Chapitre X. L’instrumentalisation de la guerre idéologique
p. 291-310
Texte intégral
« Vos malheurs, votre attachement à la Grande cause vous rendent intéressants à l’humanité, et vous assurent l’estime du Peuple français. Le gouvernement de la République de France saura en tous les temps reconnaître les Peuples qui par un généreux effort aideraient à secouer le joug de la tyrannie. Le Peuple français a pris les armes pour la liberté ; le Peuple français chérit et estime les Nations libres ; la Hollande est libre et la Hollande fut conquise.
Patriotes piémontais, l’Europe a les yeux fixés sur l’Italie ; l’armée y saura fixer la liberté et le bonheur des peuples.
Je vous autorise à vous réunir et à nommer deux députés pour conférer avec moi demain à deux après midi1. »
Le général Bonaparte aux patriotes piémontais, 31 mars 1796
1Les patriotes italiens souhaitaient cette campagne d’Italie depuis des années, mais elle intervenait alors que le zèle des missionnaires armés s’était estompé. L’armée qui s’apprêtait à déferler sur le Piémont était réputée jacobine et Bonaparte allait utiliser cette image révolutionnaire pour terroriser ses ennemis en Italie et en France. Une seconde campagne se déroula à côté des opérations militaires. Elle fut caractérisée par la mobilisation des moyens de la guerre subversive déjà employés en l’an II.
2Le général en chef fit croire aux fuorusciti, nombreux dans le sillage de l’armée d’Italie, que cette dernière allait mener une guerre révolutionnaire inédite car il avait besoin de leurs talents. Leur expérience de comploteurs, leur culture du secret et du renseignement étaient pour l’ennemi une source d’inquiétude.
3Il utilisa l’image d’une troupe révolutionnaire pour se poser comme le défenseur de la République contre le royalisme renaissant en France. Le 18 fructidor fut, d’une certaine manière, la dernière victoire de l’armée d’Italie.
Guerre subversive et guerre du renseignement
De la guerre révolutionnaire à la guerre du renseignement
4Depuis Thermidor, Bonaparte avait tenté de faire oublier ses sympathies jacobines : trois jours avant d’être nommé à la tête de l’armée d’Italie, il avait fait fermer sur son ordre la Société du Panthéon, le club jacobin contrôlé par les babouvistes2. Cela ne l’avait pas empêché, avant de quitter Paris, d’avoir de longues discussions avec Buonarroti sur la question italienne3. Le révolutionnaire toscan ne faisait pas l’unanimité. Le ministre Delacroix manifestait la plus grande prudence à son égard. Au même moment, les fuorusciti s’étaient rapprochés de Saliceti. Buonarroti et le Piémontais Cerise s’étaient effectivement rendus à Paris chez l’ex-représentant en mission en apprenant sa nomination comme commissaire à l’armée d’Italie. Ils communiquèrent l’heureuse nouvelle à « leur ami Pellissieri ».
5Fin décembre 1795, Saliceti s’était déjà rendu officieusement à Gênes afin de s’instruire du comportement de Villars. Il alla ensuite à Savone où il rencontra Ritter. De retour à Paris, il rendit compte de ce qu’il avait vu. Le nouveau commissaire était au courant des problèmes de l’armée d’Italie. Ses nombreuses amitiés comme celle de Masséna, en faveur de qui il était intervenu pour qu’il obtienne son brevet de général de division, lui facilitaient la tâche.
6En bon Corse républicain, il rêvait comme Bonaparte de reconquérir son île natale alors aux mains des Anglais et des partisans de Paoli. Cette volonté opiniâtre est une clef pour comprendre certaines décisions stratégiques de la campagne. Saliceti avait de l’influence et des réseaux dans la péninsule. En 1796, il n’était cependant plus le représentant tout puissant du siège de Toulon. Cette fois, il revenait comme commissaire du Directoire et allait préparer l’arrivée du général Bonaparte qui venait de se distinguer dans la répression du 13 vendémiaire.
7Les patriotes présents à Nice devaient établir avec lui les moyens d’action pour provoquer la révolution dans la péninsule et préparer le terrain à l’intervention armée. L’idée d’une guerre de propagande (idée à laquelle Saliceti semblait être acquis4) lancée par les patriotes piémontais resurgissait. Mais l’arrestation de Buonarroti fit bientôt perdre aux fuorusciti leur tête pensante5.
8Depuis 1792, les militaires de l’armée d’Italie et des diplomates français avaient approché ces milieux révolutionnaires italiens. Ils en connaissaient les forces et les limites. À la veille de la campagne, l’agent François Cacault était au fait des différentes tendances et opinions. Il avait aussi de solides connaissances stratégiques et militaires puisqu’il avait enseigné l’art des fortifications avant d’entamer une carrière diplomatique6. Même s’il ne cite jamais de noms dans sa correspondance, Cacault était en contact avec diverses personnalités telles que Celentano, Galdi et Salfi, tous trois originaires du sud de la Péninsule. Il entretenait des relations avec les Piémontais Pelisseri et Bonafous et plus encore, à partir de 1795, avec des Génois. Il maintint cependant ses distances avec certains fuorusciti qu’il considérait comme des exaltés. Il estimait que la tâche d’organiser avec eux un mouvement pro-français devait revenir aux militaires et en particulier aux commissaires aux armées. Cacault continuait à se considérer comme un négociateur dont le rôle était de mettre en relation les personnalités qu’ils côtoyaient avec les chefs de l’armée d’Italie. Les renseignements qu’il avait envoyés depuis Florence sur les milieux jacobins italiens ne tendaient pas forcément à brosser un tableau flatteur de ce milieu. Les fuorusciti pouvaient néanmoins être d’une grande utilité politique et militaire. Ils prétendaient qu’au moindre appui des Français, la révolution éclaterait dans leur pays. Ils suggéraient que le Directoire chargeât un général de l’armée d’Italie d’une opération révolutionnaire qui serait partie intégrante du plan général de campagne7.
9Cacault changea rapidement d’avis. Hostile à l’aile extrémiste des patriotes, il s’alarma de voir grandir son influence dans le milieu des exilés. Lorsqu’il fut informé du rôle que Buonarroti était censé jouer, il critiqua sa présence à l’armée d’Italie et émit l’idée que dans la péninsule, il n’y avait aucune possibilité d’insurrections et de révolte. Le diplomate qui avait longtemps séjourné à Florence connaissait la réputation sulfureuse du révolutionnaire toscan qu’il considérait comme un aventurier sans aucun lien avec sa terre natale. De tels individus privés d’un soutien populaire seraient de plus incontrôlables, disait-il. Pour Cacault, l’armée d’Italie devait vivre sur le pays conquis. Il valait mieux, pour les chefs de l’armée française, que les gouvernements philo-français fussent composés de modérés avec lesquels il serait plus facile de négocier8. Si les écrits du diplomate n’ont pas influencé les choix personnels de Bonaparte, ils ont permis de conforter ses décisions auprès du Directoire exécutif. Cacault, dès le début, a envisagé une guerre de conquête. L’idéologie républicaine avait toute sa place dans ses projets, mais le but principal de la conquête de l’Italie était de nature stratégique : l’Italie devait devenir le grenier à blé de l’armée. Les possessions méridionales de l’empereur seraient menacées. Il considérait toutefois que l’idéologie républicaine permettrait de mieux faire accepter la présence française à une « nation italienne » qui était réputée haïr les Français depuis le règne de Charles VIII et le début des guerres d’Italie9. Il n’était pas le seul à penser ainsi. D’autres agents, comme Miot de Melito en Toscane, prônaient une attitude encore plus modérée10.
