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Rouen sous la IIIe République

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Loïc Vadelorge

Introduction

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Géographique :

France

Texte intégral

« Les historiens ne sont pas des détecteurs inertes…, ils lisent d’un œil neuf les mêmes documents, se fondant sur des questionnaires qui, eux, s’ajustent constamment » (Georges Duby, L’Histoire continue).

1La personnalité d’une ville est faite de la sédimentation des différents regards qu’ont posés sur elle ses écrivains, ses artistes ou ses historiens. Ces « représentations » finissent souvent par constituer un esprit des lieux, une culture urbaine, qu’on propose et qui s’impose aussi bien aux habitants qu’aux observateurs de la cité. Chaque ville semble ainsi disposer de sa propre image, adulée par les uns et rejetée par les autres, mais au bout du compte intemporelle. À l’instar de la tragédie classique, l’unité de lieu et l’unité de temps se conjuguent en effet pour former un objet lisse et hermétique à toute mise en perspective historique : la culture.

  • 1 Siegfried André, Tableau politique de la France de l’Ouest, Paris, 1913, p. 271.
  • 2 Ibidem, p. 264.
  • 3 Siegfried André, « Psychologie du Normand », Études normandes, 49, 1955, p. 235-239.

2Rouen, plus que toute autre ville sans doute, semble correspondre à ce cliché. Les multiples descriptions de la ville attestent en effet de l’existence d’une mentalité locale, sur laquelle l’analyse scientifique bute et ricoche en dernière analyse. En 1913 déjà, dans son magistral Tableau politique de la France de l’Ouest sous la IIIe République, André Siegfried indiquait : « Ce qui fait surtout la portée considérable de l’influence rouennaise c’est une raison d’ordre psychologique et sociale1. » Cet esprit de terroir qui, selon lui, caractérise la Normandie, est hypertrophié à Rouen : « Le Havre, excentrique et tourné vers la mer, demeure étranger à son propre pays, Rouen, centre et expression de toute la Haute Normandie terrienne, tient au contraire à son milieu par des fibres multiples2. » Cette intuition, Siegfried la développe un demi-siècle plus tard, dans un petit article de la jeune revue Études normandes au titre révélateur : « Psychologie du Normand ». Il y glisse quelques-unes des affirmations qui appartiennent aujourd’hui au sens commun : « le Normand a horreur des abstractions », il a « le sens de la durée et aime la valeur du temps », « n’aime pas l’administration », ni « beaucoup choisir… parce que le choix est une limitation3 ».

  • 4 Maurois André, Rouen, Paris, Gallimard, 1929, p. 43-46

3On retrouve cette mise en avant d’un tempérament local exacerbé, dans l’essai qu’André Maurois consacre à Rouen à la fin des années vingt. L’écrivain elbeuvien y plagie ouvertement Siegfried, la condescendance et l’humour du provincial parvenu à Paris en plus : « Le Rouennais, Monsieur, est insulaire, il est le plus insulaire des Français […] Le Havre, agité par les vents de l’Océan, fait ses affaires à la manière de New York, Rouen, port intérieur, traite les siennes à la manière de la cité de Londres »… « changer pour un Rouennais est un grand crime »… « et puis, si différents que soient leurs idées, il y a toujours entre Rouennais, un lien qui est l’orgueil d’être Rouennais4 ».

  • 5 Poulot Dominique (dir.), L’esprit des lieux. Le patrimoine et la cité, Grenoble, Presses universit (...)
  • 6 Cf. Saunier Pierre-Yves, L’esprit lyonnais xixe-xxe siècle. Genèse d’une représentation sociale, P (...)

4Mais cette satire est aussi une tautologie. Qu’apprend-t-on en effet sur la ville en relisant Maurois, sinon que l’esprit de clocher y est particulièrement développé? Pour peu qu’on s’y intéresse cependant, et pour peu surtout qu’on franchisse l’horizon local, on fait quasiment partout le même constat. Les Lyonnais, les Marseillais ou les Bordelais sont eux aussi fiers de leur ville et la considèrent eux aussi comme unique au monde. De fait, on peut affirmer que l’image des villes s’avère à la fois spécifique, c’est-à-dire liée à des configurations locales, et interchangeable parce que produite dans un même contexte historique et par les mêmes groupes sociaux5. C’est dire que la personnalité d’une ville peut et doit s’expliquer historiquement et non uniquement se décrire. Comprendre comment, quand et pourquoi se forge l’image de la ville contemporaine, c’est se donner les moyens d’agir et non de subir un système de représentations. Or, ce système de représentations est d’abord produit par les milieux culturels. Ce sont eux qui forgent les images (peintures, gravures, photographies, films) ou les mots (discours et livres d’histoire et de géographie, guides touristiques) qui présentent la ville. De l’histoire de l’image des villes à l’histoire culturelle urbaine il n’y a qu’un pas, que certains historiens franchissent aujourd’hui6.

  • 7 Cf. Chaline Jean-Pierre, Une élite urbaine au xixe s. : les bourgeois de Rouen, Paris, Presses de (...)
  • 8 Cf. Guillet François, Naissance de la Normandie. Genèse et épanouissement d’une image régionale en (...)

5Et là encore l’exemple de Rouen est intéressant. Le poids voire la pesanteur de la culture locale y fut en effet élevé à la hauteur d’un stéréotype par Flaubert. De Madame Bovary à la Lettre à la municipalité de Rouen de 1872, l’écrivain rouennais brocarde sa ville natale et plus encore les élites qui la gouvernent. Le « bourgeois de Rouen » devient pour longtemps le symbole de la médiocrité d’une classe sociale, mais aussi de l’étroitesse d’esprit du provincialisme. Les historiens ont fait depuis lors justice de ce cliché flaubertien7. La culture d’une ville ne saurait se confondre avec la culture d’une partie de ses habitants, fut-elle économiquement dominante. Cette culture est d’abord le fruit d’une construction historique et – c’est là l’essentiel – d’une construction historique récente. On sait par exemple l’importance des représentations forgées à l’époque romantique, qui popularisent une silhouette médiévale idéale8, que reprendront successivement les générations suivantes. On néglige en revanche l’apport de la IIIe République à cette construction de l’image contemporaine de la cité. L’objet de ce livre sera d’interroger la place de cette période et d’un régime politique qui par sa durée comme par son imprécision institutionnelle, a inauguré un nouveau rapport entre le centre (la nation, l’État) et les périphéries (les départements et surtout les villes). Dans le même temps où l’État tentait de formuler puis d’imposer des normes culturelles, le développement artistique local, apparu à l’époque des Lumières, s’étoffait et transformait durablement les représentations urbaines.

  • 9 Sur ces oppositions, on peut renvoyer au dernier « tableau de Rouen », paru qui insiste sur les co (...)

