Le huguenot résistant et Luther, le colosse aux pieds d’argile
Deux figures emblématiques pour la construction des identités collectives protestantes en France et en Allemagne
p. 55-68
Texte intégral
1Toute commémoration vit, selon Mona Ozouf, de « l’affirmation obsessive du même », alors que la remémoration, en tant que récit, tiendrait à distance et favoriserait la « désadhérence1 ». Lors des commémorations, nous dit Mona Ozouf, nous honorons les mêmes, nous sommes tous les mêmes, nous sommes toujours les mêmes et nous resterons les mêmes. La mise en scène commémorative serait donc pleinement identificatoire. Elle renforcerait l’identité collective du groupe et ferait fusionner un temps les individus dans un tout communautaire. L’axe temporel esquissé serait porteur de sens et d’orientation. Mais la commémoration serait aussi émulatoire dans la mesure où elle valoriserait les individus membres d’un groupe qui se célèbre lui-même et où elle réactualiserait un passé présenté comme glorieux et, de ce fait, mobilisateur pour forger l’avenir commun.
2La thèse de Mona Ozouf, pour séduisante qu’elle soit, est en partie contestable, faisant par trop l’impasse sur les interactions internes au groupe. Commémorer signifie, à l’origine, se remémorer « avec », ce qui présuppose une reconnaissance de l’autre comme semblable et différent à la fois et non pas uniquement une attitude fusionnelle. Lors de la commémoration, on ne mobilise pas seulement la mémoire culturelle du groupe, mais aussi ce que l’égyptologue allemand Jan Assmann nomme la « mémoire communicationnelle », autrement dit celle qui émerge des échanges entre parents et enfants ou entre personnes d’un même milieu ou d’une même communauté de destin2.
3Mais surtout, la commémoration ne repose pas dans tous les cas sur une mémoire « triomphante », les événements célébrés étant alors considérés par les membres du groupe comme un patrimoine glorieux investi d’une richesse symbolique dans laquelle ils puisent des forces nouvelles, en particulier lors des moments de crise et de dépression. Elle est de plus en plus, dans l’ère dite du « soupçon », l’occasion d’un travail d’introspection, de déconstruction et de défrichement douloureux des lieux du refoulé. C’est le cas lorsque nous avons affaire à une mémoire « honteuse » du fait d’un « syndrome » engendré par des fautes ou des crimes passés, pour reprendre une métaphore chère à Henry Rousso3.
4À côté de la mémoire « triomphante » dominante, la mémoire « honteuse » a joué un rôle lors des commémorations de la Révolution française de 1789 en raison du souvenir de la Terreur et des affinités maintes fois relevées entre la phase dure de la Révolution et les totalitarismes postérieurs. En 1989, ce type de mémoire était toutefois marginal puisqu’on prit soin à ne commémorer que les événements de 1789 et non ceux de 17924. Il est devenu, de nos jours, presque dominant en France du fait de la multiplication des recherches historiques sur Vichy, la torture en Algérie ou la colonisation.
5En Allemagne, la mémoire collective fonctionne déjà depuis de longues années sur ce mode. Même les commémorations qui pourraient éventuellement être porteuses d’une mémoire « triomphante », comme celles de Martin Luther, l’inaugurateur selon Hegel de la liberté de l’esprit5, sont entachées par les crimes de la Shoah. Elles sont moins l’occasion de ressourcements énergétiques et d’affirmations identitaires que des moments de réflexion critique et, si l’on nous permet ce terme, des « séances thérapeutiques ».
6Nous nous proposons ici de démontrer la pertinence de cette allégation au moyen d’une analyse comparative des commémorations françaises de l’Édit de Nantes et de sa révocation en 1998 et 1985, d’une part, et des commémorations allemandes des années Luther 1983 – commémoration du 500e anniversaire de la naissance du réformateur – et 1996 – commémoration du 450e anniversaire de sa mort –, de l’autre.
Commémorations et mythes de fondation
7Les commémorations mettent le plus souvent en scène des mythes de fondation. Comme le soulignait Ernst Cassirer, l’élément épique du mythe trouve dans l’élément dramatique du rite son complément indispensable6. Certes, les grandes commémorations ne sont pas à proprement parler des rites au sens que donne Jean Cazeneuve à ce terme7. Il s’agit plutôt de faisceaux d’actes mnémoniques ritualisés : célébrations solennelles, colloques historiques, rassemblements locaux, conférences-débats, créations artistiques, expositions ou bien encore émissions radiophoniques ou télévisées. Elles donnent lieu également à un foisonnement de publications, d’œuvres d’art, de numéros spéciaux de revues, de documentaires vidéo et de CD-roms consacrés à l’événement ou à la personnalité commémorés. La commémoration est donc un spectacle total, même si ce sont les cérémonies officielles et les grands rassemblements qui retiennent surtout l’attention des média et du grand public.
8Le mythe de fondation des protestants français évoque une négativité transcendée. Il repose sur une mémoire des vaincus8. Le groupe s’est constitué symboliquement à partir d’événements qui auraient pu le détruire et qui l’a, en effet, considérablement affaibli : les guerres de religion, la Saint-Barthélemy et surtout la révocation de l’Édit de Nantes. Le mythe d’origine des protestants allemands, lui, est positif. Il raconte l’acte fondateur du protestantisme sous la forme de la vita Lutheri, même si Luther voulait réformer l’Église catholique et non fonder une nouvelle confession et si son entreprise fut, elle aussi, maintes fois menacée. Le mythe qui narre une négativité transcendée a souvent une plus grande efficacité que le mythe positif. Il relate, en effet, de manière imagée un danger mortel qui n’a pu être paré qu’au prix de nombreux sacrifices, ce qui suscite au sein de la communauté concernée non seulement un fort investissement affectif, mais aussi un vif sentiment de supériorité.