10Les patriotes entraient cependant dans les calculs stratégiques du nouveau général en chef. Il allait s’en servir efficacement contre les Austro-Sardes comme d’épouvantails. En l’absence du charismatique Buonarroti, les jacobins italiens furent manipulés par Bonaparte. Dès le début de la campagne, il abandonna l’idée d’une révolution en Piémont et ne soutint pas les tentatives révolutionnaires d’Asti et d’Alba11. Pourtant, il se servit avec efficacité de Ranza et de ses compatriotes en leur laissant entendre qu’il soutiendrait leur mouvement. En cela il fit preuve de pragmatisme. Dès le 31 mars, à son quartier général, il lançait un appel solennel aux patriotes piémontais et les invitait à conférer avec lui. Assurément l’ordre du jour de la réunion prévue concernait une révolution souhaitable en Piémont mais la mise hors de combat de l’armée de Victor Amédée précipita les choses. Les révolutionnaires entrèrent en action, Ranza à leur tête. Ils proclamèrent une république dans la petite ville d’Alba et y établirent un gouvernement provisoire. L’événement survenait au moment où les belligérants s’apprêtaient à ouvrir des négociations en vue d’un armistice. Le général en chef suivit de près les actions des fuorusciti et envoya un de ses officiers pour se renseigner sur l’état d’esprit des habitants de la ville d’Asti, en précisant : « Il serait important et bien utile qu’ils vinssent au-devant de nous et qu’ils fissent un mouvement révolutionnaire, mais il ne faut pas que nous paraissions ostensiblement12. »
11Pourtant, Bonaparte fit volte-face lorsque, en acceptant l’armistice de Cherasco, il désobéit sciemment aux ordres du Directoire. Cette décision fut vivement critiquée à Paris13. Le succès obtenu depuis le début de la campagne l’encourageait à agir de lui-même. Ranza, une nouvelle fois, fut abandonné par les Français. La mise à l’écart des principaux chefs révolutionnaires italiens s’effectua d’autant plus facilement que le gouvernement français, à ce moment-là, était obsédé par la crainte du complot babouviste14. Bonaparte, alors victorieux, n’eut guère de difficulté à faire accepter l’idée que les Piémontais, soumis à leurs élites traditionnelles, n’étaient pas mûrs pour la révolution15. On peut penser qu’un mouvement démocratique victorieux en Piémont l’aurait obligé à traiter les patriotes du pays en partenaires alors qu’un pays vaincu et menacé à la fois d’une conquête extérieure et d’une insurrection intérieure était prêt à accepter les exigences françaises.
12Dès lors, au gré des aléas de la campagne, Bonaparte allait instrumentaliser le thème de la révolution en Italie et le plus ou moins grand soutien de l’opinion publique à l’égard des idées nouvelles. Le général n’avait pas l’intention de laisser des civils s’immiscer dans la conduite de la campagne, mais il souhaitait utiliser à sa guise les réseaux jacobins italiens afin de disposer d’une source de renseignements et de précieux auxiliaires en vue d’actions de subversion.
13Malgré l’arrestation de Buonarroti à Paris et l’échec de la révolution piémontaise, Bonaparte put compter sur la fidélité de nombreux révolutionnaires italiens qui faisaient déjà office d’espions et qui avaient tissé un impressionnant réseau d’espionnage depuis 1792. Une fois arrivé à Nice, le général se fit remettre les fonds secrets16. Bonaparte voulut rationaliser ce service et donna pour cela à l’avocat piémontais Angelo Pico des consignes. Celui-ci jouissait de la confiance du général en chef et n’avait de compte à rendre qu’à lui. Ce maître-espion se vit confier la tâche de créer un double réseau d’agents. Ce groupe comprenait des espions itinérants chargés de récolter les informations sur les mouvements des forces ennemies. À cela s’ajouta un réseau parallèle composé d’agents fixes localisés dans les grandes villes de Vénétie où passaient les troupes impériales, en l’occurrence Vicence et Padoue. Curieusement, Bonaparte ne mentionne pas Vérone, mais vu l’importance de cette place pour les Français et pour les impériaux, il est probable que Pico ait eu divers hommes de main dans cette place, recrutés dans le milieu des patriotes lombards et vénitiens. Il eut recours aussi à d’autres individus dont les finalités n’étaient pas spécialement idéologiques. Le Piémontais pouvait compter sur des hommes bien introduits dans l’état-major autrichien. On pense qu’il a pu ainsi procurer à Bonaparte les plans élaborés par le général Alvinczy pour la bataille de Rivoli. On le retrouve à Vérone, quelques semaines avant « les Pâques véronaises » avec le grade de capitaine de l’armée d’Italie. Au vu et au su des Vénitiens, il prend contact avec les patriotes locaux et fait l’objet d’une surveillance rapprochée de la part des agents du provéditeur (autrement dit le gouverneur local). À ce moment-là, des doutes commencent à apparaître sur les buts réels de sa présence dans la ville. L’origine du déclenchement du massacre demeure mystérieuse. La provenance du faux appel du provéditeur Battaglia exhortant la population à se soulever demeure obscure17. On s’étonne aussi de la manière si rapide dont ce Vénitien fut lavé de tous les soupçons par le général. Une autre hypothèse est que Pico a pu interpréter les buts de sa mission et outrepasser les ordres. Le personnage était avant tout un patriote italien et non un mercenaire. Son but était la destruction des pouvoirs aristocratiques en Italie et Venise faisait partie des ennemis à abattre. Le pouvoir de cet espion était grand et Bonaparte avait jusque-là confiance en lui. Après cette ténébreuse affaire, on le retrouve à Venise en septembre 1797 et sa présence éveille la suspicion des autorités françaises et en particulier du général Balland (directement concerné dans l’épisode des Pâques véronaises) au moment où le sort de la Sérénissime République est scellé18. Que préparait Pico ? Nul ne le sait. Il est possible qu’il ait organisé des provocations afin de hâter l’intervention de l’armée française19. On connaît aussi, grâce à la correspondance de Schérer, l’existence d’espions à Gênes dont le principal agent était un certain Régis qui, depuis cette ville avait établi un réseau couvrant la région de Tortone et d’Alexandrie. Le général en chef laissait une large latitude à ses généraux de division et de brigade pour mener des actions de renseignements dans les zones qu’ils contrôlaient. Bonaparte qui était souvent en déplacement avec son état-major volant n’avait pas la possibilité d’analyser et de recouper tous les renseignements et de les vérifier. Il fallait se reposer sur des subordonnés de confiance directement en contact avec les réalités mouvantes de la guerre.
14Il avait aussi ordonné à plusieurs de ses généraux dont Laharpe et Fiorella, au début de la campagne, de recruter des espions. Le premier était intégré aux réseaux des patriotes suisses réfugiés en France. Fiorella, originaire d’Ajaccio, devait être en contact avec les nombreux Corses présents en Italie. Ces généraux disposèrent de leurs propres organisations de renseignement. Ils parlaient couramment plusieurs langues (en l’occurrence l’italien et l’allemand). Masséna utilisa les services d’un espion, un nommé Gabardi, qui lui transmit d’importantes informations sur les positions ennemies autour du col de Cadibone au début du mois d’avril 179620.
15Aux côtés des fuorusciti, les officiers de cavalerie furent aussi des organisateurs de réseaux de renseignements. Parmi les généraux de cette arme qui se sont distingués dans ce domaine, le général Stengel occupe une place à part. Bonaparte, à Sainte-Hélène, s’en souvenait encore et disait qu’il était un « vrai général d’avant-postes ». Dès la prise d’une agglomération, celui-ci s’occupait d’organiser les reconnaissances des défilés et des gués nécessaires, du recrutement des guides, de l’interrogatoire du curé et du maître du poste, de l’établissement d’intelligences avec les habitants, de l’envoi d’espions dans plusieurs directions et enfin de la saisie et de la traduction des correspondances21.
16Au printemps 1796, il n’existait qu’un appareil de renseignements embryonnaire. Le général en chef allait donner une autre ampleur à ces services en collaborant avec l’adjudant-général Landrieux, ancien colonel du 13e hussard, unité qui avait été dissoute à la suite d’une mutinerie. Plusieurs fois dénoncé par certains de ses subordonnés pour diverses prévarications, celui-ci fut constamment protégé par son supérieur hiérarchique le général Kilmaine22. Cet officier de cavalerie se targue d’avoir été mis à la tête d’un « bureau secret » par Bonaparte. En réalité, il est peu vraisemblable qu’un tel bureau centralisant les renseignements ait existé à l’armée d’Italie. En revanche, Landrieux et son supérieur ont dû mettre en place un important réseau de renseignements qui rayonnait autour de la Lombardie. Il aurait également été chargé de surveiller au sein de l’armée d’Italie la conduite des officiers et de déjouer les trahisons23. À Milan, on aurait remis à l’adjudant-général une importante somme d’argent de 834 sequins, soit environ 10 000 francs24, à charge pour lui d’établir des correspondances sûres, non seulement dans l’armée ennemie mais également dans l’armée d’Italie, ainsi qu’à Naples, à Venise, à Rome, à Turin, à Florence, à Vienne et même à Paris. Landrieux aurait développé une activité tous azimuts. Cependant, il est difficile, en raison du manque de sources, de connaître l’ampleur d’un tel réseau si coûteux à mettre en place. Le personnage, particulièrement cynique, se désintéressait totalement des opinions des hommes qu’il employait. Il faisait surtout confiance à l’argent pour tirer pleinement parti de ses espions à l’étranger. Selon lui, les Français n’avaient pas forcément besoin des vrais patriotes car tous les intrigants que comptait une ville se précipitaient au-devant des généraux et des soldats pour manifester leur républicanisme et leur sympathie.
