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Introduction. État et enseignement privé
p. 11-21
Texte intégral
1État et enseignement privé. Deux entités mises en vis-à-vis. S’agit-il réellement de deux entités ? S’il n’y a pas de doute pour l’État, qu’en est-il du côté de l’enseignement privé ? Singulier ou pluriel ? Usage de fait ou fondement en droit ? Les relations entre l’État et l’enseignement privé résultent d’une longue histoire sur laquelle il nous faut en quelques mots revenir afin de mieux comprendre les termes de la réflexion engagée par cet ouvrage puisque l’affaire ne commence pas avec la loi Debré, loin s’en faut !
2L’Université impériale fondée par la loi du 10 mai 1806 et plus encore par le décret du 17 mars 1808 ne prévoit pas dans ses 144 articles l’existence d’un enseignement privé qui ferait face à l’État ou pourrait entrer en dialogue voire en concurrence avec lui. En son article 5, le décret ne reconnaît que l’existence d’institutions tenues par des instituteurs particuliers et des pensions et pensionnats appartenant à des maîtres particuliers, soumis à l’autorisation du Grand maître de l’Université qui leur délivre un brevet d’une durée de dix ans. Il prévoit une exception pour les frères des écoles chrétiennes qui « seront brevetées et encouragées par le grand-maître », les supérieurs de la congrégation pouvant être membre de l’Université. Les établissements particuliers et surtout les pensions en tous genres tenus par des laïcs ou des religieux pullulent1 : toutefois ils sont soumis à une autorisation pour exister. Nombre d’entre eux dépendent donc d’initiatives de laïcs, souvent aussi de religieux – en particulier pour l’éducation des filles : l’État ne s’en préoccupe guère et laisse faire les initiatives particulières. Ainsi à Amiens a été fondé le premier pensionnat des dames du Sacré-Cœur pour les filles de la bourgeoisie en 18012, et en 1817 une congrégation enseignante pour l’enseignement primaire, la Sainte-Famille3 qui tiendra en main la première école normale primaire d’institutrices dans les années 1838. Par ailleurs, en dehors de l’Université, des séminaires dépendant des évêques étaient autorisés : mais, ils ne devaient pas être des établissements secondaires et ne devaient pas donc préparer au baccalauréat des élèves qui ne poursuivraient pas ensuite leurs études pour devenir prêtre.
3Or, par exemple, et, précisément à Amiens, ce n’est pas le cas : le premier établissement jésuite de France post-révolutionnaire est établi sous les apparences d’un petit séminaire au collège Saint-Acheul à Amiens4. Il sera fermé par les autorités administratives après d’âpres polémiques en 1828, prémisses de longues discussions qui aboutirent au choix emblématique que firent Charles de Montalembert et d’Henri Lacordaire d’ouvrir à Paris une école libre, le 9 mai 1831. École dont l’ouverture a été aussitôt interdite ; cette interdiction a été suivie d’un procès retentissant : c’était, bien entendu, le but recherché et attendu. Cette liberté hautement revendiquée sera scandée par les lois Guizot (école primaire), Falloux (école secondaire), Laboulaye/Dupanloup (enseignement supérieur). Les lois laïques de 1882-1886 instaurent une séparation de l’École et de l’Église catholique ; l’interdiction faite aux congréganistes d’enseigner en 1904, produisit un effet inattendu du législateur : les établissements privés confessionnels ne disparurent pas, mais se développèrent et tentèrent progressivement de s’organiser, afin de dépasser leur isolement mortifère. Progressivement se mettent en place, au début du XXe siècle, des directions diocésaines, chargées essentiellement, au nom de l’évêque du lieu, de coordonner l’enseignement primaire, les écoles secondaires étant, le plus souvent dirigées par de grandes congrégations romaines. Un Comité national de l’enseignement libre est finalement créé au sein de l’épiscopat en 1931 : l’enseignement catholique est pensé comme le premier type d’action catholique, au moment où celle-ci se spécialise.
