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Aristocraties méridionales

 | 
Didier Panfili

Chapitre I. L’aristocratie dans les tourmentes (Xe-XIIe siècle)

Texte intégral

  • 1 Louise [128]. Lemesle [121].
  • 2 Débax [57].
  • 3 Pradalié [184] 9.

1L’entreprise est périlleuse. Se lancer dans une tentative d’histoire politique du Bas-Quercy et du Haut-Toulousain peut paraître une gageure tant les informations sur ce thème font défaut. Nous ne disposons ni des récits détaillés tout autant que vivants qu’un Orderic Vital rédigea sur les conflits opposant les membres de la haute aristocratie de l’Ouest français1, ni de la richesse d’un cartulaire des Trencavel renfermant serments et paix qui nous font accéder à l’alternance des phases de guerre et des périodes d’activité diplomatique du Languedoc occidental2. Par ailleurs, le Quercy apparaît à bien des historiens comme un désert documentaire au point que, récemment encore, il fut justement question des « obscurités de son histoire » politique pour le Xe siècle3, bien plus marquées que celles des pagi voisins. Mais à considérer l’ensemble de la zone d’étude, le Haut-Toulousain n’est finalement guère mieux loti pour la période la plus ancienne.

2Au moment où débute cette étude, Quercy et Toulousain ne relèvent de la même autorité que depuis peu. L’unité est en effet réalisée entre le dernier tiers du IXe siècle et le début du Xe au profit des Raymondins. À partir de ce moment, et sauf quelques rares et courtes phases de guerre, jamais plus Bas-Quercy et Haut-Toulousain ne seront séparés. Plus proche du tableau impressionniste que de la fresque, la première partie du chapitre avance par touches, imprécises, floues et trop souvent incertaines. Elle traduit l’état des données, extrêmement lacunaires jusqu’au comte Pons, fils de Guillaume Taillefer. La seconde partie est plus assurée, qui nous entraîne rapidement dans cette guerre de cent ans méridionale qui aboutit à la croisade contre les Albigeois. Quant à parler d’histoire politique, c’est encore une autre affaire. Pour autant, ne pas s’y essayer, c’est risquer de passer à côté de certains éléments de compréhension des comportements aristocratiques.

Une protohistoire du Quercy et du Toulousain (fin IXe-début XIe siècle)

  • 4 La littérature sur le sujet est très abondante. Parmi les productions marquantes, Lauranson-Rosaz (...)

3Ce premier découpage – de l’extrême fin du IXe siècle à la fin du premier tiers du XIe siècle – est avant tout imposé par l’étroitesse du dossier documentaire. Et puis, doit-on le rappeler, la chronologie comtale est loin d’être assurée avant l’an Mil même si une série d’études récentes est venue partiellement éclairer celle-ci, laissant toutefois la part belle aux hypothèses pour certaines d’entre elles4.

  • 5 HGL, V, col. 240-250.
  • 6 HGL, V, col. 274-280.
  • 7 HGL, V, col. 236-239 ; CSS 280.

4Il y a moins de deux décennies à peine, s’appuyant sur une tradition héritée des bénédictins de Saint-Maur transcrite dans l’Histoire Générale de Languedoc, on considérait que le principat du comte Guillaume Taillefer s’étendait de 950 à 1037. Aujourd’hui, cette durée est réduite d’un demi siècle. La perte des archives comtales et épiscopales ne facilite certes pas les choses. L’absence de chronique non plus. Et le fait que, sur ces bases déjà ingrates et difficiles, les hommes s’ingénient à ne pas indiquer les filiations, aggrave encore le problème : les trois testaments de membres de la famille comtale – Raymond5, Garsindis6, l’évêque Hugues7 – ne permettent absolument pas de dresser de généalogies assurées, d’autant que les Raymond et les Hugues se multiplient à l’envie. Dans le long codicille que Raymond « de Rouergue » dresse en 961, il parle de ses épouses, de ses fils Raymond et Hugues, de ses nepotes Raymond et Hugues, mais aussi de Raymond et son nepos Hugues.

  • 8 Débax [57] 340.
  • 9 Settipani [195] 1-36.
  • 10 Débax & Framond [9bis] 11.

5Pourtant, ce ne sont pas moins de trois nouveaux comtes Raymond qui ont été identifiés et qui viennent s’intercaler avant Guillaume Taillefer, modifiant la succession comtale et bousculant la numérotation traditionnelle. Raymond IV de Saint-Gilles devenant Raymond VII si l’on suit ces avancées, et Raymond VI, avec qui cette histoire se clôt, mutant en Raymond IX. La plupart de ces propositions sont solides mais l’affaire n’est pas vraiment stabilisée8 : il suffit de lire les pages que consacrent C. Settipani à ces problèmes de filiation par diverses conjectures pour saisir le peu de solidité de bien des tentatives de reconstitution de généalogie comtale antérieure à l’an mil qui ont vu très récemment le jour9. Aussi, au risque de faire perdurer une tradition historiographique désuète, le choix a été de maintenir les dénominations « classiques10 ».

Du Quercy des Immenon au territoire des Raymondins (fin IXe-milieu Xe siècle)

Des comtes de Quercy aux comtes de Toulouse : une rupture ?

  • 11 Aubel [7]. Settipani [195] 181-189.
  • 12 Aubel [7] 320.
  • 13 CST, f° 65.
  • 14 Les autres apports portent sur les liens étroits unissant la famille comtale de Quercy et les abba (...)
  • 15 CB 3. Si Immon ne transmet pas la charge à sa descendance, c’est soit qu’il n’en a pas, soit qu’il (...)

6On ne possède finalement que très peu de traces de ces comtes de Quercy pourtant assez bien éclairés sur deux générations grâce aux actes du cartulaire de Beaulieu. Il ne s’agit pas ici de refaire un point sur cette famille descendant probablement d’un comte Immon de la seconde moitié du VIIIe siècle. Cela nous entraînerait trop loin. Des travaux récents ont porté sur ces comtes de Quercy du second tiers du IXe siècle11. Les lignes qui suivent n’y apportent qu’infimes retouches et proposent quelques hypothèses. F. Aubel constate que Landric et Immon, tous deux fils du comte de Quercy Raoul, n’apparaissent que de manière indirecte dans les chartes, n’accordant pas de donations à l’abbaye de Beaulieu. Il ajoute que « rien ne permet de les considérer comme comtes, et encore moins comtes de Quercy12 ». Un acte de février 841 copié dans le cartulaire de Saint-Théodard13 vient contredire cette affirmation : pour établir les limites du territorium de l’abbaye de Montauriol installée sur la limite sud du pagus, deux missi, Hébrard et Bebon, ont été délégués sur place par un comte Immon qu’on doit évidemment rapprocher de cet Immon, fils du comte Raoul, avec toutefois cette difficulté : le comte Raoul décède en 842, et non 841. Par ailleurs, que Landric n’ait jamais exercé la fonction comtale ne doit pas surprendre : il occupa très certainement en effet le siège abbatial de Moissac avant 85714. Si Immon apparaît donc de façon éphémère comme titulaire du titre comtal, la charge passe à son frère Godefroy que l’on suit jusqu’à son testament en octobre 86615.

  • 16 CB 27.
  • 17 CB 29.
  • 18 CB 46.
  • 19 Aubel [7] 325.
  • 20 Auzias [13] 243-245.

7Cette famille voit le titre comtal de Quercy lui échapper entre octobre 866, date du testament de Godefroy, et août 870. Dans le premier texte, Godefroy porte encore la titulature comtale. Un peu plus de trois ans plus tard, un plaid est présidé par un comte Bernard – Bernard le Veau ? – dans la partie septentrionale du Haut-Quercy, c’est-à-dire dans un territoire où les comtes de Quercy détenaient une forte assise foncière16. Par ailleurs, Godefroi a des fils en âge de récupérer le titre, et notamment ce Godefroi qu’il a eu avec Gerberga et que l’on suit jusqu’en novembre 89817. Mais aussi ce Geoffroi qui, en 878, fait une donation à Beaulieu en rappelant son ascendance comtale, sorte de baroude d’honneur verbal18. L’intervention de Bernard témoigne de l’indéniable perte d’influence politique des descendants d’Immon. F. Aubel suggère, sans doute avec raison, de voir dans cette éviction un épisode dans la redistribution des cartes opérée par le souverain carolingien. À Bernard de Gothie la Septimanie, à Bernard le Veau, fils de Raymond de Toulouse, le Toulousain et le Quercy, à Bernard Plantevelue, l’ennemi guilhelmide, l’Auvergne et ses marges19. Peut-être doit-on aussi y voir la conséquence d’un phénomène de plus grande ampleur ? Les frontières méridionales du Quercy se calent sur la Garonne et le Tarn. Cette confiscation du titre traduirait l’incapacité dans laquelle se sont trouvés les titulaires de la charge comtale de Quercy à stopper les incursions vikings20, celles notamment qui provoquèrent le transfert des reliques d’Agen vers un lieu retiré mais appelé à un bel avenir, Conques.

Figure 1. – La famille comtale et le contrôle des abbayes quercinoises.
Sur les codes de représentation des shémas de filiation, voir l’introduction générale.

  • 21 Pradalie [184] 9.

8Quoi qu’il en soit, la politique des Toulousains va largement contribuer à pousser les comtes de Quercy puis leurs descendants dans les bras des comtes de Poitiers21. Ainsi, durant près d’un siècle, de 870 à 930/960, le Quercy devient un enjeu entre les princes territoriaux. La « Guerre de succession d’Auvergne » ne fait que cristalliser les rivalités entre anciens comtes de Quercy et nouveaux maîtres du Languedoc occidental.

  • 22 Aurell [11] 44.
  • 23 Settipani [195].
  • 24 Où l’on retrouve la famille des Avigern. Lauranson-Rosaz [109] 157-161.

9Avant 910-920, dès lors que l’on cherche à repérer les familles dirigeantes de la haute aristocratie de niveau comtal, vicomtal, épiscopal et abbatial, de multiples témoignages convergent vers des descendants du comte de Quercy Raoul († en 842). Pour renforcer sa légitimité locale – encore que l’utilisation d’une telle désignation soit sans doute discutable pour cette époque – Raoul avait épousé Aiga, probable fille de l’évêque de Cahors Agarn/Avigern, et sœur de Lambert, otage du premier comte Immon. D’autre part, les abbayes de Moissac, Saint-Antonin et Saint-Théodard sont vraisemblablement contrôlées par des membres de cette famille, forme de co-gouvernement à l’instar de celui mis en lumière en Catalogne22. En outre, dans la généalogie dressée par C. Settipani sur les origines des comtes de Nevers, Adaltrudis, la mère de Géraud (d’Aurillac), apparaît aussi comme issue de cette famille comtale de Quercy23. Sa fille, Avigerna24, épouse d’Aton, est la mère de Benoît dont on sait, grâce à la vie de saint Géraud, qu’il fut vicomte (de Toulouse) et emprisonné par le comte Raymond, fils du comte Eudes.

10Même si le titre comtal de Quercy n’est plus porté depuis 866/70, ce sont bien des aristocrates issus d’un même ancêtre qui détiennent les postes clés de cet espace. La résurgence du choix d’Avigern comme anthroponyme à six générations de distance témoigne fortement de cette volonté de transmission du nom, des biens et des charges au sein d’un même groupe familial. Et c’est au cours du deuxième tiers du Xe siècle que tout semble basculer.

Quercy et Toulousain, enjeux dans la « Guerre de succession d’Auvergne » : 930-960

  • 25 Ibid., 78-96.
  • 26 Débax et Ponties [23bis]. Débax [60].

11Les soubresauts politiques qui marquent les années encadrant le deuxième tiers du Xe siècle trouvent leur expression à toutes les échelles du territoire. Le changement de personnel politique, c’est-à-dire l’éviction des descendants de la famille comtale de Quercy au sud de Cahors, est une réalité historique. Pour véritablement percevoir ce qui se déroule là, il est indispensable de prendre de la hauteur et replacer ce phénomène dans ce que C. Lauranson-Rosaz a appelé la « Guerre de succession d’Auvergne25 » et ses conséquences avec, à la clé, la détention du titre ducal d’Aquitaine. S’opposent ici Poitevins et Toulousains-Rouerguats, et donc une fois de plus Guilhelmides et Raymondins, le Quercy constituant une sorte de zone tampon entre les deux prétendants et devenant de la sorte un terrain d’observation privilégié. Le Toulousain, quoique dans une moindre mesure, pourrait être ajouté à cet espace de frictions : deux articles récents mettent en évidence les affinités multiples et de natures diverses qui unissent les dirigeants de l’Auvergne, du Poitou et du Carcassès tout au long du Xe siècle26 : les Guilhelmides encerclent bien les Raymondins. Toulousain et Quercy sont pris sans un étau.

Carte 3. – Les castra de Bas-Quercy et Haut-Toulousain vers 960.

  • 27 CTl 14. Adémar porte ici le titre vicomtal mais pas dans un acte de 922 (CTl 12).
  • 28 Voilà bien une singularité pour Odolric, vicomte de Saint-Cirq, référence topographique très et tr (...)
  • 29 Auzias [13] 471 note 30.

12Que voit-on ? En 930, le long testament du vicomte (de Turenne) Adémar le place sous l’autorité de son senior, le comte Ebles assisté de son fils Guillaume qui apposent leur seing tout comme Odolric, vicomte de Saint-Cirq, et Gauzbert, vicomte, frère du testateur27. Les vicomtes (de Turenne) ainsi que celui de Saint-Cirq28, très étroitement liés à l’ancienne famille comtale de Quercy se placent sous l’autorité d’Ebles Manzer et de son fils Guillaume Tête d’Etoupe pour éviter d’avoir à reconnaître le comte de Toulouse Raymond-Pons. Il est vrai d’autre part que depuis 927, le Poitevin exerce également sa domination sur le Limousin29. Et dans ce nouveau contexte de lutte, l’attitude des vicomtes, et en particulier de celui de Saint-Cirq, constitue une preuve de défiance à l’égard du Toulousain ! On connaît les limites du cartulaire de Tulle ; néanmoins, la présence d’un vicomte Odolric – qui devient de façon assurée l’anthroponyme de référence chez les vicomtes de Saint-Cirq à venir – témoigne de l’existence d’un vicomte de trop en Quercy qui compte depuis peu un titulaire nommé par le comte de Toulouse Raymond-Pons. Tout ceci relève de la déclaration de guerre et atteste d’un contexte de recherche de reconnaissance d’obédience, qu’elle soit poitevine ou toulousaine, guilhelmide ou raymondine.

  • 30 CB 48.
  • 31 Auzias [13] 473-475 pour qui rien ne permet de douter de la suprématie d’Ebles à cette date mais l (...)
  • 32 CaF, f° 22.

13Moins de deux ans plus tard, à Beaulieu30, le vicomte de Quercy Frotard et son épouse Adalberga réalisent une importante donation avec l’accord de leur senior, le comte Raymond. Tout aussi intéressante est la liste des signa : dans l’ordre d’apparition, le comte, Frotard, son épouse puis Adémar, Gauzbert et d’autres. Bien que Raymond ne soit pas le donateur, c’est lui qui ouvre la ronde. Il a fait la route à l’extrémité septentrionale de ses possessions et vient se montrer dans ces espaces frontaliers. Dans les signa, il est suivi par Frotard, « son vicomte » puis par Adémar et Gauzbert, sans titulature, ceux-là même qui, deux ans auparavant, se tournaient vers le comte poitevin. C’est que, dans les rapports de force, les choses ont changé : Raymond-Pons a le vent en poupe et la faveur du roi. En décembre 931, donc peu avant la donation, le comte, accompagné de son oncle le comte Ermengaud (de Rouergue) vient de rendre hommage au nouveau monarque à Nevers ou Auxerre31. Par ailleurs, en 930, le même Frotard apparaît avec le titre vicomtal dans une donation faite à Saint-Pierre d’Aurillac – le vocable Saint-Géraud est adopté plus tard – en compagnie de la vicomtesse Adalberga et de leur fils Géraud32. Soit directement, soit par l’intermédiaire de son représentant, le comte Raymond-Pons avance ses pions sur des territoires qu’il convoite.

  • 33 Pradalie [184].
  • 34 Lauranson-Rosaz [109] 81-82 notes 161 et 164.

14Il n’empêche, malgré le revirement d’Adémar, de son frère Gauzbert qui jouent sur les deux registres, et d’Odolric, les Raymondins ne vont avoir de cesse d’éliminer ou de remplacer définitivement dans les espaces qu’ils entendent dominer les alliés de l’ancienne famille comtale de Quercy encore très présents au début du deuxième tiers du Xe siècle par leurs propres fidèles. Pourquoi ? Ces alliés constituent un danger potentiel sur la route de leurs prétentions aquitaines33. Celles-ci ne s’éteignent pas à la mort de Raymond-Pons ; Raymond « de Rouergue », son cousin, n’est-il pas qualifié de prince des Aquitains en 941-942 par la chancellerie royale34 ? Menace aussi parce que ces mêmes alliés ou descendants de l’ancienne famille comtale de Quercy détiennent encore des postes clés en Quercy, jusqu’aux portes du Toulousain et du Rouergue. Les titulaires de charges laïques et ecclésiastiques ont des anthroponymes particulièrement marqués donc marqueurs pour ne pas laisser insensibles les observateurs de ces contrées.

