1Au fil des années, divers textes, lois, décrets, avis du Conseil constitutionnel, vinrent compléter ou modifier les dispositions de la loi Debré, tandis que dans les décennies suivant le concile de Vatican II des documents émanant de Rome ou de la conférence des évêques de France se rapportaient aussi à la question de l’école. Mais les textes ne sont pas tout. Dans une période marquée par la secousse de Mai 1968 – qui avait d’ailleurs été précédée par certaines revendications en matière pédagogique –, par la démocratisation, ou la massification, de l’enseignement et la réforme Haby2, par les crises économiques, les mouvements migratoires, la baisse de la foi et de la pratique religieuse, la présence croissante de religions non chrétiennes et des changements culturels profonds, l’école catholique fut soumise aux évolutions du temps présent.

Les textes

2Présenter l’ensemble des documents relatifs à l’enseignement privé, ou plus exactement associé, est impossible dans le cadre de ce chapitre. Aussi privilégions-nous les apports de quelques textes émanant de Rome ou de l’épiscopat français et mentionnons-nous simplement pour mémoire les textes officiels français postérieurs à la loi du 31 décembre 1959 (lois Pompidou, Guermeur, Censi, Carle ; accords Lang-Cloupet ; décrets divers…), qui ont précisé nombre de points relatifs au statut, au recrutement, à la formation et à la carrière des professeurs, à l’affectation de crédits publics à l’entretien des bâtiments scolaires de l’enseignement catholique, etc.

3Institution liée à l’Église, l’école catholique doit respecter les orientations données par les autorités catholiques pour tout ce qui touche à la conception de l’enseignement, à sa teneur et à ses fins. Tous les textes que nous allons citer, qu’ils émanent de Rome ou de la conférence des évêques de France, tendent à élaborer ce qui peut être considéré comme « le caractère propre » de cet enseignement, qui ne doit pas être confondu avec le caractère propre des établissements mentionné par la loi Debré3, bien qu’il y ait un lien nécessaire entre les deux, le caractère propre de chaque établissement devant s’accorder avec le caractère propre préconisé par l’Église.

4Le 28 octobre 1965, lors de la quatrième et dernière session du concile de Vatican II, Paul VI promulgua la « Déclaration sur l’éducation chrétienne » (Gravissimum educationis momentum). Les pères conciliaires, conscients de « l’extrême importance de l’éducation dans la vie de l’homme et [de] son influence toujours croissante sur le développement de la société moderne » et convaincus que « tous les hommes », quels que soient leur âge, leur race ou leur condition, ont « un droit inaliénable à l’éducation », entendaient rappeler que tous les fidèles doivent bénéficier d’une éducation chrétienne, « surtout les jeunes qui sont l’espérance de l’Église ». Ce texte souligne le rôle de l’école et accorde une sorte de satisfecit aux « autorités et aux sociétés civiles […] qui aident les familles à assurer à leurs enfants dans toutes les écoles une éducation conforme à leurs propres principes moraux et religieux » ; l’école catholique, est-il spécifié, poursuit « des fins culturelles et la formation humaine des jeunes » et « ce qui lui appartient en propre [proprium], c’est de créer pour la communauté scolaire une atmosphère animée d’un esprit évangélique de liberté et de charité […] et finalement d’ordonner toute la culture humaine à l’annonce du salut de telle sorte que la connaissance graduelle que les élèves acquièrent du monde, de la vie et de l’homme, soit illuminée par la foi4 ».

5Le 19 mars 1977, le cardinal Garrone, préfet de la congrégation pour l’éducation catholique, adressa aux présidents des conférences épiscopales un document intitulé École Catholique et mission de l’Église, qui insiste sur la spécificité de l’école catholique, faite de « sa référence à la conception chrétienne de la réalité », au centre de laquelle se trouve Jésus-Christ5. Puis, en 1988, la congrégation pour l’éducation catholique examina attentivement la situation de la jeunesse et chercha à voir dans quelle mesure les préconisations du concile avaient été suivies d’effets. D’après le texte intitulé Dimension religieuse de l’éducation dans l’école catholique, qui fut envoyé aux Ordinaires locaux, c’est-à-dire aux évêques et aux Supérieurs des instituts consacrés à l’éducation de la jeunesse, « dès le premier jour de son entrée dans une école catholique, l’élève doit avoir l’impression de se trouver dans un milieu nouveau, illuminé de la lumière de la foi », y trouver « un style chrétien de pensée et de vie », ainsi que « l’expression chrétienne de valeurs telles que la Parole, les signes sacramentels, les comportements, la présence sereine et amicale, accompagnée d’une aimable disponibilité ». L’école y est définie comme « une communauté », formée de la direction, du corps enseignant, de l’administration, du personnel auxiliaire, des élèves et de leurs parents. Lieu d’évangélisation, d’apostolat et d’action pastorale, l’école catholique « trouve sa vraie justification dans la mission même de l’Église », tout en reproduisant « le plus possible le milieu intime et chaud de la famille ». Sa mission ne doit d’ailleurs pas la détourner des problèmes nationaux et internationaux : les élèves y apprennent à respecter « l’État et ses représentants » et à entendre les appels venus d’organismes internationaux comme l’ONU ou l’UNESCO. Ainsi, l’école catholique fait preuve d’une « ouverture civique » et participe pleinement à la vie de la société. Pour obéir à sa double vocation, il lui faut relever « le défi lancé à la foi » et « présenter une vision unifiée de l’homme qui a besoin de rédemption ». L’école catholique, demande ce texte, « mériterait-elle encore son nom » si on pouvait « lui reprocher une négligence ou une déviation dans l’éducation proprement religieuse ? ». Elle doit non seulement respecter les lois ordinaires et se conformer aux méthodes et aux programmes, mais aussi « mener à bien son propre projet éducatif », qui tend à relier « la culture humaine au message chrétien », parfois dans des conditions difficiles ou délicates, puisque, dans de nombreux pays, elle « accueille de plus en plus une population scolaire de foi et d’appartenances idéologiques différentes6 », en conformité avec les thèses relatives à la liberté de conscience et la liberté religieuse développées dans les textes précédemment cités.