4Comme la loi n’a interdit en aucune manière l’existence d’établissements privés, nombreux sont les engagements collectifs et individuels en faveur du maintien et de la défense d’un enseignement catholique. Or, les protestants ayant fait le choix de rallier la République5, ne subsistent que quelques rares écoles laïques privées à sensibilité pédagogique prononcée : Cempuis étant la plus célèbre d’entre elles, avant que n’ouvre, après la Première guerre mondiale, l’école Freinet de Vence ou quelques écoles Montessori, puis Steiner. De fait, à l’exception de quelques écoles industrielles patronales (encore sont-elles souvent influencées par l’Église catholique), de quelques très rares écoles juives, les seules écoles privées en nombre significatif qui subsistent à l’orée du XXe siècle sont des écoles catholiques tenues par des laïcs ou des prêtres, du moins officiellement puisque les congréganistes ne peuvent plus exercer leur ministère… mais le font parfois, en habit civil ! Les prêtres séculiers remplacent leurs confrères réguliers, donnant ainsi naissance, en particulier dans les départements de l’ouest, à la figure du vicaire-instituteur. Il s’agit d’un jeune prêtre qui s’engage complètement au service de l’enseignement et de l’éducation : sous la responsabilité du curé de la paroisse, il fait cours dans la journée et, le soir, anime les cercles de réflexion, voire le patronage de la première Action catholique dite générale.
5Les premières années du siècle sont donc dominées par ce que l’on appelle couramment la guerre scolaire6, en réponse à l’anticléricalisme dominant de l’époque7. Prêtres et évêques prennent ouvertement position en faveur de l’enseignement libre dans la presse confessionnelle. On va même jusqu’à une « guerre des manuels scolaires8 ». Et le magistère régule de façon stricte la conduite des fidèles catholiques dans le code de droit canon de 1917 en précisant que : « La fréquentation des écoles non catholiques, ou neutres, ou mixtes doit être interdite aux enfants catholiques. »
6Bref, l’engagement est frontal, aussi bien par rapport aux catholiques que par rapport à l’État et à l’enseignement public. Rares sont les hommes d’Église qui, tel l’abbé Lemire9, député du Nord, acceptent les lois scolaires et ne demandant rien à la puissance publique, estimant que la liberté se mérite.
7Cet engagement ne se limite pas aux religieux, bien au contraire. De nombreux laïcs prennent fait et cause pour l’enseignement catholique et se portent acquéreurs des établissements lorsqu’ils sont mis en vente à l’occasion de la dispersion des biens des anciennes fabriques après la loi de séparation de 190510. D’autres renoncent parfois à une brillante carrière dans l’enseignement public pour s’engager dans des établissements catholiques afin d’en sauvegarder l’existence. Profitant du vote de la loi de 1901 sur les associations ou de la loi de 1885 sur les syndicats, ils créent des structures juridiques qui servent ainsi de support à l’existence légale des établissements privés : c’est le cas du père du général de Gaulle qui remplacera les jésuites après leur départ forcé, rue de Vaugirard à Paris, en assurant la direction de l’établissement et ainsi sa pérennité. C’est le cas aussi d’Albert de Lapparent, fondateur du laboratoire de géologie de l’institut catholique. Ce dernier ira même plus loin dans l’engagement puisque qu’il participera en 1902 activement à la fondation d’une fédération syndicale pour la défense des enseignants des établissements secondaires et supérieurs qui s’étendra ensuite au technique11. Une autre fédération sera créée en 1905 pour l’enseignement primaire, avec les mêmes objectifs. Certains créent même des établissements qui, parfois, se révèlent novateurs. Ainsi Madeleine Daniélou fonde-t-elle à la fois un établissement de formation pour les futurs enseignants et un établissement secondaire12. La nouveauté réside ici dans le fait que son établissement prépare au baccalauréat, ce que ne font pas les lycées publics de jeunes filles : cette initiative contribuera à ouvrir à ces dernières l’enseignement supérieur, en créant des sections où la préparation au baccalauréat est assurée. L’initiative est certes d’obédience catholique, mais hors de la hiérarchie : elle est née d’une initiative individuelle.