  • 35 Hautefeuille [69] 63-64 : fourchette chronologie de 890 à 970 établie à partir de trois 14C.
  • 36 Cette menace demeure tout au long de la période étudiée et connaît un pic vers 1140.
  • 37 C’est ce que tend à prouver la présence d’une céramique très particulière sur les deux sites. Info (...)
  • 38 CVab 47.

15Concrètement, on observe soit des phénomènes de dédoublement, soit des substitutions pures et simples. Ainsi, deux exemples de dédoublement de forteresses témoignent de cette transposition spatiale de la lutte entre Raymondins et descendants des Immenon. À l’échelle micro locale tout d’abord, le castel Raolf de Flaugnac fait évidemment écho à l’ancienne famille comtale de Quercy. Moins de quatre kilomètres le sépare d’une autre forteresse, le nouveau donjon emmotté de Maurélis qui est construit vers 93035. Il est tenu par les Gauzbert (de Castelnau), fidèles de la famille comtale de Toulouse autant qu’on puisse en juger par la documentation ultérieure. À un échelon supérieur, sur la frange orientale de cet espace, aux marges du Rouergue, de l’Albigeois et du Quercy, les Raymondins renouvellent la même stratégie. Le castrum de Penne des Hildegaire/Aldegaire, là encore anthroponyme issu de la parentèle comtale de Quercy, est assurément une possession d’anciens proches de cette famille : à quatre reprises, entre 840 et 970, on voit des Aldegaire (ayant des liens très étroits avec les Immenon et leurs descendants) possessionnés autour de Bretenoux au nord du Quercy et ayant des relations étroites avec Saint-Théodard, à l’autre bout du pagus. Ce castrum, très belle rocca dominant l’Aveyron, constitue donc une menace pour les Raymondins36 qui lui opposent celui de Bruniquel, véritable nid d’aigle surplombant la même vallée à cinq kilomètres en aval. Contemporain de la forteresse de Maurélis37, le castrum de Bruniquel est occupé par le vicomte Adémar, au plus tard en 961 mais plus vraisemblablement depuis 942 ou peu après38.

En gras, les anthroponymes fortement présents dans la famille comtale de Quercy ou dans son entourage. En italique, les noms de ceux qui renvoient plutôt au réseau raymondin.
Tableau 2. – D’un réseau à l’autre.

  • 39 Latour [107] 340.
  • 40 Garaison (Hautes-Pyrénées) : Pradalie [184] 8.

16Et si l’on ne détruit ni ne s’empare des forteresses des ennemis potentiels, la politique semble être toute autre avec les hommes à la tête des abbayes ou ceux titulaires des charges vicomtales. L’abbaye de Saint-Théodard, jusque-là sous la tutelle de celle de Saint-Antonin, obtient son indépendance en 958 au plus tard. Les nouveaux abbés ne s’appellent plus Faraldus ou Aldegaire mais Hugues ou Gauzbert, comme du reste à Moissac. Et l’on peut se demander jusqu’à quel point l’indépendance de l’abbaye de Montauriol n’a pas été favorisée par le comte. À l’échelle régionale, c’est la valse des vicomtes, non pas partout mais bien dans cette zone de Quercy/Toulousain occidental. Les vicomtes de Cahors sont rejetés par l’évêque Amblard (909-944), un proche de Géraud d’Aurillac donc un proche des descendants de la famille comtale de Quercy. C’est un Froterius (950-991) qui lui succède et qui apparaît dans le codicille de Raymond 1er de Rouergue. En Toulousain, les Adémar succèdent aux Aton Benoît et ce remplacement n’est pas le seul fait de l’absence de postérité de ces hommes. Un réseau en chasse un autre. Et c’est peut-être cette stratégie menaçant bien des équilibres qui suscite l’assassinat du comte Raymond à proximité d’Aurignac en 96139, puis peut-être de son successeur à Garazo40 en 978 dans cet espace gascon où la Reicharistokratie dont sont issus les Raymondins continue à susciter une hostilité mais aussi où les Guilhelmides conservent quelques alliances, notamment en la personne de Roger, comte de Carcassonne, et sans doute aussi des Amelii, devenus vicomte de Carcassonne, anciens affins des vicomtes Aton-Benoît.

  • 41 Aubel [7] 334.

17Au cours de ces années 930-960, une substitution des familles dominantes semble s’être opérée : le pouvoir comtal et vicomtal renvoient à d’autres alliances. Un nouveau « personnel » est en place, étroitement lié à la maison de Rouergue que l’on peut commencer à appeler de Toulouse. L’épisode de l’emprisonnement du vicomte Benoît par Raymond, un anthroponyme nouveau dans cet espace, reflète bien cette tentative de contrôle des charges, et donc des biens qui jusque-là leur était afférents. Néanmoins, le maintien de la famille vicomtale prouve combien il était nécessaire de transiger, même si l’intercesseur ne fut autre que Géraud d’Aurillac ! Sur un long Xe siècle, la politique toulousaine conduit à une sorte de statu quo en Haut-Quercy. Les Turenne passent dans l’escarcelle des Comborn41. On ne voit plus le comte de Toulouse intervenir ici. Il semble également que les mésaventures du vicomte Frotard incapable de se maintenir à Cahors soient liées à l’absence de contrôle effectif de la ville de Cahors dirigée par l’évêque. De là vient sans doute aussi le partage des zones d’influence qui ne deviennent vraiment nettes qu’au XIIIe siècle.

18Pour tenter de rallier à lui les églises locales – et par conséquent les aristocraties locales – le comte Raymond 1er dote de nombreux établissements religieux contrôlés auparavant par la famille rivale : Cayrac dépendant de Saint-Géraud d’Aurillac, mais aussi Moissac, Saint-Théodard, Saint-Antonin un temps dirigées par des membres de la famille comtale de Quercy, avant qu’elles ne le soient par des membres de leur entourage. À l’exception de Saint-Naphaury située en Haut-Toulousain (à vrai dire sur l’autre rive du Tescou qui fait frontière), tous les autres bénéficiaires de legs se trouvent en Quercy et ont des liens étroits avec d’anciens membres de la famille comtale de Quercy. On est d’autre part en droit de s’interroger sur l’origine des biens cédés, lorsqu’elle n’est pas définie dans le codicille. Dans quelle mesure ne s’agit-il pas d’anciens fiscs ayant appartenu aux Immenon ?

  • 42 HGL, V, col. 240-250.

19Une subtile politique matrimoniale vient enfin faire taire les éventuelles révoltes. Prenons le cas de ce Bernard qui, en 961, va profiter des largesses du comte Raymond 1er42. Un premier mariage l’avait uni à Ailes ; deux de leurs enfants – Géraud et sa sœur Emenona – portent des anthroponymes renvoyant de façon indiscutable à la famille comtale de Quercy. Devenu veuf, il épouse assurément une nièce du comte de Rouergue en la personne d’Adalaiz qui assure sa fortune : il hérite notamment des castra toulousains de Gandalou et Tolvieu et de celui, en Quercy, de Cos.

Les premiers vicomtes de Toulousain et Quercy : vers 890-950

Figure 2. – Des comtes de Quercy aux vicomtes de Toulousain.

  • 43 Un très récent colloque [69] a permis de dresser un état des lieux sur vicomtes et vicomtés. Les p (...)
  • 44 Débax et Framond [9bis] 15 et 19.
  • 45 Vita sancti Geraldi Auriliacensis comitis, AASS, Oct., VI, p. 300-332 ; miracle no 78 (894-909).
  • 46 Poly [6]. Débax [57] 25.
  • 47 HGL, IV, 126-127.
  • 48 RH 88 : original ; HGL, V, col. 599-600 et CLUNY 3454 : copies.
  • 49 CL, p. xxiii.
  • 50 CL 303.
  • 51 CL 813.
  • 52 CL 136.

20L’histoire des vicomtes toulousains43 débute à l’extrême fin du IXe siècle par un épisode de fortes tensions avec un comte Raymond, le futur Raymond II, fils d’Eudes (†918 ca). On apprend qu’un certain Benoît, neveu de Géraud d’Aurillac, est otage du comte. Le démêlé qui oppose le comte au vicomte ne peut s’expliquer que par le fait que ce dernier a vraisemblablement été nommé par un Guilhelmide44, ennemi des Raymondins. Ces derniers souhaitent placer un homme à eux en lieu et place de Benoît. On sait d’autre part que ce vicomte décéda avant 909 puisque Géraud n’en fait nullement mention dans son testament, alors qu’il désigne son frère cadet Raynald45. Ce premier lien de parenté rattache ainsi ce premier vicomte connu à la famille comtale de Quercy. Il faut tout le poids d’un Géraud d’Aurillac pour contraindre le comte Eudes, puis le jeune Raymond à un statu quo. Un autre Raymond, celui « dont l’autre nom par la grâce de Dieu est Pons46 » († 942 ca) – à moins que ce ne soit son successeur Raymond « de Rouergue » – joue un rôle essentiel dans la substitution d’une famille vicomtale par une autre. En effet, le vicomte que l’historiographie traditionnelle met ensuite en exergue est un Aton-Benoît, fils probable du vicomte Benoît, et neveu du comte de Carcassonne47. Avec son épouse Amelia, ils fondent l’abbaye de Lézat48 et font appel à Adazius, coadjuteur d’Odon de Cluny, pour diriger le nouvel établissement49. Indéniablement, ils font le choix des Guilhelmides. Mais le couple fonde également celle de Saint-Pierre de la Court Mas-Grenier, à mi-chemin entre Moissac et Toulouse, en Gascogne toulousaine. Ce vicomte Aton décède avant 94850. Il faut sans doute ajouter à la liste ce vicomte Benoît qui doit également être un fils, peut-être l’aîné, du premier vicomte connu et qui opère également dans cet espace en 91951. C’est très certainement lui aussi que l’on retrouve en 932 aux côtés de son épouse Asnaria lors de la donation d’une de leurs terres qui a pour confront celle d’un Escafred dont la présence renvoie une fois de plus à la famille comtale de Carcassonne52. Quant à l’épouse de Benoît, elle pourrait bien être une fille d’Aznar Sanche, vicomte de Fezensac. Ces trois hommes, probablement d’une même famille, se succèdent sur deux générations puis le titre vicomtal passe en d’autres mains et il faut chercher ailleurs que dans la simple absence de postérité une explication à leur éviction. Leurs alliances qui les portent vers l’Auvergne puis le Carcassès à deux reprises et le Fezensagais font qu’ils se situent ouvertement dans la camp adverse de leur seigneur, le comte de Toulouse.

Figure 3. – Les alliances des vicomtes de Toulousains, fin IXe-milieu Xe siècle.

  • 53 CaF, f° 22.
  • 54 Le vicomte Frotard est associé à son épouse Adalberga à deux reprises en 930 (CaF, f° 22), en 932 (...)
  • 55 CB 48.
  • 56 HGL, V, col. 235.
  • 57 Biget [6] 182-183.
  • 58 HGL, V, col. 235 texte déplacé après nouvelle datation col. 267-268, texte réédité d’après une ver (...)
  • 59 Settipani [195] 40-46, 156-158.

21La révolution de palais étroitement associée à la « Guerre de succession d’Auvergne » est, on l’a montré, une clé de lecture possible des changements de personnel politique dont les sources se font l’écho. C’est aussi l’époque – l’année 930 – où est mentionné le premier vicomte de Quercy53 que les actes ne nous permettent pas de suivre au-delà de 94554 mais qui apparaît comme un fidèle de Raymond Pons55. La charge disparaît ensuite mais certains ont vu intervenir un comte Hugues en Haut-Quercy56. J.-L. Biget considère cet Hugues comme un comte de Quercy, si tant est que des attributions spécifiques aient été conçues comme telles peu avant l’an Mil57. Une virgule mal placée dans l’édition de l’Histoire Générale du Languedoc est sans doute à l’origine de cette méprise58 que des auteurs très récents ont encore diffusé59. Rien ne dit en effet que le comte qui a cédé des fiefs au grand-père de Ramnulf dit de Fons soit un comte Hugues ?

Démembrement de la principauté et recentrage comtal : 961-1037

961-1037 : une terre sans comte ?

  • 60 Aurell [11] 44.
  • 61 Cabau [46] 143.
  • 62 Débax et Framond [9bis] 24-26.

22De l’assassinat du comte Raymond en 961 à la mort du comte et marquis Raymond peut-être après la bataille de Garaison en 978, jusqu’à celle de son fils Guillaume Taillefer, les textes ne facilitent pas véritablement la tâche de l’historien. Les auteurs des pages consacrées au comte de l’an mil parlent globalement d’une période obscure tant il est vrai que, pour les deux décennies qui suivent 960, les informations sont confuses. L’extrême détachement de ces personnages, y compris dans les testaments du comte Raymond, de l’évêque Hugues ou de la comtesse Garsindis, face à l’indication précise des liens de parenté, et en particulier des filiations, prouve que le mode de gestion du patrimoine est bien encore un mode comparable au cogouvernement catalan60. Les frères, les oncles et neveux cogèrent les comtés et, dans une moindre mesure les évêchés, tout au moins celui de Toulouse qui semble se transmettent jusqu’à 1030 environ de Hugues à Hugues entre lesquels alterne un Raymond61. Les actes locaux n’apportant pas d’éclairage particulier, il faut donc accepter d’en rester aux hypothèses déjà formulées ailleurs. En simplifiant la longue démonstration à laquelle je renvoie62, au comte Raymond « de Rouergue » succèderaient deux de ses fils. Raymond, fils d’une première épouse non identifiée ou peut-être petit-fils issu de ce même lit, est ce comte et marquis – qu’épouse Adalaiz d’Anjou – qui meurt vers 978. Un autre Raymond, fils de Berta, très jeune au moment de la disparition de son père, devient comte de Rouergue et décède en 1010. Mais il y a également autour de ces personnages d’autres comtes qui gravitent, en particulier plusieurs Hugues.

  • 63 HGL, V, col. 246. La localisation des autres biens est plus problématique mais les abbayes à qui i (...)
  • 64 L’épouse de Raymond paraît indistinctement comme Berta ou Bertana dans le codicille.
  • 65 CST, f° 40 [998-1031], il faut revoir la date de l’acte et réduire la fourchette chronologique ent (...)

23L’état de la documentation fausse indéniablement notre perception des choses. Revenons au codicille de Raymond « de Rouergue » : le comte donne toute une série de biens à Bernard et à sa femme Adalaiz. Dans le joli lot qu’ils reçoivent, il y a notamment des propriétés quercinoises et toulousaines : le castrum de Cos avec l’alleu et l’église d’Ardus ainsi que l’alleu d’Antéjac et ses églises mais encore le castrum de Gandalou63. Le castrum de Cos doit en premier lieu revenir à Berta/Bertana64, l’épouse du comte, puis à son fils Raymond (le futur comte de Rouergue) si le couple n’a pas d’enfant ; celui de Gandalou à Raymond (qui pourrait être le futur comte et marquis qui bataille à Garazo) et son frère Hugues. Or, on connaît assez bien la progéniture de Bernard et d’Adalaiz. Arnaud, un de leurs fils, cède à l’abbaye de Saint-Théodard ses alleux dans l’honor de Clemenciac dont l’abbaye ne pourra disposer qu’après la mort de Bertana et de son fils Raymond65. Les homonymies ne peuvent laisser indifférents, d’autant que, comme on va le voir, Clemenciac est aussi le lieu d’une donation comtale d’une autre branche.

  • 66 Débax et Framond [9bis] 32.
  • 67 CST, f° 42 [1020].
  • 68 Debax [57] 29.
  • 69 Lauranson-Rosaz [109] 446-449.

24Après la mort du comte et marquis Raymond, son deuxième époux, et le mariage rapidement expédié avec le jeune roi Louis, Adalaiz s’unit au marquis de Provence Guillaume. Le jeune Guillaume qu’elle a eu de Raymond la suit dans son aventure outre Rhône. Et elle lui fait contracter auprès d’Arsindis puis d’Emma, deux alliances matrimoniales provençales successives. C’est au cours de cette phase que la principauté édifiée par le marquis Raymond se disloque. Son fils, Guillaume Taillefer, retenu en Provence par ses deux mariages, ne disparaît pas pour autant de la scène locale. Héritier des comtés toulousain, quercinois et albigeois, il se présente à plusieurs reprises pour croiser le fer avec des prétendants tentés de s’emparer des espaces situés aux confins de ses domaines, ou pour léguer des biens. Peut-être repéré à la frontière du Limousin où se prolonge le conflit avec les Poitevins et encore du côté de Muret au sud de Toulouse66, c’est accompagné de ses quatre fils Raymond, Henri, Pons et Bertrand qu’il se présente au cours d’un mois de mai à Saint-Théodard et obtient un cheval contre donation de l’alleu de Clemenciac67, là où Bertana et Raymond (de Rouergue ?) ont encore des droits comme on vient de le voir. Le petit cartulaire inédit fournit donc la preuve qui manquait de la venue assurée du comte en Quercy et Toulousain68. La présence des quatre fils du comte interroge. Cette tournée, qu’il réalise avec l’ensemble de ses héritiers mâles en Toulousain et Bas-Quercy semble avoir un caractère exceptionnel. Elle se fit peut-être dans le sillage du roi Robert en voyage-pèlerinage dans le Midi de mars 1019 à avril 1020 : le monarque, venant du Puy, se rend à Nîmes dont le comté est géré par Guillaume Taillefer. Les deux hommes sont beaux-frères depuis le mariage du roi avec Constance, la demie sœur du comte. Il est donc possible que ce dernier ait décidé d’escorter Robert de passage sur ses terres. Les étapes connues du voyage royal sont ensuite Saint-Gilles, Toulouse, Castres, Saint-Antonin et Conques69. Toutes, à l’exception de la dernière, se situent sur les domaines de Guillaume. Rien n’interdit enfin de placer le passage du comte à Montauriol après son retour de Saint-Antonin où il aurait quitté le roi, soit forcément en mai 1020.