6Le 28 décembre 1997, dans un contexte socio-politique et culturel marqué par les difficultés du monde contemporain – une profonde crise des valeurs, la marginalisation croissante de la foi chrétienne, la montée de l’indifférence, la perte du sens de l’effort –, la congrégation pour l’éducation catholique publia L’Éducation catholique au seuil du troisième millénaire. Les auteurs de ce document estimaient nécessaire de renforcer « les caractéristiques fondamentales » de l’école catholique, sa qualité de « lieu d’éducation intégrale de la personne humaine à travers un projet éducatif clair qui a son fondement dans le Christ ; son identité ecclésiale et culturelle ; sa mission de charité éducative ; son service social ; le style éducatif qui doit caractériser la communauté chargée de l’éducation ». Il lui fallait encore, disent les auteurs, réaffirmer sa dimension ecclésiale, « qui pénètre et façonne chaque instant de son action éducative », préserver « l’originalité de son projet éducatif » marquée par la synthèse entre culture et foi, demeurer fidèle à ses origines, placées sous le signe de l’attention portée « aux plus petits, […], aux plus pauvres et aux marginaux » et, sur la base d’un dialogue respectueux, accomplir « un service d’utilité public » offert « à tous ceux qui semblent apprécier et partager une proposition éducative qualifiée7 ».

7Dix ans plus tard, le cardinal Zenon Grocholewski et M^gr Angelo Vincenzo Zani, respectivement préfet et sous-secrétaire de la congrégation pour l’éducation catholique, abordèrent de nouveau tous ces problèmes dans un texte intitulé Éduquer ensemble dans l’école catholique. L’accent y est mis sur l’importance « des défis » – tenant à « la complexité sociale, culturelle et religieuse dans laquelle grandissent les jeunes générations » –, auxquels se trouve confrontée l’école, et souligne la nécessité de ne pas réduire l’éducation à « la seule obtention d’un diplôme ». Cette obligation, estiment les prélats, concerne plus particulièrement l’école catholique, qui se présente comme « un lieu d’éducation intégrale de la personne humaine à travers un projet éducatif clair qui a son fondement dans le Christ » et qui doit « se constituer en communauté de foi », dont tous les membres peuvent se nourrir « de la relation vivante avec le Christ et l’Église ». Le groupe ainsi formé ne doit pas rester clos sur lui-même, mais « s’ouvrir à un échange enrichissant dans une communion plus large avec la paroisse, le diocèse, les mouvements ecclésiaux et l’Église universelle8 ».

8Ces exigences, qui concernent l’ensemble des institutions scolaires catholiques établies dans le monde9, doivent être adaptées aux différents États, en fonction de la situation qui y est faite à l’enseignement catholique : « nos pays, rappelait François Dausset, ont une longue histoire politique et religieuse et chacun d’entre eux a organisé ses écoles selon sa sensibilité propre10 ». Les structures de l’enseignement catholique français sont présentées dans le Statut de l’enseignement catholique, promulgué par la Conférence des évêques de France le 14 mai 199211. Le préambule de ce texte rappelle que « les établissements catholiques d’enseignement, dans le cadre de la liberté publique d’enseignement reconnue par la Constitution française et par le droit international, sont des institutions chrétiennes qui participent à un service d’intérêt national » et « reconnaissent les obligations qui en découlent ». Il souligne aussi le double service accompli par l’enseignement catholique : service de la nation et de la société, et « service en Église », cette expression signifiant qu’un établissement catholique ne doit pas « vivre isolément », mais participer « à la vie de l’Église locale12 ». Son article 4 rappelle, là encore, que « dans chaque établissement catholique, le projet éducatif se réfère explicitement à l’Évangile et à l’enseignement de l’Église catholique13 ».

9Il ressort clairement de tous ces documents que, si l’Église voit dans l’école catholique « un sujet vraiment ecclésial14 », elle ne la conçoit pas pour autant comme une forteresse repliée sur ses méthodes et ses buts. D’ailleurs, d’une manière générale, pour mener son action dans le monde, l’Église entend utiliser « tous les moyens appropriés », même si « elle se préoccupe en particulier de ceux qui lui sont propres15 ». Elle ne néglige pas « ceux qui, selon la diversité des temps et la variété des cultures, l’aident […] à promouvoir le développement de la personne humaine16 » ; elle inclut dans son projet éducatif « toutes les causes nobles : la liberté, la justice, le travail, le progrès » ; elle respecte « les événements et les célébrations nationales des pays respectifs » et prend en considération « les problèmes de la société internationale17 ».