9Cette mémoire « triomphante » fut l’enjeu, en 1985 comme en 1998, d’un conflit d’interprétations au sein de la petite communauté protestante de France9. « Progressistes » et « identitaires » se sont livrés un bras de fer pour l’interprétation légitime de l’Édit de Nantes et de sa révocation. Les « progressistes » désiraient prendre prétexte de ces événements pour délivrer un message politique fort et afficher le caractère ouvert de leur communauté en insistant sur la réconciliation avec les catholiques. Les « identitaires » souhaitaient, au contraire, profiter de l’occasion pour ressouder les liens du groupe, le fortifier en le motivant et promouvoir un œcuménisme intra-protestant.
10Les « progressistes » donnèrent le ton lors des célébrations solennelles qui se déroulèrent à l’UNESCO le 11 octobre 1985 et, à nouveau, le 18 février 1998. Les « identitaires » organisèrent, eux, leurs propres manifestations festives et conviviales : la rencontre à la Mutualité les 12 et 13 octobre 1985 et le colloque « Édit de Nantes 1998 – Foi et Tolérance » qui se déroula du 28 février au 1er mars 1998 au Palais des Congrès de Paris, Porte Maillot.
11Les célébrations à l’UNESCO furent solennelles, œcuméniques et marquées politiquement. À la tribune d’honneur on releva la présence des plus hautes autorités de l’État et de personnalités du champ religieux français. Les intervenants protestants s’efforcèrent de donner une image d’ouverture de leur groupe de référence en critiquant les tentations identitaires et en mettant l’accent, non sur les particularités confessionnelles, mais sur des questions politiques. En 1998, le président du Conseil national de l’Église Réformée de France, Michel Bertrand, vilipenda la manie actuelle des commémorations, signe que notre société ne dispose plus, selon lui, d’une mémoire vivante. Il affirma que « la multiplication de nos temps et de nos lieux de mémoire pourrait bien n’être qu’un substitut pathétique à nos trous de mémoire ». Bertrand estima que s’il convenait de célébrer l’Édit de Nantes, c’était avant tout pour encourager dans le monde actuel le sens et l’art du compromis et pour souligner la nécessité de la laïcité comme espace de confrontation et d’expression publique de convictions diverses. Il faut, selon lui, réhabiliter le politique et regarder l’autre, l’étranger, le différent « non comme une menace mais comme une richesse ».
12Le commentaire de la célébration à l’UNESCO de Jean-Luc Mouton dans le journal Réforme, est au diapason de ces propos. Il se félicite du fait qu’on y évita « l’écueil du passé glorieux invoqué à la rescousse d’un présent sans illusions ». Il n’y eut pas, écrit-il, de « flatterie inutile de l’identité protestante, pas de regard complaisant sur le passé, la culture et les valeurs supposées protestantes, mais une insistance œcuménique ». Mouton se réjouit dans son article de l’invitation faite à Mgr Louis-Marie Billé, président de la conférence des évêques de France, d’y prendre la parole, signe, selon lui, de « la dimension ouverte et décentrée de soi-même qui était nécessaire10 ».
13Les promoteurs des grandes manifestations identitaires, eux, ne firent pas mystère de leur intention de redonner par un recours à la mémoire et au mythe des contours marqués à la petite minorité protestante française menacée de disparition par l’évolution démographique et le développement de l’indifférence religieuse. Il est révélateur à cet égard que l’une des principales chevilles ouvrières de cette entreprise, l’historien et sociologue protestant Jean Baubérot est également l’auteur de plusieurs essais dénonçant les menaces de disparition qui pèsent en France sur le protestantisme11. Un autre organisateur du congrès, Pierre Bérend, directeur de l’hebdomadaire protestant Le Christianisme au XXe siècle, souligna dans une entretien donné à son propre journal :
« J’ai clairement dit, non seulement qu’il fallait commémorer l’Édit de Nantes, mais aussi qu’il fallait utiliser cette commémoration pour atteindre certains objectifs indispensables au protestantisme français : […] Proclamer l’existence en France d’une petite mais chaleureuse communauté protestante, et faire prendre conscience aux Français de toutes confessions, athées compris, que les protestants français participent d’une manière originale et forte au génie du pays. […] Leur dire qu’il existe une religion contemporaine, ouverte, fraternelle, qui est véritablement une religion pour le XXIe siècle. Cette religion, c’est le protestantisme12. »
14Dans un autre entretien, Bérend se réjouissait du fait que, grâce à cet anniversaire, toutes les télévisions et tous les journaux parleront du protestantisme, ajoutant à l’adresse de ses alliés évangéliques : « c’est une manière d’annoncer l’Évangile »13. Les deux grandes fêtes mnémoniques de 1985 et 1998 permirent, en effet, de souder un protestantisme hétérogène en offrant à ses membres des origines communes réelles ou imaginées14. Le président de la Fédération Protestante de France (FPF), Jean Tartier, fit explicitement référence au caractère agrégatif et assimilateur de la mémoire collective lorsqu’il affirma :
« Toute la famille protestante se sait concernée [par la commémoration de l’Édit…] Dans son actualisation, l’Édit de Nantes n’est plus la propriété des seuls huguenots mais celle de toute la famille protestante, de tout un peuple pour une vraie reconnaissance des diversités, religieuses et autres, dans l’espace démocratique d’aujourd’hui […]15. »
15Tartier lui-même n’est pas calviniste, mais luthérien. Comme de nombreux protestants français sans racines huguenotes, il s’identifie au passé des calvinistes. Mais c’est avant tout l’intégration des mouvements évangéliques et pentecôtistes au sein du protestantisme français que l’on voulut promouvoir. Il s’agissait de faire profiter un protestantisme vieillissant et stagnant du dynamisme de ces mouvements de réveil. Le culte de clôture au Palais des Congrès, préparé par une équipe interdénominationelle, constitua un moment fort de fusion des différentes composantes du protestantisme dans un creuset commun et témoigna de la vitalité actuelle de l’oecuménisme intra-protestant. Les « identitaires » ne firent par contre guère de place à l’oecuménisme avec les catholiques bien que le cardinal Jean-Marie Lustiger ait adressé un message de soutien aux participants du colloque16.