6Pourtant, même en se limitant au domaine en apparence neutre de la culture, l’image de Rouen n’est pas nette. La ville semble en effet en permanence hésiter entre grandeur et médiocrité, entre l’attachement à la tradition et le désir de se moderniser. Aujourd’hui comme hier, un certain esprit chauvin laisse parfois penser que Rouen, par sa vie musicale ou par la qualité de son patrimoine architectural, est une ville d’exception. Mais dans le même temps les indices d’un esprit étriqué sont patents : projet de transfert de la bibliothèque municipale sans cesse reporté, rénovation d’un Muséum d’histoire naturelle promise depuis cent cinquante ans, faiblesse de diffusion de l’art contemporain, etc. À bien y regarder cette opposition entre grandeur et médiocrité culturelle renvoie à deux histoires parallèles de la ville; l’une met l’accent sur son immobilisme; l’autre sur les mouvements qui la traversent et la travaillent9. La IIIe République forme un observatoire privilégié de cette ambivalence locale.

  • 10 Maurois André, Rouen, op. cit., p. 49. Cf. aussi catalogue de l’exposition Le patrimoine industrie (...)
  • 11 Cf. Chaline Jean-Pierre, « 1800-1914 : Transformations urbaines et mutations économiques », Mollat(...)
  • 12 Aubourg Isabelle, Le port de Rouen 1918-1939, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Alain Leménorel (...)
  • 13 Chaline Jean-Pierre, « D’une guerre à l’autre », Mollat Michel (dir.), Histoire de Rouen, Toulouse (...)

7Une première lecture historique de Rouen la présentera donc comme une ville triplement conservatrice : économiquement, socialement, politiquement. Sous l’angle économique, la ville conforte en effet sous la IIIe République, un tissu industriel et commercial ancien. André Maurois dans son essai sur Rouen pourra encore décrire une économie dominée par « le coton et le port10 ». Durement touchée sous le Second Empire, l’activité cotonnière de Rouen et de sa proche banlieue (vallées du Cailly et du Robec, mais aussi entreprises de la rive gauche) bénéficie d’un regain de croissance dû à la fois à l’effacement de la concurrence alsacienne après le traité de Francfort (1871) et au retour du protectionnisme (1892)11. Le mouvement se prolonge par endroit jusqu’au milieu des années trente, retardant une reconversion industrielle pourtant nécessaire. L’activité portuaire elle-même, un temps menacée par la concurrence havraise, décuple entre 1869 et 1913. La guerre et l’entre-deux-guerres constituent indéniablement l’apogée de cette croissance qui place dès 1915 le port de Rouen en tête des ports français par le tonnage, alors qu’il n’arrivait qu’en cinquième position en 190012. L’économie franco-britannique de guerre n’explique pas tout. Certes le record de 10 millions de tonnes enregistré en 1918 ne sera jamais dépassé au cours de l’entre-deux-guerres. Mais le trafic se maintient néanmoins à un niveau élevé, oscillant entre 8 et 10 millions de tonnes par an jusqu’en 1937. La crise économique des années trente n’entrave pas la croissance des activités portuaires pas plus qu’elle ne freine l’implantation industrielle qui se développe en miroir du port. Aux importations de houilles (69 % du tonnage en 1918) se substituent bientôt les hydrocarbures13.

  • 14 Chirol Pierre, Rouen, 1939, Grenoble-Paris, B. Arthaud, 1946, p. 12.

8À cette stabilité économique est associée une stagnation démographique. Bien sûr, la population de Rouen connaît une croissance entre 1870 et 1940. On passe ainsi de 100000 habitants en 1872 à 123000 en 1936. Mais cette croissance reste limitée au regard de l’évolution nationale, sans commune mesure avec celle des villes équivalentes comme Le Havre ou Bordeaux. Et si une ceinture industrielle se forme autour de la cité, elle laisse encore subsister jusqu’en 1940 des villages à l’expansion modeste; ainsi de Mont-Saint-Aignan et Bihorel au nord, Grand-Couronne, Moulineaux et la Bouille au sud. Ce cadre de verdure pourra encore fasciner l’architecte Pierre Chirol, auteur du dernier portrait de Rouen avant 1940, ville qu’il décrit baignée d’une « harmonie, quasi florentine14 ».

9Cette ville stationnaire démographiquement l’est aussi socialement. De 1800 à 1914 la domination de la bourgeoisie s’établit et se renforce. Une société ternaire (15 % de bourgeois, 30 % de classes moyennes, 55 % d’éléments populaires) compose Rouen et une partie de sa banlieue. Les travaux d’urbanisme menés sous le Second Empire et les débuts de la IIIe République évincent un peu plus les éléments populaires du centre-ville. Certes l’entre-deux-guerres contraindra la bourgeoisie locale à se redéfinir. L’inflation des années vingt met fin aux beaux jours de la rente. Et la bourgeoisie traditionnelle devra partager son pouvoir avec le monde de la boutique et de l’administration en pleine expansion. L’essor des classes moyennes (employés, petits commerçants, fonctionnaires) est sans aucun doute la caractéristique sociale majeure de l’entre-deux-guerres. Mais si les cartes du jeu social sont en partie redistribuées, les rapports sociaux ne le sont pas. Bien avant la Grande Guerre les fortunes rouennaises s’étaient établies autour du négoce et de l’industrie. Sachant diversifier leurs investissements, elles sauront profiter de l’essor du port et des nouvelles activités implantées sur la rive gauche.

  • 15 Siegfried André, Tableau politique de la France de l’Ouest, Paris, 1913, p. 258.
  • 16 Ibidem, p. 259.

10Politiquement cette configuration économique et sociale débouche sur un comportement spécifique. En 1913, André Siegfried présente les Rouennais comme « assez indifférents à la forme des régimes, leur demandant surtout d’assurer l’ordre, un minimum de liberté et la sécurité de ses biens15 » et d’ajouter « le socialisme ne s’est pas implanté; et malgré tout la modération, je dirais la résignation normande, si respectueuse de ce qui est, n’a pas perdu son empire16 ». De sorte que le jeu politique se joue toujours autour d’un centre, qui selon les époques va des héritiers de l’orléanisme au radical-socialisme. De fait, si le ralliement de la ville et de son agglomération au régime républicain ne fait aucun doute en 1870, ce sont les personnalités les plus modérées qui s’imposent lors des élections municipales ou législatives à Rouen. Et l’on pourrait égrener la liste qui va d’Étienne Nétien (maire de Rouen de 1870 à 1876) au radical Georges Métayer (maire de 1929 à 1940) en passant par Auguste Leblond (maire de 1902 à 1914). En banlieue, de véritables fiefs électoraux se constituent, au bénéfice de notables qui traversent le régime, en dépit de ses remous. Citons : Edouard Turgis, maire de Oissel de 1867 à 1885, Charles Besselièvre, maire de Maromme de 1877 à 1894, Georges Pellerin, maire de Malaunay de 1892 à 1919 ou Ferdinand Cartier, maire de Notre-Dame-de-Bondeville de 1905 à 1935.