10Il convient encore de signaler les « 67 propositions de recherche de vérité pour une école catholique18 », les « Directives pour la formation » adoptées par le Comité national de l’enseignement catholique en mars 1993 et « la charte de la formation » élaborée et adoptée par le Comité national de l’enseignement catholique en 2004 et 200519.

Les acteurs

11Dans son titre 1^er, le statut de 1992 définit « chaque établissement catholique d’enseignement [comme] une communauté éducative placée sous la responsabilité du chef d’établissement et formée des élèves, des parents, des personnels d’enseignement, d’éducation, d’administration et de service, des prêtres et des autres personnes qui participent à l’animation pastorale, des gestionnaires, des anciens élèves et, dans la mesure du possible, des propriétaires20 ». Dans ses titres 2 à 5, il présente le service de la tutelle des établissements catholiques d’enseignement, détaille les composantes de la structure diocésaine et donne toutes les indications nécessaires à la nomination, à la formation et à la mission des directeurs diocésains, à la charge des comités académiques et des instances nationales de l’enseignement catholique. Celui-ci comprend donc une multitude d’acteurs, les évêques, les directeurs diocésains, les Supérieurs majeurs, les chefs d’établissement, les enseignants, les agents administratifs et les agents de service, les parents d’élèves et les élèves eux-mêmes, auxquels il faut ajouter le secrétariat général de l’enseignement catholique, les organismes de gestion, les syndicats, les associations de parents d’élèves, de chefs d’établissement… Ne pouvant tout aborder, nous nous intéresserons ici – et de manière partielle – aux tutelles, aux professeurs, aux parents d’élèves et aux élèves.

Les tutelles

12D’après le titre 2 du statut de 1992, consacré au « service de la tutelle » des établissements catholiques d’enseignement, l’évêque, responsable de l’enseignement catholique, « mandate ou agrée des autorités de tutelle diocésaines ou congréganistes21 », qui sont soit des directeurs diocésains, pour les établissements sous tutelle diocésaine, soit des supérieurs majeurs, pour les établissements sous tutelle congréganiste ; ces autorités de tutelle sont elles-mêmes assistées d’un « conseil de tutelle diocésaine » ou « de la congrégation » (art. 14 et 16). Or, le vieillissement des religieux et religieuses, la forte baisse du recrutement des congrégations, quand ce n’est pas son arrêt total, ont provoqué un effacement de la tutelle congréganiste au bénéfice de la tutelle diocésaine. En outre, la conviction, forte dans les années qui ont suivi le concile de Vatican II, que les congrégations avaient mieux à faire que de s’occuper de l’école libre (comme l’on disait alors) a conduit des congrégations à renoncer volontairement à la tutelle sur certains établissements pour se consacrer à des tâches, qui, à l’époque, leur semblaient plus urgentes ou, pour tout dire, plus chrétiennes. En 1994, date à laquelle le retrait, volontaire ou non, des congrégations était entamé depuis un certain temps, la tutelle congréganiste s’exerçait sur 21 % des écoles primaires, 40 % des collèges, 51 % des lycées généraux et techniques et 51 % des lycées professionnels22 ; en 2010, ce pourcentage est de 17,6 % pour le premier degré et de 39,7 % pour l’ensemble du second degré23. La situation est très inégale d’un diocèse à l’autre. Dans certains, la présence congréganiste est quasi inexistante dans le secteur scolaire : ainsi, sur trente-trois établissements catholiques que compte le diocèse de Soissons, un seul est placé sous tutelle congréganiste, mais dans le diocèse voisin de Beauvais, elle est de sept sur vingt-neuf24. La tutelle congréganiste est très forte en Alsace, où s’exercent trois types de tutelle (épiscopale, diocésaine et congréganiste). Cette dernière y est exercée sur vingt-cinq établissements, par quatorze congrégations différentes, alors, qu’ensemble, les tutelles épiscopale et diocésaine s’exercent sur huit établissements25.

13Or cette évolution est loin d’être anodine. Les fondateurs des congrégations enseignantes ont souvent été des précurseurs dotés d’un fort charisme, qui ont marqué les congrégations de leur empreinte, par exemple « le discernement spirituel des jésuites, la pédagogie de l’encouragement chez les ursulines, la lutte contre tous les esclavages chez les sœurs de Saint-Joseph de Cluny, l’affectivité de la relation chez les salésiens26 » ou bien encore « la vocation intellectuelle » des dominicaines, « l’ouverture aux pauvres » des Filles de la Charité ou la capacité des maristes à allier bienveillance et rigueur, conformément à leur devise suaver et fortiter27. Plusieurs directeurs diocésains ou chefs d’établissement s’accordent à reconnaître que la présence de religieux ou de religieuses dans les murs ou dans un bâtiment voisin contribue à affirmer l’identité catholique de l’établissement et à y faire régner un certain esprit, même s’il s’agit de religieuses reposantes, comme cela est le cas pour le groupe Saint Jean-Baptiste de La Salle à Saint-Denis28.

