibles de compléter les fonds patrimoniaux existants. Ainsi, pour la bibliothèque, de l’importante acquisition de la collection des Cazins en 1934 qui apporte à la ville 600 volumes du xviiie siècle179. En dehors de cette dépense les achats ne s’effectuent qu’au compte goutte. Le fonds compte 200000 volumes en 1919, 220000 en 1929, autant en 1939. Les archives de la bibliothèque révèlent que les collections s’accroissent en moyenne de 1876 livres par an de 1924 à 1937 (séries disponibles). Mais seulement 33 % des volumes acquis proviennent d’achats municipaux contre 59 % de dons et legs, le reliquat (8 %) étant constitué de dépôts de l’État.
- 180 REGNIER Robert, La nouvelle salle de botanique du muséum de Rouen et les enseignements qui en déco (...)
106Il ne s’agit pas pour autant de nier le volontarisme culturel des municipalités rouennaises sous la IIIe République. Si la Ville limite les dépenses de son musée et de sa bibliothèque, c’est aussi parce qu’elle gère d’autres secteurs culturels. Ainsi du domaine des sciences naturelles, qui a fait l’objet d’une prise en charge précoce (Muséum, Jardin des plantes), jamais remise en cause. On objectera sans doute que les sciences naturelles ne relèvent pas à cette époque du domaine culturel et que de surcroît le rapprochement entre le Muséum d’histoire naturelle et le Jardin des plantes est saugrenu. Pourtant, trois arguments plaident en faveur de l’intégration de ces deux établissements à la politique culturelle de la cité dès cette époque. Premièrement le budget du Muséum est inscrit au chapitre des dépenses relevant de l’Instruction publique. En cela, la Ville reproduit le découpage ministériel de l’époque, qui rattache les muséums scientifiques à l’Instruction publique. Ensuite, les principales figures scientifiques rouennaises de la IIIe République, sont intimement liées au secteur des Beaux-Arts. Ainsi le botaniste Eugène Noël (1816-1899), auteur de nombreux ouvrages sur la faune et la flore normande, sera directeur de la bibliothèque municipale de Rouen (1879-1898), avant d’être honoré d’une statue commémorative au Jardin des plantes. Enfin, les liens entre le Muséum et le Jardin des plantes sont étroits : « On sait que par une entente très heureuse avec le Jardin des plantes de Rouen, la même classification et la même numérotation ont été adoptées dans les deux établissements, en suivant La Flore de Normandie de Corbière180. »
- 181 Cf. BEAUVALET Franck, Les trois principaux jardins publics à Rouen aux XIXe-XXe siècles, mémoire d (...)
- 182 Cf. MAIRE Isabelle, École préparatoire à l’enseignement supérieur des sciences et des lettres de R (...)
107À bien des égards le Muséum d’histoire naturelle et le Jardin des plantes s’apparentent au musée-bibliothèque. Pour les élus comme pour leurs directeurs, ils relèvent de la même conception patrimoniale de la culture. Il s’agit là encore de conserver, d’inventorier et de mettre en scène, avec une rigueur sinon scientifique, du moins professionnelle, des fonds botaniques, minéralogiques ou zoologiques. À la différence du musée ou de la bibliothèque cependant, le Muséum et le Jardin des plantes sont aussi largement ouverts à l’enseignement et à la recherche appliquée. Dès 1822, le botaniste Félix-Archimède Pouchet, futur fondateur du Muséum, projette de transformer le jardin de l’hôtel de ville en jardin botanique mais il échoue. Il faut attendre la monarchie de Juillet pour que le Jardin des plantes, acquis par la ville en 1832, développe une école municipale d’horticulture (1838) et établisse des serres (1842)181. Une école de botanique suivra. Dans le même esprit la ville fonde en 1855 une école préparatoire à l’enseignement supérieur des sciences et des lettres182.
- 183 Cette dernière fonctionnera jusqu’en 1970. Cf. Horticulteurs et jardins normands, supplément à Jar (...)
108Cette vocation pédagogique, qu’on peut légitimement relier aux besoins industriels et agricoles de la région, s’affirme, sous la IIIe République. Le régime conforte les structures existantes. Les « écoles » d’horticulture et de botanique sont financées par la Ville de Rouen. Ce sont des cours publics municipaux, hebdomadaires, réservés aux adultes et dispensés gratuitement au Jardin des plantes. Ils seront réorganisés au début des années vingt par le directeur du Jardin des plantes, Eugène le Graverend. Fonctionnant le dimanche et le jeudi, les cours réunissent un petit cercle d’amateurs. Le Graverend crée en 1931 un centre d’apprentissage, dit du Jardin des plantes, pour former des apprentis horticulteurs, centre qui se transformera en 1940 en école municipale d’horticulture de Rouen183.
- 184 REGNIER Robert, « Le muséum de Rouen », La Terre de la Vie, janvier 1933, p. 16.
- 185 MAIRE Isabelle, École préparatoire à l’enseignement supérieur des sciences et des lettres de Rouen (...)
109Cette fonction pratique est également mise en avant au Muséum d’histoire naturelle, opportunément situé en face de l’École préparatoire à l’enseignement supérieur des sciences et des lettres. Le directeur du Muséum indique en 1933 que « les collections sont mises à la disposition des professeurs de l’école des sciences pour leurs cours […] et que chaque année sont organisées des visites expliquées, pour les grandes écoles et les établissements scientifiques de la ville184 ». À la même époque en effet l’école préparatoire des sciences et des lettres connaît son apogée. Grâce à son rattachement à la faculté de Caen en 1920, le nombre de ses étudiants croît, passant de 35 en 1918 à 130 en 1930185.
- 186 Cf. CANTOR Maryline, Pouchet, savant et vulgarisateur. Musée et fécondité, Nice, Z’éditions, 1994.
- 187 Né à Rouen en 1866, Charles Nicolle dirigea l’institut de Tunis de 1903 à sa mort en 1936. Ses rec (...)
110Reste que la dimension scientifique de ces établissements évolue au cours de la période. L’existence même d’une culture scientifique en province semble obsolète sous la IIIe République. Rappelons en effet que le principal adversaire aux théories pastoriennes était Félix-Archimède Pouchet (1800-1872), fondateur du Muséum d’histoire naturelle de Rouen en 1828. La défaite retentissante de Pouchet, à l’issue d’une controverse de 7 ans (1858-1865) sur la génération spontanée186, marque aussi la victoire d’une conception nouvelle de la recherche scientifique, se fondant sur les possibilités des laboratoires modernes et autres instituts, dont le modèle sera l’institut Pasteur. Est-ce un hasard si la seule gloire scientifique « rouennaise » du premier xxe siècle, le prix Nobel de médecine (1928), Charles Nicolle était un ancien collaborateur de Pasteur, directeur de l’institut Pasteur de Tunis187 ?
- 188 Pour plus de précisions nous renvoyons à l’excellente présentation qu’en fait FOURAY Monique, Le 1 (...)
- 189 Nous suivons ici la notice nécrologique publiée dans Horticulteurs et jardins normands, op. cit.
111De fait l’activité scientifique du Muséum et du Jardin des plantes va progressivement se limiter à des questions techniques d’intérêt régional. Alors que le Muséum de Rouen avait été à la pointe de la recherche scientifique fondamentale au milieu du xixe siècle (travaux de Pouchet sur l’ovulation), sa renommée du premier xxe siècle s’établit autour de considérations horticoles. Robert Régnier, son directeur, est un zoologue confirmé au moment de son arrivée à Rouen en 1924. Il soutient en 1925 sa thèse de doctorat sur Les insectes parasites des peupliers et poursuivra la majeure partie de ses travaux à Rouen, à la fois au Muséum et à la station d’entomologie agricole qu’il dirige depuis 1919188. De son côté, le directeur du Jardin des plantes, Eugène le Graverend, met au point la culture des chrysanthèmes-cascades à partir de 1932, adaptant pour la première fois en France, des méthodes de culture japonaises. Ses résultats et expérimentations seront publiés dans les bulletins de la Société centrale d’horticulture et de la Société nationale horticole de France. En 1930, ce « jardinier » d’exception publiera un ouvrage sur les pois de senteurs, puis, en collaboration avec Robert Régnier, un autre sur les vergers de grand rendement189.
112Dans ses principaux écrits muséologiques, Robert Régnier plaide pour un Muséum modeste, aux antipodes de celui créé un siècle plus tôt par Pouchet :
- 190 La Dépêche de Rouen, 17 juin 1933 (Interview).
« Dans un muséum de province, il n’est pas question de présenter aux visiteurs et aux touristes nombre de documents rares ; dans ce rayon, on ne peut lutter contre les grands muséums nationaux. Le muséum de Rouen doit être un muséum régional. Le visiteur est heureux d’y trouver des renseignements sur la préhistoire, sur la flore et sur la faune de la région190. »
- 191 REGNIER Robert, « L’évolution de la muséologie », op. cit., p. IV.
- 192 BARNES Julian, Flaubert’s parrot, Londres, Picador, 1984. Trad. fr. : Le Perroquet de Flaubert, Pa (...)
113« Nos musées scientifiques doivent être non pas des collectionneurs insatiables, mais des collecteurs de documents régionaux191. » La muséographie traduit ce repli régionaliste. Ainsi, on inaugurera en 1928 une salle de Normandie, composée de scénettes représentant la faune locale. Parallèlement on met en place une salle dite d’expositions qui se révèle être un mémorial à usage interne, exaltant les fondateurs de l’institution, Pouchet et Pennetier (objets personnels, bustes). Le muséum pousse le luxe ou le ridicule jusqu’à exposer le perroquet qui aurait fourni le modèle d’Un cœur simple de Flaubert. On sait comment l’écrivain Julian Barnes ironisa cet esprit de clocher192.
- 193 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 26 mai 1930.
114Pourtant, le Muséum et le Jardin des plantes tentèrent d’échapper au risque du cabinet de curiosité. Un grand soin sera apporté dans la présentation des collections, régulièrement réorganisées. Cette scénographie culmine au Muséum d’histoire naturelle à la Belle Époque. Georges Pennetier, son directeur, fait alors réaliser des dioramas mettant en scène la faune normande. Dans l’entre-deux-guerres, le « clou » du Muséum d’histoire naturelle de Rouen reste encore sa salle d’aviculture, organisée en 1900 autour d’un coin de ferme normande peuplé des différentes races d’animaux domestiques et disposé devant une vue panoramique de Rouen. Robert Régnier poursuit la politique d’animation des collections amorcée par son prédécesseur. À l’occasion du centenaire de 1928, il ouvre au public quatre « nouvelles » salles (expositions, anatomie comparée, Normandie, invertébrés) qui ne constituent en fait que des réorganisations du tissu préexistant. La même année est inaugurée la salle de préhistoire, issue on l’a vu d’un transfert de collections. En 1934 encore, une « nouvelle salle de botanique » verra le jour. On trouve un souci de mise en scène comparable au Jardin des plantes, réaménagé dans les années trente en vue de « créer à Rouen un haut lieu de la botanique193 ». Le clou de la visite ce sont désormais les trois serres tropicales, offertes en 1936 par Mme Le Prévost de la Moissonnière. Le Jardin des plantes devient à la fois attraction et musée végétal.
- 194 La Dépêche de Normandie, 30 octobre 1928.
115La forte identité du Jardin des plantes et plus encore du Muséum est renforcée par l’extraordinaire longévité de leurs directeurs respectifs. Le Muséum de Rouen semble offrir le cas limite de « vies scientifiques » consacrées à l’institution. En un siècle et demi d’existence, l’établissement n’aura connu que trois conservateurs. Félix-Archimède Pouchet, le fondateur, dirigea en effet le Muséum de 1828 à 1873, Georges Pennetier, son disciple et successeur de 1873 à sa mort en 1923, enfin Robert Régnier de 1923 à 1965 ! Lors du centenaire du Muséum en 1928, le maire de Rouen aura ce mot aussi attendu que révélateur : « Notre muséum ne conserve pas seulement ses collections, il conserve aussi ses conservateurs194. »
- 195 Actes du muséum d’histoire naturelle de Rouen, 2e série, t. 2, 1929, p. 24.
- 196 AMR, 4M1, rapport de Robert Régnier, du 9 mars 1933.
116Cette longévité conduit cependant l’institution à vivre sur elle-même. Dans l’entre-deux-guerres, le Muséum d’histoire naturelle ne représente que 6 % des dépenses culturelles de la Ville. C’est une institution ouvertement délaissée par la Ville. Inaugurant l’exposition du centenaire en 1928, le maire Alfred Cerné justifie la maigre subvention qui lui est annuellement accordée : « La faute n’en était point aux hommes, toujours bien intentionnés, mais à l’esprit public, qui n’eût pas compris de grandes libéralités en faveur de ce parent pauvre que constitue un musée scientifique à côté de ses brillants cousins que sont les musées d’art195. » Ce quasi abandon n’est pas sans conséquences. Dans une ville qui se présente depuis la Belle Époque, comme la « ville-musée », on est surpris d’apprendre que l’électricité attend 1925 pour entrer au Muséum, et le téléphone, 1933. En cas d’incendie, le directeur du Muséum pouvait disposer du téléphone de l’École préparatoire des sciences, voisine mais ouverte simplement aux heures de travail196 !
- 197 La Dépêche de Rouen, 30 octobre 1928.
117À long terme, le refus d’investir et de moderniser l’institution s’avérera fatal. La meilleure preuve en est ce débat, véritable arlésienne de la vie culturelle locale, sur le déménagement du Muséum. Les collections municipales d’histoire naturelle et les collections départementales d’archéologie cohabitent en effet sous le même toit depuis 1834. Diviser pour mieux régner, telle semble avoir été la politique menée conjointement par la ville et le département en matière de culture scientifique. Conçu pour des collections embryonnaires au xixe siècle, le cadre prestigieux du couvent Sainte-Marie s’avère rapidement trop étroit après les legs importants et les acquisitions du Muséum comme du musée des Antiquités. De multiples projets de rénovation, d’extension ou de déménagement voient le jour. Ils seront parfois acceptés par les autorités mais toujours reportés en raison d’une conjoncture défavorable. Les archives révèlent la surprenante capacité d’inertie des pouvoirs publics sur ce sujet. La résignation s’empare très tôt des conservateurs. Ainsi de Robert Régnier au moment du centenaire et en présence du directeur du Muséum national et des directeurs du musée du Louvre et du musée Carnavalet : « Un jour peut-être viendra, où, déchargée des graves soucis de l’heure présente, la municipalité pourra mettre à la disposition de nos collections, un local plus adéquat à leur présentation. Ce jour-là, devra naître dans la capitale normande, un grand muséum régional197. » Auquel fait écho avec un parallélisme étonnant le directeur du musée voisin quelques années après :
- 198 ADSM, 4T223, rapport du directeur du musée départemental des Antiquités au préfet de la Seine-Infé (...)
118« Je n’insiste pas aujourd’hui sur la nécessité qu’il y aurait à augmenter les locaux du musée. La dureté des temps s’oppose à une prompte réalisation de ce beau projet, mais on pourrait, en attendant la possibilité de l’entreprendre, l’étudier dans son ensemble. Aujourd’hui, nous ne pouvons mieux faire que d’entasser les objets que nous recevons dans nos salles déjà bien encombrées, trop heureux de pouvoir ainsi enrichir nos collections198. »
- 199 La Dépêche de Rouen, 30 juillet 1932, « Le musée d’antiquités s’agrandira-t-il ? ».
119Au lieu de ce « beau projet », les administrations municipales et préfectorales se contenteront de bricolages immobiliers. Le département achète ainsi quelques maisons adjacentes entre 1930 et 1932, mais l’idée d’agrandissement, caressée à cette époque est abandonnée en 1935. Le directeur doit se résoudre à renoncer au déménagement promis et se consacrer à préparer, à partir de 1938, un plan d’évacuation des collections. Dans les années trente, l’agrandissement des musées rouennais est devenu un lieu commun du discours culturel, au point que la presse ironise sans complexe sur la léthargie des édiles de tous poils : « Il y a un bien un projet, des plans. Ils reposent depuis de longues années déjà, dans des cartons… Certes, ils ne sont pas aussi vieux que les collections du musée199… »
- 200 La Dépêche de Rouen, 1er septembre 1925.
- 201 Paris-Normandie, 9 juin 1988. Article signé G.B, « Le muséum : un centenaire qui attend un dépouss (...)
120Au demeurant la société locale porte aussi sa part de responsabilité dans cette affaire. En 1925, Edmond Spalikowski note : « Les couvents désertés s’adaptent merveilleusement à leur transformation en musées d’antiquités200. » Plus d’un demi-siècle après, ce sont les mêmes termes qui sont employés pour regretter le transfert annoncé du Muséum sur la rive gauche : « Le muséum est un de ces lieux discrets, presque secrets comme en possèdent les vieilles villes, un morceau de passé oublié par l’histoire […], un lieu préservé dans un monde qui n’est plus le sien. […] Le muséum risque de perdre à l’avenir une partie de son charme, car une rénovation s’impose201. »
121On le voit le poids des grandes institutions culturelles (Théâtre des arts, musée-bibliothèque) limite le développement d’institutions secondaires pourtant anciennes (Muséum, Jardin des plantes). Paradoxalement, en dépit de ses moyens limités, Rouen se découvre, sous la IIIe République de nouveaux besoins culturels.
La mise en place de nouvelles institutions culturelles
122L’originalité de la période qui court de 1880 à 1940 tient non seulement dans l’émergence de nouveaux besoins culturels mais aussi et plus encore dans leur appropriation par les collectivités locales. Le phénomène s’étend pour la première fois à la banlieue, même si la ville centre montre évidemment l’exemple. À Rouen, trois secteurs sont concernés : l’éducation artistique, avec la création d’une École régionale des beaux-arts et d’architecture ; l’histoire locale, avec la fondation de musées historiques et littéraires ; l’éducation musicale avec le projet d’un conservatoire municipal.
- 202 AMR, 1R7, notice rédigée par le directeur de l’école municipale des beaux-arts de Rouen en 1858, à (...)
- 203 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 15 juillet 1881 et du 21 (...)
- 204 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 15 juillet 1881.
- 205 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 5 août 1881.