  • 17 Goubault Christian, La musique, les acteurs et le public au Théâtre des arts de Rouen 1776-1914, R (...)
  • 18 Roche Daniel, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789(...)
  • 19 On touche ici une question historiographique majeure. Dans sa thèse et en choisissant l’optique de (...)
  • 20 Padis Marc-Olivier, « Le débat sur la culture et ses lignes Maginot », Esprit, mars-avril 2002, p. (...)
  • 21 Yver Colette, « Rouen pendant la Guerre », Revue des deux mondes, 15 avril 1917, p. 800-825.

11Ce conservatisme a évidemment une traduction culturelle. À bien des égards la vie culturelle rouennaise sous la IIIe République s’inscrit dans un héritage séculaire qu’elle prolonge. Elle se focalise en effet autour d’institutions ou d’associations dont l’origine remonte souvent au xviiie siècle. Le premier Théâtre des arts de Rouen apparaît ainsi en 177617 suivant la création de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts en 1744, très représentative de l’éclat du siècle des Lumières en province18. Ici comme ailleurs, les collections municipales du musée des beaux-arts et de la bibliothèque d’étude ont pour origine les confiscations révolutionnaires. Dès 1791, Dom Gourdin et Charles Lecarpentier sont chargés de regrouper dans les établissements confessionnels les collections de livres et manuscrits « nationalisés ». Les travaux d’aménagement d’une bibliothèque sont commencés en 1797. Le musée des beaux-arts de Rouen est créé par l’arrêté consulaire du 1er septembre 1801. Les premières salles du musée et de la bibliothèque sont ouvertes au public le 4 juillet 1809, à l’hôtel de ville de Rouen. De cette époque révolutionnaire date également la Société libre d’émulation, fondée en 1792. Le premier xixe siècle confortera le paysage culturel ainsi dessiné en y ajoutant un Muséum d’histoire naturelle (1828), un musée départemental des Antiquités (1834) et une myriade de sociétés savantes sur lesquelles nous reviendrons. Ce paysage culturel apparaît incontestablement comme « bourgeois », en ce sens qu’il repose sur la culture des humanités professée ici au lycée Corneille ou à l’Institution Join-Lambert; mais c’est aussi un paysage culturel « local » dont l’appropriation ne fut pas le seul fait de, ou plutôt des bourgeoisies, mais aussi celui des classes moyennes19. Reste que le paysage culturel ainsi décrit constitue encore le nôtre. D’où cette impression d’immobilisme que les contempteurs du provincialisme culturel, dénoncent comme l’expression d’une « hégémonie » culturelle bourgeoise. Sans entrer d’emblée dans cette polémique, qui dépasse le cadre rouennais20, on pointera que la dénonciation ne vaut pas explication. Comment en effet une classe sociale jugée homogène parvient-elle à transmettre, depuis un siècle et demi, son système de valeurs ? L’analyse de cette reproduction symbolique paraît d’autant plus intéressante à mener pour la IIIe République que le régime ne se prête pas en apparence à la stabilité. Des lois scolaires de Jules Ferry à l’avènement du Front populaire, en passant par le mouvement des universités populaires de la Belle Époque, la volonté affichée de démocratiser la culture est explicite. Comment se traduit localement ce mouvement ? Quels discours suscite-t-il ? Dans quels lieux s’investit-il ? Quelles limites l’environnement local lui assigne-t-il ? Comment en d’autres termes évolue le rapport entre culture et société à Rouen sous la IIIe République ? Gageons d’emblée qu’on nuancera le mythe d’une ville « sans bruit, sans ambitions démesurées et peu expansive21 ».

Carte générale de situation.

  • Principaux quartiers : 1. Mont-Riboudet ; 2. Hôtel-Dieu ; 3. Saint-Gervais ; 4. Gare/Saint-Romain ; 5. Cité Jeanne-d’Arc ; 6. Les Sapins ; 7. Saint-Hilaire ; 8. Mont-Gargan ; 9. Val d’Eauplet ; 10. Île Lacroix ; 11. Saint-Sever ; 12. Vieux-Marché ; 13. Cathédrale ; 14. Martainville.
  • Principaux monuments historiques : 1. Hôtel de ville/abbaye de Saint-Ouen ; 2. Gros Horloge ; 3. Palais de Justice ; 4. Cathédrale ; 5. Saint-Maclou ; 6. Aître Saint-Maclou.
  • Principaux jardins publics : 1. Jardins de l’hôtel de ville ; 2. Jardin Solférino/square Verdrel ; 3. Square Martainville ; 4. Champs de Mars ; 5. Parcs Gaillard-Loiselet ; 6. Jardin des Plantes.

L’équipement culturel de la banlieue rouennaise en 1934.

  • 22 Renault Philippe, De Rouen intra muros au Grand Rouen (1789-1996), mémoire de maîtrise, dir. Yanni (...)

12On peut en effet avancer une autre lecture de l’espace urbain, qui insiste sur les mouvements qui le traversent sous la IIIe République. À commencer par la constitution progressive d’une agglomération. L’époque voit en effet se combler les interstices entre la ville et les communes qui l’entourent. Des quartiers d’habitation s’édifient sur les coteaux du Nord entre la fin du Second Empire et la Belle Époque (quartier Saint-André, cité Jeanne-d’Arc, quartier du Boulingrin). L’urbanisation gagne les plateaux nord dans l’entre-deux-guerres et prend alors la forme de cités-jardins (quartier des Sapins). À l’ouest et à l’est l’extension de la ville rencontre des vallées industrielles anciennes (Le Cailly, « petit Manchester rouennais », le Robec et l’Aubette). Au sud enfin, le processus industriel, qui ne touchait que Sotteville-lès-Rouen et Petit-Quevilly, s’étend dès la fin du xixe siècle à Oissel et Saint-Étienne-du-Rouvray. L’entre-deux-guerres complète cette urbanisation, qui touche de nouvelles communes (Petit-Couronne, Grand-Quevilly). La commune de Grand-Quevilly par exemple, compte 2478 habitants en 1916, 6264 en 1930 et 8905 en 1941. En 1931 le rapport démographique entre le centre (Rouen) et la périphérie (les communes de banlieue) s’inverse. Le poids des communes de banlieue représente désormais 51 % de l’ensemble de l’agglomération, alors qu’il n’était que de 35 % en 184122.