8Craignant de ne plus pouvoir témoigner de leur foi, les catholiques intéressés par les questions éducatives consacrent ainsi l’essentiel de leur énergie à la défense et à l’illustration de l’école « libre ». Se considérant comme une forteresse assiégée, l’Église a, en effet, intimé l’ordre aux catholiques de fréquenter ces écoles où la neutralité n’est pas de mise. Les parents qui se risquent à mettre leurs enfants dans l’enseignement public se heurtent souvent à l’incompréhension dans leur paroisse, les curés n’hésitant guère à les dénoncer publiquement en chaire. Scolarisés par « l’école du diable », leurs enfants ne sauraient être engagés comme enfants de chœur, voire sont privés de sacrements. Ainsi se construit une manière de contreculture, avec ses rites et ses codes, sa presse et sa littérature, qui protège les catholiques de tout risque de contamination13.
9Quelques-uns, malgré tout, pactisent avec la République et s’engagent dans l’enseignement public. L’affaire n’est pas simple, car ils se heurtent à l’hostilité de leurs coreligionnaires et la suspicion de leurs collègues. Ils le font par conviction, pas nécessairement dans une perspective prosélyte, mais parce qu’ils refusent l’enfermement d’une culture séparée14. Il y a enfin les aumôniers, qui maintiennent une présence dans les internats de lycée. Leur existence est garantie par la loi de 190515, même s’il n’y a plus d’aumônier titulaire, assimilé pour leur rémunération aux censeurs de lycée, comme au temps du Concordat. Désormais désignés par l’évêque, ces prêtres sont souvent diplômés en théologie et en lettres, capables de débattre avec les élèves qui le souhaitent, voire avec les professeurs. Ils organisent des cours, des cercles de réflexion, des œuvres, en plus des activités pastorales traditionnelles : messes, etc. Ils représentent, en quelque sorte, l’engagement de l’intelligentsia catholique. Le journal Le Lien leur permet d’échanger des informations régulières sur leurs activités. Il s’agit de laisser ouvert un espace à l’affirmation de la foi, dans un monde scientiste hostile : on est, là encore, sur le registre de la défense.
10La guerre de 1914 achevée, la fraternité des tranchées laisse des traces. Les catholiques français ont montré, nonobstant les soubresauts de l’Action française, qu’ils sont majoritairement ralliés à la République. De leur côté, les gouvernements républicains mettent une sourdine à leur anticléricalisme et rétablissent les relations diplomatiques avec Rome. Un modus vivendi se met en place, que le Cartel des Gauches échoue à rompre en 192416. Qu’en est-il de côté de l’enseignement ? C’est véritablement le temps des engagements, multiples et contradictoires.
11Une nouvelle bataille s’engage, bataille qui n’est plus seulement idéologique mais financière : il s’agit d’assurer la pérennité des établissements privés qui ne survivent que par les dons de personnes physiques ou morales. D’où l’idée de la Répartition proportionnelle scolaire, émise dans les années 1920 et soutenue activement par le député de Lille, Grousseau : l’État et les collectivités publiques interviendront à proportion du nombre d’élèves pour le financement des établissements publics ou privés, aussi bien en matière d’investissement que de fonctionnement.
12Or, une autre inquiétude se fait jour depuis qu’en 1918, un groupe d’universitaires, les Compagnons de l’université nouvelle, militent pour la mise en place d’une école unique. En instaurant la continuité entre l’école primaire et l’école secondaire, ils souhaitent passer d’une école en ordres séparés à une école organisée en degrés successifs, auxquels accéderaient les élèves qui auront fait preuve de leur capacité intellectuelle17. Cette école serait gratuite, ce qui inquiète les catholiques dont l’école est généralement payante. La crainte de l’instauration d’un monopole d’État se fait jour, crainte d’autant plus vive qu’en 1927, le Syndicat national des instituteurs, réuni en congrès, proclame son intention de réclamer la nationalisation de l’enseignement confessionnel.