123Il était naturel de commencer à Rouen par l’éducation artistique. Si l’École régionale des beaux-arts est née en 1882, ses origines remontent en effet au xviiie siècle. C’est en effet en 1741 que Jean-Baptiste Descamps fonde à Rouen la première École municipale de dessin française. Elle comptera à la veille de la Révolution, près de 300 élèves202. Après un déclin manifeste sous la Révolution, et malgré une refondation municipale en 1804, l’École renaît au milieu du xixe siècle, retrouvant sous le Second Empire, un nombre d’élèves conséquent (420 en 1857). En 1881, à l’instigation du maire Louis Ricard, elle devient École régionale des beaux-arts203. Cette extension a pour but et pour effet de conventionner l’École, l’État participant désormais à son financement à proportion du tiers, et le conseil général allouant une somme fixe, rarement revalorisée, et équivalente au dixième de la participation de l’État. L’initiative de ce changement de statut revient à l’État. Il s’inscrit dans la loi du 15 juin 1881, qui créée l’École nationale des arts décoratifs de Limoges et sélectionne un certain nombre de villes destinées à devenir des centres régionaux pour l’enseignement des arts du dessin. En échange d’une subvention importante, l’État contrôle le contenu des enseignements dispensés, via l’Inspection du dessin. En revanche, la gestion de l’École relève toujours directement de l’administration municipale. Une commission de surveillance et de perfectionnement, où les élus locaux et les personnalités désignées par le maire dominent, « veille à la bonne tenue de l’École, délibère sur toutes les questions relatives à la discipline intérieure, à la marche des études, aux méthodes nouvelles d’enseignement204 ». La Ville accepte d’autant plus volontiers cette modification de statut, que l’aide de l’État va permettre la création d’un cours de sculpture, réclamé depuis de nombreuses années. Là encore le désir de tenir son rang semble être à l’origine de l’adhésion à la réforme des statuts de l’École et à sa mise sous tutelle étatique. Selon le maire de Rouen : « Il n’est pas permis de ne rien faire pour les disciples de l’art proprement dit dans une région qui peut s’enorgueillir d’avoir produit des maîtres éminents, à toutes les époques de l’histoire des Beaux-Arts, depuis Poussin jusqu’à Géricault205. »
- 206 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 18 mars 1904.
- 207 Le dispositif est identique à Bordeaux et à Lille, qui ont également accepté la réforme de l’ensei (...)
- 208 AMR, 4M1, École régionale des beaux-arts et d’architecture, travaux 1923-1940. Cf. aussi registre (...)
- 209 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 octobre 1938.
124Au début du xxe siècle, on envisage la création d’une section autonome d’architecture, qui deviendra en 1904 l’École régionale d’architecture206, également placée sous l’autorité ministérielle et sous la dépendance de l’École nationale des beaux-arts (examens et diplômes sont dispensés à Paris). Les liens entre les deux écoles sont très étroits. Elles disposent des mêmes locaux, place de la Haute-Vieille-Tour, de la même direction, du même corps professoral et des mêmes enseignements, à quelques exceptions près207. Rapidement, l’École régionale des beaux-arts et celle d’architecture deviennent des institutions artistiques locales. Le poste budgétaire consacré à ces écoles et inscrit au chapitre « Beaux-Arts » du compte administratif demeure le plus stable de tous les établissements culturels : 16,7 % du budget ordinaire des Beaux-Arts en 1920, 16,6 % en 1930, 15,3 % en 1939. Cette stabilité reflète un choix politique net. Les dépenses rouennaises vont pour l’essentiel au traitement des professeurs, la municipalité n’investissant guère dans la rénovation des locaux. L’électricité, installée à l’École en 1897, ne sera révisée qu’à la fin des années trente, les travaux étant étalés en trois tranches208. On note encore la création d’un atelier de sculpture, « sur instructions de l’administration en 1938209, puis plus rien. C’est tout et c’est bien peu au regard des ambitions assignées par les fondateurs à ces écoles d’enseignement artistique.
- 210 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 18 mars 1904.
125En effet la création d’une École régionale des beaux-arts et d’architecture à la Belle Époque relève aussi d’une optique volontariste, véritable contrepoint de la décentralisation des arts impulsée par l’État dans les années 1880. Les créateurs de l’École régionale des beaux-arts et de l’École d’architecture avaient des idées bien arrêtées en matière de patrimoine et d’éducation artistique. Il s’agissait tout d’abord d’affirmer les capacités artistiques de la province et de dénoncer « l’École parisienne qui a la prétention de réglementer l’art en France210 ». Ce sursaut d’orgueil régional se veut fondateur des comportements culturels d’une cité qui, à la différence de la plupart des grandes métropoles régionales, souffre de sa proximité avec la capitale (chapitre III). La création d’une école artistique permettait d’ouvrir la possibilité d’un développement culturel autonome. On prophétise alors
- 211 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 18 mars 1904.
« […] la constitution d’une université normande d’art, à la formation de laquelle les générations successives ont travaillé, dont tous les éléments sont actuellement réunis, et qui n’attend plus pour naître que les pouvoirs publics fassent pour l’art ce qu’ils ont déjà fait pour l’enseignement supérieur du droit, de la médecine, des sciences et des lettres, par la création des universités provinciales. Ce sera, nous n’en doutons pas l’œuvre de demain211. »
- 212 Ibidem.
126En se réclamant de cette « université normande d’art », les élus locaux cherchent moins à favoriser un « art normand » que l’art « en Normandie ». De toutes évidences l’École régionale d’architecture qui naît en 1904 a des capacités restreintes. Elle fixe son enseignement en accord avec la Direction des beaux-arts et ne décerne pas de diplômes. Elle n’est qu’une succursale de l’École nationale des beaux-arts, ayant encore moins de pouvoir qu’un conservatoire décentralisé. Du moins elle a le mérite d’exister et de naître à Rouen (et non à Caen), en même temps qu’à Lille et Bordeaux puis à Marseille, Lyon et Rennes. L’ambition municipale est autre. Il s’agit d’empêcher l’hémorragie des talents locaux, qui partent achever leurs études dans la capitale et de répondre à la carence d’artistes et notamment d’architectes : « Depuis trente années, sur 40 élèves qui ont quitté Rouen pour Paris, pas un seul n’est revenu212. »
- 213 C’est ainsi le cas du prix Rougevin dont l’article 42 exclut les candidats provinciaux.
- 214 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 27 février 1920.
127La volonté de réduire l’écart avec Paris est toujours d’actualité dans l’entre-deux-guerres. En 1920 par exemple, Rouen se pose la question des primes accordées aux meilleurs élèves architectes lors des concours de fin d’études de l’École nationale des beaux-arts. Ces primes résultent de donations anciennes, effectuées au bénéfice de la seule École parisienne d’architecture213. Ainsi les candidats rouennais qui remportent des prix se trouvent exclus des primes. Un conseiller municipal de Rouen dépose alors une proposition d’initiative visant à « éviter cette anomalie qui peut être funeste à notre École, les élèves ayant actuellement tout intérêt à aller terminer leurs études à Paris214 ». Cette proposition rejoint le constat, fait par une inspection de l’École régionale des beaux-arts, des carences locales du cours supérieur, les meilleurs élèves partant pour la capitale. La proposition d’initiative, vise donc, derrière la portée symbolique de la prime, à attacher les étudiants des Beaux-Arts à la cité de Rouen. Il s’agit en quelque sorte de créer, par une carotte certes grossière, un vivier artistique local.
- 215 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 19 mars 1920.
128De fait, en mars 1920, un élève de l’École régionale d’architecture remporte le prix Rougevin et le directeur de l’École demande au conseil municipal de lui verser la prime dont il se trouve privé, par suite des statuts. Le conseil municipal de Rouen accorde la prime – une somme modique de 600 francs – et va même plus loin en acceptant que le cas fasse jurisprudence : « À l’avenir, les récompenses en argent qui échappent aux élèves de l’École régionale d’architecture lorsqu’ils concourent avec leurs camarades parisiens, leur seront versées par la ville de Rouen215. »
129On le voit, la Ville fut sensible aux questions de qualité artistique et n’hésita pas à s’engager sur la voie – symbolique il est vrai – d’une promotion de l’art par les pouvoirs publics. L’engagement local parut même parfois cautionner l’idéologie régionaliste. En 1942, quand le gouvernement envisagera de supprimer l’École d’architecture de Rouen, le maire renvoie le régime de Vichy face à ses propres contradictions :
- 216 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 28 mai 1942.
« En dehors des règles générales qui conditionnent l’art des bâtisseurs et qui peuvent être apprises n’importe où, l’architecte est avant tout un artiste qui doit adapter une réalisation projetée à un ensemble existant. Pour se faire, l’enseignement doit être essentiellement régionaliste. Il est indispensable que l’architecte connaisse parfaitement le climat, le sous-sol, les ressources en matériaux, le passé de la ville où il doit édifier sa construction, son avenir. Alors que toute la politique sociale et économique du gouvernement se développe sur le plan régional, il ne serait pas expédient, semble-t-il de centraliser les études architecturales et de n’avoir en France qu’un enseignement doctrinal216. »
130Mais il faut significativement attendre la Guerre et le contexte particulier de l’idéologie de la Révolution nationale, pour rencontrer de tels accents régionalistes dans les discours culturels rouennais. En d’autres périodes c’est davantage l’esprit de clocher qui justifie l’intervention municipale en faveur de la culture. Ainsi au moment de la fondation des cinq musées d’histoire locale dont la Ville se dote, entre la Belle Époque et le milieu des années vingt.
- 217 Annuaire général de Rouen, 1924.
- 218 Cf. ANONYME (BRUNON Raoul), Musée d’histoire de la médecine. Catalogue, Rouen, Imprimerie Girieud, (...)
- 219 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 14 décembre 1921.
131À l’origine de ces établissements, on trouve généralement des associations. C’est le cas du musée d’Histoire de la médecine, fondé en 1901 par le docteur Raoul Brunon à l’hôtel-Dieu en souvenir d’Achille Flaubert, mais qui ne devient municipal qu’en 1921217. Ce musée, étroitement lié à l’Association des anciens élèves de l’École de médecine de Rouen, fut initialement organisé autour d’une collection de pots de pharmacie, acquis par le directeur de l’École de médecine en 1901. Il s’étoffe ensuite à la faveur de 26 donations locales, de livres, instruments de médecine, statues, tableaux, gravures et de photographies218. Si le maire de Rouen prend possession des collections du musée en 1921219, l’École de médecine en demeure, pour ses besoins pédagogiques, dépositaire. C’est d’ailleurs à l’initiative de l’Association des anciens élèves qu’est restaurée en 1923, la chambre natale de Gustave Flaubert, à côté du musée d’Histoire de la médecine, ce qui transforme, avec un certain humour, le musée du père en un musée de famille.
- 220 Il s’agit d’un manoir de famille, acheté par le père de Pierre et Thomas Corneille en 1608 et habi (...)
132Du musée du père au musée du fils, il n’y avait d’ailleurs qu’un pas. La commémoration flaubertienne, longue à s’installer à Rouen, prend son essor à la Belle Époque grâce à l’initiative de la Société des amis de Flaubert. Après avoir édifié dans le centre-ville une statue en pied du bouillant écrivain (1905), celle ci décide d’acheter le pavillon de jardin de Croisset, seul vestige existant du célèbre « gueuloir ». L’Association en fait, en 1906, don à la ville de Rouen. Le pavillon renferme quelques souvenirs flaubertiens et un bon nombre d’autographes. Il fait pendant, par sa situation excentrée au musée départemental Pierre-Corneille, situé à Petit-Couronne220.
133Rouen ne pouvait cependant pas laisser le seul département honorer la mémoire du « Grand Corneille ». C’est chose faite en 1921 avec l’ouverture au public d’un musée Pierre-Corneille, situé 4, rue de la Pie, sur l’emplacement de sa maison natale. En fait, le processus a été identique à celui du pavillon Flaubert. Un comité s’est constitué en 1906 pour racheter la demeure, à l’aide d’une souscription publique. Il remet en 1912 la maison, en partie délabrée, à la ville de Rouen, à charge pour elle de restaurer la façade du xviie siècle et d’aménager un musée. Le contenu est fourni en 1917 par un érudit et collectionneur rouennais, Edouard Pelay, qui lègue à la ville sa collection de manuscrits et d’ouvrages relatifs à Pierre Corneille.
- 221 CHALINE Jean-Pierre, « Les fêtes du millénaire de la Normandie, Rouen 1911 », Études normandes, 3, (...)
- 222 VAUDOUR Catherine, Musée Le Secq des Tournelles. Rouen. Guide du visiteur, Rouen, Imprimerie munic (...)
134Ces « maisons d’écrivains » disent, à la Belle Époque, l’intensité du sentiment local. Il se prolonge naturellement par le folklore, via la fondation d’un musée d’Art normand. Lui aussi est le produit d’une intention commémorative. Il résulte en effet du célèbre Millénaire normand de 1911, « grande fête régionaliste » dont Rouen avait été l’épicentre (cliché 27)221. À l’issue de cette commémoration et plus particulièrement d’une exposition rétrospective d’ » art normand », la ville de Rouen accepte de constituer un nouveau musée municipal, à partir des collections que lui lèguent les érudits rouennais et quelques amateurs parisiens dont un certain Le Secq des Tournelles. Le nouveau musée sera placé dans l’ancienne église Saint-Laurent, désaffectée pour le culte et à ce titre devenue en 1905 propriété municipale. Dès 1920 cependant, le musée d’Art normand disparaît et laisse la place à une collection unique de fer forgé, entièrement léguée à Rouen par Henri Le Secq des Tournelles (1854-1925). Le musée, qui constitue sans doute, « la plus importante au monde des collections de ferronnerie ancienne222 », prend alors le nom de son généreux donateur et le gardera jusqu’à nos jours.
135Le paysage muséographique rouennais, tel qu’on vient de l’esquisser, augurait d’une politique patrimoniale prestigieuse. Il n’en fut rien. Aux ambitions des légataires, la Ville ou le département ont opposé leurs contraintes budgétaires. Les musées historiques apparaissent comme des mémoriaux croupions, à l’exception notable du musée Le Secq des Tournelles.
136Le premier indice de cette situation misérable est fourni par les budgets. Le musée Pierre-Corneille se voit attribuer moins de 1 % du budget ordinaire des Beaux-Arts en 1920 et tombe même à 0,006 % en 1939. Face à lui, le pavillon Flaubert demeure plus stable, 0,4 % en 1920, 0,7 % en 1939. Certes le musée d’Art normand est mieux doté puisqu’il mobilise 2,6 % des dépenses artistiques en 1920. Mais, à l’instar du musée Cornélien, sa situation sombre dès l’installation du musée Le Secq des Tournelles et en 1939 il requiert moins de 1 % des dépenses. Seul le musée de Ferronnerie parvient à tirer son épingle du jeu. Il mobilise ainsi entre 3 et 4,5 % des dépenses artistiques entre 1919 et 1939, soit environ la moitié du budget du Muséum d’histoire naturelle de Rouen.
137Autre argument à développer celui des conditions de conservation. Alors que la plupart des musées ordinaires disposent d’un personnel approprié, à la tête duquel officie un conservateur propre, parfois hautement qualifié (Fernand Guey, Henri Labrosse, Robert Régnier), les musées de commémoration sont dirigés à distance et placés sous tutelle étroite. Très souvent en effet ce sont les conservateurs des musées « officiels » qui sont chargés de « contrôler » ces établissements secondaires. Ainsi les musées départementaux de la tour Jeanne-d’Arc et Corneille sont sous la tutelle du directeur-conservateur du musée départemental des Antiquités. La ville reproduit le modèle en confiant son musée Corneille au directeur de la bibliothèque municipale, qui y délègue, à partir de 1922, un jeune bibliothécaire, René Rouault de la Vigne. Le pavillon Flaubert, qui du fait de sa situation excentrée bénéficiait au début des années vingt de son propre conservateur, est également rattaché à la Bibliothèque centrale à compter de 1926. De fait, les musées sont confiés à de simples gardiens, souvent seuls interlocuteurs du public de lettrés et de curieux qui les fréquente. Le musée d’Art normand semble au premier abord faire exception puisqu’il dispose à sa création, d’une relative autonomie. Mais là encore on ne saurait comparer la position de son conservateur, Henri Paulme, directeur de la succursale rouennaise du Crédit foncier, érudit et amateur averti et à ce titre nommé, à l’âge de la retraite, à la tête du musée d’Art normand puis à partir de 1920 du musée Le Secq des Tournelles, avec celle des conservateurs cités plus haut. Après sa mort en 1942, le maire de Rouen aura ce jugement sans équivoque :
- 223 ADSM, 4T228, maire de Rouen/préfet de la Seine-Inférieure, 20 janvier 1942.
« Il avait été nommé à ce poste, en raison de ses relations personnelles avec le donateur des collections de ce musée. Par la suite, ces collections se sont encore enrichies de nombreux objets offerts à ce musée toujours grâce aux relations de M. Paulme avec M. Le Secq des Tournelles et même avec d’autres collectionneurs de pièces de ferronnerie. Mais cet emploi est loin d’absorber toute l’activité d’un conservateur d’établissement public. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle M. Paulme ne recevait qu’une indemnité annuelle fixée à 10 000 francs et ce, à titre personnel, en raison de ses longs états de services223. »
138Leçon de « real-politik » en matière de culture, ce témoignage indique aussi le peu de considération dans laquelle étaient tenues ces institutions secondaires de la culture rouennaise. Pour négligeables qu’elles soient, elles n’en indiquent pas moins l’émergence d’un souci patrimonial dont le propre est d’être fondé sur une ambiguïté conceptuelle. À quoi servaient en effet ces musées ? Furent-ils les réceptacles d’une identité locale voire régionale ? Doit-on alors les présenter comme des manifestes régionalistes voire séparatistes ? Eurent-ils au contraire comme vocation de favoriser le développement d’une conception très large de la culture nationale, incluant les traditions populaires, l’artisanat, la bibliophilie, la gravure, habituellement négligés dans les musées canoniques ? La politique culturelle locale semble ici demeurer dans l’implicite et hésiter sur ses finalités. L’exemple du musée d’Art normand permet cependant d’approcher la conception culturelle locale de la culture et ses limites. À la bonne volonté du directeur, prêt à accepter tout type de don « normand », la Ville oppose une ligne de conduite qui se veut ferme :
- 224 AMBAR, dossier « Musée d’Art normand », arrêté du maire de Rouen du 8 juillet 1920.