14Les congrégations, désormais bien conscientes des enjeux et des risques qu’une extension monopolistique de la tutelle diocésaine entraînerait pour la vie de l’Église, sont attachées à la préservation de leurs charismes propres : « Avec les congrégations, estime Christiane Durand, c’est une partie du patrimoine de l’Église qui risque de disparaître, et même au delà, du patrimoine éducatif. » En juin 2006, 104 congrégations se sont réunies dans une Union des réseaux congréganistes de l’enseignement catholique (URCEC), qui cherche à créer des « équipes locales de personnes motivées » aptes à maintenir « l’esprit du charisme » et s’efforce de trouver « une congrégation capable de prendre le relais » lorsqu’une congrégation est obligée de se retirer du champ éducatif. Par ailleurs, les congréganistes sont lucides quant à la capacité de renouvellement de leurs rangs – « on sait que les frères, c’est fini », reconnaît le mariste Gérard Cuinet – et comprennent la nécessité de se faire « passeurs de charisme » au bénéfice de « porteurs de charisme » laïcs29. D’ailleurs, d’après le frère Jean-Paul Aleth, visiteur provincial des Frères des écoles chrétiennes, les laïcs eux-mêmes autant que les Frères leur transmettent leur héritage30.

Les professeurs

15L’une des évolutions majeures depuis le vote de la loi Debré se rapporte aux professeurs, la modification du corps professoral tenant d’ailleurs certainement au moins autant aux évolutions sociétales qu’aux normes introduites par les textes législatifs ou réglementaires. L’enseignement catholique comptait 50 000 enseignants en 1952, 70 000 en 1962, 100 000 en 1975 et 150 000 en 1978. En 1952, presque tous étaient prêtres ou religieux, ce qui était encore le cas de 40 000 d’entre eux en 1962, mais, dans la seconde moitié des années 1970 il n’en restait que 10 000 environ31. Cet effondrement numérique du clergé dans les établissements catholiques doit bien sûr être mis en relation avec celui des vocations, des ordinations sacerdotales et du nombre de prêtres ou de congréganistes exerçant un ministère en France. En 1948, la France comptait environ 42 500 prêtres séculiers ; leur nombre s’était abaissé à 40 954 en 1965, 36014 en 1975, 28694 en 1995 et 21187 en 200532. Quant aux prêtres religieux, qui étaient près de 9000 en 1975, ils n’étaient plus que 4936 en 200733. Progressivement le déficit annuel, causé par les décès, les sorties de ministère et la baisse des ordinations, se fit de plus en plus marqué ; de 232 en 1965, il s’était élevé à 708 en 197434.

16Dès 1973-1974, les laïcs constituaient 87,1 % des enseignants de l’enseignement catholique35. Comme l’observe Gilles Baudouin, ce nouveau corps enseignant était composé de laïcs mariés et chargés de famille, ne consacrant pas tout leur temps à l’école et bénéficiant de la législation sur le travail36. Guy Goureaux et Jacques Ricot, chrétiens progressistes hostiles à l’enseignement catholique, présenté comme un complice objectif de la bourgeoisie37, ont eux aussi souligné les changements induits par la présence d’enseignants laïcs dans les établissements catholiques ; un enseignant laïc, constatent-ils, « revendique à juste tire des conditions de vie et de travail qu’on ne peut plus satisfaire par l’appel au renoncement, à la patience ou à l’obéissance passive. La notion de “vocation d’enseignant chrétien” dépérit avec l’encadrement clérical du corps enseignant38 ». À la même date, M^gr Honoré analysait cette évolution en termes positifs, mais pour d’autres raisons ; à ses yeux, cette évolution signifiait que l’école catholique était « passée d’un état de dépendance cléricale à celui d’une école ouverte à la responsabilité des laïcs », qu’elle n’était plus « un instrument de la hiérarchie » ; pour lui, ces changements s’inscrivaient « dans tout le mouvement qui secou[ait] la société » et permettraient à l’Église de ne plus être « en survol, mais en solidarité39 ». De son côté, le père Arrupe, préposé général de la Compagnie de Jésus, publia en 1980 une lettre intitulée « Nos collèges aujourd’hui et demain », initiative qui déboucha sur la formation d’un groupe de travail et l’élaboration d’un nouveau document, Les Caractéristiques de l’éducation jésuite, promulgué en 1986 par le père Kolvenbach, successeur du père Arrupe, dans lequel on relève ces lignes :

« Bien que le collège soit normalement dit “jésuite”, la vision est plus exactement dite “ignatienne”, et ne s’est jamais limitée aux seuls jésuites. […] Bien plus : les laïcs doivent apporter leur contribution personnelle, se fondant sur leur expérience de Dieu en famille et dans la société, ainsi que sur leur rôle propre dans l’Église ou dans leur culture religieuse. Une telle contribution enrichira l’esprit et accroîtra l’efficacité d’un collège jésuite40. »

