1La première renaissance, celle de 1828, est limitée en Bretagne à quelques localités. C’est le résultat de la mobilisation de quelques notables profitant de la nouvelle donne politique. L’un d’entre eux, Achille Bégé, à Pont-Croix (Finistère), fait figure de philanthrope décidé à faire œuvre de mission civilisatrice dans une contrée perdue. Les autres portent haut le drapeau du libéralisme et s’opposent au pouvoir clérical comme à Binic (Côtes-du-Nord).

2Cependant, le véritable essor a lieu dans les premières années de la monarchie de Juillet. Les libéraux, désormais à la tête des municipalités, souhaitent créer des écoles mutuelles. Toutes les villes importantes de Bretagne, excepté Quimper et Saint-Malo, élaborent de tels projets. Cependant, les politiques engagées se heurtent à de nombreux obstacles. Ainsi, il s’avère difficile de trouver le local adéquat ou de construire des bâtiments pour ce type d’enseignement. Il y a d’abord des problèmes de coûts que les trois centimes additionnels prévus par la loi du 28 juin 1833 sont loin de pallier. En second lieu, il faut des bâtiments ou des terrains suffisamment vastes pour abriter des écoles qui répondent aux caractéristiques de l’enseignement mutuel. Cependant, le principal obstacle, c’est toujours la concurrence congréganiste. Celle-ci poursuit son œuvre engagée depuis les débuts de la Restauration. En effet, les Frères montrent, pendant la monarchie de Juillet, leur capacité à accueillir la plupart des enfants pauvres des principales villes bretonnes. En outre, après 1833, les religieux, reconnus et favorisés par l’État, sont plus enclins à respecter les règlements. Ils introduisent même en certains endroits les procédés de l’enseignement mutuel et se servent de moniteurs. De leur côté, les édiles s’aperçoivent du coût peu élevé des services qu’ils rendent à la population. Progressivement, par pragmatisme, ils vont alors laisser les écoles chrétiennes prospérer. On conçoit que, dans ce contexte, la prise en charge de l’instruction des filles par les municipalités, n’ait pas rencontré beaucoup de succès.

3Malgré l’échec à contrecarrer l’influence des Frères, l’enseignement mutuel ne cesse pas d’être soutenu dans les plus grandes villes durant tout le régime orléaniste. Toute la prospérité de l’établissement réside alors dans la capacité du maître à diriger ses moniteurs et ses élèves. À cet égard, la compétence et la formation des maîtres sont assurément les principales clés de la réussite de l’enseignement primaire et particulièrement de l’enseignement mutuel. Si l’on en croit Chevreau, inspecteur du Morbihan, ce mode d’instruction ne souffre aucune insuffisance professionnelle. Pourtant, en ce domaine, au début de la monarchie de Juillet, tout reste à faire.

4En réalité, la diffusion des nouvelles écoles se fait surtout grâce à l’école normale de Rennes qui a ouvert ses portes le 1^er octobre 1831. Celle-ci, jusqu’en 1840, forme alors les futurs instituteurs à la méthode de l’enseignement mutuel, du moins en pratique. Après cette date, cependant, la méthode simultanée est considérée comme plus adaptée à l’enseignement dans les campagnes.

5Parmi les nouveaux maîtres mutuels, certains connaissent de réels succès tels Perron, à Brest ou Campion, à Saint-Brieuc. Mais nombreux sont ceux qui sont découragés par les difficultés de toutes sortes. Le nombre pléthorique des élèves reste un problème récurrent. Pour y faire face, certains instituteurs obtiennent des sous-maîtres comme à Brest ou à Saint-Brieuc. À cet égard, les élèves de l’école normale apportent une aide essentielle au fonctionnement de celle de Rennes.

6En outre, l’enseignement mutuel évolue sous la double impulsion de la Société pour l’instruction élémentaire et de la réglementation scolaire apparue en 1834. La Société de Paris admet désormais une formation des moniteurs en dehors des heures de classe, ce qui rend la tâche du maître encore plus difficile qu’elle ne l’était auparavant. Cette disposition nouvelle a une autre conséquence : elle introduit l’enseignement simultané pour les élèves les plus instruits. De nouvelles méthodes de lecture, surtout celle de Peigné, y sont diffusées. Cette dernière facilite l’apprentissage en supprimant l’épellation des lettres comme préalable au déchiffrage. De manière générale, tant en lecture qu’en mathématique, l’attention des pédagogues, sans négliger les aspects mécaniques de l’instruction, doit se porter aussi sur le raisonnement. Ce faisant, on s’aperçoit que l’enseignement dispensé par les moniteurs n’est pas le mieux adapté pour cette dernière partie. Enfin, les livres élémentaires se répandent. Ils ne sont plus exclusivement religieux et désormais, des ouvrages instructifs apparaissent dans les mains des élèves. Du coup, les tableaux, supports emblématiques du monitorial system, perdent de leur importance.

7Non seulement l’évolution des contenus remet en cause la pertinence de l’enseignement mutuel mais l’organisation même des classes est bouleversée sous l’effet de l’élévation de l’instruction. Désormais, on voit, dans les grandes écoles urbaines, une multiplicité des divisions dépassant la structure originelle en huit classes.

8Quant aux règlements scolaires de 1834, fruits de la réforme entreprise par Guizot et Lorain, ils ne font qu’ajouter de la confusion dans la déstabilisation pédagogique en cours. En effet, l’organisation préconisée par les Statuts fait fi des huit classes et de la manière dont progressent les élèves dans les écoles qui suivent cette méthode. Les notables des comités supérieurs de Brest, Saint-Brieuc et Lorient voient bien le danger de tels règlements. Ils tentent alors de les contourner pour permettre aux écoles mutuelles de leur ressort de continuer à fonctionner selon les principes initiaux.

9Au total, l’enseignement mutuel, victorieux aux lendemains de la révolution de Juillet, est mis sévèrement à l’épreuve durant toute la période suivante. Bien sûr, il subit, comme sous la Restauration, la concurrence des Frères mais surtout, on conçoit toutes les difficultés de sa mise en œuvre. Des problèmes financiers mais aussi d’espaces ou de locaux disponibles surgissent pour établir de nouvelles écoles. Plus fondamentalement, ses insuffisances pédagogiques sont révélées. L’enseignement simultané, en effet, se montre à la fois plus efficace et plus facile à mettre en pratique. Pour autant, l’emploi des moniteurs n’a pas disparu. Cependant, il n’est par organisé de manière aussi formelle que par le passé. Tantôt, les élèves les plus instruits sont utilisés comme des surveillants, tantôt comme des répétiteurs. Ils allègent ainsi la tâche du maître face à des effectifs qui, même en campagne, sont souvent supérieurs à 50 élèves. Ils pallient également l’hétérogénéité des niveaux scolaires. À ce propos, il faut rappeler que les règlements de 1834, même s’ils n’admettent que trois divisions, ne suppriment pas le fait que l’instituteur doit gérer des élèves d’âges et de compétences différents.