« Considérant que le caractère historique donné lors de sa création au musée d’Art normand semble avoir été quelque peu perdu de vue si l’on en juge par les dons et acquisitions proposées depuis un certain temps à l’avis du comité consultatif… Qu’il convient par suite de marquer plus nettement le caractère véritable de ce musée… Article 1 : Le musée d’Art normand sera désormais dénommé musée d’Art normand rétrospectif. Article 2 : Il est consacré spécialement et exclusivement au passé artistique de la Normandie224. »
139Une telle reprise en main s’avérait nécessaire, car le musée d’Art normand devenait un véritable musée des refusés au musée des beaux-arts. Tous les artistes mineurs de la cité ou de ses environs proposaient l’acquisition par la ville d’une ou plusieurs de leurs œuvres, agrémentant souvent la vente d’une donation de quelques curiosités normandes. L’identité du musée d’Art normand s’en trouvait incontestablement menacée et la réaction municipale indique qu’à défaut de savoir précisément à quoi devait servir cette institution, on savait ce qu’elle ne devait pas être.
- 225 AN, F21/4915, maire de Rouen/directeur général des Beaux-Arts, 19 décembre 1933.
140De fait, les objets acceptés ou acquis furent le plus souvent de qualité. Le musée d’Art normand acquiert ainsi toute une série de gravures ou de lithographies des maîtres normands de la fin du xixe siècle (Hyacinthe Langlois, Jules Adeline), négligés par le musée des beaux-arts mais dont le talent était alors reconnu. En matière de mobilier, outre une collection importante de maquettes, le musée va acheter jusqu’au milieu des années trente – alors même qu’il n’a plus qu’une existence de papier depuis 1920 – des pièces classées (buffets, cheminées) susceptibles de retracer l’histoire artistique de la province. La ville semble ici concevoir le musée comme un complément du musée des beaux-arts. Dans une certaine mesure, le musée d’Art normand est un musée des Arts décoratifs normands (fer forgé, cuir, ébénisterie) et un musée des Arts et Traditions populaires avant la lettre (on parle d’ » art paysan » plutôt que d’ » art populaire »). En ce sens, on privilégie les pièces les plus spectaculaires, à l’image de ces « six grands panneaux en cuir doré et repoussé provenant de l’hôtel d’Etancourt de Rouen », exposés lors du Millénaire de 1911 puis devenus, faute de moyens locaux, propriété du musée de Cluny225. Le maire de Rouen tentera de les récupérer dans les années trente au profit du musée d’Art normand… en vain !
- 226 AMBAR, dossier « Musée d’Art normand », lettre circulaire aux membres du comité du millénaire de l (...)
141Au-delà de la volonté municipale, le projet du musée d’Art normand marquait aussi l’épanouissement d’un certain type de sociabilité culturelle. Le modèle de co-gestion du musée des beaux-arts ou de la bibliothèque municipale, défini dans les années 1880, est appliqué aux musées historiques des années 1910. On constitue des commissions spécialisées, chargées de veiller à la composition des collections, c’est-à-dire, une fois le fonds de départ constitué, de statuer sur les nouvelles acquisitions. Au sein du comité consultatif du musée d’Art normand, on trouve des personnalités habituelles de la culture rouennaise, membres d’autres cercles consultatifs comme la Commission départementale des antiquités ou le comité des Beaux-Arts. Parmi elles, notons des professionnels comme l’architecte des Monuments historiques Émile Auvray, le peintre Paul Baudouin, le sculpteur Alphonse Guilloux ou le directeur du musée des beaux-arts de Rouen Émile Minet. À leurs côtés, des érudits dont les capacités sont alors unanimement saluées comme Edouard Pelay, le « docteur Coutan » ou Louis Dubreuil. Le fonds initial du musée d’Art normand fut constitué, à l’image des autres musées rouennais de dons, aux deux tiers rouennais. Dès l’origine, un vibrant appel avait été lancé aux collectionneurs afin qu’ils laissent en place les objets qu’ils avaient prêtés pour l’exposition du millénaire. L’ambition était claire : « Le Musée de Saint-Laurent peut et doit devenir comme le Carnavalet de la Normandie226. » Les membres du comité consultatif du musée d’Art normand furent en partie choisis parmi les grands collectionneurs de la cité, non seulement parce qu’ils avaient une excellente connaissance des objets à acquérir mais aussi et surtout parce qu’ils connaissaient d’autres collectionneurs, donateurs potentiels. Le comité s’avéra donc fonctionner comme un véritable relais des particuliers ou des groupements qui se vouaient à la glorification de la « petite patrie ».
- 227 AMBAR, dossier « Duchamp Villon », Henri Paulme/Jacques Crépet, 15 février 1912.
142Les municipalités de l’entre-deux-guerres durent composer avec ce comité et avec Henri Paulme, le directeur du musée d’Art normand, parfait adepte de l’esprit de clocher. L’ambition artistique était selon lui secondaire. S’il accepta par exemple, des dessins du jeune Michel Fréchon, c’était moins pour favoriser un artiste prometteur de l’École de Rouen que parce qu’ils constituaient des séries de vues détaillées de la cathédrale de Rouen. Quand en 1912, Raymond Duchamp-Villon lui offrit, par l’intermédiaire de son ami Crépet, un buste en plâtre de Baudelaire, copie du bronze célèbre, exposé et remarqué au Salon d’automne de 1911, Paulme fut de toute évidence surpris : « Nous acceptons tout au musée d’Art normand, anciens et modernes. Le buste de Baudelaire – qui eut des attaches normandes près d’Honfleur si je ne me trompe – est d’un Rouennais dites-vous, donc227… » Mais Henri Paulme n’entendait pas limiter les collections aux objets d’art. Pour lui, tout était bon à prendre. L’absence de tri le conduisit bientôt au fétichisme du collectionneur, plus proche de Bouvard et Pécuchet que de Georges-Henri Rivière.
143Témoignage parmi tant d’autres de ce travers, la pression, exercée par la Société des amis des monuments rouennais sur le maire de Rouen contre le projet de vente de la première pompe à incendie, mise en service en 1753 :
- 228 AMBAR, dossier « Musée d’Art normand », président de la Société des amis des monuments rouennais/m (...)
« Bien qu’il soit évident qu’un service d’incendie ne doit pas être une maison de retraite, il a semblé aux Amis des monuments rouennais, que dans un temps où la vie dépasse si vite les hommes et les choses, il serait peut-être préférable de lui donner une place au musée d’Art normand, si nous voulons penser aujourd’hui à ce que nous serons peut-être demain228. »
- 229 AMBAR, dossier « Musée d’Art normand », procès-verbal de la réunion du comité consultatif le 24 ma (...)
144Le maire s’inclina de bonne grâce devant une requête si aisée à satisfaire. Au besoin, le comité, au sein duquel les Amis des monuments rouennais disposaient d’appuis solides, donnait un avis favorable. Peu à peu le musée d’Art normand se transforma en reliquaire, dépositaire des objets les plus farfelus, depuis cette pompe à incendie jusqu’à la truelle ayant servi à poser la première pierre de la gare de Rouen, en passant par un « herbier incomplet et ne possédant aucune valeur scientifique mais ayant appartenu à Nicolas Flaubert grand père du père de Gustave Flaubert229 » ! On le voit, ce localisme-là ne relève d’aucune intention séparatiste, ni même d’une quelconque culture régionale. Il n’y a guère ici qu’un esprit de clocher mal compris singeant institutionnellement le goût du bibelot des intérieurs petits bourgeois.
145De là vient sans doute l’incapacité de la ville à trancher la question de la survie du musée d’Art normand après 1920. En échange du don exceptionnel des collections de fer forgé d’Henri Le Secq des Tournelles, la Ville de Rouen accepte de lui réserver l’église Saint-Laurent, occupée depuis 1911 par le musée d’Art normand. Les collections ethnographiques sont alors réparties entre le musée des beaux-arts et la bibliothèque. La ville ne peut toutefois se résoudre à abandonner purement et simplement son musée d’Art normand. Il demeure inscrit symboliquement au budget de la cité et on donne en compensation à son conservateur, Henri Paulme, la direction du nouveau musée de Ferronnerie. Paulme, appuyé de quelques érudits locaux, va alors mener une véritable croisade en faveur de la réouverture de « son » musée. Plusieurs sites sont étudiés, l’église des Augustins au début des années vingt, la chapelle des Ursulines à la fin de la décennie puis le plus sérieux, l’Aître-Saint-Maclou, récemment acquis par la ville. Ce projet, annoncé à grand renfort de publicité au début des années trente ne verra pas le jour, la guerre ruinant les derniers efforts d’Henri Paulme. Pourtant les maires successifs et la plupart des conseillers municipaux assurent régulièrement l’infortuné directeur de leur soutien et le projet revient, tel un serpent de mer de la politique culturelle locale. Rien n’y fait mais cette léthargie ne saurait être interprétée comme une inertie volontaire. Personne n’ose, avant la guerre et le décès d’Henri Paulme en 1942, liquider le projet du musée d’Art normand.
146Comment rendre compte du manque d’enthousiasme des élus rouennais au regard de ce musée ? Doit-on incriminer le caractère trop éclectique des collections ou en d’autres termes l’absence de projet scientifique tel que le formuleront en 1937 les fondateurs du musée national des Arts et Traditions populaires ? Doit-on plus sûrement invoquer l’insuffisance des crédits nécessaires à l’acquisition puis à l’aménagement d’un nouveau site d’accueil ? L’affaire en tout cas témoigne d’une certaine capacité d’inertie des politiques culturelles locales, qui n’est pas sans évoquer des ratés contemporains.
- 230 Pour l’historique de cette question on ne peut que renvoyer à l’article de Georges DUBOSC, paru da (...)
147Reste que cet échec n’est pas isolé en son temps. Dans le domaine, pourtant sensible de l’éducation musicale, la Ville fit également preuve d’une certaine incurie. L’importance donnée à Rouen au Théâtre des arts semblait légitimer la création d’une école de musique digne de ce nom. La question agitait le monde culturel rouennais depuis le Second Empire. Dès 1866 en effet, le critique musical Louis Malliot propose d’ouvrir un conservatoire de musique sous le nom d’Institut Boieldieu. Le projet, repoussé par le conseil municipal, sera repris en 1877 par le conseiller Loiseau. La création d’un conservatoire, pourtant votée en décembre 1878 par le conseil municipal sera ajournée en raison des travaux de reconstruction du second Théâtre des arts. Une simple école de musique verra le jour en 1904, à l’initiative de la Musique municipale230. Les termes de Musique « municipale » ou d’École de musique « municipale » sont ici trompeurs. Dans les deux cas il s’agit d’associations rouennaises, subventionnées par la Ville.
- 231 AN, F21-4610, J. Schmidt/Direction des beaux-arts, 3 décembre 1921. Cf. également AMR, « Conservat (...)
- 232 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 février 1922. Réponse (...)
148La question de la transformation de l’École de la Musique municipale en conservatoire de musique fut de nouveau posée à Rouen au début des années vingt. Le directeur de l’École de la Musique municipale sollicita sa transformation en « École nationale de musique » ou en « succursale du Conservatoire national231 ». Le maire de Rouen répondit en 1922 qu’un conservatoire était « à l’étude » par ses services financiers et serait « très prochainement soumis à un examen du conseil municipal », ajoutant même qu’il « avait précisément le dossier sur son bureau232 ». La question fit l’objet d’enquêtes auprès d’autres villes, réitérées en 1926, 1928 et 1931. Elle rebondit dans les années trente à la faveur du renouvellement du goût musical local et de l’émergence d’un souci de qualité artistique. Le titre de « conservatoire » semblait aux yeux des musiciens locaux garantir la qualité de l’enseignement rouennais donc de la vie musicale locale.
- 233 Rouen-Gazette, 16 décembre 1931.
- 234 Ibidem.
149Les radicaux-socialistes ne semblaient pas hostiles au principe, bien au contraire. Au milieu des années trente, le maire de Rouen, Georges Métayer fut président d’honneur de la Musique municipale et le conseiller Jean Deflandre en fut président honoraire. Organisé au début des années trente par Eugène Richard, l’enseignement musical dans le cadre scolaire devait déboucher selon Georges Métayer sur un recrutement accru de l’École de la Musique municipale. Présidant la remise des prix de la dite École en 1931, le maire de Rouen déclarait vouloir « donner une grande place à la musique dans la vie d’une cité très riche où elle parut trop souvent la parente pauvre233 ». Commentant pour Rouen-Gazette la cérémonie le compositeur Emmanuel Bondeville, proche de la famille radicale, appelait de ses vœux « la réalisation de projets que défendront toujours ceux qui ont le souci de la renommée de Rouen234 ».
- 235 À la rentrée 1937 le Conservatoire de musique de Rouen proposera des cours de solfège, harmonie, c (...)
- 236 Journal de Rouen, 27 octobre 1937.
- 237 Sur l’histoire complexe de la Musique municipale de Rouen, cf. HAMES Michel, Orchestre d’harmonie (...)
150Ces projets cependant demeureront lettre morte jusqu’à la Libération. À cet égard, la transformation en août 1937 de l’École de la Musique municipale en « conservatoire de musique de Rouen » ne saurait faire illusion. Le titre de conservatoire, officialisé au Journal officiel du 19 août ne signifie nullement l’affiliation au Conservatoire de Paris. La décision d’autorisation est motivée par l’ancienneté de l’École de la Musique municipale de Rouen, son rayonnement local conséquent, la densité des formations proposées235 et une organisation des enseignements calquée sur celle du Conservatoire national236. Pour le reste, le nouveau conservatoire demeure une filiale de l’harmonie municipale comme au début du xxe siècle c’est-à-dire d’une structure associative et non d’une structure municipale contrairement à ce que laisse supposer l’adjectif. Elle ne peut donc prétendre à la comparaison avec les écoles nationales de musique et autres conservatoires du Nord de la France, financés par les villes et rattachés au Conservatoire national237.
151L’absence de volontarisme municipal fut ici déterminante comme en témoigne la réaction de l’administration Métayer à la transformation de l’École de la Musique municipale en « conservatoire » :
- 238 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 8 novembre 1937, rapport (...)
« Votre administration et votre sous-commission des Beaux-Arts ne voient aucun inconvénient à cette substitution, étant seulement entendu que la subvention allouée annuellement à l’École de musique le sera au conservatoire de musique de Rouen, mais que ce changement de dénomination ne saurait entraîner pour les finances de la ville, aucune dépense supplémentaire238. »
- 239 On comparera la délibération précédente (8 novembre 1937) avec celle de 1945, pour mesurer le chem (...)
152Dès lors le titre de « conservatoire de musique et de déclamation » n’est qu’une promotion d’intérêt local, qui n’entame en rien le prestige de l’institution concurrente de formation musicale, la maîtrise Saint-Evode de la cathédrale de Rouen. Significativement la fondation en octobre 1945 d’un vrai Conservatoire de musique239 sera en partie l’œuvre de trois anciens élèves de cette maîtrise, Georges Fayard, André Cabourg et surtout Albert Beaucamp. La Musique municipale n’a donc pas accouché d’un conservatoire par le manque de volonté culturelle des édiles qui la subventionnaient dans les années trente.
153C’est dire la difficulté pour une ville comme Rouen de se doter des institutions culturelles nécessaires à la mise en œuvre de ses propres ambitions. La période n’en marque pas moins l’émergence de ces politiques, qui s’imposent d’elles-mêmes aux élus locaux. Dans une moindre mesure, les mêmes préoccupations touchent les communes de l’agglomération.
- 240 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, W18, dossier « Bibliothèques/Sociétés musicales », affi (...)
154Même au sein des communes les plus modestes, le souci de prise en compte des besoins culturels de la population se fait jour et se développe sous la IIIe République. Le degré zéro de la politique culturelle se juge souvent à l’octroi de subventions aux sociétés musicales ou sportives. Ces dernières assurent, on le verra, des missions de service public, en animant les fêtes de quartier ou les cérémonies officielles (14 juillet à partir de 1889, 11 novembre dans l’entre-deux-guerres). L’aide municipale était acquise dès le Second Empire pour les communes les plus importantes. Elle concernera, à partir de la loi de 1884, la plupart des communes de l’agglomération. Mais les élus comprirent rapidement qu’ils ne pouvaient en rester là. Les sociétés subventionnées avaient besoin de locaux pour répéter et de salles pour se produire. Leurs requêtes rencontrèrent celles d’autres associations (syndicats, légalisés depuis 1884, sociétés philanthropiques, groupements politiques, voire associations contemporaines de la loi de 1901). Au sortir de la Grande Guerre, la petite commune rurale de Mont-Saint-Aignan décide d’ » établir » une « salle des fêtes et une salle de tir240 ». Le maire, Ernest Lesueur, en informe ses administrés par voie d’affiche, précisant que la salle est destinée à accueillir les activités d’une société d’éducation physique, d’une société de musique et d’une société de tir. Les habitants « de la commune » intéressés doivent s’inscrire à la Mairie.
- 241 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre de délibérations du conseil municipal d (...)
- 242 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre de délibérations du conseil municipal d (...)
155À Notre-Dame-de-Bondeville, une salle des fêtes est édifiée dès 1907. Il s’agit avant tout de fournir un local, autre que la Mairie, pour les réunions des sociétés locales. Inaugurée au début de l’année 1908, cette salle fait l’objet de sollicitations régulières dans l’entre-deux-guerres. On y installe le chauffage central en 1929, on remplace l’année suivante les 250 chaises paillées achetées en 1908 et on envisage même d’y installer un piano en 1931241 ! Cette dernière proposition sera rejetée en raison d’un coup trop élevé, à l’heure où les effets de la crise économique commencent à se faire sentir. Ce qui ne signifie pas que la destination culturelle de la salle des fêtes soit négligée. Dès l’entre-deux-guerres, on y assiste à des concerts – le piano est alors loué – et à des projections cinématographiques. Au début des années trente, la salle des fêtes apparaît bien comme une salle de spectacles, possédant un guichet, un rideau de scène, une salle des artistes et une cabine cinématographique242. La Ville en semble non seulement fière, mais également jalouse. La naissance des politiques culturelles se jauge ici à travers une nouvelle anecdote, opposant l’État et la commune. Durant la Première Guerre mondiale, Notre-Dame-de-Bondeville accepte en effet de laisser l’école de garçon occuper la salle des fêtes. L’État, qui s’était engagé à aider à l’agrandissement de l’école en 1907, refuse d’assumer le surcoût de la construction, surcoût lié à l’inflation au sortir de la guerre. La ville décide alors de réaffecter la salle des fêtes à sa destination première :
- 243 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre de délibérations du conseil municipal d (...)