17Landrieux méprisait les Italiens. Pour lui, il y aurait eu « bien peu d’honnêtes gens et de gens de bonne foi dans le pays ». Cet officier ne se contenta pas de collecter des renseignements militaires. Il se chargea d’organiser des soulèvements dans les pays où l’armée d’Italie opérait25. Il recruta ainsi un dénommé Lhermitte26 dans la région de Brescia et de Bergame. Ce personnage n’était qu’un mercenaire et non un patriote, il accomplit diverses missions en tant qu’agent provocateur27 en manipulant la foule par divers moyens : libelles, placards, rumeurs, etc. Il ne fallait surtout pas que les militaires français apparaissent comme les instigateurs de ces insurrections qui devaient sembler spontanées28.
18Dans ses Mémoires, l’adjudant-général Landrieux évoque l’importance des prisonniers de guerre autrichiens et sardes dans la collecte de renseignements. Le commandant de la place de Nice, Hulin (qui avait activement participé à la prise de la Bastille et qui devait par la suite commander la place de Milan) s’était fait une spécialité dans le domaine des interrogatoires. Il parvint même à « retourner » des prisonniers de guerre qui lui fournirent contre espèces sonnantes et trébuchantes le détail des positions adverses avant le début de la campagne29. Par le biais du réseau d’Hulin, Saliceti et Bonaparte auraient réussi à convaincre des officiers de haut rang de ne pas déployer une résistance trop acharnée dans les défilés.
19Plusieurs comptes rendus nous sont parvenus provenant en général de déserteurs. La manière dont les interrogatoires étaient pratiqués demeure un mystère, mais certains rapports sont si détaillés que l’on mesure bien le profit que l’on pouvait en tirer. Lors du siège de Mantoue, la situation sanitaire des assiégés était si dramatique que les Français recueillirent de nombreux déserteurs autrichiens. Nicolas Canton, âgé de 29 ans et originaire de Lorraine qui pouvait être pris pour un émigré, fournit une série de renseignements très utiles à l’artillerie de siège30 ainsi que des informations sur le moral des troupes. Les officiers français apprirent que de nombreux membres de la garnison voulaient déserter mais qu’ils étaient retenus par les régiments croates31. Tel autre déserteur fournit des informations concernant les magasins de poudres souterrains, le nombre de pièces d’artillerie et leurs calibres. Les emplacements des moulins étaient aussi fournis avec précision. Le déserteur confirmait que la ville pouvait être inondée « par le moyen des écluses ». Toutes ces données devaient permettre de prendre la décision d’inonder Mantoue lors de la seconde partie du siège32. On pouvait aussi compter sur la présence parmi les déserteurs de patriotes polonais qui offraient sans grande difficulté leurs services et communiquaient des renseignements sur l’organisation de l’ennemi, ses points faibles et ses points forts. Ces hommes allaient être à l’origine des légions polonaises au service de la République cisalpine33.
L’influence du renseignement durant la campagne
20Comme le souligne l’historien Alain Montarras qui s’est intéressé à ces problématiques particulières, certains des succès remportés dans cette campagne se comprennent difficilement si l’on ne fait pas état de la dimension du renseignement et des opérations secrètes. L’action de Salvador à Milan a, en l’occurrence, un caractère exemplaire. Arrivé secrètement dans cette ville au début du mois de mai, il prit contact avec les patriotes lombards présents et envoya un rapport circonstancié à Saliceti sur les effectifs de la garnison (composée d’environ 3 000 hommes enfermés dans le Castello). Salvador organisa l’agitation dans la ville. Dès le 11 mai, accompagné du patriote Tellini, il trouvait massées devant la Porte romaine 50 000 personnes arborant la cocarde tricolore. Le lendemain (12 mai), à la suite d’une contre-manifestation des aristocrates, il parvint à redonner courage aux patriotes et tint au courant Saliceti. Alors que le 14 au soir l’avant-garde de Masséna entrait dans la ville, Salvador jetait les bases d’une société populaire et mettait en place un comité de surveillance. La noblesse, inquiète, se rallia en attendant des jours meilleurs tandis que les patriotes plantaient le premier arbre de la liberté34.
21Lors de la manœuvre de Bassano à la fin du mois d’août 1796, Bonaparte suivait avec intérêt le rassemblement des troupes autrichiennes dans la région de Trente grâce aux rapports de ses espions. Cette manœuvre qui se termina par l’« emprisonnement de Wurmser » dans Mantoue s’explique par le travail des agents du général en chef. Les informations du réseau Pico, du diplomate Lallement et de l’agent Toli qui, selon certains historiens, aurait fourni la date à laquelle Wurmser devait quitter Trente après avoir scindé son armée en deux, furent habilement exploitées. Il ne faut pas en déduire toutefois que le fonctionnement fut toujours très bon. Pourtant, on relève des défaillances de ce service.
22En marge des missions de renseignement stricto sensu, le général en chef organisa à plusieurs reprises des « opérations secrètes » que l’on pourrait qualifier d’« opérations de commandos » au risque de paraître anachronique. Celles-ci permettaient de remporter des succès à peu de frais. Ce n’était pas une nouveauté, mais là encore il y eut des succès notables alors que peu de moyens furent engagés. On assista aussi à quelques échecs cuisants comme en juillet 1796 devant Mantoue où l’on avait formé une escouade composée de soldats d’élite vêtus d’uniformes autrichiens pour pénétrer à l’intérieur de la ville assiégée35 mais la levée brutale du siège empêcha la réalisation du projet. Des patriotes comme le Lombard Lahoze36, lui-même originaire de Mantoue, participèrent à ces actions.
23Par ailleurs, le général en chef était obsédé par la reconquête de la Corse, sa terre natale. L’armée d’Italie comptait de nombreux insulaires présents en Italie, en particulier à Gênes, à Milan et Livourne. Certains étaient d’authentiques patriotes réfugiés, d’autres étaient des émigrés. On fit appel à ceux qui étaient bien intégrés au sein de la population italienne et qui souhaitaient rendre service à la patrie. D’autres voulaient rentrer en grâce avant que leur passé d’émigrés ne les rattrape. La reconquête de la Corse avait une importance stratégique car elle permettrait de reprendre possession d’un des points d’appui anglais les plus précieux dans cette partie de la Méditerranée. Bonaparte dirigea lui-même les préparatifs de l’opération. Ne pouvant détacher de l’armée d’Italie un corps expéditionnaire dont le convoi pouvait être intercepté par les croisières anglaises, il privilégia l’utilisation d’un petit groupe de choc qui devait, avec l’aide des réfugiés, organiser le soulèvement de l’île après avoir débarqué secrètement à bord de chaloupes. Il choisit plusieurs de ses plus anciens compagnons d’armes : Bonelli, Gentili et Casalta. Le premier, natif d’Ajaccio, qui avait servi au deuxième bataillon de volontaires corses dont Bonaparte était lieutenant-colonel en second, devait diriger le petit groupe débarqué. Le financement de l’opération devait se faire à partir de fonds secrets. Le général en chef leur fit passer 24 000 livres en argent37 qui devaient servir « à encourager les patriotes ». Une fois un noyau solide regroupé et organisé, deux compatriotes, Bracini et Paravicini, en liaison avec le banquier Balbi38, devaient faire passer des secours plus importants par le port de Gênes. Ce dernier devait leur remettre 15 000 livres. Le « corps franc » devait aussi emmener des armes légères et du matériel : 100 fusils (de chasse), 300 paires de pistolets, 6 000 livres de poudre39, trois mille de fer et dix mille de plomb pour secourir les patriotes corses. Une fois la première troupe débarquée et organisée, une seconde vague composée de réfugiés corses devait partir de Livourne40. La reprise de la Corse avec très peu de moyens fut l’un des principaux succès de l’armée d’Italie. Désormais, la République avait récupéré tous ses départements.