  • 70 Mussigbrod [163] 39-59. Ruiz [57].
  • 71 RH 40a.
  • 72 HGL, V, 240-250.
  • 73 RH 100.
  • 74 RH 40b.
  • 75 HGL, V, col. 274-280.
  • 76 RH 68.

25Au total, même s’il est indéniable que les interventions de Guillaume Taillefer ont dû être exceptionnelles, elles n’en n’ont pas moins existé. D’autres actes témoignent de l’intérêt qu’il porte à l’héritage paternel. Sur l’ensemble des établissements religieux de l’espace d’entre Tarn et Garonne, il n’est pas anodin de noter que le fonds de Moissac offre – et de très loin avec ses vingt-neuf occurrences – le plus de renvois à la famille comtale. On a bien là le témoignage d’un lien étroit qui unit abbatiat et comitatus que l’on retrouve à travers la pratique de l’abbatiat laïque qui n’est en fait qu’une délégation de l’autorité comtale. Une relecture du rôle des abbés séculiers a permis de montrer qu’ils sont, à l’image des vicomtes mais dans un autre registre, des représentants du comte70. L’abbé Mir, fort probablement premier abbé laïque de l’établissement bénédictin, opère en Bas-Quercy au début du XIe siècle. Contre cent sous et cinq lances, et pour l’âme de son frère Matfred, il donne à Moissac l’alleu de Majuse71 légué aux bénédictins par Raymond 1er en 96172 et dont on sait par un acte postérieur du vicomte Adémar que les revenus qui en dépendent sont importants73. Surtout, en 1045, le comte Pons confirme l’abandon de Mir, signe que ce dernier devait à la famille comtale la détention de Majuse74. Enfin, Mir et Matfred ne sont certainement pas des inconnus pour les Raymondins : un autre couple de frères Mir et Matfred bénéficie des largesses de la comtesse Gersinda en 97275. Cet acte traduisant l’abandon de ce domaine où se presse la haute aristocratie locale, marque surtout l’instauration par le comte Guillaume Taillefer d’un abbatiat laïque, charge d’abord confiée à Mir puis concédée en 1037 à Gauzbert contre 30 000 sous76. Eloigné, il lui faut partager son autorité.

  • 77 Dufour [70] 58.
  • 78 Cabau [46] 144.
  • 79 Son petit-fils Guillaume dispose encore du fisc comtal de Gandalou. RH 107.

26Si donc le comte Guillaume n’est pas physiquement présent, il dispose d’un petit réseau d’aristocrates verrouillant les éléments clés de l’espace entre Cahors et Toulouse : le vicomte, l’abbé séculier de Moissac, certainement l’évêque de Cahors Bernard77 et sans doute les évêques de Toulouse Raymond puis Hugues78. Peut-être contrôle-t-il encore le castrum de Gandalou79. Peu présent, mais représenté, le comte n’en fait pas moins des incursions régulières sur ces terres qu’il considère de loin. Son ascendance et sa parenté doivent par ailleurs encore suffire à impressionner une aristocratie peut-être frileuse : un père et un beau-père marquis, un beau-père et un beau-frère monarques.

Lalbenque, concile de Paix de Dieu

  • 80 Sancti Viviani episcopi translatio in coenobium Figiacense et ejusdem ibidem miracula, dans Analec (...)
  • 81 Pour les datations avec propositions des historiens : Gasmand [75] 186.
  • 82 Lauranson-Rosaz [109] 428-431.
  • 83 Bonnassie [36] 331. Gasmand [75] 187, même fourchette chronologique.

27Le Quercy a eu son concile de Paix de Dieu connu jusque-là grâce à un unique récit du Livre des miracles de saint Vivien. Il se tint à moins de quinze kilomètres au sud-est de Cahors, à Lalbenque80. Si l’on doit suivre la chronologie des récits que présente le recueil figeacois, celui-ci intervient après l’assemblée de Coler (989/94), près d’Aurillac, et surtout après le concile aquitain de Limoges (998)81. Ce dernier concile, œuvre posthume82 de l’évêque du Puy Guy d’Anjou, est considéré comme une réconciliation générale où se retrouvent derrière le jeune duc Guillaume, outre les prélats, le comte de Toulouse et le duc de Bordeaux, eux-mêmes accompagnés de leurs grands. Le récit issu de saint Vivien est assez laconique et, au-delà de la description du miracle qui permit à une foule nombreuse d’être désaltérée par un seul pichet de vin qui ne se vidait pas, on apprend que pour l’occasion, on fit converger les reliques de plusieurs saints vers le lieu de l’assemblée. Mais le récit n’offre aucun élément de datation ; aussi, P. Bonnassie considérait que le concile de Lalbenque pouvait « être, semble-t-il, daté de 1000-101083 ».

  • 84 Voir Annexe sur le site internet de l’éditeur.
  • 85 LMSF, III-14.
  • 86 Bonnassie et Gournay [37] 465.

28Or, on dispose d’une seconde mention de ce concile, plus qu’indirecte il est vrai puisqu’aucune allusion n’y est faite. On la doit à un autre Livre de miracles, celui de sainte Foy de Conques. Le récit III-14 se déroule en Quercy. Un chevalier nommé Reganfred dont on connaît la descendance84 s’est emparé d’un domaine de cette abbaye rouergate. Pour recouvrer ce bien, les moines transportent la statue-reliquaire de la sainte dans l’église de Bellomonte85. Ce lieu n’est autre que Belmont-Sainte-Foi, village du Bas-Quercy situé à plus de cent kilomètres de Conques et à neuf seulement au sud-est de Lalbenque ! Or, cet épisode se déroule sous l’abbé Girbert qui dirigea l’abbaye de Conques de 996 à 100486. On dispose donc d’un beau faisceau d’indices convergeant. Le récit évoque des faits fort probablement contemporains de la tenue du concile. Surtout, il permet d’avancer une fourchette chronologique fiable et plus précise que celle qu’autorisait jusque-là le Livre des miracles de saint Vivien, soit 999/1003 : après 998, date du concile de Limoges et avant 1004, mort de l’abbé Girbert.

  • 87 Lauranson-Rosaz [109] 432.
  • 88 Mazel [145] 88 vs Lauranson-Rosaz [109] 434.

29Peut-on aller plus loin ? Vers 1002, le roi Robert épouse Constance d’Arles, fille d’Adalaiz d’Anjou et du marquis de Provence défunt. Par ce choix matrimonial, le monarque se lie au condominium orchestré par la comtesse de la Garonne aux Alpes87. Les Provençaux sont parmi les premiers des princes à récupérer la paix de Dieu. À Psalmody ou à Saint-Gilles, en 1003 ou 1004, se tient une assemblée des évêques de la région de Nîmes avec de nombreux nobles dont la comtesse Azalaïs, ses fils les comtes Guillaume, Pons, Guillaume et Roubaud88. Il est donc fort possible que le concile de Lalbenque s’insère entre la paix de Limoges de 998, et le mariage du roi Robert avec Constance d’Arles, soit en 999/1001. Mais quoiqu’il en soit, Lalbenque appartient bien à ce mouvement de paix initié par Guy d’Anjou, frère d’Adalaiz et oncle de Guillaume Taillefer.

  • 89 Gasmand [75] 187.

30Au-delà de cette première vague de conciles, Deusdedit, évêque de Cahors participe en 1028 à l’assemblée de Limoges puis, en 1031, au concile provincial tenu à Bourges par l’archevêque Aimon et prend part au concile organisé par Jourdain, l’évêque de Limoges, cette même année. On apprend de la bouche du prélat qu’il a appliqué les décisions conciliaires sur le territoire de son évêché en refusant notamment une sépulture chrétienne aux principes militiae dont le comportement ne serait pas conforme à celles-ci. À Limoges, il rapporte un miracle survenu qui lui permit d’obtenir des milites qu’ils jurent la paix : le cadavre d’un chevalier enterré par ses pairs en terre consacrée malgré le refus de l’évêque fut rejeté par la terre à plusieurs reprises89.

Les Adémar/Raymond, vicomtes de Toulousain

  • 90 Est-il nécessaire de rappeler tous les écueils du « cartulaire » de Tulle ?
  • 91 CVab 47.
  • 92 HGL, V, 126 : les biens sont donnés à Saint-Michel de Gaillac et Sainte-Ségolène de Lagrave située (...)
  • 93 Magnou-Nortier [141] planche située entre les pages 238 et 239.

31En 961 au plus tard, la charge vicomtale associée au Toulousain échoit à une nouvelle famille, celle des Adémar/Raymond, qui succède dès lors à celle des Benoît/Aton. On ignore presque tout de cet Adémar. Alors que les sources révèlent un véritable nid en Haut-Quercy et surtout Bas-Limousin autour de Tulle avec les vicomtes dits des Echelles90, les occurrences locales en font un anthroponyme rare au Xe siècle du Bas-Quercy au Comminges et au Razès. Quoiqu’il en soit, les Adémar perceptibles gravitent plus qu’à leur tour dans les entourages comtaux. Un Adémar est mentionné à Vabres en 942 immédiatement avant les comtes Raymond et Hugues91 ; en 972, la comtesse Garsindis évoque dans son testament divers biens qu’elle a acquis d’Adémar92 dans le Rouergue méridional et l’ouest de l’Albigeois93. D’autres Adémar renvoient indéniablement au vicomte et un petit dossier permet de proposer à titre d’hypothèse une reconstitution généalogique qui ne nous informe pas sur ses origines mais sur ses alliances.

  • 94 HGL, V, 111.
  • 95 CL 1681.
  • 96 Une Ermendructis est mariée à Simplice de la famille des Amelii, vicomte de Carcassonne : CL 1336. (...)
  • 97 CL 1266.
  • 98 Les cas de nobles nommés vicomtes parce que gendres du comte existent : Debord [62] 79 ; Belmon [1 (...)
  • 99 HGL, V, 344.
  • 100 Des historiens ont déjà vu dans Arsinda épouse de Guillaume, marquis de Provence, une fille d’Arna (...)

32Seuls deux actes sont précisément datés. En 961, le comte Raymond lègue une série de biens à Adémar, vicomte de Toulousain, qui est déjà marié mais qui n’a visiblement pas encore d’enfants ou plus précisément de fils de cette union94. On rencontre ensuite un Adémar, sa femme Arsinda et leur fils Raymond donnant des biens situés au sud de Muret où le vicomte Aton possédait déjà des biens95. À Lézat, Ermendructis96 abandonne à l’abbaye divers biens pour son âme, celles de son père, de sa mère et de ses frères, et celle de ses deux maris défunts, Fredolon et Adémar : parmi les souscripteurs, un vicomte Raymond97 qui pourrait bien être le fils d’Adémar et Arsinda. Ermendructis serait une seconde épouse du vicomte Adémar98. Enfin, dans son testament rédigé vers 1002, le comte de Carcassonne Roger 1er le Vieux évoque les fiefs du Toulousain que tient de lui le vicomte Raymond99. Roger le Vieux, faut-il le rappeler, est fils d’Arnaud et d’Arsinda. On dispose ainsi d’une série d’indices, certes ténus, mais qui permettent de supposer qu’Arsinda, fille d’Arnaud de Carcassonne, a pu être l’épouse d’Adémar, vicomte de Toulousain, hypothèse tout aussi recevable que celle d’une union avec Guillaume, marquis de Provence100. En proposant de voir en Arsinda, la première épouse d’Adémar, une fille du comte de Carcassonne Arnaud, cela permet aussi de saisir les intentions politiques des Raymondins. Ils cherchent, dans ces années 940-960, à verrouiller les dominations locales mais aussi à faire taire le cliquetis des armes les opposant aux Guilhelmides depuis un siècle et au réseau de l’ancienne famille comtale de Quercy auquel la lignée d’Arnaud appartient.

Figure 4. – Les premiers Adémar/Raymond, vicomtes. Hypothèses.

33Forte de ses appuis, bénéficiant également d’une stabilité de la dynastie comtale à la différence des bouleversements qui ont cours en Carcassès et Razès au milieu du XIe siècle, apparemment modeste dans ses ambitions, la lignée issue d’Adémar et d’Arsinda va demeurer titulaire de la charge – parfois démultipliée – jusqu’à la suppression de celle-ci par le comte Raymond V.

Crises et tensions : réforme et guerre de cent ans méridionale, vers 1037-1214

34Lorsque s’éteint Guillaume Taillefer, Toulousain et Bas-Quercy entrent pour peu de temps dans une phase plus calme de leur histoire. Sous le principat de Pons († 1060), alors que la documentation se fait plus abondante, les seuls combats que semble avoir dû mener le comte sont ceux, en accord avec l’Église, de la réforme de celle-ci. Bien sûr, l’affaire du rapt de sa seconde épouse Almodis de la Marche par le jeune comte de Barcelone a nécessairement provoqué des remous mais pour l’heure, il n’est pas question de déclencher les hostilités. C’est avec le comte Guillaume que les nuages s’amoncèlent mais l’orage n’éclate qu’après sa mort : la revendication à l’héritage par sa fille Philippa aboutit à une très forte perturbation des réseaux aristocratiques. Ce qui a priori pourrait être considéré comme un battement d’aile de papillon se trouve plus ou moins être à l’origine d’une onde de choc aboutissant à la croisade dite albigeoise : les terres des Raymondins vont en effet cristalliser pendant près d’un siècle les appétits et révéler les rancoeurs. S’ouvre la guerre de Cent ans méridionale.

Le temps des crises internes : 1037-1130

Les comtes et la « crise » grégorienne

  • 101 RH 40b.
  • 102 Magnou [139] ; Id. - [141] 501-504. Mussigbrod [163] 85. La Haye [100]. Panfili [172]. Ruiz [57].
  • 103 HGL, V, col. 432. Dufour [70] 31.
  • 104 Debax [55] 221. Dans l’acte de 1038, la comtesse semble écartée.

35En mai 1045, à l’occasion de la confirmation d’un abandon réalisé par l’abbé séculier Mir plus de vingt ans plus tôt, le comte Pons se tranche l’ongle et, pour marquer les mémoires, fait couler son sang101. Ainsi débute le processus qui aboutit à la réforme de Moissac et à l’introduction de Clunisiens sur les terres toulousaines. Cet acte traduit bien la volonté d’un certain désengagement vis-à-vis de la conception pré-grégorienne de contrôle de l’abbaye adopté par son père Guillaume Taillefer. L’action de ce dernier en Quercy dévoile au moins à deux reprises des pratiques simoniaques qui ont déjà été évoquées : la vente de la charge d’évêque à Bernard avant 1005 puis celle de la defensio de l’abbaye de Moissac à Gauzbert avant 1037102. Ces pratiques, courantes à cette époque, ne relèvent pas de cet unique princeps. En effet, vers 1038, Bernard, vicomte d’Albi et son frère Frotard, évêque de Nîmes, vendent l’évêché d’Albi pour 10 000 sous à un certain Guillaume du vivant même de l’évêque Amiel II ; la moitié du donum étant attribuée au jeune comte Pons, fils de Guillaume Taillefer103. En 1037, ce même Pons n’a-t-il pas constitué en partie le douaire de son épouse Majora sur les revenus de l’évêché d’Albi104 ? Les choses changent ensuite et la mutilation que s’impose Pons en 1045 symbolise ce basculement.

  • 105 CAM, f° 157 v°.
  • 106 RH 52 : ac salubri consilio uxoris mee Adalmodis comitisse.
  • 107 NM au IX des Kalendes de novembre.

36Les comtes ne renoncent pas au contrôle de l’abbatiat laïque en ce sens que le titulaire de cette charge reste nommé par eux ; ils mettent en revanche un terme à la dotation des abbés chevaliers sur des biens ecclésiastiques sans un accord de l’abbé régulier. En 1048, c’est lors d’un passage d’Odilon en Quercy que l’abbaye de Moissac fut affiliée à Cluny à la demande, dit Aymeric de Peyrac105, de l’évêque de Cahors et de l’abbé séculier Gauzbert. C’est à Durand, un moine clunisien, que fut confiée la mission de réformer l’abbaye bénédictine. Le 29 juin 1053, jour de la Saint-Pierre, Pons remet l’abbatiat à l’abbé Hugues de Cluny « sur le salutaire conseil de son épouse Adalmodis106 », qui semble avoir joué un rôle essentiel dans l’affiliation à l’abbaye bourguignonne : le nécrologe de Moissac-Duravel rédigé vers 1080 est ainsi le seul des neuf nécrologes clunisiens conservés qui mentionne une comtesse Adalmodis107. Mais son époux n’y figure pas.

  • 108 Magnou [137].
  • 109 Corbet [50] 222-223, 249-265 et 322 ; l’auteur montre qu’après un démarrage en Allemagne, le trava (...)
  • 110 Mussigbrod [163] 85.
  • 111 RH 62a.
  • 112 Qui vont donner trois, voire quatre abbés séculiers à Moissac.
  • 113 RH 65.