« Cette salle […] va devoir être utilisée incessamment pour le véritable but auquel elle est destinée… L’Association amicale des anciens élèves, appelée, au moment où la durée légale du travail est réduite à participer à la culture physique, intellectuelle et morale des travailleurs du commerce et de l’industrie, ne pourrait le faire qu’à la condition d’avoir un local à sa disposition243. »
156Cette prise de position stupéfiante, où l’on voit poindre les tensions sociales de l’après-guerre, fut bien entendue invalidée par la préfecture. Mais l’État dut convenir d’une nouvelle subvention, permettant d’achever l’agrandissement de l’école dès 1920, et de rendre aux Bondevillais leur salle des fêtes. On le voit les enjeux d’une politique d’équipement culturel étaient parfaitement compris par les collectivités locales.
- 244 Cité par GERMAIN Fanny, Municipalité et associations : acteurs de la vie culturelle d’Oissel. 1900 (...)
157Notre-Dame-de-Bondeville n’est évidemment pas isolée. Dès 1868, la ville d’Oissel concède à un entrepreneur de spectacles un terrain municipal pour l’établissement d’une salle privée. En 1906, quand les héritiers de l’entrepreneur décident d’abandonner ce « casino », la ville achète le bâtiment le jugeant « indispensable à la commune244 ». À l’instar de Rouen et de son Théâtre des arts, Oissel concédera, pendant un demi-siècle, sa salle de spectacles, sans toutefois instaurer de cahiers des charges. La prise en charge de la culture n’alla cependant nulle part plus loin qu’à Sotteville-lès-Rouen.
- 245 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal de So (...)
- 246 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal de So (...)
158Dès la fin du xixe siècle, Sotteville s’intéresse aux affaires culturelles et met en place des institutions ambitieuses, au service de sa population laborieuse. Chaque nouvelle étape dans la constitution d’un espace culturel municipal, est soigneusement justifiée. Dès les premières années de la République, un cours municipal de dessin est fondé, à destination des adultes, puis des jeunes gens de 13-15 ans. Disposant de 5 divisions, reconnu par le ministère de l’Instruction publique et régulièrement inspecté, ce cours ne cessera de se développer. À la demande de son directeur, M. Grébouval, la ville étudie et accepte la construction d’une nouvelle salle avec gradins en 1892245. Un cours préparatoire est ouvert en 1896, à la grande satisfaction de l’inspecteur de l’Enseignement du dessin. La Ville fournit des pochettes de compas pour les « jeunes gens indigents246 ».
- 247 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal de So (...)
- 248 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal de So (...)
- 249 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal de So (...)
159Dans le domaine musical, la ville ne se contente pas de subventionner les principales sociétés locales, elle décide l’édification d’un kiosque en 1899247. Même état d’esprit pour la salle des fêtes. Une proposition de construction apparaît dès 1893. On confie au professeur de dessin le soin de réaliser un projet, finalement repoussé. Ce n’est que partie remise. Dès 1901, Sotteville achète la magnifique salle de l’Eldorado, ensemble de 1400 m2, comprenant une grande salle de fête avec galeries et une scène : « Il est indispensable pour la ville de posséder une salle des fêtes que sa population de 18000 habitants, ses sociétés et son développement réclament et que cette nécessité est reconnue depuis longtemps248. » L’Eldorado devient alors une salle de réunion, de théâtre, de cinéma. En 1933 encore la Ville décide la rénovation de ses « décors qui servent lors des réunions théâtrales249 ». Certes, il n’y a rien de comparable avec le Théâtre des arts. L’Eldorado ne dispose que de deux décors, un « salon » et un « paysage ». Mais c’est assez pour diffuser des représentations dramatiques, des comédies légères, voire des opérettes.
- 250 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal de So (...)
160Enfin, en créant dès 1889 une bibliothèque municipale, l’une des plus ancienne de la région, la Ville prenait une avance décisive en matière de lecture publique. Cette fondation participe clairement d’un projet républicain. Défendant le projet d’une Bibliothèque communale, ouverte aux adultes comme aux enfants des écoles, un conseiller municipal la qualifie « d’œuvre démocratique250 ». Il s’agit d’emblée d’une bibliothèque de prêt, qui compte dès 1890, 700 lecteurs. Dès 1892, un comité d’inspection et d’achats est constitué. En revanche, les premières années sont caractérisées par le manque de moyens de fonctionnement. Installée dans une salle étroite et humide de la mairie, la bibliothèque ne peut accueillir de lecteurs sur place. Le premier « bibliothécaire » est un employé municipal qui cumule deux services. On le flanque bientôt d’un auxiliaire, retraité de l’Octroi. Cependant la bibliothèque municipale de Sotteville est bientôt soumise au décret du 1er juillet 1897, et à ce titre contrôlée par le ministère de l’Instruction publique. Ce dernier réclame l’abandon du cumul d’activités du bibliothécaire et l’emploi des crédits d’achats alloués chaque année par l’État. La Ville tient compte de ces remarques et réorganise sa bibliothèque, au point de recevoir les éloges du ministre de l’Instruction publique. C’est dire que la création d’une bibliothèque de prêt relevait bien d’une institutionnalisation, et non d’une opération électorale sans lendemain. Par ce biais la Ville participait non seulement d’un courant national d’éducation populaire, mais anticipait aussi d’une quinzaine d’années, les politiques rouennaises de lecture publique. Là encore ce type d’interventions annonce l’émergence des politiques culturelles contemporaines. Il témoigne d’un intérêt nouveau des villes et des élus locaux pour la culture, dont il s’agit de rendre compte.
La culture des élus : une grille d’interprétation
- 251 LAURENT Jeanne, Arts et pouvoirs en France de 1793 à 1981, histoire d’une démission artistique, Sa (...)
161Jusqu’à une date très récente la vulgate stigmatisait la politique des Beaux-Arts sous la IIIe République251, en ne se donnant même pas la peine d’interroger les réceptions locales de cette politique. Il était entendu que l’état culturel provincial relevait de la nullité et que les élus locaux ne formaient qu’une bande d’imbéciles. Ce cliché ne résiste pas, on l’a vu, à l’épreuve des faits. La vie culturelle provinciale ne peut être tenue pour quantité négligeable et les communes participent directement à son essor sous la IIIe République. L’engagement municipal est toutefois ambivalent. Budgétairement limité, il peine à définir des lignes claires d’intervention. Cet état de fait s’explique aussi par le rapport particulier qu’entretiennent les élus locaux avec la culture.
- 252 Législatives (1919, 1924, 1928, 1932, 1936), cantonales (1919, 1922, 1925, 1928, 1931, 1934, 1937) (...)
- 253 On sait la richesse de cette piste classique de l’histoire politique de la IIIe République. Cf. RÉ (...)
- 254 Voir sur ce point les propositions théoriques de DUBOIS Vincent, La culture comme catégorie d’inte (...)
- 255 L’analyse de presse doit prendre en compte l’évolution doctrinale des deux grands quotidiens rouen (...)
- 256 Citons pour les partis de droite Le réveil normand, organe de la Fédération des républicains rénov (...)
162L’étude des seize professions de foi électorales252 de l’entre-deux-guerres rouennais peut servir d’entrée dans le sujet253 et semble conforter la thèse classique d’une émergence tardive (second xxe siècle) des politiques culturelles254. Les programmes politiques, publiés dans la presse quotidienne pour les partis de gouvernement (conservateurs et radicaux)255 et dans la presse politique, hebdomadaire ou mensuelle pour les autres (ligues, SFIO, parti communiste)256 accordent généralement peu ou pas de place au culturel. Deux raisons expliquent cette absence.
163La conjonction politique propre de l’entre-deux-guerres tout d’abord, place au premier plan, et ce au moins jusqu’au Front populaire, les questions économiques (redressement du franc en 1926, impact de la crise boursière de 1929, déflation Laval), politiques (question laïque en 1924, question des ligues en 1934), et sociales (assurances sociales de 1928-1930, allocations familiales de 1932). Les programmes locaux, rédigés au niveau départemental à l’époque du scrutin de liste (1919 et 1924) puis au niveau cantonal (1928-1936) reproduisent les programmes nationaux des partis. Ils ont d’autant plus d’écho que la vie économique locale, celle d’une grande région industrielle et agricole, dépend des choix économiques de la nation.
- 257 Même si libéralisme ne signifie pas « absence de politique culturelle ». Cf. ORY Pascal, « Politiq (...)
- 258 Journal de Rouen, 21 avril 1936.
- 259 La Dépêche de Normandie, 26 avril 1924.
- 260 Profession de foi des candidats de la liste d’Union nationale républicaine et démocratique pour le (...)
164Au-delà de cette conjoncture générale, l’absence du culturel s’explique aussi par la philosophie générale d’un système politique encore dominé par un libéralisme étroit. Les proclamations électorales des partis conservateurs le disent bien. L’organisation de la culture et des loisirs n’est pas l’affaire du politique257. Cette position est partagée par les chrétiens démocrates pour qui la culture est d’abord l’affaire de la famille. C’est aux familles de prendre en charge la formation scolaire et culturelle de la nation. Au moment des élections de 1936, la Fédération républicaine pourra ainsi accuser le Rassemblement populaire de prôner « la destruction de la famille et la socialisation de l’enfant à l’école258 ». Le mot d’ordre de la plupart des conservateurs, disciples de Leroy-Beaulieu ou du jeune Jacques Rueff, c’est de « débarrasser l’État de ses charges259 ». C’est dire que l’absence d’un programme culturel digne de ce nom sur les manifestes des partis traditionnels ne procède nullement d’un oubli mais d’une conviction. Le mot même de culture n’apparaît pas, si ce n’est au détour d’une phrase en 1919 évoquant, dans le contexte de la loi Astier, « la culture technique260 ».
- 261 Journal de Rouen, 17 octobre 1922.
- 262 Journal de Rouen, 19 octobre 1922.
165À cette absence du discours culturel au moment des législatives s’ajoute la rareté du thème au moment des municipales. Lors des élections partielles de 1922, les candidats soutenus par les comités républicains négligent d’évoquer au cours de leur campagne les questions artistiques ou culturelles261. Il faut attendre la provocation des radicaux pour que les candidats de droite abordent la politique artistique de la cité et présentent comme exemple de réalisations, la fondation du musée Le Secq des Tournelles262.
- 263 Cf. ADSM, J731. Le tract ignore non seulement les Beaux-Arts mais aussi les fêtes, le sport et le (...)
- 264 ADSM, J731, tract de la Liste républicaine d’union nationale et de défense des intérêts municipaux (...)
166En 1935, au cœur de la dynamique du Rassemblement populaire, on trouve encore un tract émanant de l’Union des chrétiens sociaux et des républicains démocrates ignorant totalement les enjeux culturels municipaux263. Cette absence de proposition en matière de culture est cependant beaucoup plus rare qu’au niveau législatif. Dès les élections de 1925, les grandes catégories du discours culturel apparaissent au sein des programmes municipaux des républicains comme des radicaux. Le sport, le périscolaire, les beaux-arts et le patrimoine sont évoqués, plus ou moins précisément. Mais cette place de la culture, qui peut atteindre jusqu’à 18 % d’un programme politique264 ne doit pas faire illusion. La plupart du temps les professions de foi et les campagnes électorales utilisent l’argument culturel comme un simple prétexte électoral.
- 265 Journal de Rouen, 21 avril 1925.
- 266 La Dépêche de Normandie, 21 avril 1935.
- 267 ADSM, JPL 514, Le Démocrate de Normandie, mai 1935.
167Élément indispensable de ce discours, le localisme se retrouve, élections après élections, inchangé et interchangeable. Ainsi des conservateurs de l’Union républicaine nationale en 1925 qui prétendent œuvrer en faveur du « haut prestige qui s’attache à la capitale historique de la Normandie265 ». Dix ans plus tard les radicaux-socialistes, leurs adversaires les plus acharnés, ne disent pas autre chose, prétendant « apporter leur dévouement à défendre les intérêts de notre belle ville, à accroître son prestige et à lui maintenir la place en vue qu’elle occupe parmi les plus belles villes de France266 ». Cette priorité à l’exaltation locale dans l’ordre du discours culturel est partagée par l’opposition municipale. Ainsi le parti démocrate populaire résume son programme culturel en 1935 à la promotion du patrimoine rouennais : « Notre patrimoine artistique est notre meilleur agent de publicité. Églises uniques, vieilles demeures, musées magnifiques seront mis en valeur avec le concours du Syndicat d’initiative et des associations intéressées267. »
- 268 Journal de Rouen, 2 mai 1925.
- 269 On pense ici aux fameux impôts sur les portes et fenêtres.
168Au chapitre des propositions vagues ou accrocheuses on trouve la taxe de luxe sur les pianos et la création d’un budget sportif, proposées par le radical André Marie en 1925268. Les candidats conservateurs auront beau jeu de signifier l’impossibilité pour une administration communale d’établir des budgets spéciaux tout comme l’absurdité d’une politique de la culture qui produirait une dissimulation – fiscale – des pianos bourgeois269. Que la proposition d’André Marie ait pour but de détourner l’électorat « sportif », alors en pleine expansion, participe d’une logique électoraliste bien comprise. Mais bien souvent ces polémiques culturelles, déroulées au moment des élections, ne sont que le prétexte à des joutes stériles, opposant deux individus en faisant l’économie d’une réelle mise en forme politique. En mai 1929, les radicaux n’hésiteront pas à utiliser l’incendie de l’hôtel de ville de décembre 1926 pour proclamer l’incapacité des conservateurs à protéger et à assurer convenablement le patrimoine historique de la cité. La démagogie rejoint ici les silences des programmes législatifs pour signifier le peu d’intérêt manifesté à la culture par la classe politique locale au moment des élections.
- 270 URFALINO Philippe, « La municipalisation de la culture », CHAZEL François (dir.), Pratiques cultur (...)
169Cette atonie des programmes et des idéologies contraste fortement avec les pratiques et les discours des élus, à Rouen comme dans les cités de banlieue. Les enjeux culturels semblent alors clairement perçus, et ne diffèrent pas foncièrement de ceux d’aujourd’hui. Défense du patrimoine local, souci du prestige artistique de Rouen « capitale de la Normandie », volonté de populariser la culture ou prise de conscience de la manne touristique sont bien les principaux arguments avancés par ceux qui, très tôt, défendent l’investissement culturel municipal. Reste à expliquer en profondeur leur adhésion à cet argumentaire. On proposera ici la piste prosopographique, c’est-à-dire l’étude des carrières de quelques-uns des principaux élus locaux, réalisée pour la ville de Rouen dans l’entre-deux-guerres. Par leur participation à la vie culturelle locale, soit sous la forme associative (présidence d’honneur, secrétariat), soit sous une forme plus personnelle (conférences, publications) certains élus disposent d’une compétence culturelle et se posent en experts. Le volontarisme culturel est indissociable de ce « groupe de pression culturel intra-municipal270 ».
- 271 Cf. POIRRIER Philippe, RAB Sylvie, RENEAU Serge et VADELORGE Loïc (dir.), Jalons pour l’histoire d (...)
- 272 EUDE Robert, « Les maires de Rouen (1800-1950) », Bulletin de la Société libre d’émulation, du com (...)
- 273 Les renseignements biographiques qui suivent sont tirés du dépouillement des sources biographiques (...)
170Au premier rang de l’expertise culturelle et du processus de décision viennent incontestablement les maires. Comme dans la plupart des grandes villes de province, leur rôle est déterminant dès cette époque271. Chaque action culturelle d’envergure (édification d’un monument, fondation d’un musée, réception et attribution d’une donation prestigieuse) est dépendante de l’investissement personnel du premier élu de la cité. La période voit se succéder cinq maires, Lucien Valin (1914-1922), Louis Dubreuil (1922-1928), Alfred Cerné (1928-1929), Georges Métayer (1929-1935 et 1935-1940) et Eugène Richard (1935)272. Aucun n’eut la stature nationale et locale d’un Gaston Gérard à Dijon ou d’un Edouard Herriot à Lyon. Tous pourtant participèrent activement à la vie culturelle locale, avant, pendant et après leur mandat273.
171Lucien Valin (1867-1923), avoué à la cour d’appel de Rouen, fut aussi un spécialiste de l’histoire du droit normand. Il a consacré sa thèse de droit, en 1910, au Duché de Normandie et sa cour et continue au début des années vingt à publier des travaux d’érudition historique. Sa participation à la vie culturelle locale est importante. Membre de l’Académie de Rouen depuis 1910, vice-président de cette compagnie de 1916 à 1918, il en assure la présidence en 1919. En 1911 il a présidé le congrès historique du Millénaire normand. Son goût, son autorité culturelle seront déterminantes pour l’histoire de la muséographie locale. Il participe activement aux donations Jacques-Émile Blanche et Barbet de Jouy au musée des beaux-arts et est à l’origine de la donation Le Secq des Tournelles en 1919.
- 274 AMR, dossier individuel de Louis Dubreuil. Louis Dubreuil ne disposait que d’un simple baccalauréa (...)
172Son successeur, Louis Dubreuil (1873-1943), négociant et ancien-combattant est présenté, en dépit de sa formation restreinte, comme « un esprit fin et éclairé lisant chaque jour quelques pages dans le texte original des auteurs grecs et latins274 ». Son érudition et son goût des arts l’amèneront à présider la Société normande de géographie puis l’Académie de Rouen en 1930 et en 1941. Membre du Syndicat d’initiative, il est aussi prosateur à ses heures, faisant paraître en 1920 un recueil de Nouvelles.
