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Aristocraties méridionales

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Didier Panfili

Préface

Mireille Mousnier

Texte intégral

1L’on pourrait croire que tout a été dit sur l’aristocratie, tant le sujet, passionnant certes, a suscité des décennies de travaux. Mais nous disposons surtout de monographies, ou bien d’études sur la haute, voire la très haute aristocratie. Le renouvellement profond des questions est devenu apparent dans les années 90, associé peu ou prou au débat sur le mutationnisme. Les nouveaux apports de l’anthropologie, la réflexion menée sur la parenté ont revivifié un domaine que les travaux de Claudie Amado sur les lignages méridionaux, de Laurent Macé sur les comtes de Toulouse et d’Hélène Debax sur la féodalité méridionale ont jalonné dernièrement pour le Midi.

2Didier Panfili a fait le choix courageux mais pertinent d’étudier l’aristocratie présente à la confluence du Tarn et de la Garonne. Choix courageux car le pari n’est pas celui de la facilité. Entre Quercy et Toulousain, la région est un entre-deux, un angle mort, une marge. Circonscrire l’étude aux XIe et XIIe siècles place l’intervalle temporel entre deux guerres, de la guerre de succession d’Auvergne jusqu’aux débuts de la croisade albigeoise, intervalle où la vie n’eut rien d’un long fleuve tranquille, mais fut parcourue de fortes tensions et de violences guerrières diverses. Enfin, loin des sunlights comtaux et vicomtaux, la réflexion est menée sur les familles de la petite et moyenne aristocratie, une aristocratie que l’on pourrait qualifier de médiane, celle de ces familles souvent obscures, disparues dans les oubliettes de l’histoire, mais que la distinction plaçait en pleine lumière pour leurs contemporains. Or leurs voix mêmes sont absentes car seules celles des clercs ont conservé leur mémoire. Ce choix est cependant pertinent car il resserre les possibilités d’investigation et focalise sur l’essentiel. Le cadre chronologique d’à peine deux siècles efface les mutations et permet un examen synchronique et structurel du groupe nobiliaire. Cette aristocratie, dite « sans panache », offre une abondance d’informations suffisante, une diversité assez significative pour que les tendances se dégagent, que les temps forts chronologiques s’articulent. La région, qui a tant peiné administrativement pour en devenir une, est une zone de contact de périphéries qui laissent le champ libre aux appétits des puissants, et où grands et petits se concurrencent âprement pour la domination des autres. La meilleure image qui me vient à l’esprit sur la démarche scientifique suivie est celle du travail d’une brodeuse qui appliquerait son attention à faire un jour de Venise ou une dentelle du Puy. La matière est évidée, le schéma apparaît par l’absence même. Les fils sont lancés d’un bord à l’autre ; ils sont reliés entre eux, renoués avec virtuosité, et le motif se dessine peu à peu, au bout de toute patience, aussi arachnéen que solide.

3L’auteur s’est confronté à tous les acquis de la recherche contemporaine sur ces domaines et a su intégrer les approches de la sociologie et de l’anthropologie historique et juridique. Pour autant, la démonstration est solidement ancrée sur ses fondements chronologiques et sur une historiographie comparatiste à toute épreuve. Et si le sujet ne se prêtait guère à des périodisations globales, chaque chapitre thématique a eu à cœur de retrouver les rythmes, les scansions de la respiration temporelle, de centrer l’attention sur les moments particuliers dans l’évolution, les seuils de transformation. Dans une perspective d’anthropologie culturelle, l’auteur interroge l’essentiel des comportements des nobles de la région. Des comportements, il a cherché les données objectivement observables. Nous sommes dans les registres de l’action, « des actions, même si elles ne sont pas strictement mécaniques », et pas dans ceux du paraître ou du symbolique. Comment les personnes s’identifient-elles ? quels types de réseaux construisent-elles ? Peut-on parvenir à délimiter le groupe aristocratique ? Est-il possible d’en déceler les différenciations internes ? Quelles sont les atouts de la domination seigneuriale ?