17Cette transformation profonde du corps professoral exerçant dans les établissements catholiques – largement acceptée par les instances ecclésiastiques, qui tendirent même à l’encourager, car elle correspondait aux orientations du concile de Vatican II sur le rôle des laïcs41 – invite à s’interroger sur les motifs poussant des laïcs à choisir ce secteur plutôt que celui de l’enseignement public. S’agit-il d’un choix positif lié à des convictions religieuses et à la volonté d’agir dans la société et dans l’Église conformément aux textes cités plus haut ou bien d’un choix opportuniste guidé, par exemple, par la crainte d’être nommé dans un lieu non souhaité à l’issue des concours de l’enseignement public ? Pour Sylvie Mantel, l’enseignement privé catholique est recherché par les personnes « qui ne sont pas mobiles géographiquement », car il offre « l’énorme avantage de gérer les affectations en fonction de [la] région de résidence » et non à l’échelle nationale comme l’enseignement public42. L’inspecteur d’Académie honoraire Bruno Magliulo avance d’autres critères de choix : travail dans un établissement à taille plus humaine, possibilité d’effectifs plus réduits par classe, probabilité d’échapper en partie aux élèves difficiles43 … Le directeur de l’enseignement diocésain de Lille observe que beaucoup d’anciens élèves de l’enseignement catholique souhaitent y devenir professeurs à leur tour, que leurs motivations sont certes plurielles, mais que, parmi elles, il y a « place pour un vrai choix éducatif ». Au contraire, Madame Michel, du Centre de formation ignatienne, estime qu’il est difficile de recruter des professeurs « répondant vraiment aux attentes de l’enseignement catholique » ; de nombreux candidats, dit-elle, « témoignant pour la forme d’un accord avec le projet d’établissement ». Les directeurs d’Amiens, de Beauvais et de Soissons, tout en remarquant que l’on voit désormais arriver de jeunes candidats à l’enseignement privé ralliés à la notion de projet, ne font pas de cette attitude une règle générale ; ils regrettent par ailleurs que les concours propres à l’enseignement catholique ne soient pas davantage connus et qu’aucune information à leur sujet ne soit, selon eux, diffusée dans les Universités

18 En réalité, on trouve des affiches, à l’université de Picardie, par exemple.

. Pour sa part, le père Plessy, de l’ADDEC, pense que l’on peut assez aisément s’assurer de la sincérité des candidats en posant les questions appropriées et en les croisant. Précisément, le Syndicat unitaire national démocratique des personnels de l’enseignement et de la formation privés [SUNDEP], syndicat issu de la CFDT, reproche aux directions diocésaines de donner aux entretiens préalables d’agrément, « une orientation idéologique », et ce depuis quatre ou cinq ans. Le SUNDEP-Bretagne accuse les directions diocésaines de « sélectionner des candidats calibrés, formatés aux principes religieux dispensés par l’Église » et condamne la teneur de certaines questions posées aux candidats, par exemple « Comment vous situez-vous par rapport à la croyance en Dieu ? », « Quelle est la mission de chaque chrétien ? », ou « êtes-vous prêt à participer à des manifestations pastorales ? » Le SUNDEP a saisi à diverses reprises la HALDE pour dénoncer des discriminations et le Conseil d’État pour obtenir l’intégration de candidats reçus aux concours, mais écartés après l’entretien préliminaire ; d’après son site, ses démarches ont été couronnées de succès44.

19Sitécoles, « le site des professionnels de l’enseignement catholique 1^er degré » pose ces questions « [pour s’engager dans l’Enseignement catholique] faut-il être catholique ? Faut-il être croyant ? » et répond ainsi

« Chaque établissement est doté d’un projet éducatif se référant au Statut de l’Enseignement catholique. L’Enseignement catholique est ouvert à tous ceux qui acceptent son projet éducatif.[…]. Pour enseigner en école catholique, il faut pouvoir : […] – Vivre l’Espérance et croire à l’éducabilité de chacun. – Vivre le projet éducatif d’un établissement catholique d’enseignement. – Participer à la vie de la communauté éducative. […] Ainsi les enseignants dans la dimension du projet éducatif ont la liberté d’adopter des attitudes qui vont du respect – considéré comme un devoir de réserve – jusqu’à l’engagement dans la mise en œuvre de la proposition chrétienne. La procédure d’agrément permet de se mettre au clair avec cette participation à l’Enseignement catholique. C’est une attestation diocésaine dont les conditions et les modalités sont variables d’un diocèse à l’autre45. »

20D’après le site de la direction diocésaine de l’enseignement catholique du diocèse de Beauvais, « la liberté de conscience des enseignants est garantie. Cependant, ils sont sollicités pour participer à la mise en œuvre du projet éducatif de l’enseignement catholique. Sa spécificité se traduit notamment par le lien entre l’enseignement, l’éducation de toute personne la proposition d’un sens de la vie éclairé par l’Évangile

21 http://www.ddec60.fr/dossiers/dossiers.php ?id_dossier=48

 ».