37En 1056, un premier concile toulousain108 règle de manière tout à fait précoce le sort des mariages incestueux109 ainsi que le concubinat des prêtres et l’hérésie simoniaque. En 1059, Durand devient évêque de Toulouse, tout en demeurant abbé de Moissac. Cette nomination doit être mise en relation avec la tenue du second concile de Toulouse – re-daté de 1059110 – présidé par le légat pontifical Hugues de Cluny. À partir de ce moment, les choses s’accélèrent. Fort de cette légitimité, l’évêque-abbé Durand, pièce rapportée par saint Odilon, ne transige pas avec l’aristocratie locale. Le discours de l’abbaye devient par ailleurs culpabilisant et les églises commencent à être données/restituées. Ainsi, en 1060, dans l’atrium de Saint-Sernin, en présence du comte Pons111 – et il s’agit peut-être de l’une de ses dernières apparitions publiques – le jeune Bernard Ragenfred restitue l’église Saint-Pierre de l’Herm au nord de Bioule dans les mains de Durand et devant un parterre composé de la fine fleur aristocratique locale : le vicomte Adémar, les Misclansmalum/Fumel112, Gauzbert de Castelnau, Ratier de Belfort. C’est aussi dans cette perspective qu’il faut placer la « restitution » réalisée en 1061 par le comte Guillaume en faveur de Moissac, de l’église de Sainte-Ruffine, près du château de Cos, et d’une chapelle de Saint-Martin, cette dernière étant concédée en fief par le comte et l’évêque de Cahors Foulque113. Le comte ne cède là que des miettes mais il montre la voie à une aristocratie qui a beaucoup à perdre dans l’affaire et use de stratégies diverses pour se défaire en douceur des églises qu’elle contrôle.

  • 114 RH 68.
  • 115 Le clocher-porche et le tympan appartiennent à une seconde tranche de travaux qui prend fin en 110 (...)
  • 116 Un marbre commémoratif aujourd’hui visible dans le chœur de l’abbatiale porte une inscription en v (...)
  • 117 Panfili [172].
  • 118 Pour les abbayes : Eysses : RH 73 ; Cubières : RH 91 ; Saint-Cyprien en Périgord : RH 105 ; Campro (...)

38La seconde moitié de l’année 1063 marque encore un infléchissement : le 9 juin, Gauzbert renonce entre les mains du comte Guillaume à sa charge d’abbé séculier tout en insistant sur le sacrifice qu’il accepte de réaliser en abandonnant ce qu’il avait acquis pour 30 000 sous114. Bernard Raino de Gandalou et d’autres châtelains assistent à la scène dans une abbatiale en cours d’achèvement. Et c’est à l’occasion de la consécration du nouvel édifice115 le 6 novembre 1063, en présence de tout l’épiscopat régional, que Durand frappe un grand coup en rejetant l’évêque de Cahors Foulque qu’il accuse de simonie116. Mais Foulque n’est pas simoniaque : le souverain pontife Alexandre II le disculpe lors du voyage que l’évêque effectue à Rome pour régler cette affaire117. Contrôlant l’évêché de Toulouse, récupérant l’abbatiat laïque de Moissac et s’émancipant de l’évêque de Cahors pour cette même abbaye, Durand est au sommet de sa puissance. Du reste, l’abbaye engrange les donations et des comtes la chargent de réformer d’autres établissements religieux dans tout le Midi118. L’évêque-abbé meurt le 8 mai 1072.

  • 119 RH 85.
  • 120 RH 149.

39Le 21 décembre 1072, Bertrand, abbé séculier de Moissac, renonce aux malos usus et malas consuetudines qu’il percevait injustement sur Moissac, considérant que sa charge le lui permettait. Surtout, il prête serment de fidélité à son senior, l’abbé Hunaud119. C’est son frère Raymond qui avait remis la main sur la defensio de Moissac en l’achetant au comte Guillaume après le renoncement de l’abbé séculier Gauzbert alors même que son père Guillaume Misclansmalum et son oncle Foulque avaient abandonné, entre les mains de l’évêque-abbé Durand, toute prétention sur l’abbaye ou plus précisément sur certains types de prélèvements, confirmant ainsi leur engagement de 1053. Cette seconde confirmation indique bien que la lignée visait la defensio et avait versé un donum au comte Guillaume IV, aux premiers temps de son principat. L’attitude de Raymond, fils de Guillaume Misclansmalum, nous montre un homme qui se sent lésé, bafoué parce que les choses ont considérablement changé en moins d’une décennie. Mais ce n’est véritablement qu’après 1090120 que la réforme de l’abbatiat laïque s’achève avant que les comtes, trouvant la charge menaçante pour leur autorité, ne la supprime au milieu du XIIe siècle.

  • 121 Dufour [70] 63.
  • 122 GC, p. 31.
  • 123 Cabau [46] 147.
  • 124 Magnou [137] 33-64.
  • 125 CSS 290.
  • 126 CSS 2.
  • 127 CSS 145.

40Nous sommes nettement moins bien renseignés pour les autres établissements religieux. Les archives des deux évêchés ayant disparu, on ne peut percevoir le rôle qu’auraient pu jouer les comtes dans la réforme. Pour Cahors, la seule certitude est que celle-ci est effectuée sous l’évêque Géraud (1080-1112)121 qui fait confirmer les chanoines dans leur vie régulière par le pape Urbain II en 1095122. À Toulouse, on sait que le comte Guillaume appuie la réforme du chapitre cathédral entreprise par l’évêque Isarn (ca1071-1105)123 dès 1073. Tous deux commettent toutefois une erreur politique avec Saint-Sernin. Isarn n’accepte pas le développement antérieur à 1081 d’un foyer de réforme hors de son autorité au sein de cette abbaye. En 1082, alors qu’il en est issu, il fait chasser par le comte Guillaume les chanoines qui viennent de se réformer et les fait remplacer par des moines de Moissac124. En 1083, le pape condamne cette action et Guillaume doit restaurer les chanoines dans leurs droits125. Les tensions se prolongent néanmoins126 tout comme leurs craintes : ils exigent vers 1101 du comte Bertrand, neveu de Guillaume, qu’il s’engage à ne pas les expulser pour faire appel à des moines127.

  • 128 Un seul acte du cartulaire garde le souvenir de cette union, sans doute au moment où elle se fit. (...)
  • 129 Gaussin P.-R., Le rayonnement de la Chaise-Dieu. Une abbaye auvergnate à l’échelle de l’Europe, Br (...)
  • 130 Dufour [70] 33 et 62.
  • 131 Ourliac [168] 52.
  • 132 Gaussin P.-R., « La Chaise-Dieu en Languedoc », dans CF 19, 1984, p. 239.
  • 133 Débax [57] 46.

41Reste enfin le cas de l’abbaye Saint-Théodard de Montauriol. Elle n’est confiée en vue de sa réforme ni à Moissac pourtant toute proche, ni à Cluny. Nous ignorons précisément qui fait le choix de son union à La Chaise-Dieu en 1079128. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’elle s’effectue en même temps que celle de Saint-Michel de Gaillac129, les évêques de Cahors Etienne et d’Albi Guillaume approuvant conjointement la double union130. Or, un autre concile s’est tenu à Toulouse en 1079, présidé par Hugues de Die et Amat d’Oloron qui poursuivent leur action conciliaire l’année suivante à Bordeaux, dont la notice nous est uniquement connue par la plume d’un chanoine d’Albi131. On peut donc considérer cette double union comme une décision fortement insufflée par les légats pontificaux qui ont montré leur propension à excommunier prélats et laïcs retors. Selon P.-R. Gaussin, le choix de l’abbaye casadéenne reviendrait à Raymond de Saint-Gilles132. On ne voit jamais à cette date le futur comte de Toulouse intervenir en Quercy. Par ailleurs, l’abbaye de Gaillac est au cours second tiers du XIe siècle tenue en fief des Trencavel133. Compte tenu des liens que l’on découvre vers le milieu du XIIe siècle entre Saint-Théodard et les vicomtes de Béziers, on peut conjecturer que les deux abbayes furent unies à La Chaise Dieu et réformées par elle à la demande des vicomtes Trencavel.

  • 134 HGL, V, col. 753-754.

42L’Église veut s’affirmer comme puissance temporelle en réintégrant des biens qui n’auraient jamais dû, d’après elle, quitter son sein. Elle s’appuie pour cela sur des critères moralisateurs et théologiques nouveaux. Mais aussi, en Quercy comme en Toulousain, elle peut compter sur le soutien des comtes Pons et Guillaume, sans oublier Almodis. L’évêque-abbé Durand domine la partie et Foulque en fait les frais. Sa mésaventure marque les esprits. Lorsque trente cinq ans plus tard, en 1098, l’évêque réformateur de Cahors Géraud fait appel à Gauzbert del Talluc de Castelnau pour protéger son Église contre une invasion potentielle par Philippa et le duc Guillaume d’Aquitaine, le prélat prend toute une série de précautions visant à disculper les deux contractants contre d’éventuelles accusations : Gauzbert entre en fonction sans avoir promis d’argent ou de cadeau ni avoir proféré de menaces134.

  • 135 Debax [57] 77.

43Et au bout du compte, la « crise grégorienne » n’est en rien une crise politique à l’échelon supérieur. Les comtes soutiennent fermement la réforme. Ce sont davantage la moyenne et petite aristocratie qui ont à souffrir de ces changements radicaux qui s’opèrent en quelques décennies. Les Castelnau prennent leur revanche sur les Misclansmalum, favoris au beau milieu des turbulences. Lâchés par le comte lors des prémices de la réforme, les Castelnau rompent avec les Raymondins et se tournent vers Cahors. Là, ils redorent leur blason à l’heure où les tensions s’apaisent, où la papauté dirige l’agressivité des milites vers un nouveau front. Les comtes prennent massivement la croix, voire anticipent l’appel à la croisade comme le comte Guillaume qui meurt en Hongrie en 1093135. Raymond IV de Saint-Gilles part dès 1096 et y décède en 1105. Bertrand, l’aîné du comte borgne, s’embarque à son tour en 1108. Quant à Alphonse-Jourdain, qui doit son second nom à sa naissance en Terre Sainte et à un lieu de baptême prestigieux, il rejoint le Languedoc avec sa mère Elvire à l’été 1108. Il a cinq ans.

Les deux intermèdes Philippa – Guillaume de Poitiers (1097-1100 et 1108-1119) : une « crise » de succession ?

  • 136 Sur la titulature rouergate de Raymond de 1066 à 1078, Gournay [81] 373.
  • 137 Aurell [11] 268. Debax 1988b, 221.
  • 138 Aurell [11] 278.
  • 139 Verdon 1979, 132.

44Après 1060, plusieurs éléments se mettent en place, véritables bombes à retardement. C’est d’abord au nord-est, au plus tard en 1066, la récupération du Rouergue par Raymond de Saint-Gilles, après le décès de la comtesse Bertha ; à travers sept textes échelonnés de 1066 à 1078, le choix de la titulature montre qu’il n’entend pas partager ce comté avec son frère Guillaume136. Surtout, à partir 1112 et du mariage de Douce de Provence avec Raymond Bérenger III, Barcelone s’invite dans cet espace. Et même si les comtes-rois y investissent finalement peu, cette implantation peut leur permettre de faire valoir des prétentions. C’est ensuite l’évolution au sud-est vers 1067-1070. Le rapt d’Almodis par Raymond Bérenger I n’a pas constitué sur le moment prétexte à conflit137. Mais l’achat du Razès et du Carcassès qu’elle réalise au profit du Barcelonais138 et au détriment de ses fils toulousains jumeaux, Guillaume et Raymond de Saint-Gilles139, en supprimant par ailleurs la zone tampon entre les deux principautés, porte en soit les germes de tensions si ce n’est de conflits.

Carte 4. – Les soutiens à la comtesse Philippa (1097-1100, 1108-1119).

  • 140 Pradalie [184] 10.
  • 141 Verdon 1979, VIII.
  • 142 Ibid., 132.
  • 143 Pradalie [184] 10.

45Enfin, à l’ouest, intervient un épisode surprenant. En 1059 à Bordeaux, le futur comte de Toulouse Guillaume provoque l’ire du duc à l’issue d’une infâme trahison. On ne peut que faire un lien entre cette relation et ce que l’on sait de l’incendie de Toulouse de 1064140. L’information nous est fournie par la chronique de Saint-Maixent, rédigée pour l’essentiel avant 1124141, c’est-à-dire tout de même longtemps après les faits, ce qui explique peut-être certaines approximations. Le rédacteur nous apprend qu’en 1059 à Bordeaux, Guillaume de Toulouse, fils de Pons et d’Almodis, a tué par traîtrise une centaine de milites nobiles appartenant à l’armée du duc Geoffroy, autrement dit Guillaume VIII. Ce dernier, pour venger cet acte, vint à Toulouse avec tous ses optimates pour dénoncer cette infamie et s’empara de la cité142. Plus loin dans le texte, en 1062, le même duc assiégea la ville de Saintes avant de partir conquérir Barbastro. Or, une charte du cartulaire de Saintes, étudiée par Philippe Sénac, associe chronologiquement la prise de cette même ville espagnole – en 1064 en réalité – à la destruction de Toulouse par un incendie provoqué par le duc d’Aquitaine Guy-Geoffroi. Au-delà de la date erronée, et de ce massacre sans doute fantasque de milites à Bordeaux, la chronique offre une seconde preuve du passage du duc Guillaume VIII dans les environs de la prise de Barbastro. L’événement témoigne assurément de tensions très fortes entre Toulouse et Aquitaine ayant certainement pour origine les velléités d’expansion des Raymondins143.

  • 144 La Haye [101].
  • 145 RH 68, col. B’.

46Quoi qu’il en soit, la mort de Guillaume IV après 1093 en « Orient » ouvre la voie à une revendication à la succession. Philippa, fille unique du comte défunt, peut prétendre à l’héritage paternel même si le jumeau de son père s’est empressé de s’approprier Toulousain et Quercy, reformant une immense principauté territoriale qui ne lui survit pas. Elle est mariée au duc d’Aquitaine Guillaume IX. Son père est déjà parti et l’on peut s’interroger sur l’identité du marieur. Raymond de Saint-Gilles pourrait être celui-là. G. Pradalié repart du texte de 1063 qui vit l’abbé séculier remettre la defensio au comte Guillaume pour que ce dernier le restitue à Cluny. Dans un très bel article, R. de La Haye démonte la forgerie du pseudo-original interpolé et conservé dans le cartulaire de Cluny alors qu’une copie de l’original est demeurée à Moissac144. Le faux précise que Moissac doit revenir à Guillaume ou à Raymond de Saint-Gilles ou à celui qui en sera le plus digne dans le siècle145. Le faux témoigne d’une évolution dans la relation de Moissac au couple aquitain.

  • 146 CAM, f° 157 r°, col. a.
  • 147 L’incendie détruit peut-être l’abbatiale consacrée en 1063.
  • 148 CSS 291.
  • 149 HGL, V, col. 753-754.

47La première information en lien avec l’invasion du Toulousain et du Quercy concerne la destruction de Moissac. On conçoit dès lors le désamour de Moissac, qui vient d’être détruite, envers Philippa et son époux. Vivien, vicomte de Lomagne, soutient assurément l’entreprise poitevine : en 1097, il s’attaque au bourg monastique qu’il ravage146 ; presque toute la ville est incendiée147. Le Chroniqueur Aymeric de Peyrac y voit une intervention divine dans la lutte contre les méfaits de l’abbé séculier Gauzbert. À vrai dire, c’est le représentant du comte que l’on cherche ici à atteindre et cette destruction n’est que l’un des épisodes de la conquête des terres revendiquées par Philippa et le duc Guillaume. L’action du vicomte a certainement pour but de faciliter la pénétration des terres toulousaines. Il est probable que le duc ait emprunté la Garonne pour se rendre directement à Toulouse. Le prise de la ville ne se fit pas sans heurts148. L’acte cahorcin de 1098 par lequel l’évêque Géraud confie à Gauzbert de Castelnau del Talluc la charge de defensor de l’Église cathédrale contre l’invasion poitevine tend à prouver que la menace vient du sud et non de l’ouest. L’acte est clair : la conquête du Toulousain est effective, celle du Quercy reste à faire, d’où le choix d’un dominus dont les terres, situées au sud de Cahors, peuvent servir de zone tampon. Mais le désordre qui suit la première étape inquiète l’évêque : milites et nobiles profitent de la situation pour s’emparer par les armes des honores et des églises de l’évêque et du chapitre149. On ne sait si ces troublions sont les hommes ayant suivis le ducs ou alors des quercinois. Il semble bien que ce soient des locaux qui exploitent la situation pour récupérer ce que la réforme les a contraint à donner. Pour peu de temps cependant.

  • 150 CST, f° 45. L’acte n’est datable que par l’abbatiat d’Arnaud que la tradition situe entre 1060 et (...)
  • 151 RH 75, 76.
  • 152 CSS 291.

48Moissac est donc hostile lors de cette première occupation tandis que Montauriol fait appel à Philippa – et non au duc – pour régler un différend qui l’oppose à un aristocrate qui s’est emparé de biens de l’abbaye. Parmi les membres de l’entourage de la comtesse, Hugues Escafred (de Rocafort) suivi du vicomte Adémar et d’Ermengau Rainaud de Lautrec150. Nous sommes en 1097. La rupture se fait plus tard. Quant à Saint-Sernin, en juillet 1098, les chanoines se placent sous la protection du couple ducal et obtiennent, en vue de la restauration de l’abbatiale – qui a subit des dommages – la cession de la villa de Blagnac, bien qu’avait cédé le comte Guillaume IV, père de Philippa, à Moissac en 1071151, attitude qui évidemment renforce l’amertume de l’abbaye Saint-Pierre. Mais cette protection a un prix : les chanoines prélèvent dans leur trésor de quoi répondre aux besoins du duc et de Philippa, soit quatre livres et demie d’or, dont une demie d’or très pur, et huit cents sous de Toulouse152. Dans l’entourage, deux vicomtes : celui de Béziers, Bernard, et celui de Toulousain, Adémar.