173Alfred Cerné (1856-1937), dernier maire conservateur de l’entre-deux-guerres, ne fait pas pâle figure derrière ses illustres prédécesseurs. Ce docteur en médecine, fondateur de la revue scientifique La Normandie médicale en 1885 est un habitué des sociétés savantes locales. On retrouve son nom aussi bien à la Société de médecine et à la Société d’hygiène pratique, qu’à la Commission départementale des antiquités, à la Société des amis des monuments rouennais ou à la Société libre d’émulation. Il n’entrera cependant jamais à l’Académie de Rouen en dépit de nombreuses études sur l’histoire de Rouen et de sa région.
174À ces maires savants succède une personnalité en apparence plus terne sous l’angle culturel, Georges Métayer (1869-1945). Ce brillant avocat, professeur d’économie politique à l’École supérieure de commerce de Rouen s’intéressera surtout au cours de son règne de dix ans à la protection sociale et à l’équipement urbain. Contrairement à ses prédécesseurs il laisse son adjoint délégué aux Beaux-Arts gérer l’essentiel des affaires culturelles.
- 275 Élu en mai 1935, Eugène Richard décédera brutalement en septembre 1935. À l’issue d’une élection p (...)
175C’est – est-ce un hasard ? – ce dernier, Eugène Richard (1867-1935), qui lui succède pour quelques mois à la tête de la municipalité en 1935275. En dépit de son court mandat, Eugène Richard est un personnage important de la vie culturelle rouennaise de l’entre-deux-guerres. Licencié ès sciences puis docteur en pharmacie, le « professeur Richard » enseigne à l’École de médecine, à l’École supérieure de commerce et à l’École préparatoire des sciences de la ville. Il donne de nombreuses conférences scientifiques au Cirque et au Théâtre des arts. Son œuvre d’adjoint puis de maire s’inscrit à la confluence de la culture et du périscolaire. À travers cet exemple on perçoit l’importance d’une prosopographie des adjoints aux Beaux-Arts, ancêtres de nos adjoints aux affaires culturelles.
176Rien ne serait plus faux que d’imaginer une répartition circonstancielle des beaux-arts dans l’organigramme de l’administration communale. Tous les adjoints les ayant eus en charge étaient des membres reconnus par la société culturelle locale. Ils présentaient de surcroît l’avantage d’assurer la continuité du secteur, dans la mesure où leurs attributions municipales n’étaient pas nécessairement remises en cause au moment des changements de maire (démission de Lucien Valin en 1922, de Louis Dubreuil en 1928, décès d’Eugène Richard en 1935). Quatre adjoints vont se succéder aux Beaux-Arts de 1919 à 1940 : l’avocat Jean Baudouin (1919-1925), le négociant René Morin (1925-1929), le « professeur Richard » (1929-1935) et le fonctionnaire des postes René Millot (1935-1941).
177La plupart sont fortement diplômés. Jean Baudouin (né en 1889) est licencié en droit, René Morin (né en 1887), licencié ès lettres et docteur en droit et Eugène Richard, on l’a dit, docteur en sciences. René Millot est le seul autodidacte ; entré dans l’administration des Postes en 1904 il gravira les échelons administratifs pour finir directeur honoraire des PTT après la Seconde Guerre mondiale.
178Les adjoints aux Beaux-Arts sont souvent des conférenciers reconnus, membres actifs de plusieurs sociétés savantes ou d’éducation populaire. Ainsi Jean Baudouin est président honoraire de la Société normande de géographie, tandis que René Millot, fils du fondateur de l’Université populaire de Rouen, donne de multiples conférences au sein de cette « Coopération des idées » dont il est vice-président dans les années trente. On l’entend aussi à la Ligue de l’enseignement et à la Fédération des œuvres laïques. Il organise également des soirées musicales et littéraires, préside Radio-Rouen et est même membre du Syndicat d’initiative.
179De par leur formation et le mode d’investissement culturel qu’ils pratiquent (sociétés savantes ou éducation populaire) les adjoints aux Beaux-Arts orientent, plus que ne le font les maires, polyvalents par nature, la politique culturelle de la cité. Aux adjoints membres des sociétés savantes, férus d’histoire et de littérature, succèdent dès 1929 des adjoints plus sensibles aux questions de l’éducation populaire et de l’encadrement de la jeunesse. L’important est de souligner le décalage entre l’opinion commune qui considère les édiles comme inaptes au culturel et la réalité socioculturelle des conseils municipaux. On pourrait croire cependant qu’avec ce comité restreint de huit élus locaux ayant directement en charge le culturel, on a délimité exactement le groupe de pression culturel interne. Il n’en est rien.
180Une étude globale des conseils municipaux successifs de l’entre-deux-guerres révèle que les élus locaux ne correspondent pas à l’image d’Épinal que les milieux artistiques ou parisiens, ont forgé. L’investissement culturel des élus locaux est en effet loin d’être négligeable et les prépare objectivement à débattre des affaires culturelles. Sur 120 conseillers municipaux recensés, 36 (soit 30 %) sont membres de sociétés artistiques ou de sociétés savantes, 14 (soit 12 %) sont membres de sociétés sportives, 21 (soit 18 %) sont investis dans le périscolaire ou les patronages et 10 (soit 8 %) participent à des comités des fêtes ou de quartiers. Au total c’est plus de la moitié des élus locaux de 1919 à 1940 qui représentent au sein du conseil municipal de Rouen, la vie culturelle de la cité. Certains conseillers se distinguent d’ailleurs par un véritable magistère culturel sur le conseil municipal.
181Le cas d’André Marie (1897-1974) est le plus célèbre. Membre du conseil municipal de 1925 à 1928, cet avocat, secrétaire particulier de Georges Métayer est bien connu à Rouen comme auteur de revues à succès. Ces parodies ou pastiches feront les beaux jours du Théâtre français ou des music-halls locaux. Il est de surcroît chroniqueur théâtral à La Dépêche de Normandie qui le soutiendra politiquement tout au long de sa fulgurante carrière. Fin lettré, ami personnel d’artistes rouennais comme André Haumesser ou Emmanuel Bondeville, André Marie intervient systématiquement dans les débats culturels pour défendre à la fois le maintien des subventions et leur extension.
182Autre personnage haut en couleur, Jacques Toutain (né en 1891). Ce notaire, conseiller de 1919 à 1929, est le fils de Paul Toutain, écrivain normand qui eut son heure de gloire à la Belle Époque, sous le pseudonyme de Jean Revel. Il est lui-même l’auteur de nombreuses pièces dramatiques. Son Ode à la victoire sera jouée lors de l’inauguration du monument aux morts de Rouen. Ce farouche défenseur du Théâtre des arts et de l’art dramatique normand est le symbole de l’interventionnisme culturel de droite. Sur le fond il ne se distingue guère de son collègue radical André Marie.
183L’analyse ici développée vaut-elle pour les communes de banlieue ? En l’absence d’études équivalentes – faute de sources – il est certainement difficile de l’affirmer pour l’ensemble des conseils municipaux. Mais la personnalité de certains maires témoigne de leur intérêt manifeste pour la culture. Ainsi l’histoire de la lecture publique et de l’éducation populaire à Sotteville-lès-Rouen sont indissociables de la personnalité d’Eugène Tilloy, maire socialiste de la cité de 1912 à 1940, ancien élève de l’École normale d’instituteur de Rouen et instituteur pendant quinze ans. Ainsi encore d’Edouard Turgis, maire et aussi premier historien de Oissel.
184On objectera le caractère atypique de ces figures culturelles locales. Certes bon nombre de conseillers rouennais somnolent pendant les longs débats sur la subvention du Théâtre des arts. Il n’empêche. Un « lobby culturel » existe bien au sein du conseil municipal de Rouen dans l’entre-deux-guerres, qui défend non seulement le principe des subventions mais aussi de leur pérennité. Le Théâtre français, qui n’était subventionné que de manière exceptionnelle avant 1914, devient un théâtre régulièrement aidé au milieu des années vingt, un poste étant ajouté à son intention au chapitre Beaux-Arts du budget primitif de la cité. Ainsi, en dépit d’une conjoncture économique peu favorable à la détermination d’une politique culturelle municipale, le culturel progresse régulièrement, aussi bien dans la mise en forme politique que dans la mise en œuvre institutionnelle. Bien avant le Front populaire, les enjeux d’une prise en charge par le pouvoir local de l’organisation des loisirs culturels sont clairement compris, présentés, défendus. Ils génèrent naturellement des prémices d’organisation municipale de la culture.
- 276 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 18 mai 1935.
185Car l’émergence d’une culture municipale passe aussi par la mise en œuvre administrative qui se lit à travers l’évolution conjointe de l’organigramme municipal et des commissions consultatives. Au-delà des arbitrages évidents qui interfèrent à la répartition des affaires culturelles entre les différentes personnalités du conseil municipal, l’organigramme révèle des conceptions parfois antagonistes de la culture. Les affaires culturelles, au sens où nous les entendons aujourd’hui, ne sont jamais considérées globalement et isolément sous la IIIe République. Il n’existe pas de « commission des affaires culturelles » ni même de « service culturel » à cette période à Rouen. Seule l’administration Richard, élue en mai 1935, semble avoir sciemment désiré définir un secteur culturel autonome, confié à René Millot. L’arrêté municipal du 18 mai 1935, crée en effet au sein de la Commission des finances, une sous-commission municipale dite des Beaux-Arts et traitant des « théâtres, musées, bibliothèques, écoles des beaux-arts, inscriptions et souvenirs historiques, dénomination des voies publiques, fêtes publiques et prix de vertu276 ».
186En dehors de cet exemple, dont on interroge plus loin (chapitre VI) la signification historique, les affaires culturelles sont réparties au sein de plusieurs commissions. La gestion du patrimoine architectural (églises et bâtiments classés ou inscrits) tout comme le service d’architecture sont toujours séparés des Beaux-Arts et réunis à l’urbanisme et l’hygiène. Les subventions aux sociétés culturelles sont confondues avec l’ensemble des subventions associatives. Le maire de Rouen se réserve souvent, hors commission, la gestion de certaines questions prestigieuses comme les inscriptions rouennaises ou les dénominations de voies publiques. Seule l’administration Métayer déléguera aux adjoints ces prérogatives édilitaires.
- 277 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 10 décembre 1919.
- 278 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 9 novembre 1922.
- 279 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 17 mai 1929.
- 280 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 18 mai 1935.
187Cette absence de cohésion du secteur, qui n’est d’ailleurs pas spécifique au culturel (l’hygiène ou la bienfaisance sont également éparpillées), est toutefois pondérée par la croissance des questions relevant des « beaux-arts » au cours de la période. Ainsi l’adjoint délégué aux Beaux-Arts en 1919 ne gère que « le comité des Beaux-Arts, les musées de Peinture, Céramique et d’Art normand et le Muséum277 ». En 1922, le secteur s’étoffe de « l’École des beaux-arts, des théâtres, bals, concerts, fêtes, jardins et sociétés sportives278 ». En 1929, les « inscriptions et souvenirs historiques » sont ajoutés à l’ensemble279, suivis en 1935 des « dénominations de voies publiques et des prix de vertu280 ».
- 281 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 18 mai 1935.
188Autre signe d’extension de la prise en charge, la création de secteurs comme celui des « sports », progressivement distingué des « fêtes et manifestations diverses ». Associé aux Beaux-Arts en 1922, le secteur « sports » gagne en autonomie et en définition (« piscine, manifestations sportives, subventions à des sociétés sportives ») à partir de 1928. Il est parfois associé à l’hygiène (1925), parfois à l’assistance (1928), parfois encore au tourisme (1935). La section « tourisme » apparaît justement en 1935, délimitée derrière la formule « tourisme, illuminations, éclairages publics281 ». Quant au périscolaire, il n’apparaît qu’en 1922 et oscille entre la Commission d’hygiène (1922) et la Commission de l’instruction publique (1925, 1928, 1929, 1935). Cette répartition du culturel entre différentes commissions municipales, son association à d’autres secteurs de compétences politiques valent-elles sens ? Certains organigrammes, visiblement bricolés au moment de remaniements administratifs (1922, 1925, 1928) sont peu significatifs. L’hypothèse d’un équilibrage entre les différents adjoints est alors la meilleure. D’autres organigrammes, comme ceux de 1919, 1929 et 1935 semblent cependant traduire un véritable volontarisme culturel.
189En 1919, la culture est divisée en quatre parts égales. Au sommet de l’édifice administratif le maire, en fin lettré, se réserve le domaine de la culture écrite (archives, bibliothèques, inscriptions et souvenirs historiques, hommages publics, dénomination de voies publiques). Les affaires culturelles sont ensuite scindées en trois fonctions bien lisibles sur l’organigramme : une fonction conservation, les « Beaux-Arts » proprement dits, rattachés à l’Instruction publique (6e adjoint), une fonction patrimoine, qui regroupe les édifices cultuels avec les « propriétés de la ville » (2e adjoint) et une fonction loisirs pour les « théâtres, bals, concerts, fêtes », rattachée à la sécurité civile (sapeurs-pompiers, incendie… 1er adjoint). C’est donc une vision traditionnelle de la culture qui s’exprime à travers cette organisation, vision qui la hiérarchise en séparant d’une part les productions de l’esprit des loisirs culturels, d’autre part en distinguant les arts des lettres. On notera aussi la méfiance des conservateurs qui rejettent une partie de la culture en dehors des Beaux-Arts et qui, souvenir de la censure pré-républicaine, l’adjoignent à la sécurité civile.
- 282 POIRRIER Philippe, « Politique culturelle et municipalité : Un discours explicite ? L’exemple de D (...)
190À cette vision conservatrice de la culture s’oppose très nettement la vision des radicaux des années trente. L’organigramme municipal de 1929 place la culture en tête des préoccupations municipales. C’est en effet le 1er adjoint qui prend en charge les Beaux-Arts, associés symboliquement à l’Instruction publique et aux œuvres périscolaires. Certes ce n’est pas la première fois que cette association classique à l’échelon national sous la IIIe République est reproduite à l’échelon local. Mais l’organigramme de 1929 constitue incontestablement une rupture. D’une part les administrations conservatrices de 1922, 1925 et 1928 avaient renoncé à rapprocher l’Instruction publique des Beaux-Arts comme en 1919. D’autre part la première commission municipale de l’administration Métayer en 1929, réunit pour la première fois le périscolaire et les Beaux-Arts. C’est dire sa dimension de manifeste politique et culturel. Il s’agit bien de mettre l’accent sur la formation et la diffusion des arts, c’est-à-dire de « rendre la culture au peuple » selon une formule employée plus tard par la gauche frontiste282.
- 283 Les études des politiques culturelles municipales du temps présent ont bien mis l’accent sur l’amb (...)
191On ne saurait toutefois prolonger trop loin la distinction entre les deux organigrammes. Dès 1935, la ville revient à la séparation de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, lors même qu’elle disposait, avec René Millot, d’un militant reconnu de la démocratisation culturelle. C’est dire que l’institutionnalisation ne passe pas uniquement par le jeu des commissions. L’évolution parallèle des sous-commissions municipales révèle en effet qu’à cette époque, la politique culturelle locale ne se construit pas en autarcie. Elle est avant tout réponse aux impulsions de la société civile et dans une certaine mesure, émanation directe de cette société283.
- 284 SHERMAN Daniel J., Worthy monuments : Art museums and the politics of culture in nineteenth-centur (...)
192Les commissions culturelles consultatives, appelées parfois comités extra-municipaux ont été créées pour la plupart entre la fin du Second Empire et la Belle Époque, pour définir les grands axes politiques des institutions nouvellement fondées par les villes (musées, bibliothèques, théâtres municipaux, écoles de musique ou des Beaux-Arts). Daniel Sherman les mentionne sous la IIIe République dans la plupart des villes ayant créé des musées des Beaux-Arts284.
- 285 Christian GOUBAULT définit la claque comme « une bande de tout jeunes gens qui créent des incident (...)
- 286 Les archives municipales oublient de signaler sa composition dans l’entre-deux-guerres mais d’autr (...)
193En 1879, Rouen se dote d’un comité consultatif des Beaux-Arts, chargé de donner son avis sur les questions relatives aux musées locaux (sécurité, décoration, présentation, expositions municipales) et plus particulièrement de choisir les œuvres à acquérir par la ville pour le musée des beaux-arts. Ce comité sera suivi en 1884 d’une commission consultative du Théâtre des arts, chargée de surveiller la programmation et la composition de la troupe. Après la disparition de la « claque285 » à la Belle Époque, la commission déterminera avec le directeur la composition de la troupe et la validité de l’engagement des solistes. Une commission de sécurité des théâtres sera créée quelques années plus tard, en 1897, pour visiter quatre fois par an les différents théâtres rouennais et vérifier la conformité des dispositifs de secours et de prévention des incendies. Deux ans plus tard, en 1899 c’est au tour de l’École des beaux-arts de se doter d’une commission de surveillance et de perfectionnement. La même année est instituée une commission des inscriptions rouennaises. À la Belle Époque, naît le comité d’inspection et d’achat de la bibliothèque municipale, chargé aux termes du décret du 6 juillet 1912 de « surveiller l’état des bibliothèques, fixer l’emploi des fonds affectés, tant à la conservation et à l’entretien, qu’aux acquisitions ». Comme le comité des Beaux-Arts son homologue, il joue un rôle important dans les politiques d’acquisitions (achats municipaux et surtout acceptation des donations)286.
- 287 Arrêté municipal du 31 janvier 1921.
- 288 Arrêté municipal du 3 juillet 1925.
- 289 Arrêté municipal du 30 décembre 1929.
- 290 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 décembre 1932.
194Dans l’entre-deux-guerres, trois commissions culturelles extra-municipales sont créées, symboles de la montée en puissance des préoccupations culturelles. Il s’agit, pour les élus conservateurs, de la Commission du vieux Rouen, chargée en 1921287 d’établir un casier archéologique local et d’une commission des sports, désignée en 1925288 afin d’assurer le dialogue entre la ville et les groupements sportifs. Les radicaux ne demeureront pas en reste qui créent en 1929289 une commission extra-municipale des fêtes. En 1932 enfin, la commission de sécurité des théâtres prend le nom de commission des « théâtres, cafés-concerts, cinémas, salles de spectacles290 », entérinant, tardivement, une pratique de visite des cinémas et music-halls rouennais remontant à la Belle Époque.