13Cette croissance démographique, qui pour certaines communes de la rive gauche est spectaculaire, ne s’appuie plus uniquement sur les activités traditionnelles du coton et du port. Une diversification industrielle apparaît, qui permettra de limiter l’impact de la crise économique des années trente. L’industrie chimique, implantée à l’usine Malétra de Petit-Quevilly dès 1808 se développe à Grand-Quevilly (La Grande Paroisse) et à Oissel (Kulhman, Poudrerie) entre la Belle Époque et la fin de la Première Guerre mondiale. La métallurgie, implantée à Sotteville avec les ateliers Buddicom en 1845 se développe à Grand-Quevilly (Chantiers de Normandie à partir de 1893) puis à Grand-Couronne (Aciéries pendant la Première Guerre mondiale) et Saint-Étienne-du-Rouvray (Fonderie lorraine en 1915). L’apparition de nouvelles industries caractérise la fin des années vingt. La vocation papetière de la rive gauche s’affirme avec l’installation de la Sonopa en 1927 à Grand-Couronne et des Papeteries de la Chapelle en 1928 à Saint-Étienne-du-Rouvray. En août 1927 enfin débute la construction d’une raffinerie à Petit-Couronne, établissement promis à un développement durable. La rive droite peine en revanche à réussir sa reconversion industrielle même si des entreprises nouvelles (fabrique de Margarine et Saindoux à Malaunay en 1872, fabrication de celluloïd à Montville dès 1884, Compagnie rouennaise de linoléum au Houlme en 1897) contestent très tôt la mono-activité cotonnière.

14À cette diversification industrielle, qui s’accompagne souvent de concentrations, est associée la formation d’une classe ouvrière nouvelle. La population traditionnelle des communes de banlieue se composait d’agriculteurs et d’artisans du bâtiment (Oissel, Saint-Étienne-du-Rouvray). En dehors de Sotteville et de la vallée du Cailly, les concentrations ouvrières étaient rares avant la IIIe République. Elles s’imposent désormais, nourries par l’immigration (rive gauche) et renforcées par les politiques de logement menées par les industriels, les associations d’HBM et les communes. Cette mutation sociologique se traduit naturellement par une poussée à gauche, plus précoce sur la rive sud (l’instituteur socialiste Eugène Tilloy est maire de Sotteville-lès-Rouen de 1912 à 1940) que sur la rive nord où le paternalisme permet aux notables de maintenir leur emprise jusqu’au Front populaire.

  • 23 Cf. CAUE 76 et Communauté d’agglomération de Rouen, Architecture du 20e siècle dans l’agglomératio (...)

15Reste à savoir si ces mutations engendrent des pratiques et des politiques culturelles nouvelles ? Certes les indices du développement culturel de la banlieue ne manquent pas. L’architecture religieuse trouvera ici par exemple un terrain privilégié pour exprimer ses recherches formelles. De Saint-Rémi à Amfreville-la-Mivoie (architecte Charles Lassire en 1907) à Saint-Jean-Eudes (cliché 30) dans le quartier des Sapins (architecte Robert Danis en 1929) en passant par Saint-Antoine-de-Padoue de Petit-Quevilly (architectes Lucien Lefort et Pierre Chirol en 1913) styles et matériaux témoignent d’une vitalité largement sous-estimée23 et d’un intérêt réel pour la banlieue. Certaines communes ne restent d’ailleurs pas à l’écart du mouvement culturel comme en témoigne l’existence à Sotte­ville-lès-Rouen d’une très active Société populaire d’études diverses. On soupçonne la généralisation, sous la IIIe République des fanfares et autres sociétés sportives. On ignore en revanche le sens des politiques culturelles locales et l’étendue du tissu associatif. Qui prend en compte les besoins culturels d’une population sans cesse plus nombreuse ? Quand ces besoins culturels se manifestent-ils? Pourquoi et comment les prend-on en charge ? Peut-on déceler une évolution conforme ou contraire à celle de la ville-centre ?

  • 24 Goubault Christian, La musique, les acteurs et le public au Théâtre des arts de Rouen 1776-1914, R (...)
  • 25 Klein Jacques-Sylvain, « Peinture : l’effervescence rouennaise au siècle naissant », Études norman (...)

16Cette ville-centre elle-même ne reste pas à l’écart du dynamisme. On aurait tort de prendre pour argent comptant sa réputation de « belle endormie ». Rouen sous la IIIe République ne fait pas figure de désert culturel. Certes, on peinerait à mettre en avant des célébrités de la trempe d’un Corneille, d’un Boieldieu ou d’un Flaubert, ces enfants illustres de la cité. Non pas que les personnages « rouennais » célèbres ne manquent pour la IIIe République, mais plutôt parce qu’à l’image de Marcel Duchamp ou de Charles Nicolle, ils établissent leur renommée ailleurs qu’à Rouen. Mais la ville connaît d’autres éclats. C’est à cette époque que son Théâtre des arts s’impose comme une scène prestigieuse en montant des œuvres jugées difficiles de Richard Wagner et en résistant à la crise économique qui lamine les théâtres provinciaux dans les années trente24. Même constat en ce qui concerne les arts plastiques qui explorent les différentes manières de traiter le paysage normand de l’impressionnisme (Joseph Delattre, Charles Fréchon, Pierre Dumont) au cubisme (Pierre Hodé, Jacques Villon) en passant par le fauvisme (Robert Pinchon) et le pointillisme (Charles Angrand). Des années 1880 aux années 1910, une École de Rouen s’individualise, participant aux recherches formelles de la peinture moderne25. De même, la création architecturale du premier xxe siècle a fait récemment l’objet d’une véritable réhabilitation, visant à démontrer qu’au-delà du régionalisme, la ville s’était ouverte à l’Art nouveau, à l’art déco voire au style international.

17On ne saurait pour autant défendre la thèse d’une vitalité artistique aussi remarquable que celle de Nancy à la Belle Époque ou de Grenoble dans les années vingt. Il s’agira moins ici de réhabiliter le passé culturel rouennais que de comprendre ses modalités sociales et les raisons pour lesquelles la création de cette période reste limitée et très longtemps occultée par la mémoire locale.

  • 26 Ceci malgré l’étude pionnière du commandant Levainville, Rouen, étude d’une agglomération urbaine, (...)
  • 27 Deux conceptions s’opposent ici. Certains historiens (Philippe Poirrier, Sylvie Rab, Jean-Michel L (...)
  • 28 À titre de comparaison on renvoie à Poirrier Philippe, Municipalité et culture au xxe siècle : des (...)