  • 153 Mace [131] 26.
  • 154 CSS 270 bis.
  • 155 CL 265, 563, 1607. Debax [57] 80 note 372.
  • 156 CSS 435.
  • 157 CSS 145.
  • 158 RH 172 : il faut lire Bertrandus comes.

49Le duc n’a que peu de temps pour savourer son triomphe : la papauté lui reproche de s’être emparé des domaines inviolables d’un homme auréolé d’un prestige accru par sa participation à la croisade. Guillaume IX d’Aquitaine, sous la menace de l’excommunication, fait marche arrière et prend à son tour la croix153. Le comte Bertrand, fils de Raymond IV de Saint-Gilles, récupère immédiatement les terres comtales. Une notice de Saint-Sernin malheureusement non datée utilise l’événement comme élément de mémorisation : « Et cette mise en gage fut réalisée l’année où le comte Bertrand récupéra Toulouse154. » Reconnu en Comminges où plusieurs actes de Lézat l’évoquent155, la plupart des autres établissements ont appris à se méfier des changements rapides. Après avoir récupéré sa capitale, Bertrand entre en contact avec Saint-Sernin qu’il prend sous sa protection et confirme dans sa possession de Blagnac156 puis s’engage à ne pas prélever de mauvaises coutumes157. Il confirme une donation en faveur de Moissac réalisée par Raymond Bernard de Gandalou158. Cependant, en 1108, alors que son jeune frère Alphonse débarque en Languedoc, Bertrand part à son tour pour Jérusalem.

  • 159 CSS 73, 253.
  • 160 Pradalie [185].

50Plusieurs actes postérieurs à 1108 attestent des très mauvaises relations entre Saint-Sernin et Bertrand. Certains vont jusqu’à le qualifier de comte tyran159. L’accusation que portent les chanoines contre le princeps ne doit-elle pas être assimilée à un justificatif de plus du soutien au couple aquitain, ennemi de la branche issue du comte borgne ? Gérard Pradalié a remarquablement démontré l’opération de purge des archives que met en œuvre l’abbaye toulousaine pour tenter d’occulter ce passé d’étroite collaboration avec Philippa et le duc Guillaume160.

  • 161 RH 228.
  • 162 CT 107 et 108.
  • 163 RH 228.

51Le retour des Aquitains provoque des revirements. Cette fois, les moines de Moissac leur ouvrent les bras161 alors que Montauriol considère la légitimité d’Alphonse comme supérieure. Les Trencavel échangent avec Philippa des serments de fidélité162 tandis que les vicomtes Adémar et Armand disparaissent de la scène locale, remplacés par d’autres prétendants et que les Escafred de Rocafort se pressent encore dans l’entourage de la famille ducale163.

  • 164 Pradalie [184] 16.
  • 165 RH 228.
  • 166 Verdon 170. Raymond de Poitiers devient prince d’Antioche en 1135.
  • 167 Mace [131] 24.

52La comtesse est bien présente lors de la seconde occupation de Toulouse par les Aquitains qui débute en 1108164. Elle reçoit la renonciation des Rocafort à toutes prétentions sur les terres de Villelongue dépendantes de Moissac. L’acte est passé au Château Narbonnais dont c’est la première mention ; il peut être daté des années 1108-1009165. C’est même à Toulouse, en 1114-1115, qu’elle accouche du dernier enfant du couple ducal, Raymond166. Mais Philippa est répudiée en 1116. Dès lors, les seules prétentions du duc pourrait se fonder sur l’héritage du jeune Guillaume, ou encore de Raymond mais ce dernier est trop petit et l’aîné est brouillé avec son père. Plus rien n’autorise Guillaume IX à exercer son pouvoir sur la cité. La population se révolte en 1119 et libère la ville de l’occupant aquitain en massacrant Guillaume de Montmaurel167.

53Néanmoins, la phase 1097-1119 est très troublée : passage du couple poitevin jusqu’en 1100, retour de Bertrand jusqu’en 1108, année qui marque la seconde invasion des Aquitains alors qu’Alphonse, l’autre prétendant, est reconnu par certains, dont Saint-Théodard. Le séjour du pape Calixte II en 1119 à Toulouse où il tient un concile puis à Fronton, Montauriol et enfin Cahors témoigne sans doute aussi d’une certaine volonté pontificale de pacifier une région déchirée. Néanmoins, les choix d’alliance opérés par d’aucuns, les clivages qui se dressent et provoquent la rupture de certains réseaux aristocratiques et monastiques, ne peuvent être totalement cicatrisés. Montauriol subit apparemment de plein fouet cette quasi guerre civile. Si un plaid est tenu par la comtesse lors de la première occupation, la réserve qui caractérise l’abbaye vis-à-vis du couple comtal lors de leur second séjour languedocien ouvre sans doute la voie à des règlements de compte. Les actes montrant les déprédations sont particulièrement nombreux au cours de cette phase.

Un faux âge d’or pour les vicomtes

  • 168 Les lignes qui suivent reprennent et développent Panfili [69].

54Ces tiraillements familiaux et les conflits qui en découlent ne permettent pas pour autant à la lignée vicomtale de conquérir une indépendance de fait168. Néanmoins, entre l’extrême fin du XIe siècle et les deux premières décennies du suivant, les textes révèlent des modifications concernant le titre vicomtal. Une extraordinaire stabilité a marqué celui-ci depuis 961, tant pour le titulaire – issu des Adémar – que pour la titulature – vicomte de Toulousain –, un nouveau mode de désignation apparaît ainsi qu’une « nouvelle » famille.

  • 169 CSS 133.
  • 170 Pradalie [185] 234 note 42.
  • 171 CT 42, 43, 476. GC, p. 46 (1163).
  • 172 CSS 291. RH 100.

55La première modification affecte tout d’abord la référence spatiale qui est à présent un château, Bruniquel et Caussade. Un titre vicomtal associé au castrum de Bruniquel apparaît en effet dans un acte de 1076/1077 : le vicomte y est mentionné à deux reprises : dans le corps du texte sous la forme Adémar, vicomte de Bruniquel, ainsi que dans la liste des témoins en tant qu’Adémar, vicomte169. Mais il s’agit d’un faux170. Cette référence castrale ne reparaît que dans le second tiers du XIIe siècle dans des actes issus pour l’essentiel du cartulaire des Trencavel171. Jusqu’à cette date, les membres de la lignée sont qualifiés de vicomtes de Toulousain à plusieurs reprises172.

  • 173 RH 62 c.
  • 174 RH 164.
  • 175 CT 107,108.

56Un titre vicomtal lié cette fois au castrum de Caussade apparaît dans le contexte troublé de l’invasion du comté par Philippa et Guillaume, soit après 1098173. Son existence est par ailleurs éphémère. Raymond, ce vicomte, est très vraisemblablement un cadet des Adémar/Armand ; la charge n’échoit donc pas à un inconnu et il est même probable que la captation du titre se soit effectuée grâce à cette parenté. Dès 1101, Raymond associe ses deux fils Pons et Pierre à la fonction : une charte de Moissac dans laquelle le père « restitue » deux églises de Caussade à l’abbaye bénédictine accorde le titre vicomtal aux deux fils qui approuvent la donation174. Doit-on y voir un prêté pour un rendu ? C’est en effet l’unique exemple local de port conjoint du titre vicomtal par un père et ses fils. L’acte, produit par le scriptorium d’une puissante abbaye, écarte les contestations possibles et légitime ainsi la succession à venir. Et l’on retrouve Pons, qualifié en 1114 de vicomte de Caussade, parmi les témoins du serment de sécurité mutuel prêté entre Philippa à Bernard Aton, vicomte de Béziers175.

  • 176 CST, f° 45.
  • 177 CSS 291.
  • 178 RH 178b.
  • 179 CT 108.

57L’occupation du comté de Toulouse par le duc d’Aquitaine a donc une série d’incidences sur la charge vicomtale. Le titre que porte Adémar n’est pas remis en cause : on voit en effet dès 1097 ce dernier aux côtés de la comtesse à Montauriol176 et l’année suivante auprès du couple lorsque ceux-ci prennent l’abbaye de Saint-Sernin sous leur protection177. Néanmoins, on ne retrouve de mention d’un Adémar portant le titre vicomtal qu’en 1107178, c’est-à-dire à un moment où Bertrand, fils de Raymond IV est comte, Guillaume IX ayant dû céder et se croiser en 1100. Puis de nouveau, les vicomtes toulousains disparaissent de la scène locale de 1108 à 1119, c’est-à-dire lors de la seconde occupation du comté par les aquitains, alors que dans le même temps, Pons, vicomte de Caussade, paraît aux côtés de la comtesse Philippa en 1114179. Doit-on considérer que les vicomtes de Toulousain se sont retirés sur les terres de leur épouse et mère Guillelma, en Languedoc ?

  • 180 CT 42 et 43.
  • 181 CG, f° 175 v°, f° 176 r°.

58L’apparition, après 1098, de ce titre vicomtal de Caussade correspond sans doute à une contre partie cédée en échange d’une fidélité rapidement déclarée par Raymond. Chacun des rameaux de la lignée s’est engagé dans une voie politique différente. Pour la branche cadette de Raymond et ses fils Pons et Pierre, cette option permet d’obtenir la création d’un titre vicomtal. Mais celui-ci ne semble pas survivre à l’aventure poitevine ; il disparaît définitivement avec le retour sur la scène politique locale, en 1123, du comte Alphonse Jourdain et, dans son sillage, des vicomtes Armand puis Adémar180. Pour autant, les revendications traversent les générations. Après une procédure de huit années entre 1180 et 1188, la domina Miracla et son fils Pierre restituent des biens qu’avait donné à Grandselve le grand-père de la dame, Pierre, vicomte de Caussade, le frère de Pons, dans l’honor de la grange de Bagnols181. Ultime tentative pour récupérer un titre, via le nom et le bien, qui n’est plus à cette date qu’un très lointain souvenir.

La Grande Guerre méridionale : 1130-1214

  • 182 Amado [72] 200-203. Débax [57] 72-96 offre la synthèse la plus nourrie ; Id.- [60] 20-21 ; Mace [1 (...)

59La Grande Guerre méridionale a déjà fait l’objet de nombreuses publications, dont certaines tout à fait substantielles, et notre connaissance des divers aspects de celle-ci ne cesse de s’affiner182. C’est pourquoi, seuls les faits touchant de près Haut-Toulousain et Bas-Quercy sont conservés.

Bas-Quercy et Haut-Toulousain, la forteresse assiégée

60Trop longtemps cette terre est demeurée sans véritable comte : vie en Provence, départs pour les croisades, et guerre des comtes de 1097 à 1119. On a bien ici les ingrédients dont ce chaudron diplomatique se nourrit : prétentions sur la Provence et Rodez qui exacerbent les Catalans, revendications des ducs Aquitains bientôt rois d’Angleterre auxquels s’ajoutent les revirements des Trencavel.

  • 183 CT 508.
  • 184 CSS 5, 549.
  • 185 RH 219bis.

61Pour l’heure, dès 1121, Bernard Aton prend le parti d’Alphonse qui promet au vicomte de le défendre en cas d’une attaque des Aquitains. Dans son sillage, Bertrand de Villemur183. Alphonse ne paraît toutefois pas à Toulouse avant 1123 où il est dans la cité au plus tard le 22 avril184. Pour Moissac, c’est en 1125 que l’on date un acte à partir de son règne185. Pendant les premières années de son principat, ce sont surtout les affaires de Provence qui préoccupent Alphonse, notamment, de 1132 à 1135, le mariage de Beatrix, héritière de la principauté de Mauguio, avec le comte de Provence Bérenger Raymond, frère du comte de Barcelone Raymond Bérenger IV. Par ailleurs, à la mort du vicomte de Narbonne en 1134, Alphonse prend sous sa protection la jeune héritière Ermengarde, menaçant de la sorte les terres Trencavel.

  • 186 Débax [57] 87-89.
  • 187 CT 507.
  • 188 CT 507, 380. Villemur est sous le contrôle des Trencavel depuis le XIe siècle : CT 38, 39. Le conf (...)

62Les années 1141-1142 marquent un tournant dans la grande Guerre méridionale. En 1141, Louis VII se presse aux portes de Toulouse pour réclamer l’héritage au nom de sa jeune épouse Aliénor mais l’expédition est un échec. Le roi est le premier monarque depuis le voyage de Robert en 1019-1020 à remettre un pied en Languedoc occidental. Mais c’est aussi l’année du revirement de Roger Ier, allié de la maison de Barcelone depuis 1137. Rompant l’alliance traditionnelle avec le Toulousain, il engage les hostilités qui s’achèvent par sa victoire186. En l’espace de deux années – 1142 et 1143 –, Penne et Villemur, castra de cet espace frontalier entre Quercy, Toulousain et Albigeois, vont être pris et repris. Trois actes du cartulaire des Trencavel placent Alphonse et ses alliés, Isarn, vicomte de Saint-Antonin, et Guillaume At de Villemur dans l’obligation de rendre les serments reçus des seigneurs et milites de Penne187 et de détruire le castellum novum de Villemur édifié, sans doute à l’occasion d’un siège, par Guillaume At188. Le comte, qui avait été fait prisonnier doit verser une rançon de 60 000 sous melgoriens. Du début de l’été 1142 et sans doute à une date proche de l’automne 1143, Alphonse doit accepter deux paix qui lui sont défavorables puisqu’elles maintiennent dans l’obédience des Trencavel des places fortes essentielles pour la défense des frontières.

  • 189 Panfili [173].

63Parce qu’il sent l’étau se resserrer avec la constitution autour du Trencavel d’un vaste réseau englobant les Tolvieu, les Rocafort et les Penne autour de l’abbaye de Montauriol, Alphonse prend la décision de créer Montauban en octobre 1144, nouvelle place forte contrôlant le Tarn, à quelques centaines de mètres du bourg de Montauriol qui se vide rapidement de sa substance189. Par ailleurs, en 1145, le comte Alphonse détourne – déjà vers l’Albigeois – le périple de Bernard de Clairvaux venu en Languedoc estimer le poids de l’hérésie. La boîte de Pandore ne s’ouvre que plus tard. Et sans doute pour montrer son attachement à la vraie foi et qu’il a entendu l’appel à la croisade que lance Bernard depuis Vézelay en 1146, le comte Alphonse quitte à son tour le Languedoc pour la Terre Sainte à l’été 1147, laissant à la tête de ses États un fils âgé de treize ans qui devient l’année suivante, lorsque son père meurt, sans doute empoisonné, le comte Raymond V.

  • 190 Mace [131] 28.
  • 191 CST, f° 1.
  • 192 Débax [57] 89.

64Le premier acte officiel connu du jeune comte190 est également le premier acte daté de façon précise – mai 1149 – qui mentionne l’abbé de Montauriol Amiel. C’est, de fait, une concordia191 du Raimondin par laquelle il accorde à Saint-Théodard de Montauriol toute une série de droits sur Montauban et Villemade. Dressé à Béziers, cet acte fait suite à un serment prêté au vicomte Roger Ier de ne pas porter atteinte au nouveau prince. Assurément, dans cette phase du conflit qui connaît un certain apaisement192 mais qui est à l’avantage du vicomte – c’est Raimond V qui a fait le déplacement –, il s’agit d’obtenir la neutralité de tous.

Carte 5. – Les années 1140 : les aristocrates dans la tourmente.

65Les conflits reprennent avec les Trencavel, qui tournent à l’avantage du Toulousain cette fois, et avec les comtes de Barcelone via la seconde guerre baussenque. Raymond V, qui a besoin de renforcer ses alliances, épouse Constance de France en 1154, année où Louis VII répudie Aliénor.

  • 193 CV 8.
  • 194 GC, p. 46, XLV.

66En 1159, c’est à l’offensive d’une grande coalition que doit faire face le comte de Toulouse. Mise en œuvre par le comte de Barcelone, elle réunit le seigneur de Montpellier, Raymond Trencavel, la vicomtesse de Narbonne Ermengarde et Henri II Plantagenêt. Ce dernier, qui peut revendiquer l’héritage au nom de sa nouvelle épouse Aliénor, s’empare de Cahors et fond sur Toulouse après avoir pris Verdun et Castelnau-d’Estrétefonds. La présence des Anglais a laissé peu de traces même si l’occupation du Quercy est indéniable. Deux actes des abbayes cisterciennes de Septfonds et de Saint-Marcel rappellent cette opposition pour la détention du comté entre le comte et le roi-duc. Le premier, de la fin décembre 1161, témoigne de l’occupation du Quercy par Henri II contre laquelle Raymond combat193. Le second, émanant de la famille vicomtale de Toulouse-Bruniquel, évoque le litige soulevé par le contrôle du comté entre les deux princes194. Le siège de Toulouse est un échec. C’est l’intervention du roi Louis VII, beau-frère de Raymond V, qui permet de desserrer la pression. La guerre des monarques s’est déplacée. Le maintien de troupes aquitaines semble se prolonger jusqu’en 1163, année d’un concile tenu à Tours où l’on stigmatise le Toulousain comme terre d’hérésie, et qui voit une expédition menée par l’archevêque de Bordeaux alors que le comte Raymond est occupé par la situation sur ses terres orientales.