16La stratégie identificatoire attira les foudres du quotidien Le Monde. Henri Tincq affirma avec l’ironie du dépité :
« À la veille du culte solennel, dimanche matin, les protestants ont raconté leurs galères, le Refuge, le Désert, canonisé Henri IV, chanté leur fameux À toi la gloire, acheté des bibles et des croix huguenotes. […] Cette “première” rompait avec la traditionnelle sobriété protestante, et une partie de l’establishment réformé – y compris Michel Bertrand, président de l’Église réformée, ainsi que l’hebdomadaire Réforme – avait préféré boycotter une manifestation qui confirma, par son organisation et son public, la montée en puissance du courant évangélique en France. Loin de favoriser son unité, la commémoration de l’édit de Nantes souligne les tensions dans un protestantisme guetté par des formes de “réveil” de plus en plus ostentatoires17. »
17Solange Wydmusch, chercheur associé au centre du CNRS de Strasbourg « Société, droit et religion en Europe », reprend dans un article paru dans le Messager Évangélique, un organe de presse commun aux Églises luthérienne et réformée d’Alsace et de Lorraine, la critique acerbe de Henri Tincq. Elle fait remarquer que nous assistons en cette année 1998 à « un remake de la fête de 1985 », c’est-à-dire de la commémoration de la révocation de l’Édit de Nantes à la Mutualité en 1985 qui avait été également orchestrée, à l’époque, par Jean Baubérot. Wydmusch ajoute :
« Seules différences notables, un changement de thème : en 1985, le colloque s’intitulait “protestantisme et liberté”, cette année “foi et tolérance” ; et un changement de lieu, parce que le Palais des Congrès a remplacé la Mutualité […] Le festif remplace les débats, le consensus affiché et surtout le culte célébré ensemble doivent manifester le dépassement des déchirures sociales et théologiques, l’unité retrouvée au-delà des croyances et des dénominations18. »
18Il n’y eut pas, en Allemagne, de conflits d’interprétations du même type lors des commémorations qui marquèrent les deux années Luther. Certes, les piétistes et évangéliques font de plus en plus concurrence, dans ce pays également, aux Églises protestantes établies. Ils ont créé une série de doublets institutionnels19. Pour eux, le rapport au passé est cependant moins important que l’œuvre missionnaire. En outre, les instances représentatives du protestantisme allemand sont bien moins sensibles à l’activisme politique que celles du protestantisme français. Les tensions sont donc moindres à l’intérieur de l’EKD (Evangelische Kirche in Deutschland), l’organe fédératif des protestants historiques allemands, qu’en France.
19L’Allemagne connut, en 1983, un conflit d’un autre ordre qui marqua les commémorations parallèles de Martin Luther en RFA et en RDA. Les autorités communistes de la RDA cherchèrent à instrumentaliser politiquement la personne du réformateur de Wittenberg. Elles cessèrent de le présenter comme un pantin dans les mains des seigneurs et des princes et comme l’un des principaux responsables de la répression sanglante de la révolte des rustauds. Il fut, au contraire, célébré comme un grand Allemand et assimilé aux « forces progressives » dans les 15 thèses publiées en 1981 par le parti sur sa personne20. Un comité officiel « Martin Luther » placé sous l’égide du premier secrétaire au Comité central, Erich Honecker, fut créé en 1983. Les bastions du protestantisme allemand, qui se trouvent pour la plupart sur le territoire de l’ancienne RDA, ont été rénovés à grand frais, au grand dam des fonctionnaires du parti confrontés au problème de la dégradation massive du parc immobilier urbain. Une célébration officielle se déroula le 9 novembre 1983 dans le Deutsche Staatsoper de Berlin et rassembla, à côté de Honecker et des membres du politburo, des personnalités des Églises de la RDA et étrangères ainsi que de la communauté juive et des diplomates étrangers21.
20Le régime voulait réaliser par cette commémoration plusieurs objectifs :
- cimenter la partition de l’Allemagne en présentant la RDA comme la nation porteuse de la tradition allemande la plus glorieuse et la plus authentique22,
- donner un nouveau fondement identitaire à une nation de création récente, à un moment où l’idéologie marxiste était en voie de délitement,
- gagner les mouvements pacifistes associées aux Églises à la lutte contre le déploiement des missiles balistiques de portée intermédiaire en Europe de l’Ouest et
- faire profiter le système économique exsangue de la RDA de l’éthique protestante du travail.
21Cette stratégie identitaire officielle fait contraste avec la vive critique en RFA des instrumentalisations passées et contemporaines du réformateur23. Le chancelier Kohl regretta dans un discours prononcé le 24 juin 1983 à l’occasion de l’inauguration de l’exposition sur Luther et la réformation de Nuremberg que le réformateur allemand ait été toujours à nouveau utilisé par le passé comme un « contemporain utile » pour l’État24. L’histoire des récupérations politiques fut retracée en 1983 dans un reportage télévisé de Heiner Michel et Katrin Seybold intitulé « Ein wild, roh tobend Volk » (« un peuple sauvage et déchaîné »). Luther avait été célébré au XIXe siècle comme le héros fondateur de la nation allemande et d’une religion nationale avant d’être revendiqué aussi bien par les mouvements pangermaniques völkisch que par les nazis en raison, en particulier, de ses derniers écrits d’une rare violence sur les juifs25. Julius Schleicher affirma lors du procès de Nuremberg qu’il n’avait rien fait d’autre que de suivre l’exemple du réformateur de Wittenberg et que ce dernier devrait figurer à ses côtés sur le banc des accusés. Le réformé Karl Barth soutint, dans l’immédiat après-guerre, la thèse d’une part de responsabilité de Luther dans son instrumentalisation par les nazis, une opinion contestée alors par le luthérien Hans Asmussen26.