195Lieux d’interaction entre la culture régie et la culture vécue, les comités culturels consultatifs sont composés pour partie d’élus locaux (dont le maire ou l’adjoint des Beaux-Arts) et de personnalités locales, amateurs ou professionnels de la culture, choisis en fonction du consensus réalisé autour de leur expertise.
- 291 AMR, bulletin municipal, septembre-octobre 1935. Sur les 55 membres que comptait la commission des (...)
196Les taux de participation de la société civile varient selon les administrations et les commissions de 50 % à 75 %. Ainsi en 1935, la commission des fêtes et la commission du Théâtre des arts équilibrent le politique et le culturel, tandis que les inscriptions rouennaises et les Beaux-Arts favorisent la société culturelle291. Parmi ces experts culturels locaux, on rencontre les figures qui constituent l’armature intellectuelle de la cité dans l’entre-deux-guerres, les Georges Dubosc, Henri Paulme, Pierre Chirol, Fernand Guey, Henri Labrosse, etc. Certains comme les critiques musicaux Henri Hie ou Henri Geispitz traverseront les administrations successives. Ils assurent la continuité de la politique artistique de la cité en défendant les mêmes goûts et les mêmes priorités. L’attachement au répertoire lyrique en dépit du gouffre financier représenté par le budget du Théâtre des arts, l’accent mis sur les collections au musée et à la bibliothèque s’expliquent aussi par cette permanence des commissions consultatives. Reste à mesurer leur activité réelle.
- 292 FLAUBERT Gustave, OEuvres complètes, II : Correspondance, 1871-1873, Paris, Seuil, 1964, p. 766 sq (...)
197Les commissions extra-municipales ont mauvaise presse sous la IIIe République. Pour la majorité des contemporains ce sont des coquilles vides qui cautionnent l’inertie des pouvoirs publics locaux. On peut dater ce lieu commun avec précision. La lettre de Gustave Flaubert au conseil municipal de Rouen le 17 janvier 1872 dresse pour longtemps le procès du fonctionnement culturel du local : « Quand le public a bien crié, ou plutôt murmuré, on se met en règle en nommant une commission ; et dès lors on ne peut rien faire du tout, absolument rien ; il y a une commission. Argument invincible, panacée de toutes les impatiences292. »
- 293 En bons professionnels, ces directeurs ont conservé certains procès-verbaux des commissions qui éc (...)
198Si le préjugé flaubertien est tenace, c’est d’abord parce que les commissions n’ont pas pour vocation de délivrer des archives. Travail consultatif et préparatoire, leur œuvre n’est qu’un brouillon, destiné à l’oubli. Les archives municipales détruisent même régulièrement les procès-verbaux de ces doctes assemblées. Certaines pièces nous sont néanmoins parvenues, concernant la commission des Beaux-Arts et le comité d’inspection de la bibliothèque municipale dont les secrétaires n’étaient autres que Fernand Guey et Henri Labrosse293. Ces traces, lacunaires, témoignent cependant de la vitalité de certains comités extra-municipaux. Les commissions furent bien des lieux d’échange, de préparation des dossiers et au-delà de réflexion sur les nœuds culturels du local. Dans l’affaire du monument à la victoire, qui occupe la vie culturelle locale au début des années vingt, le comité des Beaux-Arts joue ainsi un rôle important, sinon décisif.
- 294 AMBAR, correspondance 1921-1924, Jean Baudouin/Fernand Guey, 16 février 1923.
199Les archives du comité consultatif des Beaux-Arts révèlent aussi les capacités de pression des artistes locaux dont les toiles n’entrent au musée qu’après l’accord de la commission. L’adjoint aux Beaux-Arts peut ainsi contraindre le directeur du musée à réunir le comité : « Il me revient que les artistes dont les toiles sont en instance d’acquisition par la ville, se plaignent du long retard apporté à la décision. Il devient donc urgent de réunir le comité294. » Toute la mémoire artistique locale passe donc par le comité, le directeur n’ayant qu’un avis indicatif. Des legs de tableaux ou des acquisitions d’objets décoratifs lui sont ainsi imposés, soit par les élus, soit par la société culturelle qu’ils représentent.
200Les pressions ne se limitent d’ailleurs pas aux beaux-arts. La commission extra-municipale du Théâtre des arts joue aussi un rôle moteur dans l’attachement imprescriptible à l’art lyrique, tandis que les membres de la Société des amis des monuments rouennais trouvent une tribune supplémentaire à leur action patrimoniale dans la Commission du vieux Rouen. C’est dire qu’on aurait tort de négliger l’interaction entre les politiques culturelles municipales et les sociétés culturelles locales.
201La vie culturelle locale connaît ainsi un indéniable développement sous la IIIe République, consécutif en premier lieu à une prise en charge des pouvoirs publics. Un double mouvement permet d’expliquer la place considérable que tiennent les institutions culturelles dans ce processus. Le renforcement des politiques nationales autour du fil directeur du patrimoine (Monuments historiques, arts et lettres) conduit d’une part à la professionnalisation des grands établissements (musées et bibliothèques notamment), qui échappent ainsi à la tutelle des villes. Mais cette dépossession est aussi contemporaine de la naissance d’institutions locales, parfois liées à des politiques nationales (École des beaux-arts, Conservatoire), parfois autonomes (art lyrique, musées d’histoire locale). L’investissement municipal est ici décisif et signe l’émergence des politiques culturelles contemporaines Il résulte en partie de l’intérêt d’un nombre croissant d’élus locaux (simples conseillers, adjoints aux beaux-arts et maires) pour les affaires culturelles et traduit sur le terrain politique des revendications portées par la société civile. C’est donc à cette échelle, associative, que doit s’évaluer la teneur culturelle de la ville sous la IIIe République.
Notes
1 Sur les critères de définition et l’ambivalence des appellations utilisées par les historiens, on peut renvoyer à la critique de DUBOIS Vincent, La politique culturelle. Genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, Belin, 1999.
2 Poulot Dominique, Musée Nation Patrimoine. 1789-1815, Paris, Gallimard, 1997.
3 La meilleure synthèse disponible est celle de Poirrier Philippe, L’État et la culture en France au xxe siècle, Paris, Le Livre de Poche, 2000.
4 Cf. Genet-Delacroix Marie-Claude, Art et État sous la IIIe République 1870-1940, thèse d’État d’histoire, université de Paris-Sorbonne, 1989, 6 vol. ; publié en partie sous le titre Art et État sous la IIIe République. Le système des Beaux-Arts 1870-1940, Paris, Publications de la Sorbonne, 1992.
5 Arrêté du 29 mars 1882 réorganisant le service des Beaux-Arts, cité in Mesnard André-Hubert, Droit et politique de la culture, Paris, Presses universitaires de France, 1990, p. 63.
6 Cf. Berce Françoise, Des monuments historiques au patrimoine, Paris, Flammarion, 2000.
7 Il s’agit de l’actuel collège Barbey d’Aurevilly, 38, rue Saint-Patrice.
8 Il s’agit de l’ancienne Chambre des comptes, 14, rue des Carmes.
9 Les chiffres présentés ici proviennent du POS (1995) de la cité. La série 2R4 des archives municipales ne présente en effet que des dossiers incomplets, rendant toute statistique aléatoire.
10 AMR, 2R4-10.
11 Dans l’entre-deux-guerres, le logis des Caradas, sis au 29-31 de la rue de la savonnerie est transformé en hôtel. Cf.
AMR, 2R4-5, maire de Rouen/préfet de la Seine-Inférieure, 30 décembre 1932.
12 Dans l’entre-deux-guerres, le logis des Caradas, sis au 29-31 de la rue de la savonnerie est transformé en hôtel. Cf.
AMR, 2R4-5, maire de Rouen/préfet de la Seine-Inférieure, 30 décembre 1932.
13 Arrêté d’inscription du 15 janvier 1927.
14 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 31 mars 1922.
15 Cette demeure, aujourd’hui encore orgueil des maisons à pans de bois rouennaise est classée monument historique le 17 novembre 1927.
16 AMR, 2R4-10.
17 Berbho Lavenir Catherine, La roue et le stylo. Comment nous sommes devenus touristes, Paris, Odile Jacob, 1999.
18 Cf. Auduc Arlette, « La création de l’administration des Monuments historiques », Poirrier Philippe et Vadelorge Loïc (dir.), Pour une histoire des politiques du Patrimoine en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Comité d’histoire du ministère de la Culture/La Documentation française, 2003, p. 171-198.
19 Leniaud Jean-Michel, Les archipels du passé. Le patrimoine et son histoire, Fayard, 2002, p. 213-228.
20 ADSM, 4T121, extrait de la loi du 21 avril 1906.
21 ADSM, 4T121, arrêtés de nomination.
22 ADSM, 4T121-125.
23 ADSM, 4T121, rapport sur le fonctionnement de la Commission départementale des sites et monuments de la Seine-Inférieure, 4 mars 1925.
24 ADSM, 4T121, Henri Gadeau de Kerville/préfet de la Seine-Inférieure, 5 mai 1930.
25 Cf. Mesnard André-Hubert, Droit et politique de la culture, op. cit., p. 438-440.
26 Loi du 2 mai 1930, article 4.
27 ADSM, 4T121, rapport du 4 mars 1925 sur la Commission départementale des sites de la Seine-Inférieure.
28 ADSM, 4T121, préfet de la Seine-Inférieure/Henri Gadeau de Kerville, 6 mai 1930.
29 Cf. Claude Viviane et Saunier Pierre-Yves, « L’urbanisme au début du siècle. De la réforme urbaine à la compétence technique », Vingtième siècle, revue d’histoire, octobre-décembre 1999, p. 25-39.
30 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 juin 1919.
31 Edouard Delabarre (1871-1951) fut pendant 25 ans professeur et chef d’atelier à l’école régionale d’architecture de Rouen. À partir de 1936 il en devient le directeur. Georges Ruel (né en 1860) fut également professeur à l’École régionale des beaux-arts et comme Delabarre et Chirol, membre de l’Académie de Rouen. Georges Lormier (1860-1925) fut aussi directeur du musée de la Céramique de Rouen, placé sous l’autorité du directeur du musée des beaux-arts.
32 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, registre des délibérations du conseil municipal de Mont-Saint-Aignan, séance du 29 juin 1935.
33 Ciculaire du 16 décembre 1935.
34 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal de Grand-Quevilly, séance du 27 décembre 1935.
35 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre des délibérations du conseil municipal de Sotteville-lès-Rouen, séance du 30 décembre 1935.
36 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, registre des délibérations du conseil municipal de Mont-Saint-Aignan, séance du 21 décembre 1935. Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre des délibérations du conseil municipal de Notre-Dame-de-Bondeville, séance du 5 mars 1936.
37 ADSM, 4T239 à 4T246.
38 Foure abbé André, « Les abbayes normandes : Saint-Ouen de Rouen », Connaître Rouen, fasc. 6, Rouen, Lecerf, 1969, p. 16.
39 Ces dernières campagnes de restauration avaient été menées par les architectes Sauvageot de 1894 à 1904 puis Chaîne de 1904 à 1909. Cf. PESSIOT Guy, Histoire de Rouen de 1900 à 1939 en 800 photographies, Rouen, Éd. Du P’tit Normand, 1982, p. 137. Cf. également L’Architecture et la construction dans l’Ouest, 12, décembre 1932.
40 ADSM, 97J16, Lucien Dacier/Pierre Chirol, 9 octobre 1935.
41 La référence en la matière est constituée par la publication des fascicules archéologiques de la Société des amis des monuments rouennais, sous le titre « Connaître Rouen ». Il est tout à fait remarquable que les premiers fascicules, consacrés aux grandes églises rouennaises et rédigés par des contemporains de Franchette passent sous silence l’étape des restaurations de l’entre-deux-guerres.
42 Cf. L’Architecture et la construction dans l’Ouest, 1933-1935.
43 Composé essentiellement de devis et de factures, le fonds Franchette ne permet pas de mesurer précisément les dépenses annuelles réelles. La plupart des sommes créditées l’année À sont en réalité totalement dépensées l’année A+5 sans que le Fonds soit exhaustif à ce niveau. On s’est ici contenté de prendre la mesure du volontarisme d’État, c’est-à-dire d’additionner les sommes acceptées par le sous-secrétariat d’État aux Beaux-Arts et créditées à l’architecte des Monuments historiques pour effectuer les restaurations. Le détail des règlements relève d’équilibres purement administratifs et non politiques.
44 ADSM, 4T241, délibération du conseil municipal du 20 octobre 1938, délibération du conseil général du 23 novembre 1938, décision de la Direction des beaux-arts du 6 mars 1939.
45 Cf. LENIAUD Jean-Michel, Chroniques patrimoniales, Norma éditions, 2001.
46 ADSM, 4T240, décision ministérielle du 10 septembre 1936.
47 ADSM, 4T239, décision ministérielle du 15 décembre 1937 et du 21 décembre 1938.
48 ADSM, 4T238, décision ministérielle du 26 octobre 1938.
49 ADSM, 4T238, décision ministérielle du 16 novembre 1937.
50 LENIAUD Jean-Michel, L’utopie française. Essai sur le patrimoine, Paris, Mengès, 1992, p. 88.
51 Les travaux du docteur Coutan (Coup d’oeil sur la cathédrale de Rouen aux xie, xiie et xiiie siècle) ou ceux de Maurice Allinne (La cathédrale de Rouen avant l’incendie de 1200), parus à la fin du siècle dernier ne sont jamais cités dans les rapports Franchette.
52 ADSM, 4T240, Collin /Lanfry, 1er mars 1940.
53 La ville de Rouen adopte ce principe de rémunération de « son » architecte, Edmond Lair, dans les années vingt.
54 La création en 1946 du corps des Architectes des Bâtiments de France viendra préciser cette répartition des tâches.
Désormais le champ patrimonial se sépare entre les inspecteurs des Monuments historiques (expertise, histoire de l’art), les architectes en chef des Monuments historiques (maîtrise d’oeuvre, contrôle, procédures de classement) et les architectes de Bâtiments de France (urbanisme, insertion locale). Sur ce sujet on peut lire l’excellente étude de LAMY Yvon, « Politique patrimoniale et singularité administrative. Les architectes des bâtiments de France », Genèses, 1, 1990, p. 112-130.
55 Sur l’histoire des étapes de l’industrialisation architecturale on renvoie à RAGON Michel, « L’influence des ingénieurs », Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes, II : Naissance de la cité moderne 1900-1940, Paris, Seuil, 1991, p. 200-231.
56 Notamment le cahier des charges générales applicables aux travaux d’architecture du sous-secrétariat d’État aux Beaux-Arts en date du 4 août 1911, le cahier des charges particulières applicables aux travaux des monuments historiques en date du 5 août 1911, le cahier des conditions spéciales applicables aux travaux des monuments historiques en date du 21 janvier 1930.
57 ADSM, 4T241, Albert Chauvel/M. Petit, 14 janvier 1940, termes soulignés par Chauvel.
58 CARMENT-LANFRY Anne-Marie, « La cathédrale de Rouen », Connaître Rouen, fasc. 5, Rouen, Lecerf, 1969, p. 18.
59 ADSM, 4T239, maire de Rouen/Paul Franchette, 27 décembre 1937.
60 ABMR, 92N Paul Franchette.
61 Lefort André, Notes et souvenirs (1941-1961), plaquette, Rouen, Lecerf, s. d., p. 18. Cet oubli ne signifie pas pour autant un discrédit de la fonction. Il est significatif à cet égard de voir un Pierre Chirol, archétype, de l’architecte « local », passer (en vain) en 1923 le concours de recrutement des architectes en chef des Monuments historiques.
62 Georgel Chantal, La jeunesse des musées, catalogue de l’exposition du musée d’Orsay, 7 février-8 mai 1994, Paris, Réunion des musées nationaux, 1994.
63 Poulain Martine (dir.), Les bibliothèques au xxe siècle, 1914-1990, t. 4 de Histoire des bibliothèques françaises, Paris, Promodis-Le cercle de la librairie, 1992.
64 ADSM, 4T6, décret du 1er juillet 1897.
65 Ibidem, article 6.
66 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 janvier 1899.
67 ADSM, 4T6, décret du 6 juin 1912.
68 ABMR, registres d’ordres 1924-1931 et comité d’inspection et d’achat de livres.
69 Cf. Barnet G.-K., Histoire des bibliothèques publiques en France de la Révolution à 1939, Paris, Promodis, 1987, p. 310-313. Voir aussi les contributions de DE LASSALLE Marine, « Le rapport local-national dans les politiques de lecture publique » et Tacheau Olivier, « Les concurrences dans les associations et syndicats professionnels de bibliothécaires entre les deux guerres », DUBOIS Vincent et POIRRIER Philippe, Politiques locales et enjeux culturels. Les clochers d’une querelle. XIXe-XXe siècles, Paris, La Documentation française, 1998, p. 109-131 et 175-200.
70 Notamment un rapport le 31 décembre 1922 et une conférence sur « 25 ans de lecture publique à Rouen » en avril 1938.
71 ABMR, casier correspondance-associations, dossier « Syndicat des bibliothécaires nationaux de province ».
72 Henri Labrosse prononce les mêmes conférences à l’Association des bibliothécaires français et à l’Université populaire de Rouen ou à la Société d’études diverses de Sotteville-lès-Rouen.
73 ABMR, rapport sur le service de la bibliothèque municipale de Rouen, 1921-1922.
74 Cf. Poirrier Philippe, Municipalité et culture au XXe siècle : des Beaux-Arts à la politique culturelle. L’intervention de la Municipalité de Dijon dans les domaines artistiques et culturels. (1919-1995), Dijon, université de Bourgogne, 1995, thèse de doctorat d’histoire, dir. Pierre Lévêque, p. 433-448.
75 Seuls deux articles lui sont consacrés, le premier dans Paris-Normandie du 30 janvier 1964, les seconds dans Tout Rouen, 117, février 1969.
76 François Bergot, conservateur général du patrimoine chargé des musées de Rouen et directeur du musée des beauxarts, nous a souvent développé ce point de vue au cours des différents entretiens qu’il nous a toujours aimablement accordés. Cette critique n’est d’ailleurs pas neuve, Pierre Varenne la formulait déjà en 1930 : « Au Musée de Rouen, on chercherait en vain des Othon Friesz, des Pierre Dumont, des Pierre Hodé… » (L’OEuvre, 18 mars 1930).