67Durant quelques années, de 1175 à 1180, on va le voir, le comte remet un peu d’ordre en Toulousain et en Quercy. C’est aussi l’époque où, ne parvenant pas à faire céder Trencavel, il s’adresse en 1177 aux cisterciens et désigne comme hérétiques les terres albigeoises.

  • 195 CG ne renferme aucun acte postérieur à 1195.
  • 196 ADTG, G 551, f° 42 v°.

68Une dernière offensive est lancée par le duc d’Aquitaine en 1188 : Richard, duc d’Aquitaine, occupe le Quercy et une partie de la Gascogne toulousaine. La mort du vieux comte de Toulouse et l’accession au trône de Richard changent la donne : une paix est signée en 1196 entre Raymond VI et le nouveau roi qui se double d’une alliance matrimoniale : dès octobre, le comte épouse en quatrièmes noces Jeanne, la sœur du roi, qui lui apporte l’Agenais en dot. La Gascogne toulousaine est évacuée et immédiatement, les cisterciens de Grandselve rédigent avec grand soin le cartulaire des possessions de l’abbaye outre Garonne195. Ayant à peine recouvré le Quercy en 1197, Raymond VI confirme les coutumes de Moissac et celles de Montauban196.

  • 197 Mace [131] 32.
  • 198 AN, J. 1030, no 71 (1245) : enquête pour connaître la mouvance de certains castra. Plusieurs témoi (...)

69Les années 1194-1196 marquent un autre tournant qui voit disparaître les principaux acteurs de cette grande guerre méridionale197. En mars 1194, le vicomte Roger II décède et son fils, Raymond Roger qui n’a que neuf ans est trop jeune pour entreprendre quoique ce soit. À la fin de cette même année, Raymond V s’éteint et un acte quercinois très postérieur rappelle son inhumation nîmoise198. Et c’est enfin au tour du roi d’Aragon Alphonse de disparaître au printemps 1196.

Carte 6. – Acquisitions, constructions et conquêtes de Raymond V antérieures à 1180.

  • 199 RH 232.

70Reprendre pied dans la région à partir de 1123 passe indiscutablement par le contrôle de l’abbaye Saint-Pierre de Moissac, pourvoyeuse d’un rayonnement indéniable. Ainsi, Alphonse sait l’importance du soutien d’un tel établissement religieux. Il cherche donc d’emblée à s’assurer les bonnes grâces des abbés tout en faisant montre de son autorité, à la fois face aux religieux et à certains aristocrates un peu trop enclins à chercher d’abord leur intérêt. Le comte s’oppose ainsi à plusieurs reprises aux abbés chevaliers qui finissent par disparaître. En 1129, lors d’un plaid présidé par Alphonse, l’abbé chevalier Bertrand de Montancès qui réclamait le contrôle du clocherporche, véritable donjon dominant l’abbaye et son bourg, est débouté199. Mais paradoxalement, l’abbaye est engagée depuis plusieurs décennies dans un processus perçu rapidement comme hostile par le comte. Voilà près d’un siècle que la charge de vicarius de Moissac est entre les mains des Siquier, une lignée qui en tire l’essentiel de ses revenus. Or, le dernier viguier connu est Raymond Amiel, le troisième fils que Siquier a eu de son remariage avec Ricartz (de Tolvieu/Penne), cette lignée passée dans le camp Trencavel. Rapidement, Raymond Amiel est destitué ; sa dernière mention comme vicarius date de 1142, année de tous les dangers sur les terres languedociennes. On conçoit qu’au moment où les tensions montent entre Raymondins et Trencavel, le comte n’admette pas la présence d’un aristocrate dont la puissante lignée maternelle a fait le choix du vicomte de Béziers.

  • 200 CAM, fol. 171 v°. La mention n’est pas datée mais Bertrand de Montancès apparaît dans les actes de (...)
  • 201 CV 40, 42.

71Néanmoins, ces tensions témoignent également d’un retour en force des comtes. Raymond V, en particulier, prend une série de mesures qui prolongent l’action d’Alphonse. Ainsi, il met fin à l’abbatiat laïque de Moissac ou, plus précisément, cesse de déléguer la defensio à un aristocrate, profitant du départ en Terre Sainte – en début de deuxième croisade ou en renfort ? – de l’abbé séculier Bertrand de Montancès200. Il déploie par ailleurs une intense activité diplomatique visant à isoler Pons de Toulouse qui espère récupérer le titre vicomtal de Toulousain/Bruniquel. Les beaux-frères du prétendant, contre promesse de castra sonnants et trébuchants, rallient le camp du comte dans la guerre qui permet à ce dernier de mettre fin, dès 1177, au titre vicomtal. Bruniquel est alors confié à un simple baile comtal201. De Moissac à Bruniquel, du sud de Cahors à Toulouse, le comte a ainsi éliminé tout intermédiaire de son autorité trop puissant et susceptible – potentiellement – de passer dans un parti adverse.

  • 202 CT 507, 380.
  • 203 CGP 32.

72Dans le même temps, il prolonge en la renforçant la politique de son père à qui il avait été associé lors des deux fondations riveraines du Tarn que sont Villemade et Montauban. Alphonse a fait érigé Montech en 1132 et fut sans doute aussi à l’origine du castellum novum de Villemur qu’un traité de paix avec le Trencavel nous fait connaître alors que le comte – qui vient de subir une série de revers – doit contraindre Guillaume At de Villemur, son promoteur, à le détruire202. C’est très certainement aussi vers cette même date que le castrum de Verfeil lui est cédé et repris en fief203.

  • 204 CSS 106.
  • 205 CST, f° 3 (1156).
  • 206 Hautefeuille [89] 347.
  • 207 CST, f° 3 (1154).

73Clairement, Raymond V veut affirmer sa potestas sur le territoire : les affronts subis au début de son principat l’obligent à avoir une politique offensive dans cet espace du Bas-Quercy peu contrôlé par la puissance comtale. Le comte multiplie les entreprises de peuplement de grande envergure. Le choix des implantations et des aménagements mais aussi la chronologie de ces derniers traduisent un double objectif qui s’opère en deux temps. Il prolonge la politique paternelle de mise en valeur des terres au nord du Toulousain tout en complétant une ligne de fortifications le long de la Garonne. Sont ainsi érigés les castra de Grisolles en 1155204 et Castelsarrasin ainsi que la villa de Lavilledieu205. Pour ce faire, le comte utilise les services de Raymond Sarraceni206 qui pourrait déjà être à l’origine du castrum de Montech. C’est lui certainement qui a donné son nom à Castro Sarraceno/Castelsarrasin et surtout, il est présent lors de la fondation de Montauban ainsi que lors de l’accord passé entre l’abbé de Montauriol et les templiers à propos de leur litige faisant suite à la fondation de Lavilledieu207. Raymond V fut indéniablement un seigneur bâtisseur, un bastidor.

  • 208 Pour la démonstration, voir p. 204.
  • 209 CT 507, 380.
  • 210 AN, J 303, no 45.
  • 211 AN, J 314.8.
  • 212 AN, JJ 74, no 571, f° 338 (1342), vidimus d’un paréage de 1176.
  • 213 HGL, VIII, col. 344-345. L’abbé d’Aurillac semble éprouver des difficultés avec la population de l (...)

74Le second objectif du comte, que l’on perçoit surtout après 1170, est le renforcement des frontières. Il ajoute à ses possessions plusieurs castra par achat ou règlement de dettes mais aussi en échange de sa protection ou par la conquête. La frontière orientale avait déjà été l’objet des attentions d’Alphonse. Sans doute avant 1145, le comte est-il maître du castrum de Verfeil208. Le castellum novum de Villemur mentionné en 1142 est une première tentative qui dut être détruite209. En 1178 au plus tard, son fils Raymond V dote de franchises un second castelnau, implanté sur la rive droite du Tarn210. Plus au nord, plusieurs castra passent sous le contrôle du Raymondin lors du conflit qui l’oppose à Pons de Toulouse à partir de 1176. Armand de Montpezat, son frère B. et Bertrand de Villemur cèdent Caylus, face au Rouergue, et le reprennent en fief ainsi que Montpezat et Monclar211. À l’occasion de cette guerre, le comte s’empare aussi de Bruniquel et sans doute de Bioule. Et ce sont des soucis que l’abbé d’Aurillac rencontre avec ses bourgeois qui poussent celui-ci, contre la protection comtale, à lui abandonner ses droits ou partie de ceux-ci en deux lieux : à Cayrac, prieuré quercinois dépendant de l’abbé auvergnat, un paréage est signé qui intéresse évidemment le comte. Implanté sur la rive droite de l’Aveyron, à mi-chemin entre Caussade et Montauban, donc sur la route qui relie Cahors à Toulouse, le petit prieuré accueillait peut-être déjà un semblant d’agglomération qui, par sa position de carrefour, nécessitait visiblement une protection. L’acte de 1176 insiste sur ce point212. En outre, contre la protection accordé par le comte à Cayrac et à l’abbé d’Aurillac et qui est renouvelée en 1180, l’abbaye auvergnate abandonne au comte les revenus qu’elle percevait à Puycelsi213. Echange de bons procédés permettant au comte Raymond V de s’implanter sur la frontière albigeoise.

  • 214 AN, J 320 no 47 (1253).
  • 215 AN, J 303, no 16 (1232).
  • 216 Léonard 65. Sur le passage du castel vielh au castel nau, voir chapitre 5.

75Plus au sud enfin, le castrum de Montjoire n’est autre que le point culminant (240 mètres) de cet espace entre Tarn, Garonne, Montauban et Verfeil. Il n’apparaît que tardivement dans les actes puisque la première mention est de 1253214 mais un texte antérieur de deux décennies évoque déjà la gleia de Monjoire lo velh que l’on retrouve dans la toponymie actuelle à l’ouest du castrum et qui n’est autre que l’église Saint-Martin située au pied de la butte qui accueillait la forteresse primitive215. Or, en 1173, le comte Raymond V donne en fief à des membres de la lignée éponyme le castrum et la villa de Gémil située à six kilomètres de là sur la frange sud de la forêt de Buzet. Les arguments d’une telle cession ne sont pas évoqués mais on imagine mal une absence de raison ; ne sert-elle pas de dédommagement à l’édification et à la prise de contrôle par le comte du nouveau castrum de Montjoire, du castel nau, sur le plus haut point de toute cette partie du Haut-Toulousain qui vide de sa substance Monjoire lo velh216 ?

Figure 5. – Montjoire, le castel nau comtal (?) de 1173.

  • 217 On sait que le castrum de Beaucaire est dans la mouvance comtale sous Raymond V avec d’autres fort (...)
  • 218 AN, J 1030, no 71 (1245) : enquêtes pour connaître la mouvance de certains châteaux. Pour Touffail (...)
  • 219 On peut suivre les Touffailles tout au long de la période mais leurs apparitions sont très sporadi (...)

76Le comte va enfin renforcer la frontière occidentale de ses États. Après Montech, Grisolle et Castelsarrasin, c’est une véritable grappe de sept castra que Raymond V acquiert ou construit en Pays des Vaux, face à l’Agenais. Le comte est implanté à Beaucaire au plus tard en 1166217 et le castrum de Montcuq semble également érigé peu avant cette date puisqu’il y reçoit l’abbé séculier Bertrand de Montancès avant le départ de ce dernier pour Jérusalem. Mais le princeps cherche indéniablement à occuper d’autres positions. Raymond V contrôle en effet les castra de Touffailles et Miramont vers 1179218. Le premier est sans conteste une acquisition puisqu’une lignée éponyme occupe la forteresse depuis 1031/48219. Le second est probablement une création.

  • 220 Mace 176.
  • 221 AN, J 322, no 93.

77Puis, vers 1175-1180, en plus de l’acquisition de Castelsagrat sur la frontière agenaise220, d’autres textes témoignent d’opérations de peuplement en Bas-Quercy dans lesquelles le comte s’investit. Le paréage de Lauzerte est un exemple quasi académique de perchement castral : deux cours d’eau – le Lendou et la Petite Barguelonne – ont érodé le plateau, laissant subsister un piton rocheux sur lequel vont être construites deux cents maisons, à moins de deux kilomètres au sud-est de Beaucaire221. Le castelnau commande l’axe Cahors-Moissac et complète cette ligne Maginot comtale le long de la frontière agenaise et confiée à des aristocrates locaux. Enfin, avant 1185, il acquiert également le castrum de Brassac de Raymond de Planels et en confie la garde à Bernard de Durfort.

78Assurément, le contrôle des grands axes, dont les principaux cours d’eau, et des zones frontalières constitue la priorité du comte.

Les vicomtes de Toulousain et de Quercy dans la tourmente

  • 222 Panfili [69].
  • 223 AM Saint-Antonin, AA 1, no 2.
  • 224 CST, f° 84 v° (869). On connaît la force des lieux ! Il n’est pas inutile de rappeler que Saint-An (...)
  • 225 Gournay [81] 40.
  • 226 Boutiere et alii 159.

79C’est par une lignée vicomtale apparemment extérieure à la zone d’étude que débute cette analyse, celle des Saint-Antonin/Lautrec222. En 1155, les vicomtes étendent leurs possessions jusqu’à Bioule et Caussade223. Par ailleurs, Saint-Antonin est implanté dans cette zone de marge incertaine : n’est-il pas chef-lieu de la marca Condadense224 ? Si la plupart du temps le lieu est localisé en Rouergue, il est des cas où sa situation frontalière perturbe le rédacteur du récit qui le place tantôt en Albigeois225, tantôt en Quercy226.

  • 227 Sur les historiens des Saint-Antonin, Panfili [69], annexe sur CD-Rom, 62.
  • 228 Don Vaissette l’avait pressenti [H.G.L., III, p. 253] ; l’éditrice de miracles inédits de saint Gé (...)
  • 229 GC, p. 46.
  • 230 Débax [57] 75 montre ces stratégies diplomatiques et la kyrielle de pactes et serments qui suivent (...)
  • 231 HGL, V, 548-II.
  • 232 CT 507. Débax [57] 87 note 436.
  • 233 Rien ne dit dans cet acte que l’évêque de Toulouse Raimond soit le frère des vicomtes (de Saint-An (...)

80Le dossier des Saint-Antonin/Lautrec est particulièrement embrouillé227. Plusieurs historiens ont montré que ces deux lignées n’en formaient qu’une du Xe siècle au milieu du XIIe siècle228 mais ni le moment ni les circonstances de la scission n’ont été abordés. Que montrent les actes : un véritable co-gouvernement d’un espace qui s’étend sur les franges occidentales du Rouergue et de l’Albigeois, formant un croissant qui irait de Saint-Antonin-Noble-Val à Lautrec. La « vicomté » de Lautrec naît dans la douleur, celle des années de guerre 1141-1142 entre Roger 1er Trencavel et Alphonse Jourdain. Ce conflit traverse la famille vicomtale qui se divise en deux camps mais aussi, et c’est la nouveauté, en deux branches. Si en 1134, on voit encore les deux frères Isarn et Sicard agir conjointement lors de la fondation de l’abbaye de Septfonds en Bas-Quercy229, c’est bien la dernière fois qu’on les trouve associés dans un contexte serein ! En 1141, lors des intenses manœuvres diplomatiques qui précèdent de peu le conflit230, un pacte est scellé entre Roger 1er et le vicomte Sicard qui vient de choisir son camps231. La guerre tourne l’année suivante à l’avantage du Trencavel : en juillet 1142, les deux frères paraissent aux deux extrémités de l’acte de paix. D’un côté, le vicomte Isarn dans le camp des perdants qui doit, avec le comte Alphonse, restituer des serments ; de l’autre, Sicard, qualifié de vicomte de Lautrec, première mention de cette titulature qui explique sans doute en partie les raisons du choix de Sicard en 1141232. Les hostilités reprennent début 1143, suivie d’une autre paix, de nouveau favorable à Trencavel et il est ici fort possible que les coutumes accordées à la ville de Saint-Antonin cette même année 1143 par le double perdant Isarn et ses frères Guillaume Jourdain et Pierre, vicomtes, et Raymond, évêque de Toulouse233 soit une concession de circonstance pour éviter que la ville ne se tourne, à l’image de Sicard, vers Roger 1er.

  • 234 CT 124. Trencavel débourse 6.500 sous de Mauguio pour un serment.
  • 235 P.-A. Verlaguet, Cartulaire de l’abbaye de Sylvanès, Rodez, 1910. Acte 307; Fréon 2005, 222.
  • 236 GC, tome 1, Instrumenta p. 46.

81Les relations entre les vicomtes de Toulousain et le comte s’achèvent par un conflit. Il est vrai que depuis 1142, les Raymondins ont de quoi douter de la fidélité de leurs agents. Les paix qui suivent les conflits avec Trencavel témoignent bien de la présence des vicomtes de Saint-Antonin aux côtés du comte Alphonse. Mais on ignore tout de l’attitude des vicomtes Adémar et Armand qui contrôlent le castrum de Bruniquel et la Tulmonenc, sorte de vaste zone tampon entre l’Albigeois et les terres toulousaines et quercinoises. Cette apparente neutralité a dû crisper le comte. En 1157, après avoir chèrement négocié l’année précédente avec les Trencavel leur serment sur les biens de leur grand-mère Guilhelma234, Adémar et Armand tentent d’activer leur titre vicomtal sur ces terres : Adémar est qualifié de vicomte de Brusque235 ! En 1163, ils soutiennent à mots à peine couverts la coalition contre Raymond V236. Comme Sicard de Lautrec vingt ans plus tôt, les vicomtes de Toulousain/Bruniquel venait de sceller leur sort en renforçant leur lien avec Raymond Trencavel. C’est sans doute là l’une des explications de la volonté du comte Raimond de mettre un terme au titre vicomtal. À la mort de ses deux oncles qui n’ont pas de postérité, Arnaud Bernard de Mondenard, fils de la vicomtesse Peironella, ne semble pas autorisé à porter le titre.