4Pour répondre à ces questions, Didier Panfili a eu recours essentiellement aux fonds ecclésiastiques de sa région : Saint-Sernin, Moissac, Saint-Théodard, Vaour, Grandselve (presque 350 actes pour une seule grange cistercienne), si chère à mes propres recherches. Le Bas-Quercy et le Haut-Toulousain passaient pour un désert documentaire, mais même sans fouille archéologique d’envergure et en l’absence de sources héraldiques ou sigillographiques, la provende est remarquable, à condition d’aller la chercher. Les 2 500 chartes et tous les autres documents sollicités comme les obituaires, vitae, livres de miracles, nécrologes, registres d’inquisition, se sont accompagnés d’un patient et minutieux travail de vérification des forgeries, d’analyse, de reconstitution des familles, des évènements, des contextes, mené avec une érudition sans faille. Littéralement disséqués, décortiqués, ces documents fournissent de surcroît le matériau d’une pléiade de schémas, de tableaux de décomptes, d’extraits de cartes, de généalogies, qui soutiennent le propos. L’organisation d’ensemble répond à une logique contrapunctique : les chapitres thématiques exposent la mélodie, avec ses variations et ses cadences ; et une vingtaine de monographies familiales, en annexes, viennent aussi éclairer tel point précis, nous guidant dans le labyrinthe d’alliances compliquées, formant la chair familiale face au risque d’une étude trop structurale et statique. L’attention portée aux mots, au vocabulaire, permet de restituer toute la finesse et les nuances des significations. Je retiens en particulier le vocabulaire de la parenté, de la dénomination, du prélèvement. Les fortes différences de pratiques observées entre scriptoria monastiques illustrent de manière éclairante les lacunes de toute documentation que l’on ne peut croiser avec d’autres sources.

5Le contexte politique est planté en un vigoureux chapitre qui assure l’examen tout à fait pointu des évènements qui se sont enchevêtrés durant la période et dans la région, et du rétablissement de la chronologie, opérant une remise en l’ordre dans une histoire lacunaire, embrouillée et contradictoire. La transposition spatiale de la lutte des Raimondins contre les descendants de la famille comtale quercinoise et contre les Guillelmides est fascinante. Puis vient le temps des grandes manœuvres aquitaines, la grande guerre méridionale : bien du neuf émerge dans le dossier de la fondation comtale de Montauban et spécialement dans l’analyse de l’implication des réseaux locaux. Car le propos est bien là. S’il était nécessaire de rétablir le déroulement chronologique, le focus reste les familles aristocratiques et leur fonctionnement en réseaux. Comment s’est opérée l’adaptation de ces familles au sein des réseaux face aux modifications de leurs sphères de vie ? Comment se sont maintenus leurs réseaux, soumis par les aléas de la conjoncture historique à des perturbations profondes se traduisant en destructions et recompositions ?

6Quatre volets thématiques sont déclinés : désigner, s’allier, manifester sa foi, dominer. La titulature et la dénomination concourent à délimiter le groupe aristocratique. La belle série de travaux sur la genèse de l’anthroponymie moderne dirigées par Monique Bourin appelle toujours les nuances régionales, tant dans le vocabulaire que dans la chronologie. Les membres de l’aristocratie se parent dès 1073 de l’épithète honorifique ou fonctionnelle de milites, dont le sens est remarquablement polysémique, les milites castri étant ainsi caractérisés dans les années 1150. Dans une sémantique plus vernaculaire, En est peu fréquent avant 1170, alors que les femmes avec Na ont ouvert la voie dès 1148. Au quarté gagnant des Raymond, Guillaume, Arnaud et Bernard s’ajoute le spécifique Hugues. Mais une autre particularité est plus remarquable : le choix du nomen ne suit pas, à la différence de démonstrations menées pour ailleurs, les noms princiers. Est-ce dû à la faiblesse de la présence comtale, à la faiblesse des liens féodaux noués avec le comte en ces temps ? L’apparition des surnoms toponymiques, phénomène classique de la période, connaît des nouveautés remarquables, là encore. Une diffusion ascendante procède depuis la petite et moyenne aristocratie vers l’aristocratie titrée, quoique certains des plus puissantes lignées locales, de niveau vicomtal ou castral, aient une préférence pour les noms rares (Gauzbert chez les Castelnau, Raino chez les Tolvieu, Escafre chez les Roquefort, Odalric à Corbarieu, etc.). Les femmes, trop peu souvent nommées, restent présentes dans les chartes. Leurs caractères anthroponymiques sont finement restitués et les figures de ces Arsindis, Ricarda, et surtout de Dame Sasneus à la dénomination si strictement locale, sortent de la pénombre qui les entoure. Une véritable conscience nobiliaire s’exprime dans la titulature, dans la transmission du nom, mais la « guerre des noms » est aussi un moyen d’utiliser cette transmission comme possibilité d’accès au patrimoine : selon cette remarquable formule, « le nom accorde la potestas ». Et la parentèle des Siquier fournit l’exemple extraordinaire de transmission d’un nom rare d’un beau-père à son gendre qui doit reprendre la succession. Cela permet d’insister sur la force des topolignées. Le fondement du pouvoir n’est plus l’ancêtre mais la terre et les hommes qui y résident : l’espace a pris le dessus sur la famille et l’on est bien passé de la déparentalisation des liens sociaux à la spatialisation, selon l’énoncé initié par Joseph Morsel. Si le nom permet d’être connu, grâce au prestige, et reconnu, en percevant les revenus, son ancrage territorial est interprété ici de manière très convaincante. Il n’est attesté tôt que pour les petites lignées qui ont tant besoin de s’affirmer.