24La presse était à la fois une source de renseignements et de désinformation. Bonaparte s’en est servi à Passariano pour faire passer entre les mains de l’ennemi un certain nombre de proclamations belliqueuses qu’il fit venir de Milan. Au moment où les négociations s’ouvraient avec l’Autriche, il fallait conserver l’ascendant moral et maintenir l’idée de l’invincibilité de l’armée d’Italie et de son chef. Les deux journaux de l’armée d’Italie, Le courrier de l’armée d’Italie et la France vue de l’armée d’Italie furent mobilisés pour atteindre un tel but. Cela permettait de toucher à peu de frais les responsables de la diplomatie autrichienne. D’après Marc Martin, de nombreux éléments du contenu s’éclairent s’ils sont lus en ayant à l’esprit qu’ils sont rédigés à l’adresse de destinataires autrichiens. Certains passages étaient censés les impressionner41. À mesure que les négociations étaient menées tambour battant par Bonaparte, le chantage déguisé via les journaux devenait de plus en plus manifeste. Ceux-ci faisaient planer sur les négociateurs viennois la menace de la destruction totale de la Maison d’Autriche en cas de rupture finale des pourparlers. À l’opposé, les deux journaux décrivaient l’armée d’Italie comme des phalanges invincibles que rien ne pouvait arrêter, alors que nous savons que l’outil militaire de Bonaparte était en fait assez éprouvé. Ainsi, La France vue de l’armée d’Italie parlait constamment du moral élevé des troupes, de leur parfaite préparation et d’approvisionnements abondants42 alors que la réalité était bien différente.
25Les journaux ne mentionnaient naturellement ni les menaces d’insurrections qui grondaient dans le pays vénitien ni ne faisaient état de la crise agricole qui affectait la Terre Ferme et qui gênait les opérations militaires. Ce territoire ne pouvait pas constituer une solide base arrière pour un assaut contre Vienne.
26Plus subtilement, par l’intermédiaire de ces journaux, le général en chef laissait entendre qu’il comptait révolutionner l’Italie et favoriser l’unité de la péninsule, ce qui ne manquerait pas d’avoir des suites graves pour Vienne. On sait comment Bonaparte recourut à la plume de Marc-Antoine Jullien pour développer cette action de propagande43.
L’armée, les jacobins et le 18 fructidor
Vers une armée de mercenaires ?
27Des représentations contradictoires se mêlent lorsqu’on évoque l’armée d’Italie de l’an IV. Tantôt on insiste sur la forte composante idéologique toujours présente chez les soldats, tantôt sur le fait que les combattants étaient devenus des professionnels de la guerre restés dans l’armée parce qu’ils y étaient payés en espèces sonnantes et trébuchantes. Quelle a été par ailleurs pour ces hommes la part entre l’attachement envers leur général en chef et la défense de la cause révolutionnaire et patriotique ? Cette question a déjà fait l’objet d’analyses et de débats. Jean-Paul Bertaud a analysé la transformation de l’armée de la République en une force prétorienne prête à suivre n’importe quel chef prestigieux et consacre plusieurs passages de sa thèse au cas de l’armée d’Italie44.
28La campagne d’Italie constitua une période de transition et d’abandon progressif de l’idéal du missionnaire armé. On sait que le général en chef, lorsqu’il s’adressait aux hommes, ne disait plus « citoyens », mais « soldats ». Ce changement de vocabulaire est significatif du désir d’établir de nouveaux rapports hiérarchiques avec les hommes. L’armée devait devenir une force beaucoup plus professionnelle et les idéaux politiques devaient être entièrement subordonnés à la mission militaire.
29Bonaparte dut aussi forger des liens avec ses troupes car il savait qu’elles étaient plus attachées aux divisionnaires comme Masséna ou Augereau qu’à sa personne. Avant même que les journaux aux armées ne parussent, Roguet rapporte qu’il avait constitué un groupe d’agents de propagande qui parcourait les camps à la fois pour connaître le moral des hommes et pour diffuser des nouvelles vraies ou fausses afin de provoquer des réactions au sein des troupes. Ainsi au début du mois d’août 1796, il voulut « s’assurer de l’esprit de l’armée ». Pendant qu’il discutait avec ses généraux, Bonaparte avait dépêché ses émissaires dans les camps pour faire courir le bruit que l’on « allait abandonner l’Italie et reprendre les positions occupées avant l’ouverture de la campagne ». Cette nouvelle fut très mal accueillie par les soldats qui s’écrièrent :
« Nous voulons nous battre ; on préfère se faire tuer en Italie que se morfondre dans les montagnes de Gênes. Puis chacun fit ses quolibets sur ceux des généraux qu’on supposait être pour l’évacuation ; on applaudissait Masséna, Augereau et les autres45. »
30Bonaparte était constamment forcé de tenir compte de l’opinion de ses hommes. Il devait les « convaincre » du bien-fondé de ses décisions, quitte à sacrifier la réputation d’un général. On sait comment le général en chef était passé maître dans l’art de convaincre ses hommes en atteignant par divers moyens leur psychologie. Il utilisait avec habileté leur sens aigu de l’honneur. Lorsqu’il apprit que la 85e et la 39e demi-brigade de lignes appartenant à la division Vaubois, avaient cédé trop rapidement aux assauts autrichiens, il les réunit sur le plateau de Rivoli, le 6 novembre. Là, il mit soigneusement en scène leur humiliation en leur déclarant :
« Soldats, je ne suis pas content de vous ; vous n’avez montré ni discipline ni constance, ni bravoure ; aucune position n’a pu vous rallier ; vous vous êtes abandonnés à une terreur panique ; vous vous êtes laissé chasser des positions où une poignée de braves devait arrêter une armée. Soldats de la 39e et de la 85e, vous n’êtes plus des soldats français. Général, chef d’état-major faites écrire sur les drapeaux : ils ne sont plus de l’armée d’Italie. »
31Ces unités de la division Vaubois victimes de défaillances furent dès lors mises au ban de l’armée. L’humiliation faite à une unité était un stratagème prisé par le général en chef pour obtenir une réaction de ses hommes. L’effet escompté fut obtenu et des soldats allèrent en délégation réclamer l’ordre d’être envoyés en première ligne afin de prouver qu’ils avaient été injustement calomniés.
32S’en prendre à certains généraux permettait de raviver les souvenirs de la première phase de la guerre et flattait les convictions égalitaires des hommes. Lors des combats du début du mois d’août, Bonaparte s’en prit au général Valette46 qui avait opéré un mouvement de repli. Valette fut démis de ses fonctions et faillit passer en conseil de guerre. En « cassant un chef », le chef de l’armée d’Italie réaffirmait ainsi le lien direct entre lui et ses hommes.
33Lorsque les renforts provenant d’autres fronts arrivèrent en Italie, ils furent parfois mal reçus car ils étaient soupçonnés d’être gangrenés par le royalisme et l’esprit contre-révolutionnaire. Surtout, on n’appréciait guère que ces intrus vinssent partager la gloire des vainqueurs de Lodi. Cette opposition entre anciennes et nouvelles troupes fut habilement exploitée en réactivant les vieilles tensions que l’on observait au début du conflit.
34Nous en venons à l’un des aspects les plus débattus de l’histoire de l’armée d’Italie : la question de la vénalité des troupes. On a pu affirmer que les troupes de Bonaparte étaient devenues une force composée de mercenaires car leur chef leur avait donné une solde moitié en assignats, moitié en numéraire. Bonaparte prit cette décision en contradiction avec la loi du 15 germinal (5 avril)47 et sans en référer à Saliceti. Cette initiative aurait transformé l’armée d’Italie en une force entièrement dévouée au seul Bonaparte et expliquerait le faible taux de désertion. En fait, ce choix s’explique par les circonstances. Il avait eu pour but de s’attacher une troupe qui était au début indifférente, voire hostile au nouveau général. Le passage du pont de Lodi, loin de la légende, avait mécontenté beaucoup de soldats si l’on en croit l’adjudant-général Landrieux qui ajoute que tout changea « lorsqu’il fit payer la troupe en argent, ce qu’on n’avait pas vu aux armées depuis quatre ou cinq ans48 ». Les harangues de Bonaparte à la veille de la campagne n’étaient-elles pas aussi des invitations au pillage ? Si la célèbre proclamation qui invitait les hommes à se ruer sur les plaines les plus fertiles d’Europe n’a sans doute jamais été prononcée, le général en chef multiplia les visites et les discours tenus sur le front des troupes. Ceux-ci furent beaucoup moins emphatiques et plus directs que celui passé à la postérité comme le rapporte Roguet :
« Vous avez essuyé des malheurs et des privations, […]. Je viens ici pour y mettre un terme », et leur montrant les plaines du Piémont : « C’est là que nous trouverons du pain, des magasins, des habits, de l’artillerie, des chevaux et de l’argent pour la solde ! Plus d’obstacles désormais entre nous et l’ennemi, que vous devez toujours joindre la baïonnette dans les reins. »
35Pour que ses hommes le suivent, Bonaparte les mit devant un choix cornélien. Un peu à la manière de Cortés qui brûla ses vaisseaux, une de ses premières mesures fut de détruire les redoutes défensives édifiées pendant l’hiver. Les combattants dépourvus de moyens de protection étaient forcés d’avancer, sachant que désormais aucun recul n’était plus possible49.