  • 237 Pauc [176].
  • 238 ADTG, H1.
  • 239 CSS 689.
  • 240 CV 12.
  • 241 CV appendice no 1.
  • 242 AN, J 314.8.
  • 243 ADTG, H 1.
  • 244 CV 40, 42, 49.

82C’est alors qu’intervient le vicomte Pons de Toulouse, un cousin d’Adémar et Armand. Cependant, son attitude très ambiguë ne pouvait que provoquer la colère du princeps toulousain. Des négociations ont très certainement eu lieu au cours de l’hiver 1171-1172 entre le vicomte et le roi d’Aragon Alphonse II. Nous n’en connaissons que l’aboutissement par un acte conservé dans les archives de la couronne : Pons de Toulouse et son frère Guillaume reçoivent du roi en cadeau des maisons jouxtant le palais de Millau237. Quelle que soit la nature du contrat – alliance féodale ou matrimoniale – le vicomte constituait dès lors une menace potentielle pour son seigneur Raymond V. Se met en place une guerre des noms qui traduit bien cette volonté de s’emparer du titre. Les choix anthroponymiques de Pons et les modes de désignation qu’il emploie laissent nettement deviner les prétentions à récupérer l’héritage. En 1171, Pons de Toulouse vicomte, est témoin d’un engagement des dîmes de Livron, fait par le prieur de Caussade au monastère cistercien de Beaulieu, établissement qui possède par ailleurs deux granges à proximité du castrum de Bruniquel238. En 1173, Pons s’intitule Pons de Toulouse, vicomte, fils de Guillaume de Toulouse de Monclar, opérant ainsi une remontée spectaculaire vers Bruniquel : Montclar se situant à moins de quinze kilomètres de Bruniquel239. En août 1174, Pons appose son seing au bas d’une donation par Audiguier de Penne et sa femme Mandina de leurs prairies, fontaines et bois situés près de l’Aveyron. Il est simplement qualifié Pons, vicomte240 mais il est témoin d’un acte d’Audiguier de Penne, beau-père d’Arnaud-Bernard de Mondenard, fils de la vicomtesse Peironella et donc neveu des derniers vicomtes Adémar et Armand. En mars 1176, à l’occasion d’un échange de dîmes et de droits d’usages sur les paroisses de Castres, Saint-Laurent de Maynet et Montricoux entre le prieur de Saint-Antonin et le commandeur du Temple de Vaour, Pons est témoin de la transaction mais il prend ici la dénomination de Pons de Bruniquel241. On voit bien que ses zones d’intervention privilégiées se situent dans les espaces contrôlés jadis par les Adémar/Armand. La réplique comtale intervient la même année, le 1er avril 1176. Raimond V conclut un accord avec Armand de Montpezat – beau-frère de Pons de Toulouse – et B. son frère, Bertrand de Villemur leur beau frère qui reçoivent ou reprennent du comte contre serment et hommage les castra de Montpezat, Caylus et Monclar. Montpezat est la forteresse ancestrale, Caylus leur vient de leur mère et il est fort probable que Monclar soit encore aux mains de Pons de Toulouse, qui la tient de son père Guillaume. Les trois châtelains s’engagent en contrepartie à ne contracter aucun pacte avec celui que la charte appelle simplement Pons de Toulouse qui se trouve dès lors isolé242. Où les arguments de l’alliance féodale sont supérieurs à ceux de l’alliance matrimoniale. Quoiqu’il en soit, l’affaire est entendue pour Pons. En 1178, signe indiscutable qu’il a récupéré les biens des vicomtes et mis fin au titre, Raymond V ratifie une donation que fit le vicomte Adémar en faveur de l’abbaye cistercienne de Beaulieu quatre ans plus tôt243. Et à partir de mars 1180, on trouve à Bruniquel des bailes ou viguiers du comte de Toulouse244.

  • 245 CO 492.
  • 246 CV 85.
  • 247 Mace [131] 273.

83Les tribulations d’Arnaud Bernard de Mondenard, fils de la vicomtesse Peironella, qui ne portera jamais le titre vicomtal que ces deux oncles ont détenu, sont tout à fait symptomatiques de ce qui vient de se produire. N’ayant plus rien à espérer de cette frontière orientale du Bas-Quercy qui accueille le castrum de Bruniquel où il a certainement grandi, il re-centre ses alliances du côté de celui d’où son père est originaire, Mondenard. On le voit en 1178 en compagnie de Bernard de Durfort245. Six ans plus tard, Honors, la fille d’Arnaud Bernard a épousé Bertrand de Durfort, fils du précédent, et s’est installée dans la forteresse éponyme246. Quatre ans encore s’écoulent et il obtient réparation : Bernard de Durfort, beau-père de sa fille Honors, qui s’est vu confier par Raymond V le castrum récemment réaménagé de Brassac le vend pour trois cents marcs au roi d’Angleterre, ennemi du Toulousain, et s’installe définitivement en Agenais pour fuir la colère du comte247. Nous n’entendons plus parler ni d’Arnaud Bernard de Mondenard, ni de Bernard de Durfort.

Épilogue – Les débuts de la croisade des Albigeois248

  • 248 Déroulement extrêmement détaillé des opérations militaires dans Roquebert [190]. Mace [131] 33-38.
  • 249 Jeanne meurt en 1200 et une promesse de mariage avec la sœur de Pierre II est conclue mais ne pren (...)

84Le principat de Raymond VI qui succède à son père au début de l’année 1195 ouvre une période de paix de seize ans pour le Toulousain et le Quercy. Le vieux litige aquitain est réglé par son mariage avec Jeanne, sœur du roi Richard. L’avènement de Pierre II d’Aragon marque également un terme au conflit avec Barcelone et la Provence249. La succession de la vicomtesse de Narbonne Ermengarde – elle se retire en 1193 et meurt en 1197 – permet de nouvelles négociations : le vicomte Aymeric III devient un vassal du Toulousain pour ses terres en 1204. Quant au neveu Trencavel, il est pour l’heure isolé.

  • 250 Sur ce personnage, Mace [131] 74-86 et Id.- [132].

85Tout bascule lorsqu’en 1207, Raymond est excommunié. En janvier 1208, l’assassinat du prélat Pierre de Castelnau aboutit, à la mi-mars, à l’anathème et l’appel aux armes lancé par le pape Innocent III. La pénitence que le comte s’inflige à Saint-Gilles en 1209 lui permet-elle tout au plus de détourner la croisade vers Béziers. Le sac de la ville marque le début de la dépossession des Trencavel. Simon de Montfort devient vicomte. Ce dernier peut dès lors s’attaquer à Toulouse qui résiste en 1211. Au printemps et à l’été 1212, Bruniquel, Penne, Caylus, Montcuq, Moissac, Castelsarrasin, Montech et Verdun, autant de castra et de villes du Bas-Quercy et du Haut-Toulousain, tombent tour à tour. Le ralliement de Baudouin, demi-frère du comte, au cours de cette phase donne davantage de légitimité à l’action de Montfort250. En septembre 1213, l’issue de la bataille de Muret au cours de laquelle Pierre II d’Aragon est tué, est favorable aux croisés. Disparaît aussi de la scène documentaire le petit réseau aristocratique constitué autour des d’Auriac de Lanta. Seules Montauban et Toulouse échappent à Montfort. Mais Raymond cède rapidement pour sa capitale.

86Le 17 février 1214, le castrum de Lolmie occupé par Baudouin est investi de nuit par Bertrand de Mondenard, Ratier de Castelnau ainsi que par l’ancien seigneur du lieu. Emprisonné, conduit à Montcuq où on l’oblige à restituer la forteresse comtale aux alliés de Raymond VI, il est enfin livré à son frère à Montauban qui le fait pendre hors la ville, châtiment réservé aux traîtres. Au printemps, le Pays des Vaux à l’origine de l’événement est ravagé par les troupes de Montfort. Castelnau est détruit tout comme le petit castrum abbatial de Lagarde. C’est à Guillaume Calvera que l’abbé de Moissac confit la tâche de le reconstruire. Ce dernier n’est autre que le frère d’un fidèle de Raymond VI, Arnaud, mort peu auparavant en ayant reçu le consolamentum des parfaits cathares.

87En novembre 1215, le concile de Latran destitue Raymond VI.

Conclusion

88Ce survol de deux siècles d’une histoire politique, avec ses lacunes et ses hypothèses, témoigne de l’instabilité de la région tout au long de la période. Trois moments particuliers se détachent qui marquent de vraies phases de rupture. Un premier bouleversement est perceptible au cours des trois décennies qui précèdent les années 960. La politique des Raymondins modifie fortement les équilibres et perturbe en profondeur les anciens réseaux aristocratiques du Languedoc occidental. On conçoit dès lors la volonté de certains clans d’éliminer les représentants les plus en vue de cette politique. Comment interpréter autrement l’assassinat, peut-être en Comminges, du comte et marquis Raymond « de Rouergue » en 961, suivi de celui de Raymond, époux d’Adalaiz, à Garaison en 978 ? Les premiers vicomtes toulousains, alliés des comtes de Poitou, y avaient scellé des alliances matrimoniales et étendaient ainsi un réseau hostile aux Raymondins jusqu’aux Pyrénées, de part et d’autre de la Garonne, du Fezensagais au Carcassès. En choisissant les Adémar/Raymond entre 942 et 960, les comtes titulaires du Toulousain prenaient le parti d’éliminer les Aton/Benoît, ultime lien avec l’ancienne famille comtale du Quercy, et supprimaient ainsi le prestige que la parentèle tirait de la charge vicomtale. En bloquant par ailleurs les sources diverses de revenus, issues essentiellement des fonctions ecclésiastiques, les Raymondins fragilisaient encore plus fortement le réseau de l’ancien clan en place. La valse des abbés et évêques témoigne de la révolution de palais qui fait suite à la Guerre de succession d’Auvergne.

89Le second bouleversement frappe un espace à l’intérieur duquel la réforme ecclésiastique a dissout certains liens et levé biens des mécontentements au sein de la moyenne et petite aristocratie. Sur ce terreau brûlant et sur fonds de départs multiples en Terre Sainte, les guerres de succession qui s’enchaînent de 1097 à 1119 mettent une fois de plus à mal les réseaux aristocratiques, créant des vicomtes ou malmenant des abbayes. Cette phase, mal documentée, apparaît à bien des égards comme une lutte fratricide. Elle annonce la Grande guerre méridionale et la croisade, ultime grand chamboulement pour les aristocrates locaux.

  • 251 Hautefeuille [69].

90Et s’il est des aristocrates qui sont de niveau vicomtal sans en avoir le titre251, certains vicomtes – tels les Trencavel – sont indéniablement de niveau comtal. Le Raymondin lutte âprement contre eux mais ne peut faire face : son appel à la papauté via le chapitre général de Cîteaux en septembre 1178 constitue indéniablement le signe de son impuissance. Pour autant, il ne faut pas minimiser le poids du comte de Toulouse. Jamais il ne disparut vraiment de la scène locale. Et si le retour en force des princes, devenus incontournables localement dès les années 1123, s’est effectué contre sous et deniers et à grand renfort de castra, acquis, conquis, construits, on ne peut négliger le maintien de leur influence en ces terres d’entre Cahors et Toulouse. Les maîtres des lieux sont dotés de titulatures prestigieuses. Quel peut être le poids d’un vicomte – hormis le Trencavel – face à un marquis, voire à un duc lorsque Philippa dirige ce territoire avec son époux ? Comment expliquer autrement l’absence de réaction locale lors de la création de Montauban, véritable coup de force et déclaration de guerre ouverte contre ceux qui témoignaient leur sympathie au vicomte de Béziers devenu l’ennemi à abattre ? Jamais aucune lignée locale n’acquiert suffisamment de poids pour prétendre à une quelconque velléité d’indépendance. S’y risquer, c’est encourir le courroux du prince. Pons de Toulouse, malgré l’appui d’un roi d’Aragon, le découvre à ses dépens. La force de persuasion n’a cessé de croître mais avait-elle un temps perdu de son intensité ? En 1063, le comte Guillaume ne contraint-il pas le très puissant Gauzbert à renoncer à la charge d’abbé laïque de Moissac pourtant acquise pour la coquette somme de 30 000 sous ? Déjà à cette date, comme en Catalogne, l’aristocratie locale est obéissante. Et les intermèdes – successions, départs en croisade, minorité – ne modifient pas fondamentalement la donne. Les reprises en mains semblent se faire sans heurts alors que sur les marges, les tensions se développent.

  • 252 Panfili [173].

91Avec le XIIe siècle et la guerre de cent ans méridionale, le fil des événements est mieux connu. Mais c’est essentiellement par l’apport des sources extérieures à la région tel le cartulaire des Trencavel. Ainsi, d’une façon qui peut sembler paradoxale, c’est grâce à ce dernier que le contexte de la création de Montauban a pu être reconstitué252. Trop fréquemment, Bas-Quercy et Haut-Toulousain apparaissent comme en négatif. En effet, après 1119, ces deux espaces sont exceptionnellement à l’origine d’affrontements directs entre les princes bien qu’au cœur des tensions. On les voit poindre plus souvent comme extensions de conflits, comme des périphéries qui subissent plus qu’elles n’initient. La désaffection des comtes, longtemps happés par leurs domaines rhodaniens puis par les mirages de l’Orient, en est peut-être la cause. Mais tout ne peut se justifier de la sorte. Cette histoire politique reflète ainsi celle d’un territoire en devenir, d’un territoire où s’exerce le dominium d’une aristocratie sans panache.

Notes

1 Louise [128]. Lemesle [121].

2 Débax [57].

3 Pradalié [184] 9.

4 La littérature sur le sujet est très abondante. Parmi les productions marquantes, Lauranson-Rosaz [109]. Poly [6]. Biget [6]. Belmon [19]. Framond [74]. Débax & Framond [9bis ] 11-49. Latour [107]. Débax [57]. Settipani [195].

5 HGL, V, col. 240-250.

6 HGL, V, col. 274-280.

7 HGL, V, col. 236-239 ; CSS 280.

8 Débax [57] 340.

9 Settipani [195] 1-36.

10 Débax & Framond [9bis] 11.

11 Aubel [7]. Settipani [195] 181-189.

12 Aubel [7] 320.

13 CST, f° 65.

14 Les autres apports portent sur les liens étroits unissant la famille comtale de Quercy et les abbayes quercinoises. Parmi eux, l’insertion d’un nouveau membre de la famille de Raoul jusque-là ignoré, Andrald, abbé de Moissac. Ces hypothèses conditionnent aussi la filiation de Landric abandonnée au profit d’Immon.

15 CB 3. Si Immon ne transmet pas la charge à sa descendance, c’est soit qu’il n’en a pas, soit qu’il n’est eu qu’une fille, hypothèse que nous soutenons avec Aiga. Cette Aiga est très probablement une aïeule de la lignée de Penne en Albigeois.

16 CB 27.

17 CB 29.

18 CB 46.

19 Aubel [7] 325.

20 Auzias [13] 243-245.

21 Pradalie [184] 9.

22 Aurell [11] 44.

23 Settipani [195].

24 Où l’on retrouve la famille des Avigern. Lauranson-Rosaz [109] 157-161.

25 Ibid., 78-96.

26 Débax et Ponties [23bis]. Débax [60].

27 CTl 14. Adémar porte ici le titre vicomtal mais pas dans un acte de 922 (CTl 12).

28 Voilà bien une singularité pour Odolric, vicomte de Saint-Cirq, référence topographique très et trop précoce pour être honnête. Est-ce une interpolation du cartulariste de Tulle qui semble coutumier du fait ?

29 Auzias [13] 471 note 30.

30 CB 48.

31 Auzias [13] 473-475 pour qui rien ne permet de douter de la suprématie d’Ebles à cette date mais la documentation quercinoise donne raison à Lauranson-Rosaz [109] 80.

32 CaF, f° 22.

33 Pradalie [184].

34 Lauranson-Rosaz [109] 81-82 notes 161 et 164.

35 Hautefeuille [69] 63-64 : fourchette chronologie de 890 à 970 établie à partir de trois 14C.

36 Cette menace demeure tout au long de la période étudiée et connaît un pic vers 1140.

37 C’est ce que tend à prouver la présence d’une céramique très particulière sur les deux sites. Information fournie par F. Hautefeuille.

38 CVab 47.

39 Latour [107] 340.

40 Garaison (Hautes-Pyrénées) : Pradalie [184] 8.

41 Aubel [7] 334.

42 HGL, V, col. 240-250.

43 Un très récent colloque [69] a permis de dresser un état des lieux sur vicomtes et vicomtés. Les propos qui suivent reprennent en les développant ceux tenus lors de cette mise à plat collective.