7L’alliance est également abordée dans ses aspects les plus novateurs, faisant le point sur les derniers aspects de la recherche. Le cercle de la parenté est interrogé de manière dynamique, dans le cadre des relations préférentielles établies. Les stratégies matrimoniales, particulièrement complexes mais précisément restituées, montrent à quel point l’on cherche à éviter l’émiettement des patrimoines alors que prédomine le partage égalitaire. À l’origine de myriades de conflits, celui-ci s’accompagne d’une extrême fréquence des mutations dans le patrimoine, à l’opposé de la vision convenue de l’immutabilité. Si crise il y a, elle n’est pas crise du système, mais adaptation aux cycles de la vie, périodisation en générations : une étude anthropologique de ces conflits, comme celle menée par Cynthia Johnson pour le Sud-Est, en montrerait le caractère structurant au sein des familles. Le corollaire en est la relative indifférence de l’Eglise elle-même à la législation canonique sur les interdits matrimoniaux, en tout cas lorsqu’il s’agit de membres de la petite et moyenne aristocratie. Les représentations sculptées de l’avarice et la luxure au portail de l’abbatiale de Moissac en gagnent beaucoup plus de saveur ! Les dots dessinent une différenciation dans les strates nobiliaires. Si à certains niveaux, ce sont des castra qui s’échangent, les familles plus démunies transfèrent avec leurs filles, après 1060, surtout des églises et les droits associés. En ces temps de réforme grégorienne, c’est un patrimoine vraiment précaire ! Quelques destins de femmes sont mieux connus. Elles vivent désormais seulement dans leurs maisons de dames. Les fouilles de Flaugnac les montrent cantonnées aux tâches domestiques et à la prière. Et pourtant quelques femmes dirigent des seigneuries et sont dites domina, disposant d’une belle autonomie, surtout quand elles sont veuves !

8Le fief introduit une autre forme d’alliance. Les relations féodales relèvent de la parenté spirituelle tant la parenté sert à penser l’ensemble des relations sociales : le seigneur se substitue au père. L’association fidélité-hommage-service se retrouve, dans des composantes nuancées, à tous les niveaux de la société. La liaison n’est pas nécessairement stricte car l’hommage n’a rien d’obligatoire ni de systématique, comme dans le Bordelais de Frédéric Boutoulle. Plus singulier est l’usage de l’inféodation au sein même de la famille. La force de la liaison parenté-inféodation fait-elle la quasi absence de vassalité ? Le fief a une forte inscription spatiale. La co-seigneurie est souvent la base de la gestion du patrimoine. Comme l’ont montré les très récents travaux d’Hélène Debax, pairs et pariers, co-héritiers et coseigneurs, sont largement présents dans le Midi, et bien au-delà. Partages égalitaires ou maintien par le testateur de l’indivision ont provoqué l’éclatement des revenus, la dispersion des pouvoirs et les conflits inhérents à ces situations, la parcellisation émiettée des patrimoines s’accompagnant de la multiplicité des ayants droits en un seul lieu. Contre les théories de Susan Reynolds, Didier Panfili montre à quel point la féodalité est structurante puisqu’elle peut déstructurer les liens existants. Le fief se révèle déterminant dans les rapports sociaux, plus que la filiation et l’alliance matrimoniale, quand l’enjeu est un castrum. Mais celles-ci tout comme les fidèles et les amis, les liens du voisinage, la co-seigneurie constituent plutôt la base, le ciment de ces réseaux aristocratiques de faible envergure.