36L’esprit républicain était néanmoins encore bien vivant au début de la campagne comme le montre l’épisode du serment patriotique de Monte Legino50. La persistance d’une forte politisation à connotation jacobine continuait à se faire sentir notamment à travers la présence de militaires comme Dupuy et Augereau. Le premier était tenu au courant par ses correspondants toulousains des menaces clichyennes. Ce caractère jacobin était aussi affirmé chez les simples soldats qui désiraient peser sur le débat politique, une fois la victoire acquise. Comme le rappelle l’espion Giuseppe Torelli au service de Naples, beaucoup d’entre eux rêvaient de voir se relever « le Parti de la Montagne51 ».
37Les tensions politiques s’exacerbèrent lorsqu’une division entière de l’armée de Sambre-et-Meuse fut envoyée comme renfort en Italie. Elle était commandée par le général Bernadotte52. On sait que Bonaparte n’avait pas laissé à ce général le commandement de tous les renforts. C’eût été lui attribuer un rôle trop considérable et il ne conserva que 10 000 hommes. Ces troupes constituèrent la quatrième division de l’armée d’Italie. Le reste fut réparti entre les divisions de Balland, de Delmas, de Masséna et d’Augereau53. Ce brassage favorisait des incidents qui éclatèrent dans diverses unités. Celles commandées par Masséna furent les plus touchées. On a vu dans ce conflit le révélateur des opinions de la vieille armée d’Italie composée de « citoyens » alors que les troupes venues d’Allemagne étaient surnommées les « Messieurs ». Les choses ne sont cependant pas si simples. À partir du 17 janvier 1797, la division de Sambre-et-Meuse s’ébranla. Plusieurs unités participèrent aux cérémonies commémorant la mort de Louis XVI à Toul et on sait que le général Bernadotte y prêta serment de haine à la royauté et à l’anarchie, d’attachement et de fidélité à la République et à la Constitution de l’an III. Il fit ensuite prêter serment à la 30e demi-brigade d’infanterie et aux deux escadrons du 19e chasseur qui cantonnaient dans la ville. Rien n’indique alors des sentiments royalistes dans cette division en route vers les Alpes. Lors du périple, il y eut plusieurs heurts dans les villes et villages traversés54. Ces mouvements de révolte semblent dus aux défaillances du système des étapes. Un agent de Louis XVIII, l’abbé de Pons, décrit à la fois la discipline des troupes ainsi que le pacifisme et la lassitude de certains officiers55, mais ne mentionne pas de sympathies particulières pour le prétendant.
38Ces événements isolés ne sont guère significatifs car l’armée d’Italie en avait connu de semblables avant la campagne. En revanche, ce qui distingue la division de Sambre-et-Meuse du reste de l’armée de Bonaparte, c’est sa maîtrise des manœuvres savantes fondées sur la cohésion et la synchronisation des troupes. Ses hommes ont combattu depuis 1792 les armées coalisées dans un pays ouvert. La tactique et la discipline militaire très strictes s’y sont imposées bien plus tôt. C’est aussi là que s’est joué le sort de la République. Originaires des départements du Nord et de l’Est, la traversée du midi de la France et de l’Italie du Nord a été d’autant plus un choc pour ces combattants qu’ils semblaient s’éloigner définitivement de leur terre natale. Pour eux, la guerre avait un sens tant qu’il s’agissait de monter « la garde au Rhin ». Ils ne comprenaient tout simplement pas pourquoi ils devaient aller combattre en Italie si loin des leurs.
39En face, il y avait à l’armée d’Italie un noyau de militants jacobins dont Dominique Dupuy est l’un des représentants. Le général Clarke qui avait la double mission de surveiller le général en chef et d’ouvrir des négociations avec l’Autriche ne cache pas cette réalité politique au Directoire56. Pour lui, la politisation de l’armée d’Italie était un mal nécessaire. Elle donnait aux soldats un sens à leur lutte mais elle les rendait aussi très ombrageux.
40Le conflit éclata à Milan, place que Dupuy commandait alors. Bernadotte avait exigé que ses hommes fussent logés chez l’habitant mais Bonaparte avait donné un ordre contraire que le commandant de la garnison opposa au général divisionnaire. Ce dernier passa outre et mit Dupuy aux arrêts. Le contact ne pouvait être plus désastreux. Le général en chef réprimanda Bernadotte qui finit par s’incliner. Cependant, le conflit rejaillit parmi les hommes de troupes qui n’avaient pas la même souplesse que leurs supérieurs hiérarchiques. Il y eut alors des duels sanglants et parfois même de véritables batailles rangées. Cette césure au sein de l’armée d’Italie devait s’accentuer avec le temps. Lorsque Bonaparte monta l’expédition d’Égypte, il choisit d’emmener avec lui ses vieilles demi-brigades qu’il jugeait plus dévouées à sa personne et laissa en Italie celles qui s’étaient progressivement réunies.
L’armée d’Italie et la préparation du 18 fructidor
41Le général en chef allait se rendre indispensable aux trois directeurs républicains Barras, Reubell, La Revellière-Lépeaux, de plus en plus isolés politiquement. depuis les désastreuses élections d’avril 1797. Bonaparte savait que Pichegru bénéficiait d’une grande popularité au sein d’une partie de l’armée et plusieurs généraux comme Willot étaient ses amis. Barras, en fin politique, pressentait que se préparait un coup d’État contre le Directoire et il se tourna vers le général en chef de l’armée d’Italie qui, soucieux de sa popularité, n’avait guère apprécié les critiques de plus en plus acerbes de la presse royaliste en général. Le député Dumolard avait mis en cause sa politique à l’égard de Gênes et de Venise. Pour Bonaparte, cette situation était doublement inquiétante, Il voyait son prestige personnel diminué par la perte de son aura dans les journaux57 et l’arrivée au pouvoir de royalistes qui détestaient le « général vendémiaire ». Ces événements risquaient de remettre en cause ses conquêtes et ses négociations avec l’Autriche. Il lui restait un moyen de pression de poids : il continuait pour le moment à commander l’armée d’Italie dont la réputation de jacobinisme était grande58 mais il fallait aussi qu’il montre patte blanche vis-à-vis des modérés anti-royalistes.
42À partir de juillet 1797, se sachant soutenu par Barras, il fit un retour bruyant dans la crise politique qui secouait la France. Les cérémonies du 14 juillet 1797 furent des chefs-d’œuvre d’ambiguïté. Elles furent en quelque sorte le moment de gloire de l’armée d’Italie. Une mise en scène particulièrement soignée eut lieu dans chaque division. Les troupes devaient accomplir des manœuvres savantes, telles qu’elles étaient censées les avoir pratiquées durant la dernière campagne. Chaque division stationnée dans un lieu précis s’adonna à une sorte de répétition générale pour une guerre future. Des exercices de tirs eurent lieu, entrecoupés de remises de prix et de drapeaux aux unités méritantes. Mais avant ces démonstrations de force, la matinée avait été consacrée aux cérémonies en l’honneur des morts de l’armée d’Italie et Bonaparte avait imposé au protocole une connotation politique. On dressa d’imposants monuments aux morts dans chacune de ces divisions autour desquels les troupes se réunirent. Ils étaient de forme pyramidale : sur chaque face devaient être inscrits les noms des soldats tués au combat ainsi que les lieux des batailles. Durant ces cérémonies accomplies dans chaque division, les morts héroïques étaient pris à témoin par les soldats. Des distributions de drapeaux et des adresses furent faites dans chaque division59.