18Avant même d’aborder le vif du sujet, deux doutes viennent cependant contrarier le projet. N’est-ce pas en effet faire preuve d’anachronisme que de prétendre interroger la vie culturelle d’une agglomération, pour une époque où aucune de ces deux expressions (« culture » et « agglomération ») n’étaient familière aux contemporains 26? Comment en d’autres termes circonscrire un sujet en apparence forgé par l’historien ? Que pouvaient bien signifier les mots culture et agglomération pour les Rouennais de 1870, de 1914 ou de 1940 ? Sans entrer dans un débat historiographique pointu27 on précisera tout d’abord que si le mot « culture » est peu employé avant la fin des années trente, la chose existe bel et bien. Les comptes administratifs de la ville de Rouen sur lesquels nous avons fondé notre étude budgétaire distinguent dès l’entre-deux-guerres un « budget ordinaire des Beaux-Arts et de l’Instruction publique », qui regroupe les dépenses consacrées au Théâtre des arts, à l’École régionale des beaux-arts, aux musées et bibliothèques et aux sociétés musicales. Ce budget est bien l’ancêtre du budget culturel contemporain. Il indique non seulement l’intérêt de la ville pour ce que nous appelons aujourd’hui les affaires culturelles, mais aussi la volonté de regrouper les secteurs artistiques (beaux-arts, spectacles, musique) dans une sphère comptable autonome. L’histoire nous montre que cette sphère ne cessera de s’étendre des années 1880 aux années 193028.

  • 29 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, W18, extrait du règlement de la Bibliothèque départemen (...)
  • 30 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, W18, tract de présentation de la Maison du Peuple de Ma (...)
  • 31 Le Progrès social, 18 mai 1938.

19Le vocable même de « culture » ou l’adjectif « culturel » ne sont pas absents du vocabulaire politique de l’époque. Dès 1921 la Bibliothèque départementale circulante de la Seine-Inférieure se donne ainsi pour but de « contribuer à l’éducation littéraire, scientifique technique ou morale des populations du département, à leur culture ou à leur délassement, de favoriser l’utilisation saine, agréable et utile des loisirs29 ». L’occurrence du mot est cependant beaucoup plus fréquente à partir de la fin des années trente, spécialement au sein des groupements proches de la gauche socialiste et communiste. L’un des fondateurs de la Maison du Peuple de Maromme, « coopérative de production de loisirs ouvriers », la présente comme un « outil indispensable à la culture générale de nos collectivités ouvrières30 ». À la même époque, des militants socialistes de Mont-Saint-Aignan demandent l’ouverture d’un Foyer communal ouvert aux différents groupements « se réclamant de toutes les activités (politiques, économiques, culturelles ou sportives)31 ». C’est dire la légitimité d’une étude de la genèse des pratiques et des politiques culturelles contemporaines à cette époque.

  • 32 Chirol Pierre, Rouen, 1939, Grenoble-Paris, B. Arthaud, 1946, p. 12.
  • 33 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du (...)

20On pourrait en dire autant de la notion d’agglomération. Certes le degré d’urbanisation atteint par la banlieue de Rouen en 1940 est sans commune mesure avec celui de la fin des Trente Glorieuses. Certes l’intégration politique, réalisée par la création d’un District (1995) puis d’une Communauté d’agglomération (1999) appartiennent davantage à l’avenir qu’au passé. Il n’en reste pas moins vrai que ces questions sont anciennes. Contemplant le site de Rouen Pierre Chirol évoque ainsi à la fin des années trente « un cadre prédestiné à une vaste agglomération urbaine32 ». Et dès la fin du xixe siècle la mise en place d’un réseau de tramways, puis les questions de voiries, d’adduction d’eau, voire de plans d’aménagement conduisent à une amorce de coopération inter-communale. À la veille de la Seconde Guerre mondiale une réunion des maires de la banlieue de Rouen se tient pour évoquer les questions communes concernant l’équipement en gaz, électricité et l’éclairage public. Elle débouche sur la création d’une éphémère « Conférence intercommunale de la banlieue rouennaise » pour le gaz et l’électricité33.

  • 34 Par ce terme nous entendons, de manière désormais classique, l’histoire sociale des représentation (...)
  • 35 Vadelorge Loïc, Pour une histoire culturelle du local. Rouen 1919-1940, Paris, université Paris IV (...)
  • 36 Rioux Jean-Pierre et Sirinelli Jean-François, « Les politiques culturelles municipales. Éléments p (...)
  • 37 Poirrier Philippe, Bibliographie de l’histoire des politiques culturelles. France xixe-xxe siècle, (...)
  • 38 On renvoie pour plus de développements à Croix Alain et Guyvarc’h Didier (dir.), Guide de l’histoi (...)

21C’est dire que l’histoire culturelle34 de l’agglomération rouennaise nous semble légitime, en ce sens qu’elle est susceptible d’éclairer en profondeur les atouts et les contraintes d’une construction en cours. Les problèmes culturels soulevés par les époques antérieures, pour relever de contextes économiques et sociaux différents, n’en éclairent pas moins les nôtres. L’ambition de ce livre dépasse cependant le cas rouennais. Issu pour partie d’une thèse d’histoire35, cet ouvrage entend s’interroger sur la réalité d’une expression culturelle locale, sur ses modes d’organisation et sur son évolution dans le temps. L’histoire de France traditionnelle a en effet trop longtemps négligé l’échelle locale. Dans un État jugé à tort centralisé, les villes et les départements n’étaient que des maillons sans grand intérêt. L’historiographie récente a mis au contraire l’accent sur la complexité du fonctionnement administratif et politique français et la nécessité d’aborder les phénomènes culturels en maniant différentes échelles d’analyse36. En ce sens l’histoire que l’on propose ici se veut emblématique. Rouen n’est qu’une ville moyenne parmi d’autres et les analyses qui suivent pourraient sans nul doute convenir à la plupart des villes françaises de cette époque37. L’histoire locale est pour nous un moyen d’éclairer les questions posées par l’histoire générale38.

22La démarche choisie ici relève de cette intention généraliste. Dans un premier temps on s’attachera à démonter les mécanismes de la vie culturelle locale. Comment fonctionne-t-elle ? Qui la prend en charge ? À quel moment et comment se hiérarchise-t-elle ? La culture locale s’avère relever de logiques complexes qui s’expriment au sein de trois sphères complémentaires. La sphère publique tout d’abord, c’est-à-dire celle de l’État et des communes et dans une moindre mesure, celle du département. Si ces institutions n’ont jamais été étrangères au fait culturel, elles interviennent cependant de manière nouvelle, récurrente et systématique sous la IIIe République. Leur désir de contrôler une partie de l’activité artistique fait de cette époque une incontestable préhistoire des politiques culturelles contemporaines. La seconde sphère est celle du monde associatif. Avec la loi du 1er juillet 1901, la République ne fait qu’entériner le souhait ancien de la société civile de prendre en mains une partie de ses besoins. Le domaine artistique et plus largement celui des loisirs n’échappe pas ici à la règle et se structure de manière continue du Second Empire à la Seconde Guerre mondiale. La sphère associative dessine un espace culturel local aux frontières élargies et mobilise la quasi totalité des groupes sociaux. La troisième sphère est celle des acteurs privés et plus largement de l’économie de la culture. Aux côtés des structures artisanales (édition, métiers d’art) ou libérales (enseignement artistique), s’affirment les industries culturelles (cinéma, spectacles). Dans le même temps les mécènes locaux et surtout nationaux s’intéressent de plus en plus à la province, témoignant d’une interaction encore méconnue entre le centre et la périphérie.