13Le combat pour l’« école libre » prend la forme de mouvements de masse qui occupent l’espace public. Les laïcs ont l’initiative, soutenus par les évêques : ancien combattant des guerres de 1870 et de 1914, le général de Castelnau fonde la Fédération nationale catholique en 1924. De nombreux catholiques la rejoignent au cours d’une campagne d’opinion – meetings, marches de protestation, distribution de tracts – qui rencontre un succès suffisant pour contraindre le Cartel des gauches à renoncer à ses projets, en particulier à la remise en cause du concordat en vigueur en Alsace-Moselle. On aboutira aussi en 1931, à l’occasion du vote du budget, à l’inscription dans la loi, de la reconnaissance du principe de la liberté d’enseignement. Entre temps, les parents d’élèves s’organisent et créent un mouvement national dès 1930 dans le cadre des Associations de parents d’élèves de l’enseignement libre (APEL). Elles se fédéreront après la Seconde guerre en une Union nationale (UNAPEL).
14Localement, l’engagement des catholiques peut conduire à une véritable « guerre au village », vive dans certaines régions (en particulier dans l’Ouest ou une partie du Massif central), absente ailleurs18. Ainsi n’est-il pas rare que, dans certains petits villages bretons ou vendéens, les écoles privées soient seules présentes. En revanche, la présence de l’enseignement catholique est à la fois plus discrète et mieux admise en ville : on peut estimer qu’un peu moins de la moitié des élèves du secondaire sont scolarisés dans des établissements privés dont la direction revient exclusivement à des ecclésiastiques, les laïcs y étant, au mieux, professeurs.
15Les jeunes garçons commencent toutefois à militer, tantôt dans l’ancienne Association catholique de la jeunesse française (ACJF), tantôt dans la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC19), même si cet engagement n’est guère apprécié de leurs coreligionnaires de l’enseignement public qui critique en effet l’enseignement privé : ainsi, dans les années 1930, l’un des témoins de ce colloque, Edmond Vandermersch, fera connaissance de Jean Cuminal au sein de ce mouvement, au collège jésuite de La Providence à Amiens où ils faisaient conjointement leurs études. Les jeunes filles se retrouvent soit à la JECF, soit chez les Noélistes où s’amorce une réflexion sur les problèmes du temps. Bref, l’école catholique commence à sortir discrètement de son ghetto idéologique. Notons que les protestants ne sont pas en reste et tentent, par exemple, d’organiser de leur côté une Fédération française des associations chrétiennes d’étudiantes qui, nées dans le protestantisme, se veut aconfessionnelles et regroupe des étudiantes qui souhaitent s’intéresser aux questions religieuses, morales et sociales : on y propose des conférences bibliques, mais aussi des sujets de réflexion tels que la femme au foyer, le caractère de l’enfant, le droit de vote des femmes20.
16Du côté des enseignants du public, aux timides ouvertures de l’avant-guerre succède une période d’affirmation des engagements, au cours des années 1920. On citera ici la figure de Pierre Paris, organisateur de la Paroisse universitaire. Une réflexion s’y engage, sur la manière de se situer à la fois dans l’enseignement public et dans l’Église. Dans les lycées, puis dans les universités, l’engagement du jéciste de « refaire chrétiens nos frères » se traduit par une volonté d’approfondissement de la culture religieuse et de conversion du « milieu » lycéen ou étudiant.
17Après le temps de Vichy, où l’on voit la plupart des évêques soutenir plus ou moins ouvertement le gouvernement considéré comme légitime et recevoir en échange une aide exceptionnelle et temporaire pour le fonctionnement des écoles primaires privées, mais où l’on voit aussi des directeurs d’établissement s’organiser pour sauver des enfants juifs, la question financière est plus que jamais à l’ordre du jour, alors que le principe même de la liberté d’enseignement est admis. C’est à partir de ce moment-là que se situent les prémisses des débats qui conduiront en définitive au vote de la loi Debré, objet même de la réflexion de ce colloque.