43À Milan, le discours de Bonaparte fut menaçant. Pour la première fois, il envisageait publiquement d’intervenir en France pour conjurer la menace royaliste60. Il affirmait que ce que l’armée d’Italie avait réalisé en Italie par une campagne éclair, elle pouvait l’accomplir en France pour sauver la Liberté. Le général en chef s’en prenait directement aux royalistes « qui, dès qu’ils se montreraient auraient vécu ». Un hommage particulier fut rendu « aux 400 Français assassinés à Vérone » par la population révoltée. Ainsi, un lien était établi entre les conspirations en Italie du Nord et les assassinats des patriotes en France. Dans les autres divisions, des discours semblables furent tenus. On transmit aussi des adresses à l’armée de l’intérieur et au Directoire. Huit adresses furent envoyées au Directoire exécutif contre quatre à l’armée de l’Intérieur61.
44On ne sait pas comment celles-ci furent réalisées et quelle fut la part de l’intervention des généraux dans leur rédaction, mais on peut penser qu’elle fut importante. Les adresses étaient le reflet de la politisation inégale de l’armée. Si elles reprennent de nombreux thèmes communs comme le rappel de la défense de la République et de la constitution de l’an III, elles diffèrent par leur longueur, le ton employé et surtout le ou les destinataires : l’armée de l’Intérieur ou le Directoire exécutif.
45Sans exception, elles rappellent leur attachement à la constitution de l’an III et leur volonté de la défendre. Presque toutes insistent sur la menace royaliste. On parle des conspirateurs royalistes ou des « infâmes amis de la royauté ». Les émigrés et les prêtres convaincus d’émigration sont aussi stigmatisés62. L’adresse de la division Masséna insiste sur les « prêtres rebelles aux lois, protégés et honorés63 ».
46L’adresse de la division Sérurier dénonce aussi « ces monstres » que sont « les émigrés et les prêtres réfractaires ». Deux divisions se distinguent par leur modération et par l’emploi d’un vocabulaire très imprécis. Pour les hommes de la division Bernadotte, il « semble » que la constitution soit menacée. L’adresse parle d’effacer « les conspirateurs du tableau des vivants » mais jamais des mots évoquant de manière explicite les royalistes ou les émigrés n’apparaissent. On peut faire un constat semblable pour la division du général Delmas où l’on parle d’« ennemis de la chose publique » ou de « conspirateurs » en termes vagues64.
47Les propos les plus virulents se retrouvent dans l’adresse de la division commandée par Augereau. C’est le seul cas parmi tous ceux étudiés où l’on évoque le « club de Clichy », indice d’une politisation et d’une bonne connaissance du royalisme parisien. Les adresses de la division Augereau et de la division Joubert sont aussi les plus virulentes et les plus longues. On y brandit65 le spectre de la guerre civile. Malgré le légalisme constamment prôné, les auteurs finissent par envisager le triomphe possible des ennemis de la République et ils font appel à l’armée de l’Intérieur pour qu’elle se joigne à ses frères d’armes de l’armée Italie.
Adresses envoyées au Directoire exécutif | Adresses envoyées à l’armée de l’Intérieur |
– Adresse des citoyens composant la première division commandée par le général Masséna et en son absence par le général de brigade Brune | – Adresse des citoyens composant la deuxième division commandée par le général Augereau |
Tableau 5. – Répartition des adresses en fonction du destinataire.
48Malgré la violence de certains discours, l’aspiration à la paix est partout profonde et le désir de réconciliation nationale entre patriotes est réaffirmé. Les hommes de la division Augereau souhaitent que le gouvernement protège les vrais républicains et les réintègre au sein de la patrie car « ils (les amis de la patrie) veulent tous la constitution de l’an III, qu’ils ont acceptée et juré de maintenir dans toute leur intégrité ; ils ne veulent plus ni factions, ni révolutions, ni troubles, ni calamités ». Ainsi, même pour ces hommes, il s’agit de finir la Révolution en réintégrant ceux qui ont été injustement ostracisés.
49C’est dans ce contexte de « retour au politique » que se situe la création des deux grands journaux La France vue de l’armée d’Italie et Le courrier de l’armée d’Italie. Le numéro 1 du courrier de l’armée d’Italie est daté du 22 juillet, mais la décision de le faire paraître date de la mi-juillet, ce qui correspond à l’époque des cérémonies. La France vue de l’armée d’Italie naquit deux semaines après Le courrier. Dès sa création, il fut un instrument du coup d’État de fructidor. Le thème des adresses adoptées par l’armée à l’occasion du 14 juillet avait été abondamment repris dans les articles66. Comme le note Marc Martin, ces deux journaux sont d’une nature différente de ceux créés dans les autres armées. Pour la première fois, ils n’ont plus pour but de diffuser les idées révolutionnaires dans les pays voisins de la Grande Nation, mais s’adressent au contraire à des lecteurs français.
50Précédemment, on a vu que le général en chef avait constitué un vaste réseau qui employait des émissaires chargés de la propagande auprès de la troupe. Bonaparte, qui avait patronné la création des deux journaux, avait laissé diffuser des feuilles anti-royalistes dans les camps comme cette Comparaison entre la conduite du club de Clichy et celle de l’armée républicaine d’Italie datée du 2 juillet à Milan et rédigée par un certain Le Bon Raverat de la 57e demi-brigade67. La création des journaux était l’ultime étape pour asseoir sa popularité et développer une propagande à sa gloire tant à destination de la France que de ses hommes.
51Dans ce territoire lointain qu’était l’Italie et où les nouvelles du pays n’arrivaient qu’au compte-gouttes, les soldats français, plus que ceux des autres armées, étaient sensibles aux informations alarmantes nourries par la rumeur. Bonaparte sut utiliser leurs angoisses tout en cultivant à destination de la France la réputation de jacobinisme de l’armée d’Italie.
52Les adresses qui avaient été publiées dans le Moniteur étaient annonciatrices d’une intervention possible des troupes stationnées de l’autre côté des Alpes en cas de menace de coup de force royaliste. En attendant, l’irruption du général en chef et de ses hommes dans la crise politique avait redonné de l’espoir aux patriotes de province. Ceux-ci, à la lecture des écrits envoyés par les divisions avaient pris contact avec l’état-major. Les archives de Vincennes ont conservé les réponses des républicains de plusieurs villes comme Riom, Dijon ou Albi. Une adresse émanant des Républicains du Puy-de-Dôme affirmait que « nous étions tous les frères des enfants de Bonaparte » et ajoutait que « des millions de Français s’élancent au-delà des monts pour former avec vous une fédération redoutable68 ».
53Parallèlement à cette correspondance adressée au quartier général, les militants jacobins présents à l’armée d’Italie prodiguaient leurs conseils. Dupuy s’adressant à ses amis toulousains les incitait à se révolter pour abattre par la force la faction royaliste. Pour cela, il proposa des moyens classiques : organisation de réunions et diffusion de brochures, ce qui se rapprochait des méthodes utilisées par les contrerévolutionnaires. Il envisageait l’idée d’une Vendée républicaine :
« Pourquoy ne formeriez vous pas une Vendé [sic], le temps est venu où la prudence est coupable, le Directoire ne peut la désapprouver les poignards sont suspendus sur sa propre tête69. »
54Cette idée surprenante ne pouvait germer que dans l’esprit d’un homme qui était à la fois un maître de la petite guerre et un militant politique convaincu. En brandissant cette menace proche du spectre babouviste d’une « Vendée plébéienne70 », Dupuy ravivait les espoirs des patriotes qui avaient été touchés par les répressions successives depuis le 9 Thermidor.
55Le mythe de l’armée d’Italie, patiemment construit au cours de la campagne, fut habilement utilisé pour menacer les royalistes. Guerre de mouvement et guerre civile seraient les moyens employés pour sauver la République alors même que l’image d’invincibilité de l’armée de Bonaparte ne correspondait plus à la réalité. Les troupes étaient lasses de se battre et les combattants les plus motivés (et les plus politisés) avaient été décimés.
56Augereau fut naturellement choisi pour être l’instrument du coup de force71. Le régime fut sauvé par l’un des représentants les plus éminents de la tendance jacobine à l’armée d’Italie, mais c’était désormais une république à l’ombre des baïonnettes.
*
57La campagne d’Italie a donc été marquée par l’instrumentalisation de la menace révolutionnaire. Bonaparte a su jouer de l’image de jacobinisme attachée à l’armée d’Italie. Il est vrai que de nombreux patriotes sincères y servaient, mais ceux-ci étaient minoritaires. Les soldats de la campagne d’Italie ne sont plus les combattants de l’an II. Leur zèle révolutionnaire existe, mais il est subordonné aux impératifs de la stratégie imposée par le général en chef. Les cérémonies du 14 juillet furent le point d’orgue de l’élaboration du mythe de cette armée. Bonaparte brandit une dernière fois la menace d’une guerre révolutionnaire qui aurait été conduite en collaboration avec les jacobins français. En réalité, ses hommes étaient épuisés et aspiraient à la paix.