  • 39 Cf. Vadelorge Loïc, « Consensus ou compromis culturel. Rouen dans l’entre-deux-guerres », Dubois V (...)
  • 40 Cf. Chaline Nadine-Josette, Des catholiques normands sous la IIIe République, Roanne, Horvath, 198 (...)

23Le paysage culturel une fois brossé, on s’attachera à en préciser les enjeux, parfois occultés par la force d’un véritable consensus culturel39. Trois questions majeures traversent la vie culturelle locale sous la IIIe République. Celle tout d’abord de l’équilibre entre le religieux et le politique. À l’heure où la République affiche ses convictions (de Jules Ferry au cartel des gauches en passant par la séparation des Églises et de l’État en 1905), la vie culturelle rouennaise reste profondément marquée par la place de l’Église40. Loin de s’atténuer, ce poids culturel se renforce et se diversifie au cours de la période. L’affrontement entre le politique et le religieux se joue aussi sur le terrain symbolique, comme l’atteste l’affirmation complexe du culte de Jeanne d’Arc. Autre question majeure, celle du conflit entre tradition et modernité culturelle. Le poids du patrimoine, mais aussi la volonté d’une partie de la bourgeoisie locale de contrôler la diffusion des images et des sons, orientent la vie culturelle vers la rigueur et la modération dès l’entre-deux-guerres. Un système de valeurs se déploie, qui conjugue un retour aux valeurs classiques et un goût prononcé pour l’esthétique régionaliste. Face à cette tentation de repli, une volonté d’ouverture culturelle – en direction du peuple mais aussi de nouvelles formes de loisirs – se manifeste dès la Belle Époque. Soutenue par des militants qui se positionnent à la périphérie de la culture urbaine classique, cette démocratisation culturelle trouve, au moment du Front populaire, son apogée mais aussi ses limites locales.

24Ce travail doit beaucoup aux nombreux soutiens de collègues et parents, qui ont accepté de suivre ce qui a bien failli faire office d’arlésienne. Au premier chef, je tiens à remercier Monsieur Jean-Pierre Chaline, pour avoir encadré cette recherche qui lui tenait à cœur et pour avoir avec ténacité insisté pour que les conclusions en soient publiées. Je tiens également à remercier quelques-uns des pères de l’histoire culturelle du xxe siècle, qui à l’instar de Messieurs Pascal Ory, Jean-François Sirinelli et Jean-Pierre Rioux, m’ont permis très tôt de tester quelques hypothèses de travail au sein de leurs séminaires respectifs. On trouvera ici l’ampleur de la dette intellectuelle que l’histoire des politiques culturelles municipales leur doit. D’autres ont déjà dit le rôle de catalyseur du séminaire organisé au début des années 1990 par Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli. Du groupe de travail initial est née une camaraderie intellectuelle, rare en milieu universitaire. Les multiples conversations de café ou les notes de téléphone attestent d’un dialogue de longue haleine, qui a conforté les recherches des uns et des autres. Le travail présenté ici s’inscrit dans une recherche collective, à laquelle furent associés à des degrés divers Sylvie Rab, Françoise Taliano, Serge Reneau et plus encore Philippe Poirrier. À ce dernier, alter ego dijonnais et compagnon de route depuis quinze ans, je ne saurai trop dire combien nos travaux communs ou parallèles ont servi de ferment et d’émulation. Par son intermédiaire, j’ai collaboré aux travaux du Comité d’histoire du ministère de la Culture, d’abord sur la question des politiques culturelles, puis sur celle des politiques du patrimoine. Les remarques acérées mais toujours sympathiques d’Augustin Girard, Geneviève Gentil ou Christian Pattyn ont jalonné cette recherche.

25Le travail mené, de 1990 à 1994 au sein du GRHIS URA-CNRS 1274, sous l’autorité bienveillante de Mlle Françoise Thélamon, et en collaboration avec Messieurs Olivier Dumoulin ou Ludovic Tournès, ont été l’occasion de diffuser nos travaux et d’échanger avec nos collègues rouennais. Les travaux de maîtrise de Mlles Fanny Germain, Stéphanie Soyeux et Sylvie Drouet, dirigés en collaboration avec Olivier Dumoulin ont nourri la réflexion et contribué à préciser de nombreuses pistes de travail. Le relais a été depuis repris par le Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, dirigé par Jean-Yves Mollier, dans notre université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Les échanges avec les collègues de cette université, en particulier Diana Cooper-Richet, Françoise Hache-Bissette, Christian Delporte et Jean-Claude Yon se sont révélés des plus fructueux. Qu’il me soit aussi permis d’associer à cet ouvrage, d’autres collègues, tels ceux du Centre d’histoire urbaine de l’École normale supérieure de Lyon, Mesdames Annie Fourcaut et Cécile-Anne Sibout, Messieurs Alain Corbin, Antoine Prost, Serge Chassagne, Christian Goubault, François Gay, Daniel Sherman, Alain Alexandre, Alain Leménorel, Michel Rasse et Paul Paumier.

26Les rencontres furent aussi extra-universitaires. Dans les centres d’archives publiques comme chez les particuliers, l’accueil fut toujours chaleureux. La plupart des personnes contactées ne mesurent pas leur temps et leur curiosité intellectuelle fut un encouragement supplémentaire. Je tiens particulièrement à remercier Mlles Rose et Brabetz de la bibliothèque municipale de Rouen, Messieurs Bergot et Grandgean, Madame Pessiot du musée des beaux-arts, Madame Flavigny du musée départemental des Antiquités, Madame Fouray du Muséum d’histoire naturelle, Madame Sentilhes et le Service des archives départementales de Seine-Maritime, Madame Lebeltel et son équipe aux archives municipales de Rouen, les archives municipales de Sotteville-lès-Rouen, Grand-Quevilly, Mont-Saint-Aignan, Notre-Dame-de-Bondeville, le CAUE de Seine-Mari­time. Je ne saurai ici oublier les rencontres opérées au sein du petit groupe « Histoire d’agglos », constitué en 1998 autour du District de Rouen puis de l’agglomération. J’ai ici pris conscience de la nécessité d’élargir ma problématique initiale aux pratiques culturelles banlieusardes et aux rapports entre la ville centre et son agglomération. Que soient ici remerciés Messieurs Jean-Yves Merle, Serge Martin-Desgranges, Charles Théron, Jérôme Decoux, Michel Croguennec.