18Nous avons donc proposé un dialogue entre ce couple improbable : l’État et l’enseignement privé. Les choses auraient-elles à ce point évoluées qu’il faudrait repenser autrement les rapports entre les deux entités, tirer les conclusions d’un état de fait, sinon d’un état de droit ? Ce n’est pas tout à fait en ces termes que le problème se pose : nous sommes partis d’un constat – on parle de l’enseignement privé et nous souhaitions dresser une manière de bilan et d’inventaire de la loi cinquante après : le temps de la maturité.
19Certes des travaux ont eu lieu sur la question21 – beaucoup sont le fait de sociologues ou de juristes ; en revanche, peu d’historiens ou de pédagogues ont écrit sur la question22. Quelques colloques ont été organisés23, un seul, à notre connaissance s’intéresse explicitement à la question de l’enseignement privé, si l’on met à part les colloques plus commémoratifs organisés par l’enseignement catholique lui-même, signe de son appropriation d’une loi qu’il avait d’abord combattu24. On retrouvera en bibliographie l’essentiel des recherches récentes en la matière.
20Le livre est organisé autour de l’objectif général que le colloque avait défini : faire le point de l’état de la recherche et poser quelques questions sur le sens actuel de l’enseignement privé en France, enseignement de plus en plus diversifié aujourd’hui puisqu’il faut peut-être désormais l’écrire au pluriel. Notre interrogation pose la question du sens et de la valeur du service public d’éducation en France : l’enseignement privé sous contrat en est-il une modalité spécifique ou une mise en cause profonde ? Il s’agit aussi, dans la mesure du possible, de dépasser les querelles historiques (ce qui suppose d’en comprendre la signification) pour se demander ce que signifie éduquer et instruire en France aujourd’hui, dans le cadre d’un service public d’enseignement dont les modalités d’existence peuvent être variables mais dont le maintien est essentiel pour la cohésion nationale. On s’interroge ainsi sur la question des valeurs éducatives. Ce colloque a fait appel, en dehors des chercheurs reconnus, à quelques grands témoins et acteurs, afin d’éclairer le débat et nourrir la réflexion et tracer de nouvelles perspectives de recherche.
21Quatre parties scandent ainsi la réflexion. On peut les résumer ainsi.
22Une première partie, à caractère historique, revient sur l’histoire même de la loi Debré : sa genèse et son évolution jusqu’à la période la plus récente. L’auteur du premier chapitre, Bruno Poucet, a choisi d’engager l’analyse en termes d’histoire politique et culturelle, dans la mesure où les deux enjeux se croisent et s’ordonnent dans l’histoire même de cette loi.
23Les deux chapitres suivants sont consacrés à une confrontation entre des responsables nationaux de l’enseignement catholique et de l’enseignement public qui, chacun, à des moments différents de l’histoire, ont eu à connaître de la loi Debré et à la faire évoluer dans un sens ou dans un autre. Ils ont pu apporter quelques informations inédites. Les débats furent par ailleurs vifs : les questions de l’auditoire en sont le témoignage. La table ronde, animée par Jean-Marie Mayeur, comportait deux parties. La première était centrée autour de la loi Debré et du programme commun. On la lira dans ce chapitre 2. La seconde était davantage centrée sur le « moment Savary », et son échec, et les modalités nouvelles qui lui ont été substituées. On la retrouvera dans le chapitre 3.
24La seconde partie de l’ouvrage est centrée sur la question du caractère propre et des maîtres contractuels. L’objet du livre n’est pas de revenir sur tous les aspects de la loi Debré, mais de dresser un bilan. Or, l’un des points qui pose difficulté est l’articulation entre le cœur même de la loi – tel qu’il est défini par l’article 1 autour de la notion de caractère propre - et les principaux acteurs chargés quotidiennement de le mettre en œuvre auprès des élèves : les enseignants. Néanmoins, cela suppose éclaircies préalablement quelques éléments de contexte.