44 Débax et Framond [9bis] 15 et 19.

45 Vita sancti Geraldi Auriliacensis comitis, AASS, Oct., VI, p. 300-332 ; miracle no 78 (894-909).

46 Poly [6]. Débax [57] 25.

47 HGL, IV, 126-127.

48 RH 88 : original ; HGL, V, col. 599-600 et CLUNY 3454 : copies.

49 CL, p. xxiii.

50 CL 303.

51 CL 813.

52 CL 136.

53 CaF, f° 22.

54 Le vicomte Frotard est associé à son épouse Adalberga à deux reprises en 930 (CaF, f° 22), en 932 (CB 48) et enfin seul en 945 (CaF, f° 37).

55 CB 48.

56 HGL, V, col. 235.

57 Biget [6] 182-183.

58 HGL, V, col. 235 texte déplacé après nouvelle datation col. 267-268, texte réédité d’après une version plus ancienne par Bonnassie [58] 122-126.

59 Settipani [195] 40-46, 156-158.

60 Aurell [11] 44.

61 Cabau [46] 143.

62 Débax et Framond [9bis] 24-26.

63 HGL, V, col. 246. La localisation des autres biens est plus problématique mais les abbayes à qui ils doivent revenir après la mort du couple montrent que l’on s’éloigne largement du Quercy : Gaillac, Conques, Vabres, Aniane et Nant. Ces biens très dispersés sont pourtant attribués à ce même couple dont nous aurons à reparler.

64 L’épouse de Raymond paraît indistinctement comme Berta ou Bertana dans le codicille.

65 CST, f° 40 [998-1031], il faut revoir la date de l’acte et réduire la fourchette chronologique entre 998 et 1010.

66 Débax et Framond [9bis] 32.

67 CST, f° 42 [1020].

68 Debax [57] 29.

69 Lauranson-Rosaz [109] 446-449.

70 Mussigbrod [163] 39-59. Ruiz [57].

71 RH 40a.

72 HGL, V, 240-250.

73 RH 100.

74 RH 40b.

75 HGL, V, col. 274-280.

76 RH 68.

77 Dufour [70] 58.

78 Cabau [46] 144.

79 Son petit-fils Guillaume dispose encore du fisc comtal de Gandalou. RH 107.

80 Sancti Viviani episcopi translatio in coenobium Figiacense et ejusdem ibidem miracula, dans Analecta bollandiana, tome 8, 1889, p. 274. Bonnassie [58] 141-145.

81 Pour les datations avec propositions des historiens : Gasmand [75] 186.

82 Lauranson-Rosaz [109] 428-431.

83 Bonnassie [36] 331. Gasmand [75] 187, même fourchette chronologique.

84 Voir Annexe sur le site internet de l’éditeur.

85 LMSF, III-14.

86 Bonnassie et Gournay [37] 465.

87 Lauranson-Rosaz [109] 432.

88 Mazel [145] 88 vs Lauranson-Rosaz [109] 434.

89 Gasmand [75] 187.

90 Est-il nécessaire de rappeler tous les écueils du « cartulaire » de Tulle ?

91 CVab 47.

92 HGL, V, 126 : les biens sont donnés à Saint-Michel de Gaillac et Sainte-Ségolène de Lagrave située à 10 km à l’est du premier établissement religieux.

93 Magnou-Nortier [141] planche située entre les pages 238 et 239.

94 HGL, V, 111.

95 CL 1681.

96 Une Ermendructis est mariée à Simplice de la famille des Amelii, vicomte de Carcassonne : CL 1336. Sur cette famille, Latour [108] dont les propositions, à prendre avec précautions, semblent toutefois préférables à celles de Settipani [195] 47.

97 CL 1266.

98 Les cas de nobles nommés vicomtes parce que gendres du comte existent : Debord [62] 79 ; Belmon [19] 83-86.

99 HGL, V, 344.

100 Des historiens ont déjà vu dans Arsinda épouse de Guillaume, marquis de Provence, une fille d’Arnaud de Carcassonne et d’Arsinda mais on ignore en fait ses origines. Poly [180] 34 ne précise pas l’origine de l’épouse du marquis. Plus récemment, il a fait une proposition de filiation avec la famille comtale de Carcassonne qui n’est qu’une hypothèse fondée sur la présence d’un Albigeois – Uc de Blayes, qui serait originaire de Blayes-les-Mines à proximité de Carmaux (mais en est-on certain ?) – aux côtés d’Arsinda dans plusieurs actes de Saint-Victor de Marseille : Id. [6] 73 note 41. Stasser [197] 177-180 reprend l’hypothèse en la considérant comme acquise. Enfin, Settipani [195] 63 soutient à son tour la filiation en montrant que le nom comme la chronologie y invitent. Ces deux derniers arguments sont également recevables dans le cas d’une union Arsinda – Adémar.

101 RH 40b.

102 Magnou [139] ; Id. - [141] 501-504. Mussigbrod [163] 85. La Haye [100]. Panfili [172]. Ruiz [57].

103 HGL, V, col. 432. Dufour [70] 31.

104 Debax [55] 221. Dans l’acte de 1038, la comtesse semble écartée.

105 CAM, f° 157 v°.

106 RH 52 : ac salubri consilio uxoris mee Adalmodis comitisse.

107 NM au IX des Kalendes de novembre.

108 Magnou [137].

109 Corbet [50] 222-223, 249-265 et 322 ; l’auteur montre qu’après un démarrage en Allemagne, le travail conciliaire ne pouvait que reprendre dans le Midi.

110 Mussigbrod [163] 85.

111 RH 62a.

112 Qui vont donner trois, voire quatre abbés séculiers à Moissac.

113 RH 65.

114 RH 68.

115 Le clocher-porche et le tympan appartiennent à une seconde tranche de travaux qui prend fin en 1100.

116 Un marbre commémoratif aujourd’hui visible dans le chœur de l’abbatiale porte une inscription en vers dont le huitième tombe comme une sentence : « On rejeta Foulque le simoniaque qui tient Cahors sous sa loi ». Durand accuse l’évêque de simonie, avec les conséquences que cela implique : déposition et excommunication. Ce ne serait pas le premier, ni le dernier. Parmi les exemples célèbres dans le Midi, il faut retenir les dépositions de l’archevêque de Narbonne, Guifred en 1078, celle de l’évêque d’Albi-Nîmes, Frotaire déjà cité, ou encore celle de l’évêque de Rodez, Pierre I au concile toulousain de 1079.

117 Panfili [172].

118 Pour les abbayes : Eysses : RH 73 ; Cubières : RH 91 ; Saint-Cyprien en Périgord : RH 105 ; Camprodon et Arles-sur-Tech : RH 108 ; Saint-Maurin en Agenais : RH 119, etc.

119 RH 85.

120 RH 149.

121 Dufour [70] 63.

122 GC, p. 31.

123 Cabau [46] 147.

124 Magnou [137] 33-64.

125 CSS 290.

126 CSS 2.

127 CSS 145.

128 Un seul acte du cartulaire garde le souvenir de cette union, sans doute au moment où elle se fit. CST, f° 102.

129 Gaussin P.-R., Le rayonnement de la Chaise-Dieu. Une abbaye auvergnate à l’échelle de l’Europe, Brioude, 1981, 197.

130 Dufour [70] 33 et 62.

131 Ourliac [168] 52.

132 Gaussin P.-R., « La Chaise-Dieu en Languedoc », dans CF 19, 1984, p. 239.

133 Débax [57] 46.

134 HGL, V, col. 753-754.

135 Debax [57] 77.

136 Sur la titulature rouergate de Raymond de 1066 à 1078, Gournay [81] 373.

137 Aurell [11] 268. Debax 1988b, 221.

138 Aurell [11] 278.

139 Verdon 1979, 132.

140 Pradalie [184] 10.

141 Verdon 1979, VIII.

142 Ibid., 132.

143 Pradalie [184] 10.

144 La Haye [101].

145 RH 68, col. B’.

146 CAM, f° 157 r°, col. a.

147 L’incendie détruit peut-être l’abbatiale consacrée en 1063.

148 CSS 291.

149 HGL, V, col. 753-754.

150 CST, f° 45. L’acte n’est datable que par l’abbatiat d’Arnaud que la tradition situe entre 1060 et 1096 mais les actes de cette période sont tout à la fois très rares et surtout très mal datés. Il est donc possible qu’Arnaud fût encore en vie en 1097.

151 RH 75, 76.

152 CSS 291.

153 Mace [131] 26.

154 CSS 270 bis.

155 CL 265, 563, 1607. Debax [57] 80 note 372.

156 CSS 435.

157 CSS 145.

158 RH 172 : il faut lire Bertrandus comes.

159 CSS 73, 253.

160 Pradalie [185].

161 RH 228.

162 CT 107 et 108.

163 RH 228.

164 Pradalie [184] 16.

165 RH 228.

166 Verdon 170. Raymond de Poitiers devient prince d’Antioche en 1135.

167 Mace [131] 24.

168 Les lignes qui suivent reprennent et développent Panfili [69].

169 CSS 133.

170 Pradalie [185] 234 note 42.

171 CT 42, 43, 476. GC, p. 46 (1163).

172 CSS 291. RH 100.

173 RH 62 c.

174 RH 164.

175 CT 107,108.

176 CST, f° 45.

177 CSS 291.

178 RH 178b.

179 CT 108.

180 CT 42 et 43.

181 CG, f° 175 v°, f° 176 r°.

182 Amado [72] 200-203. Débax [57] 72-96 offre la synthèse la plus nourrie ; Id.- [60] 20-21 ; Mace [131] 23-33 ; Id.- [130]. Voir aussi les travaux anciens mais toujours utiles de Higounet [91]. Sur un épisode local : Panfili [173].

183 CT 508.

184 CSS 5, 549.

185 RH 219bis.

186 Débax [57] 87-89.

187 CT 507.

188 CT 507, 380. Villemur est sous le contrôle des Trencavel depuis le XIe siècle : CT 38, 39. Le conflit des années 1141-1142 permet à Guillaume At, châtelain éponyme, de reprendre sa fidélité pour l’offrir à Alphonse. Le castrum de Villemur disparaît du cartulaire des Trencavel après cette phase du conflit. Il reçoit des coutumes en 1178 : AN, J. 303, no 45.

189 Panfili [173].

190 Mace [131] 28.

191 CST, f° 1.

192 Débax [57] 89.

193 CV 8.

194 GC, p. 46, XLV.

195 CG ne renferme aucun acte postérieur à 1195.

196 ADTG, G 551, f° 42 v°.

197 Mace [131] 32.

198 AN, J. 1030, no 71 (1245) : enquête pour connaître la mouvance de certains castra. Plusieurs témoins évoquent « monseigneur le comte qui gît à Nîmes », pour bien distinguer Raymond V de ses homonymes.

199 RH 232.

200 CAM, fol. 171 v°. La mention n’est pas datée mais Bertrand de Montancès apparaît dans les actes de Moissac dès 1129 (RH 232). On peut difficilement envisager une présence de Bertrand au-delà de 1150-1160. Or, la plupart des historiens du Quercy reprennent à la lettre les propos d’Aymeric de Peyrac qui affirme que les abbés séculiers ont tenu l’abbaye durant cent quarante ans ; comme le point de départ est 1037, ils en déduisent que Bertrand de Montancès, dernier abbé laïc connu, a conservé sa charge jusqu’en 1177. Rupin [193], 18. Lagreze-Fossat [99] 138-142.

201 CV 40, 42.

202 CT 507, 380.

203 CGP 32.

204 CSS 106.

205 CST, f° 3 (1156).

206 Hautefeuille [89] 347.

207 CST, f° 3 (1154).

208 Pour la démonstration, voir p. 204.

209 CT 507, 380.

210 AN, J 303, no 45.

211 AN, J 314.8.

212 AN, JJ 74, no 571, f° 338 (1342), vidimus d’un paréage de 1176.

213 HGL, VIII, col. 344-345. L’abbé d’Aurillac semble éprouver des difficultés avec la population de la ville qui se révolte en 1180 et 1232, d’où les nouveaux accords conclus avec Raymond V.

214 AN, J 320 no 47 (1253).

215 AN, J 303, no 16 (1232).

216 Léonard 65. Sur le passage du castel vielh au castel nau, voir chapitre 5.

217 On sait que le castrum de Beaucaire est dans la mouvance comtale sous Raymond V avec d’autres forteresses quercinoises [AN, J 1030, no 71]. Parmi les fondateurs de l’abbaye de Francou en 1166 se trouve un Nucien de Caraman, dominus de Beaucaire ; il a très probablement reçu ce castrum en fief du comte de Toulouse. Panfili [171] 180-182.

218 AN, J 1030, no 71 (1245) : enquêtes pour connaître la mouvance de certains châteaux. Pour Touffailles, on fit appel à la mémoire d’un très vieil homme « qui est vieux, qui a bien 120 ans » : « Et il dit aussi que le comte qui gît à Nîmes [Raymond V] donnait 300 sous de Mauguio pour la garde du château de Touffailles ». Pour Miramont : « Et B. lo Bads dit que le comte qui gît à Nîmes [Raymond V] donnait 500 sous à n’Gauzbert de Durfort pour garder le château de Miramont ». Gauzbert de Durfort cède en 1179 à la commanderie hospitalière de Carnac-Trébaix divers biens qu’il tient de Polverell de Castelnau et de son fils Raymond : MD 12.

219 On peut suivre les Touffailles tout au long de la période mais leurs apparitions sont très sporadiques : RH 45, 230, 239, 241. Le site de la forteresse initiale est sans doute ce bel éperon barré au pied duquel s’est développé le village. Panfili [171] 132-134.

220 Mace 176.

221 AN, J 322, no 93.

222 Panfili [69].

223 AM Saint-Antonin, AA 1, no 2.

224 CST, f° 84 v° (869). On connaît la force des lieux ! Il n’est pas inutile de rappeler que Saint-Antonin fut un atelier monétaire à l’époque mérovingienne et que ce vicus fut aussi le centre d’un pagus mineur mentionné dès le IXe siècle, le pagus Condatensis, parfois qualifié de ministerium mais aussi de marca. Il n’est d’autre part pas nécessaire d’être un expert en toponymie pour constater l’ancienneté de ce Condate rouerguat.

225 Gournay [81] 40.

226 Boutiere et alii 159.

227 Sur les historiens des Saint-Antonin, Panfili [69], annexe sur CD-Rom, 62.

228 Don Vaissette l’avait pressenti [H.G.L., III, p. 253] ; l’éditrice de miracles inédits de saint Géraud le suppose pour le Xe siècle tandis que Gournay [81] 65 l’affirme sans apporter la moindre preuve ni la moindre explication. Enfin, Eclache & alii [73] 318 le démontrent pour le milieu du XIIe siècle.

229 GC, p. 46.

230 Débax [57] 75 montre ces stratégies diplomatiques et la kyrielle de pactes et serments qui suivent chacune d’elle.

231 HGL, V, 548-II.

232 CT 507. Débax [57] 87 note 436.

233 Rien ne dit dans cet acte que l’évêque de Toulouse Raimond soit le frère des vicomtes (de Saint-Antonin) mais un acte de 1155 l’énonce sans aucune ambiguïté : Eclache & alii [73] 326. Voici d’ailleurs un autre élément qui contribue à la confusion : l’évêque Raimond prend tardivement le nom de Raimond de Lautrec. Les actes le mentionnant ainsi sont postérieurs à 1159, année qui est aussi celle de la mort de son frère Sicard ; ce choix anthroponymique traduit d’avantage une revendication à l’héritage qu’une marque de primauté de Lautrec sur Saint-Antonin.

234 CT 124. Trencavel débourse 6.500 sous de Mauguio pour un serment.

235 P.-A. Verlaguet, Cartulaire de l’abbaye de Sylvanès, Rodez, 1910. Acte 307; Fréon 2005, 222.

236 GC, tome 1, Instrumenta p. 46.

237 Pauc [176].

238 ADTG, H1.

239 CSS 689.

240 CV 12.

241 CV appendice no 1.

242 AN, J 314.8.

243 ADTG, H 1.

244 CV 40, 42, 49.

245 CO 492.

246 CV 85.

247 Mace [131] 273.

248 Déroulement extrêmement détaillé des opérations militaires dans Roquebert [190]. Mace [131] 33-38.

249 Jeanne meurt en 1200 et une promesse de mariage avec la sœur de Pierre II est conclue mais ne prend effet qu’en 1204.

250 Sur ce personnage, Mace [131] 74-86 et Id.- [132].

251 Hautefeuille [69].

252 Panfili [173].

Table des illustrations

Légende Figure 1. – La famille comtale et le contrôle des abbayes quercinoises.Sur les codes de représentation des shémas de filiation, voir l’introduction générale.
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Légende Carte 3. – Les castra de Bas-Quercy et Haut-Toulousain vers 960.
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Légende En gras, les anthroponymes fortement présents dans la famille comtale de Quercy ou dans son entourage. En italique, les noms de ceux qui renvoient plutôt au réseau raymondin.Tableau 2. – D’un réseau à l’autre.
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Légende Figure 2. – Des comtes de Quercy aux vicomtes de Toulousain.
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Légende Figure 3. – Les alliances des vicomtes de Toulousains, fin IXe-milieu Xe siècle.
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Légende Figure 4. – Les premiers Adémar/Raymond, vicomtes. Hypothèses.
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Légende Carte 4. – Les soutiens à la comtesse Philippa (1097-1100, 1108-1119).
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Légende Carte 5. – Les années 1140 : les aristocrates dans la tourmente.
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Légende Carte 6. – Acquisitions, constructions et conquêtes de Raymond V antérieures à 1180.
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Légende Figure 5. – Montjoire, le castel nau comtal (?) de 1173.
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