77 Bergot François, « Musée retrouvé, musée inventé », Connaissance des arts, n° spécial « Musée des beaux-arts de Rouen », 1992, p. 18-29.
78 78. AMBAR, correspondance générale 1930-1931, Fernand Guey/Charles Oulmont (commission des Beaux-Arts du Touring Club de France), 8 mars 1931.
79 À la mort de Raphaël Garreta, directeur du musée départemental des Antiquités de la Seine-Inférieure, le Journal de Rouen soulignera que sa nomination à ce poste en 1925 fut un « hommage mérité rendu à l’érudition profonde et au goût parfait du collectionneur », Journal de Rouen, 22 janvier 1930.
80 ADSM, 4T221, ministre de l’Instruction publique/préfet de la Seine-Inférieure, 25 août 1921.
81 Le décret du 24 juillet 1910 impose une nomination concertée. La municipalité établit une liste classée de candidats et soumet son choix à la Direction des beaux-arts qui l’entérine.
82 82. ADSM, 4T219, Marcel Nicolle/préfet de la Seine-Inférieure, 17 mai 1922.
83 ADSM, 4T219, maire de Rouen/préfet de la Seine-Inférieure, 3 juin 1922.
84 ADSM, 4T219, maire de Rouen/préfet de la Seine-Inférieure, 21 juillet 1922 : « Je me permets de vous rappeler le désir de la municipalité et des commissions compétentes de voir votre choix se porter sur la personnalité qui vous a été présentée en première ligne (M. Le Meilleur). »
85 AMBAR, correspondance 1921-1924, Paul Vitry/Fernand Guey, 31 mars 1922 : « Mon cher ami/L’éventualité que nous envisagions l’autre jour du musée de Rouen se précise. L’un de mes collègues du Louvre a reçu avis de la vacance du poste pour juin (8 500 francs et logement). On leur demande des candidats. Votre nom est le seul qui ait été mis en avant (par moi) dans une petite réunion comme hier. »
86 Nous devons cette précision capitale à l’amitié de Mme Chantal Georgel. Nous renvoyons ici à la publication des actes de la journée d’études consacrée à l’histoire des musées de province, VADELORGE Loïc (textes réunis par), Les Musées de province dans leur environnement. Cahiers du GRHIS, Sociabilité, Culture et Patrimoine, 4, 1996.
87 La Dépêche de Normandie, 20 octobre 1923.
88 La Dépêche de Normandie, 29 juillet 1925.
89 Journal de Rouen, 11 mai 1926.
90 AN, F21-4734.
91 On ne trouve par contre aucune mention des courants novateurs de l’avant-guerre (fauves, cubistes, abstraits).
Fernand Guey semble bien s’être tenu à l’écart des avant-gardes de son temps.
92 L’expression est de Pierre Varenne, L’OEuvre, 18 mars 1930. Varenne ajoute : « Monsieur Guey ne voie pas rouge quand il voit Blanche… ce n’est plus un peintre, c’est une invasion. »
93 AMBAR, grâce à l’entregent de Jean Guiffrey, dossier « Jeanne d’Arc et ses compagnons », Jean Guiffrey/Fernand Guey, 9 avril 1931.
94 Pascal Ory consacre des pages précieuses à cette question dans La Belle Illusion, Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, Paris, Plon, 1994, p. 253-267.
95 Gonse Louis, Les chefs-d’oeuvre des Musées de France, Paris, Société d’édition d’art, 1900, t. 1, préface, p. 6. Notons au passage que l’éventuelle filiation entre le titre de ce livre et celui de l’exposition « Les chefs-d’oeuvre de l’art français » présentée au Palais de Tokyo en 1937.
96 Les chroniques seront réunies en volume en 1949, LECUYER Raymond, Regards sur les musées de province, Paris, Cie des arts photomécaniques, 1949.
97 Chiffres donnés par Robiquet Jean, « Les musées de province et l’Association des conservateurs de France », Les stations françaises, 7, juillet-août 1935, p. 19 et dans AMBAR, correspondance générale, 1930-1931, Fernand Guey/Charles Oulmont, 17 février 1931.
98 Le duc de Trévise le rapporte dans un article du Figaro, 6 juillet 1927 : « Avant la fin de la guerre, il eut le premier l’idée de grouper les conservateurs de province… » Le propos est confirmé par Robiquet Jean, « Les musées de province et l’Association des conservateurs de France », op. cit., p. 19.
99 AMBAR, correspondance générale, 1930-1931, Fernand Guey/Charles Oulmont, 17 février 1931.
100 Robiquet Jean, « Les musées de province et l’Association des conservateurs de France », op. cit., p. 19.
101 AMBAR, copie de lettres, Fernand Guey/Raymond Regaurey, 29 décembre 1923.
102 AMBAR, correspondance générale, 1928-1929, Fernand Guey/M. Balher, 6 février 1928.
103 AMBAR, correspondance générale, 1930-1931, Fernand Guey/IICI, 12 juillet 1930.
104 AMBAR, correspondance générale, 1930-1931, Cahiers de la République des lettres, sciences et arts/Fernand Guey, 15 janvier 1930.
105 AMBAR, correspondance générale, 1930-1931, Fernand Guey/Cahiers de la République des lettres, 22 janvier 1930.
106 Pour une perspective comparatiste, cf. VADELORGE Loïc, « Musées, professionnalisation et élus locaux ; L’entre-deux-guerres : une professionnalisation incertaine », POIRRIER Philippe (dir.), Les collectivités locales et la culture. Les formes de l’institutionnalisation, XIXe-XXe s., Paris, Comité d’histoire du ministère de la Culture, 2002, p. 253-284.
107 ORY Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, Paris, Plon, 1994.
108 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 22 mars 1889.
109 Sur les 311 pièces dérobées, 112 sont rachetées par la Ville au début des années quatre-vingt-dix.
110 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 3 juin 1892.
111 Ministre de l’Instruction publique/maire de Rouen, 22 janvier 1890, cité dans AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 3 juin 1892.
112 Ibidem.
113 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 29 mai 1925.
114 AMBAR, copies de lettres, Fernand Guey/Georges Sortais, 10 février 1924.
115 AMBAR, copies de lettres, Fernand Guey/Georges Sortais, 3 juillet 1923 : « On a déjà maintes fois tenté de faire reverser par le musée de Rouen cette oeuvre aux collections du Louvre et il est à craindre que si on provoque une enquête, elle ne tourne malgré tout au détriment des collections rouennaises. »
116 AMBAR, copies de lettres, Fernand Guey/M. de Chataigneux, 28 février 1925.
117 Cf. ADSM, 4T221.
118 AMBAR, Inv. 803.4 et musée des beaux-arts de Rouen, Guide des collections xvie-xviie siècle, Rouen, RMN musée des beaux-arts, 1992, p. 42-44.
119 ADSM, 4T220, note de conversation téléphonique du préfet de la Seine-Inférieure, 7 novembre 1935. Souligné par le préfet.
120 Ory Pascal, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire 1935-1938, op. cit., p. 259.
121 La Dépêche de Normandie, 5 août 1937.
122 AMR, 2R5, Exposition d’art hollandais, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 30 juillet 1937 et La Dépêche de Normandie, 6 août 1937 ainsi que le Journal de Rouen du 6 août 1937.
123 AN, F21-4915, préfet de la Seine-Inférieure/ministre de l’Éducation nationale, 16 janvier 1939.
124 AN, F21-4915, Georges Métayer/Jean Zay, 29 décembre 1936.
125 Sa dernière lettre date du 7 juin 1937.
126 Dans les domaines lyriques et dramatiques spécialement mais aussi pour les questions relatives à l’enseignement artistique et les musées.
127 Pour une perspective nationale cf. Musées et collections publiques, 210, 1996, n° spécial « Musées en guerre ».
128 AMBAR, évacuations 1936-1942.
129 Cf. Duroselle Jean-Baptiste, Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, Paris, Dalloz, 1990, p. 194-197.
130 AMBAR, évacuations 1936-1942, Fernand Guey/maire de Rouen, 4 avril 1936.
131 Nobecourt René-Gustave, Rouen désolée, op. cit., p. 34.
132 AMBAR, évacuations 1936-1942, ministre de l’Éducation nationale/préfet de la Seine-Inférieure, 9 mars 1939.
133 AMBAR, évacuations 1936-1942, Fernand Guey/directeur des Beaux-Arts, 12 octobre 1939.
134 AMBAR, dons et legs, donation Barbet, rapport de Fernand Guey, s. d., 1949.
135 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 31 mai 1927, intervention de Burel.
136 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 22 janvier 1875, intervention de Frédéric Deschamps.
137 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 13 février 1891.
138 La meilleure présentation du décor du théâtre des arts a été faite par GOUBAULT Christian, La musique, les acteurs et le public au Théâtre des arts de Rouen 1776-1914, op. cit., p. 28-31. Nous ne pouvons que le suivre ici.
139 On citerait volontiers les pages où Madame Bovary découvre la salle du Théâtre des arts de Rouen… si elles ne concernaient le premier Théâtre des arts détruit en 1876. Il est clair cependant que les édiles de 1882 ont essayé de reproduire un certain nombre d’effets visuels dans le second théâtre.
140 Les dates entre parenthèses renvoient aux dates de naissance des artistes tous nés à Rouen à l’exception de Louis Bouilhet, né à Cany Barville, mais mort à Rouen en 1869 après avoir été bibliothécaire de la ville.
141 Cf. Rose Cécile, Le théâtre lyrique en Normandie entre les deux guerres : 1918-1939, thèse de doctorat de musicologie, université Paris IV-Sorbonne, 1989, t. 1, multigr., p. 334. L’auteur donne pour l’entre-deux-guerres les chiffres suivants : Opéra de Paris : 2200 places, Gaîté lyrique : 2000 places, Opéra comique : 1 500 places, Trianon lyrique : 1 245 places et, à titre de comparaison, Grand Théâtre du Havre : 1 434 places, Grand Théâtre de Cherbourg : 1 100 places, Grand Théâtre de Caen : 926 places.
142 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 28 janvier, 30 mars, 30 avril, 30 juillet, 27 août et 26 novembre 1931.
143 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, 1919-1940.
144 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 22 décembre 1925.
145 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 31 janvier 1914, intervention de Morel : « Tout le monde s’accorde à reconnaître que le mobilier du Théâtre est en mauvais état. Il y a notamment des sièges qui sont bien malades et des fauteuils bien déchirés. »
146 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 9 mai 1919.
147 Masselon et Malaussena (1919-1921), Malaussena (1921-1922), Chabance (1922-1925), de Loose (1925-1929), Campocasso (1929-1933 et 1934-1936), Bonnemoy (1933-1934), Douai et Bresson (1936-1938), Romette et Dubos (1938-1939). Cf. GEISPITZ Henri, Histoire du Théâtre des arts, t. 2 : 1913-1940, Rouen, Lecerf, 1951.
148 GOUBAULT Christian, La musique, les acteurs et le public au Théâtre des arts de Rouen 1776-1914, op. cit., p. 50.
149 Symboliquement une loge est réservée au maire sur le plan des places du Théâtre.
150 Le terme de création est ambigu ; il désigne à la fois des créations nationales dans le cadre de la décentralisation théâtrale et aussi des créations rouennaises de pièces inédites ou non montées depuis plusieurs années.
151 AMR, bulletin municipal, juillet-août 1925.
152 L’inflation des représentants date de 1909 c’est-à-dire à l’époque où les débuts des artistes furent supprimés ; les débuts des artistes représentaient une sorte de cérémonie d’admission par le public. En fait, la dite cérémonie tournait le plus souvent au lynchage lyrique. Rouen était à la pointe de cette coutume spécifique des villes de province. Devant le scandale permanent les « débuts » furent supprimés en 1909 mais la nostalgie s’en perpétua jusqu’à l’entre-deux-guerres au sein d’une partie du public du Théâtre des arts. Cf. GOUBAULT Christian, La musique, les acteurs et le public au Théâtre des arts de Rouen, 1776-1914, op. cit., p. 35-41.
153 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 25 juillet 1929.
154 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 janvier 1922.
155 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 3 février 1927.
156 Daniel Sherman note que la période 1860-1880 est celle de la construction des grands musées comme le Palais de Longchamp à Marseille (1869) ou le Muséum de Bordeaux (1881). Il fait mention par ailleurs d’un projet avorté de musée-bibliothèque bordelais en 1863. Cf. Worthy monuments. Art museums and the politics of culture in Nineteenth century France, Harvard University Press, Londres, 1989, p. 169.
157 Selon Raymond Labourie, les premières bibliothèques scolaires en France datent de 1862 et les bibliothèques populaires de 1874. Cf. Les institutions socioculturelles ; les mots clés, Paris, Presses universitaires de France, 1978, p. 82.
D’après la récente Histoire des bibliothèques françaises la bibliothèque municipale de Rouen est contemporaine de celles de Bordeaux, Limoges et Toulon mais son taux de croissance est inférieur dès le XIXe siècle à celui des autres bibliothèques provinciales. Si le fonds rouennais pouvait en effet être considéré comme le troisième de province, derrière ceux de Bordeaux et Lyon en 1857, Rouen n’arrive qu’au neuvième rang en 1907. Cf. VARRY Dominique (dir.), Les bibliothèques de la Révolution et du XIXe siècle, t. 3 de Histoire des bibliothèques françaises, Paris, Promodis-
Le cercle de la librairie, 1991, p. 442-443. Catherine CHEVILLOT pour sa part recense 31 constructions de musées en France de 1870 à 1911 dont 24 avant 1900. Cf. GEORGEL Chantal, La jeunesse des musées, catalogue de l’exposition du musée d’Orsay, 7 février-8 mai 1994, Paris, Réunion des musées nationaux, 1994, p. 136-137.
158 AMR, 4M1, Louis Dubreuil/Paul Baudouin, 22 octobre 1927 et registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 31 août 1927 et 30 janvier 1939, Paul Baudouin peut être considéré comme le décorateur officiel de la cité sous la IIIe République. Il réalise en effet des fresques pour le Théâtre des arts (1886), la bibliothèque d’étude (1895), l’hôtel de ville (1896), le collège de Joyeuse (1900), le passage de la Cour des comptes (1904) et la Bourse du travail (1908).
159 ABMR, registre d’ordres 1924-1931, et Réveil normand, 20 juin 1924, à propos de la fresque Le Signe.
160 SPALIKOWSKI Edmond, Ame et aspects de Rouen, op. cit., p. 55. On aura noté le pastiche de Correspondances des Fleurs du mal.
161 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 26 juillet 1934.
162 Journal de Rouen, 20 juin 1922, article de Fernand Guey.
163 Ce sont ses propres mots prononcés lors de l’inauguration le 14 juillet 1929. Cf. AMBAR, dossier « Correspondance, 1929-1931 », discours manuscrit.
164 Les dates entre parenthèses indiquent l’entrée et la sortie de la bibliothèque municipale.
165 ADSM, 4T221.
166 ADSM, 4T221, rapport de la commission des Beaux-Arts, 17 octobre 1921.
167 Sur Georges Dubosc, VADELORGE Loïc, « Culture patrimoniale et commémoration. L’exemple de Georges Dubosc », Études normandes, 3, 1992, p. 51-72.
168 Journal de Rouen, 19 mars 1922, Georges Dubosc, « Par-ci, par-là : À propos du musée de peinture ».
169 On trouve cependant trace d’une lettre de protestation en 1938.
170 Journal de Rouen, 17 novembre 1922.
171 La Dépêche de Normandie, 16 novembre 1922.
172 ABMR, règlement de la bibliothèque municipale de Rouen, arrêté municipal du 25 septembre 1925, article 909.
Il s’agit de la reproduction partielle de l’article 14 du règlement de 1899.
173 ABMR, rapport annuel de 1926-1927 et réponse au questionnaire lancé par l’Association des bibliothèques françaises en 1927.
174 Le projet Guiffrey a disparu dans l’incendie de l’hôtel de ville en décembre 1926. Il est mentionné dans un discours prononcé au musée des beaux-arts de Rouen en 1929. Cf. AMBAR, dossier « Correspondance générale, 1929 », s. d.
175 Journal de Rouen, 19 octobre 1922.
176 AMBAR, dossier « Correspondance générale, 1929 », rapport de Fernand Guey, s. d.
177 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 16 janvier 1925, 31 août 1931,
21 décembre 1932, 28 juillet 1932, 29 décembre 1933.
178 On ne peut que suivre ici les conclusions de Noë Richter, même si l’action d’Henri Labrosse en faveur de la lecture publique, tempère le propos. Cf. RICHTER Noë, Introduction à l’histoire de la lecture publique et à la bibliothéconomie populaire, Bernay, L’enseigne de la Queue du chat, 1995.
179 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 31 mai 1934. Cette collection de petits volumes est vendue 25 000 francs à la ville par Pierre Le Verdier, vice-président du conseil général et président de la Société de l’histoire de Normandie.
180 REGNIER Robert, La nouvelle salle de botanique du muséum de Rouen et les enseignements qui en découlent, Rouen, Lecerf, 1934, p. 5.
181 Cf. BEAUVALET Franck, Les trois principaux jardins publics à Rouen aux XIXe-XXe siècles, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Jean-Pierre Chaline, université de Rouen, 1991.
182 Cf. MAIRE Isabelle, École préparatoire à l’enseignement supérieur des sciences et des lettres de Rouen : 1855-1945, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Marcel Boivin, université de Rouen, 1983.
183 Cette dernière fonctionnera jusqu’en 1970. Cf. Horticulteurs et jardins normands, supplément à Jardins de France, octobre-décembre 1970, p. 4-5.
184 REGNIER Robert, « Le muséum de Rouen », La Terre de la Vie, janvier 1933, p. 16.
185 MAIRE Isabelle, École préparatoire à l’enseignement supérieur des sciences et des lettres de Rouen : 1855-1945, op. cit., annexes
186 Cf. CANTOR Maryline, Pouchet, savant et vulgarisateur. Musée et fécondité, Nice, Z’éditions, 1994.
187 Né à Rouen en 1866, Charles Nicolle dirigea l’institut de Tunis de 1903 à sa mort en 1936. Ses recherches ont porté sur la fièvre de Malte et le typhus dont il a mis en évidence le mode de transmission à l’homme.