Les parents d’élèves

22Pour notre propos, nous avons retenu ce qui se rapporte à l’appartenance socio-professionnelle des parents d’élèves et aux motifs qui les poussent à inscrire leurs enfants dans un établissement privé, que ce soit pour toute leur scolarité ou seulement pour quelques années, voire une seule année. Pour l’une et l’autre de ces deux questions, les analyses et les conclusions les plus contradictoires circulent, comme François Héran le constatait en 1996 : « On est frappé de voir avec quelle facilité les diagnostics se renversent selon les paramètres retenus et les populations de référence. Pire : le même constat chiffré peut donner lieu à des jugements de coloration très divers46. »

23Certains auteurs, par exemple Guy Rigaux et Jean Ricot en 1975, insistent sur l’appartenance des parents aux classes aisées et moyennes, sans nier pour autant la présence de parents appartenant à un milieu populaire, dans les campagnes notamment, phénomène selon eux explicable par l’idéologie conservatrice et l’aliénation sociale des ruraux. La même année, Yves O’Mahony publia dans La Nouvelle Famille éducatrice des statistiques relatives à l’appartenance socio-professionnelle des 800000 familles regroupées au sein de l’Union des APEL : la catégorie dominante est celle des agriculteurs (37 %), suivie de celle des ouvriers qualifiés et des manœuvres (20 %) ; les contremaîtres comptaient, eux, pour 14 % et les cadres moyens pour 11 % ; quant aux professions libérales et aux cadres supérieurs, ils occupaient le troisième rang avec 18 %47. Les résultats de la grande enquête menée peu après par Robert Ballion, uniquement pour la classe de seconde, montrent qu’à ce niveau de scolarité les parents industriels ou commerçants privilégiaient l’enseignement privé et les parents ouvriers l’enseignement public48. Des articles à caractère monographique soulignent au contraire avec force la présence d’enfants d’ouvriers et d’immigrés. En 1979, présentant le collège Sainte-Marie de Roubaix, Antoine de Fabrègues mit en lumière le changement survenu dans cet établissement en un laps de temps assez court ; naguère fréquenté par des enfants de commerçants et d’artisans, cet établissement accueillait désormais des enfants d’ouvriers « qui restaient autrefois dans le primaire » et de nombreux enfants « de nationalité étrangère », dont la présence s’expliquait par les mutations du quartier. Sur 365 élèves, le collège Sainte-Marie comptait ainsi 142 enfants étrangers (82 Algériens, 33 Italiens, 18 Portugais, etc.), soit un pourcentage de 38,90 %. Dans le même quartier, existaient trois écoles primaires catholiques comptant respectivement 49 %, 58 % et 75 % d’enfants étrangers. Or, la population scolaire globale de Roubaix, forte de 16 380 élèves, comprenait 1 640 enfants étrangers, soit un pourcentage infiniment moindre, 10,01 %, que celui du seul enseignement catholique49. De même, actuellement, pour le collège Saint-Jean-Baptiste de la Salle, Madame Marie-Claude Tribout souligne la présence d’élèves musulmans d’origine immigrée, tout en précisant qu’ils sont surtout nombreux dans l’enseignement technique et professionnel. En revanche, si l’on considère le cas des « élèves étrangers nouvellement arrivés en France », l’enseignement catholique est à la traîne, du moins sous l’angle numérique, car ses dispositifs pédagogiques destinés à ces élèves se révèlent adaptés et performants50. Actuellement, si l’on en croit un article du Monde du 2 septembre 2009, « l’enseignement privé sous contrat compte toujours davantage d’enfants de cadres supérieurs, professions libérales et chefs d’entreprise que l’enseignement public : 30,7 % contre 19,3 %. À l’inverse, les enfants d’ouvriers et de chômeurs y sont moins présents (22, 3 %), que dans le public (38,7 %) ». En fait, les résultats statistiques sont très différents selon que l’on analyse la population des établissements de Neuilly-sur-Seine ou de Saint-Denis, de Nice ou de Roubaix, d’une école primaire ou d’un collège, d’un lycée général ou professionnel ou agricole et l’on peut s’interroger sur la pertinence d’un pourcentage national et global. Ajoutons que, pour Gabriel Langouët, l’enseignement public est plus démocratique que l’enseignement catholique par « son recrutement initial », mais qu’il l’est moins dans son fonctionnement car il crée plus « d’écarts sociaux de réussite en cours de scolarité » et élimine plus d’enfants des classes populaires au fil de la scolarité51. Enfin, il ne faut pas oublier que la création d’établissements d’enseignement catholique est tributaire de la reconnaissance d’un « besoin scolaire » et de moyens financiers. Parmi les facteurs limitant l’accès au privé, La Croix du 16 décembre 2009 signale « l’inégale répartition géographique, notamment dans les quartiers les plus défavorisés », cite Éric de Labarre (« L’enseignement catholique souhaite depuis au moins vingt ans s’installer là où il y a ces besoins éducatifs nouveaux. Mais on ne nous donne pas les moyens de le faire ») et Béatrice Barraud (« Nous voudrions que la loi Debré soit appliquée de façon à nous ouvrir plus largement aux familles qui n’ont pas les moyens. Notamment dans les ZEP, où l’enseignement catholique a vocation à être. »). La suppression de postes aggrave-t-elle cette situation ? Dans La Croix du 19 avril 2011, Éric de Labarre précise que l’enseignement catholique a rendu 4 600 emplois entre 2008 et 2010, et qu’il doit en rendre encore 1533 en 2012 ; la politique de redéploiement des postes, précise-t-il, ne permet pas de régler tous les problèmes ni de « combler les besoins, énormes, en région parisienne ».