27Nos remerciements vont aussi aux personnes qui ont accepté de nous confier des fonds privés, archives, correspondances, collections photographiques. Nous pensons plus particulièrement à Monsieur Jacques Nobécourt, qui nous a permis de consulter à domicile les très riches archives et la bibliothèque de son père, à Messieurs Delaporte et Hatay ainsi qu’à sœur Pierre-Marie, qui nous ont guidé avec beaucoup d’amitié dans les fonds de la maîtrise Saint-Evode de la cathédrale de Rouen et dans ceux du Cercle musical, à Monsieur Michel Hamès, pour ses informations sur la Musique municipale de Rouen, à Monsieur François Lespinasse, grand spécialiste de l’École de Rouen, à Madame Hélène Pattyn, pour son accueil dans les bureaux parisiens de la Sauvegarde de l’art français, à Monsieur Burckardt, qui nous a guidé dans les archives de l’Académie de Rouen, alors en cours de classement, à Mlle Elisabeth Chirol qui nous a autorisé à consulter le fonds de son père, déposé aux archives départementales, à Monsieur André Renaudin, qui nous a reçu longuement pour évoquer l’itinéraire de Rouen 30 et la suite, à Messieurs François Banse, Pierre Nouaud et Guy Pessiot, qui ont accepté la reproduction de documents de leurs ouvrages ou collections privées.

28Nous pensons encore à ceux qui, en offrant de leurs temps libre ont libéré le nôtre, en premier lieu à Jacques et Janine Gosset.

29Nous tenons enfin à associer nos parents pour leur soutien constant à des « études » dont ils n’imaginaient sûrement pas qu’elles puissent durer aussi longtemps…

Notes

1 Siegfried André, Tableau politique de la France de l’Ouest, Paris, 1913, p. 271.

2 Ibidem, p. 264.

3 Siegfried André, « Psychologie du Normand », Études normandes, 49, 1955, p. 235-239.

4 Maurois André, Rouen, Paris, Gallimard, 1929, p. 43-46

5 Poulot Dominique (dir.), L’esprit des lieux. Le patrimoine et la cité, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1997.

6 Cf. Saunier Pierre-Yves, L’esprit lyonnais xixe-xxe siècle. Genèse d’une représentation sociale, Paris, Éditions du CNRS, 1995.

7 Cf. Chaline Jean-Pierre, Une élite urbaine au xixe s. : les bourgeois de Rouen, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1982.

8 Cf. Guillet François, Naissance de la Normandie. Genèse et épanouissement d’une image régionale en France, 1750-1850, Caen, Annales de Normandie, Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Normandie, 2000.

9 Sur ces oppositions, on peut renvoyer au dernier « tableau de Rouen », paru qui insiste sur les contrastes de la ville à la fin du xxe siècle. Cf. Chaline Jean-Pierre, Rouen. Intelligence d’une ville, Rennes, Éditions Ouest-France, 1996.

10 Maurois André, Rouen, op. cit., p. 49. Cf. aussi catalogue de l’exposition Le patrimoine industriel de la région de Rouen, Rouen 20 janvier-17 avril 1994, Rouen, CIC, 1994.

11 Cf. Chaline Jean-Pierre, « 1800-1914 : Transformations urbaines et mutations économiques », Mollat Michel(dir.), Histoire de Rouen, Toulouse, Privat, 1979, p. 307-342. Alexandre Alain, « La vallée du Cailly : vocation industrielle et prépondérance de l’industrie textile », Études normandes, 252, 1973, p. 5-31. Dantan Alain, « Le développement de l’industrie dans les cantons de Sotteville et de Grand-Couronne, 1914-1939 », Études normandes, 280, 1974, p. 3-23.

12 Aubourg Isabelle, Le port de Rouen 1918-1939, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Alain Leménorel, université de Rouen, s. d. Et Croguennec Michel, L’aménagement du port de Rouen de 1800 à 1940 : Contraintes techniques et stratégies, Rouen, université de Rouen, 1999, thèse de doctorat d’histoire, dir. Michel Pigenet.

13 Chaline Jean-Pierre, « D’une guerre à l’autre », Mollat Michel (dir.), Histoire de Rouen, Toulouse, Privat, 1979, p. 386-387.

14 Chirol Pierre, Rouen, 1939, Grenoble-Paris, B. Arthaud, 1946, p. 12.

15 Siegfried André, Tableau politique de la France de l’Ouest, Paris, 1913, p. 258.

16 Ibidem, p. 259.

17 Goubault Christian, La musique, les acteurs et le public au Théâtre des arts de Rouen 1776-1914, Rouen, CRDP, 1979, p. 21 sqq.

18 Roche Daniel, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris-La Haye, Mouton, 1978, 2 vol.

19 On touche ici une question historiographique majeure. Dans sa thèse et en choisissant l’optique de la longue durée (1800-1914), Jean-Pierre Chaline a bousculé quelques idées reçues sur la relation entre culture et société. S’il existe bien selon lui, des loisirs « réservés » aux élites urbaines (comme l’art lyrique), « dans une large mesure, les bourgeois rouennais participent à des distractions collectives aux côtés des classes moyennes et mêmes populaires… Il faut donc nuancer le tableau d’une classe distincte jusque dans ses plaisirs » (Chaline Jean-Pierre, Une élite urbaine au xixe siècle : les bourgeois de Rouen, op. cit., p. 213). Les cultures urbaines ne sauraient ainsi se calquer sur les cultures de classe. En revanche pour l’historien radical américain Daniel Sherman les oppositions de classe sont bien marquées au sein de la culture urbaine, à Rouen comme ailleurs. La seconde moitié du xixe siècle marquerait l’émergence des revendications culturelles des classes moyennes, revendications traduites par l’érection des musées en province. Cf. Worthy monuments. Art museums and the politics of culture in Nineteenth century France, Harvard University Press, Londres, 1989.

20 Padis Marc-Olivier, « Le débat sur la culture et ses lignes Maginot », Esprit, mars-avril 2002, p. 34-37, n° spécial « Quelle culture défendre ».

21 Yver Colette, « Rouen pendant la Guerre », Revue des deux mondes, 15 avril 1917, p. 800-825.

22 Renault Philippe, De Rouen intra muros au Grand Rouen (1789-1996), mémoire de maîtrise, dir. Yannick Marec, université de Rouen, 1997.

23 Cf. CAUE 76 et Communauté d’agglomération de Rouen, Architecture du 20e siècle dans l’agglomération rouennaise, Darnétal, CAUE/CAR/DRAC, 2002.

24 Goubault Christian, La musique, les acteurs et le public au Théâtre des arts de Rouen 1776-1914, Rouen, CRDP, 1979.

25 Klein Jacques-Sylvain, « Peinture : l’effervescence rouennaise au siècle naissant », Études normandes, 4, 1989, p. 55-61 et L’École de Rouen. De l’impressionnisme à Marcel Duchamp 1878-1914, catalogue de l’exposition du musée des beaux-arts de Rouen, 18 avril-1er juillet 1996, Rouen, musée des beaux-arts de Rouen-RMN, 1996.