22Conscient de ces faits et désireux de rompre avec les commémorations hagiographiques du passé, on ne fit pas l’impasse en RFA sur les faiblesses et les erreurs du réformateur. Une des six journées consacrées à sa personne lors d’un colloque organisé à Nuremberg en 1983 porta sur le thème « Luther et les juifs ». La chaîne de télévision ZDF programma une émission sur ce même thème, ainsi que les chaînes régionales NDR et SWF qui traitèrent aussi d’autres sujets délicats : « Luther dans le Kaiserreich », « Luther dans la période nazie », « les dialogues de Luther sur l’État et la soumission aux autorités ». La procession qui suivit le culte de clôture de l’année Luther 83 à Worms comprit une station dans le cimetière juif de la ville.
23La doctrine luthérienne des deux règnes, utilisée en Allemagne par le passé pour justifier la nécessaire obéissance du peuple aux autorités politiques, à l’Obrigkeit, fit également l’objet de propos critiques. On trouve dans les discours officiels des années Luther plusieurs tentatives de réinterprétation de cette théorie dans un sens plus démocratique et laïque ainsi qu’une évocation mainte fois reprise des vives réprimandes adressées par Luther aux princes. Le superintendant de Plau, Thomas Küttler, dénonça en 1983, dans le cadre d’une rencontre organisée par la fraction de la CDU du Landtag de Saxe, ce qu’il nomme les fausses interprétations de la doctrine des deux règnes, tout en insistant sur le fait qu’elle faisait en 1983 encore l’objet d’une instrumentalisation par les autorités de la RDA.
24En 1996, la tonalité change puisque tout, ou presque, avait été dit sur ces sujets en 1983 et que la RDA n’existe plus. La critique de la récupération politique de Luther fait place à des gloses sur l’instrumentalisation de l’événement par les professionnels du tourisme27. Friedrich Schorlemmer, pasteur de Wittenberg et ancienne figure de l’opposition au régime communiste, affirme à cette occasion : « celui qui cherche à faire violence à Luther dans le domaine du fun, on devrait, pour citer Luther même, “lui botter les fesses” » (euphémisme pour l’expression utilisée par le réformateur en allemand du XVIe siècle « in den Ars fahren »)28.
25Il semble bien toutefois qu’il ne peut y avoir de commémoration sans aucune récupération politique. Le fait même de souligner la nécessité de la non instrumentalisation d’une figure historique constitue déjà en soi une telle opération : on loue par là le caractère démocratique et libéral de sa propre société. En 1983 comme en 1996, les orateurs mirent l’accent sur les valeurs défendues par Luther qui sont en conformité avec les principes de la Loi fondamentale allemande, comme la liberté de conscience ou l’insistance mise sur la responsabilité individuelle. C’est ainsi que le théologien Michael Plathow insista dans un ouvrage paru en 1996 et intitulé « Liberté et responsabilité » sur l’importance du luthéranisme pour les hommes et les femmes qui organisèrent la conjuration du 20 juillet 1944 contre Hitler29. Selon lui, la conception protestante de la liberté-responsabilité est susceptible de livrer un antidote non seulement aux idéologies totalitaires, mais aussi à la pression exercée sur les individus par les grandes modes éphémères et par le désir de réussite individuelle30.
Les « objets idéaux » des protestants français et allemands
26En Allemagne comme en France, les protestants, qu’ils soient « identitaires » ou « progressistes », infléchirent leurs mythes de fondation lors des commémorations étudiées. Ils insistèrent moins sur le caractère héroïque des grands prédécesseurs que sur l’impact actuel de leur message et de leurs actions. Cette stratégie leur permit d’établir une association subtile entre le protestantisme et un certain nombre d’objets idéaux de la modernité comme la tolérance, la liberté de conscience, la laïcité ou l’esprit critique.
27Jean Baubérot qualifia en 1998 l’Édit de Nantes de « premier acte de tolérance religieuse dans un État centralisé »31, ce document constituant à ses yeux un premier pas sur le chemin qui devait conduire plus tard à la laïcité32. Il affirma, en outre, dans un numéro de la revue catholique L’actualité religieuse consacré à la tolérance que si le souci d’orthodoxie et de conformité morale ont pu amener les protestants à se montrer intolérants – voir l’affaire Servet en 1553 –, le protestantisme dans son ensemble a favorisé le développement de cette valeur,
« tant à la faveur des circonstances historiques qu’en raison de ses caractéristiques propres. En désacralisant l’institution ecclésiastique et le pouvoir religieux, en développant l’instruction et le contact direct avec les Écritures, en insistant sur le libre examen et en relativisant la distinction entre clercs et laïcs, le protestantisme a fourni les arguments nécessaires en faveur de la tolérance, y compris contre les intolérances qu’il a lui-même générée33 ».
28On prit soin également, en 1985 comme en 1998, de souligner les liens existant entre le principe de l’autonomie des individus par rapport aux pouvoirs temporels et le protestantisme. Pour Pierre Bérend :
« La spécificité du chrétien protestant, est qu’il porte en lui un zeste d’anarchisme. Il est marqué par le fait qu’il est son propre pape, Bible en main. […] Sa seule autorité est les règles sociales qu’il accepte. »
29Il soutint que les protestants ont massivement résisté à l’autorité étatique sous Vichy et que les préfets et sous-préfets d’Algérie en 1961, soit environ 20 personnes, étaient tous protestants et se sont opposés au putsch des généraux34. Bérend qualifia, en outre, les « tutoyeurs de Dieu », comme aiment à se nommer eux-mêmes les protestants, de « bâtisseurs de République », et ce en particulier à partir de 1875. Il rappela que le protestant Ferdinand Buisson fut l’un des fondateurs, aux côtés de Jules Ferry, de l’école publique laïque et républicaine, que ce fut un huguenot qui organisa les écoles normales d’instituteurs – ces centres de formation des fameux « hussards noirs de la République » –, que d’autres ouvrirent aux filles l’accès à l’enseignement public et, qu’en 1905, ce fut aussi un protestant proche collaborateur d’Aristide Briand, Louis Méjan, qui rédigea la plus grande partie de la loi de séparation de l’Église et de l’État.