9La manifestation de la foi s’inscrit dans un contexte de tensions notables entre l’Eglise et l’aristocratie. De la réforme clunisienne à la réforme grégorienne, les relations sont étroitement nouées, mais l’Eglise s’insère de plus en plus dans l’espace seigneurial et la compétition est rude, tout comme dans le Maine de Bruno Lemesle. Les restitutions d’églises et de droits, puis les inféodations de dîmes aux laïcs, en montrent les laborieux méandres. La religiosité nous vaut des pages passionnantes en particulier dans deux directions. La clause pro anima, si présente dans tant de donations, dit la crainte de Dieu, l’économie du contre-don, mais aussi la construction de la memoria, affaire de sang familial. Mais le comportement aristocratique est particulièrement bien analysé dans la réception de l’hérésie. Alors même que valdéisme, catharisme et autre albigéisme secouaient les consciences au point de faire se déplacer les plus grandes voix de l’Occident chrétien, l’adhésion religieuse était-elle affaire de foi individuelle ou de choix familial ? Le rôle des femmes, pour le Languedoc, a été mis en avant depuis longtemps car le catharisme offrait à la spiritualité féminine une modalité remarquable : des vœux accomplis dans la domus familiale, en l’absence quasi totale de monastères féminins. Et pourtant, la mère ne transmettait point ses préférences religieuses. En effet, l’approche nouvelle réside dans l’examen de l’implication des réseaux aristocratiques dans l’hérésie. Le catharisme circule plus par les réseaux d’alliance que dans la filiation, dans des réseaux assez étroits, par effet de propagation ou d’imitation. Il est cependant intéressant de constater que ce sont les mêmes lignées qui à la génération antérieure avaient notablement soutenu les ordres nouveaux comme les Cisterciens ou les Hospitaliers. Le choix cathare témoigne à la fois d’une obsession du salut et d’une recherche de la nouveauté en matière d’expression religieuse.

10La domination médiévale repose essentiellement sur une économie rurale où la richesse est créée par des paysans. Et, dans le contexte scientifique actuel, une telle histoire politique fondée sur des bases socio-économiques est méritoire et remarquable. Didier Panfili est un véritable ruraliste, attentif à la matérialité des choses, aux cultures, aux techniques. Il s’attache à démonter les dispositifs de ce pouvoir. Etre aristocrate, c’est marquer l’espace de ses parcours de chasse, c’est aussi contrôler strictement l’emprise sur le saltus. Mais c’est fondamentalement moissonner les profits du travail paysan. Le regroupement de la population en est un moyen efficace. L’encellulement de Robert Fossier ne voit ici prédominer ni l’inecclesiamento, ni l’incastellamento, malgré le grand nombre d’exemples voisins, du Languedoc à la Gascogne. Une troisième voie s’offre, celle de l’habitat dispersé, précisée déjà par Benoît Cursente, non comme un élément résiduel, marginal, ni comme la trame d’un futur bocage plus caractéristique de l’Ouest français si familier à Daniel Pichot. Le pullulement et la dissémination des mottes et des sites fossoyés n’empêchent pas un véritable encadrement des hommes et signifient bien l’emprise réelle des aristocrates, même de faible envergure. Les travaux de Florent Hautefeuille en étudient les étonnantes traces archéologiques. Au plus près des exploitations paysannes, la tour et la domus sont symboles de puissance. Et dans le même temps, la concentration des hommes ramène aussi l’habitat seigneurial dans l’agglomération où l’on remarque ces singuliers quartiers aristocratiques, ces forts au sein de castra comme à Flaugnac, Belfort ou Verfeil. Les opérations de peuplement sont à l’ordre du jour. La fameuse trilogie sauvetés-castelnaux-bastides est détaillée, élargie au concept de villes neuves, comme l’ont récemment approfondi les travaux de l’école de Tours ou ceux de Jean-Loup Abbé. Plus que la morphogenèse, l’intérêt ici est de cerner le jeu des acteurs. Dans une double dynamique, la haute aristocratie et l’Église créent à partir des années 1130 de très grandes structures (comme Montauban, Villemade, Castelsarrasin, Lavilledieu, etc.), alors qu’en face, l’aristocratie médiane beaucoup moins nantie, mène une politique de résistance à la concentration de l’habitat et installe ses serfs dans les bordes de l’habitat dispersé.