25Le premier est l’attitude de l’Église catholique par rapport à la laïcité et plus largement à la question de la sécularisation. On sait que la loi précède de peu un événement exceptionnel pour le catholicisme du XXe siècle, à savoir la réunion du Concile œcuménique à l’initiative du pape Jean XXIII à partir d’octobre 1962. Si la question de l’enseignement catholique occupe peu les pères conciliaires, néanmoins un texte d’orientation a été promulgué à destination des conférences épiscopales alors naissantes. En 1969, l’épiscopat français publie un texte, précise sa stratégie en matière scolaire et de laïcité. Cela concerne aussi bien les laïcs que les prêtres, les séculiers que les réguliers. Ces derniers méritent un examen spécifique dans la mesure où une bonne part des établissements catholique a été créée par des congrégations et sont sous leur tutelle : quel est aujourd’hui leur rôle, au moment où très peu d’établissements sont dirigés par des religieux ? C’est la seconde donnée.
26Ces éléments de contexte étant clairement définis par deux chapitres, rédigés par l’historienne Jacqueline Lalouette (chapitre 4) et par le professeur de sciences de l’éducation Guy Avanzini (chapitre 5), il est désormais possible d’une part de mieux comprendre ce qu’est un enseignant du privé dont le statut, s’il a toujours été de droit public, a, un temps, manqué glisser vers une privatisation rampante, en discordance avec une formation qui s’est, au moins pour le second degré, progressivement faite dans les institutions publiques, sauf pour les professeurs d’EPS. Telles sont les éléments du débat sur lesquels il nous a semblé utile de revenir : Bernard Toulemonde (chapitre 6), Yves Verneuil (chapitre 7) et Tony Froissart (chapitre 8) ont éclairé, chacun pour leur part, en juriste ou historiens, un des éléments de cette réflexion.
27La troisième partie explore les territoires de l’enseignement privé. L’histoire de l’enseignement privé ne peut se comprendre que dans l’espace qu’il habite. La géographie de l’enseignement privé a longtemps épousé la carte ecclésiastique française, catholique avant tout, les protestants ayant, dès les années 1880, renoncé à l’essentiel des écoles dont ils étaient responsables, les juifs ne développant leurs établissements scolaires qu’après la seconde guerre mondiale et les musulmans n’apparaissant dans le champ scolaire que de façon encore trop récente pour que leur présence soit significative. La question est donc essentielle de savoir si depuis cinquante ans et la contractualisation avec l’État, la géographie de l’enseignement catholique s’est sensiblement modifiée. C’est la tâche du chapitre 9 écrit par le sociologue Gabriel Langouët.
28À partir de là, il devient possible de comprendre de façon très fine pourquoi on fréquente un établissement privé plutôt qu’un établissement public : la multiplicité des critères rend nécessaire un renouvellement de l’analyse sociologique. La sociologue Agnès van Zanten s’est attelée à cette tâche dans le chapitre 10. Il nous a également paru nécessaire de prendre en compte un élément souvent oublié dans le choix d’un établissement privé, à savoir la question financière. André Robert, en analyste des politiques éducatives, a pris en compte les données aussi bien au niveau national qu’à partir de situations locales dans le chapitre 11.
29Il n’en demeure pas moins que le territoire de l’enseignement privé comprend des marges ou des extensions de plus en plus fréquentées par les enfants et les adolescents afin, pensent-ils, de mieux réussir leur scolarité – ce territoire-là méritait également un détour. Dominique Glasman, sociologue, a exploré ces marges où se prépare l’aide aux devoirs et bien d’autres choses encore dans le chapitre 12.
30On comprend enfin que le point de rencontre de toutes nos interrogations se situent dans le chapitre final de cette partie puisqu’il rassemble les responsables nationaux des trois fédérations de parents d’élèves : sous la houlette de Jean-Paul Delahaye, ils nous expliquent, dans le chapitre 13, ainsi pourquoi et comment ils habitent chacun leur territoire scolaire – cela permet de repérer convergences et divergences.