30On réactiva également, lors de la commémoration de l’Édit de Nantes du Palais des Congrès, l’ancienne thèse de Georg Jellinek, selon laquelle les Droits de l’Homme ont leur origine en milieu protestant35 – on commémorait en 1998 également le 50e anniversaire de la déclaration des Droits de l’Homme. On fit en outre l’éloge de l’éthique protestante du travail étudiée, en son temps, par Max Weber. Deux grands patrons protestants, Jérôme Monod, président du conseil de surveillance de Suez Lyonnaise des Eaux, et Jean-Louis Dumas, P.-D.G. d’Hermès, furent invités à prendre la parole dans une séance plénière du colloque du Palais des Congrès afin d’illustrer ce principe. Ils mirent l’accent dans leurs interventions respectives sur l’importance qu’a eu leur socialisation en milieu protestant pour la saine conduite de leurs affaires.
31Les commémorations tournant autour de l’Édit de Nantes permirent aux protestants français de s’identifier à deux figures emblématiques : le huguenot résistant et le huguenot du refuge. En France, protestantisme et résistance sont deux notions étroitement connotées. Pour le juriste protestant Jean Carbonnier, l’histoire du protestantisme est « l’histoire d’une résistance »36.
32À côté de la figure du huguenot résistant, celle du huguenot du refuge, assimilée aux demandeurs d’asile, fut au centre de la manifestation de l’UNESCO de 1998 qui se déroula sur fonds de manifestations des sans-papiers et de montée de l’extrême droite : les représentants protestants insistèrent sur la nécessité d’un engagement en faveur de la tolérance religieuse et culturelle dans le monde actuel, avant tout de la tolérance face à l’islam. La politique conduite dans ce domaine par l’ancien ministre de l’intérieur et des cultes, le protestant Pierre Joxe, auteur d’un ouvrage sur l’Édit de Nantes, fut louée par de nombreux commentateurs protestants37 et le synode national de l’ERF, qui se déroula en 1998 à Rezé-Les-Nantes, prit comme thème principal l’étranger, le préambule de la décision finale du synode établissant un lien explicite entre cette question et l’Édit de Nantes :
« Au moment de se prononcer sur cette question des étrangers, le synode se souvient de la manière dont les artisans de l’Édit de Nantes, il y a 400 ans, se sont soucié de permettre à des êtres humains déchirés par de profonds différends, de vivre ensemble dans l’espace d’un même royaume, “les mettant les uns à la garde des autres”. Convaincu que le problème de l’étranger se pose en des termes somme toute comparables aujourd’hui, le synode national veut s’inspirer de l’esprit de 1598. »
33L’Édit de Nantes fut présenté, par ailleurs, dans un grand nombre d’articles parus en 1998 dans les journaux protestants comme un mode de résolution de conflits intestins pouvant servir de modèle de nos jours encore, comme un « art de la paix », pour reprendre le titre d’un ouvrage publié pour la circonstance par Janine Garrisson et Michel Rocard38. Ce dernier, lui aussi un protestant, fut l’initiateur des accords de Matignon du 26 juin 1988 qui mirent fin, en Nouvelle-Calédonie, aux conflits sanglants entre indépendantistes et caldoches d’origine française39. En 1998, on trouve d’ailleurs dans la presse protestante française de nombreux rapprochements entre l’Édit de Nantes et l’accord trouvé en Nouvelle-Calédonie, fruit d’un sens du compromis « protestant »40. D’autres parallèles furent suggérés entre l’Édit et les négociations de paix en Bosnie, au Liban et en Irlande41.
34La correspondance établie entre la minorité protestante autrefois persécutée et les minorités actuellement discriminées permet de transformer un ancien « stigmate », pour reprendre l’expression d’Erving Goffman42, en « emblème ». Une minorité autrefois persécutée qui prend aujourd’hui fait et cause pour des minorités discriminées fait l’objet de gratifications dans nos démocraties pluralistes et libérales.
35Les protestants allemands ne peuvent adopter une stratégie du même ordre : leur groupe n’est devenu minoritaire que très récemment et fut, par le passé, plutôt aux côtés des persécuteurs que des persécutés, en particulier lors du Kulturkampf mené par l’État prussien contre les catholiques, même s’il est vrai que les massacres de la guerre de Trente ans sont encore présents dans les esprits et que le protestantisme allemand a ses propres martyrs pour la liberté, tel Dietrich Bonhoeffer. À cela s’ajoute encore l’instrumentalisation politique évoquée plus haut dont Luther fit l’objet.
36En Allemagne, Luther est un héros aux pieds d’argile et non une figure emblématique de la résistance à l’oppression. Mais cela même fait paradoxalement la force et l’attractivité du personnage. Le fait de l’avoir présenté, aussi bien en 1983 qu’en 1996, comme un commun des mortels avec ses faiblesses et ses doutes facilita l’identification à sa personne. C’est justement le contraste entre son caractère emporté et sa constitution maladive43 et l’ampleur de son œuvre qui suscite aujourd’hui l’étonnement et l’admiration et qui fait de lui une personnalité fascinante.
37La thèse de l’historien Joachim Fest selon laquelle les Allemands, coupés de leur histoire et privés des grandes utopies politiques du passé, se réfugieraient aujourd’hui dans le seul présent est manifestement erronée44. Les références à l’histoire sont pléthores en Allemagne comme on l’a vu en 1983 et en 1996. Les Allemands connaissent le même engouement en ce domaine que la plupart des autres nations. En 1983, il n’y eut pas moins de 100 cérémonies et manifestations commémoratives de Luther au plan national et des milliers au plan régional dans la seule RFA. Dans le Land de la Basse-Saxe on dénombra officiellement 320 célébrations, mais on estime, sur la base de dénombrements partiels, que ce chiffre ne constitue que 30 % des cérémonies organisées dans ce seul Bundesland45.