Notes de bas de page
1 Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, copie d’expédition, archives du ministère des Affaires étrangères, Correspondance politique, Turin, vol. 272, le général en chef de l’armée d’Italie aux patriotes piémontais, le 31 mars 1796, 11 germinal an IV, Quartier général, Nice.
2 Arthur Lehning, « L’arrestation de Buonarroti et sa mission à l’armée d’Italie », Babeuf et les problèmes du babouvisme, Maurice Dommanget, V.-M. Daline, Albert Soboul, Arthur Lehning, etc., Paris, Éditions sociales, 1963, 320 p.
3 Félix Bouvier Bonaparte en Italie, op. cit., p. 424.
4 Anna Maria Rao, Esuli, op. cit., p. 79.
5 Buonarroti fut arrêté à Paris le 10 mai 1796 avec Babeuf et Pillé. Arthur Lehning, op. cit., p. 133.
6 François Cacault (né en 1742 à Nantes, mort en 1805 à Clisson) était un homme de l’ombre dont les conseils orientèrent la politique de Bonaparte et du Directoire. Fils d’un maître-faïencier, ingénieur-voyer et auteur du plan de Nantes de 1755 qui servit de base aux plans d’embellissement de la ville, François Cacault commence sa carrière dans l’enseignement à l’École militaire de Paris. Il voyage ensuite à travers l’Europe et fréquente les milieux artistiques et littéraires. Il entre dans la carrière diplomatique comme secrétaire d’ambassade près la Cour des Deux-Siciles à Naples en 1785. Chargé d’une mission auprès du Pape, il doit, à la suite des émeutes de 1793, vendre les biens des fondations françaises à Rome, assurer la fermeture de l’Académie de France et rapatrier les artistes français. Durant toutes ces années passées en Italie, François Cacault achète des milliers d’œuvres (peintures, estampes) représentatives de l’art occidental de la fin du XIIIe siècle au début du XIXe siècle.
7 Cacault à Delacroix, 7 février 1796, cité par Pasquale Vilani, op. cit., p. 282.
8 Archives des Affaires étrangères, Correspondance politique, Rome, 919, feuillet 270-272, Armando Saitta, op. cit., p. 27. Voir aussi Pasquale Vilani, op. cit., p. 284.
9 Les idées de Cacault rejoignaient aussi d’autres projets émanant de diplomates fins connaisseurs des réalités italiennes comme Eymar qui imaginaient la mise en place d’un système de républiques alliées en Italie complétées par une alliance avec les États-Unis afin de réaliser un équilibres de puissances face aux tyrans européens. Pasquale Villani, Agenti e diplomatici francesi in Italia durante la rivoluzione. Eymar e la sua missione a Genova (1793), Studi Storici, anno 36, n. 4, ottobre-dicembre 1795.
10 Ce dernier ne trouvait guère de reproche à faire au grand-duc de Toscane « prince doué d’un sens droit » et simple dans ses mœurs. Miot de Melito, Mémoires du comte Miot de Melito, ancien ministre, ambassadeur, conseiller d’État et membre de l’Institut, Paris, Michel-Lévy frères, 1858, tome i, p. 59 et suiv.
11 Josiane Bourguet-Rouveyre, « La présence française en Italie vue par les Piémontais, liberté ou servitude ? », Actes du colloque de Vincennes, La Liberté en Italie, op. cit., p. 105.
12 Alain Montarras, op. cit., p 88. La municipalité révolutionnaire d’Alba avait été proclamée par des hommes tels Ignazio Bonafous, Jean-Antonio Verseil et Giovanni Ranza. Ils tentèrent de remettre à Bonaparte une pétition : « Comme les Français nous voulons être libres. » Correspondance générale, p. 364. Pièce no 364, Le général en chef au général Augereau, le 7 floréal an IV-26 avril 1796, Quartier général, Cherasco.
13 Lacretelle et Garrau émirent des critiques particulièrement véhémentes. Luigi Massili Migliorini, op. cit., p. 500.
14 Jean René Suratteau insiste sur la révélation précoce des désirs d’autonomie de Bonaparte par rapport aux attentes et aux préparatifs du patriotisme buonarrotien, plus directement liés à la tradition de la Révolution et à celle du Directoire. Voir J. Suratteau, « Le Directoire, point de vue et interprétation, d’après des travaux récents, Annales historiques de la Révolution française, XLVIII, 1976, p. 197. Voir aussi Armando Saitta, « Il Robespierrismo di Filippo Buonarroti e la premesse dell’unità italiana », in Ricerche storiografiche su Buonarroti e Babeuf, Roma, 1986, p. 145-167.
15 Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, op. cit., p. 375, pièce 553.
16 Alain Montarras, « Le problème du renseignement pendant la première campagne d’Italie », op. cit., p. 93. Son prédécesseur Schérer avait commencé à organiser « une correspondance secrète » et avait placé à la tête de ce service l’adjudant-général Rusca.
17 L’espion Salvador, aussi présent dans la région aurait participé à la grande opération d’intoxication qui précéda le soulèvement des « Pâques véronaises ». C’est lui qui aurait rédigé et fait placarder la fausse proclamation incendiaire datée du 5 avril 1797 attribuée au provéditeur Battaglia. Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, op. cit., pièce no 1748, p. 1040.
18 SHD, B3. Le général Balland au général chef de l’Etat-major général, Venise 10 septembre 1797-26 fructidor an V.
19 Les Français finrent par le soupçonner de jouer un double jeu. Pico fut un acteur essentiel de la conspiration des rayons (raggi) dont le but ultime était de chasser cette fois les troupes françaises d’Italie.
20 Alain Montarras, op. cit., p. 85.
21 Alain Montarras, ibid., p. 92.
22 Léonce Grasilier, L’adjudant-général Landrieux, op. cit., p. 72. C’est d’ailleurs celui-ci qui parla au général en chef des exploits de cet officier. Il s’était en effet illustré à l’armée du Nord à l’époque où Kilmaine commandait cette armée. Landrieux se serait couvert de gloire en défendant un poste avancée pendant cinq mois avec moins de 8 000 hommes. Là il aurait repoussé toutes les attaques autrichiennes.
23 Rien ne corrobore cette activité de contre-espionnage. Cependant, le diplomate anglais Francis Drake, par l’intermédiaire du comte d’Antraigues, avait réussi à placer plusieurs hommes à l’intérieur de l’état-major de l’armée d’Italie. Jacques Godechot évoque l’existence d’un certain général Boulart qui aurait fourni au comte de précieux renseignements. Il s’agit d’un pseudonyme. Il existait un général Boulart, mais il ne servit en Italie qu’après Bonaparte. En attendant ce mystérieux personnage entretint une importante correspondance à partir de l’été 1796. Jacques Godechot hésite entre trois officiers généraux : Baillard de Beaurevoir, Serviez et Cervoni. Jacques Godechot, La Contre-révolution, doctrine et action : 1789-1804, 2e éd., Paris, PUF, 1984, p. 209 et 210. On sait par ailleurs que le général Despinoy avait noué des relations compromettantes avec une espionne à la solde de l’Autriche. Une dénonciation anonyme le mit en cause : « Le commissaire des guerres Puisot et le général Despinoy ont fait le plus grand mal à Milan, le premier en avilissant et en contrecarrant une municipalité vraiment patriotes, le second en rejetant les patroites et en se laissant diriger par une madame Lamberti (maîtresse du feu empereur), c’est aux intrigues de cette infernale catin que l’ancienne municipalité de Pavie doit sa liberté […]. Despinoy est parti très riche. Un abbé Sasco Fenini, agent de l’Autriche la sert librement. » AFIII71, Relations extérieures, Extraits de plusieurs lettres de Milan des 5, 7, 9 thermidor an IV.
24 Léonce Grasilier, op. cit., p. 61.
25 Manuscrits de l’adjudant-général Landrieux, Manuscrits anciens, Bibliothèque nationale. Cet officier nous a laissé des mémoires manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale.
26 Léonce Grasilier, L’adjudant-général Landrieux, op. cit., p. 84.
27 Léonce Grasilier, ibid., p. 86.
28 Léonce Grasilier, ibid., p. 89.
29 Léonce Grasilier, ibid., p. 37.
30 SHD, B3. Rapport de Nicolas Canton, natif de Château-Salins en Lorraine, déserteur de Mantoue le 13 messidor an IV de la République, juillet 1796.