26 Ceci malgré l’étude pionnière du commandant Levainville, Rouen, étude d’une agglomération urbaine, Paris, Armand Colin, 1913.

27 Deux conceptions s’opposent ici. Certains historiens (Philippe Poirrier, Sylvie Rab, Jean-Michel Leniaud) considèrent que l’emploi de concepts contemporains (culture, politique culturelle, patrimoine) est légitime, sous couvert de précaution, pour des époques anciennes. D’autres (Vincent Dubois) sont plus méfiants et dénoncent même le risque de contresens. Cf. Dubois Vincent, Institutions et politiques culturelles locales : éléments pour une recherche socio-historique, Paris, La Documentation française-Comité d’histoire du ministère de la Culture, Travaux et documents, n° 4, 1996.

28 À titre de comparaison on renvoie à Poirrier Philippe, Municipalité et culture au xxe siècle : des Beaux-Arts à la politique culturelle. L’intervention de la Municipalité de Dijon dans les domaines artistiques et culturels (1919-1995), Dijon, université de Bourgogne, 1995, thèse de doctorat d’histoire, dir. Pierre Lévêque ; ainsi qu’à RAB Sylvie, Culture etbanlieue. Les politiques culturelles dans les municipalités de la Seine (1935-1939), Paris, université Paris VII-Denis Diderot, 1994, thèse de doctorat d’histoire, dir. Michèle Perrot.

29 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, W18, extrait du règlement de la Bibliothèque départementale circulante, 4 avril 1921.

30 Archives municipales de Mont-Saint-Aignan, W18, tract de présentation de la Maison du Peuple de Maromme, 3 février 1937.

31 Le Progrès social, 18 mai 1938.

32 Chirol Pierre, Rouen, 1939, Grenoble-Paris, B. Arthaud, 1946, p. 12.

33 Archives municipales de Grand-Quevilly, registre des délibérations du conseil municipal, séance du 20 juin 1939.

34 Par ce terme nous entendons, de manière désormais classique, l’histoire sociale des représentations. Sur les questions de définition de l’histoire culturelle, cf. Ory Pascal, « Pour une histoire culturelle de la France contemporaine (1870-…), état de la question », Bulletin du centre d’histoire de la France contemporaine, n° 2, 1981, p. 5-32. « Hypothèse de travail en histoire culturelle (l’exemple de la France contemporaine, 1870-…) », Bulletin de la société d’histoire moderne, n° 14, 1982, p. 6-11. « L’histoire culturelle de la France contemporaine, questions et questionnement », Vingtième siècle, revue d’histoire, 16, octobre-décembre 1987, p. 67-82. Pour une histoire culturelle du contemporain, Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1992. Ainsi que Chartier Roger, « Le monde comme représentation », Annales ESC, novembre-décembre 1989, p. 1505-1520 et Corbin Alain, « Le vertige des foisonnements. Esquisse panoramique d’une histoire sans nom », Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1992, p. 103-126.

35 Vadelorge Loïc, Pour une histoire culturelle du local. Rouen 1919-1940, Paris, université Paris IV-Sorbonne, 1996, thèse de doctorat d’histoire, dir. Jean-Pierre Chaline. Ce travail portait exclusivement sur l’entre-deux-guerres et sur la seule ville de Rouen. Il est repris partiellement ici et étendu à l’ensemble de la IIIe République et à l’espace de l’agglomération dans ses limites actuelles. Il ne nous a pas semblé opportun en revanche de publier la bibliographie originelle de cette thèse, celle-ci ayant désormais plus de dix ans. Dans le même souci d’allégement de l’édition, nous avons laissé de côté la liste des sources utilisées et les graphiques annexes. Les spécialistes pourront aisément se référer au travail d’origine, déposé aussi bien à Paris (bibliothèque de la Sorbonne, Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines) qu’à Rouen (archives municipales, départementales, IRED, bibliothèque municipale).

36 Rioux Jean-Pierre et Sirinelli Jean-François, « Les politiques culturelles municipales. Éléments pour une approche historique », Les cahiers de l’IHTP, 16, 1990.

37 Poirrier Philippe, Bibliographie de l’histoire des politiques culturelles. France xixe-xxe siècle, Comité d’histoire du ministère de la Culture, Paris, Travaux et documents, 9, 1999.

38 On renvoie pour plus de développements à Croix Alain et Guyvarc’h Didier (dir.), Guide de l’histoire locale, Paris, Seuil, 1990 ; Ferro Marc, « Histoire locale, histoire générale ; liens entre le passé et le présent », L’Histoire sous surveillance, Paris, Calman Levy, 1985 ; Ginzburg Carlo et Poni Carlo, « La micro-histoire », Le Débat, 17, 1981, p. 133-136; Leuillot Paul, « Défense et illustration de l’histoire locale », Annales ESC, janvier-février 1967, p. 154-177 ; Mabileau Albert (dir.), À la recherche du local, actes du colloque de l’Association française de science politique, Paris, 30-31 mai 1991, Paris, L’Harmattan, 1993; Pecout Gilles, « Le local et le national, le centre et la périphérie », Le Mouvement social, avril-juin 1999, n° 187, p. 3-10 ; Revel Jacques, « L’histoire au ras du sol », préface à Levi Giovanni, Le pouvoir au village, Paris, Gallimard, Bibliothèque historique, 1989, p. I-XXXIII ; Rougerie Jacques, « Faut-il départementaliser l’histoire de France ? », Annales ESC, janvier-février 1966, p. 178-193; Thuillier Guy et Tulard Jean, Histoire locale et régionale, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1992, p. 123; Vadelorge Loïc, « Un nouveau paradigme pour l’Histoire culturelle de la France contemporaine : le local », Lettre d’information du séminaire « politiques et institutions culturelles de la France contemporaine » (dirigé par Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, Institut d’histoire du temps présent), n° 4, septembre 1991, p. 3-4 ; ainsi qu’aux pages 17-23 de notre thèse.

39 Cf. Vadelorge Loïc, « Consensus ou compromis culturel. Rouen dans l’entre-deux-guerres », Dubois Vincent (dir.), Politiques locales et enjeux culturels. Les clochers d’une querelle, xixe-xxe siècles, Paris, La Documentation française, 1998, p. 233-254.

40 Cf. Chaline Nadine-Josette, Des catholiques normands sous la IIIe République, Roanne, Horvath, 1985.

Table des illustrations

Légende Carte générale de situation.
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Légende L’équipement culturel de la banlieue rouennaise en 1934.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/10992/img-2.png
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