31Quatrième partie : questions d’identité. Si l’enseignement privé a une histoire et une géographie spécifique et habite des territoires qui tentent de répondre vaille que vaille à la demande des parents d’élèves, ceux-ci ont des attentes de plus en plus diverses et conduisent à une certaine fragmentation de l’offre scolaire. Celle-ci ne répond pas uniquement aux souhaits de chaque groupe religieux ou idéologique de se retrouver entre soi pour communier dans les valeurs auxquelles il croit, on constate aussi, à l’intérieur du groupe ultra dominant des écoles catholiques, une fragmentation, certes très minoritaire, mais qui sait faire parler d’elle et par contre-coup une tendance, dans les groupes dominants à l’affirmation identitaire – position que l’on retrouve aussi bien dans les établissements d’obédience catholique, juive, que les écoles musulmanes naissantes. Martine Cohen, Bruno Poucet et Tony Froissart ont donné chacun un éclairage sur les écoles juives (chapitre 14), musulmanes (chapitre 15) ou catholiques traditionalistes (chapitre 16). En revanche, nous avons fait le choix, cette fois, de ne pas aborder, la question des établissements à pédagogie spécifique, estimant que le sujet avait traité dans le précédent colloque. La question des nouvelles écoles protestantes a été abordée de façon succincte dans le débat.
32Tout cela renvoie à deux questions fondamentales : l’établissement et le rapport à l’État – cela fait l’objet des deux derniers chapitres de cet ouvrage, où est abordée une question qui court en filigrane depuis le début de notre enquête et qu’il convenait de traiter pour elle-même. Sylvie Da Costa et Agnès van Zanten apportent le regard du sociologue dans le chapitre 17, tandis que Claude Lelièvre, dans l’ultime chapitre, l’intègre à la question plus générale, du socle commun des connaissances.
33Il appartenait à Antoine Prost de dresser un bilan de la recherche : en définitive, si en cinquante ans enseignement public et enseignement privé se sont rapprochés (contenu d’enseignement, organisation administrative, etc.), il n’empêche que demeure entre les deux systèmes une véritable méconnaissance. Les traditions historiques pèsent de tout leur poids et rien ne permet de dire qu’elles disparaîtront facilement.
Notes de bas de page
1 Ainsi dans la Somme, dans les années 1810, on ne compte pas moins d’une centaine d’institutions dont certaines ont été très éphémères. Par Université, il faut entendre « un corps enseignant chargé de l’enseignement public ».
2 J. de Charry, Histoire des constitutions de la société du Sacré Cœur, vol. I, Rome, Pomel, 1981 [1975], p. 159-250 ; M. F. Carreel, Sophie Barat, un projet éducatif pour aujourd’hui, Paris, éd. Don Bosco, 2003, p. 3-36.
3 Aux origines de la Sainte-Famille : Jeanne-Claude Jacoulet (1772-1836) et ses correspondants Lettres et documents, Amiens, 1988 ; M.-C. Thibaut, « La Congrégation de la Sainte-Famille d’Amiens au XIXe s. », mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, université de Picardie, (dir. N.-J. Chaline), 1993.
4 L. Roure, « Saint-Acheul », J. Delattre, Les Collèges jésuites en France, Enghien, 1949-1957, p. 203-219.
5 P. Cabanel (dir.), « Les Protestants, l’école et la laïcité », Histoire de l’éducation, no 110, mai 2006.
6 M. Launay, L’Église et l’École en France XIXe-XXe siècles, Paris, DDB, 1988 ; B. Poucet, Entre l’Église et la République, Paris, Éd. de l’Atelier, 1998, id., La Liberté sous contrat, Paris, Fabert, 2009 ; G. Cholvy, N.-J. Chaline (dir.), L’Enseignement catholique en France aux XIXe et XXe siècles, Paris, Cerf, 1995.
7 J. Lalouette, La République anticléricale, Paris, Le Seuil, 2002.
8 Cl. Lelievre et É. Walter, La Presse picarde, mémoire de la République, Paris, Anthropos, 1985, p. 86-160 ; D. Moulinet, Les Classiques païens dans les collèges catholiques ? Le combat de Mgr Gaume, Paris, Cerf, 1995.
9 J.-M. Mayeur, Un prêtre démocrate, l’abbé Lemire, 1853-1928, Casterman, 1968.
10 A. Lanfrey, Sécularisation, séparation et guerre scolaire, les catholiques français et l’école, Paris, Cerf, 2003.
11 B. Poucet, « La Question syndicale dans l’enseignement privé au XXe siècle : éléments pour une histoire », Le Mouvement social, 195, avril-mai 2001, p. 79-99.