38Ce n’est pas la conscience historique qui fait défaut en Allemagne, c’est la mémoire « triomphante ». Mais il faut bien voir que l’humanisation des anciens héros et la reconnaissance de leurs faiblesses peuvent être des stratégies payantes dans une haute modernité qui vénère moins le « surhomme » goethéen et nietzschéen que l’homme en recherche, traversé de doutes, mais aussi capable de grandeur.
Conclusion
39Le cas de l’Allemagne montre que la commémoration peut servir à domestiquer une mémoire que l’on peut qualifier avec Jean-Baptiste Metz de « provocatrice » ou de « dangereuse »46. Pour ce faire, il faut trouver un juste-milieu entre le déni de mémoire et l’hagiographie. Cette dernière doit céder la place à une apologétique subtile qui tend à remplacer l’ancien culte du héros triomphant par celui du colosse aux pieds d’argile en Allemagne ou du résistant persécuté et du réfugié en France. Dans les deux cas, c’est moins la puissance et la gloire qui impressionnent que la capacité d’avoir des convictions en dépit des afflictions et des persécutions, des doutes et des faiblesses humaines. Nous avons affaire ici davantage à la construction d’une identité réflexive de type « ipse » qu’à celle d’une identité-mêmeté immutable et reproductrice du type « idem » pour reprendre l’opposition proposée par Paul Ricœur47.
40Les commémorations françaises et allemandes sont, en ce sens, moins éloignées qu’il n’y paraît au premier abord. La mémoire « triomphante » des huguenots est aussi la mémoire des persécutions et de l’exil, alors que la mémoire « honteuse » des luthériens allemands est également celle du succès de la réforme et des apports de cette dernière à la modernité. La commémoration est possible, dans ces deux cas de figure, à la fois en dépit et en raison des échecs, des fautes et des erreurs passés. Elle acquiert ainsi un caractère proche de celui du sublime, puisque selon Kant celui-ci harasse l’homme moral tout en le transfigurant.
41S’il est vrai qu’aussi bien Luther, le colosse aux pieds d’argile, que le huguenot résistant sont pensés, en fin de compte, comme des figures historiques associées à des valeurs politiques modernes partagées qui détonnent en post-ou surmodernité, les commémorations étudiées peuvent être vues dans le même temps, et ce dans les deux pays, comme des tentatives permettant de mieux se positionner au sein d’un champ de force de plus en plus fragmenté. Jean-Paul Willaime souligne dans son analyse des commémorations de 1998 que les différences sont moins perçues, de nos jours, comme des obstacles que comme des richesses et que la pluralité y est valorisée culturellement48. Les minorités doivent dès lors mobiliser leurs ressources symboliques, si elles veulent se positionner de manière avantageuse dans la compétition intercommunautaire.
Notes de bas de page
1 Mona Ozouf, « Peut-on commémorer la Révolution française ? », 1789. La Commémoration, Paris, Gallimard, 1999, p. 9-33, ici p. 11 et 29.
2 Cf. Jan Assmann, Das kulturelle Gedächtnis. Schrift, Erinnerung und politische Identität in frühen Hochkulturen, Munich, C. H. Beck, 1992, p. 48 et s.
3 Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1990.
4 Voir sur ce point la contribution de Julien Louvrier dans cet ouvrage.
5 G.W.F. Hegel, « Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie », Werke in 20 Bänden, t. 20, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1970, p. 50.
6 Cf. Ernst Cassirer, The Myth of the State, New Haven, Londres, Yale University Press, 1946.
7 Un acte individuel ou collectif doit pour devenir rite, selon Cazeneuve, se répéter selon des « règles invariables ». Cf. Jean Cazeneuve, Sociologie du rite, Paris, P.U.F., 1971, p. 12.
8 Je reprends ici l’expression employée par Liliane Crété dans sa contribution au présent ouvrage. Sur la commémoration de 1998 voir Yves Bizeul, « Identity and commemoration: French Protestants and the quartercenturary of Edict of Nantes », Ruth Whelan, Carol Baxter (dir.), Toleration and Religious Identity - The Implications of the Edict of Nantes for France, Britain and Ireland, Dublin, Portland, Four Courts Press, 2003, p. 34-50.
9 Les protestants de France constituent une petite minorité qui tourne autour de 2,2 % de la population française de 18 ans et plus (IFOP 2003/2004). Les enquêtes d’opinion ne livrent, il est vrai, que des statistiques approximatives. Selon un sondage CSA-La Croix-Réforme de 2006, 4 % de la population française de 18 ans et plus se sentent « proches du protestantisme ». Les protestants allemands furent longtemps majoritaires avant de perdre récemment ce statut en raison du nombre élevé de sorties d’Eglise, de l’immigration et surtout de la réunification, l’ancienne population de la RDA étant largement déchristianisée. En 2004, 37,4 % des Allemands ne payaient pas d’impôt d ´ Église, 31,5 % se disaient catholiques et seulement 31,1 % protestants. Il n’en reste pas moins vrai que la plupart des protestants allemands ont, aujourd’hui encore, le sentiment de constituer un groupe majoritaire, alors que les protestants français adoptent des stratégies typiques pour les communautés extrêmement minoritaires. Cf. sur les identités des protestants en France et en Allemagne : Yves Bizeul, Gemeinschaften mit Eigenschaften ? Die Identität der deutschen und französischen Gemeinschaften und ihre Sozialisationspraktiken – ein Vergleich, Baden-Baden, Nomos, 1993.
10 Réforme des 26 février-4 mars 1998. Jacques Chirac affirma dans son allocution : « Plusieurs leçons peuvent être tirées de l’Édit de 1598. Une leçon d’unité : […] La France est forte quand elle est rassemblée, faible quand elle est divisée. […] Une leçon d’autorité de l’État […] une leçon de “bonne gouvernance”. […] Le pluralisme, accepté au moins provisoirement, ouvrait un chemin qui devait le conduire, beaucoup plus tard, à la laïcité, valeur essentielle de la République, […] il mettait en oeuvre ce qu’on appellerait aujourd’hui la “discrimination positive”. […] La dernière leçon est bien sûr, une leçon de tolérance, doublée d’une leçon de vigilance ».