188 Pour plus de précisions nous renvoyons à l’excellente présentation qu’en fait FOURAY Monique, Le 150e anniversaire du muséum de Rouen, Rouen, Ateliers de la Ville de Rouen, 1978.
189 Nous suivons ici la notice nécrologique publiée dans Horticulteurs et jardins normands, op. cit.
190 La Dépêche de Rouen, 17 juin 1933 (Interview).
191 REGNIER Robert, « L’évolution de la muséologie », op. cit., p. IV.
192 BARNES Julian, Flaubert’s parrot, Londres, Picador, 1984. Trad. fr. : Le Perroquet de Flaubert, Paris, Stock, 1986.
193 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 26 mai 1930.
194 La Dépêche de Normandie, 30 octobre 1928.
195 Actes du muséum d’histoire naturelle de Rouen, 2e série, t. 2, 1929, p. 24.
196 AMR, 4M1, rapport de Robert Régnier, du 9 mars 1933.
197 La Dépêche de Rouen, 30 octobre 1928.
198 ADSM, 4T223, rapport du directeur du musée départemental des Antiquités au préfet de la Seine-Inférieure, s. d., 1935.
199 La Dépêche de Rouen, 30 juillet 1932, « Le musée d’antiquités s’agrandira-t-il ? ».
200 La Dépêche de Rouen, 1er septembre 1925.
201 Paris-Normandie, 9 juin 1988. Article signé G.B, « Le muséum : un centenaire qui attend un dépoussiérage ». À l’heure où nous rédigeons ces lignes, le transfert du Muséum sur la rive gauche, annoncé comme l’un des grands projets culturels de la décennie (1990-2000) est toujours en attente. Depuis 1995, pour des raisons de sécurité, cet établissement vieux de 150 ans est fermé au public.
202 AMR, 1R7, notice rédigée par le directeur de l’école municipale des beaux-arts de Rouen en 1858, à l’intention du préfet de la Seine-Inférieure, 29 novembre 1858. Sur l’école de dessin de Descamps, on lira avec profit l’étude de COURAGE Marie-Thérèse, « Le “Bon Goût” à Rouen au XVIIIe siècle : Les collections du peintre Jean-Baptiste Descamps », Études normandes, 4, 1988, p. 51-67.
203 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 15 juillet 1881 et du 21 avril 1882.
204 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 15 juillet 1881.
205 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 5 août 1881.
206 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 18 mars 1904.
207 Le dispositif est identique à Bordeaux et à Lille, qui ont également accepté la réforme de l’enseignement de Beaux-Arts et de l’architecture.
208 AMR, 4M1, École régionale des beaux-arts et d’architecture, travaux 1923-1940. Cf. aussi registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séances du 27 juin 1930, 30 juillet 1930, 28 octobre 1931, 11 juillet 1935.
209 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 20 octobre 1938.
210 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 18 mars 1904.
211 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 18 mars 1904.
212 Ibidem.
213 C’est ainsi le cas du prix Rougevin dont l’article 42 exclut les candidats provinciaux.
214 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 27 février 1920.
215 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 19 mars 1920.
216 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 28 mai 1942.
217 Annuaire général de Rouen, 1924.
218 Cf. ANONYME (BRUNON Raoul), Musée d’histoire de la médecine. Catalogue, Rouen, Imprimerie Girieud, 1921, 2e éd.
219 AMR, registre de délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 14 décembre 1921.
220 Il s’agit d’un manoir de famille, acheté par le père de Pierre et Thomas Corneille en 1608 et habité par les deux poètes et dramaturges normands. Le département de la Seine-Inférieure en fit l’acquisition en 1874.
221 CHALINE Jean-Pierre, « Les fêtes du millénaire de la Normandie, Rouen 1911 », Études normandes, 3, 1989, p. 49-68.
222 VAUDOUR Catherine, Musée Le Secq des Tournelles. Rouen. Guide du visiteur, Rouen, Imprimerie municipale, 1978, p. 32. Le musée regroupe dans l’entre-deux-guerres 12000 pièces de fer forgé.
223 ADSM, 4T228, maire de Rouen/préfet de la Seine-Inférieure, 20 janvier 1942.
224 AMBAR, dossier « Musée d’Art normand », arrêté du maire de Rouen du 8 juillet 1920.
225 AN, F21/4915, maire de Rouen/directeur général des Beaux-Arts, 19 décembre 1933.
226 AMBAR, dossier « Musée d’Art normand », lettre circulaire aux membres du comité du millénaire de la Normandie, s. d., 1912.
227 AMBAR, dossier « Duchamp Villon », Henri Paulme/Jacques Crépet, 15 février 1912.
228 AMBAR, dossier « Musée d’Art normand », président de la Société des amis des monuments rouennais/maire de Rouen, 29 octobre 1922.
229 AMBAR, dossier « Musée d’Art normand », procès-verbal de la réunion du comité consultatif le 24 mars 1915.
230 Pour l’historique de cette question on ne peut que renvoyer à l’article de Georges DUBOSC, paru dans le Journal de Rouen le 9 octobre 1905.
231 AN, F21-4610, J. Schmidt/Direction des beaux-arts, 3 décembre 1921. Cf. également AMR, « Conservatoire de musique de Rouen », rapport de Jules Schmidt sur la réorganisation de l’école de musique, s. d., 1921.
232 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 24 février 1922. Réponse à une question posée par le conseiller Mézaize.
233 Rouen-Gazette, 16 décembre 1931.
234 Ibidem.
235 À la rentrée 1937 le Conservatoire de musique de Rouen proposera des cours de solfège, harmonie, contrepoint, fugue, orchestration, orgue, chant, alto, violon, violoncelle, contrebasse, plus tous les instruments à vent. D’autres cours (orchestre, musique de chambre, histoire de la musique, déclamation) seront créés avant la guerre.
236 Journal de Rouen, 27 octobre 1937.
237 Sur l’histoire complexe de la Musique municipale de Rouen, cf. HAMES Michel, Orchestre d’harmonie de Rouen.
Petit historique de la Musique municipale de Rouen, Rouen, s. d., ms., 1994.
238 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 8 novembre 1937, rapport de Gaston Péona.
239 On comparera la délibération précédente (8 novembre 1937) avec celle de 1945, pour mesurer le chemin parcouru.
L’adjoint aux Beaux-Arts, René Millot, déclarait alors : « La situation faite à cet enseignement laisse grandement à désirer en notre ville. De toute évidence, la création d’un organisme officiel et dont les études seront sanctionnées par des examens rigoureux s’impose. Cet établissement, cela va de soi, devra être de constitution démocratique. Il sera accessible à toutes les classes de la population » (AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 avril 1945).
240 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, W18, dossier « Bibliothèques/Sociétés musicales », affiche, s. d., 1921.
241 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre de délibérations du conseil municipal de Notre-Dame-de-Bondeville, séances du 21 août 1906, 29 août 1907, 20 février 1908, 13 juin 1929, 6 mars 1930, 12 février 1931.
242 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre de délibérations du conseil municipal de Notre-Dame-de-Bondeville, séance du 23 novembre 1933.
243 Archives municipales de Notre-Dame-de-Bondeville, registre de délibérations du conseil municipal de Notre-Dame-de-Bondeville, séance du 4 octobre 1919.
244 Cité par GERMAIN Fanny, Municipalité et associations : acteurs de la vie culturelle d’Oissel. 1900-1981. Rouen, mémoire de maîtrise, dir. Olivier Dumoulin et de Loïc Vadelorge, université de Rouen, 1999, p. 41.
245 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal de Sotteville-lès-Rouen, séances du 2 juin 1891, 28 octobre 1892, 8 novembre 1892, 30 novembre 1892.
246 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal de Sotteville-lès-Rouen, séance du 2 novembre 1900.
247 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal de Sotteville-lès-Rouen, séance du 27 janvier 1899.
248 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal de Sotteville-lès-Rouen, séance du 28 novembre 1901.
249 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal de Sotteville-lès-Rouen, séance du 17 mars 1933.
250 Archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, registre de délibérations du conseil municipal de Sotteville-lès-Rouen, séance du 24 août 1888.
251 LAURENT Jeanne, Arts et pouvoirs en France de 1793 à 1981, histoire d’une démission artistique, Saint-Étienne, CIEREC, 1983.
252 Législatives (1919, 1924, 1928, 1932, 1936), cantonales (1919, 1922, 1925, 1928, 1931, 1934, 1937) et municipales (1919, 1925, 1929, 1935) sans compter les partielles (municipales d’octobre 1922, février 1926, avril 1928, novembre 1935).
253 On sait la richesse de cette piste classique de l’histoire politique de la IIIe République. Cf. RÉMOND René, « Les élections », RÉMOND René (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Seuil, coll. « L’Univers historique », 1988, p. 33-48.
254 Voir sur ce point les propositions théoriques de DUBOIS Vincent, La culture comme catégorie d’intervention publique.
Genèses et mises en forme d’une politique, Lyon, université Lumière-Lyon II, thèse de sciences politiques, 1994 et l’étude de cas de POIRRIER Philippe, Municipalité et culture au XXe siècle : des Beaux-Arts à la politique culturelle.
L’intervention de la Municipalité de Dijon dans les domaines artistiques et culturels (1919-1995), Dijon, université de Bourgogne, 1995, thèse de doctorat d’histoire, dir. Pierre Lévêque.
255 L’analyse de presse doit prendre en compte l’évolution doctrinale des deux grands quotidiens rouennais. Ainsi le Journal de Rouen, initialement soutien de la Fédération républicaine et des listes d’union nationale (Action nationale républicaine, Union nationale républicaine) se rapproche du centre-droit et des démocrates chrétiens à partir du cartel des gauches. Il publie à compter de cette date les programmes des républicains de gauche (Alliance républicaine démocrate) et des démocrates chrétiens (parti démocrate populaire, Union pour la paix religieuse).
Parallèlement La Dépêche de Normandie qui soutenait le Bloc national en 1919, soutient les seuls républicains de gauche en 1924 avant de devenir l’organe exclusif des radicaux et radicaux-socialistes (1928) puis de soutenir le Rassemblement populaire. Évolution à gauche donc des deux quotidiens rouennais, calquée sur l’évolution politique locale.
256 Citons pour les partis de droite Le réveil normand, organe de la Fédération des républicains rénovateurs qui né au Havre en 1920, dispose d’une édition rouennaise de 1924 à 1929. Pour le parti communiste, Le communiste du Nord-Ouest (1921-1926), Le prolétaire normand (1926-1937) et L’avenir normand (1937-1939). La SFIO ne dispose pas d’organe de presse à Rouen.
257 Même si libéralisme ne signifie pas « absence de politique culturelle ». Cf. ORY Pascal, « Politiques culturelles avant la lettre : trois lignes françaises de la Révolution au Front populaire », MOULIN Raymonde (dir.), Sociologie de l’art, actes du colloque international de Marseille 1985, Paris, La Documentation française, 1986, p. 23-30.
258 Journal de Rouen, 21 avril 1936.
259 La Dépêche de Normandie, 26 avril 1924.
260 Profession de foi des candidats de la liste d’Union nationale républicaine et démocratique pour les élections législatives du 16 novembre 1919, cité par BRAUNSTEIN Jean, La droite en Seine inférieure de 1919 à 1939, mémoire de maîtrise, sans dir., université de Rouen, 1974, annexe n° 1.
261 Journal de Rouen, 17 octobre 1922.
262 Journal de Rouen, 19 octobre 1922.
263 Cf. ADSM, J731. Le tract ignore non seulement les Beaux-Arts mais aussi les fêtes, le sport et le patrimoine.
264 ADSM, J731, tract de la Liste républicaine d’union nationale et de défense des intérêts municipaux, 11 lignes sur la culture, au sens large, sur 64 lignes du programme.
265 Journal de Rouen, 21 avril 1925.
266 La Dépêche de Normandie, 21 avril 1935.
267 ADSM, JPL 514, Le Démocrate de Normandie, mai 1935.
268 Journal de Rouen, 2 mai 1925.
269 On pense ici aux fameux impôts sur les portes et fenêtres.
270 URFALINO Philippe, « La municipalisation de la culture », CHAZEL François (dir.), Pratiques culturelles et politiques de la culture, Bordeaux, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 1990, p. 60.
271 Cf. POIRRIER Philippe, RAB Sylvie, RENEAU Serge et VADELORGE Loïc (dir.), Jalons pour l’histoire des politiques culturelles locales, Paris, Comité d’histoire du ministère de la Culture/La Documentation française, 1995, p. 22-23.
272 EUDE Robert, « Les maires de Rouen (1800-1950) », Bulletin de la Société libre d’émulation, du commerce et de l’industrie de la Seine-Inférieure, 1947-1948, p. 147-249.
273 Les renseignements biographiques qui suivent sont tirés du dépouillement des sources biographiques disponibles.
Les archives municipales de Rouen conservent deux types de dossiers sur les élus locaux (maires, adjoints,
conseillers). Des dossiers biographiques tout d’abord, mentionnant pour chaque élu des éléments proprement biographiques (date et lieu de naissance, formation, diplômes, profession, décorations) et des renseignements, fournis en général par l’intéressé lui-même, sur son investissement associatif (participation à des sociétés locales ou nationales, responsabilités et mandats exercés au sein de ces sociétés). Des dossiers administratifs ensuite, retraçant la participation de l’élu aux différentes commissions municipales, ainsi que les principaux dossiers étudiés.
On peut compléter ces sources, parfois lacunaires, par des dossiers de presse, composés au gré des archivistes ou des bibliothécaires, et déposés aux archives municipales et à la bibliothèque municipale de Rouen (dossiers normands, 92N) et par l’utilisation du Dictionnaire biographique, industriel et commercial de la Seine-Inférieure, Rouen, Allain et Fils, 1929.
274 AMR, dossier individuel de Louis Dubreuil. Louis Dubreuil ne disposait que d’un simple baccalauréat, cas unique pour un maire dans l’entre-deux-guerres rouennais.
275 Élu en mai 1935, Eugène Richard décédera brutalement en septembre 1935. À l’issue d’une élection partielle en octobre, Georges Métayer, initialement en désaccord avec le parti radical, notamment on le verra sur la question du Rassemblement populaire, sera réélu et désigné maire de Rouen.
276 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 18 mai 1935.
277 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 10 décembre 1919.
278 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 9 novembre 1922.
279 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 17 mai 1929.
280 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 18 mai 1935.
281 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 18 mai 1935.
282 POIRRIER Philippe, « Politique culturelle et municipalité : Un discours explicite ? L’exemple de Dijon (1919-1989) », op. cit., p. 15. Cf. aussi RITAINE Evelyne, Les stratèges de la culture, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1983.
283 Les études des politiques culturelles municipales du temps présent ont bien mis l’accent sur l’ambivalence de la prise en compte des revendications de la société civile. Certaines municipalités, généralement de gauche, ont mis en place dans les années 1970-1980 des structures de concertation, d’échanges entre services culturels municipaux et société civile. Ce désir de participation, pour contemporain qu’il soit de l’explosion de l’animation culturelle (années 1960-1970), a des racines plus anciennes. Cf. COLLIN Michel, « L’émergence d’un nouveau discours sur la culture, à travers l’évolution d’une municipalité de gauche dans la décennie 80 » (Le Mans, des préceptes originels aux certitudes nouvelles »), Jalons pour l’histoire des politiques culturelles locales, op. cit., p. 181-204.
284 SHERMAN Daniel J., Worthy monuments : Art museums and the politics of culture in nineteenth-century France, Harvard University Press, Cambridge Massachusetts, Londres, 1989, p. 166-167.
285 Christian GOUBAULT définit la claque comme « une bande de tout jeunes gens qui créent des incidents dont certains tournent au vaudeville » lors des représentations du Théâtre des arts. Jusqu’à la Belle Époque le public joue ainsi un rôle déterminant dans le succès des pièces mais aussi dans le recrutement de la troupe, chaque artiste devant effectuer des « débuts », sanctionnés par la claque. Cf. GOUBAULT Christian, La musique, les acteurs et le public au Théâtre des arts de Rouen, 1776-1914, Rouen, CRDP, 1979, p. 41.
286 Les archives municipales oublient de signaler sa composition dans l’entre-deux-guerres mais d’autres sources (annuaires, archives internes de la bibliothèque centrale de prêt), évoquent sa grande activité.
287 Arrêté municipal du 31 janvier 1921.
288 Arrêté municipal du 3 juillet 1925.
289 Arrêté municipal du 30 décembre 1929.
290 AMR, registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, séance du 23 décembre 1932.
291 AMR, bulletin municipal, septembre-octobre 1935. Sur les 55 membres que comptait la commission des fêtes, 20 étaient des conseillers municipaux et 25 issus de la société civile (président de la Fédération des comités de quartier, président du Syndicat d’initiative, président du cercle Boieldieu, directeur de l’Harmonie municipale, directeur de l’École régionale des beaux-arts, régisseur du matériel du Théâtre des arts…). Sur les 35 membres de la commission du Théâtre des arts, 17 étaient issus de la société civile. Sur les 16 membres de la commission des inscriptions rouennaises, 12 étaient issus de la société civile. Sur les 30 membres de la commission des Beaux-Arts, 26 étaient issus de la société civile.
292 FLAUBERT Gustave, OEuvres complètes, II : Correspondance, 1871-1873, Paris, Seuil, 1964, p. 766 sqq.
293 En bons professionnels, ces directeurs ont conservé certains procès-verbaux des commissions qui éclairent l’acquisition de pièces pour leurs établissements.
294 AMBAR, correspondance 1921-1924, Jean Baudouin/Fernand Guey, 16 février 1923.
Table des illustrations
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Légende | Les institutions culturelles rouennaises en 1939. |
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Légende | Le budget ordinaire des Beaux-Arts de Rouen, 1919-1940. |
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Légende | Le budget du musée des beaux-arts de Rouen dans l’entre-deux-guerres. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/10994/img-3.png |
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Légende | Le budget des bibliothèques publiques rouennaises dans l’entre-deux-guerres. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/10994/img-4.png |
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© Presses universitaires de Rennes, 2005