12 F. Mayeur, L’Enseignement Secondaire des Jeunes filles sous la Troisième République, Paris, Presses de la FNSP, 1977, p. 388-398 ; B. Poucet, « Madeleine Daniélou », J. Houssaye (dir.), Les femmes pédagogues, Éd. Fabert, 2009.
13 É. Poulat, L’Église, c’est un monde, Paris, Cerf, 1986.
14 R. Ladou, Monsieur Portal et les siens, Paris, Cerf, 1985.
15 É. Poulat, Scruter la loi de 1905, Paris, Fayard, 2010.
16 É. Poulat, Les Diocésaines, Paris, La Documentation française, 2007.
17 B. Garnier, Les Combattants de l’école unique. Les Compagnons, INRP, Lyon, 2008.
18 Y. Lambert, Dieu change en Bretagne, Paris, Cerf, 1985 ; G. Gauthier, Un village, deux écoles, mémoires d’un paléolaïque, Condé-sur-Noireau, Panoramiques-Corlet, 1994.
19 C. Roucoux, « Les Origines de la jeunesse étudiante chrétienne », mémoire de maîtrise d’histoire (dir. H. I. Marrou), Paris, 1973, voir aussi de façon générale pour toute cette partie, J.-M. Mayeur (dir.), Histoire du christianisme, t. XII et XIII, Paris, Desclée/Fayard, 1990-2000.
20 Bibliothèque municipale d’Amiens, fonds Hélène Lockert, ms 2453b. Ancienne directrice de l’école normale d’Amiens, elle tenta dans les années 1920 d’organiser un tel cercle à Amiens.
21 Une note de synthèse a été publiée en 2002 : B. Poucet, « L’Enseignement privé en France », Carrefours de l’éducation, no 13, juin 2002, p. 153-171, à notre connaissance rien depuis.
22 On peut se rapporter à B. Poucet (dir.), La Loi Debré, paradoxes de l’État éducateur, op. cit. p. 255-262 qui donne une bibliographie à jour en 2001 classée de façon thématique.
23 Par exemple, en mars 2010, sous l’égide de Guy Avanzini à l’Institut catholique de Paris, « Les Pédagogies chrétiennes en Europe », avec une forte présence institutionnelle de l’enseignement catholique ou encore en juillet 2009 sous la responsabilité du même à l’Institut catholique d’Angers « La Foi du pédagogue ».
24 C’est le cas, par exemple de la journée d’étude organisée par l’université Paul Cézanne d’Aix-Marseille 3 le 13 mars 2007 par Blandine Chélini-Pont, « L’Identité religieuse de l’enseignement privé sous contrat » avec la présence de l’archevêque d’Avignon, Mgr Catenoz. Le secrétariat général de l’enseignement catholique a organisé le 17 décembre 2009 en Sorbonne un colloquecommémoratif mais aussi programmatique « Liberté d’enseignement et participation aux politiques publiques d’éducation », par ailleurs des directions diocésaines, des organisations syndicales ont organisé des réunions ou publié des articles sur les cinquante ans de la loi.
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L'État et l'enseignement privé
Ce livre est cité par
- Jellab, Aziz. (2016) Société française et passions scolaires. DOI: 10.4000/books.pumi.8287
- (2017) Histoire des droites en France. DOI: 10.3917/perri.richa.2017.01.0575
- (2018) Sociologie de l'école. DOI: 10.3917/arco.zante.2018.01.0265
- (2020) Refus et refusés d’école. DOI: 10.3917/pug.cahon.2020.01.0191
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Ce chapitre est cité par
- Bourget, Carine. (2019) Islamic Schools in France. DOI: 10.1007/978-3-030-03834-2_2
- (2022) Table thématique des publications de Bruno Poucet. Carrefours de l'éducation, n° 53. DOI: 10.3917/cdle.053.0169
L'État et l'enseignement privé
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