11Les récents travaux sur l’anthropologie du prélèvement seigneurial ont montré tout l’intérêt de l’étude du vocabulaire, du temps et du lieu de ce prélèvement. À l’inverse du Languedoc, le glossaire ne mentionne pas le recours à la violence et seul l’emploi récurrent de requirere dans les monastères en dit long sur leur comportement seigneurial. Prélever la rente, c’est aussi affirmer son pouvoir, et sur une terre et sur des hommes, exiger d’eux cette reconnaissance. La rente est profitable certainement, mais menacée, en particulier par les partages successoraux et la croissance démographique, le tarissement des dîmes entre 1073 et 1128. Comment a réagi la petite et moyenne aristocratie ? L’asservissement est une solution avantageuse car la contrainte pèse sur les hommes puis sur la terre. La co-seigneurie n’hésite pas aussi à inventer de nouveaux prélèvements en remplacement de la dîme sur laquelle s’est penché le tout récent colloque de Flaran organisé par Roland Viader. Cette aristocratie, comme le montre une analyse minutieuse, ne dispose pas des revenus de la seigneurie dite banale singulièrement faible entre ses mains, ce qui ne réduit pas la rente seigneuriale, ni le contrôle sur les hommes. Sa puissance est limitée, son contrôle reste modeste sur les hommes mais bien présent ; le prélèvement demeure assez modéré par rapport à d’autres situations comme en Catalogne ou Lauragais.

12Didier Panfili a cherché à hiérarchiser ces strates aristocratiques, mais la difficulté demeure certaine. Les vicomtes en forment la partie supérieure, soumis aux fortes contraintes de la politique comtale, tandis que la moyenne aristocratie appuie son pouvoir sur un seul castrum dont est pourtant dépourvu la petite, nantie de terres et de droits en l’absence du ban. Serment et hommage servent à la reconnaissance de la supériorité de certains aristocrates sur d’autres et positionnent donc dans la société. Le rite de l’hommage est perçu comme un élément qui intervient dans le processus de hiérarchisation. La domination seigneuriale passe donc à la fois par la revendication et par la concurrence. À tous les niveaux de l’échelle aristocratique, tout noble peut avoir des dépendants, l’exercice de services fondant nombre de subordinations. Pourtant, à un échelon social donné, le fief n’a pas sa place entre pairs ou entre pariers. La petite aristocratie ne mobilise cette figure que vis-à-vis de ses propres dépendants, sous la forme du fief roturier, ou bien quand elle y est contrainte par la strate seigneuriale supérieure. Le fief structure donc moins la moyenne et petite aristocratie, les autres réseaux fonctionnant alors davantage comme l’a souligné Joseph Morsel. Les actions de peuplement manifestent encore plus clairement la hiérarchie interne de l’aristocratie : des opérations comtales d’envergure avec la création de villes neuves, des pariers très inégaux lors de certains paréages dont celui de Grisolles, alors que la petite aristocratie, aux patrimoines très morcelés, mite l’espace agraire d’écarts peuplés.

13Et le dénouement n’apparaît qu’in fine. Comment comprendre la faible envergure de cette aristocratie locale ? Elle n’a pas disposé d’autres revenus que ceux de la terre. À la différence des vicomtes Trencavel ou des vicomtes de Béarn, il lui manque quelque minerai d’argent coulant à flot ou quelque opulente civitas épiscopale. Parmi les plus puissants, les Bruniquel ne dépassent pas 4 castra et les Durfort iront chercher fortune du côté de l’Agenais. En ces terres quercynoises pas si lointaines, le comte de Toulouse installe dès 1130-1140 un maillage politique efficace alors même qu’il laisse à l’abandon la Gascogne toulousaine. Plus qu’une aristocratie marquée par la faiblesse, ne conviendrait-il pas mieux de parler de son instabilité ? Didier Panfili nous a remarquablement guidés dans l’exploration de ces familles de haut rang mais aux destins vite bornés par l’horizon. Il a su restituer avec finesse leurs complexes fonctionnements en réseaux multiples où la féodalité est omniprésente mais subtilement nuancée. Peu armée pour lutter contre les troubles des temps, les ambitions des grands, les concurrences locales, elle a fait flèche de tout bois et fait sien le profond renversement de valeurs de ces siècles décisifs.

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