11 Voir en particulier de cet auteur : Le Retour des huguenots : la vitalité protestante, XIXe-XXe siècle, Paris, Cerf, Genève, Labor & Fides, 1985 et Le Protestantisme doit-il mourir ? Paris, Seuil, 1988. Baubérot fut le président du comité d’organisation de la manifestation du Palais des Congrès. Il est titulaire de la chaire d’Histoire et de sociologie de la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études.
12 Le Christianisme au XXe siècle des 1-7 février 1998, p. 8-9.
13 Voir « Ensemble pour l’édit de Nantes », Pierre-Alain Bérend, directeur du Christianisme au XXe siècle, et Jean-Luc Mouton, directeur de Réforme, expliquent leur engagement commun pour fêter l’édit de Nantes », propos recueillis par Mireille Legait-Verbregghe, Réforme, 9-14 octobre 1997, p. 4.
14 On ne dénombra pas moins de soixante stands associatifs. L’aile évangélique y fut bien représentée. Il n’y eut par contre aucun stand de la Fédération Protestante de France, ni de l’Eglise Réformée de France, non plus que du journal Réforme. Vingt ateliers eurent lieu où l’on traita des thèmes les plus divers comme le baptême, l’enseignement (nouvelles écoles), la Bible, l’œcuménisme, hommes et femmes dans l’Eglise, le pasteur, le ministère de guérison et jeunesse d’Eglise/jeunesse pour tous.
15 Le Christianisme au XXe siècle des 1-7 mars 1998, p. 3.
16 L’essentiel de ce message se trouve dans le passage suivant : « Quatre siècles plus tard, où en sommes-nous ? Peut-être à ce point providentiel où les conflits de pouvoir ne sont plus masqués par des motivations confessionnelles, pour les chrétiens de notre pays du moins. Nous pouvons et nous devons donc nous exhorter les uns et les autres à écouter ce que l’Esprit dit aux Églises ; non pour nous accuser mutuellement, mais pour nous repentir selon la volonté de Dieu ». Le message est reproduit dans Œcuménisme Information, 284/4, 1998, p. 12.
17 Le Monde du 3 mars 1998, p. 9. L’article de Henri Tincq porte le titre suivant : « Fête de famille protestante pour la commémoration de l’édit de Nantes ». Tincq avait en novembre 1997 une attitude bienveillante envers cette entreprise. Il soulignait alors : « En décidant de célébrer le quatrième centenaire de cet événement – que l’historien Jean Baubérot qualifie de “premier acte de tolérance religieuse dans un État centralisé”, la Fédération protestante de France n’entend pas ressasser le souvenir de pages parmi les plus tragiques de l’histoire de France, ni même faire claironner le “cocorico huguenot”, comme l’a dit Jean Tartier, président de la Fédération protestante de France, jeudi 9 octobre au cours d’une conférence de presse. Il s’agit, a-t-il poursuivi, d’“actualiser” la réflexion sur la liberté religieuse et la coexistence entre les religions dans un pays laïque comme la France. Un comité national a donc été mis en place sous le patronage de Jacques Chirac ». Cf. Œcuménisme Informations, 279/11, 1997.
18 Messager Évangélique de décembre 1998. L’article est intitulé « Les commémorations protestantes. Stimulations pour l’avenir ». Sur les commémorations de 1985 voir Yves Bizeul, L’Identité protestante, Paris, Méridiens Klincksieck, 1991, p. 29-82.
19 Cf. Hans Norbert Janowski, « Evangelikale Politik », Evangelische Kommentare, 19/3, 1986, p. 123-124 ; Erika Kimmich, « Über die Notwendigkeit von Alternativstrukturen », Idea-Dokumentation, 1, 1989, p. 5-7.
20 « Thesen über Martin Luther. Zum 500. Geburtstag », Einheit, 36/9, 1981, p. 890-903, ici p. 889.
21 Cf. Neues Deutschland du 10 novembre 1983, p. 1.
22 « Die sozialistische Deutsche Demokratische Republik ist der einzige rechtmäßige Erbe des besten, was das deutsche Volk in seiner langen, wechselvollen Geschichte hervorgebracht hat. Sie ist Fortsetzer aller großen Leistungen der Vergangenheit », Kurt Hager, Die entwickelte sozialistische Gesellschaft, Berlin (RDA), Dietz, 1972, p. 48. Cf. Siegfried Bräuer, Martin Luther in marxistischer Sicht von 1945 bis zum Beginn der achtziger Jahre, Berlin, Evangelische Verlagsanstalt, 1983 ; Hans Süssmuth, « Luther 1983 in beiden deutschen Staaten. Kritische Rezeption oder ideologische Vereinnahmung? », Hans Süssmuth (dir.), Das Luther-Erbe in Deutschland. Vermittlung zwischen Wissenschaft und Öffentlichkeit, Dusseldorf, Droste, 1985, p. 16-40; Rainer Postel, « Zum Ertrag des Lutherjahres für die Geschichtswissenschaft », Peter Manns (dir.), Zur Bilanz des Lutherjahres, Stuttgart, F. Steiner, 1986, p. 51-79, ici p. 64 et s.; Friedrich-Ebert-Stiftung (dir.), Martin Luther Ahnherr der DDR? Zu seinem 500. Geburtstag, Bonn, Neue Gesellschaft, 1983; Horst Dähn, Joachim Heise (dir.), Luther und die DDR: der Reformator und das DDR-Fernsehen 1983, Berlin (RDA), Édition Ost, 1996.
23 Sur les instrumentalisations de Luther lors des commémorations des XIXe et XXe siècles voir l’article sur la Réformation de Gérald Chaix dans la version allemande des « Lieux de mémoire » : Gérald Chaix, « Die Reformation », Étienne François, Hagen Schulze (dir.), Deutsche Erinnerungsorte, t. 2, Munich, C. H. Beck, 2001, p. 9-27.