24Quant aux motivations des parents, elles font aussi l’objet d’analyses contrastées. Tout d’abord, furent-elles modifiées par le changement de statut de l’enseignement privé ? Si une réponse positive s’impose pour certains auteurs ou témoins, en revanche Edmond Vandermeersch, en 1969, estimait que, dès avant la loi Debré, « l’évolution du corps chrétien français » avait modifié la population s’adressant à l’enseignement catholique52. Allant dans le même sens, François Héran minimise le lien existant, « dans le passé », entre la pratique religieuse et l’école confessionnelle53.

25Que souhaitent donc les parents adeptes de l’enseignement catholique ? Les réponses à une telle question ne peuvent pas être monolithiques, car toutes sortes de paramètres d’ordre spirituel, idéologique, pédagogique, éducatif ou matériel peuvent s’entremêler, chacun d’eux jouant plus ou moins fortement. En 1975, Yves O’Mahony remarquait que nombre de familles n’inscrivaient pas leurs enfants dans un établissement catholique par souci religieux ou métaphysique, mais que leurs préoccupations n’étaient pas pour autant totalement dénuées d’une coloration spirituelle et qu’ils inscrivaient en toute connaissance de cause leurs enfants dans des établissements où les valeurs évangéliques étaient prônées54. La même année, à partir d’entretiens, Guy Goureaux et Jacques Ricot distinguèrent trois types de parents chrétiens (parents militants voulant faire de leurs enfants des citoyens généreux et responsables ; parents catholiques d’esprit clérical, tenant à un mode de vie traditionnel et soumis à la tutelle du clergé ; catholiques de milieux très favorisés) auxquels s’ajoutait « une large couche de population indifférente au problème religieux » formant « une grande part de la classe moyenne française », dont les membres étaient attirés par la réputation d’ordre et de réussite de l’enseignement privé, par la proximité géographique d’un établissement et, pour certains d’entre eux, par le désir de « singer la bourgeoise », laquelle, concluaient les auteurs « régn [ait] dans l’école privée », au niveau local, mais encore plus aux niveaux départemental et national55. Quelques années plus tard, dans le rapport déjà cité, Robert Ballion insista sur les demandes d’ordre moral ou social, sur la recherche d’épanouissement des enfants, sur un contact plus personnel et plus individualisé avec l’administration et les professeurs56.

26En 1982, dans Les consommateurs d’école, il dégagea l’idée selon laquelle « en répondant à des demandes que l’enseignement public ne satisfait que malaisément […] l’enseignement privé devient “la soupape de sécurité”, la “roue de secours” du secteur public ». Cette analyse fut en partie reprise en 1991 par Gabriel Langouët et Alain Léger pour qui « l’utilisation temporaire du secteur privé57 constitu[ait] en réalité pour beaucoup de familles un recours en cas d’échec » et qui voyaient dans le succès du privé plus l’effet des faiblesses du public que celui de « ses propres forces attractives58 ». François Héran récusa cette analyse, d’après lui fondée sur une erreur méthodologique, car les auteurs n’avaient considéré que les phénomènes de transfert du public vers le privé dans des situations d’échec scolaire, sans s’intéresser par ailleurs à la situation religieuse des parents59. Mais François Héran admet que des facteurs étrangers à la foi interviennent, par exemple l’offre locale, la possibilité de suivre de plus près le travail de ses enfants, de rencontrer plus facilement les enseignants60. Par ailleurs, François Héran, Gabriel Langouët et Alain Léger partagent la même conviction que seule une minorité de parents – François Héran les appelle « les minorités choisissantes » – peuvent se permettre de choisir l’établissement de leurs enfants et que cette possibilité constitue « un “luxe” inaccessible aux plus démunis61 ». En 2002, Alain Léger apporta une précision supplémentaire se rapportant aux motivations parentales : d’après lui, dans le public comme dans le privé, les parents n’attachant « aucune importance ni à la religion, ni à la laïcité sont de très loin les plus nombreux62 ». Plus récemment, Paul Malartre, dont les propos s’apparentent à ceux de Yves O’Mahany cités plus haut, a lui aussi examiné « la question des motivations des familles » et repris les conclusions de plusieurs enquêtes sociologiques montrant que « le critère religieux n’est pas dominant mais que les parents recherchent d’abord un encadrement, une proximité, en un mot un suivi de leur enfant ». Il reconnaît que l’argument consistant à dire que l’enseignement catholique est choisi « pour des raisons très conjoncturelles, parfois peu avouables, comme la possibilité de contourner la carte scolaire de l’enseignement public » est recevable, mais il le relativise en précisant que « la demande éducative » des parents est forte et que, même s’ils ne le formulent pas explicitement, « ils attendent que leur enfant puisse trouver des repères et ce qu’ils nomment souvent des “valeurs” ». Paul Malartre conclut : « l’enseignement catholique n’est pas catholique par son recrutement mais par son projet63 ». Interrogés sur ce point, les directeurs diocésains rencontrés à Amiens répondent que le choix par rapport à un projet d’établissement était quasi inexistant il y a une quinzaine d’années, que les parents s’adressaient à un établissement « au hasard », mais que, désormais, ils sont plus nombreux à s’y intéresser, à le lire et à pouvoir en parler ; certains parents n’hésitent pas à parcourir quotidiennement des trajets plus longs pour que leurs enfants puissent fréquenter l’établissement qu’ils ont choisi sur la base d’un projet leur convenant. Certes, disent-ils, il s’agit d’une minorité, mais d’« une minorité grandissante ».