31 Il y avait trois régiments croates à ce moment-là dans Mantoue.
32 SHD, B3.44. Rapport de Gongrais, sergent major au régiment Arcantonio déserté hier à sept heures de la citadelle (la date exacte n’est pas précisée), juillet 1796.
33 Lydia Scher-Zembitska, Les Polonais au service de la France, op. cit., 3e vol., p. 498.
34 Pour plus de détails concernant l’action de Salvador, on peut se référer à Jacques Godechot, Les commissaires aux armées sous le Directoire, op. cit., p. 281 et 282.
35 Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, op. cit., p. 500 et 501, pièce no 776. Le général en chef de l’armée d’Italie au Directoire exécutif, le 2 juillet 1796, 24 messidor an IV.
36 Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, op. cit., pièce no 872, p. 555.
37 Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, op. cit., p. 411, pièce 618, Le général en chef de l’armée d’Italie à Bonelli, chef de bataillon, 21 mai 1796-2 prairial an IV, Quartier général, Milan.
38 Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, ibid., p. 411, pièce 619, Le général en chef de l’armée d’Italie à Bracini et Paravicini, le 21 mai 1796-2 prairial en IV, Quartier général Milan.
39 Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, ibid., p. 412, pièce 622, Le général en chef de l’armée d’Italie à Sapey, 21 mai 1796, 2 prairial an IV.
40 Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, ibid., p. 508, pièce no 789, Le général en chef de l’armée d’Italie au Directoire exécutif, 20 juillet 1796, Quartier général, Castiglione.
41 Marc Martin, Les origines de la presse militaire en France : 1770-1799, publié par le ministère de la Défense, état-major de l’armée de terre, service historique, Vincennes, 1975, p. 353.
42 Marc Martin, op. cit., p. 356.
43 Sur Marc-Antoine Jullien, on peut lire la biographie d’Eugenio Di Rienzo, Marc Antoine Jullien de Paris 1789-1848, una biografia politica, Napoli, Guida, 1999 346 p. Sur son action en Italie entre 1796 et 1797, voir en particulier les pages 159 à 173. Pour Regnault de Saint-Jean d’Angely, on peut lire Olivier Blanc, L’éminence grise de Napoléon, Regnaud de Saint-Jean d’Angély, Paris, Pygmalion, 2002, 331 p.
44 Jean-Paul Bertaud, La Révolution armée, op. cit., p. 322 et suiv.
45 Mémoire militaire du général Roguet, op. cit., p. 258 et 259.
46 Antoine Joseph Marie de Valette était d’origine noble. Suite à cet épisode, Bonaparte le nomma au commandement de la région de Bologne. Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, op. cit., p. 1235, pièce no 128. Le général en chef de l’armée d’Italie au général Berthier, 4 octobre 1797, 13 vendémiaire an VI.
47 Jacques Godechot, Les commissaires aux armées, op. cit., tome i, p. 295 et 296.
48 Adjudant-général Jean Landrieux, Mémoires militaires, Bibliothèque nationale, ms. fr. 7981, p. 841, note.
49 Mémoires militaires du général Roguet, op. cit., p. 215.
50 Christian-Marc Bosséno, op. cit., p. 453. L’iconographie a récupéré cet épisode où le chef de brigade Rampon fit jurer sur le drapeau de défendre la position. Certaines représentations s’inspirent clairement de la célèbre toile de David, le serment des Horaces (1785).
51 Archivio di Stato di Napoli, Esteri, 3576. Cité par Anna Maria Rao, « Da Lodi a Marengo : gli italiano in esilio e Napoleone Bonaparte », Congresso internazionale, napoleonico, Cittadella di Alessandria, op. cit., p. 712.
52 Marcel Reinhard, Avec Bonaparte en Italie, p. 234. Sur 30 000 hommes attendus, il n’en vint que 23 000. Beaucoup avaient déserté lorsqu’ils avaient traversé l’est de la France.
53 Marcel Reinhard, op. cit., p. 237.
54 Mémoires militaires du général Roguet, op. cit., p. 341.
55 Gabriel Girod de l’Ain, Bernadotte, chef de guerre et chef d’État, Librairie académique Perrin, Paris, 1968, p. 79.
56 AN AF. III. 71, Rapport du général Clarke au Directoire exécutif, Milan le 30 frimaire an V.
57 Dans des journaux tels que Le rédacteur et Le Journal des défenseurs de la Patrie, ses lettres et communiqués avaient tenu la vedette jusqu’au printemps 1797. À partir de mai, il perdit ses tribunes : le Rédacteur ne lui faisait plus qu’une place infime tandis que le Journal des défenseurs de la patrie disparaissait. Marc Martin, op. cit., p. 344.
58 Être soupçonné d’être un ancien membre de l’armée d’Italie en France pouvait entraîner des représailles. Certains soldats en convalescence en firent l’amère expérience. Alors qu’ils étaient en permission en Provence, le grenadier Puffeney, blessé à Faenza, accompagné d’un camarade tomba sur une bande royaliste. Ils durent cacher leur appartenance l’armée d’Italie pour éviter un sort funeste : « Deux heures environ avant d’arriver à destination, nous fûmes arrêtés par une bande de Chouans qui nous injurièrent et nous menacèrent, sans cependant en venir aux voies de fait. Ils ne nous cachèrent pas en termes mesurés que s’ils étaient certains que si nous eussions fait partie de l’armée d’Italie, ils ne nous laisseraient pas passer ainsi. » Pierre-François Puffeney, Le capitaine Puffeney, 1772-1848, souvenirs d’un grognard, publié par M. Julien Feuvrier, Dole, A. Krugell, 1891, 49 p.
59 SHD, B3.46, Relation de la fête célébrée à l’armée de la République française en Italie à l’occasion de l’anniversaire de la mémorable journée du 14 juillet.
60 SHD, B3.46, Proclamation de Bonaparte, général en chef de l’armée d’Italie, 26 messidor an V, 14 juillet 1797. Voir aussi, Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, op. cit., pièce 1785, p. 1058 : « Des montagnes nous séparent de la France ; vous les franchiriez avec la rapidité de l’aigle, s’il le fallait pour maintenir la constitution, défendre la Liberté, soutenir le gouvernement et les Républicains. »
61 Les troupes stationnées à Nice, ainsi que plusieurs demi-brigades envoyèrent des adresses dans un style proche de l’admonestation. Voir Jean-Paul Bertaud, La Révolution armée, op. cit., p. 328-329.
62 SHD, B3.46, Adresse des citoyens composant la deuxième division commandée par le général Joubert à l’armée de l’Intérieur : « Le sacerdoce fascine les yeux, échauffe les têtes aiguise les poignards. »
63 SHD, B3.46, Adresse des citoyens de la première division de l’armée commandée par le général Masséna et en son absence par le général de brigade Brune au Directoire exécutif.
64 SHD, B3.46, Adresse des citoyens composant la septième division commandée par le général Delmas au Directoire exécutif.
65 SHD, B3.46, Adresse des citoyens composant la deuxième division commandée par le général Augereau à leurs frères d’armes de l’armée de l’Intérieur.
66 Marc Martin, op. cit., p. 347 et 348. Le courrier de l’armée d’Italie entre les mains de Marc-Antoine Jullien qui avait été un proche de Robespierre avait un caractère nettement plus polémique et reflétait l’opinion de l’aile jacobine de l’armée alors que La France vue de l’armée d’Italie dirigée par Regnaud (ou Regnault) de Saint-Jean d’Angely tenait des propos plus mesurés qui insistaient sur la restauration de la concorde dans le cadre d’une république pacifiée.
67 BNF, 4-LB42-1442, Comparaison entre la conduite du club de Clichy et celle de l’armée républicaine d’Italie, Milan, 2 juillet an premier de la liberté par Le Bon Raverat de la 57e demi-brigade d’infanterie de ligne.
68 SHD, B3.48, Les Républicains soussignés, habitants de la ville de Riom, département du Puy-de-Dôme, le 17 fructidor an V, 3 septembre 1797.
69 Claude Petitfrère, Le général Dupuy et sa correspondance, op. cit., p. 159 et 160.
70 À propos de cette expression attribuée à Babeuf datant de 1795 et de sa critique par Marc-Antoine Jullien, voir Eugenio di Rienzo, op. cit., p. 155.
71 Laurence Couturaud, op. cit., p. 65.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008