24 Hans Süssmuth, 1985, p. 16-40, p. 21.
25 Cf. sur ce point : Lucie Kaennel, Luther était-il antisémite ? Genève, Labor & Fides, 1997.
26 Cf. Jan Herman Brinks, « Einige Überlegungen zur politischen Instrumentalisierung Martin Luthers durch die deutsche Historiographie im 19. und 20. Jahrhundert », Zeitgeschichte, 22/7-8, 1995, p. 233-248.
27 Lors de l’année Luther 1996, il y eut 250 000 nuitées supplémentaires. Les hôteliers, restaurateurs et commerçants firent 60 milliards de deutsche mark de bénéfices. Cf. Helmar Junghans, « Das Luthergedenken 1996 », LutherJahrbuch 1998, p. 109-178, ici p. 166.
28 « In den Ars fahren. Zum 450. Todestag vermarkten Tourismusexperten den Reformator total – Fun mit Martin Luther », Der Spiegel, 10, 1996, p. 118.
29 Michael Plathow, Freiheit und Verantwortung. Aufsätze zu Martin Luther im heutigen Kontext, Erlangen, Martin Luther, 1996, p. 311.
30 Ibid., p. 321.
31 Réforme des 9-15 octobre 1997, p. 4.
32 Voir sur ce point Bernard Cottret, « 1598-1998 : l’édit de Nantes. Aux origines de la laïcité française ? », La Pensée, 313, 1998, p. 115-125.
33 L’actualité religieuse du 15 mars 1998, p. 36-39. Propos recueillis par Laurent Grzybowski. Voir également : Thierry Wanegffelen, L’Édit de Nantes : une histoire européenne de la tolérance du XVIe au XXe siècle, Paris, Livre de poche, 1998.
34 « Savez-vous que tous les préfets et sous-préfets d’Algérie, soit environ 20 personnes, étaient protestants. […] le gouvernement avait conscience du respect de la légalité, du respect de la loi, du sens du devoir, de la rigueur individuelle qui font que les protestants ne pactisent pas avec les putschistes [… Ils n’acceptent] pas n’importe quelle soumission et n’importe quelle autorité. » Cf. Le Christianisme au XXe siècle des 1-7 février 1998, p. 8-9.
35 La thèse de Jellinek fut contestée par Émile Boutmy. Voir les éléments de ce débat dans la Revue française d’histoire des idées politiques, 1, 1995.
36 Jean Carbonnier, Coligny ou les sermons imaginaires, Paris, P.U.F., 1982, p. 20.
37 Pierre Joxe, L’Édit de Nantes – une histoire pour aujourd’hui, Paris, Hachette Littératures, 1998. Pierre Joxe, qui comme Michel Rocard est issu du milieu protestant, avait été l’initiateur de nombreuses mesures en faveur de l’intégration d’un islam à la française respectueux du principe de laïcité. Il avait créé, avec le Corif (Conseil de réflexion sur l’avenir de l’Islam en France), un premier embryon de représentation musulmane et donné des instructions pour que les musulmans de France puissent organiser leur abattage rituel, qu’ils reçoivent des « carrés » dans les cimetières et que soient fixés de manière officielle, avec l’aide de l’Observatoire de Paris, les dates du début et de la fin du jeûne du Ramadan. Cf. l’entretien accordé par Pierre Joxe à Réforme des 23-29 octobre 1997, p. 12.
38 Janine Garrisson, Michel Rocard, L’Édit de Nantes. L’art de la paix, Biarritz, Atlantica, 1997.
39 Voir l’interview de Michel Rocard dans Réforme des 9-15 octobre 1997, p. 12.
40 Voir dans Le Cep (395/2, 1998, p. 11) l’entretien de Michel Cordier et de Jacques Stewart, l’ancien président de la FPF qui fut membre de la mission française de dialogue en Nouvelle-Calédonie (mai-juin 1988) ainsi que l’article « Comment fut évitée la guerre civile en Nouvelle-Calédonie » (Réveil, 2, 1998, p. 8) – il s’agit ici d’un résumé de l’entretien paru dans Le Cep.
41 Cf. par exemple les actes de la table ronde « L’Irlande du Nord en quête de son édit de Nantes » dans le hors-série La Croix-Réforme intitulé « Les 400 ans de l’Édit de Nantes. Les religions de la guerre à la paix » (Paris : Bayard presse, 1998), l’interview de Xavier Bougarel sur la guerre et la tolérance en Bosnie réalisée par Dominique Fabre dans Le Christianisme au XXe siècle des 1-7 mars 1998 (p. 11) et l’article de Claudine Castelnau « La parole, pas la guerre » sur les négociations entre le Sinn Féin et les unionistes en Irlande du Nord dans Réforme des 9-15 octobre 1997 (p. 2). Le Centre protestant d’Études et de Documentation (CPED) a publié dans sa revue LibreSens (68, 1998) un dossier portant sur les « paix religieuses possibles ou impossibles aujourd’hui ».
42 Erving Goffman, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Minuit, 1975.
43 Cf. « Fäuste des Satans. Martin Luther, vermeintlich eine Kraftnatur, war in Wahrheit ein schwerkranker Dauerpatient », Der Spiegel, 10, 1996, p. 222-224.
44 Cf. « Was für ein Land! », Die Zeit, 7 octobre 2004.
45 Harmut Löwe, « Das Jahr, das sich nach Martin Luther nannte. Eine kirchliche Bilanz der Gelegenheiten und Verlegenheiten », Kirchliches Jahrbuch, 110/1, 1983, p. 79-92.
46 Jean-Baptiste Metz, Memoria passionis : ein provozierendes Gedächtnis in pluralistischer Gesellschaft, Fribourg-en-Brisgau, Herder, 2006. Metz se réfère ici avant tout à la mémoire de la passion du Christ. L’expression « mémoire dangereuse » est utilisée dans notre texte dans un sens plus large et, de ce fait, différent. Elle inclut la mémoire d’Auschwitz.
47 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 140 et s.
48 Réforme des 12-18 mars 1998, p. 4.
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