Les élèves

27Avant la loi Debré, « le directeur d’un établissement d’enseignement privé était libre d’accepter ou de refuser l’admission d’un élève au sein de son école ». En stipulant que « tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinions ou de croyances » ont accès aux établissements privés sous contrat – le refus d’admission ne pouvant être décidé que pour des motifs ne se rapportant pas à l’origine, aux opinions ou aux croyances64 – la loi priva les directeurs des établissements privés d’un droit important et contribua à modifier le profil de la population scolaire de ce secteur, laquelle aurait de toutes façons évolué, comme toute la jeunesse française, au rythme de l’évolution des mentalités et de tous les changements sociétaux et sociaux ; comme le dit André Blandin, « les établissements sous contrat d’association et les établissements publics sont confrontés aux mêmes problèmes de société65 ». Il suffit d’observer les élèves de lycées privés à l’heure de la sortie des classes, comme nous l’avons fait en divers endroits, pour constater que, globalement, ils n’ont pas de leçons de savoir vivre à donner à leurs homologues du public… Les directeurs diocésains interviewés soulignent la grande similitude existant entre les élèves des établissements publics et ceux des établissements d’enseignement catholique ; les chefs d’établissement et les professeurs peuvent être conduits à régler les mêmes problèmes de comportement liés à l’usage des téléphones portables, à la grossièreté du langage, au port de vêtements ne semblant pas vraiment adaptés à la vie scolaire66, etc. Comme tous les élèves de leur âge, ceux des établissements catholiques peuvent être concernés ou touchés par les péripéties, parfois dramatiques, de la vie adolescente d’aujourd’hui. Quelques jours après notre déplacement à Amiens, un fait divers vint illustrer ce constat. Un collégien de Beauvais tenta de pénétrer dans son établissement avec une arme « empruntée » à son père ; or il ne s’agissait pas d’un élève d’un établissement difficile situé dans un quartier sensible, mais d’un jeune garçon de l’Institut du Saint-Esprit ayant décidé de tuer plusieurs de ses professeurs qui l’avaient réprimandé67.

28Reste à nous interroger sur la pratique religieuse des élèves scolarisés dans les établissements catholiques, dans lesquels, depuis la loi Debré, il ne peut pas y avoir d’enseignement religieux obligatoire. Nous disposons des résultats d’une enquête lancée par le Centre national de l’enseignement religieux auprès des paroisses et des écoles catholiques durant l’année scolaire 1993-1994. Sur 2 448 463 élèves de CE2, CM1 et CM2, 1 032 809 étaient alors catéchisés, soit 42,2 %, le taux de catéchisation de l’enseignement catholique était supérieur de 11 à 17 points à celui des paroisses, selon les diocèses68. Comme le disent les directeurs diocésains rencontrés à Amiens, « on ne peut plus présupposer une éducation chrétienne » chez les élèves inscrits dans les établissements catholiques. À Saint-Jean-Baptiste de la Salle, environ un quart des élèves du primaire et du collège sont catéchisés et le nombre des élèves musulmans n’est pas négligeable69.

En guise de conclusion

29Alors que le caractère propre des établissements d’enseignement catholique entrait déjà lui-même en contradiction avec les dispositions de la loi du 31 décembre 1959 les soumettant aux règles de l’enseignement public, on constate que les évolutions générales de l’enseignement associé, liées à celles de l’ensemble de la société, ne peuvent pas toujours se trouver en harmonie avec le caractère propre de l’enseignement catholique tel qu’il est défini par Rome. Deux nœuds de contradictions conjuguent ainsi leurs effets. La question essentielle, que nous ne pouvons que signaler en guise de conclusion, consiste à se demander quelles sont, dans ces conditions, les spécificités de cet enseignement, hormis les caractéristiques sociologiques déjà signalées.

30Diverses voix se sont élevées pour dire que l’enseignement catholique avait perdu son âme ou était en passe de la perdre. Guidés par un souci de préservation du catholicisme, qui leur paraît en danger, l’archevêque d’Avignon, M^gr Cattenoz, a publié en 2007 Une charte pour l’enseignement catholique dans le diocèse d’Avignon. Un chantier à réaliser70 et Anne Coffinier a créé une fondation destinée à soutenir la création et le fonctionnement d’écoles hors contrat71. Plus récemment, et dans le droit fil d’une lettre adressée à tous les épiscopats par la Congrégation pour l’école catholique, l’épiscopat français lui-même a manifesté sa volonté de resserrer son contrôle sur les établissements et a invité ceux-ci à assurer « une annonce explicite de l’Évangile72 ». Ce texte a suscité l’ironie des rédacteurs du site chrétien Hermas : « La chose est si surprenante d’ailleurs qu’elle en est presque cocasse, surtout quand on se souvient des (récentes) réactions de nombre d’évêques contre les protestations de M^gr Cathennoz (sic) contre la désertion de l’école catholique de sa mission73. » Mais, pour développer tous ces points, il faudrait un nouveau chapitre !